Du corps à la musique
p. 77-95
Texte intégral
Il n’est rien de doux pour nos esprits qui n’ait une saveur guerrière.
Érasme, lettre à Nicolas Varius, 26 septembre 1526
1L’un des effets du clip musical, régnant aujourd’hui sur les écrans du monde entier à travers certaines chaînes de télévision spécialisées ou non, consiste à proclamer et à entériner universellement le lien qui unit la musique (et toutes les pratiques individuelles et collectives que recouvre ce mot) à la manifestation des corps. On connaît le scénario habituel : un décor stéréotypé, soit dans la catégorie soft des figures du doucereux, soit dans celle plus hard des clichés de la bizarrerie ou de la violence ordinaire, est chargé de signifier et d’incarner en même temps le régime du fantasme. Là, un individu accordé d’apparence au lieu, et comme déjà pur produit fantasmatique, tient le rôle du « musicien ». Non qu’il le soit lui-même nécessairement : ce qui importe, c’est qu’il prononce le musical, par quelques mouvements de bouche ou quelques gestes dont il gratifie négligemment un instrument-symbole mis comme par hasard à portée de sa main ; cet être constitue le médiateur essentiel, non pour un accès à l’univers sonore, mais vers son référent induit à l’image même. Car ces comparses engagés sur la même scène que l’aède, et qui paraissent mimer dans leurs danses quelque chose du contenu de son chant, comme habités, voire produits par le pouvoir des sons, ce sont les corps. Ainsi s’établit, par le truchement du visuel, l’équivalence entre expérience sonore et exacerbation physique. Si, au nom d’une certaine logique fictionnelle, on s’étonnait que le médiateur appartienne au même monde que les êtres suscités par son verbe ou son geste, comme si le thaumaturge était de même essence que son miracle, on devrait aussitôt comprendre que précisément celui-là n’est nullement un producteur de fiction ; qu’il est déjà lui-même enrôlé dans le fantasme où nous sommes invités nous aussi à nous introduire. Ce qui se joue sous nos yeux n’appartient donc pas seulement à l’ordre du spectaculaire ; il s’agit d’un des rites majeurs qui soudent la culture du « village mondial » : celui par lequel les témoins de la cérémonie sont appelés à s’identifier déjà aux corps de la musique, aux corps musicalisés, pourrait-on dire, par l’effet de deux mystiques conjointes – l’une contemporaine, l’autre archaïque : celle de la fascination télévisuelle, et celle de la transe sonore. Ainsi devant l’écran suis-je devenu, par simple procuration, le corps radieux que la musique porte en elle et qu’elle fait vivre (ou revivre) en moi ; ainsi suis-je entré, hors temps, hors lieu, dans la magie d’une communication de corps à corps qui pourrait, somme toute, tenir lieu d’idéologie à l’humanité entière1. Bien sûr, le clip achevé (la loi d’efficacité du mirage ainsi que les impératifs commerciaux exigent qu’il soit bref), chacun retrouve sa singularité, sa pesanteur et ses disgrâces. Mais le fantasme a, si j’ose dire, pris corps dans ma propre représentation du corps universel dont je participe malgré tout ; il s’y est lié à un éros diffus mais obsédant du musical. Et qui plus est, un éros chaleureux puisque je le sais maintenant répandu, sur son rythme unitaire, d’un bout à l’autre de la planète. Désormais, je ne pourrai plus entendre, que du même coup je ne ressente la chaleur de mon union au grand sôma rêvé.
2Il est clair qu’une pratique musicale qui se voue d’abord au déchiffrement et à l’interprétation ne saurait rivaliser sur ce terrain. Le primat accordé en elle à une écriture, quand bien même celle-ci réserverait une place à l’improvisation, suffit à y rendre plus complexe, peut-être plus hypothétique, en tout cas plus articulée, une présence du corps. Mais qu’est-ce qu’une présence articulée ? La présence ne se définit-elle pas au contraire comme la révélation d’une totalité indécomposable dans le partage du temps et de l’espace ? Ne tient-elle pas son sens et son prestige émotionnel de fonder en cet espace, en ce temps de ma propre présence, la vertu d’un partage plénier ? Bref, la présence (présence au monde, présence de, ou à autrui) ne désigne-t-elle pas l’objet privilégié où s’exprime et se recueille un présent unifié ?
3Du point de vue de ce recueillement, le corps ne constitue certainement pas un intermédiaire quelconque. Car comme avènement d’un autrui dans mon champ perceptif, le corps autre m’assigne à présence : seul, il assume et porte à mes sens le présent partageable du monde. Ainsi n’est-il pas exagéré de dire que là où un corps n’est pas en jeu, il n’est tout simplement pas de présence possible.
4À propos des œuvres musicales définies par une facture textuelle, le problème se posera donc en ces termes : comment concevoir une présence unifiée du corps là où l’expérience charnelle ne se donne que désarticulée (éclatée, par exemple, entre corps créateur, corps interprète et corps auditeur) et reléguée loin de moi dans le temps et l’espace ? L’image d’un Gustav Leonhardt assis à son clavecin, ou d’un Boulez dirigeant une de ses œuvres illustre presque jusqu’au scandale l’absence, la négation, l’abnégation du corps musicien.
