Présentation
Sophie Charlin
p. 251-253
Texte intégral
Écrire, serait-ce voir qu’on ne voit pas ?
(« L’œil du cheval »)
1 À plusieurs titres, cette troisième partie semble prendre le contre-pied de la précédente. À l’étoilement des années 1988 à 1991 répondent la concision et l’homogénéité. La réflexion se resserre autour d’une notion qui sera son point de mire : l’image et sa visibilité. Les objets analysés, comme les préoccupations théoriques, s’organisent dans une sorte d’harmonie et balisent le pas à pas d’une recherche concentrée à traquer une notion fuyante et évanescente qui aboutit à la publication en 1995 de L’Idée d’image (dont on retrouve ici, en germe, quelques principes).
2 La rupture revient aussi aux objets étudiés. Privilégié jusqu’ici, le cinéma devient second et laisse la place au texte littéraire. Les travaux du début des années 1990, encadrés par Écraniques (1990) et L’Idée d’image (1995), après le dernier numéro de la revue Hors Cadre (en 1992) se tournent plus nettement vers la littérature.
3 C’est avec le texte littéraire que Marie-Claire Ropars construit une théorie de l’image. À mi-chemin du parcours, le trajet peut se résumer ainsi : dans un premier temps, il s’agissait de définir le film comme texte ; dans un second temps, il s’agit à l’inverse de mettre en évidence l’image dans l’écriture. La réflexion se prolonge : il est toujours question d’intervalle et d’altérité puisque, dans les deux cas, c’est l’autre (du film puis du texte) qui est en jeu. Le parcours va à rebours de l’évidence, cherchant l’écriture dans le film et l’image dans le texte.
4 Pourquoi donc le littéraire prend-il une telle importance à ce moment-là ? Il ne s’agit pas d’étudier l’image dans l’écriture en tant que telle, et d’en donner une définition cloisonnée. En effet, dans un mouvement inverse, le texte littéraire vient à son tour jouer le rôle d’opérateur dans une démarche esthétique et les analyses cherchent à faire apparaître par ce biais de nouvelles hypothèses théoriques sur l’image. Pour sa part, l’opérateur-cinéma a mis en lumière le « pas de l’image »1, sa dimension fugitive, fragmentaire et divisée. La lanterne magique a ainsi permis de destituer l’image de cinéma de sa plénitude supposée en éclairant sa dimension imaginaire. Mais c’est au texte littéraire que revient le pas suivant : l’écriture met en évidence la visibilité paradoxale de l’image et le principe de sa négativité. Dans L’Idée d’image, Marie-Claire Ropars évoque le détour nécessaire par le texte littéraire en vue de l’image : « L’image ne va de soi qu’en glissant hors de soi. Il faut donc que le texte témoigne, ne serait-ce que par défaut, pour la singularité d’un processus que le film fait jouer et que le tableau tente d’arrêter, mais dont il revient à l’écriture de manifester l’essence négative2. »
5 Les deux premiers articles de cette partie poursuivent le croisement du film avec le texte ou le tableau dans la réécriture et visent l’image qu’ils ont en partage. Chez Robbe-Grillet (« Les deux yeux de la chouette. Note sur l’intervalle du cinéma et de la littérature chez Robbe-Grillet »), comme chez Godard (« Réécriture filmique et dissimulation picturale »), l’analyse s’attache à la mise en scène de ses paradoxes. L’écriture maintient l’image à distance et le film défait le tableau, les opérations sont de retrait et de dissimulation. Aussi oblitérante dans les œuvres écrites que visuelles, l’image se pense en va-et-vient des unes aux autres (détour et retour). Marie-Claire Ropars combine la double approche et définit l’image selon ses deux versants qui sont comme les « deux yeux de la chouette » chez Robbe-Grillet, écrivain et cinéaste.
6 Deux textes plus théoriques approfondissent les conclusions de ces analyses : « L’image dans le langage » et « Sur le désœuvrement : l’image dans l’écrire selon Blanchot ». Marie-Claire Ropars aborde le rapport entre le langage et l’image et définit cette dernière comme « tache aveugle du langage » 3 , autre inaccessible et pourtant indissociable. C’est autour du « désouvrement » blanchotien qu’elle fait converger de manière décisive l’altérité et la négativité paradoxales de l’image dans l’écriture.
7 Le dernier texte, consacré à une analyse de Claude Simon, boucle le trajet en revenant au regard. Des « deux yeux de la chouette » à « l’œil du cheval », cernée par la théorie et l’analyse, prise dans les détours de l’échange entre les arts, l’image demeure échappée. Au cœur du parcours, la machination de ces cinq textes dessine un dispositif complexe et réflexif dans lequel l’image ne se livre qu’en se retirant dans un constant mouvement contraire.
Notes de bas de page
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Le Temps d'une pensée
Du montage à l'esthétique plurielle
Marie-Claire Ropars-Wuilleumier Sophie Charlin (éd.)
2009
Effets de cadre
De la limite en art
Pierre Sorlin, Marie-Claire Ropars-Wuilleumier et Michelle Lagny (dir.)
2003
Art, regard, écoute : La perception à l'œuvre
Pierre Sorlin, Marie-Claire Ropars-Wuilleumier, Michele Lagny et al. (dir.)
2000