Chapitre V. La mécanique des images : l’assemblage expérimental
Les Vacances du cinéaste (Johan Van der Keuken, 1974)
p. 111-142
Texte intégral
1Voici à présent le dernier volet de cet essai, soit l’étude approfondie d’un ensemble visuel, au sein duquel la rencontre entre film et photo va prendre l’aspect d’une alliance progressive ou d’une symbiose subtile. On trouve ici quelque chose comme une étroite imbrication ou un vrai rapport de complicité et de complémentarité entre les images – entre leurs logiques, surtout. L’entrelacs filmo-photographique s’effectue donc sans heurt, sans soubresaut et témoigne, du moins à première vue, d’une incorporation réussie des photos : de façon générale, celles-ci semblent autant de petits îlots bien assimilés, autant de fragments surnageant en surface de la représentation ou bien, c’est selon, remontant à intervalles plus ou moins réguliers depuis son fond vers sa surface. (Je signale, mais cela devrait bientôt s’élucider, que ce lexique aquatique est rien moins que volontaire…) Curieuse forme d’hétérogénéité, en réalité, qui ne donne apparemment lieu à aucun conflit plastique. Pourtant, l’ensemble visuel fait peu à peu surgir, et grandir, une dissemblance profonde entre film et photographie. Cette dissemblance procède de la double économie de l’empreinte dont je parlais en introduction – l’image photographique reste chevillée à son référent, quand l’image filmique semble capable de déliaison partielle – et, surtout, elle donne lieu à un travail singulier autour de la mémoire…
2Dans un premier temps, ce qui m’aura troublée tient à la très (ou trop) grande malléabilité de la présence photographique au sein du film. Ainsi que je l’ai suggéré, la photo s’offre ici comme un élément éminemment mobile, souple, qui peut se placer partout, advenir à n’importe quel moment, et de multiples façons par surcroît. En d’autres termes, l’opus de Johan Van der Keuken entremêle ses composantes filmiques et photographiques avec une très grande dextérité, mais de telle sorte que le jeu de leur relation se dérobe, résiste, bref, fait barrage à l’entreprise analytique : parce qu’elle se donne a priori comme un événement non problématique, parce qu’elle semble infiniment possible mais à maints égards instable, changeante, l’intrication entre film et photo(s) reste profondément déconcertante. On le vérifiera tout au long de ce chapitre, chaque occurrence photographique semble redéfinir complètement la relation, à tout le moins lui donner une orientation nouvelle, la moduler, l’étendre, la reprendre. En somme, Les Vacances du Cinéaste nous place face à un cas de figure singulier : la relation entre film et photo consiste surtout en une déclinaison d’essais, autant dire en une série ouverte de propositions concernant leurs modalités d’articulation. En conséquence de quoi, on ne trouvera pas d’unification manifeste de la relation sous un seul et même principe régulateur, mais des combinaisons diverses et des tentatives renouvelées. À l’évidence, et bien plus intensément qu’ailleurs, cette relation ne se laissera approcher qu’au coup par coup, au gré de chacun ses recommencements, de chacune de ses reprises ou de ses bifurcations. Quelles possibilités, alors, pour la confluence ?
1. La relation entre film et photographie : une série d’expériences
Il s’agit toujours de déstabiliser la façon dont on voit les choses, afin de pouvoir atteindre, ne serait-ce qu’un instant, l’expérience […] Il y a l’expérience immédiate de chaque image (il faudrait dire de chaque image-son), l’expérience de chaque transition entre deux images, et la formation de petites séries, de groupements, d’amalgames1.
3À cela, il faut simplement ajouter qu’il y a aussi l’expérience de chaque rencontre entre film et photo : il y a cette espèce d’aventure imprévisible dont témoigne chaque passage ou chaque traversée vers l’image autre.
Le prologue, le protocole
4La première occurrence photographique se situe quelque peu en amont du film, puisqu’un prologue exclusivement composé à partir de telles images intervient juste avant le générique (réduit, pour la circonstance, au strict minimum). Dix plans fixes se succèdent, tandis que la voix de Van der Keuken se charge de retracer la genèse de son rapport à l’image, d’expliciter la très hypothétique origine de ses images. Le souvenir des vacances au contact de ce grand-père passionné de photographie (de socialisme tout autant), les promenades à bicyclette et le retour sur les mêmes lieux, les mêmes endroits inlassablement photographiés, tout cela formera en définitive la trame, ou encore l’assise de l’ensemble visuel. Dix plans s’inscrivent, certes, mais façonnés sur la base de cinq instantanés différents seulement, des instantanés qui sont repris et agencés de telle sorte que ces plans vont fonctionner deux à deux. Par trois fois, l’ensemble visuel expose une première photo, qu’il s’attache immédiatement à redécouper : il y aura ainsi un portrait du grand-père, puis un autoportrait du cinéaste-photographe lui-même, puis un paysage hollandais, chacun d’entre eux présenté d’abord dans son entier, avant qu’un recadrage en sélectionne plus particulièrement une partie (laquelle partie se colore parfois d’une teinte verdâtre). La quatrième paire d’images n’associe plus un Tout à l’un de ses fragments, mais rapporte deux détails l’un à l’autre – le premier déjà entrevu, mais avec un cadrage légèrement moins serré, le second inédit – en occultant le Tout sur lequel ils sont pris. Ce Tout absent, nous l’avons aperçu un peu auparavant et conservé en mémoire : il s’agit de la photo qui inaugure la série, soit le portrait du grand-père. Enfin, le dernier couple d’images se compose de deux nouveaux portraits qui, cette fois, se répondent ou se font clairement écho : deux images quasiment jumelles – même endroit, même pose, même cadrage et même léger décentrement du motif principal, même moment aussi, selon toute probabilité – dans lesquelles seule la personne varie, le grand-père et le cinéaste se faisant tour à tour artistes et modèles. Un Tout se fait le miroir d’un autre Tout, presque semblable, et le fondu qui efface le visage du petit-fils pour lui substituer celui de son aïeul esquisse quelque chose comme une passation : d’une chair à l’autre quelque chose circule ou transite, et ce quelque chose – la voix off y insiste encore : « il prit cette photo de moi et, contre la même palissade, j’ai pris cette photo de lui » – n’est rien moins que le virus de la photographie.
5Ce prologue comporte un aspect programmatique fondamental, dans la mesure où il pose les fondements d’une conception de l’acte photographique, et plus largement d’un « faire-image » qui trouve, là, son ancrage. Or, cette poétique, l’ensemble visuel ne cessera plus de la divulguer, de la retravailler et de l’approfondir. Pour cela, je me contente d’en annoncer rapidement les propositions centrales. Avant toute chose, l’image est une vaste affaire de transmission et cette transmission en passe par des corps – des corps conducteurs de mémoire, pour ainsi dire. L’élaboration de l’image procède ici d’un rapport au vivant et au milieu spécifique quoique difficile à qualifier, d’un imaginaire qui vagabonde entre un corps et un autre (en l’occurrence, entre un grand-père et son petit-fils), procède, en somme, de la diffusion d’un ensemble de postures décisives. Tout cela énonce quelque chose des conditions d’apparition ou de formation de l’image : pour le dire vite, aucune toile, aucune surface d’impression n’est jamais vierge, dans la mesure où l’image à venir se trouve lestée de configurations perceptives antérieures, dans ce cas patiemment communiquées, et sans doute à léguer encore, plus tard. Du laboratoire de l’image, comme d’une chaîne qui commerce entre les corps et au long de laquelle se distribuent les germes de la mémoire. On comprend que la photographie du grand-père du cinéaste soit, bien plus qu’un visage dont l’expression s’écrase, figée, sur un simple instantané (et quand bien même plusieurs), la relique d’un rapport : ce qui reste et témoigne d’une compréhension et d’une pratique de l’image primordiales. Très certainement, la transmission poétique dépasse le problème de la filiation au sens strict, quoique celui-ci m’apparaisse, d’entrée de jeu, d’une importance cruciale : il y a, bien sûr, le grand-père en figure matricielle – au sens technique du terme : le grand-père est le moule – puisque la pratique photographique de Van der Keuken semble se déduire directement de son contact ; il y aura, un peu plus tard et sans discontinuer, les enfants en figurants de prédilection, en chair privilégiée à filmer et à photographier, en pâte à modeler ; il y a enfin le père, sorte de chaînon manquant durant le prologue, dont l’absence à l’image ne sera d’ailleurs pas démentie et à qui le film est néanmoins dédié.
6Ensuite, seconde remarque, ce prologue photographique pose la question essentielle d’une approche ou plutôt d’un rapport spécifique établi envers le lieu, depuis le sol, le territoire et sa géographie, jusqu’au milieu social, politique et culturel. Faire l’expérience d’un lieu au moyen de l’image, cela voudra dire le parcourir, l’arpenter, bien sûr, mais aussi en façonner la représentation, le sculpter ou le remodeler à volonté – et voici probablement, j’y reviens un peu plus loin, l’un des enjeux majeurs de cet ensemble visuel. Enfin, troisièmement, l’image (toujours telle que ce prologue l’envisage) se prête à toutes sortes de découpes, vouée à la fragmentation, à l’association, à la répétition et au remodelage ; en bref, elle n’a rien d’une entité isolée, close sur sa complétude, puisqu’elle paraît malléable à loisir. Cette image que l’histoire aura définie en tout premier lieu selon sa reproductibilité est aussi, et de façon complémentaire, un instrument de haute variabilité. En conséquence, elle pourra toujours être reprise, transformée et, somme toute, régulièrement mise à l’essai. De là dérive sans doute, entre autres exemples, tout ce travail de confrontation entre l’image et ses détails, ou encore celui qui s’attachera à inventer les diverses manières selon lesquelles une image peut resurgir, réapparaître ici ou là dans l’ensemble visuel, chaque fois différente parce qu’autrement raccordée. Ces trois principes définissent comme suit le protocole expérimental : l’expérience filmo-photographique va concerner, interroger et questionner tout à la fois la mémoire d’un échange ou d’un rapport entre (et au travers) des corps, l’épreuve du lieu, enfin la plasticité féconde de l’image.
