4. Le moment autobiographique
p. 165-219
Texte intégral
1Peut-on encore parler d’autobiographie si toute possibilité de rencontre entre narrateur, personnage et écrivain est exclue ? Le projet qui définit la notion d’autobiographie ne suppose-t-il pas qu’il y ait, si ce n’est pendant un instant, un moment où l’identité peut s’inscrire ?
2L’autobiographie semble offrir deux modèles temporels, apparemment également inefficaces, pour sortir de l’aporie autobiographique. D’une part, la temporalité linéaire mène à la fiction du dernier mot écrit sur le lit du mort, faisant de l’autobiographie un testament ou un legs ; ici, le sujet est constitué de manière posthume, mais en tant que l’objet d’un récit d’outre-tombe. D’autre part, la torsion de cette linéarité engendre un redoublement du récit et une superposition de moments distincts, mais en proscrivant tout lien avec un quelconque réel en dehors de ce système clos.
3La possibilité de l’autobiographie ne peut être pensée à l’intérieur de telles figures temporelles. En effet, les deux schémas, linéaire et cyclique – ou, si l’on veut, géométrique et mécanique-, sont loin d’être sans rapport l’un avec l’autre : ils relèvent tous deux de la chronologie, cette temporalité figurée tout aussi bien par la ligne que par le cercle du cadran de l’horloge. Pour réussir ce que le projet exige, l’autobiographie doit faire apparaître dans le texte une différenciation temporelle, un élément qui échappe au cercle et qui résiste à la chronologie. Il faut donc qu’il y ait une faille dans le système, une brèche dans le récit qui s’ouvre sur ce réel où a lieu l’écriture. Existe-t-il un tel élément, capable de donner lieu à un instant de rencontre ? Peut-il donc y avoir un moment autobiographique où l’identité s’inscrit ?
Signatures
4En dernière analyse, il n’y aurait aucune marque distinctive propre à l’autobiographie, du moins tant qu’on en reste aux propriétés internes du texte. Ce serait là la thèse de Philippe Lejeune lorsqu’il traite de la difficulté de cerner, de l’intérieur du récit, la singularité de l’autobiographie. Si l’on peut cependant, malgré tout, différencier le récit autobiographique et le texte fictif, c’est qu’il y aurait une marque extérieure, celle du nom propre sur la page du titre, qu’il suffirait « d’englober » dans le texte pour disposer d’un « critère textuel général ». Le nom propre viendrait ainsi signer le pacte autobiographique1.
5Dans la mesure où le roman est capable d’imiter, de reproduire fidèlement toute structure autobiographique interne, et notamment les structures réflexives qu’implique toute tentative de se raconter, de se connaître, voire tout simplement de se désigner, le trait distinctif du texte autobiographique serait ainsi, en principe, non narratif et non référentiel, en ce sens que ce qui signe le texte ne doit faire référence ni à un signifié idéel, ni, à l’intérieur du système narratif, à un élément du monde diégétique. Le propre du texte autobiographique – son rapport particulier au nom propre – doit proscrire toute imitation, et faire signe vers un certain réel : l’auteur en chair et en os dont le nom s’inscrit sur la page de titre.
6Bien sûr, le nom inscrit sur la couverture du livre importe peu en tant que tel : c’est un trait commun à la plupart des textes publiés, tous genres confondus. L’important serait plutôt, du moins à première vue, l’identité entre ce nom-ci et celui du personnage et du narrateur « à l’intérieur » du texte. La reproduction d’un tel rapport d’identité ne présente cependant aucune difficulté formelle, comme le suggère la pratique très courante du pseudonyme ou du nom de plume. L’essentiel n’est donc pas là non plus, mais dans l’identité, apparemment nécessaire, entre le nom propre de l’auteur, et celui qu’il choisit d’inscrire sur la couverture de son livre dès qu’il s’agit d’une autobiographie – où, par définition, il y a identité entre ce nom et celui du narrateur-personnage. Pour qu’une telle argumentation échappe à la tautologie, il faut supposer qu’il y ait une quelconque exigence pour interdire la supercherie. Il faudrait donc que le nom inscrit sur la couverture, fût-ce un pseudonyme, devienne propre à l’auteur dès cette première identification entre « l’extérieur » et « l’intérieur » du texte. Pour Lejeune, cette exigence serait une question d’honneur2, voire de passion : à travers le nom propre, « c’est la personne elle-même qui revendique l’existence3 » ; « le nom premier reçu et assumé qui est le nom du père, et surtout le prénom qui vous en distingue, sont sans doute des données capitales de l’histoire du moi4 ».
7L’argument de Lejeune dans Le Pacte autobiographique n’est pas sans ambiguïté : le rapport au nom propre dans l’autobiographie se doit d’échapper aux structures romanesques et donc à la référentialité mimétique, mais le nom imprimé sur la couverture est « indubitablement référentiel5 » ; il est à la fois intérieur et extérieur au texte ; il semble à la fois permettre et interdire l’usage d’un pseudonyme6. Paul de Man suggère que de telles contradictions apparentes seraient dues à une confusion, d’une part, entre le nom propre et la signature, et d’autre part, entre le performatif et le référentiel7. La notion même de référence prête cependant à une certaine confusion. Le rapport de propriété qui lie le nom à une personne relève-t-il de la référentiation différentielle du signe linguistique ou d’un tout autre mode de référence ? Dans ce deuxième cas, la référence « indubitable » peut-elle être « englobée » dans le système de signification textuel ?
8L’importance du nom de l’auteur serait qu’il se trouve à la fois au-dedans et en dehors du texte, « à son extrême lisière ». En tant que signe extérieur, sa référentialité n’est plus, semble-t-il, de l’ordre de la mimésis narrative : ce à quoi il fait référence existe en dehors du monde diégétique, et peut être vérifié à partir de ces deux institutions juridiques que sont l’état civil et le contrat d’édition8. Cependant, pour que le nom puisse établir l’identité autobiographique, il doit aussi être « textuel ». Est-ce dire qu’il doit fonctionner aussi comme le nom qui, à l’intérieur du texte, fait référence au personnage ? De par sa position spatiale, à la lisière du texte, le nom d’auteur fonctionnerait comme charnière entre deux modes de référence, l’un se rapportant au monde réel, l’autre au monde diégétique. Le système reposerait, en dernier ressort, sur la possibilité de vérifier la référence réelle.
9Cependant, à d’autres moments, Lejeune paraît esquisser un système non pas de duplicité référentielle, mais d’emboîtement. Le texte doit affirmer l’identité entre personnage, narrateur et auteur en renvoyant au nom sur la couverture, signant ainsi un pacte et manifestant l’intention d’honorer cette signature9. Il y aurait donc trois moments : le nom qui, à l’intérieur du récit, renvoie au personnage (et, de manière autoréférentielle, au narrateur) ; la signature du pacte qui renvoie au nom d’auteur, établissant le lien entre l’intérieur et l’extérieur ; l’inscription du nom propre, qui renvoie à la personne réelle, permettant d’authentifier le contrat. L’importance de cette distinction entre l’inscription du nom d’une part, et la signature d’autre part, devient claire dès que l’on considère le cas du pseudonyme, c’est-à-dire d’un nom qui pourrait très bien être l’objet d’une signature, d’une intention honorable, d’une affirmation d’identité, sans pour autant se rapporter au nom propre inscrit sur l’état civil.
10En même temps, on se rend bien compte qu’il n’est pas question ici d’une signature au sens restreint du mot, mais d’une figure désignant l’acte intentionnel d’inscrire un nom comme propre à la personne. En d’autres termes, aux trois niveaux du système d’emboîtement correspondraient trois modes de référence distincts : narratif, intentionnel et « indubitable » ou vérifiable. L’usage métaphorique du mot signature tend à faire équivaloir l’acte de signer de sa main, et le processus complexe (juridique, économique...) de publication qui aboutit à l’inscription d’un nom en caractères d’imprimerie ; il mène ainsi à une confusion entre l’identité juridique vérifiable et la référence intentionnelle.
11Une signature peut-elle faire référence au-delà de toute volonté ou intention de faire représenter le signataire par tel ou tel paraphe ? L’usage du mot chez Lejeune est évidemment motivé par le modèle juridique, mais l’on remarquera que la formule légale, « je soussigné », est nécessairement suivie de l’inscription du nom, puis de la signature faite en présence de témoins et certifiée par le sceau de la justice. La mise en scène institutionnelle nécessaire à authentifier une signature rend manifeste son caractère intentionnel et non vérifiable, caractère que souligne Lejeune en parlant du mode de référence propre à l’autobiographie en général. « Nous ne parlons pas des difficultés pratiques de l’épreuve de vérification dans le cas de l’autobiographie : puisque l’autobiographe nous raconte justement [...] ce qu’il est seul à pouvoir nous dire10. » Il s’agit, ici, de différencier la biographie, où il est facile, dit Lejeune, de déterminer le degré d’exactitude, et l’autobiographie, où, paradoxalement, « cette exactitude n’a pas une importance capitale11 ». Le parallèle entre cette distinction et celle qui différencie le nom propre et la signature est frappant : comme l’autobiographie elle-même, la signature n’a pas besoin de reproduire exactement son objet (ou, pour être plus précis, tout comme l’objet de l’autobiographie n’est pas une série de faits réels, l’objet de la signature, si elle en a un, n’est pas le nom propre). Très souvent illisible, elle n’est pas un mot signifiant et, en tant que trace graphique, elle ne veut rien dire : ne vaut que l’acte même.