5J’ai parlé d’image. Il n’est certes pas question de sousestimer l’importance du visuel pour la réception de la musique « savante ». Brendel notait, dans ses Réflexions faites :
Il y a beaucoup de passages où l’interprète doit agir au niveau visuel. Par exemple, à la fin de la Sonate en si mineur de Liszt, avant l’entrée du pianissimo sur les trois accords en si bémol majeur : on trouve une importante indication de crescendo impossible à suggérer autrement que par un mouvement du corps2.
6Et à propos de cette même sonate, certains en gardent une écoute définitivement transfigurée pour avoir vu le corps de Maurizio Pollini s’y brûler victorieusement un soir de 1989, salle Pleyel à Paris3. Comme le souligne Jean-Jacques Nattiez,
il est très difficile de séparer le musical du kinesthésique et du visuel. Sans parler de la danse et de l’opéra, n’avons-nous pas le sentiment qu’il nous manque quelque chose de la musique lorsque le disque nous prive de toutes les dimensions du concert4 ?
7Il y a pourtant loin de ces manifestations du corps musical à un clip nous montrant Madonna ou Michael Jackson adonnés, sur un tempo effréné là aussi, au massage de leur zone génitale. La différence tient à ceci : que dans le second cas, la mise en scène du (des) corps se constitue en une rhétorique autonome, pratiquement indépendante du phénomène sonore, et seulement reliée à lui par la puissance communicative du rythme. Rhétorique, en effet, au plein sens du mot, c’est-à-dire stratégie de figures au service d’un message (le massage ?), par rapport à laquelle le tissu sonore n’a plus guère que la valeur d’un indice de fantasmagorie. Un lien contingent et mécanique s’établit alors entre sons et images. À vrai dire, le sonore a été si étroitement fondu dans l’implacable suggestion des effets visuels, que la mémoire saura les ressusciter à la seule audition par simple association.
8Inversement, dans l’exemple qu’évoquait plus haut Brendel, le visuel entretient avec le fait sonore un rapport de nécessité organique : le geste, la position du corps, l’expression du visage contribuent exclusivement ici à une plus grande intensité de la réception auditive. Mais dans cette perspective, ils ne font chaque fois qu’émettre une hypothèse sur le perfectionnement de l’interprétation. Car le propre du corps-interprète, c’est qu’il s’expose à un risque, qu’il se sait relatif et variable à l’infini, susceptible en tout cas d’être supplanté par un autre dès la prochaine occasion. Sa seule stabilité se situe non du côté de la mémoire d’un complexe images-sons, mais du côté de la pérennité des signes graphiques (le crescendo dans la partition de Liszt).
9Cette congruence, cette nécessité du corps intimement unie à la teneur d’un moment et d’un être-au-monde distinguent sans doute beaucoup mieux la musique écrite que toute autre catégorisation des pratiques musicales.
10Si donc peut se comprendre une présence du corps dans l’événement musical, c’est d’abord à travers l’actualisation nécessaire et circonstanciée d’une interprétation. Actualisation toujours incertaine, et toujours assujettie à devoir rejustifier sa propre validité. Le corps visible du musicien, en effet, ne sera jamais qu’une dépouille empruntée. Et bien qu’elle en constitue l’unique incarnation, elle ne reste pas moins tendue vers une idée qui toujours lui échappe et seule la garantit comme entité singulière.
11Est-ce à dire que le véritable corps de la musique n’ait d’autre lieu que l’œuvre en tant qu’organisme de signes ? Et que la chair y mène seulement une existence symbolique, jamais substantielle ? La question resterait dénuée de sens si la partition n’avait précisément pour vocation d’aller à la rencontre d’un corps réel ; si les signes graphiques n’y étaient pas avant tout les balises d’une aventure somatique. Bien des annotations des partitions de Satie, par exemple, ne font qu’expliciter jusqu’à la saturation et au détail absurde la conduite d’un sujet physique dont la musique ne cesse de porter en elle le rêve – aussi bien que la dénégation. Ainsi, le dialogue que Brahms, au moment où il achève son concerto opus 77, mène avec le violoniste Joachim, illustre cette approche (impossible ?) d’un corps postulé dans l’œuvre avec l’empirie d’un corps réel : celui du virtuose.
12Schopenhauer – ouvrant une longue et tenace tradition – avait tort de voir dans la musique une expression métaphysique des phénomènes, « don de l’âme, comme il dit, sans le corps5 ». L’œuvre musicale postule l’essence d’un corps ; mais une essence, si l’on peut dire, inaboutie, ou au contraire souvenir d’essence – reflet de l’idée d’un corps dirait Platon : comme trace, pas sur la neige, destinés à l’accomplissement dans une incarnation.
13Qu’est-ce donc que ce corps essentiel constitutif de l’œuvre ? Nullement, on s’en doute, une représentation. Pour échapper à l’ordre de la métaphysique, l’essence de l’œuvre ne saurait se confiner dans celui de la mimésis, où l’on sait que le « langage » musical ne jouit d’aucun pouvoir, hors de certaines circonstances spécifiques et marginales6.
La musique ne donne aucune représentation du corps, écrit Paul Mathis, mais elle scande le corps dans le temps et, par cette scansion, donne au corps une cohérence, une acuité d’actes, qui s’oppose au rassemblement donné par l’œil toujours plus morcelé7.
14À vrai dire, le corps n’est nulle part inscrit dans l’œuvre. Pour qu’il le fût, il faudrait qu’on sache en reconnaître clairement et distinctement les signes, ce qui n’est jamais le cas. L’aporie tient ici à ce qu’une fois de plus, on applique à la musique le modèle d’une herméneutique du langage. On ne trouve pas le corps en elle, parce qu’on en cherche les signes là où fait défaut la signification même.
