La forme et son esprit
p. 131-149
Texte intégral
1Ces lignes d’Elie Faure, extraites de la préface L’Esprit des formes, peuvent se résumer en deux propositions apparemment contradictoires. Premièrement, les formes sont telles en raison de la présence en elles d’un esprit. Deuxièmement, l’esprit est la puissance qui dissout toute forme. La puissance de la forme est le feu qui consume toute matière pour la transformer en esprit, comme en témoignent ces dessins que la rêverie lit dans les flammes, ces libres apparences qui ont fasciné Kant aussi bien que Vinci. Ces dessins de fantaisie que suscite la flamme sont des puissances d’esprit pour deux raisons : parce qu’ils sont la consomption de la matière et parce qu’ils sont des images ou des apparences de rien, de pures formes.
2Le revers des choses est évidemment que ces pures formes qui manifestent la puissance de l’esprit/feu sont des formes du sans-forme. Ce qu’elles manifestent est la dissolution de toute forme, le libre jeu de la matière, rebelle à toute mise en forme, sa puissance d’auto-destruction. La question se pose alors : comment ce feu destructeur peut-il être la puissance de l’idée qui donne une figure matérielle consistante à la pierre, au bois ou au fer ? Comment peut-il être la puissance de l’esprit qui construit la coupole ou l’ogive, qui se sert de la pesanteur pour vaincre la pesanteur ? Comment peut-il être la puissance d’individualité d’une figure de pierre ou bien celle du rapport des figures qui fait le vrai sujet d’un tableau ou de l’onde musicale qui les unit ? Comment enfin cet esprit-feu peut-il être la puissance qui construit des édifices sociaux et des formes de la vie commune ? Il ne suffit pas de répondre que le feu est source de la chaleur, qui met la pensée créatrice aussi bien que les machines en action. Plus que le foyer de chaleur communiquant l’énergie de la création, l’esprit/feu est le pouvoir qui compose des figures dans la dissolution de la matière et de la forme elle-même, la puissance du sans-forme comme tel.
3Mais il est aussi autre chose. Et le texte d’Elie Faure opère ici un glissement significatif. L’esprit-feu est le principe architectonique qui permet de bâtir les figures de pierre, les cathédrales et les temples. Il donne son architecture à l’œuvre parce qu’il la donne à la puissance productrice des formes, parce qu’il est la puissance formatrice du sujet créateur de formes. Il soude les os d’un peuple et le rend ainsi capable de souder les os de la figure, de lui donner la pulsation du sang dans les artères, d’y rendre l’idée présente dans toutes les parties comme la commande cérébrale est présente dans les extrémités nerveuses. Ainsi le feu destructeur, la puissance du sans-forme, est aussi bien le feu constructeur. Il l’est pour autant qu’il se transforme en puissance biologique organique. La circulation du feu se fait circulation du sang et de l’air dans l’organisme. Et l’organisme puise là la puissance d’esprit qui est puissance architectonique de forme.
4Mais le texte nous dit encore autre chose. L’unité de la puissance destructrice et de la puissance constructrice a un nom. Elle est une production de symboles. Et, dans la notion du symbole, l’âge d’Elie Faure condense volontiers trois propriétés essentielles. Le symbole est d’abord ce signe remarquable qui ne se contente pas de désigner un sens mais qui en dessine une figure concrète, qui le met en image. Il est aussi la partie qui appelle la totalité, selon le sens ancien du symbolon, l’anneau partagé en deux qui fait signe d’alliance. Il est enfin le signe sacramentel de la religion, qui opère la transfiguration d’une réalité matérielle en réalité spirituelle. Le feu destructeur/constructeur fait donc œuvre de langage et office de sacrement. Il trace les symboles de la foi et de l’œuvre collectives.
5Voilà à peu près ce que disent ces lignes d’Elie Faure. Reste à savoir ce qu’elles peuvent nous dire. Pourquoi être allé chercher cette préface ? C’est apparemment un texte bien daté, un discours de l’époque de Lénine et d’Abel Gance, du temps des noces mystiques d’une esthétique christologique et de l’utopie de l’homme nouveau, machinique et électrique. La contradiction qu’il présente témoigne de la confusion du symbolisme, apportant à l’utopie des constructeurs du monde matérialiste nouveau sa mystique spiritualiste de l’ascension de la terre vers le soleil et du devenir-esprit de la matière.