12Cependant, lorsqu’il s’agit du problème de la référence dans l’autobiographie, Lejeune remarque que la formule appropriée n’est plus « je soussigné », mais celle, tout aussi juridique, du serment : « Je jure de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité12. » Ainsi la signature se rapporterait au pacte autobiographique, qui impliquerait à son tour – les deux sont coextensifs et difficiles à dissocier13 – un pacte référentiel conclu par le serment. Une telle déclaration de foi est purement performative, mais ne peut fonctionner comme acte de parole sans qu’il y ait d’abord un lien référentiel entre le sujet de l’énonciation et l’identité de la personne. C’est précisément la fonction de cet autre acte performatif, la signature du pacte : « L’auteur, représenté à la lisière du texte par son nom, est alors le référent auquel renvoie, de par le pacte autobiographique, le sujet de l’énonciation14. » Pourtant, si la signature est, elle aussi, un acte performatif, le seul lien référentiel serait celui de la représentation de l’auteur par le nom propre, dont l’authentification serait à la base de toute possibilité de serment ou de contrat. N’y a-t-il donc pas, ici, contradiction ? À quoi bon jurer, signer, promettre, s’il faut aussi prouver ?
13Sans doute pourrait-on rétorquer qu’il s’agit d’une simple méprise : il n’y a pas de signature sur la couverture du livre, et le seul lieu où l’on risque d’en trouver, avec le nom de l’auteur et, le cas échéant, le pseudonyme, serait le contrat d’édition, papier qui intéresse peu le lecteur, sans doute encore moins que le registre des actes de naissance. Nous savons cependant que la signature, ici, est une métaphore, celle précisément qui figure la forme écrite du serment ; et peut-être faut-il entendre l’état civil, lui aussi, en un sens moins strict :
Quand on cherche [...] à fonder ce sur quoi renvoie le « je » des récits personnels, nul besoin de rejoindre un impossible hors-texte : le texte lui-même offre à son extrême lisière ce terme dernier, le nom propre de l’auteur, à la fois textuel et indubitablement référentiel. Si cette référence est indubitable, c’est qu’elle est fondée sur [...] l’état civil (convention intériorisée par chacun dès la petite enfance) [...]15.
14Loin d’être un simple papier administratif, l’état civil se définit ici comme une convention intériorisée, une forme de croyance qui participe à la constitution de l’identité personnelle et dont le statut n’est plus, du coup, juridique. Ainsi le serment implicite de l’autobiographie se formulerait comme suit : je jure de dire la vérité « telle qu’elle m’apparaît, dans la mesure où je puis la connaître16 », à commencer par mon nom inscrit sur la couverture de ce livre...
15Si tel est le cas, il faudrait comprendre la signature du pacte d’une tout autre manière. Il ne s’agirait ni de la référence linguistique du régime narratif « intérieur », ni de la référence vérifiable se rapportant à un objet « extérieur » représenté par le nom sur la couverture. Si la référence de la signature doit être indubitable, il faut qu’elle n’appelle pas à être vérifiée : elle doit se limiter à la performance, au seul acte de signer17.
16Comment un texte imprimé pourrait-il donc se signer ? Si la signature veut agir comme lien entre le mot écrit et le geste qui le produit, lien donc à un certain réel, elle ne peut signifier quoi que ce soit, au risque de devenir un mot comme tous les autres. Signer, ce n’est pas nommer : la signature existe simplement pour dire qu’elle a lieu. La signature se doit ainsi d’être insignifiante, de résister à tout mouvement qui veut l’englober ou l’incorporer dans le texte, ce qui ne veut pas dire a priori qu’elle doit se placer, à l’instar du nom de l’auteur, « en dehors », ni même « à la lisière » du texte, au sens spatial de ces expressions. En même temps, il est clair que la signature doit faire référence d’une certaine manière : il ne s’agit pas de n’importe quelle marque arbitraire ou accidentelle (bavure d’encre...), mais d’une trace qui fait signe, c’est-à-dire qui peut se répéter et se reproduire.
17Si le mot écrit fait sens à partir de sa détermination contextuelle, la signature serait un élément non pas tant hors-textuel, que hors-contextuel. Elle n’entretient pas de rapport déterminant, au niveau du sens, avec les mots qui peuvent l’entourer : sa fonction serait précisément de marquer un contexte absent du texte, celui de sa propre inscription.
18De même, si un mot en vient à faire sens en se généralisant comme signifiant idéal, c’est-à-dire, selon le modèle saussurien, en se détachant comme image acoustique de sa réalisation matérielle qui la représente, la signature aurait la particularité d’être non représentationelle, et indicible : comme marque insignifiante du réel, elle est ce qui ne peut se dire. En ce sens, elle présuppose l’absence du sujet de l’énonciation : elle vient s’inscrire à sa place comme marque de cette absence.
19Serait-elle pour autant illisible ? L’illisibilité de la signature, si l’on comprend par là l’impossibilité de déceler ce qu’on pourrait appeler une image graphique signifiante (les lettres du nom propre), ne nuit en rien à sa fonction : précisément parce qu’elle n’a pas pour but de représenter le nom propre, elle est lisible comme signature seulement à partir de la généralisation ou l’itérabilité de son aspect matériel particulier. La signature serait ainsi à la fois signifiante, dans la mesure où elle présuppose la possibilité de sa propre répétition, et insignifiante en ce qu’elle ne dit rien, et ne fait référence qu’à sa propre inscription singulière. C’est là l’aspect paradoxal par lequel elle remplit sa fonction : elle est non seulement unique, mais aussi essentiellement reproduisible, et généralisable en tant que signe. En ce sens elle est propre au signataire unique tout en offrant, nécessairement, la possibilité de sa contrefaçon.
20Si nous entendons donc par ce mot quelque chose qui pourrait se produire dans un texte imprimé, la signature serait un élément non narratif dont le caractère paradoxal ne serait pas éloigné de celui de la date. Cependant, contrairement à la date, la signature se doit de faire signe vers un certain réel, en dehors de tout rapport référentiel. Elle serait une répétition insignifiante qui nomme ce qui ne peut se dire : la chose même, par définition innommable.
21L’indicible, l’impossibilité de nommer le réel, sont l’enjeu même du récit de L’Affamée, texte qui s’écrit sous le signe de la dissimulation, non seulement de l’événement jamais explicité, mais aussi du nom propre. En effet, l’absence de noms, que ce soit celui de la femme aimée, des autres personnages, ou de la narratrice elle-même, est un des traits marquants de ce livre. L’impossibilité ou l’interdiction de dire, dans les deux cas, n’est pas sans lien, et suggère un rapport particulier entre le nom et la chose.
22L’événement de la première page de L’Affamée a lieu lorsque la narratrice voit une femme qui lit dans un café. La femme sera appelée par le pronom « elle », et plus tard, « Madame » et « vous » ; elle est aussi désignée par périphrase : « celle qui lit dans un café ». Ici, ce qui fonctionne comme nom fait aussi référence à l’événement même. La narratrice du récit n’aura pour nom que le pronom de la première personne, du moins jusqu’au passage vers la fin du texte où un personnage l’interpelle par son prénom, Violette18. Le prénom paraît ici, non pas comme ce qui désigne sa propre identité (je m’appelle...), mais comme un nom donné, ou prêté, par autrui (on m’appelle...). De manière semblable, dans La Bâtarde, le nom n’apparaît qu’à partir de la lecture de l’extrait de naissance : « [...] de l’écriture, un enregistrement. Qui est-ce Violette Leduc ? » L’enfant est née bâtarde : l’attribution du nom ne vient qu’après. L’autonomination passe alors par la transformation du nom commun en titre (La Bâtarde, L’Affamée), mouvement qui accorde au mot choisi les lettres majuscules du nom, mais aussi les italiques d’une citation, c’est-à-dire d’un mot prononcé, ou d’un nom appelé. En ce sens, le titre se réfère au nom qu’il crée : on m’appelle « Violette » ; je m’appelle, et j’appelle mon texte, « L’Affamée ». Dans tout le texte de L’Affamée, il n’y a qu’un seul prénom donné par la narratrice : c’est celui du charbonnier du quartier, appelé Aimé. Les autres personnages sont désignés soit par leur fonction sociale (la concierge, le cordonnier...), soit par un sigle (l’ami M.S.).
