III
p. 59-76
Texte intégral
Bohémiens en voyage
1Cet espace de la mélancolie est parcouru par des êtres qui en eux-mêmes éprouvent la désaffection de l’être : ce sont les Bohémiens. Tout au long de l’époque romantique, bien plus qu’un thème, ils constituent un motif, presque au sens musical. Pour ne nous en tenir qu’à quelques textes parmi beaucoup d’autres, mentionnons Notre-Dame de Paris avec la Bohémienne Esmeralda, Consuelo et Carmen, dont les deux héroïnes éponymes sont elles aussi des Bohémiennes, Des Bohémiens et de leur musique en Hongrie de Liszt et Bohémiens en voyage de Baudelaire. Le motif des Bohémiens a exercé une véritable fascination, un « charme », écrira Baudelaire (« Cette race bizarre a pour moi le charme de l’inconnu »1), et c’est à ce qui était en jeu à travers ce motif que nous nous attacherons. Quelle est donc la fascination que suscitent les Bohémiens ? Celle qui confond ensemble dans un même terme le voyage, l’errance, l’ailleurs oriental au contact de l’Europe, la marginalité, la naturalité vagabonde, mais aussi le temps de l’origine encore présent, et, par-delà ou au-delà, la musique, – bref, les Bohémiens représentent, avec tout ce que ceci peut avoir de contradictoirement séduisant et repoussant, une autre modalité du sens. Car ce qu’obscurément les Bohémiens désigneraient en leur personne et dans leur être, ce serait une utopie du sens, s’il pouvait exister un lieu où s’agissant de ces nomades le sens ait à se fixer. Aussi est-ce bien plutôt en présence d’une errance du sens que l’on se trouve, quelque chose comme un déploiement vagabond de signes.
2Dans sa sécheresse informative, le chapitre monographique que leur consacre Mérimée en conclusion de la deuxième édition de Carmen en 1846, donne un véritable état du mythe bohémien au mitan du romantisme, après Notre-Dame de Paris et Consuelo, et avant Liszt et Baudelaire. Il ne faut pas chercher dans ces pages ce qui ne s’y trouve pas, en l’occurrence la poésie et la fantaisie, mais il sera suffisant de les prendre au pied de la lettre, dans leur prosaïsme documentaire. Une fois au moins se lit une page qui ouvre de singuliers horizons, comme si Mérimée était dépassé par son sujet :
L’histoire des Bohémiens est encore un problème. On sait à la vérité que leurs premières bandes, fort peu nombreuses, se montrèrent dans l’est de l’Europe, vers le commencement du quinzième siècle ; mais on ne peut dire ni d’où ils viennent, ni pourquoi ils sont venus en Europe, et, ce qui est plus extraordinaire, on ignore comment ils se sont multipliés en peu de temps d’une façon si prodigieuse dans plusieurs contrées fort éloignées les unes des autres. Les Bohémiens eux-mêmes n’ont conservé aucune tradition sur leur origine, et si la plupart d’entre eux parlent de l’Égypte comme de leur patrie primitive, c’est qu’ils ont adopté une fable très anciennement répandue sur leur compte2.
3La plupart des éléments du mythe bohémien sont rassemblés en ce court passage où ce qui lui donne force, c’est la nature elle-même mythique qui y est mise en œuvre, et l’on ne peut qu’être sensible en l’espace de quelques lignes à la rencontre des mots d’histoire, d’origine, d’Égypte, de patrie primitive et de fable. Avec les Bohémiens l’histoire ne se formule pas et eux-mêmes ne sont pas maîtres de cette histoire, qu’ils ne connaissent pas, et ils se reportent à une fable qui n’est pas la leur. Le résultat est que ce peuple d’avant le commencement est, même avant cet avant du commencement, dans l’en deçà de l’origine. D’autre part, nouveau peuple élu3, ils se sont multipliés à travers le monde dans un état initial de diaspora ; ils ont surgi tout d’un coup « vers le commencement du quinzième siècle » et ouvrent l’Europe simultanément à l’Orient mystérieux d’où ils semblent venir et à la modernité qui s’invente en Occident même, la référence à Notre-Dame de Paris s’imposant ici manifestement à Mérimée. Le plus intéressant dans cette perspective est peut-être qu’avec ces Bohémiens venus de nulle part soient interrogées ensemble à l’aube des temps modernes les notions conjointes et conflictuelles d’origine et d’histoire sur lesquelles précisément les temps modernes s’élaborent, comme si les Bohémiens venaient dans le monde occidental moins pour révéler les vérités de l’Orient que pour faire éprouver à l’Occident le sentiment inquiétant de ses limites – mieux, le sentiment de la limite, de l’ailleurs indéfini du monde. Remarquable, en effet, le brouillage des catégories qu’introduisent les Bohémiens en Europe. Au moment où ils surviennent, l’Europe est en train de voir la constitution d’États-Nations, et eux sont une nation qui n’est pas un État, et qui apparaît comme un immense réseau (voir le mot de bandes) qui double et recouvre l’espace politique, historique et géographique. Ces Huns de l’époque moderne ne déferlent pas sur l’Europe, ils l’investissent dans ses marges, opérant à partir de la périphérie européenne jusqu’au centre la dissémination d’une matière allogène, de ce qui est irréductible au sens – de ce qui passe littéralement le sens. Aussi n’est-il pas étonnant que Mérimée ait choisi de terminer cette monographie des Bohémiens par un aperçu de la langue bohémienne. En clair, cette langue, comme la population de ceux qui la parlent, n’est pas une langue ; c’est un idiome, un parler, une parlure arlequine, qui emprunte aux autres langues sa substance et qui n’est à elle-même sa langue que dans l’altération des autres langages. Le langage bohémien n’est fait que de résidus, c’est évidemment la langue de Babel. Etc. Mais le texte romanesque de Carmen, à lui seul, fait suffisamment la preuve de la pertinence de l’analyse menée par Mérimée dans ce chapitre : la nouvelle a pour héroïne une bohémienne espagnole, une gitane, et ce que dit et répète la fiction, c’est que « l’Amour est enfant de Bohème » ; la volatilité de l’amour dans Carmen est l’expression du bariolage du sens que les Bohémiens mettent en œuvre à travers le monde. L’amour n’a pas de loi, il est volage, ne se soumet à aucune contrainte, il est la liberté même, mais cette liberté qu’il manifeste a pour rançon la mort.
