La couleur est-elle une forme ?
p. 11-28
Texte intégral
1Le musée Matisse, à Cimiez, est sans doute le plus important hommage qu’on ait jamais rendu à ce peintre. Imaginons un Niçois qui ne quitterait jamais sa ville, ou un touriste dont la croisière ne ferait pas d’autre escale en Méditerranée. Ayant parcouru une collection qui comporte très peu de tableaux, nos deux visiteurs penseraient que Matisse, étonnant dessinateur, capable de cerner une figure d’un trait de fusain, ne portait guère d’intérêt à la couleur. Cette fable va me permettre de poser une série de questions qui nous aideront peut-être à préciser ce que nous mettons derrière le mot forme.
2Provisoirement, je m’arrêterai à une hypothèse simple. Sur une feuille blanche un peintre, Richard Sera par exemple, étale une large bande d’encre de Chine1. Il n’y a là aucune figure, aucun élément identifiable, mais ce graphisme n’est pas quelconque, il a une direction, une épaisseur, ses bords sont effilochés là où la brosse est passée légèrement, des empâtements marquent les points où elle s’est faite plus lourde. Il s’agit d’une forme qu’on serait tenté de dire autonome puisqu’elle n’a pas de bordure et semble échapper à cet enfermement dans le cadre où l’on trouve une des définitions de l’image. Forme reconnaissable mais non identifiable, forme née d’un geste, le trait de Sera se distingue des tracés que proposeraient d’autres artistes. Sa forme, entendue maintenant comme principe d’exécution, et non plus seulement comme marque sur un papier, est ce qui lui confère une personnalité, qui en fait un « graphisme de… ». Et quand Sera ajoute des couleurs sur son tracé initial la forme première demeure bien intacte mais il s’agit maintenant d’autre chose, l’intervention de la couleur a modifié la forme, produit peut-être une nouvelle forme.
3Nous venons de rencontrer, chez un peintre qui ignore la représentation, trois modalités de la forme entendue d’abord comme création, à partir d’une base neutre, puis comme ensemble de traits spécifiques, enfin comme principe de différenciation interne. Aussi simple qu’elle paraisse, la proposition selon laquelle un trait est une forme soulève une difficulté immédiate : existe-t-il un rapport entre les formes simples, concrètes, comme les graphismes de Sera et la forme, notion abstraite ? Le problème se complique encore dès lors que l’on fait intervenir la couleur. Les formes engendrées par le geste du peintre demeurent-elles intactes quand on les colore ? la forme caractéristique de cet artiste en est-elle changée ? à quoi les teintes servent-elles ? constituent-elles un ajout sans importance ? ou modifient-elles radicalement l’œuvre entendue aussi bien comme réalisation particulière que comme ensemble de dessins et de toiles ? Naturellement, posée en des termes aussi tranchés, la question n’appelle aucune réponse et je la formule uniquement parce qu’elle me permet d’aborder la couleur sous un angle paradoxal, en suggérant que tout à la fois elle change la forme et ne la modifie pas.
Le charme de l’œuvre
4Ce paradoxe n’est pas introduit ici comme simple effet rhétorique, ceux qui ont réfléchi aux rapports entre couleur et dessin l’ont tous rencontré. Je ne reviens pas sur les débats qui agitèrent les académies européennes aux XVIIe et XVIIIe siècles, ils sont bien connus et, dans leur époque, ils répondirent davantage à des conflits sur le droit de légiférer le beau qu’à des interrogations proprement esthétiques2. J’aime mieux prendre en compte l’opinion d’un artiste qui se refusait à toute théorisation. Au long de ses Carnets, Corot souligne avec constance la primauté du dessin. À l’en croire, la couleur et l’exécution ont une importance seconde et servent surtout à introduire « du charme dans l’œuvre »3. La suite des opérations, telle que Corot l’envisage, n’est pas d’ordre pratique (fixer les lignes puis mettre les couleurs) mais d’ordre hiérarchique. Dans son idée, c’est bien le dessin qui crée la forme4.
5Pourquoi Corot, et d’autres peintres qui ont été comme lui des coloristes, ont-ils marqué aussi nettement la prépondérance du trait ? Il me semble apercevoir, dans leur attitude, à la fois un trouble sensoriel et une hésitation sémantique. Chacun le sait depuis l’école primaire, les couleurs ne sont pas, comme le volume ou le poids, une propriété des objets. Certaines conformations oculaires perçoivent une impression colorée quand une masse réfléchit une certaine longueur d’onde lumineuse et absorbe toutes les autres longueurs d’onde. À cet égard, d’importantes différences séparent non seulement les animaux des humains mais même les humains entre eux. L’attention prêtée aux teintes ne varie pas seulement d’individu à individu, il arrive couramment à une même personne de faire jouer l’effet couleur, telle qu’elle le ressent, de manière fantaisiste et subjective. Présentant à ses lecteurs des eaux-fortes noires et blanches, la Gazette des Beaux Arts en signalait quelques-unes comme particulièrement « colorées »5 et l’on a sans doute en mémoire ce compte rendu d’une des premières projections Lumière qui s’extasie sur la couleur des films. Il ne s’agissait là ni d’erreurs ni de fantaisies. Simplement, l’œil actif, l’œil désirant, sait se constituer sa propre palette à partir de rien.