23Quelle loi régit cette interdiction de nommer ? Le texte la relie au besoin de taire tout ce qui touche à l’événement, comme si parler était un acte qui risquait de changer le cours des choses.
Je n’ose pas téléphoner. Je n’ose pas lui écrire. Je prononce plusieurs fois son nom et son prénom, mais je ne les sors pas de moi19.
Je n’ai pas le droit de prendre le paquet, de le porter, de frapper à sa porte, de m’extasier. J’ai le droit de dissimuler l’événement20.
24Dire le nom de la femme aimée, ce serait comme téléphoner, lui écrire, aller chez elle ; ce serait comme parler de l’événement qu’il faut « dissimuler », garder pour soi. Le nom aurait donc un rapport privilégié à la possibilité de dire en général. Ainsi dans le passage où le prénom de la narratrice est prononcée : « [...] “C’est à Violette...” Puisqu’ils prononcent mon prénom [...] je m’expliquerai21. » Le texte prend alors le parti de prononcer le nom interdit sans le dire et sans révéler ce qui fait sa valeur :
Vous ne savez pas ce que c’est, un nom. Vous ignorez la valeur du sien. Je le prononce devant vous. Je ne commets pas une indiscrétion. Vous ne relevez pas ce que j’ai dit22.
25Il ne s’agit pas, dans L’Affamée, de mettre en scène des personnages sans nom, mais plutôt de taire le nom et de dire qu’il est tu. Ce serait là une des fonctions du sigle qui désigne la personne sans la nommer, désignant le nom de manière cryptée et mettant en relief cette volonté de dissimulation. Un peu à la manière d’un secret que l’on dit devoir garder, alors qu’on devrait ne rien en dire du tout, l’usage des initiales, la dissimulation avouée, invitent au déchiffrage.
Après les jours fériés, les enterrements regagnent des points. Je me jette sur les initiales argentées des tentures. Un D : le nom de ma mère. Un B : son prénom. Un L : mon nom. À onze heures du matin, nos initiales sont mortes ensemble. Je pense à sa mort tous les jours. [...] Je lis et relis les faire-part cloués avec des punaises rouillées sur les portes. Je racole des noms de famille. Voler cette lettre en papier glacé [...]. Je me mélangerai aux noms propres. L’homme qui relève les chiffres des compteurs à gaz de notre rue lisait en même temps que moi23.
26Si, dans le passage cité plus haut, le nom se prononce sans qu’on relève ce qui se dit, ici la lecture des initiales se propose comme un relèvement de chiffres, déchiffrage de ce qui se mélange aux noms propres et sollicite des noms de famille. À la première lecture, la portée de ce paragraphe passe sans doute inaperçue : la narratrice n’ayant pas encore été appelée Violette (prénom dont le passage joue sur la sonorité : voler cette lettre), l’initiale L pourrait désigner aussi bien Leduc qu’un patronyme fictif. Une fois devenue Violette L, cependant, la narratrice semble avouer le statut autobiographique du texte ; le passage formerait alors en quelque sorte le parallèle de celui, dans La Bâtarde, qui offre une lecture de l’acte de naissance. Mais si La Bâtarde exhibe au grand jour le fait de sa naissance illégitime, L’Affamée le dissimule, du moins à première vue. Ici, la suite d’initiales ne reconnaît pas comme nom propre celui de la mère. À partir de la lecture de l’autobiographie, nous savons que la mère s’est mariée après la naissance de sa fille, qu’elle a donc pu prendre le nom du mari pour devenir B(erthe) D(ehous)24. Par un jeu singulier du hasard, cependant, la lettre D désigne aussi le nom du père, D(ebaralle), dont La Bâtarde n’énonce que le prénom, André. « Un D : le nom de ma mère. Un B : son prénom. Un L : mon nom. À onze heures du matin, nos initiales sont mortes ensemble. Je pense à sa mort tous les jours. » De quelle mort s’agit-il ? Il pourrait être question de l’ami M.S., ou de la femme dont nous ne connaissons pas le nom, mais aussi, si nous lisons à la lettre, du père dont le nom réunit les trois initiales : DBL, Debaralle.
27Le nom du père aurait ainsi ceci en commun avec celui de la femme aimée qu’il ne peut être énoncé : il est indiqué de manière cryptée et au plus près de l’illisible. La série de chiffres est d’ailleurs insignifiante : pour pouvoir la lire, il faut déjà connaître le nom secret. La lecture ne révèle donc rien, si ce n’est ce mélange de noms propres : Violette DBL. Il n’est pas sûr, non plus, que l’inscription soit faite pour être lue : nous ne sommes pas censés savoir le nom du père, pas plus que nous ne devrions connaître celui de la femme aimée, Simone de Beauvoir. Il faut souligner que le nom Debaralle ne figurera dans l’œuvre de Leduc que quelques vingt-cinq ans plus tard, dans La Chasse à l’amour, texte publié après la mort de l’auteur.
28Le statut de ce genre d’inscription chiffrée est nécessairement indécidable, et le jeu ainsi instauré, illimité : comme le remarque Jean-Michel Rey, l’anagramme (ou, ici, le cryptogramme) se lit « dans un contexte paradoxal [...] : celui de la langue comme espace d’un travail indéfini, où le hasard, le fortuit, l’accidentel, le contingent, l’effet de répétition ont force de loi25 ». Il serait, en effet, difficile de dire ce qui mène à une telle lecture, dans quelle mesure elle est déterminée par le texte même, à quel moment le déchiffrage cesse d’être valable, ou à quel point une lettre ou un mot sont indépendants du contexte. Dans L’Affamée, la mise au premier plan de la dissimulation du nom propre, l’usage d’initiales (sauf dans le cas d’un seul personnage), de tels traits textuels sembleraient justifier une lecture du nom secret à partir de ces lettres détachées de leur contexte immédiat.
29En ce sens, le déchiffrement serait une forme de lecture consistant à recontextualiser, selon une logique très éloignée de celle qui régit le texte narratif, des éléments qui semblent comme singuliers, isolés sur la page, ou détachés de toute signification directe : les lettres M, S, D, B, L ; les deux prénoms Violette et Aimé. Ce qui pousse à cette volonté de recontextualisation serait la répétition d’un phénomène à première vue insignifiant, ou résistant à la signification, voire la répétition simple d’une lettre : le prénom de la mère, B... ; une salle d’hôpital, la salle B ; une pensionnaire au collège récitant l’algèbre dans son sommeil, et commençant par h26. En suivant la logique d’un tel hasard, les lettres qui donnent Violette DBL, faisant référence au père, pourraient aussi s’insérer dans une autre phrase, ayant pour référence la femme qui lit : « Violette L – Aimé – M(adame) S d B27. »
30Le nom du père et de la femme aimée auraient-ils donc, tous deux, quelque chose en commun avec l’événement dont il s’agit, à tout prix, de ne rien dire ? D’une certaine manière, oui. Très peu, mais peut-être l’essentiel : d’abord, la lettre d qui donne la particule.
31Lorsqu’il s’agit du nom de la femme aimée dans L’Affamée, la narratrice dit toujours « son nom et son prénom » ; plus tard, dans La Folie en tête, elle remarque à propos de Simone de Beauvoir : « Je ne séparerai jamais son prénom de son nom » :
Nous portons le nom que nous méritons. Le mien est un coup de trique. Celui de Simone de Beauvoir est un attelage. Je ne séparerai jamais son prénom de son nom. Comment pourrais-je séparer l’azur du ciel... Je dis tout haut son prénom et son nom, je me promène dans un jardin à la française, je suis altière et distraite, je vais, entre les statues, avec mon mouchoir de dentelle, je n’élève pas la voix. Son prénom et son nom dans ma bouche, la pudique amande dans l’écorce.
Les tours et leurs meurtrières, des petites filles auxquelles je m’attarde. J’aime les sexes fendus avec un trait28.
32La particule est un lien inébranlable entre le prénom et le nom, l’enfant et le père, « l’attelage » qui est aussi signe d’une appartenance sociale29. Un texte inédit de Leduc, écrit la même année que la publication de L’Affamée, sur le nom (et sous le titre) « Séraphine de Senlis », commente déjà la particule reliant ce peintre à la noblesse :
Vient ensuite la particule qui unit une femme de ménage de génie à sa petite ville devenue son grand nom de famille. [...] Grand équipage de mots, équipage plus royal, plus merveilleux que ceux de Catherine de Sienne. Des syllabes en velours montent la côte de la légende, de la renommée. L’époque au nom trouvé au pied d’un arbre, parmi les oiseaux hypnotisés, les petites fleurs bleues30 guettant le miracle d’une adoption à l’ombre de l’arbre, l’époque de cette adoption du nom trouvé a commencé quand j’ai lu celui de Seraphine de Senlis sans savoir qui elle était. Nom et prénom sont la seule biographie que je connaisse d’elle [...]31.