4Baudelaire, sensiblement à la même époque4, achève dans Bohémiens en voyage de constituer le mythe, mais en lui faisant prendre un régime de signification poétique totalement inconnu à Mérimée. Les Bohémiens sont des témoins de l’origine, ils forment une « tribu prophétique », et, à la différence des autres hommes, ils n’ont pas perdu les vertus primitives, ils vivent même encore dans un temps qui est celui de l’origine. Ils ne connaissent pas non plus la dégénérescence qui a frappé le reste de l’humanité, et de manière significative, la mère nourricière des premiers temps, Cybèle, existe encore pour eux :
Cybèle, qui les aime, augmente ses verdures,
Fait couler le rocher et fleurir le désert.
5Les Bohémiens sont les garants des valeurs de l’origine, ils voyagent dans l’espace, à travers des lieux que leur venue fertilise ; ils voyagent aussi dans le temps : c’est hier qu’ils se sont mis en route et ainsi établissent-ils un lien entre le long temps qu’a passé le poète de La Vie antérieure « sous de vastes portiques » et le temps présent5. De cette façon ils apparaissent comme des préfigurations ou, c’est un peu différent, des figures idéales du poète6. Comme lui ils vont,
Promenant sur le ciel des yeux appesantis
Par le morne regret des chimères absentes.
6Revoici la problématique du sens : sémantiquement la transcendance est bien là, mais en quelque sorte retirée ; et, de même, vectoriellement le voyage des Bohémiens est orienté par leur quête, mais celle-ci s’accomplit dans le désert et eux-mêmes en s’y livrant semblent avoir perdu toute idée de leur destination7. Ce sont des voyageurs, est-il dit, – les voyageurs par excellence tels que Baudelaire les évoque dans Le Voyage :
Mais les vrais voyageurs sont ceux-là seuls qui partent
Pour partir ; cœurs légers semblables aux ballons,
De leur fatalité jamais ils ne s’ écartent,
Et, sans savoir pourquoi, disent toujours : Allons !
7En 1830 le héros romantique se définissait comme « une force qui va » – une force, il est vrai, qui ne savait pas trop où elle allait, toute à l’intransitivité de son propre allant. Les choses n’ont guère changé trente ans plus tard, et le sens, s’il est toujours à l’horizon de la quête, continue de s’inscrire dans le retrait. Mais, de 1830 à 1860, il s’est produit un infléchissement notable : désormais, à la différence de ce qui se passait dans Hernani, pour continuer sur cet exemple, l’idée même de trajectoire disparaît, remplacée par celle d’errance et de vagabondage, et par cette substitution, se modifie la relation du sujet à la réalité. Cela vient de ce que, dans un cas, le personnage, en suivant son « chemin fatal » et en étant docile à la voix d’en haut, obéissait à une transcendance qui le dépassait et qui faisait de lui un « agent aveugle et sourd de mystères funèbres »8, en proie à un « destin insensé », alors que, dans l’autre cas, les voyageurs du désert, en éprouvant cette immédiateté de l’être qu’est l’immanence, voient s’ouvrir à eux « l’empire familier des ténèbres futures ». En particulier, alors que le héros romantique donnait carrière à son énergie dévastatrice dans un espace qui lui était indifférent ou, ce qui revient à peu près au même, qui n’avait d’existence que dans le pittoresque (« Monts d’Aragon ! Galice ! Estramadoure ! »), les Bohémiens de la génération suivante inventent l’espace qu’ils parcourent, et cet espace se met à signifier, dans la mesure où il devient l’enjeu même de la quête du sens qu’il rend précisément possible.