Première expérience : le corps dans l’espace. Reprise d’un problème figuratif : lézarder
7Immédiatement après le générique, un premier bloc d’images filmiques expose l’arrivée des vacanciers sur le lieu (un village du sud de la France), puis s’attache à décrire celui-ci, morceau par morceau, mais sans pour autant en entreprendre la synthèse et en faisant alterner le dehors et le dedans : un pan de mur, un bout de toit, une embrasure, un escalier, un rebord de fenêtre à l’intérieur de la maison des vacances, un lopin de terre faiblement meublé par diverses épaves et des affiches lacérées, etc. Après cette énumération fragmentaire, une seconde séquence s’occupera d’ajouter, à la description hachée du lieu, l’inscription d’un premier échange entre les nouveaux arrivants et les habitants du village. Entre ces deux blocs d’images en mouvement, une photographie, une seule, survient. Comment survient-elle ? Doucement, étroitement prise dans la continuité insufflée par la musique de Ben Webster. Surtout, un peu auparavant, quelques plans focalisés sur une vieille femme assise en train de coudre avaient anticipé sur les passages (à venir) de la couleur au noir et blanc : filmée en contre-jour la vieille dame se trouve décolorée, l’image est réduite au plus simple des contrastes et un léger recadrage se charge d’éliminer une dernière touche de vert qui subsistait dans la partie supérieure de l’image. En sorte que l’on ne trouve, en fin de compte, aucune trace d’effraction photographique, mais une apparition soigneusement préparée et négociée.
8Portrait en pied de deux des principaux protagonistes du film (M. et Mme Bacabe, les villageois que l’on retrouve dans la seconde séquence), la photo assume le passage ou la transition entre les blocs filmiques, fait office de charnière, articule. Elle s’intercale pour conduire la liaison, donc, mais elle annonce aussi, tant elle s’offre rétrospectivement comme une espèce d’emblème synthétique, comme un petit condensé que le second bloc filmique aura a charge de déplier, de creuser, d’expliciter et dont, en résumé, il consolidera le travail figuratif. L’instantané est ainsi composé qu’il exhibe une séparation nette entre ses modèles : une demi diagonale passe entre leurs corps, les disjoint, et la ligne de démarcation se renforce d’une opposition chromatique (plage claire contre plage sombre) entre les deux zones délimitées. La tête du vieil homme se profile sur un fond d’encre, une obscurité monochrome dont son corps, ratatiné et tout de noir vêtu, semble être un prolongement direct, ou mieux, une excroissance inquiétante. Inversement, sa femme, dont la stature est droite et le visage souriant, ouvert, s’inscrit fermement sur un dégradé de gris. Un corps se détache nettement d’un fond, cependant qu’un autre s’y engloutit. Le bloc filmique qui s’ensuit va rejouer et affirmer davantage encore la ségrégation mise en place par (et dans) la photographie, mais de façon tout à fait différente, et plus précisément par l’intermédiaire d’un morcellement de l’espace qui isolera définitivement le petit vieux du groupe formé par sa femme et la compagne du cinéaste et leur petit garçon (Nosh et Teun Van der Keuken).
9Qu’est-ce qui s’expérimente, ici ? Comment se joue, à cet endroit, la relation entre film et photo ? Un même problème de figuration – comment désolidariser, disjoindre des corps placés dans une même représentation et, en conséquence, comment rendre visible l’inégalité de ces corps dès lors qu’ils prennent place dans un espace défini ? – est formulé une première fois par la photographie, puis repris et exposé différemment par le film. Deux déclinaisons pour un seul et unique problème, et précisément l’un de ceux que l’on a vu émerger dès le prologue : cette question, très vaste, d’un rapport des corps entre eux, ainsi que de ces mêmes corps avec leurs lieux. Côté photographie, la formulation en passe par la valeur séparatrice d’une ligne, le contraste entre des valeurs claires et obscures, et l’opposition entre les volumes formés par les corps (on pourrait parler, à ce propos, de volume fort et de volume faible pour qualifier le mode d’apparition du corps sur son fond, sa plus ou moins grande capacité d’affirmation). Côté film, la coupure se traduit également en terme de composition plastique, mais bien sûr les procédures diffèrent et, surtout, la contiguïté spatiale effective entre les figurants se trouve plus complètement détruite : le cadrage, le travail de découpage des corps d’abord, ensuite le montage, s’exercent manifestement à exclure ou à expulser le vieil homme des plans qui cimentent le groupe.
10Je voudrais encore souligner combien ledit bloc filmique étoffe et dialectise cette ségrégation. Il l’étoffe ou l’amplifie, parce que la silhouette isolée est seule contre plusieurs, non plus simplement séparée d’une autre, et qu’elle apparaît alternativement, par intermittence : la ségrégation spatiale est temporalisée. Il la dialectise, parce qu’il introduit une sorte de contremouvement dans le procès même qui façonne ce clivage, en la matière un don : le jeune Teun ramasse des cailloux qu’il vient placer dans la main du petit vieux pétrifié, dont il rompt alors momentanément l’isolement. Sans doute peut-on y voir l’une des occurrences de cette « syntaxe du corps » évoquée par le cinéaste dans l’un de ses textes2 : un peu comme on entre dans une cage, le petit garçon se décale pour se glisser dans le cadre qui enferme le vieil homme jusqu’à le toucher du bout des doigts, faisant ainsi raccord entre des zones ou des plages spatiales qui ont été, au préalable, très soigneusement dissociées. Finalement, le problème soulevé par (et dans) la photographie trouve à s’expliciter dès lors que le bloc filmique le ressaisit et le reformule : la discrimination opère entre un corps « sain » et un corps diminué par la maladie – privé de mobilité, privé de parole, comme le dialogue le précise – et le corps malade investit visiblement l’espace d’une tout autre façon, il ne peut s’y instituer ou s’y déployer fermement. Au corps sur le déclin, correspond un espace restreint, capable d’enfermement comme d’exclusion. Un ghetto très ordinaire. Au terme de cette première expérience filmo-photographique, je formule une conclusion toute provisoire : l’ensemble visuel travaille d’abord au niveau du rapport entre le corps et l’espace et, justement, l’espace est variable pour chacun des corps qui le peuplent. Qu’expérimente, à ce stade, l’ensemble visuel ? Prioritairement : la fissure – simple motif photographique, que le film convertit en choix de cadrage et de montage. Lézarder, ébrécher, entailler la (pseudo) homogénéité ou uniformité de l’espace.
Deuxième expérience (1) : Inégalité des images face à la mémoire. Déboîter, embrayer
11La seconde expérience ne repose plus sur l’insertion d’un unique instantané photographique entre deux blocs d’images filmiques, mais tente plutôt de mettre en place une logique d’articulation entre film et photo – au départ, sous la forme d’une alternance franchement systématisée. Cette seconde expérience se déroule en plusieurs temps, à partir de trois blocs filmo-photographiques distincts : le premier est consacré au statut des images relativement au souvenir, le second, à l’évocation plus particulière d’un poète proche du cinéaste (Remco Campert), le troisième, à la naissance de son plus jeune fils. Ces trois séquences constituent autant de réflexions sur l’image et la mémoire, et elles ne peuvent être évaluées indépendamment les unes des autres, tant elles semblent se prolonger mutuellement, s’enrichir, se compléter. Voici tout d’abord, en ouverture de la première séquence, au moment même où deux nouvelles photographies apparaissent3, un constat très net (trop net même), formulé en voix-off par le cinéaste : « La photo est un souvenir. Je me souviens de ce que je vois maintenant. Mais le film ne se souvient de rien. Le film se déroule toujours maintenant. » Après l’inégalité des corps au sein d’un espace présenté comme non homogène, voilà que s’annonce l’inégalité des images au regard de la mémoire – et l’on verra, dans un instant, comment cela débouche sur une autre forme d’hétérogénéité de l’espace. Ce que la parole du cinéaste pointe, très précisément, c’est la dissociation entre deux régimes d’intellection ou d’appréhension de l’image. Là où, apparemment, l’œuvre filmique est comprise à titre de « perpétuel maintenant », là où son déroulement (re)déplie spontanément toute la fraîcheur et toute la vigueur d’une présence apparaissante et renouvelable, la photo est pour sa part frappée d’antériorité, irrémédiablement attachée au passé (récent ou non, peu importe) de sa prise. Quand bien même elle serait refilmée, la photographie s’offre au titre « d’image-déposition », toujours poinçonnée par un temps perdu. Opposition très classique entre film et photo – on pense à Bazin écrivant, dans son célèbre « Mort tous les après midi » : « art du temps, le cinéma a le privilège exorbitant de le répéter » –, à laquelle la séquence adjoint un double réseau de motifs, autant de paradigmes déclinés logiquement qui acquièrent, je crois, valeur d’illustration. Côté photographie(s) : la pierre (l’escalier, le puits), la stase (les jambes de Nosh, posant debout sur cet escalier), la trace pérenne (sur un muret, l’inscription : « Non à l’armée ! »), la présence immobile de la chose déposée (la caméra abandonnée dans l’herbe, comme un vestige). Côté film : la chair (les cuisses nues et bronzées), l’élément liquide (le lavage des cheveux ; le flacon d’huile solaire, à moitié plein ou à moitié vide, sablier insolite qui figure l’écoulement du temps), la mobilité (la course du petit garçon), l’évolution graduelle de la lumière (le hangar, tout à coup inondé). La première série de motifs dépeint l’acte photographique comme un geste associé à la pétrification – considère l’image photographique sous l’angle du reste et du dépôt –, quand la seconde rend compte de l’acte filmique comme d’une aventure entre le corps, la fluctuation et l’ébranlement. À quoi il faut encore ajouter ceci que, dans la mesure où la photographie est partie prenante du ruban filmique – dans la mesure où elle n’advient pas ailleurs qu’au sein de ce ruban –, elle constitue un élément qui estampille l’écoulement temporel du film, apposant le sceau de l’autrefois sur le flux du maintenant.