6Je pense pourtant que ce texte a une valeur de généralité qui dépasse ce contexte. Ce qui est en son cœur est le paradoxe inhérent à la notion de forme et au rôle qu’elle joue dans un univers conceptuel donné, celui du mode esthétique de la pensée. Je ne considérerai donc pas ces lignes comme un document historique sur les rêveries christo-nietzschéoléninistes des années 20 mais comme la présentation du problème central de la notion de forme en tant que catégorie fondamentale de l’esthétique. Je dois seulement préciser ce que j’entends sous le terme d’esthétique. L’esthétique, pour moi, n’est pas la science, la théorie ou la philosophie de l’art ou du beau. Ce n’est pas le discours qui nous mettrait en possession des instruments de l’analyse de œuvres. C’est, plus fondamentalement, le discours qui institue l’image de la pensée au sein de laquelle les œuvres sont pensables comme manifestations de la pensée, c’est-à-dire comme effectuations d’un mode spécifique de la pensée. L’esthétique, comme telle, ne naît pas avec le livre homonyme de Baumgarten ni même avec cette Critique de la faculté de juger kantienne où « esthétique » reste un adjectif qualifiant un jugement. Elle naît au temps de Schelling, des frères Schlegel et de Hegel comme idée du type particulier de « pensées » que sont les œuvres de l’art. Celles-ci sont des pensées qui n’en sont pas, elles sont un « déploiement du concept hors-de-soi » (Hegel), des pensées sur le mode de la non-pensée. L’esthétique, depuis les pages fondatrices du dernier chapitre du Système de l’idéalisme transcendantal de Schelling, est le mode de la pensée qui conceptualise les œuvres de l’art comme œuvres d’une pensée identique à de la non-pensée, comme manifestations d’une pensée différente d’elle-même dans un sensible différent de lui-même. Elle est d’abord la pensée de cette image de la pensée, laquelle ne s’épuise pas dans l’analyse des œuvres de l’art mais constitue une idée générale de la pensée, de ses différences propres et de ses modes d’effectuation sensibles. L’esthétique est ainsi tout autre chose que la philosophie ou la science de l’art. Elle est la pensée de l’identité de la pensée et de la non-pensée et c’est d’abord en elle que s’élabore l’idée de la pensée inconsciente, ou encore une problématique de la communauté politique, qui ne se limite pas à une « esthétisation » de la politique.
7De là se tire volontiers aujourd’hui l’idée que l’esthétique serait le léviathan spéculatif qui aurait pris l’art en otage et l’aurait étouffé en lui donnant la charge de réaliser une idée de l’absolu dont l’art n’avait que faire. Le nom même d’« esthétique », on le sait, est sujet à caution. Comment la puissance créatrice de formes pourrait-elle être pensée dans les catégories d’une pensée du « sentir » sans être d’emblée méconnue ? Et, à l’inverse, comment les expériences du plaisir et du jugement ressentis devant les formes belles pourraient-elles être analysées dans les catégories absolutisées de l’art ? De divers côtés nous vient aujourd’hui un même diagnostic. Les uns veulent libérer l’art de l’impérialisme esthétique, les autres veulent libérer l’esthétique de l’impérialisme spéculatif pour la rendre à la simple analyse des pratiques artistiques et des attitudes esthétiques. Et ce retour à une réalité désenchantée fait écho à ce que je me permettrai d’appeler le « grand révisionnisme » du présent : l’idée du grand nettoyage qui nous débarrasse de ces monstres spéculatifs qui depuis deux siècles ont transformé toute simple affaire humaine en grande mystification théologique. L’esthétique y aurait sa place à côté de l’histoire, de la révolution et de quelques autres monstres de même acabit. Et il faudrait la ramener à une forme élargie de la bonne vieille poétique, tout comme il faudrait en politique renouer avec la sagesse des ministres éclairés des princes éclairés, en philosophie avec la solide analyse des actes de pensée qui nous libère du piège des mots, et en art avec les expériences du plaisir partagé des formes et des significations.
8Je crois toutes ces sagesses assez frivoles. À supposer qu’il faille se libérer de l’esthétique, il faudrait commencer par savoir ce qu’elle est, par prendre la mesure de ce qui est compris sous sa notion. Et pour cela il faut mesurer exactement ce qu’a impliqué conceptuellement le passage de la poétique à l’esthétique dont les grands textes de la théorie romantique et de l’esthétique « spéculative » sont en même temps les opérateurs et les témoins. On invoque souvent la contradiction qui serait inhérente au nom même d’esthétique. La nouveauté « esthétique » théorise en effet une révolution artistique dont le principe est la révocation des normes de la représentation qui pesaient sur le faire artistique. Les codes de la représentation impliquaient que tel sujet représenté commandait tel genre (tragédie ou comédie, peinture d’histoire ou de genre, etc.) et que les genres commandaient eux-mêmes des modes d’expression adéquats aux personnages et situations. L’émancipation des arts oppose à ces normes la puissance sans norme du faire artistique, la puissance qui s’impose, dans ses œuvres, comme portant en elle sa propre norme. Au système des convenances entre sujets, genres et modes d’expression, elle oppose le style « manière absolue de voir les choses » qui s’affirme identiquement dans la peinture d’Yvetot et dans celle de Constantinople. La question généralement posée est alors : comment la pensée de cette puissance absolue du faire artistique peut-elle être comprise comme une « esthétique », c’est-à-dire comme une théorie qui renvoie à la sensation ou à la sensibilité, à l’affect du spectateur qui témoigne de l’effet de l’œuvre et non des principes de sa production ?