33Attelage et « équipage », la particule unit le prénom non pas à un nom propre en tant que tel, mais au nom d’une chose : adoption d’un nom trouvé, celui d’un lieu, qui deviendra héritage.
34Dans le cas de Debaralle, les lettres de sont englobées dans le patronyme, et refusent le lien d’adoption et de filiation qui donne au nom et au prénom la structure tripartite décrite dans La Folie en tête : « [...] son prénom et son nom [...] les sexes fendus avec un trait. » Le nom de Simone de Beauvoir, nom féminin « fendu avec un trait », unit et sépare les deux sexes, la fille et le père ; il rappelle en écho les deux premières consonnes de Debaralle, lettres qui appartiennent, aussi, au nom de la mère : BD. Le nom de Simone de Beauvoir est, en effet, une « biographie » familiale, hasard d’allitération qui fait événement.
35Peut-on dire que ce jeu de lettres majuscules et de noms signe le texte de L’Affamée ? D’une part, il s’agit, certes, d’une série d’éléments décontextualisés, non narratifs, insignifiants, itérables, série singulière qui énonce sans dire le nom du père que même La Bâtarde garde sous silence. Il n’est pas question cependant du nom de l’auteur, mais d’un nom qui manque (DBL), et d’un autre trouvé et adopté (SDB). En ce sens, la signature paraît, d’abord, doublement illisible : il s’agit d’une inscription chiffrée, qui ne représente le nom de Leduc que par un biais détourné et surdéterminé. D’autre part, si cette inscription semble, en effet, faire référence vers l’acte d’écrire le texte et donc vers l’identité singulière de l’écrivain, il reste néanmoins qu’elle se donne à déchiffrer et donc à faire référence aux noms possibles de l’auteur, de manière très oblique il est vrai. En cela, il faut donner raison à Philippe Lejeune : l’identité paraît, de fait, intimement lié au nom. Il faut souligner cependant que l’intentionnalité de cette « référence » reste, ici, indéterminée. Il s’agit d’une autoréférence qui s’inscrit, pourrait-on dire, par hasard – de là son caractère indubitable.
36Peut-on dire pour autant que la signature, telle qu’elle apparaît dans L’Affamée, assure le statut autobiographique du texte ? Elle relie, certes, la main qui écrit à la voix qui parle (et qui, à plus forte raison, se taît), mais elle ne répond nullement à la question du nom propre que pose l’autobiographie : « Qui est-ce Violette Leduc ? » L’Affamée demeure, à cet égard, une recherche autobiographique : une recherche du nom réellement propre, que l’on ne pourrait plus, du coup, mettre en question.
Nom propre, voix propre
37L’objet de l’autobiographie ne serait-il donc rien d’autre que la recherche du nom ? Il ne s’agirait alors pas tant du nom donné et inscrit sur l’acte de naissance, que de celui qu’on se donne en écrivant, le nom d’auteur qui peut ou non prendre la même forme mais dont la portée, dans tous les cas, est autre. « Le sujet profond de l’autobiographie, c’est le nom propre », écrit Lejeune, avant d’ajouter que le « désir de gloire et d’éternité [...] repose tout entier sur le nom propre devenu nom d’auteur »32. Pour écrire en son propre nom, il faudrait alors non seulement établir une identité entre le nom inscrit à l’intérieur et à l’extérieur (ou à la lisière) du texte, mais aussi faire rejoindre, à travers l’autobiographie, le nom donné à la naissance et celui que l’on portera jusqu’après la mort. Si le récit autobiographique retrace, le plus souvent, l’acte de naissance, la date, le lieu, le nom donné, il ne peut faire de même pour l’acte de décès de l’auteur ; le désir de gloire et d’éternité, s’il existe, repose sur l’inscription du nom en tant qu’auteur de l’autobiographie, comme si l’autobiographie elle-même assurait la survie du nom au-delà de la mort, de la fin de l’histoire et des limites du texte. En d’autres termes, l’aporie autobiographique ne concerne pas seulement la coïncidence de la vie et de l’écriture, mais aussi la coexistence, à travers le nom, de deux formes d’écriture, l’acte de naissance et la nécrologie.
38C’est sur ce rapport entre le nom propre et la nécrologie, ou l’épitaphe, que s’appuie Paul de Man, à travers une lecture de Wordsworth33, dans sa critique de Lejeune. D’après de Man, l’épitaphe d’un écrivain n’est autre que le nom propre, qui donne à voir le visage de l’auteur et fait entendre sa voix après la mort. La figure dominante du discours de l’épitaphe – et de l’autobiographie – serait ainsi la prosopopée : la fiction d’une voix d’outre-tombe34. Cependant, cette fiction d’un nom qui donne à voir et à entendre la chose ou la personne absentes serait celle qui régit le langage en général : l’écriture, nécessairement silencieuse, relève toujours de la prosopopée et de la structure de la voix d’outre-tombe.
39Ainsi, écrit de Man, la mort serait le nom déplacé d’une aporie linguistique, l’absence et le silence nécessaires de tout ce qui est nommé ; l’immortalité que confère l’autobiographie comme épitaphe serait, en ce sens, mortifère. L’autobiographie, dans la mesure où elle tient à l’inscription du nom, relèverait donc effectivement du monument funéraire, puisque le fait même de nommer condamne au silence, ôte la voix et le souffle de celui qui voudrait parler, et ne laisse finalement qu’un nom sans visage35. Si le nom saisit l’identité de l’écrivain, sa vie même, il la retire en même temps : nommé, l’auteur n’est plus, et ne peut plus parler en son nom. Par conséquent, l’autobiographie ne pourra jamais établir l’identité de l’auteur et du narrateur : voix et nom seront toujours dissociés.
40Regardons cependant cet argument d’un peu plus près. En faisant de la mort une figure de la référence vide du langage dont l’épitaphe et le nom seraient exemplaires, de Man déplace le problème du nom propre pour en faire le paradigme de tout mot qui pose l’existence d’un objet. En effet, une certaine logique du paradigme traverse son texte, mouvement qui généralise la spécificité de l’objet (un cas parmi d’autres) tout en lui conférant le statut de modèle (le cas idéal). Le texte de Wordsworth serait « exemplaire » en tant qu’autobiographie ; l’autobiographie serait l’exemple même d’une structure linguistique générale36. Le texte de Wordsworth est fait d’une série d’épitaphes citées en exemple et commentés ; le dernier texte cité, à titre de « mémorial d’adieu », est extrait d’un poème de Wordsworth lui-même37. Il s’agit donc en effet, ici, de la transformation en épitaphe d’un essai sur les inscriptions funéraires, mais ce mouvement transforme aussi le statut de l’exemple, qu’il ne s’agit plus de citer pour illustrer un phénomène plus général, mais de donner comme ce phénomène même.
41Le passage du poème donné en épitaphe serait inspiré de l’inscription trouvée, dans une cimetière des montagnes de Westmoreland, sur une pierre tombale commémorant un certain Thomas Holme, nom propre que le poème efface, en parlant, par antonomase38, d’un habitant du lieu (a gentle Dalesman) où Wordsworth, lui aussi, est mort39 ; dans le poème, qui est narré à la première personne par « l’Auteur », le texte dont l’épitaphe est extraite fait partie d’un discours rapporté du pasteur de l’église voisine. L’épitaphe ne s’écrit donc pas au nom de l’auteur, pas plus que les mots qui la forment ne proviennent de sa bouche. Au contraire, l’auteur fait sien un nom trouvé et s’approprie le discours d’un autre ; dans le même mouvement, c’est son propre nom qu’il efface. Si la prosopopée donne à voir et à entendre à partir de l’inscription du nom, l’épitaphe qui en serait l’exemple même ne fonctionne que par le déplacement du nom et de la voix. Ainsi, si la mort est une figure de la référence vide du langage que la prosopopée veut restaurer au moyen du nom, ici le nom même est vide ; l’absence de nom propre rend alors possible la prosopopée, la figure du poète qui se dessine dans l’épitaphe, la fiction d’une voix venue non pas d’outre-tombe, mais du vivant de celui qui parle à partir de la désappropriation du nom, assurant par là sa survie.
42Dans la mesure où la phrase « je suis mort » ne peut être prononcée en son nom propre, la coexistence dans l’autobiographie de l’acte de naissance et de l’épitaphe est, en effet, impossible : l’une ne se fait qu’au prix de l’effacement de l’autre. Mais peut-être est-ce là précisément ce que cherche l’autobiographie : le remplacement du nom donné par celui trouvé, du nom propre par celui adopté. En ce sens, il s’agit moins d’ériger un monument à l’éternité du nom et à la gloire posthume que d’un mouvement contraire où, à travers le nom effacé, la mort se vit avant la lettre.
