Avant-propos
p. 5-7
Note de l’éditeur
Marie-Claire Ropars avait pris une part très active à la préparation de ce volume. Elle est décédée avant d’en avoir vu la parution. Son nom, associé à ceux de l’équipe éditoriale, témoigne ici du souci qu’elle eut encore de ce texte de présentation, auquel elle consacra ses dernières forces.
Texte intégral
1Il arrive qu’un film ne se laisse pas saisir complètement par la mise en évidence de sa structure, ni même par l’analyse attentive de ses images. Quelque chose d’indéfinissable et pourtant têtu, comme on pourrait le dire d’un parfum, flotte un instant, s’efface, réapparaît, lui donnant une séduction particulière, sans qu’on puisse en déterminer aisément l’origine, la nature, la fonction. Parfois, des analogies, la récurrence d’un contour, d’un détail, d’un rapport évoquent un réseau ténu de correspondances qui pourraient tisser entre des moments éloignés les uns des autres comme une trame mouvante, mais non pas insaisissable. Ces indices n’ont pas de forme spécifique, et se dévoilent dans leur seule migration au travers du texte. Pour saisir à la fois l’éphémère et l’insistance du symptôme, Emmanuelle André emprunte à Henry James la notion de « motif ». Ni signe, ni objet, le motif est l’un des lieux où se forme un trajet qui court en filigrane mais ne s’impose pas à première vue : le spectateur peut l’ignorer ou, au contraire, le mettre en jeu, s’il prend la peine de suivre son parcours.
2L’analogie littéraire ne suffit pas pour construire les indispensables relais ; aussi Emmanuelle André se sert-elle des réflexions de compositeurs contemporains, en particulier de la conception du motif par Schœnberg, pour s’interroger sur le cinéma, du point de vue de la perception du spectateur. Les musiciens en effet sont attentifs aux éclats momentanés, aux accords sans développement, qui, en eux-mêmes indifférents, prennent un relief quand on les rapproche d’autres fragments analogues. La musique, que n’embarrasse pas la représentation, laisse à son auditeur le loisir d’opérer de multiples combinaisons, d’anticiper des retours, de marquer des affinités, et les théories musicales, moins sensibles aux régularités qu’aux effets singuliers, privilégient une écoute attentive aux inflexions, aux écarts, aux points de rupture. La démarche adoptée ici n’entend ni marquer des correspondances d’une pratique à l’autre ni appliquer aux films les critères dont se servent les musiciens. Elle amène en revanche à regarder les films autrement, en transposant au cinéma certaines des questions que les compositeurs se posent au sujet de leur propre travail.
3La théorie musicale a servi de passeur pour conduire une analyse originale d’œuvres que l’on croyait connaître et dont on découvre ici le caractère retors. Au gré du motif, ce qu’on appelle parfois cinéma classique révèle d’imprévisibles tensions, quand l’étude subtile de films très différents suggère de manière convaincante le parcours de formes souterraines, dont les surgissements et les éclipses manifestent la force structurante. Ainsi, Le Vent, film mis en scène par Sjöström, offre l’exemple d’une force invisible qui, obéissant à des règles non formulables, à la fois façonne et détruit le récit. Dans une histoire souvent racontée, celle de l’adaptation à une autre vie, un mouvement incontrôlé bouscule l’ordonnance du montage et substitue la démesure à une mesure fondée sur l’agencement des plans en fonction de leur rôle narratif. La violence du vent relie toutes les violences éparses au long du film, elle devient un motif, jamais directement évoqué, qui court en dessous du récit, emportant les personnages à contre-courant d’une anecdote bien construite et sans surprise. Emmanuelle André suggère que les poussées du vent rythment le film, non parce qu’elles le scandent de manière régulière, mais parce qu’elles provoquent et déstabilisent les agencements d’images. Ainsi la forme, entendue comme organisation stable, cède-t-elle le pas à la formation, changement incessant qui n’a d’autre loi que son propre élan.
4Qu’est-ce qui légitime le déplacement de la notion de motif hors du champ musical ? Quelle vérité du motif permet ainsi son passage de l’audible au visible ? Suffit-il d’invoquer sa nature essentiellement mobile, expansive et volatile ? Emmanuelle André n’évite pas ces questions. Elle y répond par des analyses qui mettent en lumière le paradoxe fondamental du motif, constitué à la fois dans l’évidence immédiate et dans la construction rétrospective. Par là, elle démontre que cette notion est également pertinente pour d’autres arts.
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