8C’est vers 1860 que Baudelaire consigne dans Mon cœur mis à nu : « Glorifier le vagabondage et ce qu’on peut appeler le Bohémianisme, culte de la sensation multipliée, s’exprimant par la musique. En référer à Liszt9. » Ce bohémianisme-là n’a rien à voir avec celui de la vie de bohème, et son étude ne saurait relever d’une approche historique et sociologique10, pas plus que Baudelaire ne gagne vraiment à être lu dans la référence de Murger et de ses Scènes. Cette remarque engage la compréhension de la poétique de Baudelaire en ses dernières années, et il n’est guère étonnant qu’elle soit consignée sur le même feuillet que la notation capitale : « Glorifier le culte des images (ma grande, mon unique, ma primitive passion)11. » L’une et l’autre participent d’une même réflexion sur les conditions et les moyens de la création esthétique, et rejoignent la première ligne de Mon cœur mis à nu : « De la vaporisation et de la centralisation du Moi. Tout est là12. » De fait, l’artiste bohémien, en se livrant au vagabondage, fait l’expérience de « la sensation multipliée » et pratique cette vaporisation de soi. Cela suffit-il pour atteindre l’idéal de concentration qui est requis pour faire œuvre de création ? Oui, en ce que le modèle esthétique que se propose le poète est celui de la musique, un art qui en lui-même est vaporisation. C’est un art bohémien, d’abord parce que c’est l’art des Bohémiens eux-mêmes. Un texte de Baudelaire, le poème en prose intitulé Les Vocations, le dit explicitement. Quatre enfants se racontent leurs désirs, qui sont tous bourgeoisement vulgaires, sauf ceux du quatrième, qui voudrait quitter la France depuis qu’il a vu un spectacle donné par trois musiciens ambulants :
Je ne suis jamais bien nulle part, et je crois toujours que je serais mieux ailleurs que là où je suis. Eh bien ! j’ai vu, à la dernière foire du village voisin, trois hommes qui vivent comme je voudrais vivre. Vous n’y avez pas fait attention, vous autres. Ils étaient grands, presque noirs et très fiers, quoique en guenilles, avec l’air de n’avoir besoin de personne. Leurs grands yeux sombres sont devenus tout à fait brillants pendant qu’ils faisaient de la musique ; une musique si surprenante qu’elle donne envie tantôt de danser, tantôt de pleurer, ou de faire les deux à la fois, et qu’on deviendrait comme fou si on les écoutait trop longtemps. L’un en traînant son archet sur son violon, semblait raconter un chagrin, et l’autre, en faisant sautiller son petit marteau sur les cordes d’un petit piano suspendu à son cou par une courroie, avait l’air de se moquer de la plainte de son voisin, tandis que le troisième choquait, de temps à autre, ses cymbales avec une violence extraordinaire. Ils étaient si contents d’eux-mêmes, qu’ils ont continué à jouer leur musique de sauvages, même après que la foule s’est dispersée. Enfin ils ont ramassé leurs sous, ont chargé leur bagage sur leur dos, et sont partis13.
9L’influence de l’essai de Liszt, Des Bohémiens et de leur musique en Hongrie, paru en 1859, a certainement été importante et l’on pourrait en repérer des traces dans le texte de Baudelaire14, mais nous préférons insister sur l’aspect éclaté de la composition musicale des trois artistes, qui paraissent ignorer toute idée de composition et qui, cependant, créent dans l’improvisation une œuvre multiple et diverse, mais qui n’est pas dépourvue d’unité : unité qui se voit dans le plaisir et la satisfaction des trois musiciens ; ce sont, au contraire, les auditeurs qui, parce qu’ils ne comprennent pas « leur musique de sauvages », se dispersent, les musiciens, eux, ramassent leurs sous. Et ils partent. À leur vagabondage correspond l’errance de leur musique, sa bohémianité. C’est une musique de voyage et du voyage, une musique qui voyage, qui ne cherche pas à se fixer et qui n’existe et n’a de sens que dans le présent.
10Avec cette notion de bohémianisme, on est très proche, on le voit, de la modernité telle que l’entend Baudelaire : « C’est le transitoire, le fugitif, le contingent, la moitié de l’art, dont l’autre moitié est l’éternel et l’immuable15. » Le poète, quant à lui, tel Poe ou Nerval, tel Baudelaire lui-même, ou tel Constantin Guys, le peintre de la vie moderne, est « un Arabe nomade dans un monde civilisé16 ». Son nomadisme, intellectuel autant qu’existentiel, est la condition de l’artiste en cette triste modernité du Second Empire, et plus encore la condition de sa création esthétique. Le poète, ou le peintre, explique Baudelaire à propos de Guys, doit être un « homme du monde, c’est-à-dire homme du monde entier, homme qui comprend le monde et les raisons mystérieuses et légitimes de tous ses usages17 » ; aussi se comporte-t-il dans ce monde comme une espèce de bohémien :
Ainsi il va, il court, il cherche. Que cherche-t-il ? À coup sûr, cet homme, tel que je l’ai dépeint, ce solitaire doué d’une imagination active, toujours voyageant à travers le grand désert d’hommes, a un but plus élevé que celui d’un simple flâneur, un but plus général, autre que le plaisir fugitif de la circonstance. Il cherche ce quelque chose qu’on nous permettra d’appeler la modernité […]18.
11En cela cet artiste bohémien réalise la double exigence de concentration et de vaporisation édictée au début de Mon cœur mis à nu et dont une application est donnée dans Le Peintre de la vie moderne, par exemple dans ces lignes :
Pour le parfait flâneur, pour l’observateur passionné, c’est une immense jouissance que d’élire domicile dans le nombre, dans l’ondoyant, dans le mouvement, dans le fugitif et l’infini. Être hors de soi, et pourtant se sentir partout chez soi ; voir le monde, être au centre du monde et rester caché au monde, tels sont quelques-uns des moindres plaisirs de ces esprits indépendants, passionnés, impartiaux, que la langue ne peut que maladroitement définir19.
12« Être hors de soi, et pourtant se sentir partout chez soi », c’est le propre des poètes, c’est le propre des Bohémiens. Être un bohémien, ou du moins s’inventer un bohémianisme qui permette de faire œuvre de poète, voilà l’ambition de Baudelaire en ces années 1860. Façon de réinventer un romantisme authentique, celui de 1830, celui de Hugo n’ayant jamais été le sien, et de fonder ce romantisme philosophique qu’il appelle de ses vœux depuis le Salon de 184620. De là cette tentative de trouver des référents artistiques, qui lui permettent de penser ensemble romantisme et modernité. Constantin Guys joue ce rôle alors, depuis que Baudelaire a plus ou moins dû admettre que Delacroix ne saurait incarner cet idéal du romantisme : le grand peintre n’a jamais vraiment compris ce que Baudelaire projetait en lui, il a même avoué que l’admiration un peu encombrante et passablement incompréhensible de cet étrange bohème l’ennuyait21. Et puis, il y a si longtemps que Delacroix est revenu du Maroc. Ainsi peut-être s’explique l’engouement de Baudelaire pour Fromentin, qu’il célèbre dans le Salon de 1859 de manière très élogieuse, et dont il écrit en particulier, à la vue des tableaux que lui a inspirés son séjour dans le Sahel :
Il est présumable que je suis moi-même atteint quelque peu d’une nostalgie qui m’entraîne vers le soleil ; car de ces toiles lumineuses s’élève pour moi une valeur enivrante, qui se condense bientôt en désirs et en regrets. Je me surprends à envier le sort de ces hommes étendus sous ces ombres bleues, et dont les yeux, qui ne sont ni éveillés ni endormis, n’expriment, si toutefois ils expriment quelque chose, que l’amour du repos et le sentiment du bonheur qu’inspire une immense lumière22.