12Lorsque, dans ce premier moment de l’expérience, l’ensemble visuel fait alterner série d’instantanés et série d’images en mouvement sous la forme d’une partition élémentaire (au double sens du terme), il institue rien moins qu’une sorte de battement, de pulsation et de glissement, entre la possibilité du souvenir et sa perte, son flux et son reflux. En conséquence, le régime des apparitions-disparitions photographiques fonde, puis règle, tout un jeu d’aller et retour au sein de l’espace du souvenir. Zone ou espace mémoriel, in and out. La première vague d’expérimentation « filmo-photographique » consistait, on se le rappelle, à lézarder l’espace, à y créer une brèche. Désormais, la question primordiale n’est plus tout à fait celle d’une fissure ou d’une lézarde, mais celle d’un dédoublement ou plutôt d’un véritable déboîtement spatial. Après la fêlure, la dislocation, et il s’agit d’embrayer d’un espace vers un autre, qualitativement fort différent – mais il vaudrait mieux dire « d’une dimension de l’espace vers une autre ». En fait, à tenter de formuler ce qui advient avec plus d’exactitude, je crois que l’ensemble visuel entreprend de juxtaposer (pour l’instant, à titre comparatif) les morceaux de ce que je nommerai, faute de mieux, un espace de réminiscence et un espace de perception. Si le premier est a priori pris en charge par la photo, et le second par le film, je ne voudrais surtout pas les opposer trop radicalement dans la mesure où l’ensemble visuel s’emploie, par la suite, à les faire s’interpénétrer. Bientôt, en effet, Les Vacances du cinéaste vont nous acheminer jusqu’à ce point où ils se recouvrent et se découvrent l’un l’autre, en sorte qu’ils se doublent mutuellement, sans se confondre tout à fait, selon un rapport que l’on pourrait dire d’empiétement réciproque. De cette façon, l’espace de nos perceptions apparaîtra tapissé de l’étoffe de nos réminiscences, sa palpitante membrane – et il ne cessera plus, au fond, d’appeler, en quelque sorte de réclamer ce dérapage plus ou moins contrôlé, ce décollement vers le songe et vers le souvenir.
13Tout cela pourrait faire assez littéralement écho, je le souligne en passant, à ces quelques lignes de Maurice Merleau-Ponty, qui écrivait dans son dernier texte (inachevé) : « Comme le souvenir-écran des psychanalystes, le présent, le visible ne compte tant pour moi, n’a pour moi un prestige absolu qu’à raison de cet immense contenu latent de passé, de futur et d’ailleurs, qu’il annonce et qu’il cache4. » L’ensemble visuel évoque, en outre, la duplicité (au sens littéral), ou mieux, l’espèce de tenaille constitutive du voir : toute la souplesse d’un regard qui sera parfois plutôt engagé dans la contemplation du tangible, d’autres fois davantage focalisé sur les réminiscences – mais, quoi qu’il arrive, la trame est double. Seconde conclusion, provisoire, toujours : l’ensemble visuel travaille entre mémoire et perception, et il se trouve que les images filmiques et photographiques sont, à cet égard, profondément dissemblables, profondément inégales. En les juxtaposant, possibilité est offerte de transiter entre l’espace des choses remémorées et celui des choses perçues. Question de débrayage, donc.
Deuxième expérience (2) : Ré-emboîter, enclaver. L’espace mixte
14Si le début de l’expérience institue un clivage radical entre film et photo (cf. « La photo est un souvenir… mais le film ne se souvient de rien »), l’ensemble visuel va s’attacher ensuite à le problématiser et à le complexifier. Jusqu’à présent, le film et la photographie s’opposaient terme à terme – blocs de photos renvoyées au souvenir contre blocs d’images mouvantes rapportées à l’actualité de la perception – mais ils vont dorénavant former plus rigoureusement un entrelacs. C’est qu’il faudra compter, désormais, avec un troisième groupe d’éléments, tout à fait primordial : d’autres images en mouvement que leur origine singularise et, en la circonstance, de courts fragments tirés de quelques-uns des films réalisés auparavant par Van der Keuken. Tout un passé de cinéma (et de cinéaste) trouve ainsi à se reloger au sein même de l’actuel ensemble visuel, littéralement truffé de ces citations fragmentaires. Les Vacances du cinéaste va dès lors incorporer régulièrement des extraits de la production antérieure du cinéaste et façonner de la sorte de véritables blocs de mémoire vive, chaque ressouvenance en acte procédant d’un très curieux couplage entre ces images filmiques plus anciennes et les indispensables traces photographiques. En conséquence, l’opposition entre images filmiques et photographiques sur le terrain de la mémoire tombe : maintenant, c’est du métissage que procèdent les blocs de souvenir. Encore faut-il spécifier que, si l’ensemble visuel s’était d’abord préoccupé de scinder le tissu spatial, et de poser une distinction nette entre le niveau des choses « actuellement perçues » ou celui des choses « simplement remémorées », il s’efforce par la suite de replier ou de rabattre l’une sur l’autre les couches si soigneusement discernées, procédant alors à une troublante refonte. On voit que ce qui permet de problématiser et de nuancer un partage bien trop catégorique, c’est à la fois l’apparition d’images en mouvement capables de se souvenir (moyennant une franche complicité établie avec les images fixes), et l’empiétement fréquent des blocs en présence. L’espace aura successivement fait l’objet de fêlures, de déboîtements ou de dédoublements, et voici maintenant qu’il semble se réunifier, mais singulièrement métissé. Mixte de réminiscences et de perceptions, apte à encastrer les premières dans les secondes – ou bien est-ce, inversement, la perception qui fuit et s’engouffre dans le souvenir, comme aspirée par lui ? – le tissu spatial qui se reforme, ce feuilleté, gagne indéniablement en densité.
15Les deuxième et troisième mouvements de l’expérience se consacrent ainsi à reconsidérer le clivage évoqué précédemment, afin de bien souligner à quel point ce qui importe n’est ni le seul souvenir, ni la seule perception, mais la troublante imbrication entre l’ordre des perceptions et celui des réminiscences. Deux cas de figure se présentent successivement, deux occasions d’entrelacer les divers brins filmiques et les brins photographiques. La première vise à montrer comment un souvenir ancien vient faire interférence, proposer son « ailleurs » et son « avant » en contrepoint ou en complément de l’ici et maintenant de la perception, jusqu’à la supplanter provisoirement, à tout le moins la suspendre. La séquence consacrée à Remco Campert décrit ainsi l’arrivée du souvenir du poète au sein même de « l’ici et maintenant » des vacances du cinéaste… Comment le souvenir de Remco fait-il irruption dans le présent des Vacances… ? Avec un instantané photographique, bien sûr, mais pas uniquement. Remco advient par l’intermédiaire d’un portrait réalisé à la même période que les deux portraits en miroir qui clôturaient le prologue – prologue auquel la séquence offre d’ailleurs un écho très net puisqu’elle lui emprunte, d’une part, sa tactique de recadrage, cette manière de resserrer l’image autour du visage et, d’autre part, ce procédé de coloration qui baigne uniformément le cliché d’une teinte verdâtre. Mais la photo n’est ici que le point de départ de la réminiscence, son accroche ou son prélude, et voilà pourquoi j’ai parlé de véritables blocs de mémoire vive. Un raccord dans le souvenir5 adjoint, à la simple photographie, quelques plans d’Even Stilte (Un moment de Silence, 1960), l’un des premiers films du cinéaste. Ce film ne montre pas vraiment l’écrivain, à tout le moins, il n’en présente apparemment ni le corps ni le visage ; mais il en présente en revanche l’écriture, par le biais d’un poème récité en voix-off et, surtout, il en rend le timbre de voix, puisque le récitant n’est autre que ledit Remco. On le voit, la photo prend en charge le commencement du ressouvenir, elle en incarne très classiquement le facteur de déclenchement, mais celui-ci s’accroît au moyen de l’extrait de film précité, en sorte que le souvenir débouche sur une sorte de rêverie qui déborde la seule image photographique. La photo ouvre le temps, ouvre le présent, fend l’actualité de la perception et Remco, par le biais de sa voix bien plus que de son visage, se dresse dans l’ensemble visuel au titre d’une présence spectrale (et la question des spectres ne s’arrête pas là, on le verra…).