43 L’Asphyxie est le seul texte de l’œuvre de Leduc qui ne donne aucune forme de nom propre au personnage central, la narratrice40. Il n’y a donc pas d’aveu du statut autobiographique du livre, si ce n’est de manière indirecte, par l’inscription du nom de certains membres de la famille Leduc (Berthe, Fideline) qui réapparaîtront, plus tard, dans La Bâtarde. Le nom de la mère, du père, du grand-père et, nous l’avons vu, de la narratrice, sont cependant omis. À partir de ce premier livre, on peut ainsi tracer un développement progressif du processus de nomination dans l’œuvre, jusqu’à la parution des trois tomes de l’autobiographie. Dans L’Asphyxie, le plus souvent, le nom est tu. Dans L’Affamée il peut aussi être remplacé par des initiales. La narratrice de ce texte est appelée une fois Violette par des personnages ; dans Ravages elle se donne pour prénom Thérèse. Dans ce roman, un nom est accordé à tous les personnages principaux, mis à part la mère, phénomène qui paraît être lié au caractère fictif de l'œuvre, mais qui se répète dans La Bâtarde. C’est ce tome de l’autobiographie qui raconte pour la première fois l’acte de naissance de Leduc, et qui semble ainsi conclure le pacte autobiographique du texte. L’état civil demeure cependant partiel : il ne donne que le seul prénom Violette et omet le nom du père, qui sera annoncé seulement dans le dernier tome de l’autobiographie.
44C’est à travers le nom propre dans La Bâtarde que Leduc raconte le fait de son illégitimité : fille, mère et grand-mère maternelle portent le même nom de famille. Le récit de l’acte de naissance n’est donc pas celui du patronyme donné, mais du nom absent refusé. Prénom et nom s’inscrivent alors dans une généalogie féminine sans doute fictive – « Qui est-ce Violette Leduc ? L’arrière grand-mère de son arrière grand-mère » – qui efface la singularité du nom ayant déjà appartenu à une aïeule, phénomène d’ailleurs assez courant, que la pluralité des prénoms vient aussi bien perpétuer qu’atténuer. Dans le cas de Leduc c’est, en effet, les deux prénoms dont l’autobiographie ne fait pas mention (Thérèse, Andrée) qui pourraient assurer la singularité du nom.
45Si la naissance illégitime donne un statut particulier au nom propre, celui de Leduc met cependant en relief la structure du nom en général : le prénom a toujours appartenu à quelqu’un d’autre, la multiplication des prénoms, dont le premier n’est souvent pas le nom d’usage, ne faisant qu’apporter, dans le meilleur des cas, une configuration distinctive. Enfin, si le nom de famille n’est qu’assez rarement un matronyme, le nom du père garde néanmoins un caractère aléatoire – pater semper incertus est, remarque Freud à ce propos – dont profite l’enfant pour construire son « roman familial41 ». Ce roman se trouve être vrai dans le cas de Leduc, mais il expose le caractère supposé propre du nom, ce « sujet profond de l’autobiographie », comme fiction.
46La figure qui régit cette logique particulière du nom serait ainsi celle de l’antonomase, un glissement entre le propre et le commun. Un personnage de L’Asphyxie, un contrebandier, s’appelle Fernand. Le personnage d’un hors-la-loi séduisant et théâtral se retrouve dans un autre texte de la même année : Fernand le boucher du marché noir42. Ces deux personnages réapparaissent dans La Bâtarde lorsque Leduc décrit la période vécue en Normandie avec Maurice Sachs : le deuxième Fernand aurait été rencontré pendant que Leduc rédigeait l’histoire du premier. À ce moment, le hasard biographique du prénom vient croiser la figure linguistique. Si la généralisation du nom propre met en relief son caractère arbitraire, elle permet aussi sa remotivation : le prénom Fernand devient signifiant et renvoie alors à ce qui caractérise le personnage (sa virilité théâtrale). Dans la mesure cependant où ces traits peuvent être communs à plusieurs personnages, le mouvement s’inverse : le trait devient à son tour signifiant et renvoie à un autre nom. Dans le cas de Fernand, ces deux mouvements se recoupent. L’antonomase paraît ainsi fonctionner à la fois comme désappropriation (le nom propre est commun à d’autres), et comme possibilité d’appropriation (le trait commun devient propre, le nom commun est adopté : la Bâtarde, l’Affamée). Ce double mouvement n’est possible que dans la mesure où le nom devient effectivement un mot comme tous les autres, condamné à un déplacement à l’infini et à l’absence de toute référence singulière. En ce sens, le glissement entre noms propre et commun aboutirait, en fin de compte, à une transformation du nom en pronom, propre à quiconque se l’approprie.
47Ainsi dans L’Asphyxie, où la mère sans nom est appelée « ma mère » ou, le plus souvent, « elle », les traits qui la distinguent – sa sévérité irréprochable, ses yeux d’un bleu dur, sa beauté – sont partagés par cette autre « elle » aux yeux bleus, belle et irréprochable, qui est au centre de L’Affamée mais dont le référent extratextuel est tout à fait différent (Simone de Beauvoir, et non Berthe Leduc). Un nom renvoie à un autre, les traits d’un personnage à ceux d’un autre : la robe de chambre de Maurice Sachs, semblable à une soutane, comme la robe de et son tablier bleu azur, couleur des yeux de la mère dont le nom partage ses initiales avec celui de Beauvoir : « Je ne séparerai jamais son prénom de son nom. Comment pourrais-je séparer l’azur du ciel... » Le nom propre, comme le visage ou les vêtements, rappelle toujours les traits communs à d’autres désignés par le même pronom. Paradoxalement, nous l’avons vu dans le cas de L’Affamée, cette généralisation du nom propre en nom commun, et finalement en pronom, instaure aussi la possibilité de signature.
48Loin de constituer l’identité entre nom et pronom nécessaire à l’autobiographie, l’identité du nom propre se dissout ainsi à travers le pronom : Violette Leduc devient « je », capable de recouvrir une multiplicité d’identités dont elle peut s’emparer ou se défaire à son gré. « Qui est-ce Violette Leduc ? » La réponse est, et n’est pas, celle que donnerait la question analogue : qui suis-je ? Violette, le prénom donné, celui d’une arrière-grand-mère ; Thérèse, prénom approprié dans Ravages ; Andrée, prénom tu. Si la dissolution de l’identité fonctionne à partir de la généralisation d’un élément commun mais partiel, le nom propre complet, dans sa configuration particulière, serait la chance de l’autobiographie qui, histoire du nom propre, se devrait de raconter la transformation du nom pluriel en nom d’auteur : qui est-ce, ou bien, pourquoi Violette Leduc ? La réponse se trouve, en effet, en marge du manuscrit de La Bâtarde : appelée d’abord Thérèse, « il », c’est-à-dire André, le père, aurait préféré Violette ; faute de donner son patronyme, il aurait donné ainsi un prénom (Andrée), et choisi un autre (Violette). Également en marge des premières pages manuscrites se trouve le nom de famille du père, et la mention : ne pas imprimer43...
49D’une certaine manière, le manuscrit de La Bâtarde reprend la logique de L’Affamée : énoncer le nom sans le dire. La lacune n’apparaît qu’à travers la question qui donne à entendre la possibilité d’une autre réponse, celle du nom entier composé des prénoms tus, nom singulier par le fait même de faire référence à plus d’une seule personne, à la généalogie maternelle mais aussi paternelle. Tout le système de noms déplacés à travers l’œuvre serait, en ce sens, une manière de recouvrir l’écart entre le pronom « je » et le nom, le défaut d’un nom véritablement propre. Ainsi le nom inscrit dissimule tout autant qu’il donne à voir ; susceptible d’être déplacé, remplacé et dissipé, il refuse tout lien d’appartenance à la voix autobiographique que n’assume, en fin de compte, que le pronom « je ».
50 L’Asphyxie serait alors exemplaire précisément dans la mesure où le défaut de nom propre correspond à une absence de voix, lacune que fait entendre la première phrase du livre : « Ma mère ne m’a jamais donné la main... » La référence à l’ici-et-maintenant de la voix parlante – l’adulte habitée, encore aujourd’hui, par l’enfance – qu’implique le langage discursif de l’incipit, s’arrête dès cette interruption indiquée par la suite des trois points. Un peu comme s’il s’agissait d’un dialogue interrompu, à partir de la deuxième phrase, le langage narratif ne prend plus une forme discursive – pour reprendre la distinction de Benveniste – mais adopte celle propre au récit. L’histoire se développe alors comme une série de souvenirs d’enfance sans lien apparent entre eux, sans voix capable de les réunir. Comme L’Affamée annonce le secret du nom dissimulé, L’Asphyxie annonce ainsi le vide auquel son titre fait référence : dès la coupure de la première phrase, la voix dévoilée et présente de la narratrice ne revient plus, et le récit se déroule sous le signe de la parole tue. La question que pose le livre de L’Asphyxie n’est donc pas – qui parle ? L’attente qu’instaure l’interruption de la première phrase pose la question contraire : qui ne parle pas ? qui cherche à parler à travers les différentes voix du texte ?