9Mais il n’y a pas de contradiction. Car l’absoluité artistique ne peut pas être l’absoluité d’un faire. Tout faire est en effet soumis à une double conditionnalité, il est dépendant de l’idée de ce qui est à faire et de la puissance qui fait faire. Dans le système classique de la représentation l’activité artistique est le rapport d’une forme à une autre. Elle est obéissance à la forme comme idée ou modèle à réaliser. Et elle est l’imposition d’une forme à une matière. Il n’y a pas d’absoluité concevable de l’acte de faire ni du produit, de l’œuvre comme le résultat de cette activité. La révolution anti-représentative ne change pas cette donnée. Ce qui peut être absolu, ce n’est ni le travail de l’artiste ni son œuvre, c’est le statut sensible de cette œuvre. La forme est libre, dit Flaubert, comme chaque volonté qui la produit. Mais ce n’est pas la volonté qui peut créer la liberté de la forme. Celle-ci ne se manifeste au contraire que par la neutralisation de cet « instinct formel » dont nous parle Schiller, de cette tension d’une volonté qui veut s’imprimer dans une matière. Seule est libre la forme qui n’est forme de rien ni manifestation de la liberté de personne, la forme qui ne représente rien, ne signifie rien, qui est un pur sensible, coupé de ses liens avec la matière et avec la forme. L’absoluité rêvée de l’œuvre c’est celle qui lui confère la nature sensible du paysage qui pense ou de la statue qui rêve dont nous parle l’auteur de la Tentation de saint Antoine. Tout le problème de l’esthétique est de penser un mode de la pensée adéquat à ce sensible pur qui est forme pure pour autant qu’il n’est forme de rien.
10Il y a donc bien une logique à ce que la pensée de l’art absolutisé s’appelle esthétique. Car c’est le statut de l’aistheton qui est au cœur du problème. Mais cet aistheton qui donne son nom à l’esthétique n’est pas l’affect éprouvé par le spectateur. C’est le mode du sensible qui donne à l’œuvre cette « absoluité », cette liberté que le faire artistique ne saurait jamais conférer par lui-même à aucun de ses produits. La logique esthétique révoque moins les concepts de la poétique qu’elle ne les disjoint. Et la notion de forme illustre exemplairement cette disjonction. Celle-ci s’expose sous sa forme radicale dans la Critique de la faculté de juger de Kant comme hétérogénéité de deux notions de forme. Il y a la forme qui appartient à l’expérience esthétique et il y a celle qui appartient à la tradition poétique. La première, la forme de l’expérience esthétique, ne s’oppose pas à la matière comme la puissance exercée au support qui en reçoit la marque. Elle n’est pas imposition sur la matière mais abstraction de la matière. Une chose, un spectacle me plaît uniquement par sa « forme ». Entendons par là que je suspends à leur égard tout jugement qui les rapporte soit au concept de leur objet soit aux fins de ma pratique. Je ne m’y intéresse ni comme objet de connaissance ni comme objet de désir. J’éprouve du plaisir à sa seule forme. Mais il ne faut justement pas entendre ici « forme » comme ensemble de propriétés formelles objectivables ni comme réalisation d’un plan, idée ou esquisse. Dans ce cas là en effet je jugerais la conformité de l’existence de l’objet à son concept, j’apprécierais le travail de sa mise en forme. Par forme il faut donc seulement entendre l’unité d’un donné sensible tel qu’il se donne à ressentir, abstraction faite de ce qui le rend connaissable et désirable. Ce peut être ce palais dont parle Kant et qu’il faut apprécier indépendamment de tout jugement sur son caractère d’habitation des Grands ou d’emblème du pouvoir. Mais le palais est un mauvais exemple car celui-là même qui est indifférent à sa signification sociale aura du mal à abstraire sa forme « esthétique » de son ordonnance architecturale. Un paysage, un décor d’arabesques ou un jeu de figures produites par la flamme répondront mieux à l’idée de cette « forme » qui est donnée à une appréhension unitaire sans être forme de rien.
11Or à cette forme « esthétique » s’oppose, trait pour trait, la forme artistique, celle que produit l’art en général. Celui-ci exécute toujours un objet sous la contrainte d’un concept, il exécute une copie ou un « ectype » à partir d’un prototype, d’un eidos qui détermine la forme à imposer à une matière. Tout travail artistique met en forme sensible une forme intellectuelle, transforme un Urbild en Nachbild. La forme qu’il re-produit s’oppose totalement à la forme esthétique qui n’est justement perçue comme forme qu’à la condition de n’être forme de rien, de ne réaliser aucun concept ni imiter aucun objet. Il y a donc une rigoureuse antinomie de la forme. Il apparaît contradictoire qu’une forme esthétique puisse être produite par un travail d’art.