6Or cette réceptivité au miroitement des couleurs n’a aucune importance dans la vie quotidienne puisque les daltoniens distinguent parfaitement un fruit « vert » d’un fruit mûr et observent aussi bien que d’autres chauffeurs les signaux routiers. Les conduites pratiques exigent une appréhension correcte des distances mais notre sens de la proximité ou de l’éloignement est lié à la dimension relative des objets et au jeu des ombres, il ne dépend en rien des teintes. Le dessin en porte d’ailleurs témoignage, le dessinateur, pour suggérer volume ou profondeur, se borne à ombrer ses contours et, lorsque il entend montrer un espace ou suggérer une distance, il lui suffit de travailler l’écart qui va du très clair au très foncé. Après avoir gravé ses lithographies, Toulouse-Lautrec en tirait plusieurs versions colorées. L’effet de ces variations est particulièrement sensible dans le cas de L’Anglais au Moulin-Rouge où les personnages ressortent d’autant mieux qu’ils sont traités avec des couleurs plus appuyées ; s’imposant davantage que les teintes légères, les teintes foncées modifient l’équilibre du dessin mais le même type de contraste aurait été obtenu avec des nuances de gris : les couleurs, dans ce cas, fonctionnent comme dégradé d’ombres, non comme teintes. Depuis la mise au point de la « manière noire »6 la déclinaison d’une seule teinte, quelle qu’elle soit, suffit pour introduire des impressions de modelé et aussi, hors du domaine figuratif, pour multiplier à l’infini les variations d’intensité. La plupart des observateurs se montrent sensibles aux couleurs telles que leur œil les saisit mais, comme le suggère L’Anglais au Moulin-Rouge, ce sont les formes, leur agencement, leurs différences que nous parvenons à définir. Pour ce qui est des teintes elles nous aident, au mieux, à instaurer une relation affective avec les choses, ce qui peut-être, Corot en tout cas le suggère, leur ajoute du charme.
7Inutile pour rendre un modelé, la couleur s’est ainsi vue reléguer par certains artistes au rang de pur ornement. À ce problème sensoriel s’est ajouté une autre difficulté : nous manquons de moyens pour parler des couleurs, pour les classer et les juger. Les longueurs d’onde qui les définissent sont de pures abstractions, elles incluent des teintes que la majorité des yeux ne perçoivent pas, entre autres l’indigo, et elles ne correspondent pas aux notions courantes de « pourpre », « écarlate » ou « violine ». Bien plus, prises séparément, dans leur état brut, les couleurs sont, à la différence des mots, faiblement sémantisées. Les nuances psychologiques dont nous croyons pouvoir les affubler sont volages, elles changent avec une extrême rapidité et les projections qu’on opère sur elles dépendent du contexte social. Nous affirmons volontiers que le rouge évoque spontanément le sang mais les Grecs associaient le sang au noir7 et le rouge fut d’abord, pendant plusieurs décennies, le symbole de la révolution. Loin de signifier le deuil, le noir marqua longtemps la joie et la puissance8. Les autres couleurs ont connu, d’époque en époque, des variations analogues9 et leur élasticité semble bien désigner un matériau plastique disponible pour des usages principalement ornementaux.
8La couleur, envisagée dans la perspective qui nous retient en ce moment, celle de la sémantisation, se révèle clignotante et amorphe, elle est perçue différemment selon l’intensité de la lumière et suivant l’attention que lui prête l’observateur, il lui faut, pour devenir expressive, s’appuyer sur un déterminant externe. Les références les plus courantes sont d’ordre culturel, tels, chez Corot, l’ocre qui marque la sécheresse des paysages romains ou le bleu gris flottant sur l’étang de Mortefontaine. Même en littérature, en dehors des usages métaphoriques (Hugo est plus « coloré » que Leconte de Lisle) les mots se teintent en fonction du contexte. Dans les vers d’Auden,
A plain without feature, bare and brown
No blade of grass, no sign of neighbourhood
Nothing to eat and nowhere to sit down.
The Shield of Achilles (1952)
9le brun, couleur a priori peu marquée, doit aux répétitions, aux négations, aux consonnes sourdes qui l’entourent de se transformer en signe de deuil.
10Les exemples précédents concernent des paysages mais le problème de la couleur et de son rapport à la forme n’est pas lié à la représentation. Dans un texte non descriptif ou sur une peinture abstraite les couleurs ne se positionnent encore qu’à travers une relation. En soi le vert n’est rien qu’une impression ou, pour les mieux informés, une longueur d’onde. Mettant en phase deux complémentaires, Patrich Heron l’étale sur une large surface rouge et son vert, pourtant uniforme, semble hésiter du clair à l’obscur suivant les variations du rouge qui lui sert de fond. Apollinaire, évoquant la même couleur, la fait devenir luisante, liquide, nocturne, caressante :
La quatrième Malourène
Est un fleuve vert et doré
C’est le soir quand les riveraines
Y baignent leurs corps adorés
Les sept épées
11Assonances et images se liguent ici pour suggérer un vert fluide quand d’autres mots et d’autres rimes donneraient à voir une couleur dure et immobile.