15Ce n’est donc qu’en repensant le processus symbolique dans sa totalité comme la rencontre solidaire, autour de l’œuvre, d’une création et d’une réception, que nous pourrons y comprendre le statut du corps.
16L’objet que nous nommons « œuvre musicale » ne consiste-t-il pas d’abord en la mise en présence de deux réalités : l’une immanente, l’autre transcendante ? L’immanente, c’est la nébuleuse instrumentale, celle où s’expose (se risque) le corps-interprète, médiation qui traverse toutes les phases de la manifestation de l’œuvre. C’est là le lieu d’une geste, autrement dit d’une action ritualisée selon l’ordre d’un texte à caractère mythique : la partition, en effet, n’est pas à lire, mais bien toujours et encore à rejouer. Comme dans les plus authentiques traditions mythologiques, le sujet qui accomplit ce rite se trouve conjointement en proie à la possession et à la dépossession (« dépouille empruntée » disais-je). Perdant son identité singulière, il s’offre anonymement à la transcendance d’une altérité radicale, impensée, irreprésentable, semblable à celle qu’évoque la danseuse mallarméenne : « Telle, une réciprocité, dont résulte l’in-individuel, chez la coryphée et dans l’ensemble, de l’être dansant, jamais qu’emblème point quelqu’un. […] À savoir que la danseuse n’est pas une femme qui danse, etc.8. » Cet Autre de la transcendance vers quoi un corps seul s’avance (notre corps, par métonymie et par délégation), ne saurait être qu’une transposition, dans l’audible, de ce que j’en vois ; projection, dans l’ordre symbolique, de l’être possédé qui travaille sous mes yeux à s’exorciser lui-même afin d’accéder à l’inaudible9 ; reconnaissance de ce même corps perdu, encore, dans l’absent de tous concerts, ou corps transcendant de la musique. Œuvre de mime, en somme, au sens où le mime dessine la silhouette d’une absence, comme l’entend Michel Deguy :
Il donne à reconnaître ce qu’il n’est pas […]. On dit volontiers qu’il « exprime ». S’exprimer serait exprimer ce qui « me » manque. Ainsi regardant et oyant la chanteuse hier, qu’exprimait-elle, que lui manquait-il ? De quoi était-elle le mime ? Et les musiciens ? Eux… de la voix ; elle… du langage et du sens10.
17Encore faut-il remarquer que cette altérité transcendante d’un corps ne se construit qu’à la faveur d’un dispositif interne à l’œuvre musicale, par lequel le corps-interprète est à la fois accueilli et refusé. Lorsqu’il présente à Joachim le manuscrit de son concerto pour violon et orchestre, Brahms entend interroger le virtuose sur la « jouabilité » de l’œuvre. Celui-ci ayant, après lecture, conclu par la négative, le compositeur n’apporte que de faibles retouches au texte – ce qui n’empêchera pas l’opus 77 d’être joué, et universellement. Ainsi, admis à répondre aux prescriptions graphiques, l’interprète ne l’est jamais que dans l’étroitesse d’une sorte d’épreuve ou de défi. À telle enseigne que la simplicité, l’évidence, la « facilité » d’une page de musique n’y peuvent être vécues que comme des pièges (et des allégories) de leurs contraires surmontés. En quoi se vérifie encore que l’œuvre exprime ce dont le corps visible, à sa rencontre, ne fait que dire le manque.
18« Épreuve », « défi » qui illustrent les détours du poïétique comme un déploiement armé (Nietzsche, pendant la composition d’Humain, trop humain : « C’était une guerre… ») : étalement dans le temps de forces opposées, qu’a magistralement décrit Didier Anzieu à travers « les cinq phases du travail créateur »11. Ce combat, et son manque intérieur, définissent ce qui se laisse percevoir, à l’écoute, comme le lieu du corps dans la musique. Pour en rester à Brahms et à l’opus 77, on peut entendre une saisissante incarnation de cet antagonisme dans les écarts, les zébrures, les dissonances étirées du chant de violon, qui traversent tout le premier mouvement. Conflit finalement résolu en une seule ligne de sérénité surplombante, et aussi souverainement pacifiée que fut déchiré le corps-à-corps, aussi heureuse que la contemplation des corps célestes depuis le balcon des idées pures, dans le Phèdre de Platon.
19Toutes ces remarques, il me semble qu’une œuvre les illustre de manière éloquente et accomplie : c’est le Combat de Tancrède et Clorinde de Monteverdi. J’aimerais maintenant tenter de reconnaître les différentes manières dont s’investit le corps transcendant de la musique dans le Combattimento, afin de vérifier la validité de cette notion, et si possible, d’en éclairer le sens.
20Je partirai d’une proposition énoncée par Didier Anzieu dans l’ouvrage déjà cité : l’œuvre achevée pourrait se réduire au récit figuré de sa propre création12, pour lire le Combattimento comme une allégorie de sa poïésis.
21On sait que ce madrigal dramatique appartient au huitième et dernier livre des madrigaux, paru en 1638 et intitulé Madrigali guerrieri et amorosi. Il avait néanmoins été représenté auparavant à Venise, pendant le carnaval de 1624, dans le palais du sénateur – et protecteur de Monteverdi – Girolamo Mocenigo. L’œuvre emprunte son argument à un passage du chant XII de la Jérusalem libérée du Tasse : le récit du combat mortel qui oppose le chevalier chrétien Tancrède à la jeune Sarrasine Clorinde.