12Bien loin donc de toute revendication de l’absoluité du faire, la Critique de la faculté de juger accuse la radicale impuissance de tout art à satisfaire l’appréhension esthétique de la forme libre. L’aporie n’est levée que par le recours à une faculté subjective, le génie, et à une opération qui lui est propre, la production d’idées esthétiques. L’idée esthétique est, nous dit Kant, une idée de l’imagination qui associe au concept d’un objet un ensemble indéterminé de représentations. Ces représentations dont ni la qualité ni la quantité ne sont déterminables indéterminent ainsi le concept et son rapport à l’objet. Elles transforment alors l’œuvre d’art – l’œuvre qui met en forme une matière – en une forme belle : une forme dont la loi d’unité est purement ressentie, non énonçable, non déterminable et en particulier non déterminable par l’artiste, lequel fait plus qu’il ne veut faire et qu’il ne sait qu’il fait. À ce prix la forme artistique peut être une forme esthétique, une forme irréductible à la mise en forme de la matière sensible par l’intention artistique.
13Seulement cette théorie du génie et de l’idée esthétique qui résout l’antinomie de la forme implique elle-même un étrange montage conceptuel. Cette idée esthétique qui étend le champ d’un concept en même temps qu’elle l’indétermine a une origine théorique assez aisément repérable. Elle est la transposition de cette « clarté extensive » dont l’Esthétique de Baumgarten avait fait la théorie. En bon leibnizien, Baumgarten opposait en effet deux modes de la clarté : la clarté intensive qui tient aux divisions fines de l’analyse et la clarté extensive. Celleci était, à l’inverse, le supplément de force et de perceptibilité sensibles qui s’attachait à la présence de multiples représentations laissées à leur état d’implications inanalysées. C’était en somme la clarté du confus, la clarté de la multiplicité sensible enroulée dans une notion ; l’obscure clarté du ciel des étoiles poétiques opposée à la clarté de la connaissance distincte. Dans la pratique la notion recouvrait l’usage traditionnel des tropes. Or il en va de même pour les « représentations associées » de Kant. On se souvient qu’il ne trouve pas à en donner d’exemple plus suggestif que la métaphore convenue d’un poème du roi de Prusse qui associait la fin d’un règne au coucher généreux d’un beau soir. Mais ce n’est là que le moindre des problèmes posés par la transposition kantienne de cette notion de Baumgarten. Car c’est la cohérence même de cette notion avec les présuppositions kantiennes qui est problématique. L’idée de clarté extensive ou de clarté confuse était cohérente chez Baumgarten avec le point de vue théorique fondamental qu’il héritait de Leibniz : du sensible à l’intelligible il y a différence de degré et non de nature. La « connaissance esthétique » se différenciait ainsi de la connaissance logique, en s’attachant à un domaine d’idées encore mêlées de confusion sensible et en lui donnant l’optimum de clarté qu’il pouvait recevoir dans son ordre propre. Mais cette thèse de continuité, qui assimile le sensible à de l’intelligible confus, est précisément ce contre quoi Kant a élaboré tout l’édifice critique. Il est alors paradoxal que cette « idée esthétique », de provenance clairement leibnizienne, soit au cœur de son entreprise. Et ce paradoxe pèse sur la tentative entière d’identifier forme artistique et forme esthétique. Il soumet la considération des libres formes requises par le jugement esthétique au modèle poétique du langage figuré. Et c’est, de fait, l’analogie du langage qui commande la classification kantienne des arts figuratifs, laquelle range architecture, peinture et sculpture dans le langage des gestes, entre le langage poétique des mots et le langage tonal de la musique.
14Le statut théorique de la forme esthétique repose ainsi sur une union instable des contradictoires qui se concentre dans l’équivoque de l’« idée esthétique ». Ce qui maintient ce concept en place et fait tenir tant bien que mal l’édifice, c’est le second élément du montage kantien : l’idée esthétique est le propre du génie. Le concept de génie assure le recouvrement de la forme artistique (ou technique) et de la libre forme esthétique en raison de sa double caractéristique. Il est la puissance qui vient à la place des règles de la tekhnè. Et cette puissance est celle de la « nature » de la poétique classique, quand elle opère directement, au lieu de le faire à travers le système des ressemblances et des convenances représentatives. Mais cette intervention « directe » qui transforme l’ingenium artistique en production de libres formes prend une figure spécifique. L’ancien « enthousiasme » est en train de changer de nom. Il s’appellera désormais inconscient. Le propre du génie, nous dit Kant, est l’ignorance de ce qu’il fait ou de ce que la nature fait en lui. C’est là ce qui différencie l’idée esthétique de son modèle, la clarté extensive de Baumgarten. La figure poétique chez celui-ci renvoyait encore à la tradition aristotélicienne. Elle était un moyen d’art, mise au service d’une fin expressive. Mais, avec la théorie kantienne du génie, c’est une autre idée de la figure qui vient prendre le devant de la scène et assurer discrètement la coïncidence entre forme artistique et forme esthétique. Un Homère ou un Wieland aurait bien du mal, nous dit Kant, à nous expliquer l’origine des brillantes figures de sa poésie. Dans cette insistance sur le non-savoir qui accompagne la performance de la figure, il nous faut voir plus que la vieille idée du génie « primitif ». Le siècle de Kant est celui où Vico est parti à la recherche du « véritable Homère ». Et l’on sait que la restitution du véritable Homère impliquait, pour lui, la transformation de l’idée même de la poésie et de son langage. Homère n’était plus l’inventeur d’histoires, de caractères et de métaphores célébré jusque-là. C’était le témoin d’un âge poétique du monde, d’un âge qui racontait des histoires parce qu’il ne distinguait pas bien les histoires et l’histoire ; qui campait des personnages emblématiques de telle ou telle vertu parce qu’il ne savait pas encore isoler les concepts de ces vertus ; qui usait de figures flamboyantes parce qu’il ne distinguait pas encore le propre et le figuré. En son essence la figure poétique n’était pas une œuvre délibérée de l’art mais un langage d’enfance, le langage des gestes et du chant qui précède le langage articulé des mots et leur usage libre par l’entendement.