16Inversement, la séquence qui fait retour sur l’événement qu’aura constitué la venue au monde de Teun débute par quelques plans du film Dagboek (Journal, 1972), et c’est seulement après l’extrait de ce film que la photographie va faire son apparition. Aussi, elle ne fonctionne plus comme impulsion, petit moteur du travail de mémoire (ce qui, à l’évidence, déclenche la remémoration, c’est tout simplement une analogie désignée après coup par le cinéaste : la ressemblance émouvante entre le ventre du petit gros qu’il est en train de filmer et le gros ventre de femme enceinte dont il provient). L’ensemble visuel commence donc, grâce à l’extrait de Dagboek, par effectuer quelque chose comme l’archéologie de Teun mais il en interrompt tout net le progrès, avant même que la naissance proprement dite ne nous soit dévoilée, avant même que l’enfant soit rendu pleinement visible. Seul le ventre bombé de Nosh enceinte est offert au regard, mais le cinéaste supprime le fragment filmique montrant l’arrivée de Teun dans ce monde, escamote sa naissance, pour lui substituer une série de six instantanés de cet enfant (alors âgé d’environ deux ou trois ans) sur le perron de la maison des vacances. Il s’ensuit une sorte d’ellipse dans un ressouvenir inachevé, fugitif, en voie d’extinction, et c’est alors à la photographie qu’incombe la tâche de conclure l’entreprise archéologique et de concrétiser le travail mémoriel : d’exhumer Teun. Là où le « bloc Remco » ancrait le procès de remémoration dans un instantané, relayé ensuite par 124 Entre film et photographie quelques plans de film, le « bloc Teun » inscrit la photographie tout au bout de ce procès, comme une manière de l’entériner ou de le valider. Ce qui importe est que la photographie se situe à l’origine ou au terme d’un travail de mémoire qu’elle n’assume plus seule. À l’issue de cette seconde partie de l’expérience, l’ensemble visuel n’expose plus seulement ses capacités de transit entre film et photo, comme entre réminiscence et perception, mais crée un espace composite : dans le milieu des choses perçues, baignent des choses remémorées. Ou encore, comme en suspension dans le présent des Vacances…, de très vives concrétions de souvenirs font éclat, entremêlant film et photographie.
Troisième expérience : instiller, diffuser. Big Ben ou l’infusion du souvenir dans le lieu
17Infuser. Autrement dit, prendre n’importe quel élément susceptible de dilution – une image, un motif, pourquoi pas –, déposer dans un milieu liquide, chauffer si possible, puis laisser macérer. Observer sans plus attendre le résultat produit, et noter les changements relatifs au milieu. La technique, rudimentaire mais d’une efficacité avérée, résume parfaitement la manière selon laquelle le souvenir de Ben Webster va opérer au sein de l’ensemble visuel, depuis son mode d’apparition jusqu’à son étonnante propagation. Le musicien se présente d’abord comme l’un de ces blocs de mémoire vive évoqués précédemment. Tout comme ceux-ci, en effet, le souvenir se compose à première vue d’un simple instantané photographique, un portrait de Ben resserré sur son visage et fixé près de l’entrée de la maison estivale, auquel vient s’accrocher un extrait du film Big Ben (sorte de second portrait, réalisé en 1967 lors du séjour du saxophoniste à Amsterdam). Cependant, à l’ancienne solidité du bloc de mémoire vive, la nouvelle configuration va immédiatement substituer une friabilité et une fluidité nouvelles. Car ce bloc d’images est doté d’une puissance de dissémination ou d’expansion inédite. Aussi, Ben va se dissoudre lentement sous nos yeux, se fondre dans le lieu, pour apparaître finalement comme une présence complètement diffusée.
18Avant que de considérer plus avant la manière selon laquelle cette opération se déroule, je voudrais revenir un instant sur le commencement de l’expérimentation, en une sorte de regard rétrospectif, afin d’en examiner la cohérence. Outre que la troisième expérience découle très directement de la seconde (il faut que le bloc de mémoire vive soit bel et bien constitué pour pouvoir se propager), je crois qu’elle renvoie aussi à la première, de façon sans doute plus discrète, mais non sans importance. On se souvient comment, dans un premier temps, la représentation s’attachait tout particulièrement à désigner des fissures, à entrouvrir l’espace. Qui ne voit, maintenant, combien ces interstices, ces brèches, contenaient en germe la possibilité d’une infiltration future ? Si la lézarde constitue à coup sûr un signe annonciateur de déchirure (elle anticipe de peu sur le déboîtement de l’espace filmique), elle est aussi bien ce qui permet ou autorise les infiltrations (celles du souvenir).
19Infuser, donc. Ladite opération s’étale au long de cinq séquences qui l’organisent6. Son principal instrument est le montage, et il faudrait ici entendre ce terme selon sa double perspective intra- et interséquentielle. En ce qui concerne le premier niveau, chacune de ces séquences – mais, il est vrai, certaines plus que d’autres – se propose d’associer ou de combiner des formes ou des motifs soigneusement choisis. La tactique relève de l’amalgame, du rassemblement, du rapprochement. En ce qui concerne maintenant le montage dans sa dimension interséquentielle, il se consacre plus explicitement à faire migrer les associations préalablement tressées, à les reconduire de séquence en séquence, souvent irrégulièrement, tout en les faisant varier et, surtout, progresser. Il s’agit alors d’un fait de transport, de dispersion, de diversification. Je tente à présent de détailler tout cela, sans prétendre démêler tout à fait cet écheveau compliqué, habilement ourdi.
20L’expérience débute avec un plan d’eau, juste une rivière qui s’écoule ; à ce plan d’eau, se juxtapose la concrétion de souvenir « Big Ben » décrite ci-dessus, c’est-à-dire l’ensemble défini par l’instantané photographique plus l’extrait du film réalisé quelques sept années auparavant. Il est temps maintenant de spécifier que cet extrait se présente curieusement teinté de bleu – lors même que le film est initialement réalisé en noir et blanc : ce léger affleurement de couleur est entièrement lié au geste de reprise. Littéralement, la première séquence plonge Ben dans l’eau et, lorsque cette séquence s’achève, le visage du musicien se trouve uniformément recouvert, baigné d’une nappe ou d’une étendue bleue. La seconde séquence abandonne Ben pour revenir au présent des Vacances …, non sans lui arracher au passage une touche de bleu, celle-ci venant se déposer sur la casquette du petit Teun. La séquence de baignade qui s’ensuit, bien évidemment, montrera nombre de corps plongés dans l’élément liquide ; ces corps sont ceux des enfants du cinéaste, alors surveillés par leur mère restée sur la berge. La « question aquatique » fait ici l’objet d’un traitement appuyé, dont l’intensité va crescendo : le thème figuratif s’annonce par quelques gouttelettes éparses, des éclaboussures de plus en plus fréquentes l’étoffent, un jaillissement tumultueux, une pluie d’éclats blancs lui offre enfin son apothéose. Cut. La troisième séquence fait retour sur Big Ben. Que fait l’homme ? Il mange et boit, tout en dialoguant avec sa logeuse hollandaise. Celle-ci l’interpelle : « Bonne, l’eau ? ». Acquiescement courtois de l’intéressé, verre en main : « Bonne, fraîche ». Un instant plus tard, le musicien confesse à son interlocuteur que cette femme le « traite comme s’il était son propre fils ». Si la couleur bleue s’est perdue dans l’intervalle, en revanche, deux éléments circulent depuis la seconde vers la troisième séquence : l’eau (agitée ou bien assagie), d’une part, la figure maternelle d’autre part. À ce point, l’ensemble visuel esquisse, en filigrane, une correspondance entre la famille du cinéaste et le duo formé par Ben et sa « fausse mère ». La quatrième séquence reprend le portrait photographique du musicien, déjà vu en ouverture de l’expérience, mais avec un cadrage plus serré. Le motif en son resurgissement possède l’aspect d’une grosse tête ronde et chauve, dont le front est barré par quelques rides. Raccord, retour à la rivière : voici un rocher rond, très régulièrement recouvert de mousse et, surtout, solidement ancré dans une eau plissée, autant dire ridée par le courant. Il y va désormais d’une équivalence rigoureuse entre la tête photographiée de Ben et la pierre immergée – question de plissement –, équivalence d’ailleurs esquissée par un panoramique de liaison. C’est pourquoi cette pierre posée au beau milieu du torrent est, avant toute autre chose, une figure de Ben Webster. Quelque chose du musicien se trouve transporté vers le sud – importé dans le lieu, immergé. Et, tandis que la caméra s’attarde encore un peu sur l’eau, sur les arbres, la voix (off) du saxophoniste s’élève, spectrale, égrenant à son tour ses propres souvenirs. Ben loge désormais dans le lieu, sa présence hante complètement ce lieu. L’infusion se termine, la diffusion ne cessera plus et l’ensemble visuel maintiendra jusqu’au bout ce colloque insolite entre les morts et les vivants, comme il maintiendra ce dialogue entre les anciennes images et les nouvelles. Un bref exemple de ce dialogue ?