13Vaporisation et condensation des désirs et des regrets à la lumière d’un soleil sans conteste oriental et qui suscite la nostalgie23 : peut-on concevoir une alliance plus explicite de l’idéal esthétique de la modernité auquel aspire Baudelaire et de la tradition romantique de l’Orient qui se dresse en arrière-plan ? Juste à la suite de ces lignes, et l’on ne s’en étonnera pas, Baudelaire adhère à la sympathie de Fromentin pour les Arabes « en qui subsiste quelque chose de l’antique héroïsme », pour le « dandysme patricien qui caractérise les chefs des tribus puissantes ». Ce sont les Bohémiens du XIXe siècle, ces autres artistes des temps modernes qui, entre les temps de l’origine et ceux de l’aujourd’hui, vivent dans l’entre-deux de l’histoire et témoignent en 1859 de la réalité problématique du romantisme.
La vie de voyage
14En 1876, Gobineau fait paraître son chef-d’œuvre, avec son très beau roman des Pléiades publié deux ans auparavant, les Nouvelles asiatiques. Persanes, en fait, plus qu’asiatiques, mais peu importe : l’Asie chez Gobineau, comme chez Baudelaire24, est le lieu de l’autre, de l’ailleurs, c’est un pays dépaysé, une contrée du réel et de l’imaginaire aux frontières indécises. En ce sens, la dernière des Nouvelles asiatiques, La Vie de voyage, montre de manière exemplaire comment l’Asie chez Gobineau se constitue comme objet tout en ne cessant de se refuser comme représentation. Est-ce d’ailleurs une nouvelle ? À la différence des cinq autres qui la précèdent, cette dernière nouvelle ne met pas véritablement en œuvre une fiction, à peine est-elle un récit réduit au minimum : un couple de jeunes mariés, Valério et Lucie, apprennent leur ruine financière au bout de cinq jours de mariage, et, l’un des amis du jeune homme lui ayant proposé de lui faire obtenir un emploi à Constantinople ou dans les provinces ottomanes, ils s’en vont. De l’Europe à Constantinople, où, sur la recommandation d’un diplomate européen, Valério se voit confier « une mission très indéfinie »25, qui consiste à voyager sans but précis, et qui lui vaudra à son retour d’être employé comme fonctionnaire par la Sublime-Porte. Voyage donc des deux jeunes gens, ils se sont joints à une caravane ; nulle péripétie, si ce n’est celle-ci : la peur qu’éprouve Lucie au bout de plusieurs mois en face de l’Orient et qui les détermine à revenir en Europe. La gratuité le dispute, on le voit, à l’invraisemblance romanesque. Comme la fiction est à la limite de l’inconsistance, la narration est de ce fait réduite à presque rien ; ce n’est pas étonnant, mais ce qui l’est davantage, c’est que la part de la description soit à peu près aussi faible. On aurait pu concevoir, en effet, que le vide de la substance narrative serait le prétexte à une débauche descriptive, ou sa rançon, – il n’en est rien. Ce n’est pas davantage un discours sur le voyage, l’Orient, ou le voyage en Orient. C’est bien plutôt d’une dérive qu’il s’agit. Dérive de la fiction, dérive de la narration, dérive de la description, toutes trois se conjuguant en un mouvement qui confond écriture et aventure dans une espèce d’immédiateté de l’être :
Le lendemain, on ne part pas ; mais on part huit jours après. On marche comme on a fait jusque là. On rencontre de nouvelles aventures, les unes bonnes, les autres mauvaises ; jamais les mêmes, toujours variées comme chacune des feuilles qui, par millions, forment la toiture d’un bois touffu et on voyagerait ainsi avec un maître muletier et tant de compagnons divers pendant des centaines de siècles, que jamais on ne ferait les mêmes rencontres ni ne retrouverait les mêmes conjonctions de choses. On peut donc s’expliquer que lorsque les hommes ont goûté une fois de ce genre d’existence, ils n’en peuvent plus subir une autre. Amants de l’imprévu, ils le possèdent, ou plutôt s’abandonnent à lui du soir au matin, et du matin jusqu’au soir ; avides d’émotions, ils en sont abreuvés ; curieux, leurs yeux sont constamment en régal ; inconstants, ils n’ont pas le temps même de se lasser de ce qui les quitte ; passionnés enfin pour la sensation présente, ils sont débarrassés à la fois des ombres du passé, qui ne sauraient les suivre dans leur évolution incessante, et encore bien plus des préoccupations de l’avenir écrasés sous la présence impérieuse de ce qui est là26.