15Ce qui soutient la théorisation du génie et donne ainsi consistance à l’idée esthétique, c’est cette nouvelle interprétation de la figure poétique. Celle-ci n’est plus la marque savante de l’art qui invente l’image pour rendre la pensée sensible, elle est l’indifférenciation première de la pensée et de l’image. L’accord de la forme esthétique et de la forme artistique est suspendu à ce montage où c’est finalement le non-savoir poétique qui corrige le savoir artistique. Mais la simple union de la conscience et de la non-conscience, qui « libère » les formes en supprimant de l’art et de la volonté dans le processus de leur production, ne suffit pas encore à unir forme et forme, à transformer l’objet de la production artistique en objet de la libre appréhension esthétique. Il ne suffit pas d’enlever à la production de son intentionnalité. Il faut encore capter la puissance de l’apparence comme telle, dans sa différence avec toute mise en forme. C’est ce que Schiller ponctue très fortement dans les Lettres sur l’éducation esthétique de l’homme. La puissance esthétique est la puissance de la libre apparence et celle-ci se définit par une double neutralisation. Il faut neutraliser la puissance matérielle, la puissance passive du sensible. Mais il faut tout autant neutraliser l’opposé de l’instinct matériel, à savoir l’instinct formel, l’activisme de la pensée qui veut donner forme à la matière. L’instinct proprement esthétique, l’instinct de jeu se définit par la capacité à jouir de la libre apparence, de l’apparence qui ne montre ni ne dissimule rien, au devant ou en arrière d’elle-même. C’est cette apparence seule qui peut être absolue, qui peut racheter la conditionnalité de tout vouloir, conscient ou inconscient. Tout l’effort de la pensée esthétique est alors de s’emparer de cette absoluité de l’apparence pour en faire l’apparaître de la puissance d’art et mettre cette identité de l’apparence et de l’apparaître à la place de toute mise en forme.
16Cette capture de l’apparence esthétique dans l’apparaître de l’art est exemplairement illustrée par le grand montage esthétique, le grand montage conceptuel de la théorie hégélienne. La consistance de la forme y est l’adéquation entre sens et sens, entre la manifestation d’un sens d’esprit et l’affirmation de la puissance propre du sensible apparaissant qui n’est apparence de rien. L’instinct de jeu, le plaisir pris à la libre apparence, est strictement identifié par lui à l’expression d’une volonté de l’esprit qui veut voir à la surface des choses une apparence de lui-même. Le plaisir du sauvage schillérien devant la forme purement décorative d’un coquillage inutile devient celui de l’enfant hégélien qui jette des galets pour faire des ronds à la surface de l’eau. Faire des ronds éphémères à la surface de l’eau, ce n’est pas là un simple jeu d’adresse, c’est une injonction faite aux apparences sensibles, c’est un geste de l’esprit qui veut dessiner sur la surface des apparences du monde une apparence de lui-même. Et, bien sûr, des ronds éphémères à la surface de l’eau, cela ne « ressemble » en rien à un enfant. La forme ainsi tracée et aussitôt dissipée n’est à la ressemblance d’aucun modèle. Cette idée de la forme/apparence congédie donc la logique de la ressemblance représentative. Et pourtant elle porte bien encore une ressemblance. Elle dessine la figure du pur vouloir, du pur Trieb encore abstrait qui porte l’esprit à prendre possession de lui-même à travers l’apparence suscitée à la surface des choses. La manifestation sensible est l’expression d’une puissance d’esprit qui est une puissance de sens. La forme est alors une trace d’esprit, elle est la trace d’un mouvement, la ressemblance d’une vibration à la surface de l’eau avec le mouvement de l’esprit qui se porte au-dehors de lui-même pour convertir ce dehors en sa pure apparence et se retrouver luimême dans les apparences du monde. Le geste de l’enfant est l’allégorie d’un art créateur de formes libres. C’est ce statut de la forme que nous rappelle Elie Faure : « La statue ne fait qu’imprimer sur le sol la trace de l’homme comme s’il marchait dans ses pas. Elle est l’homme, l’homme intérieur […]. » La forme donc n’est pas une