22Tandis que j’écoute, même d’une oreille toute superficielle, les premières mesures du Combattimento, une question de cohérence narrative me vient à l’esprit : comment se fait-il que Tancrède ne reconnaisse pas la femme sous l’armure, d’après sa voix ? Une seule réponse plausible : l’audition se trouve, chez le chevalier, anéantie par la prégnance du visuel ; Tancrède, mis d’emblée en état de fascination par ce qu’il a sous les yeux, est littéralement mort aux sons. L’un des enjeux du madrigal consistera à lui rendre l’ouïe, au point même de lui faire entendre finalement ce que Clorinde ne dit pas : « […] elle semblait/dire : “S’ouvre le ciel, je vais en paix” » (str. 68, c’est moi qui souligne). De fait, le relief dramatique et fantasmatique de la guerrière est immense ; et Tancrède, sous cet angle comme sous d’autres, ne fait que relayer l’affect de l’auditeur. À quoi tient ce trouble ? À une triple inversion qui caractérise, dans le récit du Tasse, la figure de Clorinde. Le texte nous dit d’abord que, de peau blanche, elle est engendrée par des parents noirs ; qu’issue d’une famille chrétienne, elle est élevée dans la foi de Mahomet ; que fille, enfin, elle montre très tôt une « ardeur belliqueuse » qui orientera sa destinée de femme armée. Les trois inversions se trouvent d’ailleurs résumées dans une anecdote que ne livre pas le texte du Combattimento, mais que Monteverdi connaissait pour l’avoir lue au début du Chant XII, et qui ne devait pas manquer d’être présente à l’esprit des spectateurs de 1624. Parlant de la mère de Clorinde, le texte précise en effet :
D’une aventure pieuse et de dévotes
Figures, sa chambre avait été peinte :
Là, une vierge au beau visage blanc, aux joues
Vermeilles, est étreinte par un dragon.
De la lance, un cavalier perce le monstre :
Et la bête se couche dans son sang, morte.
Souvent la reine, là, se jette à terre,
Déploie ses silencieuses fautes, et pleure, et prie13. (XII, 23)
23Le combat de saint Georges, l’un des thèmes picturaux les plus fréquentés du quattrocento14, dispose ici, dans l’espace dramatisé du combat contre l’impie, les deux figures allégoriques de la blancheur et de la violence guerrière. Disposition qui respecte un certain ordre de valeurs : d’un côté la féminité de la vierge, enchaînée, martyr et inquiète ; de l’autre, la virilité du preux chevalier intrépide et sanctifié. C’est précisément parce que Clorinde bouleverse cet ordre et en confond les catégories, qu’elle incarne le risque, la fascination et un certain tragique sui generis. Ignorant, comme Œdipe, le secret de sa naissance (qui n’est autre, dans l’un et l’autre cas, que la malédiction du Père), elle s’avance vers la mort mue par un orgueil qui, chez le héros tragique, est toujours le déguisement du fatum. Mais si ses pas ne peuvent avoir d’autre destination que funeste, c’est que chez elle, l’âme n’habite pas le corps qui lui revient. Elle se trouve en un sens déplacée.
24Ce genre d’exil ontologique définit au plus profond l’essence du monstre, et qui plus est, du monstre à abattre. Car si les tableaux du combat de Georges – qu’ils soient de Carpaccio, de Paolo Uccello ou d’autres – brandissent toujours face au saint des chimères extravagantes, c’est qu’en vérité, chacun le sait bien, les vrais monstres ne sont pas représentables. Le monstre pictural n’est qu’une allégorie de la non-figurabilité du monstrueux. En vérité les vrais monstres ne diffèrent pas de nous. Si nous tombons entre leurs griffes, c’est précisément qu’ils nous prennent au piège du semblable par ce doux appât, le plus suave, le plus efficace, qu’est la séduction des corps.
25On comprend quelle fascination a pu exercer le personnage de Clorinde sur le néoplatonisme de Monteverdi. Et dans son histoire, tout spécialement l’épisode du combat qui n’est que l’avant-scène du retour à l’ordre : ce moment critique où tous les enjeux du drame (guerrier, sexuel, religieux) sont concentrés et remis dans l’affrontement des corps. S’y exprime le paroxysme d’une confusion, une figure du chaos au sein duquel le héros aveuglé par sa mission même devra rétablir l’harmonie. Face à Clorinde, Tancrède incarne en effet la puissance unifiante de l’éros néoplatonicien. L’impulsion qui le porte, sous le déguisement des apparences, vers la beauté de la femme est la même qui conduira finalement à Dieu. « Un seul et même cercle se définit de Dieu au monde et du monde à Dieu, sous trois noms : […] beauté […], amour […] et volupté » dit le commentaire du Banquet par Ficin15. Ce à quoi sera constamment sensible la partition de Monteverdi, c’est cet impetus dont le combat ne représente qu’une manifestation transitoire, mais particulièrement spectaculaire.
26Pourtant la part la plus importante de la fascination n’est pas encore là. Ou pour dire les choses différemment, cette fascination, on doit aussi l’aborder du côté de Clorinde. Elle se fonde sur l’efficacité du dispositif dramatique lui-même. Elle tient au fait que son corps soit ici doublement voilé, pour mieux accomplir la portée universelle, allégorique et cathartique du dévoilement final.