21La troisième expérience s’achève avec la reprise de l’instantané qui ouvrait la série des expérimentations7 : le portrait des habitants, soit cette image qui témoignait d’une profonde inégalité des corps dans l’espace. On se souvient du corps pétrifié et immobilisé du vieillard, à demi englouti dans la photo (et à peine ébranlé par un tremblement quasi imperceptible des mains dans la séquence filmée qui l’approfondissait), ainsi que de son mutisme intégral. Le babil de Teun, qui s’inscrit sur cette photo, se charge de rafraîchir la mémoire des plus oublieux : « Il ne peut parler Jopie, il peut seulement être assis, etc. » Lors de sa première occurrence, le constat photographique se voyait réaffirmé et consolidé par le bloc filmique qui le prolongeait. À présent, la photo va se raccrocher à un autre bloc, qui lui offre rien moins qu’une seconde destinée – une seconde chance, s’exclamerait Chris Marker, à juste titre. Raccord : dernier extrait de Big Ben, au sein duquel le saxophoniste, extrêmement souple dans le cadre et plutôt loquace, vante l’adresse et la précision gestuelle de son ami Jeff. Aux diverses impuissances du petit vieux (celle de la parole, celle du mouvement non déréglé), l’ensemble visuel a désormais les moyens de répliquer. Et la réponse procède de l’infusion de Ben en tant qu’il insuffle et distille, outre sa musique, sa présence volubile et mouvante… Un vivant sur le déclin, muet, figé, rencontre ainsi, par le biais d’un télescopage miraculeux, un mort ressuscité, bavard, mobile. « Jopie » ne peut ni parler ni se mouvoir ? Rien de grave, puisque Ben peut effectuer tout cela à sa place. Un corps permet alors de pallier les défaillances d’un autre corps, absolument différent. On aperçoit combien l’infusion du souvenir ne va pas sans quelque effet, visible, de contagion ou de transmission. Et, prendre la mesure de tout ce travail de contamination du lieu par le souvenir revient à tenter d’en discerner les enjeux…
2. Le travail du manque (en pratique) : repeuplement imaginaire
Un espace en voie de désertification
22Le lieu arpenté sans relâche par l’ensemble visuel est sans conteste appauvri, déserté, vidé, quasiment inhabité. En témoigne, au commencement des Vacances du Cinéaste, un recensement plutôt éloquent d’indices de désertification : des carcasses de voitures désossées, abandonnées au beau milieu de la campagne, des machines agricoles rouillées et remisées, des rues dans lesquelles nulle présence humaine ne se laisse déceler mais seulement quelque chien qui aboie, etc. La première conversation entre les vacanciers et les habitants y insiste encore : après la première, la seconde guerre mondiale a dévoré nombre de vies, puis tous les jeunes sont partis à la ville (pareillement carnassière, selon toute apparence), en sorte qu’il ne reste plus guère que quelques « vieillards », et beaucoup de morts au cimetière auxquels rendre régulièrement visite. Que faire face à la vacuité du lieu ? Pour une bonne part, le travail du manque va consister – c’est, du moins, l’hypothèse que je voudrais argumenter – en l’instauration d’une population imaginaire : en un repeuplement donc, si l’on veut, mais il faut encore préciser que cette entreprise de repeuplement ne constitue pas l’aboutissement du travail du manque (c’est un moyen, pas une fin). Disons simplement, dans un premier temps, que le manque apparaît ici par le biais d’un évanouissement manifeste de l’humain. Et je tenterai de montrer, dans un instant, avec quelle implacable rigueur l’ensemble visuel réplique à l’évaporation par une sorte de condensation, tout comme il répond à l’évidement par une opération, inverse, de sertissage. Repeupler imaginairement le lieu, cela est entendu, mais comment ? Au registre des instruments convoqués, je mentionnerai non seulement de singulières (et fantomatiques) présences d’hommes, mais aussi, et surtout, une logique, largement éprouvée auparavant, reprise ou réhabilitée puis transformée pour la circonstance… Je propose sans plus tarder d’effectuer un petit détour au sein de l’antique art de la mémoire et de ses techniques, lesquelles constituent précisément cet archétype auquel l’ensemble visuel va emprunter sa méthode.
L’Art de la mémoire
23Frances Yates commence sa monumentale étude sur l’art de la mémoire par l’explicitation des deux ou trois règles, très simples, qui en régissent l’exercice dès son apparition ; il va sans dire que ces règles, relatives à l’archivage mental des contenus et de l’organisation d’un discours, se sont vues, au cours des siècles, modifiées, réinterprétées, détournées, voire oubliées. Mais elles n’en constituent pas moins le socle sur lequel cet art s’édifie, et c’est précisément ce socle qui m’intéresse.
Il n’est pas difficile de saisir les principes généraux de la mnémonique. Le premier pas consistait à imprimer dans la mémoire une série de loci, de lieux. Le type le plus commun, sinon le seul, de système mnémonique de lieux était le type architectural. C’est Quintilien qui donne la description la plus claire du procédé. Pour former une série de lieux dans la mémoire il faut, dit-il, se rappeler un bâtiment, aussi spacieux et varié que possible, avec l’atrium, la salle de séjour, les chambres à coucher, les salons, sans omettre les statues et les autres ornements qui décorent les pièces. Les images qui doivent rappeler le discours – comme exemple, on peut, dit Quintilien, utiliser une ancre ou une arme – sont alors placées en imagination dans les lieux qui ont été mémorisés dans le bâtiment. Cela fait, dès qu’il s’agit de raviver la mémoire des faits, on parcourt tous ces lieux tour à tour et on demande à leur gardien ce qu’on y a déposé8.
24Afin de perfectionner autant que possible le système de mémoire, il est préférable que les lieux choisis forment une série, afin de pouvoir être reconvoqués selon un ordre précis, et surtout qu’ils soient déserts et solitaires, c’est-à-dire tout à fait disponibles pour l’inscription mentale ; en outre, les images placées – belles ou laides, aucune importance – devront être saisissantes9. La maison, la configuration domestique n’est pas la seule architecture propice à l’exercice, et Quintilien ajoute encore :
Ce dont j’ai parlé pour une maison, on peut le faire aussi dans un bâtiment public, un long voyage, une promenade dans une ville ou avec des peintures […] Il faut se servir de lieux nombreux, remarquables, bien distincts et cependant peu éloignés les uns des autres, employer des images saillantes, à vives arêtes, caractéristiques, qui puissent se présenter d’elles-mêmes et frapper aussitôt notre esprit10.
25Si je me contente d’exposer globalement tout ce qui fonde l’art de la mémoire sans entrer dans le détail de ses transformations historiques – ce serait là une dérive interminable, mais on peut se reporter à l’étude rigoureuse de Frances Yates pour tout approfondissement –, c’est afin de retourner au plus vite vers mon ensemble visuel. Car, au fond, que viennent faire ici ces techniques mnémoniques ramenées à leur seul principe directeur ? En quoi celui-ci informe-t-il Les Vacances du Cinéaste ? La première partie de l’analyse, focalisée sur les assemblages filmo-photographiques, met l’accent sur la manière selon laquelle un espace peut muter : observe, en l’occurrence, comment l’espace se scinde ou se partage entre réminiscence et perception, puis comment il se réunifie, mais au terme d’une métamorphose concrétisée par l’apparition de petits blocs de souvenirs ; cette partie s’achève sur le constat d’un phénomène « d’infusion » du souvenir dans le lieu. La seconde partie de l’analyse ne tentera pas encore d’expliciter ce que produit, au bout du compte, une telle série d’expérimentations – cela concernera la troisième et dernière partie de l’entreprise analytique – mais voudrait souligner combien « l’infusion » de Ben Webster se rattache à un procès autrement plus large, dont elle constitue sans doute, en même temps que la manifestation la plus saillante, l’annonce ou le présage, voire le symptôme. Quel procès, au juste ? Celui qui se voue à greffer dans le lieu, pardessus cette absence ou ces vides tellement exhibés, quelques bribes de mémoire et, pour être plus précise, à l’emplir d’images-souvenirs susceptibles de s’introduire dans la trace en creux laissée par une collectivité évanouie. Il s’agit, ni plus ni moins, d’un fait de transfusion. Or, précisément dans cette optique, le travail du manque – cette espèce de repeuplement imaginaire – rencontre les arts de la mémoire en reprenant leur principe fondateur, soit leur technique de disposition d’images dans des lieux spécifiques, des lieux élaborés sur mesure afin de les recevoir… Quelles sortes de lieux ? Quelles formes d’images ? Voilà justement tout ce qui reste à clarifier.
Les seuils
26Je le déclare sans ambages : l’ensemble visuel se tient tout entier sur des seuils, toujours tangibles, parfois dotés d’une dimension symbolique supplémentaire. Partout, absolument partout, c’est-à-dire au cœur de la moindre petite séquence, des embrasures de porte, des indices de frontière, des limites désignant un entre-deux, des espaces intermédiaires, des zones de commencement, des régions de franchissement ou de passage, etc. Tout cela foisonne et, de surcroît, se relaie interminablement jusqu’à former un réseau proprement abyssal… Car, à partir du moment où la question du seuil se présente, à partir de ce moment où elle vient frapper l’œil de l’observateur, elle devient à ce point aveuglante que l’ensemble visuel semble tournoyer sur lui-même pour s’y engouffrer tout entier, comme aspiré par une force violente. En d’autres termes, une figure aimante la représentation, la travaille intensivement sous la forme d’une polarisation affolante, et cette figure a nom de seuil.