15Cette page vaut sans doute moins pour la psychologie de ces voyageurs baudelairiens que pour l’évocation de ce qui suscite la fascination du voyage et qui se résume dans l’admirable formule : « la présence impérieuse de ce qui est là ». Présence d’autant plus impérieuse qu’elle est retirée, qu’elle n’existe que dans le retrait d’elle-même. C’est ainsi que cette singulière nouvelle de La Vie de voyage est occupée à désigner la dérive où le voyage engage l’écriture, et dont l’écriture elle-même dans cette dérive coïncide avec son propre objet. C’est pourquoi la nouvelle s’achève quand le voyage prend fin, évidemment, plus exactement quand est dénoncée par l’un des personnages « l’étrangeté incommensurable » de l’Asie :
[…] cette solitude morale, absolue, sans contraste, qui s’épaissit autour de nous… Peur ? Je n’ai pas peur ; ou, du moins, je n’ai pas précisément peur… mais, au premier abord, je ne voyais, je ne comprenais que la superficie des choses et l’apercevant comme elle est, bariolée et mouvante, je m’en amusais et ne supposais pas le dessous. Mais, maintenant, prends-tu garde toi-même que nous sommes entourés par l’inconnu, par l’étrangeté incommensurable, sans bornes ? Que tout ce que nous approchons, nous regarde comme nous les regardons nous-mêmes, et cela sans nous comprendre, comme aussi nous ne comprenons pas ? Nous sommes portés sur une houle dont nous ne connaissons pas la force ; un souffle de vent peut bien faire une tempête ; nous pouvons tomber dans un tourbillon ; nous n’avons pas de boussole pour nous guider, et, de même que nous ignorons, de la manière la plus complète, le paysage qui se déroule derrière ces montagnes élevées devant nous, de même nous ne savons pas quels ressorts font mouvoir les esprits et les volontés, quel feu subit enflamme les imaginations de gens que nous jugeons en ce moment les plus inoffensifs et les meilleurs27.
16Une fois dépassées les oppositions, qui font naître la peur, entre apparence et réalité, dessus et dessous, que reste-t-il ? La conscience que ce monde asiatique échappe justement à tout système d’oppositions, qu’il est par sa nature même, et ceci presque au sens rhétorique du terme, la figure de l’inconnu. Cette figure qui dit la dérive de la réalité est à proprement parler métaphore.
17Ainsi Gobineau, héritier tardif et anachronique de la tradition romantique antérieure, a avec cette nouvelle de La Vie de voyage, si l’on peut dire, tiré les conclusions de ce qui s’était écrit entre 1830 et 1860. Certes elle a été élaborée alors que le romantisme était entré dans l’histoire et qu’en littérature il n’existait plus depuis longtemps ; mais à sa façon cette nouvelle montre exemplairement, et plus encore résume ce qu’a pu représenter à l’époque romantique le voyage, l’écriture du voyage – c’est-à-dire les rapports que l’écriture et le voyage entretiennent entre eux dans l’appréhension de la réalité.
Les espaces de l’ailleurs et de l’écriture
18L’Orient aura pareillement exercé sur Nerval sa fascination et l’on sait que le voyage, entrepris en 1843 et dont la relation se poursuivra jusqu’en 1850, a eu une importance décisive sur l’œuvre des dernières années. Le Voyage en Orient n’est qu’en apparence le récit du séjour de Nerval en Égypte, au Liban et à Constantinople durant l’année 1843 ; il doit bien plutôt se lire comme une vaste méditation sur l’Autre. Confronté au lieu même de l’Origine, origine religieuse et historique de la civilisation, le voyageur nervalien raconte sa découverte de catégories mentales qui lui sont étrangères et qui en même temps sont les siennes propres, et, en son genre, c’est une expérience de l’étrangement qui fait l’objet de ce livre. Expérience d’étrangement du Moi face à un monde foncièrement autre, et, plus secrètement, expérience d’étrangement de soi à soi-même. Nerval ne s’en est pas tenu là, il a intégré l’Orient dans son écriture elle-même en faisant de cet ailleurs réel et imaginaire la référence poétique à partir de laquelle s’est désormais composée l’œuvre. Ainsi, tout en disparaissant du texte nervalien dans Les Filles du Feu, l’Orient l’investit toujours, mais secrètement, sur le mode de la métaphore. Il s’est opéré un déplacement de l’Orient vers Occident, lequel a eu pour effet de soumettre celui-ci à l’emprise de celui-là, avec pour résultat la transformation des deux espaces de la fiction que sont le Valois et la Campanie en des terres brûlées par le feu lointain de l’Orient28. Sa présence métaphorique et symbolique s’explique par le statut d’utopie du sens qui le définit chez Nerval comme chez ses contemporains, et c’est une utopie du sens du même genre et inspirée par la référence orientale qui s’élabore dans Les Filles du Feu.