27Il l’est une première fois dans sa féminité, par l’armure de chevalier que l’héroïne a endossée. Cependant l’armure brillante qu’elle porte habituellement pourrait encore la faire reconnaître de Tancrède dont l’amour pour la guerrière s’enflamma sur le champ de bataille, dès le chant III de la Jérusalem libérée. Il a donc fallu qu’elle « pose ses dépouilles tissues/D’argent, le heaume adorné, les armes fières » pour, « sans plume ou emblème », en revêtir « d’autres mates et noires » (XII, 18) qui dissimulent son identité. Or le trouble que suscite le Combattimento tient au fait que cette double rouerie de Clorinde opère à merveille ; et si parfaitement, même, qu’elle commande toute la tragique ironie de son sort : recevoir la mort de celui-là même qui se déclare son amant. Ainsi l’héroïne fait-elle éclater le paradoxe des apparences : qu’à être trop bien crues, elles accomplissent leur propre ruine.
28S’il en va ainsi, c’est donc que Tancrède poursuit à proprement parler lui aussi une chimère. Quelque chose attire les deux protagonistes l’un vers l’autre. Mais qu’est-elle, cette force inarticulée qui littéralement, selon une métaphore enveloppant cette fois toute l’action guerrière, les obsède ? Dieu, répond Clorinde, « ou du moins, ajoute-t-elle en une nuance toute ficinienne, ce dieu qu’est à l’homme son désir ». Déjà, au chant III, Tancrède « charge les autres » ; mais « elle ne lui laisse pas de trêve ; elle le poursuit, menaçante » (III, 23). Au chant XII, juste avant que commence le madrigal, « il la voit, la repère, et se met à la trace » (XII, 51). Cette quête aveugle qui vise conjointement à posséder un objet et à en interpréter la nature mystérieuse, cette herméneutique du paraître qui est aussi une réponse à son nimbe érotique, elles sont les obsessions mêmes de l’artiste néoplatonicien, dont il se peut que Tancrède constitue un paradigme interne16. Car cette obsession se laisse entendre aussi dans l’ordre de la création. Sur ce plan, elle correspond à deux moments déterminants que la psychanalyse caractériserait respectivement comme dissociation et symbolisation. Dans la première, « l’unité toujours fragile que le Moi conscient et préconscient essaie d’établir dans le psychisme vole en éclats17 ». L’un des aspects de cette dissociation concerne précisément « l’intégration de la psyché dans le soma (autrement dit la résidence de l’esprit dans l’organisme)18. » Il nous intéresse tout particulièrement, puisque symétriquement à l’âme exilée de Clorinde, Tancrède, lors de la scène du coup de foudre, connaît semblable mésaventure où soudain se scindent en lui corps guerrier et corps amoureux :
Tancrède, à quoi donc penses-tu ? que regardes-tu ?
reconnais-tu pas son visage altier ? (III, 22)
[…]
Le chevalier reçoit ses coups sans les rendre
moins attentif à se garder de son fer
qu’à regarder les beaux yeux et les joues
où tend Amour son arc infaillible.
Il disait en lui-même : « Si les traits
lancés par sa main manquent parfois leur but,
jamais son beau visage nu
ne frappe en vain et mon cœur est percé à chacun de ses coups. »
(III, 24)
29Tandis que Clorinde recouvrera l’unité de son être dans la mort, Tancrède restera le héros pathétique de cette déchirure. Comme Orphée entendant disparaître Eurydice, il illustrera le plus radical des désenchantements. C’est que Monteverdi n’est plus de l’âge de Ficin ; qu’en lui, l’humanisme finissant perd la foi qu’il eut jadis en sa puissance de réconciliation avec le monde ; et que l’homme baroque déjà avoue être assiégé par le sens de la mort. Ne faut-il pas voir là la principale raison de l’intérêt du musicien pour cet épisode de l’épopée ?
30La symbolisation, elle, consiste, dans le travail du créateur, à produire au grand jour un représentant symbolique lié à des représentations inconscientes jugées dangereuses pour le Moi.
Un tel représentant, précise Didier Anzieu, se situe à la limite du psychique et du corporel : il s’agit de l’opération même de la naissance – et de la reconnaissance – de ce représentant comme réalité psychique à partir d’une activité motrice, de l’exercice d’un rythme, d’une expérience posturale, du dialogue tonique du corps propre avec les autres corps, animés et inanimés19.
31 Exercice d’un rythme, dialogue tonique des corps : il suffit d’entendre derrière ces mots la scansion du Combattimento pour comprendre que le représentant symbolique, ici, pour Tancrède comme pour Monteverdi, n’est autre que le martèlement des pas des combattants. Les pas de Clorinde marchant pour contourner la montagne sur : « Va girando colei l’alpestre cima […] » ; le tintement des armes de Tancrède sur : « Che d’armi suone […] » ; le galop de son cheval sur : « Segue egli impetuoso […] » ; le pas lourd des combattants venant à la rencontre l’un de l’autre sur : « e vansi incontro a passi tardi e lenti […] ». Ainsi se fixe d’emblée la marche du Combattimento, et aussi bien le régime de son écoute. Le rythme des « passi », bientôt relayé par les « colpi » des armes affrontées, traversera toute l’œuvre, lui conférera même sa structure, faisant d’elle, au plein sens de l’expression, un dialogue des corps.