27Quels seuils ? Il faut entendre d’abord le terme en son sens premier, celui de dalles de pierre ou de bois posées à terre, en travers d’une porte. Et voici le lieu où apparaît Teun, au tout début du film, sur lequel il ne cessera plus, d’ailleurs, de revenir (voir la séquence de son archéologie : toutes les photos l’inscrivent sur ce même pas de porte). Un peu plus tard, un peu plus loin, Nosh viendra s’y placer à son tour, très ostensiblement. Filmées ou photographiées, les jambes de Nosh, avec une belle constance, se plantent solidement sur un seuil, elles s’y posent. C’est encore le site occupé, et d’une façon rien moins que récurrente, par les habitants, saisis à de fort nombreuses reprises à l’abord de leur maison, soit à stationner juste devant l’entrée, soit à s’affairer à la traverser ; pareillement, une séquence ultérieure de conversation entre Madame Bacabe et le facteur ne se situera en aucune autre place. Quelquefois, le seuil se présente inoccupé, vidé de toute présence humaine : défileront, par exemple, des plans de l’escalier qui donne accès à la maison, ou bien quelques plans de rideaux de seuil (voilage bleu, série de bandelettes colorées) ou encore, très simplement, des plans de cavités (l’embrasure, alternativement éclairée et obscure). Mais il faudrait aussi entendre le terme en un sens plus étendu. Au registre des seuils dont la dimension symbolique l’emporte sur la manifestation concrète, je n’oublie pas, évidemment, le seuil de la mémoire, pris en charge par la confluence entre film et photographie (ainsi que je l’ai montré). Surtout, je voudrais insister légèrement sur deux motifs liés, cette fois, au passage entre la vie et la mort, deux motifs qui renvoient à une sorte d’absolu du seuil. Montés à quelques plans d’intervalle, raccordés à distance, ces deux motifs se répondent : voici, d’une part, le ventre de Nosh enceinte, prête à donner la vie et, d’autre part, toute une série de pierres tombales, autant de clôtures indiquant que cette vie a été reprise. Entre le corps replié dans l’utérus et le corps enfoui dans la terre, la chair (et l’on se rappellera que le lieu fait ici l’objet d’une sorte de défaut ou de carence de chair). De tels seuils participent tout autant, on le verra, à cette construction topologique qui m’intéresse et, en outre, ils soulignent à quel point la question du seuil importe, en la mettant en perspective.
28On voit que l’ensemble visuel entreprend bel et bien l’élaboration d’une série de loci mais, à la différence de la configuration mise en œuvre au sein des arts de la mémoire, ces lieux ne se succèdent pas simplement selon une logique architecturale : l’ordonnancement des lieux d’inscription ne repose pas sur l’unique principe d’une stricte contiguïté (entre les différentes salles d’un bâtiment, par exemple). Ils formeraient plutôt autant de déclinaisons d’un seul et même paradigme spatial, soit celui de l’entre-deux. Bref, il semble que l’ensemble visuel substitue une topologie verticale à celle, horizontale, qui caractérise globalement son modèle. Le système mnémonique ne consiste plus tellement en un panorama de lieux, happés au gré de leur succession dans l’espace, mais surtout en une collection de sites à peu près identiques, choisis selon leur efficience plutôt que selon leur localisation. Leur efficience ? Tout « vrai » seuil, en effet, annonce une apparition, comporte en principe une ouverture (béante ou non, peu importe, le seuil est toujours plus ou moins évidé) et possède généralement un encadrement : quoi de plus adéquat à l’insertion d’images, quoi de plus susceptible de leur donner un écrin ? L’idée, au fond, est que l’ensemble visuel arpente le territoire et, ce faisant, élit chacun des seuils qu’il rencontre (quitte à retrouver plusieurs fois le même seuil) à titre de support ; le seuil est comme une page encore vierge, sur laquelle des inscriptions s’apposent ou, mieux, au cœur de laquelle elles se nichent. Dans le détail, comment se développe le jeu autour (ou à partir) de cette déclinaison de seuils ?
29Le seuil se présente sans conteste comme le seul endroit où se tiennent tous les corps (y compris parfois, cela importe, celui du cinéaste), l’unique site où chacun d’entre eux passe et s’inscrit systématiquement : à peu près aucune silhouette présentée par l’ensemble visuel qui ne vienne, à un moment ou à un autre, se placer sur un seuil – et jusqu’à cette vieille couturière dont la présence à l’écran ne dure que deux ou trois plans, dont l’incidence au niveau du récit est plutôt mineure, tout de même enfoncée dans la profondeur d’un seuil. Voici par conséquent un lieu de rassemblement, quoique l’on ne puisse jamais, à proprement parler, y demeurer à plusieurs. Lieu paradoxal, donc. À partir de ce qui s’offre, pour la représentation, comme un véritable point de convergence de ses sujets, l’ensemble visuel va manœuvrer de telle sorte que le seuil – au sens strict comme au sens large – ne se fera pas seulement lieu d’apparition de la chair, lieu de l’exposition du corps vivant, mais aussi une région d’accueil pour d’autres types de présences… Et effectivement, des figures d’hommes fantomatiques, au nombre de quatre, viennent s’y nicher.
Les évocations
30Plusieurs stratégies sont mises en œuvre afin de loger ces apparitions ou ces évocations au cœur du lieu-dit. La première d’entre elles, qui concerne l’entrée de Remco Campert dans la représentation, procède à l’évidence d’une technique de sertissage. Un plan de seuil désert inaugure la séquence, qui prend la forme d’un rideau bleu légèrement transparent, à peine agité par le vent. À ce plan, succède un instantané de Remco, photographié exactement entre deux pièces d’un intérieur inconnu, dans l’ouverture d’une porte vitrée. L’encadrement de cette porte semble s’emboîter dans le rectangle dessiné au préalable par le voilage bleu, les seuils s’enchâssent, en sorte que le poète advient sous la forme d’une figure encastrée. Le rideau constitue, ni plus ni moins, une toile vierge, un fond tout à fait disponible pour l’inscription – et cela tient non seulement à sa forme, rectangulaire, mais aussi à sa couleur : les images de Remco se teintent progressivement d’un vert délavé, tout à fait en harmonie avec le bleu de départ. J’ajoute que la séquence précédente aura, en quelque sorte, préparé la toile : le seuil y fait l’objet d’un évidement, effectué par Teun, qui vient chercher les corps des vieux habitants (tapis derrière le rideau bleu) afin de les en déloger. En bref, Teun fait place nette. L’évocation, on le sait, s’achève avec un extrait d’Even Stilte, qui dénonce la nature spectrale de la créature dressée là : « Je suis une voix mourante et froide, pleine de mots d’hiver ». La seconde évocation est celle d’André Bazin. Le seuil sur lequel ce dernier surgit (mais le terme n’est pas tout à fait adéquat) ne ressortit pas exactement au même ordre, puisqu’il s’agit de l’un de ces seuils symboliques mentionnés ci-dessus : la tombe, dernier endroit pour le corps avant sa décomposition. De plus, Bazin reste à l’état d’invisibilité : aucune photo, aucune image en mouvement ne dévoilera le visage du critique français. C’est uniquement par sa parole, sa pensée, que l’homme se présente, en l’occurrence par le biais de cette proposition : « Le cinéma est le seul média capable de montrer le passage de la vie à la mort » – une déclaration que l’ensemble visuel, en son entier, s’attache à renverser et précisément par le jeu des évocations. À l’appui de cette proposition, une séquence de mise à mort s’intercale, celle d’un chevreau égorgé, extraite de Un Film pour Lucebert (Een Film voor Lucebert, 1967). Où est Bazin ? Si évocation il y a, s’inscrit-elle en quelque cadre, ou bien reste-t-elle simplement en suspens, au-dessus du lieu ? Mon hypothèse est que si Bazin « s’incarne » bien par le biais d’une sentence planante, il demeure encore à l’intérieur de ces tombes anonymes que l’ensemble visuel prend bien soin d’énumérer. L’évocation prend ainsi place dans chacune de ces boîtes ou de ces coffrets et Bazin est, littéralement, une figure encaissée (ce qui n’est pas illogique, si l’on tient compte de ceci que, de tous les individus convoqués, Bazin est le seul dont le décès soit à la fois antérieur à l’activité de cinéaste de Van der Keuken et contemporain de ses débuts de photographe ; on comprendra mieux tout ceci dans un instant, lorsque je tenterai de montrer que les évocations ne visent pas seulement à repeupler… patience !). J’ai expliqué, déjà, en quoi l’introduction de Ben Webster opère sur le mode d’une lente instillation : cas de figure infusée. Je n’insiste pas sur la troisième évocation (celle du saxophoniste, on l’aura compris), sinon pour répéter que l’infusion procède d’une photo fixée contre un chambranle de porte – là, l’instantané n’est pas enchâssé dans l’embrasure, il jouxte le seuil évidé. La quatrième et dernière évocation, celle par laquelle Lucebert advient, paraît différée ou reculée en même temps qu’étrangement (re) doublée. Se succèdent le traditionnel plan de seuil (seuil nocturne, cette fois, éclairé par une lampe) puis une seconde évocation de Ben Webster (visage tiré vers la bête sauvage : lèvres retroussées comme des babines, tête batailleuse, emprisonnée dans un cadre trop serré) et, seulement après que l’un des plans sur la lampe a été repris, un extrait de Lucebert – Peintre. Poète (Lucebert – Dichter. Schilder, 1962). Là encore, l’individu ne sera pas montré en tant que tel, mais pris en charge par une série d’images liées à sa poésie – images de rocs et de pierres, de flammes, d’herbes folles, de nuages. Tapie tout au fond du seuil, presque retirée, la figure du poète s’élève précisément sur (ou depuis) celle de Ben Webster : un même fond, un seul châssis, pour deux inscriptions différentes. Je retiens donc surtout ceci que deux évocations sont couplées l’une à l’autre, logées en un même lieu, et que la seconde vient recouvrir la première. En fin de compte, deux figures emboîtées se trouvent enfouies dans le seuil et celui-ci balaie ou chasse la première inscription pour mieux accueillir la seconde (on pense aux ardoises magiques ou aux tablettes de cire…) Maintenant, pourquoi ce raccord entre les deux évocations ? On peut imaginer que, pour le cinéaste qui les a bien connus l’un et l’autre et, surtout, qui a consacré plusieurs de ses films à leurs différentes pratiques artistiques, la parole terrifiante de Lucebert – le poème parle du monde comme d’une guerre – fait strictement écho à la rage musicale du saxophoniste11. J’aborde à présent le dernier volet de l’analyse, par le biais d’une question désormais incontournable : qu’est-ce qui, du désir, trouve ici accomplissement ?