copie, elle est une trace. Mais qu’estce au juste qu’une trace ? Si ce n’est pas une copie, c’est l’indice d’un passage, le symbole d’un mouvement. Mais alors la liberté de la forme est perdue aussitôt qu’affirmée. En témoigne exemplairement l’analyse hégélienne du tableau de genre hollandais. À la surface du tableau l’apparaître pur impose sa puissance au détriment des objets ou personnages représentés : scène domestique, intérieur bourgeois, geste familier. Les fils de la représentation qui attachaient la figure à un réseau d’activités prosaïques sont coupés et l’apparence brille pour elle-même dans sa liberté. Mais cette pure lumière du tableau n’est telle que parce qu’elle est la projection d’une certaine liberté, celle dont jouit le peuple hollandais, celle qu’il a conquise sur la nature et sur le despotisme politique ou religieux. La libre apparence est l’apparaître d’un esprit, celui qu’on appellera esprit du protestantisme ou du capitalisme. Mais aussi c’est parce qu’elle ne se connaît pas encore elle-même que cette liberté d’esprit se fait liberté de l’apparaître, lumière du tableau. La belle déduction flaubertienne de la volonté libre à la forme libre est ainsi dénoncée par avance. C’est une liberté non libre, une liberté qui ne se connaît pas elle-même qui se manifeste dans la liberté de la forme. La liberté de la forme est la manifestation d’une volonté contrariée. La forme/trace est un langage figuré d’esprit. En bref la forme est un symbole, cet être chauve-souris qui veut être à la fois langage et forme et n’a ainsi ni la clarté enchaînée de l’un ni la liberté de l’autre. C’est bien ce que nous dit Elie Faure après Hegel : l’histoire des formes est histoire des symboles. Les formes sont les « expressions momentanées et fugitives d’un mouvement interne instable et cependant continu ». Si les formes se définissent ainsi, elles ne se distinguent pas conceptuellement des symboles. Et l’esthétique rentre dans le cadre d’une symbolique générale des formes langagières à travers lesquelles l’« esprit » s’exprime en des images de lui-même qui sont des formes plastiques parce qu’elles sont d’abord des formes de la vie collective analogues aux formations géologiques.
17Le paradoxe de la forme esthétique éclate alors. Sa pureté de « forme de rien » la déporte du côté du symbole. Pour échapper à ce destin, elle doit donc s’arrimer à cela même qu’elle révoquait, la ressemblance, ou plutôt une ressemblance privilégiée : une figure libre, une figure dépourvue de toute symbolicité, de tout écart par où le signe s’accuse aux dépens de la forme. Chez Hegel ce rôle sera rempli par une forme spécifique, la figure humaine sculpturale du dieu grec. La statue du dieu grec, c’est la figure de l’esprit qui a son corps propre, un corps qui le contient exactement, sans reste ; un corps dont il est – et n’est que – le pur dedans, la pure intériorité muette. L’histoire des formes se différencie de l’histoire des symboles parce qu’elle est suspendue à ce telos qui n’est pas son terme mais son acmè, le milieu de sa course : la figure sculpturale de l’esprit-sujet, de l’individualité organique. Le sujet est en effet, dit Hegel, ce qui se signifie soi-même et s’explicite soi-même, sans écart entre figure et signification. La statue est donc doublement figure. Elle est trace d’esprit, c’est-à-dire trace de ce qui n’a pas de figure sensible. Mais elle est aussi figuration de l’esprit dans une forme organique individualisée. Dans la statue du dieu/homme l’esprit a son « visage », un visage qui ne parle ni ne regarde, qui est la manifestation d’une intériorité d’esprit mais qui ne dit rien de cette intériorité. La course errante des traces d’esprit qui ne le montrent jamais mais parlent trop de lui est rachetée par cette figure « libre » où la trace d’esprit s’efface, où l’esprit n’est que le « dedans » d’une forme individualisée, où la figure est pur corps qui ne dit rien. La figure libre, c’est proprement la figure bête, au sens que Flaubert donnera à ce mot, en disant que les chefs-d’œuvre sont bêtes, qu’ils ne disent rien mais manifestent seulement leur existence. La forme n’est libre qu’à s’identifier à la stupidité « spirituelle » du dieu monumental et muet.