32Quel est le sens de ce dialogue ? Il s’agit essentiellement, pour le héros-créateur Tancrède-Monteverdi, de reconnaître un corps, c’est-à-dire d’élucider le mystère de cet Autre que je poursuis et, en moi sans doute aussi, par contrecoup, ce plus épais mystère de l’élan (de la pulsion) qui me porte à le harceler. Car le pas, les coups n’ont ici de valeur qu’illuminante : par eux doit advenir la lumière d’un sens ; par eux doit s’opérer la liaison à un autre ordre symbolique : celui du nom, de la vision et de la connaissance finale (« Ahi vista ! ahi conoscenza ! »). Un émouvant épisode, une sorte d’œil du cyclone éclaire cet effort vers une révélation ; c’est celui où, au plus fort du combat, les deux guerriers s’arrêtent et se regardent. Tancrède alors interroge l’adversaire sur son identité. La question restera sans réponse : l’adversaire est précisément celui qui jamais ne dévoile son nom ; celui qu’on devra donc forcer et transpercer afin de connaître ce qu’il a dans le cœur. Ce que le langage ne peut livrer, il faudra que le corps le délivre en un acte final où l’âme précisément s’évade.
33Mais cette révélation a aussi une résonance hors du récit, dans le métadiscours du narrateur (le testo). Il s’agit de la prière initiale :
Degne d’un chiaro sol, degne d’un pieno
teatro, opre sarian sì memorande.
[Digne d’un clair soleil, digne d’un plein
Théâtre, était cette action mémorable]. (XII, 54)
34qui place très habilement l’épisode sous la double invocation de la mémoire et de la lumière. L’œuvre aura donc explicitement pour fonction d’inscrire dans la lumière d’une mémoire universelle l’histoire de ce dévoilement exemplaire. Car si tous les hommes peuvent se reconnaître dans l’exploit de cette reconnaissance d’un corps, c’est que derrière l’intérêt porté à l’impetus guerrier par le musicien, gît le souvenir d’une très vieille question qui hante la philosophie depuis l’aube de la pensée occidentale. Question, ou peut-être simplement lieu commun dans lequel toute une civilisation réfléchit la sorte d’attraction qu’exerce sur elle le phénomène sonore sitôt qu’il s’humanise. Quand ils cessent d’être bruissement de torrent, chant des oiseaux ou roulement du tonnerre, les sons n’invitent pas seulement à la jouissance contemplative : ils provoquent le corps, ils disposent de lui, ils lui imposent des effets propres. Ces effets ont à voir avec l’état de transe. Plus la transe est spectaculaire, plus le phénomène qui la suscite mobilise l’attention des penseurs. C’est pourquoi la plupart des réflexions sur la musique que nous livre la philosophie ne partent que du point de vue esthésique : elles thématisent une transe vécue ou rapportée. Dernière en date, celle de Pascal Quignard dans son traité La Haine de la musique, n’échappe pas à la règle. Le propos qu’y tient l’écrivain se relie à la plus vieille tradition musicographique, celle qu’ouvrit sans doute Platon. Écrire en effet que « la musique attire à elle les corps humains », ou qu’elle est « irrésistible à l’âme »20, c’est après tout redire ce qu’on peut lire, entre autres, dans La République21. Il est certes important et édifiant de rattacher cette ancienne vérité à la tragique illustration qu’en offrent les camps de la mort. Mais tant qu’on s’en tient au constat des effets infiniment variés de la musique, la pensée, sur son compte, ne progresse pas.
35Monteverdi recueille lui aussi, à travers le néoplatonisme, cette tradition philosophique que reflète la théorie des modes22. Connaissait-il cette anecdote rapportée par saint Basile, selon laquelle « un jour qu’il jouait de l’aulos sur le mode phrygien devant Alexandre, au cours d’un banquet, [Timothée de Milet] le fit se lever et se précipiter vers ses armes, puis le ramena à nouveau vers ses convives grâce à une harmonie relâchée23 » ? Mieux que personne en tout cas, il sait que « les rythmes musicaux fascinent les rythmes corporels », que « la proie de la musique est le corps humain24 ». C’est pourquoi il compose le Combattimento. Mais l’originalité de l’œuvre tient précisément à ceci : que la violence du phénomène sonore, son pouvoir d’asservissement y sont thématisés dans l’ordre du poïétique. C’est la sonnerie des armes de Tancrède qui fait se retourner Clorinde au seuil de l’affrontement. C’est le bruit des pas qui nourrit la fureur des combattants, comme « deux taureaux jaloux, brûlant de rage » (XII, 53). Et le chemin de la fatigue suivra finalement l’épuisement des sollicitations auditives : tout cela dont la musique nous rend les témoins, et pas seulement les auditeurs.
36Or placer ainsi, comme en abyme, la puissance d’envoûtement du fait sonore, c’est aussi en déjouer (voire en dénoncer) l’hubris. C’est en tout cas objectiver (ironiquement ?) les limites de cette parenté historique qui unit la musique et la guerre, afin de mieux la dépasser. Tant que l’ouïe n’est attentive qu’au corps présent, nous dit Monteverdi, elle s’épuise dans son propre leurre ; tant qu’elle est soumise à la démonstration d’un autrui immédiat et immanent, elle se replie sur sa mort. La musique advient, elle, au terme de ce long détour. Elle en figure l’aboutissement, sous les traits du visage dévoilé de Clorinde. Voilà en quoi l’aventure du corps est ici concomitante au récit figuré de la création de l’œuvre, l’un et l’autre s’éclairant in fine.