3. L’accomplissement de désir : l’autoportrait
31Cet intitulé pourra sembler curieux à ceux qui n’auraient pas lu le livre de Michel Beaujour : Miroirs d’encre12. Aux autres, ce qu’il annonce, ainsi que tout ce qui va suivre paraîtra logique… Miroirs d’encre s’offre comme une tentative « d’expliciter les rapports qui existent entre la sémiotique mnémonique et l’autoportrait littéraire13 ». Une telle tentative repose fondamentalement sur l’hypothèse que l’art de la mémoire n’a pas totalement disparu avec la rhétorique dont il faisait partie, comme certains l’ont pensé, mais a tout simplement migré14. Et l’autoportrait littéraire constituerait, selon l’auteur, l’un des lieux de sa résurgence – soit un champ, divers autant que vaste, plus ou moins secrètement travaillé par cet art. J’ai insisté sur ceci que Les Vacances du Cinéaste entreprend bel et bien de façonner un système de lieux ordonné autour de la figure des seuils, et que ces lieux se chargent d’accueillir puis d’archiver un singulier fond de mémoire. Voici pour la rhétorique. Reprenant à présent certains des éléments de la réflexion de Beaujour, je voudrais ajouter que, derrière ce dispositif apparemment voué à contrer la désertification au moyen d’une greffe de présences remémorées, on trouve encore quelque chose d’un autoportrait (voilé) – et d’un autoportrait conçu, pour l’essentiel, selon un archétype littéraire plutôt que pictural. Par conséquent, si l’art de la mémoire informe bien l’autoportrait littéraire, ainsi que le pense Michel Beaujour, la notion même d’autoportrait littéraire doit être étendue, au moins jusqu’à englober l’ensemble visuel considéré au long de ces pages. Au moins…
32En préambule, quelques remarques. D’abord, un « Je » prend ici en charge l’énonciation, d’une façon immédiate, et il peut raisonnablement être assimilé au cinéaste puisque c’est sa propre voix qui dit « Je ». Ensuite, alors que la représentation s’ébauchait à peine, le prologue – s’en souvient-on ? – tentait d’éclairer la genèse des images du cinéaste-photographe. Les toutes premières photographies apparues, pleinement offertes, montraient respectivement le grand-père du cinéaste, puis le cinéaste lui-même. Deux portraits ? Oui, mais pas seulement : deux autoportraits (au sens pictural, toutefois). Ou presque. Car si la photo du grand-père ne constitue pas vraiment un autoportrait, elle en mime ou en simule en tout cas le dispositif : voici le vieil homme et voici, contre lui, son appareil photo, posé sur un pied, braqué droit devant… devant quoi ? Un miroir ? Que le cinéaste ait façonné l’image de son aïeul en « photographese-photographiant », ou bien que l’aïeul se soit lui-même portraituré compte peu au regard de ce fait : la question de l’autoportrait s’inscrit en frontispice du protocole expérimental.
33Qu’est-ce qu’un autoportrait littéraire ? Certes pas une simple autodescription… Selon Michel Beaujour, « L’autoportrait [littéraire] serait d’abord une déambulation imaginaire au long d’un système de lieux, dépositaire d’images-souvenirs15 ». Il n’est nul besoin de s’y appesantir : aucune autre définition ne convient mieux à l’ensemble visuel, pas de meilleure description. L’auteur ajoute ensuite que, contrairement à l’autobiographie qui développe peu ou prou un récit chronologique, l’autoportrait refuse toute logique ou toute consécution temporelle pour y substituer une logique spatiale, soit une topologie. Et voilà où se produit la rencontre avec l’art de la mémoire : « L’autoportrait renoue donc avec les localisations de la mémoire rhétorique. Les lieux et les images disposés dans un espace imaginaire lui fournissent une topologie qui se substitue à la chronologie autobiographique16. » En ce qui concerne plus spécifiquement ces localisations, l’auteur rappelle encore que le fond (le lieu élu à ce titre) « forme un support permanent, indéfiniment réutilisable ; l’écriture imagée peut-être effacée et remplacée par une autre inscription. Les fonds sont fixes, tandis que les images sont provisoires17 ». Beaujour ira fréquemment jusqu’à parler de « cavités accueillantes ». Topologie plutôt que chronologie : on comprend enfin pourquoi, en reprenant quelques extraits de ces films tournés par lui antérieurement – lesquels constituent et exposent autant de moments de son rapport à l’image –, Johan Van der Keuken ne se soucie pas de les inscrire selon l’ordre de leur réalisation, mais surtout de les loger au sein d’écrins taillés sur mesure. Miroirs d’encre évoque également une « absence de récit suivi » au profit d’un « bricolage d’éléments sous des rubriques […] thématiques18 » : on s’explique mieux, de cette façon, la construction apparemment hasardeuse du récit, véritable catalogue de thèmes (la conversation, la séance de bronzage, la baignade, la promenade, la lecture, etc.) plutôt que stricte consécution d’événements. Quant au seuil, c’est très littéralement qu’il constitue une cavité accueillante…
34Je précise que le corpus de Michel Beaujour ne comporte pas d’images-objet, l’auteur ne se souciant en aucune façon de films ou de photographies. En toute logique. C’est qu’en parlant de « déambulation imaginaire », Beaujour désigne la dimension proprement mentale de la pérégrination. Je n’ignore pas non plus que l’art de la mémoire, en principe, entend le mot d’image au sens le plus immatériel du terme : « La mémoire artificielle est une pratique mentale […] Les lieux et les images “empruntés” au monde extérieur ne sont efficaces que si ils sont présents à l’esprit de l’orateur. Ils ne peuvent, ni en droit ni en fait, être confiés à un support matériel quelconque19. » Ces remarques auraient pu contrecarrer tout essai de rapprochement entre l’exercice de la mémoire artificielle et l’ensemble visuel, puisque le lieu ne s’y trouve pas arpenté seulement en imagination et que ses images ne sont pas uniquement mentales. Pour autant, la question de l’existence « matérielle » des images ne constitue pas un obstacle infranchissable. En témoigne cette déclaration de Frances Yates : « Il faut certes toujours garder à l’esprit l’idée qu’une représentation visuelle extériorisée dans l’art proprement dit doit être distinguée des peintures invisibles de la mémoire – le simple fait de la représentation extérieure établit la distinction ; mais il peut être fructueux d’envisager quelques œuvres d’art du début du XIVe siècle du point de vue de la mémoire20. » Et pourquoi pas d’autres œuvres plus tardives ? Je poursuis, donc.
35Qu’est-ce qui fonde et agence, qu’est-ce qui sous-tend et organise l’autoportrait littéraire ? Une structure en miroir, répond Beaujour, par laquelle le « Je » parvient progressivement à « refléter » l’univers ou le monde : « La métaphore maîtresse de l’autoportrait moderne, qui fut d’abord celle de l’encyclopédie médiévale, sera donc le miroir […] Le miroir antinarcissique de l’autoportrait est amené ainsi à figurer une “mémoire sans personne”21. » Un leitmotiv scande l’ensemble visuel, qui fait état d’une sorte d’incapacité du sujet de l’énonciation à appréhender, sinon le monde, du moins la terre : « Je ne puis voir le visage de la terre. Je regarde par dessus son épaule, dans les ténèbres… » Lorsque l’ensemble visuel s’achève, le leitmotiv est repris une dernière fois, mais renversé : « Je ne puis voir le visage de la terre. Je regarde par-dessus son épaule, dans la lumière. Et la lumière c’est moi – parmi d’autres. » Voici que le « Je », au terme du parcours, contribue à éclairer. En même temps que ces phrases sont prononcées, des plans assez inqualifiables se présentent. Une sorte de gigantesque assemblage de miroirs se trouve former un « mur de reflets ». Il n’y a pas un unique miroir, mais une juxtaposition de multiples surfaces réfléchissantes, agencées de manière à renvoyer, en toute frontalité, l’image éclatée d’un paysage divisé. Face au « Je » et à sa lumière, le reflet de la terre : le visage de la terre reste sans doute invisible, mais son reflet, disloqué, s’avance. Le visage de Van der Keuken ne se dévoile jamais en son actualité (nous voyons seulement une photographie de lui en jeune homme) : c’est que l’autoportrait trouve sa plus flagrante figure dans ce dernier plan du film, par l’intermédiaire de ce qu’il faut bien qualifier de « mur-d’images-en-reflet ». Parce qu’elle rend parfaitement compte de cette articulation en miroir (antinarcissique) entre le « Je » et le « monde » qui fait tout le jeu de l’autoportrait littéraire, la figure s’offre comme une équivalence visuelle magistrale (non moins que synthétique) de celui-ci.
36À quoi s’affronte l’autoportrait ? La réponse de Beaujour est sans ambiguïté : « La question à laquelle ces écrivains tentent de répondre se pose face à la mort, puisqu’elle tente de surmonter la mort […] l’autoportrait tente de réunir les deux mondes séparés de la vie et de la mort22. » De cela, je voudrais rapprocher immédiatement ce constat de Van der Keuken : « Le critique André Bazin a dit que le cinéma est le seul média capable de montrer le passage de la vie à la mort. J’ai filmé ce passage plusieurs fois et j’ai vu qu’il n’y a rien à apprendre : il ne se passe rien. Il est plus difficile de montrer le passage de la mort à la vie. Mais il faut le créer ce passage, car il ne se passe rien. » Inventer un passage de la mort vers la vie ? Confronté à cette question, l’ensemble visuel aura proposé des réponses spécifiques. Il aura d’abord disloqué l’espace afin de permettre l’insertion de petits blocs de souvenirs (les précipités filmo-photographiques), autant de bouffées concernant des choses passées et revivifiées. Telle est la voie. Il se sera ensuite attaché plus particulièrement à évoquer des figures absentes, susceptibles de venir se loger dans la profondeur du lieu, d’en habiter les anfractuosités. Tels sont les passagers qui empruntent cette voie. À terme, l’ensemble visuel aura non seulement repeuplé imaginairement le lieu, mais il aura en outre ouvert la possibilité d’un dialogue par l’image (en figure) entre les présents et les absents – entre les vivants et les morts.