18La statue est trace. Mais elle ne peut être simplement trace. Elle doit être aussi représentation de l’individualité. La forme libre ne peut être produite que par la conjonction des contraires. La forme est libre parce qu’elle est une trace qui dénie la ressemblance, qui marque le passage d’un vouloir de l’apparence inconditionné. Mais ce vouloir de l’apparence est le vouloir d’un esprit qui veut apparaître et s’apparaître, qui interdit par ce vouloir la liberté de la forme et la ramène à la fonction langagière du symbole. Cette liberté doit alors se reconquérir par l’identification de la forme à la figure par excellence, la figure du sujet, de l’intériorité en général individualisée dans un corps. Ainsi le mouvement des formes est celui d’une garantie réciproque. La trace du symbole rachète le vouloir mimétique. La figure organique individualisée de l’homme/dieu rachète à son tour la symbolicité de la trace. Le mouvement des formes oscille ainsi entre la trace et le corps. La forme se différencie de la mise en forme et du symbole. Mais cette oscillation n’est possible que parce que la forme plastique recueille et redouble la vieille polyvalence de la notion de figure : trope du langage et figure matérielle individualisée, individualité déterminée et moment d’une histoire.
19Cette polyvalence s’exprimait en un raccourci saisissant de saint Augustin dans un chapitre de la Cité de Dieu où il discutait l’antiquité de l’écriture hébraïque. « Noé aussi fut prophète parce que l’arche qu’il a construite est une préfiguration du salut ». Il y avait là un raisonnement syllogistique quelque peu tordu : Noé a construit une arche, or cette arche est une préfiguration du salut, donc Noé, par l’œuvre de ses mains, annonce le salut. Mais l’important était ailleurs. Il était dans la façon dont la notion de figure assurait l’immédiate identité de trois actes : le récit de l’écrivain sacré qui racontait l’histoire de l’arche de Noé ; l’acte matériel de la construction de l’arche ; et l’acte propre à l’arche racontée qui était d’annoncer en figure le salut à venir. La figure était ainsi le produit d’un art matériel de façonner, le produit des fictions du discours et aussi une trace d’histoire, prophétie du futur et symbole d’union de l’ordre matériel et de l’ordre spirituel. La puissance figurative du conteur et de l’architecte s’y identifiait exactement à la puissance figurale, c’est-à-dire à la puissance par laquelle la figure signifiait un sens à venir. C’est cette double ressource de la figure dont la forme hérite. Et c’est pourquoi elle ne va pas sans son esprit, sans le mouvement qui va de la trace au corps et du corps à la trace, qui égale, à chaque station de ce mouvement, la liberté de la forme à la projection d’un esprit en mouvement perpétuel vers son accomplissement. L’esprit des formes, c’est l’esprit de cette circulation entre la trace et le corps, entre la dissolution et l’incarnation, entre la figuralité et la figuration. Chez Hegel on sait que cette circulation définit une traversée spécifique. Le mouvement des formes va de la trace symbolique au corps classique avant de faire le parcours inverse, le parcours romantique du corps à la trace et à son évanouissement. Le pur apparaître qui brille à la surface du tableau de genre hollandais est le moment qui précède cet évanouissement. Bientôt cette liberté prosaïque qui se manifeste comme liberté de la forme picturale se connaîtra elle-même, dans son monde propre et se dira dans le libre langage de la prose. La lumière du tableau alors se résoudra en pure résonance d’esprit, en manifestation d’une volonté « libre » qui n’aura plus, de ce fait même, besoin de se chercher dans l’indépendance d’aucune figure. L’esprit se retirera de la forme, laquelle ne sera plus que la manifestation en une matière indifférente de la libre volonté, de la volonté vouée à la réitération infinie de son geste impérial.
20L’histoire de l’« esprit des formes » est l’histoire des tentatives pour corriger ce destin hégélien de la forme, pour affirmer, avec Flaubert, une « plasticité » de la phrase, une autosuffisance de la forme sans signification qui donne à l’immatérialité de la prose la figure consistante et l’intériorité muette du dieu de pierre, ou bien pour retourner avec Schopenhauer, Wagner et Nietzsche le statut de la musique. C’est selon cette seconde tradition qu’il faut comprendre le double rôle de l’esprit/feu qui anime les formes d’Elie Faure. L’esprit des formes est la puissance qui les dissout, qui les inscrit dans le devenir immatériel de la matière qui se nie elle-même en devenant vibration du son ou de la lumière. Mais à partir de là le cycle recommence, selon l’alternance comtienne des phases critique et organique de la vie de l’esprit. La musique n’est pas la voix qui se perd dans l’éther, elle est la symphonie des sons qui prélude à la symphonie cinématographique des images et à la symphonie sociale de la nouvelle humanité des constructeurs. Le feu destructeur de la musique devient alors le feu constructeur de l’architecture nouvelle.