12Les couleurs ne sont pas seulement disponibles pour d’étranges mariages, ces rapprochements leur sont indispensables car elles n’ont pas, d’elles-mêmes, de qualités. Les « monocolores », toiles ou planches uniformément recouvertes d’une seule teinte qu’on trouve dans toutes les galeries d’art moderne, ne sont rien d’autre que des morceaux de toile ou de bois, leur forme est celle de leur support et la teinte choisie n’y change rien. On peut certes user de couleurs pour dessiner des formes, aux deux premiers sens retenus pour ce terme, c’est-à-dire pour poser des marques sur une surface vide et, à travers ces marques, pour désigner une manière, mais le fait qu’on se serve d’un pinceau à la place d’un crayon, qu’on pose ses marques en rose ou en noir ne modifie pas ces formes elles-mêmes. C’est quand la forme est déjà définie qu’un ajout coloré peut introduire une différence qui demeure secondaire : noir ou vert, un rectangle de bois a la forme d’un rectangle. Le vert et le rouge peuvent distinguer deux planches identiques, celles-ci n’en ont pas moins des formes de planches.
A study in scarlet
13La conclusion à laquelle on peut arriver en suivant une œuvre dans sa genèse, comme nous l’avons fait schématiquement pour un graphisme de Richard Sera, n’a rien de surprenant. Le moment fondateur est l’acte par lequel la main pose des traits sur une surface vide et, par rapport à ce moment, la couleur intervient comme forme seconde, comme effet supplémentaire qui ne change pas le choix initial. La clownesse, lithographie de Toulouse-Lautrec, fut d’abord tirée en noir et blanc. Sur un arrière-plan très vague une jeune femme vêtue en paillasse, assise, les genoux écartés, le dos un peu voûté, donne une impression poignante de lassitude et de proximité ; sa blouse et ses cheveux sont teints dans les versions colorées mais cela modifie en rien ni son expression, ni l’espèce de mélancolie que dégage le dessin. Il faut cependant le souligner, nous avons suivi ici les étapes chronologiques du travail et c’est notre hypothèse initiale sur la forme comme produit du geste créateur qui bloque d’avance toute possibilité de transformation. L’approche génétique n’est pas la seule concevable, il est également permis d’envisager l’œuvre dans son état final, telle qu’elle est proposée à l’observateur. Tout autant qu’une représentation, une toile exposée est un assemblage de formes qui produisent un effet formel, qui sont une forme. La couleur n’y est-elle qu’un ornement ou y tient-elle un rôle autonome ?
14Matisse revenait parfois à ses dessins pour en donner une version colorée. Comparant ces deux états successifs, je serais tenté de dire que l’adjonction de couleurs redimensionne l’œuvre. Je recours, une seule fois, à ce néologisme pour souligner ce que je voudrais mettre en évidence. Je vais tenter de montrer comment la couleur règle certains des rapports internes au tableau, mais je tiens à écarter tout ce qui laisserait entendre que l’emploi de couleurs donne une profondeur ou une épaisseur au dessin. Matisse était indifférent aux illusions de perspective et de volume, les fenêtres qui apparaissent dans certaines de ses toiles ouvrent rarement sur un arrière-plan construit et ne suggèrent pas de dimension extérieure. Cependant la couleur installe, sur ses tableaux, des plans divers, qui ne sont pas distribués spatialement, qui ne sont, les uns par rapport aux autres, ni devant ni derrière, qui sont simplement autres. Arrêtons-nous sur La Desserte rouge10. Les trois-quarts de la toile sont couverts d’un pourpre parsemé de discrètes volutes bleues. En haut à gauche se découpe un paysage, combinaison de plusieurs verts et d’un bleu azur, qui peut aussi bien être un tableau, posé donc sur le mur de la chambre, qu’une baie ouvrant sur l’arrière-plan, par conséquent derrière la chambre. Il n’y a pas là à proprement parler d’espace, la pièce n’a pas de volume (rien n’interdirait d’ailleurs de considérer la partie pourpre comme un papier peint collé sur un mur), les couleurs délimitent simplement des surfaces qui se contredisent et se valorisent réciproquement. La forme, sur ce tableau, se manifeste à travers la rencontre de deux surfaces. Il est certain que deux gris, ou un blanc et un noir, disposés de manière identique, offriraient un contraste de même type. Mais la confrontation travaille également les couleurs, l’uniformité du pourpre rend manifestes les subtiles nuances du vert, les hésitations du vert donnent davantage de force au pourpre.
15Le paradoxe d’une telle œuvre est qu’elle fait intervenir des variations de plan dans les deux dimensions de la toile, c’est-à-dire qu’elle accepte la platitude du tableau dans le moment où elle la récuse. Matisse met en évidence cette limitation de la toile quand il dessine des paysages sans profondeur ou des corps sans volume. Mais le poids des habitudes empêche celui qui regarde de percevoir des visages ou des édifices comme tout à fait plats et le pousse à imaginer, à se créer une impression de relief en voyant sur la toile une silhouette d’arbre ou de maison. Le problème de la figuration n’entre pas ici en ligne de compte. J’insiste peut-être trop sur ce point mais je redoute la confusion entre forme et figure. L’impression de volume ou de platitude ne doit pas être rabattue sur le couple représentation/abstraction. Matisse représente, à plat. Inversement, en plaçant sur ses toiles des zones ombrées, Eliezer Lissitzky suggère des différences de position entre des masses qui ne figurent rien, il vise un effet de perspective que Matisse néglige bien que chez lui on trouve toujours un objet identifiable. La Desserte rouge ne laisse pas de doute à cet égard, elle écarte toute tentation d’inventer une perspective en délimitant, avec ses couleurs, de pures surfaces planes qu’elle fait travailler ensemble.