19C’est très nettement visible dans la nouvelle d’Angélique, qui illustre bien cette combinaison du voyage et de l’écriture inventée dans le Voyage en Orient. Placée en tête des Filles du Feu, Angélique a une valeur véritablement programmatique. Cela tient bien sûr à la position stratégique qu’elle occupe dans le recueil, qu’elle ouvre et auquel elle sert de seuil, mais aussi à ce qu’elle constitue en elle-même une poétique, la poétique même des Filles du Feu et de leur écriture. Car il est clair que ce texte a une dimension éminemment métaromanesque, du seul fait que ce que raconte Angélique, c’est la recherche d’un livre, et à travers cette recherche, ce qui est en jeu, c’est l’écriture d’un livre – mais lequel ? Apparemment il n’y en a qu’un, celui que, sous forme de feuilleton, Nerval a promis au directeur du National : l’Abbé de Bucquoy29. Comme ce feuilleton, en raison de l’amendement Riancey, ne doit pas être un roman historique, il est présenté comme un travail non-romanesque, mais strictement historique ; c’est pourquoi il faut que son auteur s’appuie sur une documentation historique incontestable, en l’occurrence l’Histoire du sieur abbé comte de Bucquoy, publiée en 1749, et qui raconte « singulièrement son évasion du Fort-l’Évêque et de la Bastille30 ». Or ce livre qui garantirait l’historicité de l’ouvrage historique projeté par Nerval ne se trouve dans aucune bibliothèque ni chez aucun bibliophile. Dès lors le récit s’attache à raconter la quête de ce livre. C’est le premier glissement qui se présente : on passe de l’écriture du livre à la recherche d’un autre livre permettant l’écriture du livre projeté. Premier glissement, suivi de beaucoup d’autres qui se traduisent par de multiples digressions. Peu à peu l’objet premier disparaît, remplacé par un autre, etc. Dans cette perspective on admirera l’humour et l’habileté de Nerval dans ses procédés de diffèrement, le récit prenant manifestement les allures d’une narration à la façon de Sterne, l’auteur de Tristram Shandy. C’est aussi amusant et enjoué que vertigineux et inquiétant : le réel ne cesse de se rétracter et en particulier l’écriture manifeste en toute occasion qu’elle est incapable de recouvrir la réalité. L’écriture elle-même semble fonctionner en circuit fermé, presque à vide, occupée en quelque sorte à se dévorer elle-même ou à dévorer son énergie, comme si les mots n’étaient plus en prise sur les choses. Plus rien n’a d’appui : ni l’identité de l’abbé de Bucquoy, dont le nom lui-même se décline en de multiples graphies, ni le livre, que le narrateur a pourtant vu à Francfort, auquel se substituent d’autres livres portant des titres proches du sien, ni non plus le lieu, Longueval, où se trouve le château familial de l’abbé, et ainsi de suite.
20N’insistons pas, c’est là un des aspects les plus immédiatement visibles de la poétique fantaisiste de Nerval dans Angélique31. Attachons-nous plutôt aux effets textuels induits par cette poétique. Le plus remarquable est alors la substitution d’un texte à un autre texte, qui joue à des niveaux sensiblement différents. Première substitution, celle qui fait remplacer l’histoire de l’abbé de Bucquoy par l’histoire de la grand-tante de l’abbé de Bucquoy, Angélique de Longueval. L’opération se fait insensiblement – elle se passe en famille et en terre valoisienne –, le prétexte étant ironiquement fourni par la découverte d’un manuscrit, la confession d’Angélique : comme quoi un texte peut en cacher un autre. Mais la narration n’en reste pas à ce remplacement d’un support textuel introuvable à la trouvaille d’un autre support textuel, elle subit elle-même une très élégante évolution en glissando, puisque le récit de la quête de l’histoire de l’abbé de Bucquoy et de l’improbable écriture du feuilleton consacré à ce même abbé de Bucquoy fait place au récit circonstancié des aventures, elles aussi hautes en couleur, d’Angélique. Dans le creux du récit premier s’est donc introduit un récit second, et ce qui est très beau et très réussi, c’est l’espèce de vraisemblabilisation de l’opération, qui tient au recours insidieux à un système métonymique à la fois discret et efficace. Seconde substitution, liée à la précédente, celle qui transforme le narrateur en un de ses personnages. Cette transformation est inhérente à la poétique qui régit le texte. Dans Les Faux Saulniers, d’où est extraite Angélique, se trouvait la déclaration suivante : « Je suis encore obligé de parler de moi-même et non de l’abbé de Bucquoy. La compensation est mince. Il faut cependant que le public admette que l’impossibilité où nous sommes d’écrire du roman nous oblige à devenir les héros des aventures qui nous arrivent journellement, comme à tout homme, – et dont l’intérêt est sans doute fort contestable le plus souvent32. » Ainsi, aux tribulations de Nerval à Paris « à la recherche de l’abbé de Bucquoy33 », font suite les tribulations de Nerval dans le Valois. On notera attentivement à cet égard que cette transformation, où le Je échange son statut de narrateur contre celui de héros, a pour conséquence la disparition des préoccupations relatives à la recherche du livre. Cela vient non seulement de ce qu’un autre texte a été trouvé (la confession d’Angélique), mais aussi de ce que le Je est devenu à lui-même son propre objet d’écriture. Certes, auparavant, le narrateur explorant les bibliothèques faisait la matière du récit, mais ce qui est maintenant nouveau, c’est qu’il se met en scène comme personnage. Et cela doublement, comme personnage d’un récit autobiographique, avec ce que cela suppose d’investissement personnel, et comme personnage de roman. D’une part, avec l’épisode valoisien, le Je retrouve tous ses souvenirs d’enfance et les évoque, sur le mode de confessions fragmentaires ; d’autre part, il s’opère une sorte d’identification métonymique du Je narrateur et héros au personnage d’Angélique dont il s’est mis à raconter l’histoire, dans la mesure où l’un et l’autre sont dans une même situation d’errance et de solitude.
21Au terme de ces glissements et de ces substitutions multiples, que reste-t-il de la situation initiale ? À peu près rien. Le sujet et l’objet de l’écriture en sont venus à se confondre, le texte que l’on projetait d’écrire a volé en éclats et s’est effacé devant un autre texte, etc. Significativement, une fois acquis le livre tant convoité de l’Histoire de l’abbé de Bucquoy, le narrateur poursuit sur sa lancée et se contente de mentionner en deux lignes son acquisition : « Je possède donc le livre et je me trouve en mesure de continuer mon travail34. » En outre, le livre promis au National, l’abbé de Bucquoy, ne reçoit dans le texte d’Angélique aucun début de réalisation, à la différence de ce qui se passait dans Les Faux Saulniers, qui se terminait par l’Histoire de l’abbé de Bucquoy35, comme si, même marginalement, toute l’entreprise d’écriture devait aboutir à la production et à la réalisation de ce texte – encore que l’on puisse assimiler ces quarante pages à un pur et simple appendice rejeté en annexe. Dans Angélique, au contraire, cette idée elle-même a disparu, et ce qui reste en fin de course c’est, sur le mode d’une ultime pirouette, le dynamitage des deux notions connexes d’auteur et de texte36. Ni l’auteur ni le texte n’ont plus maintenant aucune identité. L’auteur, c’est vous, c’est moi, c’est Homère ; le texte, quant à lui, n’a d’existence paradoxale que dans le référent qui devait en permettre l’écriture : le volume de l’Histoire du Sieur Abbé comte de Bucquoy est très minutieusement décrit, mais le livre qui devrait en résulter est retiré de la circulation textuelle, comme s’il était devenu superfétatoire ou accessoire.