37Que produit l’autoportrait littéraire ? Le « moi » qui plonge dans le miroir d’encre se révèle fracturé, brisé de part en part : « Le for intérieur est un forum houleux, divisé […] que seule une violence arbitraire contraindrait à l’unité […] Le sujet lui-même n’est pas assuré (“couvert”) ontologiquement : tel en ce moment, autre à tel moment, sans vocation à la totalisation. Le sujet n’est rien d’autre que la série – sans dernier mot que le dernier prononcé – de ses discours, de ses apparences, de ses personae qui sont dépourvues de point de fuite. Pas de perspective homogène sur cette scène […] Seulement des comparses. L’autoportrait est le discours de ces comparses23. » Ainsi, je suggérerais volontiers que l’autoportrait en passe, dans Les Vacances du Cinéaste, par toute une série de figures tutélaires (Remco Campert, André Bazin, Ben Webster et Lucebert), chacune prenant en charge, chacune incarnant même, une partie de ce moi nécessairement éparpillé. Des éclats du « Je ». En témoigne tout particulièrement cette sorte de ramification du « Je » de l’énonciation, qui advient au moment de l’évocation de Remco Campert. Que se passe-t-il alors ? Un poème se laisse entendre, qui commence avec ces mots : « Froid. L’hiver approche. Je le sens dans l’air et dans les mots que j’écris, etc. » Qui parle ? « Je », toujours, mais la voix de Remco se substitue à celle du cinéaste, en sorte que le sujet que recouvre le « Je » glisse insensiblement, sans discontinuité, vers un autre qui le relaie. Cinéaste, mais photographe, mais musicien, mais poète, mais peintre. Blanc, mais noir. Hollandais, mais américain, mais français. Né ici, mais ailleurs.
38Comment élabore-t-on le portrait de soi, comment cela advient-il ? Surtout pas en décidant de se peindre ou de se dire, n’importe quel autre projet fait bien mieux l’affaire. C’est que l’autoportrait se présente toujours, écrit Beaujour, comme un après coup : « Mais se met-on jamais à écrire un autoportrait ? L’autoportrait n’est-il pas plutôt le recentrement, le déploiement, la prise de conscience et la mise en œuvre après coup d’une écriture désœuvrée et dépourvue de but […] Nul autoportraitiste ne forme, du moins initialement, le projet – sot ou admirable – de se peindre. Ce projet, pour autant qu’il se cristallise et s’énonce dans le texte, n’est qu’un moment d’une entreprise bien plus fuyante et complexe. C’en est peut-être même un moment sinon négatif, du moins instable et insaisissable, puisqu’il se renverse en constatation de l’impossibilité de se peindre, en une dispersion et un effacement des prédicats du sujet : ce qu’il reste alors, c’est une écriture plutôt qu’une mimésis du moi24. » Dans Les Vacances du Cinéaste, l’autoportrait vient en sus du repeuplement, comme un reste excédentaire. C’est précisément, je crois, sa valeur d’après-coup qui m’autorise à le considérer ici au titre d’accomplissement du désir. Enfin, last but not least, Miroirs d’encre fait dépendre l’autoportrait d’une oisiveté primordiale. En d’autres termes, d’une vacance de l’écrivain, ou de l’écriture.
Notes de bas de page
1 Johan Van der Keuken, « Méandres », dans Trafic, no 13, hiver 1995, p. 14-23, citations p. 15 et p. 21.
2 « Quand sont arrivés les films de Jean Rouch, Les Maîtres-Fous, et surtout Moi, un Noir, ce fut un autre choc. Tout à coup, l’idée d’une “syntaxe cinématographique”, sur laquelle j’avais déjà beaucoup de doutes, a été balayée pour moi au profit d’une “syntaxe du corps” qui dictait l’enchaînement des images et des sons ». Cf. « Méandres », art. cit., p. 17.
3 La première représente un escalier de pierre, vide ; la seconde, ce même escalier mais sur lequel deux jambes nues sont venues se loger ; s’ensuit une séquence filmée, puis une autre série de cinq photographies, puis de nouveau quelques images en mouvement.
4 Maurice Merleau-Ponty, Le Visible et l’invisible, Gallimard, Paris, 1964, p. 153 (je me réfère à l’édition en collection « Tel »).
5 Raccord dans le souvenir qu’il ne faudrait pas confondre avec le raccord de souvenir évoqué au cours de l’analyse de Sans Soleil. Pour mémoire : le raccord de souvenir markérien permet de franchir (sans l’occulter) l’écart entre deux motifs, deux plans, deux fragments de temps, deux espaces, deux événements, etc., en principe radicalement déconnectés. Une chose en évoque ou en convoque une autre, différente… mais pourquoi ? Seul le passage au travers d’un réseau d’images intermédiaires, actualisées ou suggérées, permet de comprendre la connexion. Ici, le raccord opère entre des éléments dont le lien est explicite, évident : entre deux souvenirs de Remco Campert, celui de son visage (la photo), celui de sa poésie et de sa voix (l’extrait d’Even Stilte). Côté Marker, le souvenir est l’opérateur labile et plus ou moins secret du raccord ; côté Van der Keuken, le souvenir se concrétise, il est au bout ou au-delà du raccord : sa visée.
6 Séquence 1 (5 plans) : elle s’ouvre avec un plan d’eau, suivi de la première apparition de Ben Webster par le biais d’un portrait fixé sur le chambranle d’une porte, à la suite de quoi intervient le premier extrait de Big Ben – Ben Webster in Europe. Séquence 2 (17 plans) : baignade des enfants du cinéaste. Séquence 3 (6 plans) : second extrait de Big Ben. Séquence 4 (9 plans) : promenade de M. et Mme Bacabe. Enfin, la séquence 5 (2 plans) débute avec la reprise de la photographie du vieux couple, et se poursuit avec un troisième extrait du film Big Ben.
7 Il me semble que, avec cette reprise, le jeu expérimental entre film et photo s’achève (la boucle est bouclée). Pourtant, on retrouvera quelques photographies à la toute fin des Vacances… Je considère qu’il s’agit là d’un reste, non pas au sens d’un rebut, mais à celui d’un excédent non pris en charge par mon analyse… quelque chose comme une limite du geste analytique.
8 Frances A. Yates, L’Art de la mémoire, Gallimard, Paris, 1975, p. 14 (traduction par Daniel Arasse de The Art of Memory, 1966). En ce qui concerne la question Photographie et Art de la mémoire, je renvoie au texte de Philippe Dubois « Palimpsestes. La photographie comme appareil psychique (principe de distance et art de la mémoire) », dans L’Acte photographique et autres essais, Nathan, Paris, 1990, p. 261-283.
9 Frances A. Yates, L’Art de la mémoire, op. cit., p. 19.
10 Ibid., p. 34.
11 Dans Les Vacances du cinéaste, Van der Keuken dit à propos de Ben Webster qu’il « tire la rage du silence et pose le silence sur la rage ».
12 Michel Beaujour, Miroirs d’encre – Rhétorique de l’autoportrait, Paris, Seuil, collection poétique, 1980. Raymond Bellour a déjà proposé un commentaire de ce livre, en le confrontant à plusieurs œuvres de vidéastes. Je renvoie à son texte « Autoportraits », dans L’Entre-images. Photo. cinéma. vidéo, La Différence, Paris, 1990, p. 270-337.
13 Michel Beaujour, Miroirs d’encre, op. cit., p. 97.
14 Il n’est qu’à consulter la quatrième de couverture pour trouver ceci, par exemple : « C’est là le paradoxe de l’autoportrait. Il impose une révision des idées concernant la “mort” de la rhétorique : au lieu de s’évanouir à partir de la Renaissance, au fur et à mesure que triomphe l’expression de soi et de l’individualité, la rhétorique se réfugie précisément là où on la perçoit d’autant plus mal qu’on la croit défunte : dans le rôle de matrice des discours que nous tenons sur nous, sur l’ego et sur l’inconscient. »
15 Michel Beaujour, Miroirs d’encre, op. cit., p. 110.
16 Ibid., p. 167.
17 Ibid., p. 87.
18 Ibid., p. 8.
19 Ibid., p. 84.
20 Frances A. Yates, L’Art de la mémoire, op. cit., p. 104.
21 Michel Beaujour, Miroirs d’encre, op. cit., p. 36 et p. 37.
22 Ibid., p. 156 et p. 161.
23 Ibid., p. 347, puis p. 345. Je voudrais rapprocher le « forum houleux » de ces quelques phrases du cinéaste, qui rendent compte de sa méthode comme d’un « constant retour sur soi : se rappeler ce qu’on a déjà fait, ce qui s’est passé, et surtout qui on a été soimême. Je veux dire, pas seulement une personne, mais plusieurs, avec des rapports variables à l’intérieur du moi… », cf. « Méandres », art. cit., p. 20.
24 Michel Beaujour, Miroirs d’encre, op. cit., p. 341, p. 342, puis p. 345.
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