51Les souvenirs de L’Asphyxie ont trait, souvent, à la sexualité que l’enfant, faute des mots nécessaires, ne peut s’expliquer. Le récit le fait comprendre à travers ce même non-dit, mettant en scène l’enfant qui regarde et qui écoute sans comprendre et sans s’exprimer. Vers la fin du livre cependant, une voix inattendue se fait soudain entendre au milieu des paroles étouffées de l’enfance, voix d’autant plus invraisemblable qu’elle deviendra connue, plus tard, à travers d’autres livres, comme celle de l’écrivain Violette Leduc. Il s’agit du long monologue d’une jeune fille qui parle à sa mère, devant la tombe de sa sœur Clémence.
– Assez ! Cesse de gratter sa terre comme un caniche qui aguiche. Cesse de nettoyer et de fleurir l’apparence de son apparence. Pendant qu’il est temps encore, laisse-la reposer dans cette sale boîte qui est à sa longueur [...].
Rentre ! abandonne-la à ce grave abandon. [...] Elle aurait préféré un fauteuil éventré dans un grenier ou bien un lit de feuilles croustillantes dans un ruisseau tari, ou bien une chaise à la fin d’un bal, ou bien une calèche dans un musée, ou bien une carriole penchée sur un pré, ou bien un fossé sous une étoile, ou bien un matelas jeté dans un verger, ou bien un bois de lit malodorant dans une cave, ou bien une échelle allongée dans un cirque vide, ou bien deux chaises face à face dans un estaminet, ou bien une banquette dans un train figé, ou bien le carrelage devant un feu qui s’endort... [...].
Assez ! Il fallait qu’elle s’endorme tout de suite. Tu lui commandais. Il fallait que, pliée en deux, elle disparaisse. [...] Le samedi, il venait. Tu la changeais de place. [...] De lit en lit. [...] Dans sa sale boîte, elle ne laisse place qu’à ce projet de poussière44...
52Le cri qui s’élève, ici, semble répondre au manque de voix que fait entendre la première phrase. Porte-parole de l’enfant morte, la voix interpelle la mère pour condamner son deuil hypocrite : tu voulais qu’elle disparaisse, que tu aies une place dans ton lit pour remplacer le père absent – la voilà disparue, laisse-la donc en paix...
53Dans le récit principal de L’Asphyxie, ce n’est pourtant pas l’enfant qui meurt, mais la grand-mère, figure centrale de ce récit qui semblait d’abord être dédié à la mère. La mort de la grand-mère survient vers les débuts du livre, mais la structure du récit, comme assemblage achronique de souvenirs, fait qu’elle apparaît tout au long du texte jusqu’à la scène qui précède celle du cimetière. En ce sens, la voix qui s’élève semble interpeller, pour la briser, la narration du récit devenu tombeau. « Assez ! Cesse de nettoyer et de fleurir l’apparence de son apparence... » La figure de la grand-mère n’apparaît alors plus, et le récit finit sur un bond de cinq ans en avant45 lorsque l’enfant, devenue adolescente et pensionnaire au collège, choisit de quitter la maison du mari de sa mère et de rester à l’école pendant la fête de Pentecôte. La Bâtarde paraît faire référence à cet écart temporel en parlant de l’enterrement de la grand-mère : « J’ai réalisé cinq ans plus tard qu’elle était morte, que je l’aimais d’amour, que je ne la reverrais plus46. »
54Faire le deuil de la grand-mère, c’est aussi se libérer de la mère indifférente, de l’enfance prise entre les deux figures, de la haine engendrée, passage accompli entre la première et la dernière phrase du livre : « Ma mère ne m’a jamais donné la main... » ; « C’était une mère irréprochable ». L’Asphyxie ne sera ainsi rien d’autre que l’histoire d’une voix étouffée, qui revient, avant l’heure, et dans la bouche d’une autre qui parle à la place de l’enfant morte. S’il s’agit bien de la voix de Violette Leduc telle qu’elle apparaîtra plus tard, dans L’Affamée et les livres ultérieurs, elle s’élève, ici, comme une voix d’outre-tombe dont la condition de possibilité est précisément l’effacement de l’inscription sur la pierre mortuaire : il n’y a aucune inscription du nom de l’auteur47. La voix parle alors, non pas pour faire surgir l’apparence et le visage de la personne absente, ni même pour se faire entendre, mais pour regagner le silence et la paix de la mort : « Ce silence feutré, cet abandon absolu48. » En ce sens, la voix parle au nom du silence ou, en d’autres termes, de ce qu’il ne faut pas dire mais garder, au contraire, jusque dans la tombe, secret scellé qu’il s’agit précisément de ne pas révéler, pour faire place à la voix sans nom, au silence de l’écriture. Si nommer, c’est invoquer l’absence et la mort, ici s’esquisse le mouvement inverse, la mort du nom faisant parler la voix vive. Qui parle ? La question n’a, d’une certaine manière, plus cours : répondre, ce serait prononcer le nom qui manque.
Temps de la mort
55Qu’il s’agisse de l’inscription du nom, ou d’une voix qui apparaît avant l’heure, dans les deux cas, la série de figures nécrologiques mise en jeu pose la question du rapport temporel qu’entretient l’autobiographie avec la mort. Au niveau thématique, la mort soutiendrait ce qui apparaît comme la fiction même de l’autobiographie, sa propre figuration comme texte érigé en monument à la gloire posthume du nom, achevé au moment du dernier souffle, et assurant la survie de sa voix d’outre-tombe. Au niveau temporel, la mort dessinerait la limite virtuelle du texte autobiographique, ce vers quoi elle se dirige. Elle se poserait comme horizon de l’entreprise, à son extrême lisière, pour déplacer quelque peu l’expression de Lejeune. Sur les deux plans, elle serait ce qui donne à l’autobiographie la possibilité de s’écrire en tant que testament, ou épitaphe.
56Une telle figuration ne peut en effet être dissociée de la configuration temporelle de l’autobiographie, qui pose la mort comme cette limite qui serait aussi sa condition de possibilité : le moment de rencontre entre les deux lignes du vécu et de l’écrit. L’autobiographie verrait ainsi en la mort la voie de sortie de sa propre aporie, solution qui n’en est cependant pas une. D’abord, la mort effective a peu de chances d’arriver, en réalité, au moment même du dernier mot. Ensuite, si jamais elle survenait, ce dernier instant où l’on pourrait enfin écrire en son nom serait aussi celui qui échappe à toute écriture et à toute parole.
57L’autobiographie entretient une telle fiction, mais elle ne la prend pas forcément au sérieux : elle ne se livre pas au hasard du manuscrit trouvé parmi les papiers du défunt, ni à tout le scénario de cette vie posthume qu’elle met en place. Au contraire, que de prévisions pour déjouer le hasard : titres, préfaces, testaments, etc.49. Bien plus, l’autobiographie se sert de sa duplicité constitutive, sa capacité de faire redoubler la vie et l’écrit et de se replier sur elle-même, pour s’en protéger. Comme un employé zélé qui tient toujours ses fichiers à jour par crainte de l’imprévu, l’autobiographe ne remet pas à l’avenir la tâche d’écrire sa vie actuelle, mais intervient dans son texte pour le raconter déjà, tant soit peu ; gardant toujours en vue l’inachèvement possible du récit linéaire, il nous renvoie déjà aux textes antérieurs, pour que le lecteur puisse suivre ce deuxième fil de la narration, si besoin est, et finir lui-même l’histoire.
58Cette structure circulaire, résultat de la torsion de la chronologie linéaire et de l’élargissement de l’espace autobiographique, en vient à constituer une image de l’écrivain sous son nom d’auteur, image objectivée par l’incorporation dans le récit de l’acte d’écrire qui exclut, du coup, le sujet de cet acte. Comme le suggère de Man, le travail du nom, ici, est donc bien mortel : le texte s’érige, en effet, en monument autour d’une figure morte, le nom de l’auteur ne renvoyant plus qu’à cette image figée et passive. Ce faisant, cependant, le texte recule devant la mort qui attend en marge : il n’y a pas de rencontre à la lisière du texte entre personnage, narrateur et écrivain, et la tombe, alors, demeure vide. La stèle préparée à l’avance en vue d’une survie posthume devance la possibilité d’une mort future : l’avenir étant, au sens fort, nécessairement de l’ordre de l’inconnu, la prévision de l’avenir est aussi sa forclusion, précisément parce qu’elle prévoit, annule le hasard, et fait donc de l’avenir une répétition du passé.