16On dira donc, dans un premier temps, que la forme colorée est la forme picturale par excellence, celle qui manifeste la bidimensionnalité de la toile et mise sur elle. La proposition devient presque évidente si on songe au travail de Mondrian, du moins à ce qu’il a appelé sa production néo-plastique. Ses grilles instaurent des carrés et des rectangles à la fois séparés et juxtaposés, équivalents mais inégaux. Des glissements subtils, l’utilisation de glacis et de vernis, de fines adjonctions de teintes complémentaires, modifiant à peine les teintes primaires, font que les couleurs ne se trouvent jamais au même niveau. Il n’y a évidemment ni fond ni premier plan, le bleu ne se détache pas sur le blanc ni vice versa, mais les teintes s’étagent, se distribuent les unes vis-à-vis des autres, sans que leur rapport comporte aucune trace de dessus ou de dessous. Les œuvres de Mondrian mettent particulièrement bien en évidence cet effet de surface qui, cependant, n’est pas un caractère propre à l’abstraction géométrique mais intervient également chez des peintres hostiles à l’héritage de Mondrian comme les membres de Cobra. Asger Jorn couvre ses toiles de taches, de virgules, de fragments colorés11. Un premier regard y discerne trois dominantes, l’une grise, la seconde foncée (bleu de Prusse, marron, vert), la troisième claire (jaune, orange, ocre) qui pourraient désigner trois plans distincts. Mais les fragments sont si densément intriqués les uns dans les autres que chaque plage, à son tour, apparaît comme une atomisation, une pulvérisation de teintes et de plans divers. Sur la base de l’une quelconque des couleurs, l’œil parvient à imaginer une multitude de « niveaux » différents.
17La « profondeur multiple » se retrouve, de manière plus ou moins évidente, dans toute peinture. Le « charme », au sens où l’entendait Corot, c’est-à-dire la subordination de la couleur au dessin, rend parfois imperceptible une tendance qu’on découvre, pour peu qu’on dépasse le niveau de la représentation, chez nombre d’artistes résolument figuratifs. On pense d’abord à Poussin, qui n’hésite pas à placer, bien visibles et en premier plan, des personnages dont les tuniques aux teintes voyantes, bleues, jaunes, ocres, rouges s’affichent comme autant de plaques colorées et, indifférentes au thème représenté, étirent la toile vers ses quatre angles. Ou encore à Claude Lorrain dont les lointains merveilleusement habiles, subtilement tendus vers la ligne d’horizon, souplement roses et gris, se trouvent mis en question par les couleurs primaires de quelques vêtements, taches criantes et bien visibles que le peintre a placées sous le nez du visiteur. Poussin comme Lorrain travaillent ainsi les deux versants de la forme, tels que nous les avons jusque-là identifiés. Sur leurs arrière-plans la couleur se plie au dessin qu’elle confirme, qu’elle « reformule » sans le modifier. Mais leurs couleurs crues du premier plan semblent abolir les lointains et désignent le tableau comme simple surface.
18On trouvera facilement des contre-exemples, tant le poids de la figuration demeure considérable jusqu’au terme du XXe siècle. Mais je ne cherche pas à établir des statistiques, je m’intéresse seulement aux stratégies qui donnent à la couleur un statut de forme et, sans épuiser la question, j’en distingue au moins trois.
19Le portrait, tel qu’il s’est développé en Angleterre, au XVIIIe siècle, en offre un premier exemple. D’excellentes analyses ont montré comment la gentry, soucieuse d’affirmer son enracinement terrien, tenait à se faire représenter sur ses domaines et veillait à ce que traits et couleurs soulignent le lien unissant les différents plans de profondeur, c’est-à-dire la propriété, dans toute son étendue, et ceux qui la possédaient. Cependant, certaines de ces toiles surprennent par la violence d’un contraste voulu et déroutant. Voici un squire, de surcroît officier, que le peintre a saisi dans son superbe red coat. L’habit est un insigne, presque une profession de foi dont le modèle a dû se montrer fier. En même temps, tout pâlit à côté de cette longue tache écarlate ; mains, visage, chevelure, traités en demi-teintes se noient dans le paysage. Ce qui me semble tout à fait remarquable sur cette toile est le parfait accord de l’idéologie et de la forme. L’individu et son domaine ont été estompés pour mieux mettre en relief le métier des armes. Mais l’opération ne s’est faite ni à travers un déploiement d’attributs guerriers, ni à travers une scène militaire, le rouge est apparu comme une affirmation suffisante. L’harmonie perspective s’en est trouvée un peu malmenée, le domaine et l’habit écarlate ne se marient pas, ils ne sont que deux surfaces colorées dont la plus vigoureuse est celle qui comporte le moins de nuances. Ainsi, en plein règne figuratif, un tableau dont l’intention politique ne fait guère de doute se construit-il à partir d’une tache colorée, d’une couleur qui s’affiche comme forme plastique et comme forme idéologique.