37Comment Monteverdi parvient-il à dépasser, dans la musique du combat, l’éthos de la violence ? En faisant du représentant symbolique (le pas des lutteurs et les coups des armes) un code – et c’est là encore une phase ulérieure du processus créateur selon Didier Anzieu. S’il est vrai qu’on « entende » la marche et le fer affronté, cette entente transforme le mimétisme en un système, moins ordonné par sa fidélité au réel, après tout assez lointaine, que par sa capacité à produire l’œuvre et à conduire son écoute. Le compositeur fut d’ailleurs très conscient de cette mutation puisqu’il lui donne, dans la copieuse préface du volume, le nom d’un style. Le stile concitato, ou style agité, consiste essentiellement à exécuter les valeurs de notes longues en répétant les valeurs brèves qui les composent. L’effet devait être assez saisissant à une époque où, nous dit-on, les interprètes avaient coutume de tenir les notes répétées. Il traduisait l’émoi, l’anxiété, toute forme de tension psychique, et fut cause en partie de la très vive impression que produisit le Combattimento sur les auditeurs de 1624. De portée universelle, le stile concitato s’illustrait dans d’autres madrigaux du livre VIII. Il trouvait cependant, avec cette œuvre, son expression la plus accomplie. On peut dire qu’ici, en effet, le corps était devenu un code. Ce qui signifie que les pas, les coups réels, ces manifestations physiques de la tension vers quelque obscur objet du désir, produisent, en même temps qu’ils se déploient, l’insaisissable vers quoi ils tendent. C’est en somme le propre de toute sémiologie esthétique. Systématisés, codifiés et stylisés, les éléments du discours créent et atteignent à la fois ce que j’ai nommé plus haut le corps transcendant de la musique. Ce corps, on voit bien qu’il n’en est plus un à proprement parler. Qu’il ne s’attache encore d’archaïques représentations somatiques, déliées de l’unité organique d’un corps, qu’à la faveur des gestes qui y conduisent. Mais que ces gestes, ritualisés par le combat comme par l’exécution de l’œuvre25, deviennent dans la psyché auditive, les pures formes vides d’un seul corps manquant. Celui dont Clorinde ne fut en réalité que le truchement – et on comprend maintenant que la tragédie de sa déchirure originelle conditionnait la disparition de sa double apparence mondaine, celle du chevalier et celle de l’amante.
38Nous voici donc au plus près de Clorinde, du visage de Clorinde lorsqu’il se dévoile. Tancrède continue un moment à caracoler sur la lancée de ses accents guerriers : mais le concitato est devenu mécanique, comme la consommation d’une gloire déjà vidée de tout sens, gloriole soldatesque, parade dérisoire de vainqueur. On sent bien que depuis la chute chromatique de Clorinde dans des tonalités étranges (sur « el piè le manca […] »), et avec son admirable lamento (« Amico hai vinto […] »), la musique verse dans un autre registre, – en vérité un autre monde. Résolument, elle se détourne maintenant de la scansion agonistique. C’est un autre corps qu’elle révèle, ou plutôt, une autre expérience posturale (pour reprendre l’expression de Didier Anzieu) du même corps : celle du repos final, dit aussi agonie ou combat de la vie avec la mort. Illustrant cette posture-là, la musique ne fait pourtant qu’éclairer plus avant, sans solution de continuité, la vérité même du Combattimento, à savoir que les passi et les colpi – les suoni incitati de la préface – échappaient à l’ordre de l’imitation tout autant que la lamentation de Clorinde – les suoni molli. Autrement dit, dans l’œuvre musicale, le corps manquant n’est pas celui que décrit la mimésis, mais celui qu’induisent la métaphore et la métonymie.
39Métaphore, métonymie de quoi ? Sans doute d’une expérience singulière, fondatrice et indicible, celle par laquelle le moi éprouve sa propre existence dans l’épiphanie de l’Autre – ainsi, je crois, se définit l’affect. De cette expérience, il n’existe que deux modulations radicales : l’une répulsive, c’est l’affrontement guerrier du corps-à-corps ; l’autre accueillante, et c’est l’acte amoureux. Dans sa parabole, le mythe du combat de Tancrède et Clorinde conjugue les deux et les confond métaphoriquement autour de cette leçon du corps-pour-autrui. Leçon inaccessible au langage ordinaire, en effet, à ce langage où s’affirme, vertical et isolé, le je qui s’y nomme. Il faudrait, pour qu’ils rencontrent une telle expérience, que nos mots acceptent de se laisser envahir par le corps, comme ils le font dans la cure analytique. Mais nous touchons alors à un lieu limite du discours, le seul peut-être qui soit commun à la musique et à la psychanalyse, et où se puisse approcher, hors de la duplication des objets, la vérité du sujet.
