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Avant-propos

p. 5-6


Texte intégral

1On sait aujourd’hui que l’« auteur » n’est pas mort, malgré la fracassante déclaration de Roland Barthes en 1968, prolongée l’année suivante par la célèbre conférence de Michel Foucault « Qu’est-ce qu’un auteur ? ». Le succès rencontré ces dernières décennies par les biographies, les autobiographies ou les récits autobiographiques d’auteurs est, sur ce point, le plus éloquent des démentis. De même, à l’opposé de ce que prétendaient certains théoriciens structuralistes ou poststructuralistes, l’« œuvre » n’a pas été réduite ou s’est révélée irréductible au « texte ». Mais il est hors de question de revenir aux idées romantiques d’artiste-génie, d’inspiration, d’œuvre faite à partir de zéro ou à une conception naïvement positiviste de l’histoire littéraire. Qu’elles relèvent de la linguistique, de l’intertextualité ou de la réception, les réflexions théoriques modernes ont au moins la vertu de nous apprendre, parfois par leur excès même, à aborder avec plus de prudence et de pertinence les questions de l’auteur et de l’œuvre.

2À supposer qu’une œuvre littéraire présente une identité, celle-ci ne se conçoit qu’en rapport avec un autre, soit extérieur, soit intérieur à elle. Qu’on l’entende au sens objectif – il est alors, par exemple, le référent d’un texte – ou qu’on lui attribue un sens plus intime – il est alors, par exemple, l’avant-texte, l’autre de l’œuvre en conteste toujours la totalité. En effet, depuis la Renaissance, où elle commence à se former, la notion d’œuvre ne cesse de se heurter à des obstacles ou de s’exposer à des dangers d’éclatement ; tout au long de la modernité elle n’échappe guère à la mouvance qui lui est quasi inhérente. Nous nous sommes proposé d’aborder la question du statut de l’œuvre dans la perspective de son autre, sans nous limiter à la littérature européenne ni même à la littérature tout court : certains articles recueillis ici portent sur l’opéra, le cinéma, voire l’histoire ou la philosophie. Les catégories que nous avons introduites pour classer nos études ne sont pas étanches. Les deux premières, l’altérité extérieure (le « dehors » de l’œuvre) et l’altérité intérieure (le « devenir » de l’œuvre), sont souvent interchangeables puisqu’elles dépendent du point de vue qu’on adopte. Une place est également réservée à l’altérité que l’œuvre représente : l’autre dans l’œuvre. Dans certains contextes, celui-ci croise l’autre de l’œuvre.

3Ces études sont issues de la troisième rencontre triangulaire des Universités de Paris VIII, de Genève et de Tokyo, qui eut lieu du 13 au 15 novembre 2003 sur le campus Hongo de l’Université de Tokyo. Prolongeant les deux rencontres précédentes consacrées également aux questions de l’« œuvre » (« Le temps des œuvres : mémoire et préfiguration » à Paris VIII en 1999, les actes publiés aux Presses universitaires de Vincennes sous le même titre ; « L’œuvre illimitée » à l’Université de Genève en 2001, les actes publiés dans le numéro 125 de la revue Littérature), le colloque s’est tenu dans le cadre du « Todai Symposium » subventionné par l’Université de Tokyo et la publication des présents actes a été soutenue par le Fonds académique de feu le Professeur Takashi Ninomiya.

4Nous dédions ce volume à la mémoire de Jean-Christophe Devynck, l’un des inspirateurs de ce colloque, qui nous a quittés brutalement à la suite d’un accident de la route survenu en août 2001.

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