20L’effet induit par le portrait tient à l’arrogance et à l’uniformité (ne s’agit-il pas d’un uniforme ?) du rouge. Mais l’incertitude, l’hésitation, la ruse des teintes peuvent fonder une stratégie tout aussi efficace. Je pense, entre beaucoup d’autres cas, à La Tentation de saint Antoine12 de James Ensor. Inutile de préciser que si le saint est bien présent, il faut s’intéresser de près à ses malheurs pour le retrouver. Le tableau est traversé par une large diagonale bleu pâle qui va du haut/gauche vers le bas/droite. Le coin inférieur gauche et le coin supérieur droit portent deux grands triangles cramoisis. On est libre, suivant sa fantaisie, d’interpréter les deux triangles comme l’ouverture d’une grotte, ou de l’enfer, et de voir dans le bleu le monde extérieur ou le ciel, mais ces identifications hasardeuses sont d’une utilité extrêmement réduite. Du fond de la salle où l’œuvre se trouve exposée la vigueur du cramoisi paraît évidente et tranche fortement sur l’azur un peu pâle, les deux surfaces colorées se définissent par opposition, comme deux plans distincts dont aucun n’est cependant ni au-dessus ni au-dessous de l’autre. Observé de près, le tableau révèle qu’il ne comporte aucun rouge, sauf une petite tache dans le triangle inférieur, car ce que l’œil a pris pour un cramoisi soutenu n’est en réalité qu’une fine texture de brun, de noir, de rose et même de vert. La teinte stable, continue, est le bleu auprès duquel le « cramoisi » apparaît comme une sorte de maillage indécis. La forme à première vue évidente n’est que l’une des combinaisons envisageables, La Tentation de saint Antoine laisse à son public le soin de choisir celle des teintes qu’il veut installer en dominante et de construire ou de déconstruire le rapport entre les couleurs. On se trouve de nouveau, comme avec le portrait anglais, devant une combinaison simple où n’interviennent que deux teintes mais, tandis que le portrait se sert des formes pour affirmer le rouge, Ensor utilise des formes encore plus élémentaires, une diagonale et deux triangles, pour mettre en doute le cramoisi.
21L’assemblage binaire, qui implique presque nécessairement un contraste, est peut-être une facilité que les monocolores tentent, parfois, de déjouer. Vivre sa vie, le film de Godard (1962), était annoncé par une affiche déroutante. Entièrement rose, mais partagée entre des nuances délavées et des nuances soutenues, elle noyait les caractères d’imprimerie au point de les rendre peu visibles. Au centre, une ligne rose plus affirmée découpait un rectangle - une fenêtre serait-on tenté de dire - encadrant une photographie d’Ana Karina elle aussi engluée dans la couleur. Un tel placard, éclipsant titre, casting et vedette, constituait évidemment une gageure. La faible lisibilité, la teinte dominante, mieux adaptée à une réclame de bonbons qu’à un film, répondaient à un choix tactique car, si elles étaient répulsives pour beaucoup de passants, elles risquaient d’attirer l’œil des flâneurs ou des esthètes qui seraient également les premiers spectateurs. Négation des teintes franches et des informations claires, l’affiche s’imposait comme rectangle coloré, elle n’offrait rien d’autre au regard que son étrange composition, mais au lieu de se limiter à un titre et à une liste d’acteurs, elle forçait l’attention des badauds.
Forme et sensibilité
22 La Desserte rouge nous a fait envisager les plages colorées que construisent les peintres comme autant de surfaces libérées de toute illusion perspectiviste entre lesquelles se tissent des rapports de proximité ou de différenciation. Autrement dit des tableaux tels que celui-ci semblent affirmer que, malgré la platitude de la toile on peut, en se servant des couleurs, instaurer des formes et faire travailler ces formes entre elles. Il serait séduisant de voir là un caractère propre de la plastique « moderne », peu soucieuse d’imitation, et de l’opposer à un art plus classique pour lequel la couleur serait un auxiliaire, un moyen de rendre plus souple la représentation. Plusieurs des exemples auxquels nous nous sommes intéressés montrent qu’une telle distinction serait artificielle : tout en subordonnant les couleurs à la figuration, les « classiques » ont parfois délimité, sur leurs toiles, des étendues colorées où les teintes étaient simplement des taches planes de couleur. S’il existe bien une différence dans le jeu sur les couleurs, elle concerne l’adresse au public, le désir de l’influencer et non le choix ou le refus de la représentation. Nous avons perçu, au travers de certains portraits anglais comme sur l’affiche de Vivre sa vie, la volonté d’impressionner l’observateur à travers l’accent mis sur une teinte particulière. En revanche les autres œuvres citées, qui appartiennent à des périodes très diverses, visent d’abord un effet plastique. Ce point, toutefois, concerne davantage les usages sociaux de l’art que la question des formes et nous n’avons aucune raison de nous y attarder.