40Le corps qui vient à défaillir dans l’ouïe et du même coup, avec son temps propre, sa matière propre, à l’inonder, à la submerger, à y rayonner, ce corps-là définit la singularité même de l’expérience musicale. Ce que dit beaucoup mieux, je crois, un poème de Jouve, le dernier des Noces, intitulé justement « Vrai corps », et démarqué tout entier, Jean Starobinski l’a clairement montré, de l’Ave Verum Corpus de Mozart auquel il emprunte jusqu’à la forme. Cette salutation d’un corps absent et appelé réfléchit donc une intense jouissance auditive mêlée à une profonde aspiration de la psyché. On y lit, à la dernière strophe, ces vers qui pourraient être ceux d’une Clorinde chantant au fond de toute vraie musique :
Lorsque couchés sur le lit tiède de la mort
Tous les bijoux ôtés avec les œuvres
Tous les paysages décomposés
Tous les ciels noirs et tous les livres brûlés
Enfin nous approcherons avec majesté de nous-même […]
Souris alors et donne un sourire de ton corps
Permets que nous te goûtions d’abord le jour de la mort […]
Notes de bas de page
1 Y réglant d’un coup les questions liées aux différences sociales, culturelles, raciales, religieuses, politiques, donc aussi bien à la guerre entre les individus et les nations…
2 Alfred Brendel, Réflexions faites, Buchet-Chastel, Paris, 1979, p. 214.
3 Incandescence dont l’enregistrement, au demeurant impeccable, réalisé peu après en studio ne rendait presque rien.
4 Jean-Jacques Nattiez, Musicologie générale et sémiologie, Christian Bourgois éditeur, Paris, 1987, p. 71.
5 Schopenhauer, Le Monde comme volonté et comme représentation, I. Voir la critique du point de vue métaphysique sur la musique, dans Vladimir Jankélévitch, La Musique et l’Ineffable, Seuil, Paris, 1983, p. 17 et sqq.
6 Chabanon, répondant à l’Abbé Morrelet, exprime dès 1779 l’objection empirique la plus solide aux théories mimologiques : « […] qu’il me soit permis de demander à M. l’Abbé Morrelet pourquoi la Poésie, la Peinture, la Sculpture sont tenues à nous donner des images fidèles, vraies, ressemblantes, des objets qu’elles imitent, tandis que la Musique en est dispensée ? N’est-ce pas parce que cet Art est moins un Art d’imitation que les autres ? Le chalumeau des enfants, quoiqu’il imite avec la plus grande perfection un effet en soi-même agréable (le gazouillement du rossignol) ne nous fait aucun plaisir : au contraire, une symphonie légère, qui n’a qu’une très faible ressemblance avec ce gazouillement, mais dont le chant est mélodieux, cette symphonie, dis-je, flatte et réjouit notre oreille ; ces deux faits rapprochés ne concourent-ils pas à prouver que l’imitation a peu de part aux effets agréables de la Musique, et que le charme de la mélodie y fait presque tout. » (Chabanon, Observations sur la musique et principalement sur la métaphysique de l’art, Paris, 1779.)
7 Paul Mathis, Face à l’ordre des lois. L’énigme du désir, Denoël, Paris, 1989, p. 162.
8 Mallarmé, « Ballets », dans Crayonné au théâtre, Œuvres complètes, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », Paris, 1945, p. 304.
9 De l’inaudible, on pourrait dire ce qu’Yves Bonnefoy écrit de l’invisible : qu’il n’est pas la disparition mais la délivrance de l’audible (L’Improbable, Gallimard, Paris, 1992, p. 250).
10 Michel Deguy, La Poésie n’est pas seule, Seuil, Paris, 1987, p. 144.
11 Didier Anzieu, Le Corps de l’œuvre, Gallimard, Paris, 1981, p. 163-211.
12 Ibid, p. 137.
13 Les citations du chant XII de la Jérusalem libérée renvoient à la traduction de Michel Orcel, Le Chant XII de la Jérusalem libérée, L’Alphée, Paris, 1984. Celles du chant III, à la traduction de Jean-Michel Gardair, La Jérusalem délivrée, Bordas, Paris, 1990. Dans l’un et l’autre cas, le numéro du chant, en chiffres romains, est suivi de celui de la strophe.
14 Rappelons que quelques centaines de mètres seulement séparent, à Venise, le palais Mocenigo de la Scuola degli schiavoni où Monteverdi a pu voir le tableau de Carpaccio.
15 Cité par André Chastel, Marsile Ficin et l’art, Droz, Genève, 1975, p. 118.
16 Michel Orcel voit dans Tancrède « une figure du moi », une incarnation du Tasse lui-même. « Dans la tristesse obscure, écrit-il, dans cette “ombre de faute” qui pèse sur Tancrède, il faudrait être aveugle pour ne pas reconnaître la propre détresse du Tasse, son angoisse d’errant, et les deux pôles de la paranoïa : la faute et l’innocence. Aussi n’est-il pas interdit de nommer Tancrède la figure mélancolique du moi. » (« Io son Clorinda ». Notes pour une lecture du Chant XII de la Jérusalem libérée, Poésie, no 27, 1983, p. 118.)
17 Didier Anzieu, op. cit., p. 100.
18 Ibid., p. 101.
19 Ibid., p. 111.
20 Pascal Quignard, La Haine de la musique, Calmann-Lévy, Paris, 1996, p. 218 et 231.
21 Voyez, par exemple, 402 a et sqq : « […] l’éducation musicale est souveraine parce que le rythme et l’harmonie ont au plus haut point le pouvoir de pénétrer dans l’âme et de la toucher fortement […]. » Également 410 a sqq, etc.
22 La République présente une esquisse de cette théorie en 399 a sqq. En outre, dans le Lachès, Platon marque sa préférence pour le mode dorien, « le seul qui soit vraiment grec » (188 d).
23 Cité par Gilbert Rouget, La Musique et la Transe, Gallimard, Paris, 1980, p. 319.
24 Pascal Quignard, op. cit., p. 221 et 240.
25 On est frappé de lire, sous la plume de Monteverdi, que les acteurs doivent exprimer le sens du texte dans le respect le plus strict de la mesure et de la cadence, dénommées justement colpi et passi.
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