Avant-propos
p. 5-6
Texte intégral
1« Je suis là, mais absent1 » dit le sourd, auquel répond le Renégat, « contumace partout2 ». C’est un jeu de cachecache en somme que Tristan Corbière impose à son lecteur, et si parfois il fait mine de l’aider, c’est aussitôt pour le décevoir : il est là, mais ce n’est pas lui, c’est un autre qui lui ressemble.
2Et c’est pourtant de ce moi-là qu’il sera question dans cette étude : pas le vrai Corbière que nous décrivent les biographes, mais celui qui s’écrit tout seul. Gageons qu’il en a plus à nous apprendre que les rares témoignages disponibles, à condition qu’on le lise pour ce qu’il est : une fiction. On cherchera donc à savoir à quoi pourrait ressembler un moi absent et comment il peut écrire une œuvre poétique. De cette figure, qu’on nomme oxymore, on dégagera un axe : une présence stérile (« Je suis là, mais absent ») s’oppose à une plénitude du vide (contumace est chez Corbière toujours positif). Deux voies (ou voix) à explorer et dont la relation reste à définir.
3Contrairement à une tradition bien établie, il ne sera pas question de la modernité de cette œuvre ni de sa descendance. Le lecteur s’apercevra vite que le projet est au contraire inverse : Corbière y est lu à partir de ses propres lectures, dans sa position d’héritier. C’est en quelque sorte l’imaginaire d’un épigone qu’on veut décrire. On tâchera donc de montrer que cette situation de dépendance à l’égard d’un passé prestigieux n’est pas sans conséquences sur la représentation du moi. D’Œdipe à Tristan, c’est quasiment la même histoire : souhaitons que cet épisode roscovite prenne valeur d’exemple, qu’il puisse constituer en quelque sorte un archétype d’art poétique œdipien3 !
Notes de bas de page
1 Tristan Corbière, Œuvres complètes, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1970, p. 768. Toutes les citations sauf indication contraire renvoient à cette édition.
2 Page 825.
3 C’était dans ces termes qu’Alain Buisine concluait son article (« Sans rime ni marine », Revue des sciences humaines, n° 177, janvier-mars 1980) : « Corbière m’aura appris que l’Œdipe est aussi un art poétique. » Une conclusion qui trace le programme du travail qu’on présente ici.
Si les références littéraires se limiteront pour l’essentiel au paysage de Corbière, les outils théoriques qu’implique cette étude seront en effet tirés de travaux plus récents. Faire de l’Œdipe un art poétique, c’est s’efforcer de concilier les apports de la psychanalyse ou de la recherche sur l’imaginaire et ceux de la linguistique ou de la poétique. Quant à la critique corbiérienne, sa part sera volontairement limitée dans le texte en raison même de son importance : bien des passages de cette étude sont des prolongements de travaux antérieurs et signaler systématiquement les emprunts rendrait vite la lecture fastidieuse. En revanche, les ouvrages les plus marquants auront droit en annexe à une présentation qui s’efforcera de leur rendre justice.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Ce que le poème dit du poème
Segalen, Baudelaire, Callimaque, Gauguin, Macé, Michaux, Saint-John Perse
Anne-Elisabeth Halpern et Christian Doumet (dir.)
2005
L'Art de la mesure, ou l'Invention de l'espace dans les récits d'Orient (xixe siècle)
Isabelle Daunais
1996
L'Inconscient graphique
Essai sur la lettre et l'écriture de la Renaissance (Marot, Ronsard, Rabelais, Montaigne)
Tom Conley
2000