23La couleur serait ainsi, potentiellement, forme ou bien ornement, les deux fonctions pouvant d’ailleurs coexister. Il faut alors se demander si la couleur, quand elle est utilisée pour créer des formes, attire le regard par les seuls contrastes qu’elle permet d’établir. L’essentiel, dans La Desserte rouge, est-il la relation un peu tendue entre deux complémentaires juxtaposées mais inégalement réparties ? La question est évidemment sérieuse puisque elle concerne le pouvoir expressif qu’on est en droit de reconnaître aux formes.
24Une seconde visite à Mondrian nous aidera à mieux formuler le problème que je souhaiterais maintenant aborder. Contrairement à l’impression que laissent cartes postales et livres d’art sur lesquels toutes les nuances s’aplatissent, aucune des toiles du peintre n’a de réplique, chacune d’entre elles est rigoureusement originale. Dans cet agencement systématique dont la géométrie n’autorise pas le moindre écart angulaire, l’œil découvre chaque fois un autre rapport, qui est une nouvelle mise en regard des couleurs. Mondrian ne dit ni ne montre rien. Il surprend ou ennuie ceux que n’attire pas son inlassable effort pour joindre et opposer les trois couleurs primaires. Quant aux observateurs que séduisent son incessant retour sur le chantier, ils éprouvent la plus grande peine à formuler une opinion puisque ils ne peuvent ni s’étendre sur la relation entre le thème et la manière, ni se rattraper sur la structure, relativement fixe, ni, comme ils le feraient avec quelque « action painting » s’attacher au geste de l’artiste, ni même s’extasier sur les nuances du coloris.
25Un de ses amis, Ben Nicholson, disait de Mondrian qu’il savait obtenir « le blanc le plus blanc » qu’on soit capable d’imaginer. La remarque n’est pas une mauvaise plaisanterie. Il est évident que le blanc ne connaît aucune nuance et que « plus blanc » est un slogan de lessive. Mais qui oserait prétendre qu’il parvient à identifier « le » blanc ? Dans le spectre pourtant bien mince auquel notre œil est sensible, les nuances sont infinies13, et nous pouvons tous, avec une palette réduite, en mettre au jour un grand nombre. Le peintre n’invente rien, il se borne à utiliser le reflet de la lumière sur une matière mais, par là même, il révèle ce qui demeurait caché. Mondrian partait de ce fait très simple, il n’offrait à son public que du bleu, du rouge et du jaune et pourtant chaque combinaison était un dévoilement.
26Notre œil a été dressé, depuis l’enfance, à ne saisir journellement qu’une gamme étroite de couleurs. Réduites à une nomenclature élémentaire (toutes les feuilles, toutes les plantes sont dites uniformément « vertes » alors quelles proposent une extraordinaire variété de nuances) les teintes naturelles sont noyées dans les teintes qu’impose l’industrie. Les marchands de pellicule vantent les « couleurs naturelles » de leurs clichés. Leur publicité est mensongère, non seulement parce que la palette photographique est très pauvre mais surtout parce que les couleurs dont nous pouvons faire usage, qu’elles soient extraites de plantes par échauffement et condensation ou reconstituées chimiquement, sont amorphes, immobiles, et ne rejoignent jamais celles des plantes ou des animaux, êtres vivants dont les teintes ne cessent de se modifier au rythme de leur respiration. L’art, quand il feint de reproduire, crée, en fait, une distance. Confrontant ses bleus à ceux du ciel, ses verts à ceux des arbres, il oblige le spectateur attentif à reconnaître, ou à deviner ce qui sépare les uns des autres. Ainsi la peinture, qu’elle soit ou non abstraite, ne cesse-t-elle d’inventer, en marge des schémas qui règlent notre vie quotidienne. Nous nous servons ordinairement d’une échelle des rouges ou des bleus qu’une visite à Mondrian rend inopérante puisque le peintre nous offre des teintes voisines et cependant éloignées de celles qui nous sont familières. L’un des plaisirs qu’éprouve l’œil sensible lui vient de cet écart et de cette indécision, il croit identifier la couleur qu’il voit mais elle n’est pas exactement celle qu’il connaissait déjà.