22Le texte d’Angélique met en œuvre une dérive d’écriture, une dérive de l’écriture, et jamais il ne trouve à se fixer, sans doute parce que fait également défaut un principe qui lui assurerait une cohérence et une cohésion. Ce principe pourrait être l’instance du sujet. Or nul sujet n’apparaît qui puisse remplir cette fonction, parce que le sujet n’existe pas ici comme l’instance transcendantale d’où procède le texte. Bien au contraire, on observe dans Angélique une adéquation complète entre le sujet et le texte. Cette adéquation entre les deux va jusqu’à la confusion elle-même, dans la mesure où le sujet de l’écriture (le Je) et son objet (le texte) n’arrêtent pas de procéder entre eux à des échanges, à des permutations. L’une des conséquences indirectes en est le peu de valeur de la distinction entre narrateur et personnage, et même, de manière bien plus troublante, entre auteur et narrateur. À moins que peut-être Angélique et avec elle, quelques années plus tard, Aurélia, n’aient pas d’auteur, mais seulement un narrateur – une simple instance narrative sans référence à un sujet.
23Nous nous sommes aussi longuement attardé sur cette nouvelle d’Angélique parce qu’elle permet de comprendre facilement comment s’est opérée la décomposition-recomposition des instances du sujet, du texte et de l’écriture au mitan de 1850. Cette opération marque à cette date le point d’arrivée de la conception romantique qui montre le sens constamment en train de se faire et de se défaire ; ce que j’appelle l’utopie du sens, c’est l’improbable espace d’écriture, en Juillet comme en Décembre, où se problématisent de manière tendue les rapports entre le réel et sa représentation. L’un de ces espaces utopiques a été l’Orient pendant des décennies, ce qui est compréhensible, parce qu’il figure l’ailleurs et l’Autre depuis toujours, parce qu’il est également le domaine de l’immanence du sens. C’est pourquoi l’Orient romantique ne peut se penser que comme terre de nomadisme, il échappe à toute fixation, ce qui relèverait d’une transcendance, aussi ne peut-il être que désorienté37. Une fois que l’Orient disparaîtra, en partie, de l’horizon littéraire vers 1850, comme cela se produit chez Nerval, il continuera à faire office d’espace problématique où penser la réalité. Que serait, par exemple, Madame Bovary sans l’Orient ? Non pas le voyage en Orient accompli par Flaubert, ni même les souvenirs et traces de ce voyage, mais cette référence absente qui donne sa signification à l’ensemble du projet romanesque d’écrire la réalité38. La même remarque pourrait être faite à propos de Nerval, on l’a vu, et aussi de Baudelaire, le plus remarquable chez ces deux derniers écrivains étant la métaphorisation de l’Orient dans l’espace parisien.
24« Le vrai est ce qu’il peut39 », écrit Nerval dans la conclusion du Voyage en Orient, pour demander que l’on excuse le décousu de son récit qui ne connaît pas l’unité et la cohérence de la forme romanesque. C’est assurément une formule qui convient à l’entreprise romantique dans son ensemble.
Notes de bas de page
1 Baudelaire, La Fin de Don Juan, dans Œuvres complètes, éd. cit., I, p. 628.
2 Mérimée, Carmen, ch. IV, dans Théâtre de Clara Gazul. Romans et nouvelles, édition établie, présentée et annotée par Jean Mallion et Pierre Salomon, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1978, p. 992-993.
3 Le rapprochement entre Bohémiens et Juifs est longuement développé par Liszt dans son ouvrage Des Bohémiens et de leur musique en Hongrie, Éditions d’aujourd’hui, « Les Introuvables », p. 21 et sv.
4 La date de composition de Bohémiens en voyage est inconnue, il semblerait cependant que le poème soit antérieur à 1846.
5 À noter que ce poème est précédé dans l’édition de 1857 comme dans celle de 1861 de La Vie antérieure.
6 L’analyse précédente reprend partiellement un passage de ma communication au colloque Littérature et origine (Clermont-Ferrand, octobre 1993 ; actes publiés chez Nizet, en 1998), « Figures et poétique de l’origine dans Les Fleurs du Mal ».
7 En cela les bohémiens en voyage sont à rapprocher de ces autres voyageurs des ténèbres que sont les aveugles ; les similitudes entre les deux poèmes sont frappantes. Ce sont des visionnaires : leurs prunelles sont ardentes. Aussi l’opposition établie entre ces deux poèmes par Jérôme Thélot dans son ouvrage, Baudelaire, violence et poésie, Gallimard, coll. « Bibliothèques des Idées », 1993, p. 418, ne me convainc-t-elle pas.
8 Hugo, Hernani, III, 4, ainsi que les citations suivantes.
9 Baudelaire, Mon cœur mis à nu, dans Œuvres complètes, éd. cit., I, p. 701.
10 Pour une approche de ce genre voir l’ouvrage, au demeurant bien peu au fait historiquement des réalités littéraires, de J. Seigel, Paris bohème. Culture politique aux marges de la vie bourgeoise. 1830-1930, Gallimard, coll. « Bibliothèque des Histoires », 1991.