59La temporalité circulaire de la reprise finit alors par inclure la mort dans sa structure même, et rend ainsi impossible la mort projetée vers la fin du texte : l’auteur, déjà mort, n’aura pas vécu, et paye son immortalité au prix même de sa vie. Comme l’événement qui a déjà eu lieu mais qui reste toujours à venir, l’autobiographie finit par s’ordonner autour d’une attente de ce qui, par ce fait même, n’aura jamais lieu et recommence toujours. Comme forclusion de l’avenir, la logique de la reprise n’arrivera jamais à dire cette mort dont elle est cependant, dans sa répétition incessante, la figure même. L’autobiographie, comme le deuil impossible, attend la mort de ce qui est déjà mort, l’auteur nommé et enterré avant l’heure50. Nous nous rendons bien compte que nous sommes encore, ici, à l’intérieur d’une fiction, que ce tombeau où le nom d’auteur s’inscrit en toutes lettres peut bien en cacher un autre, bref que la mort affichée, prévue, objectivée, n’est pas celle dont on pourrait commencer à dire, à la fin du texte, avant d’être interrompu : « je suis... ».
60Les deux structures temporelles, linéaire et circulaire, sont ainsi intimement liées. La projection de la mort comme moment de rencontre au-delà, ou à la limite, du récit n’est, en fin de compte, que l’autre versant de son inclusion dans le récit même. Dans les deux cas, la rencontre demeure fictive : la main se dissocie toujours de la bouche, le nom ne rejoint jamais la voix. La fiction existe néanmoins comme celle propre à l’autobiographie, ce texte érigé en monument à la gloire posthume, où le nom inscrit sur la stèle fait parler la voix d’outre-tombe. Il ne s’agit pas, cependant, d’un jeu gratuit. Au contraire, si la structure complexe qui sous-tend la fiction autobiographique est aussi celle que partage la mélancolie du deuil impossible, il y va bien de la mort, comme nous le verrons – non pas de celle nommée, mais d’autre chose, dont la nomination serait cette deuxième mise à mort nécessaire pour mettre fin au deuil, et à l’histoire.
61 L’Affamée, que nous relirons ici une dernière fois, est rythmé par le temps mécanique de l’horloge, temps que la narration s’efforce de dépasser pour mettre fin à l’attente, comme si l’énonciation des paroles permettait de se libérer du rythme répétitif. On le sait cependant, le récit est aussi frappé de l’interdiction de prononcer certains mots, ou certaines phrases, d’élucider la fascination d’autres paroles qui reviennent toujours : c’est l’écriture silencieuse qui donnera la possibilité d’énoncer sans laisser les mots sortir de la bouche. Le conflit entre l’exigence et l’interdiction de dire paraît ainsi comme l’impulsion du récit, ce qui lui donne son mouvement et le retarde à la fois.
62Si l’écriture apparaît, dans L’Affamée, comme ce qui permet de mettre fin à l’histoire, nous renvoyant au début du livre pour recommencer notre lecture, le récit prévoit cependant une manière différente pour faire cesser le rythme incessant de l’attente : en être délivré par la mort. Ainsi, juste avant la dernière scène, lorsque la narratrice part au café où lit la femme aimée, un court rêve fuyant : « Je rêve que j’ai un revolver dans chaque poche [...]. Si j’apparaissais avec eux dans le café51... » Des revolvers pour tuer qui ? L’ambiguïté de cette mise en scène fugitive est révélatrice : se tuer, ou tuer l’objet aimé, revient au même. Deux pages plus loin, la décision est prise, et la fin de l’histoire ne sera pas la mort, mais le début de l’écriture.
63Au long de l’histoire de L’Affamée, la mort paraît comme horizon ou limite de l’attente, libération possible, mais extrême, de l’impossibilité de dire. D’un autre côté, la mort est intimement liée à la nécessité de dire comme moyen d’accomplir son deuil : l’exigence, par exemple, de prononcer la phrase « il est mort d’épuisement sur une route », dans la scène où il s’agit de l’ami M.S. Paradoxalement, c’est la parole, ici, qui rend effective, ou accomplit la mort de l’ami et qui, une fois prononcée, libérerait – en principe – aussi bien de la mort que de l’impossibilité de l’énoncer. L’exigence de dire, accompagnée de son interdiction, engendre ainsi une logique circulaire : dire, c’est tuer, pour pouvoir dire. De toute évidence, cependant, ce qui s’applique à la mort d’autrui ne sera d’aucun secours lorsqu’il s’agit de la sienne propre, mort qui, elle, ne peut être énoncée. « La mort. La mienne. Incompréhensible », écrit Leduc plus tard, dans La Chasse à l’amour : « Celle des autres. Facile à suivre »52. La formule pourrait se transposer : ma mort, imprononçable ; celle des autres, facile à dire. Pourtant, ce n’est rien d’autre qu’une confusion de ces deux morts, la sienne et celle d’autrui, qui paraît comme le moteur du texte, précisément parce que la mort de l’autre relève de cette même difficulté d’énonciation.
64La référence à l’ami M.S. apparaît pour la première fois peu après une scène où la narratrice devait quitter la femme qui lit au café parce qu’elle attendait quelqu’un d’autre. Quelques pages plus loin, cet abandon par la femme aimée se confond avec celui de l’ami disparu :
M.S. a disparu. J’entends son rire. J’entends le rire d’un disparu. Je ne peux pas avaler ce caillot de tendresse. [...] On m’enlève le souvenir de ce rire. On m’enlève tout. J’ai faim. On m’enlève les miettes. J’ai trop mal au cœur. Ma tête me quitte. Je tombe sur le trottoir. Elle attend dans le café. Je rampe. Elle attend dans le café. C’est moins triste quand on avance. J’ai faim. Elle attend quelqu’un dans le café. Je rampe mais j’avance. [...] Les plaintes ne passent plus entre mes lèvres. Mes lèvres et mes plaintes sont à l’abandon. Je meurs de faim53.
65Comme dans la scène sur la mort de M.S., il s’agit d’énoncer la phrase pour pouvoir avancer. L’énonciation, acte qui consiste à passer des mots entre les lèvres, à les faire sortir de la bouche, est figurée ici comme l’équivalent de tout autre acte se rapportant à la même topique et assouvissant la faim à laquelle le titre du livre fait référence : avaler, manger, parler ; la faim, le mal au cœur, la nausée. Ce qui permet une telle équivalence serait, d’abord, une confusion entre le mot et la chose, comme si avaler ou dire quelque chose avait la même valeur. À première vue, ce serait là la structure paradoxale de la prosopopée, procédé par lequel l’immortalité du nom assure la survie de la personne, où le mot vaut pour l’objet disparu. Cependant, si nommer, c’est aussi tuer et rendre absent, et si le mot prononcé rend possible l’oubli, alors l’énonciation de la phrase devrait accomplir le deuil et mettre fin à la répétition inlassable – ce qui n’est précisément pas le cas, ni dans ce passage-ci où la faim persiste, ni dans celui sur la mort de M.S. :
Il fallait avancer. Sa mort était énorme. [...] J’ai dit : « Il est mort d’épuisement. » [...] J’ai toisé le ciel. Bouclé. Toujours rien à signaler. J’ai tout dit : « Il est mort d’épuisement sur une route. » [...] J’ai craché. Je l’ai dit, je l’ai dit. La pluie n’allait pas plus vite que ma mort54.
66Il s’agit bien d’une mise en mots et d’une reconnaissance de la perte de l’ami mort, et pourtant, malgré la phrase énoncée, le rythme répétitif de l’attente persiste, retardant toute progression. Ce qui donne l’impulsion à la parole n’est pas épuisé- comme s’il restait encore autre chose à dire, ou qu’il fallait encore trouver le mot juste.
67Si L’Affamée prend pour équivalents l’acte de manger et de parler – tous deux, à leur manière, des actes meurtriers – en confondant le mot et la chose, il est peut-être moins question du nom qui remplace l’objet que du contraire : ne pas prononcer le nom, ce serait garder l’objet. Ainsi, dans la mesure où la chose n’est pas nommée, elle se rapporte indifféremment à la femme aimée ou à l’ami disparu – et cela avec d’autant plus de facilité que ce qui désigne les personnages, pronom ou initiales, ne leur est pas propre, mais fortement polysémique.
68Qu’est-ce qui rend impossible la prononciation du mot juste ? La polysémie du procédé de l’énonciation, le glissement d’un objet à l’autre, laissent entendre la possibilité d’un déplacement supplémentaire, allant jusqu’à inclure, dans le processus du deuil, le sujet endeuillé : elle attendait quelqu’un d’autre, il est mort, disparu, mais je meurs également et attends peut-être, moi aussi, tout autre chose. Ainsi, à la fin du passage sur la mort de M.S., apparaît une figure de la mort venant à la rencontre de la narratrice elle-même :
Dans ma tête, il y a eu le contre coup. Je me suis perdue. [...] Il fallait avancer. [...] Non, je ne veux plus avancer. Entre mes pas, j’ai un deuil. [...] J’avancerai en même temps que vous, Froideur. Nous sortirons en même temps de nos tranchées. J’irai à votre rencontre. [...] Je peux compter sur vous. Mon corps sera généreux. Il vous rendra tout55.