27Au terme de sa recherche, le peintre trouve une teinte d’ordinaire inaperçue et subtilement distincte de celles que chacun rencontre tous les jours. Sur une toile neutre, il fait surgir un jeu de teintes imprévu. Et parfois, séduit par sa découverte, il l’introduit systématiquement dans ses œuvres, leur donnant ainsi un caractère plus personnel. Ne retrouve-ton pas, à ce stade, la distinction que nous avions esquissée à propos des graphismes de Richard Sera entre les formes concrètes et la forme caractéristique d’un artiste particulier ? J’hésiterais beaucoup à établir une telle équation pour des raisons qu’on estimera peut-être insuffisamment fondées. J’admets en tout cas le caractère discutable des propositions que je vais maintenant avancer. Un « monocolore » peut atteindre une grande subtilité d’élaboration, révéler une nuance fragile, improbable, presque inconnue, et c’est même ce qui fait que certaines œuvres, assez rares, ne sont pas de vulgaires barbouillages monochromes. Mais, confrontés à une teinte unique et uniforme ne la rapprocherons-nous pas, machinalement, d’une couleur familière à laquelle nous savons quel nom donner ? La réaction de surprise, et le plaisir qu’elle entraîne, ne se déclenchent pas automatiquement, l’œuvre doit les provoquer en bousculant les réflexes perceptifs. Il est frappant de voir comme on succombe facilement, devant un tableau non figuratif, à la tentation de deviner, de croire reconnaître des éléments de figuration et comme on déclare vite d’un monocolore qu’il est rose ou vert. Pour que les teintes utilisées par l’artiste se détachent comme forme il leur faut s’enlever sur un fond. Or le monocolore ne se mesure à rien. On m’objectera peut-être qu’en attribuant aux couleurs le pouvoir de diviser en plans distincts une surface à deux dimensions, comme j’ai tenté de le faire plus haut, je me suis dès le départ interdit de prendre les teintes en compte séparément et chacune pour leur valeur propre, ce qui m’empêcherait, maintenant, de les percevoir comme formes éventuellement autonomes. Cela n’est pas exclu, il n’y a guère de certitude en ce domaine. Je nuance donc ce que j’ai d’abord avancé tout à l’heure : il me semble beaucoup plus malaisé d’identifier une forme dans une couleur isolée que dans un simple trait, un trait unique barrant une feuille blanche.
28Une quinzaine, au mieux une vingtaine de teintes fonctionnent, pour nous, comme des signaux, elles nous sont tellement familières que nous les percevons non pas comme couleurs mais comme indices marquant un objet, une automobile par exemple, ou un vêtement. Toutes les autres couleurs, qu’il n’est pas question de compter puisqu’elles sont, pour beaucoup d’entre elles, à inventer, ne s’imposent à nous, ne nous apparaissent comme autant de données neuves dont nous reconnaissons l’originalité que si elles nous sont proposées comme formes. Matisse n’a pas composé un rouge pour La Desserte rouge, il a cherché une nuance entre le pourpre et le magenta. Les verts du coin supérieur gauche établiraient un banal rapport de complémentarité avec un rouge tirant sur l’orangé mais pas avec ce pourpre particulier que les légères touches de bleu orientent du côté du violet. Cette couleur, forte, unie, échappe à notre prise et quel que soit le terme dont nous nous servions pour essayer de la définir, nous sentons qu’il est inadéquat. Bien plus, la confrontation au vert nous oblige à reconnaître l’originalité d’une teinte qui n’appartient pas à notre répertoire coloré, que peut-être nous n’avions même jamais remarquée.
29Une telle couleur qui ne nous « dit » rien, ne nous rappelle rien, est une pure forme, nous ne savons pas l’expliquer, elle ne soulève en nous que des impressions. Certains peuvent lui rattacher des souvenirs, l’investir de projets ou de désirs mais des démarches de cet ordre sont purement subjectives, elles parlent de celui qui les énonce, non de la couleur. La forme colorée, forme muette, serait ainsi perçue de manière affective, elle éveillerait avant tout la sensibilité.
Sous toutes formes
30La forme colorée ne se prête à aucune interprétation et, par là même, elle oblige à dépasser le partage traditionnel entre fond et forme. Mais pourquoi partir des couleurs pour mettre en cause cette opposition classique ? Pourquoi ne pas se fonder, simplement, sur le dessin ? Nous avons parlé des formes de Richard Sera, grands balayages en noir sur des feuilles blanches. Leur tracé est tellement implacable qu’il ne prête à aucune illusion de figuration, ces formes ne sont bien que des formes sans contenu et si elles attirent, éventuellement, l’attention du visiteur, c’est précisément pour cette raison. L’abstraction n’est-elle pas déjà négation de l’idée de « fond » ? Je ne le crois pas, à cause de deux différences importantes entre formes abstraites et formes colorées. Les premières, tout d’abord, se définissent en partie négativement, par ce qu’elles refusent : elles se soustraient à la figuration, elles ne prétendent pas représenter ; les formes colorées n’ont, en revanche, rien à refuser, elles n’ont en aucun cas vocation à représenter. Et il faut aller plus loin : est-on en droit d’affirmer que l’abstraction n’a pas de contenu ? Nous parvenons très bien à décrire, en détail, une œuvre abstraite. Si nous n’arrivons pas à référer les traits que nous percevons à des objets mondains nous savons y découvrir des itinéraires et une certaine logique. En revanche nous ne décrivons pas une couleur, nous réussissons, au mieux, à la nommer approximativement.
31Simples auxiliaires si on les considère du point de vue de la figuration qu’elles précisent et soutiennent (sur beaucoup de toiles l’herbe est verte, le ciel bleu), les couleurs, dès lors qu’on les envisage de manière autonome, deviennent formes, et formes sans référent, formes libres. Elles sont formes d’abord par leur originalité, par ce qui les distingue des teintes standard qu’impose la vie quotidienne. Elles sont formes encore par le rapport qu’elles entretiennent entre elles, par la distance, non spatialisée, que crée leur juxtaposition. Que l’œuvre ait ou n’ait pas de sujet, les teintes ont vocation à être reçues comme purs étalages de pigments, indépendamment de toute représentation et de tout renvoi au monde concret. Ainsi, prises isolément, les couleurs ne seraient que des formes et c’est ce que tentent de démontrer les auteurs de monocolores.