21Mais il importe peu d’inventorier les diverses contre-téléologies qui s’emploient à contrecarrer la téléologie hégélienne. Il importe plus de déterminer la logique qui les contraint en liant la forme à son esprit. Les discours actuels sur la « crise de l’art » laissent supposer que l’art s’est perdu en renonçant à son pouvoir propre, le jeu des formes, pour affirmer sa pure volonté d’auto-manifestation. Ce diagnostic se réclame volontiers de la théorisation hégélienne de la fin de l’art. Il nous explique en effet que le volontarisme avant-gardiste d’un art seulement occupé de se manifester lui-même et forcé par là de s’identifier aveuglément à la « tradition du nouveau » lui a fait abdiquer son royaume, celui des formes libres ou des libres apparences, celui de la révélation des puissances du visible. Mais qu’est-ce au juste que ce royaume du visible pur sinon cette royauté républicaine de la lumière qui éclairait aux yeux de Hegel les scènes d’auberge ou les intérieurs bourgeois hollandais ? Le royaume des formes ne s’oppose pas à la formalité de la volonté d’art. Il appartient à la même logique. Le choix « post-hégélien » n’oppose pas le royaume des libres apparences à l’entêtement de la volonté avant-gardiste. C’est au cœur même de la notion de forme que se trouve le dilemme. La forme n’a détrôné la ressemblance qu’au prix de la tension interne de la trace et du corps, de l’indice d’esprit qui pointe vers sa dissolution et de la figure individualisée de l’incarnation d’esprit. Les critiques mélancoliques opposent la présence sensible perdue des formes au geste d’auto-affirmation vide de l’art. Mais ils ne font eux-mêmes que monnayer interminablement l’esprit des formes en phénoménologie de la renaissance perpétuelle du monde sous le regard ébloui, de la « minute du monde qui passe », citation de Cézanne, c’est-à-dire de Gasquet, simplement coupée de son contexte faurien : la « morale éparse du monde » qui est « l’effort qu’il fait peut-être pour redevenir soleil ». Il n’y a pas d’opposition entre l’évidence de la présence sensible et le geste d’auto-désignation de l’art. La « forme » du mode esthétique de l’art est le théâtre de l’aistheton, la scène sur laquelle l’unité originelle postulée de la puissance sensible et de la puissance de signification se représente, s’atteste en se dédoublant.
22Ce dédoublement n’est nulle part plus évident que dans ces singulières analyses de la « figure » picturale que nous présente Deleuze. Celles-ci nous commandent de voir dans la forme un pur « composé de sensations ». Mais ce composé de sensations est en fait un théâtre de la sensation. Sur le tableau de Bacon, telle que l’analyse Logique de la sensation, il y a seulement des pures formes plastiques : une figure qui ne raconte rien, un aplat, un rond qui unit et sépare l’une et l’autre. Mais la figure est en fait le mouvement d’une défiguration, l’effort d’un organisme pour devenir corps sans organes ; l’aplat est la puissance du chaos qui vient gifler la figure ; le rond est le ring ou le cirque où le composé de sensations s’avère comme composition de forces. La figure ne raconte aucune histoire ni personnage du monde. Mais le tableau, lui, raconte ce qu’est le tableau : une station dans un mouvement qui va non plus vers la dissolution lumineuse apollinienne mais vers la dissociation dionysiaque dans le chaos. Et la puissance qui anime ce mouvement qui transforme l’individualité-tableau en indice d’une force de désindividualisation a un nom, toujours le même. Elle s’appelle esprit. Le tableau est « une sorte de station incompréhensible et toute droite au milieu de tout dans l’esprit » : une forme de manifestation de l’esprit-chaos en marche vers lui-même, strictement symétrique à la forme de l’esprit-logos, en marche vers sa propre élucidation, qu’était la statue hégélienne du dieu grec.
23Et sans doute dira-t-on qu’il s’agit là d’un de ces « commentaires », propres à la tradition du nouveau, qui doivent toujours rajouter de l’esprit à mesure que la forme se dissout. Mais ces commentaires nous rappellent ceci : la notion de forme est une notion contradictoire. La forme esthétique est, dans son concept, l’impossible identité du produit d’une volonté libre et de l’état d’une libre apparence. Ce qui est impossible ne laisse pas d’être, mais précisément sous la forme de la différence à soi. La forme esthétique est la forme d’écart spécifique dans laquelle cette identité se présente, c’est-à-dire se contredit. L’esprit de la forme pourrait être défini comme le lieu de tous les écarts ou plutôt comme la téléologie qui les totalise, qui les inscrit dans le mouvement qui porte toute forme en deçà ou au-delà d’elle même. La téologie hégélienne du retour à soi de l’esprit n’est que l’une de ces téléologies. La surréaliste « libération totale de l’esprit et de tout ce qui lui ressemble » en est une autre, comme le devenir-lumière de la matière au temps de Canudo ou d’Elie Faure, ou les « forces de l’invisible » et le « peuple à venir » de Deleuze.
24Toute forme esthétique est alors l’écart particulier par lequel la forme contredit l’identité qu’elle déclare. Mais elle est aussi la résistance opposée au grand écart, à la perte dans sa vérité d’esprit, que celle-ci soit concept ou chaos, incarnation dans un corps collectif ou dissociation schizophrénique. Il n’y a pas de forme sans esprit de la forme. Il n’y en a pas non plus sans lutte contre cet esprit.
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