11 Là-dessus voir mon étude, « Image, imagination et création poétique chez Baudelaire. Quelques éléments d’iconologie fantasmagorique (1857-1860) », dans La Lanterne magique, pratiques et mise en écriture, Cahiers d’histoire culturelle, no 2, Université de Tours, 1997.
12 Baudelaire, Mon cœur mis à nu, dans Œuvres complètes, éd. cit., I, p. 676. – À rapprocher du souhait exprimé quelques années auparavant par Nerval dans la dédicace des Filles du Feu à Alexandre Dumas : « concentrer mes souvenirs dans un chef-d’œuvre » (NPl, III, p. 451).
13 Baudelaire, Les Vocations, dans Œuvres complètes, éd. cit., I, p. 334.
14 Voir par exemple, ch. CII, p. 247-249, et ch. CIII, p. 249-250.
15 Baudelaire, Le Peintre de la vie moderne, dans Œuvres complètes, éd. cit., II, p. 695. – Sur cette notion complexe de modernité, que l’on a tout à fait à tort, en ce qui concerne Baudelaire, d’opposer à celle de romantisme, voir l’étude de Hans Robert Jauss, « La “modernité” dans la tradition littéraire et la conscience d’aujourd’hui », dans Pour une esthétique de la réception, Gallimard, coll. « Tel », 1978, notamment p. 194-209.
16 Baudelaire, Hégésippe Moreau, dans Œuvres complètes, éd. cit., II, p. 157.
17 Baudelaire, Le Peintre de la vie moderne, dans Œuvres complètes, éd. cit., II, p. 689.
18 Ibid., p. 694
19 Ibid, p. 691-692. Sur la poétique de Baudelaire au début des années 1860 voir ma contribution aux Mélanges Gaudon, « La quadrature de l’infini. Sur l’esthétique et la poétique de Baudelaire entre 1859 et 1863 », dans Pratiques d’écriture, Klincksieck, coll. « Bibliothèque du XIXe siècle », 1996.
20 Sur Baudelaire et le romantisme voir mes trois études, « Baudelaire, Balzac et le romantisme (1846-1859) », dans Balzac, lu, imité, contesté (1850-1914), Littérature et nation, no 17, 1997, « Baudelaire, Hugo et la royauté du poète : le romantisme en 1860 », rhlf, no 5, 1996, et « Naïveté, modèle et idéal dans le Salon de 1846 de Baudelaire », Romantisme, no 4, 1997.
21 Voir Lettres à Baudelaire, publiées par Claude Pichois avec la collaboration de Vincenette Pichois, À la Baconnière, coll. « Études baudelairiennes », t. IV-V, Neuchâtel, 1973, p. 112.
22 Baudelaire, Salon de 1859, dans Œuvres complètes, éd. cit., II, p. 650, ainsi que la citation suivante.
23 Nostalgie, et non pas mélancolie, le concept de nostalgie impliquant très exactement la perte d’une patrie perdue.
24 Voir supra, p. 50.
25 Gobineau, La Vie de voyage, dans Œuvres, édition publiée sous la direction de Jean Gaulmier, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », III, 1987, p. 535.
26 Gobineau, La Vie de voyage, éd. cit., III, p. 564.
27 Gobineau, La Vie de voyage, éd. cit., p. 566.
28 Là-dessus voir l’étude de Gabrielle Chamarat-Malandain, « Le théâtre et le feu : la coïncidence accomplie », dans Nerval, réalisme et invention, Paradigme, coll. « Références », Orléans, 1997. – À noter que Nerval au terme des Filles du Feu ressource avec Les Chimères son recueil de nouvelles dans l’Orient mythologique, lequel se trouve chargé de réinvestir poétiquement le monde de la prose et de lui conférer sa vérité autant que son sens.
29 Voir Nerval, Angélique, dans Œuvres complètes, éd. cit., III, p. 461.
30 Nerval, Angélique, dans Œuvres complètes, éd. cit., III, p. 460.
31 Voir les travaux de Ross Chambers, « Écriture oppositionnelle, identité dialogique », dans Mélancolie et opposition. Les débuts du modernisme en France, José Corti, 1987, de Gabrielle Chamarat-Malandain et de Jean-Nicolas Illouz déjà cités, ainsi que de Daniel Sangsue, Le Récit excentrique. Gautier, de Maistre, Nerval, Nodier, José Corti, 1987.
32 Nerval, Les Faux Saulniers, dans Œuvres complètes, éd. cit., II, p. 28.
33 Nerval, Angélique, dans Œuvres complètes, éd. cit., III, p. 465.
34 Nerval, Angélique, dans Œuvres complètes, éd. cit., III, p. 532.
35 Voir Nerval, Les Faux Saulniers, dans Œuvres complètes, éd. cit., II, p. 120-169
36 Voir Nerval, Angélique, dans Œuvres complètes, éd. cit., III, p. 535.
37 J’emprunte cette idée d’Orient désorienté à Michel Jeanneret qui intitule ainsi la première partie de sa présentation du Voyage en Orient de Nerval (Flammarion, coll. « GF », t. 1, p. 15).
38 Que l’on pense à la célèbre déclaration de Flaubert : « Yvetôt vaut Constantinople ». Là-dessus voir l’article ainsi intitulé de N. Mozet, Romantisme, no 35, 1982 (repris dans Balzac au pluriel, PUF, coll. « Écrivains », 1990, p. 95-123).
39 Nerval, Voyage en Orient, éd. cit., II, p. 839. – Pour un commentaire de cette formule voir Gabrielle Chamarat-Malandain, Nerval, réalisme et invention, op. cit., p. 10-12.
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