32Il est rare, pourtant, qu’une couleur isolée parvienne à s’imposer et qu’elle ne soit pas confondue soit avec des teintes proches soit avec l’objet, planche ou toile, qui lui sert de support. Les couleurs se définissent relationnellement, souvent par rapport aux figures qu’elles enjolivent mais aussi par contraste avec d’autres couleurs, elles sont, en elles-mêmes, des formes indécises dont l’œil ignore facilement l’originalité. Si elles permettent de dépasser l’idée de contenu, inutile en ce qui les concerne, elles sont trop flottantes, trop malaisées à saisir pour donner une base à l’idée de forme. C’est par là, peut-être, qu’elles aident à poser autrement la question de la forme. Un abord immédiat, quasi intuitif, de la couleur semble extrêmement improbable, l’œil a besoin de points d’appui, d’un dessin, d’autres couleurs, pour prendre garde à l’originalité d’une teinte. Chaque couleur serait bien une forme en soi, une forme indépendante mais elle demeurerait indistincte si elle était isolée. Ne peut-on pas risquer un parallèle avec les formes qui prétendent signifier ? Un ensemble de traits n’est considéré comme dessin que s’il est mis en rapport avec une manière (c’est un dessin de Matisse, de Sera…) ou avec un contenu. Si l’on se ralliait à cette suggestion, on confirmerait ainsi que l’opposition contenu/forme n’a pas de sens puisque les formes signifiantes se définiraient dans leur relation au contenu, puisqu’il serait en somme impossible de définir une forme hors d’un rapport au contenu et un contenu hors du rapport à la forme.
33La couleur nous amènerait ainsi à émettre un certain nombre d’hypothèses sur la notion de forme. La couleur, nous l’avons vu, peut être envisagée selon différentes acceptions du mot forme, par exemple comme forme complémentaire, modifiant, sans l’annuler, une forme graphique préexistante, ou au contraire comme forme en soi, comme tache colorée associée à d’autres taches. Il y aurait alors non seulement plusieurs types de formes mais également différentes mises en relation de ces formes dépendant du point de vue adopté par l’observateur. Aucune forme, cependant, ne s’imposerait de façon directe et évidente, elle apparaîtrait seulement dans un rapport à d’autres éléments formels ou non. Et si tel était bien le cas, la tâche de l’analyste ne serait pas de définir des formes mais de mettre en évidence l’agencement nécessaire pour que ces formes deviennent perceptibles.
Notes de bas de page
1 Je me réfère aux œuvres de Richard Sera conservées par le musée de Santiago de Compostelle.
2 Les termes du conflit sont présentés par Jacqueline Lichtenstein, La Couleur éloquente. Rhétorique et peinture à l’âge classique (Flammarion, Paris, 1989) ; Jacques Aumont en montre les prolongements jusqu’au XXe siècle, Introduction à la couleur : des discours aux images (A. Colin, Paris, 1994) p. 120-128.
3 Album, 1870, Musée du Louvre, Legs Moreau-Nélaton.
4 Aussi bien la fable qui m’a servi de point de départ n’a-t-elle pas de symétrique. Une collection comme le legs Johannes Rump (Copenhague) où Matisse n’est représenté que par des tableaux ne laisse aucun doute sur le fait qu’il était coloriste et dessinateur.
5 1er avril 1875.
6 Rappelons que ce procédé consiste à piqueter de trous réguliers une surface métallique, ce qui assure une répartition homogène et dense de l’encre. En lissant certaines parties, c’est-à-dire en atténuant la différence entre creux et bosses, on obtient toutes les nuances de gris désirables.
7 « Sous ma lance jaillira ton sang noir » (Illiade, I, 303) ; « Ils vont à travers le carnage, au milieu du sang noir » (Illiade, X, 297).
8 Sur le portrait peint par Van Eyck, un chapeau, un pourpoint, des bas et des chaussures noirs proclament la richesse de Giovanni Arnolfini car il fallait alors beaucoup d’argent pour obtenir une teinture aussi parfaite. Mais quand M. de Rênal engage Julien Sorel, il lui fait faire un habit noir, pour marquer sa condition subalterne et le jeune homme doit s’imposer dans la demeure du maître puis conquérir Mme de Rênal avant d’obtenir un vêtement bleu. En choisissant pour le seul costume qu’ils achèteraient jamais une teinte convenant aux mariages comme aux enterrements, les pauvres, au XIXe siècle, avaient fait du noir un symbole de deuil et de modestie. Voir John Harvey, Men in Black (Reaktion, New York, 1995).
9 Alexander Theroux, The Primary Colours (Picador, Londres, 1995).
10 1908, musée de Saint-Petersbourg. Le tableau est parfois intitulé La Chambre rouge ou Harmonie en rouge.
11 Je pense aux toiles conservées au Statens Museum de Copenhague, en particulier à Sans titre.
12 1887, Museum of Modern Art, New York.
13 On dit parfois que l’œil humain, s’il s’est exercé, distingue jusqu’à un million de nuances colorées. Le « million » est évidemment un nombre emblématique qui signifie simplement beaucoup.
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