69Prononcer la phrase pour accomplir son deuil serait l’acte nécessaire pour mettre fin à sa douleur, acte qui mettrait à mort, une deuxième fois, l’objet aimé et perdu. Mais pour peu que l’objet aimé fasse partie intégrante de la vie du survivant, qu’il soit nécessaire à sa survie (Je ne peux pas vivre sans toi, dit l’amoureux), un tel acte serait impossible, à moins d’entraîner, dans le même mouvement, sa propre mort. C’est, en effet, tout le dilemme de L’Affamée : comment renoncer à ce dont j’ai besoin pour vivre ?
70L’attente désespérée ne peut éviter de se mêler d’espoir, empêchant ainsi la mort effective de la narratrice. Peu importe que l’événement attendu soit un « mirage » : il suffit de prendre l’image au pied de la lettre, ne jamais prononcer les mots destructeurs et garder la chose pour soi.
71« J’ai rebâti l’événement avec du marbre », dit la narratrice de L’Affamée, après avoir lu la lettre de la femme aimée où apparaît le mot « mirage », lettre qu’elle rêve, avant sa déception, d’enfermer derrière « la vieille grille d’une tombe ».
Pour elle, l’événement est un « mirage ». Le mot glacé tombe au fond de moi. [...] J’aurais dû poser vraiment le grillage autour de la table, sortir, attendre. Je cache sa lettre avec mon visage couché dessus. Je cache mon bouleversement. Je serre ma tête avec mes bras. Un garçon me demande ce que je désire boire. J’ai tout bu. Je sors du café. J’avance avec la lettre. J’y renoncerai, je la détruirai, je la jetterai sur la chaussée. Un camion roulera sur cette écriture. Le camion s’en ira, du fond des siècles, l’événement reviendra. Je la garderai56.
72Ce serait, ici, la première mort que raconte L’Affamée, celle de l’amour détruit avant de vivre et dont tout le récit mettra en scène le deuil. Bien sûr, s’il était possible de renoncer à l’amour naissant, le récit n’aurait pas eu lieu. Mais une telle possibilité est niée dès la première page : l’événement vient du fond des siècles, et la femme qui lit n’en aura été, en ce sens, que la cause occasionnelle. Que l’événement soit un « mirage » est donc, effectivement, tout aussi incompréhensible que sa propre mort, puisque l’événement qui « bat jusqu’au bout [des] doigts » est indissociable de la vie : l’événement reviendra toujours, ne pourra disparaître, car l’absence et la présence sont des « mirages identiques ». Les mots de la lettre, d’abord comprise, avant la lecture, comme une réponse à la déclaration d’amour et une affirmation de l’événement, seront donc « bus », et l’événement avalé ou « absorbé » pour garder l’image aussi intacte et aussi vivante qu’au moment même de sa mort. La déception, la mort de l’événement, est impossible à s’avouer. Mais parce que cette mort transforme l’événement en mirage, parce qu’elle rend équivalents l’absence et la présence, le mot et la chose, elle est aussi ce qui rend possible l’acte de l’absorber et de le porter en soi – de s’ériger soi-même en tombeau, la stèle bâtie dans du marbre, sépulcre indestructible qui assure la survie du « mirage » jusqu’à sa propre mort.
73Sans doute cette logique implacable fonctionnerait-elle sans heurt si le « mirage » n’était pas continuellement confronté à des événements réels – si la femme partie ne s’obstinait pas à revenir, si l’ami disparu ne réapparaissait pas dans la nouvelle de sa mort ou, à plus forte raison, si la femme et l’ami n’étaient pas déjà venus relancer cet événement enfoui depuis la nuit des temps. « Sur son absence véritable je n’ai rien à dire. Je respire plus librement depuis qu’elle est partie57. » Face à chaque atteinte nouvelle, cependant, le poids du « cadavre mou » qu’il faut porter58 devient insupportable : « Il y a dans ma tête, dans mon corps une malle qu’il faut porter, emporter partout. [...] Cette malle que je porte en moi m’écrase mais j’avance quand même. » « Je portais la nouvelle sur ma tête. [...] Il fallait avancer. Sa mort était énorme. [...] J’ai dit : “Il est mort d’épuisement.” C’est lourd, un voile de crêpe59. » Pour alléger ce poids, réussir à avancer, il faudrait bien tuer ce mort une fois pour toutes, le désigner et lui donner un nom. De là, donc, nouveau dilemme : comment tuer sans mourir ? Comment dire sans parler ?
74Cette aporie traverse non seulement L’Affamée, mais toute l’autobiographie, dont elle est, peut-être, la question même. « Vouloir mourir pour me chérir, est-ce cela ? », écrit Leduc dans La Chasse à l’amour, comme s’il était possible de se servir de cette duplicité constitutive du sujet qui porte l’autre en lui pour survivre à sa mort et ne tuer, pour ainsi dire, qu’une partie de soi-même. L’image d’une telle mort partielle apparaît dès L’Affamée, et prend la forme d’un morcellement du corps. Ainsi le rêve de la hache, où il s’agit de se couper la main pour ne plus écrire60. C’est une scène qui trouve son écho au début de La Chasse à l’amour, où la lame de rasoir qui amènera la mort d’un seul geste, d’une seule ligne tracée sur la peau, se tient dans la main comme un stylo plume :
Pourquoi dois-je te tenir du bout des doigts ? Tu n’es pas sale. Tu me fatigues. Je suis fatiguée d’être fatiguée. [...] Le travail se fait, ce n’est pas commencé. Mourir, c’est accoucher. [...] Une entaille, le sang est libre. Oui ou non ? Mourir d’indécision. [...] Tu m’attends ? Je t’attends ? [...] Je dois me servir de toi. Tu tranches, tu m’effraies. C’est compliqué, je ne me décide pas. Pourquoi ne continuerais-je pas de vivre allongée sur mes cendres61 ?
75D’un côté, se couper la main, c’est mettre fin à l’écriture et à toute l’histoire, en finir avec « l’indécision » de sa propre duplicité, cette vie qui recouvre ses propre cendres. Cependant, l’acte même qui amène la mort est un geste d’écriture, analogue à un trait de plume.
76L’écriture serait, en effet, ce lieu où une certaine mort peut avoir lieu : « Je suis morte, je pleure sur Violette morte. Je regrette Violette. Je peux encore pleurer62 ? » La phrase qui ne peut se dire en son propre nom peut, semble-t-il, s’écrire. Mais la mort attendue et enfin rencontrée, si elle permet une forme de décision, ou de scission, ne fait que souligner la duplicité de celle qui dit mourir en son nom : je meurs, Violette meurt, je fais son deuil, et l’histoire continue ; Violette est morte, mais je n’ai jamais prononcé mon nom. L’écriture introduit un élément étranger à la topique orale de l’incorporation : la bouche avide qui parle et avale n’est pas la main capable, non seulement de citer cette parole, mais aussi d’écrire sans dire63. En ce sens, l’écriture serait aussi le lieu de la duplicité du sujet, là où le sujet devient objet, lieu d’une libération possible mais aussi d’un enfermement incontournable. Elle serait la possibilité de la mort et de la survie de la mort, mais aussi l’impossibilité de ne pas y survivre. C’est précisément dans la mesure où la mort peut survenir dans ou par l’écriture, que l’écriture elle-même lui échappe.
77Cette situation difficile est mise en scène dans les passages comme celui du rêve de la hache, où l’acte de sectionner la main pour ne plus écrire a lieu, mais dans l’écriture ; elle est figurée également, d’une autre manière, dans les scènes où la mort elle-même est personnifiée. « J’avancerai en même temps que vous, Froideur. [...] J’irai à votre rencontre. » La mort serait ce qui accompagne chaque mouvement et chaque geste écrit, mais qui se tient à distance et s’objective. Ainsi, dans la scène du début de La Chasse à l’amour, elle devient une femme, appelée Mme Verglas ; dans L’Affamée, elle apparaît comme une statue en craie, « mon épouse en maillot blanc ». L’apparition de la dame blanche serait la mise en scène de la possibilité de la mort : elle attend toujours, je suis donc vivante ; elle m’attend, je vais donc mourir... Ce n’est, d’une certaine manière, qu’un leurre : « La mort n’est pas un amant à ramener à soi64. » Une fois mise en scène et dotée d’un pronom, la mort rentre dans le système du déplacement polysémique qui régit toute appellation : la mort est toujours, du moins potentiellement, ma mort, mais « elle » devient la mort d’une autre, ou l’autre morte :
La mort est là. [...] Elle m’attendait dans ma chambre. [...] Elle saura que je suis là. Elle lève ses yeux clairs. À la fin des lessives, que l’eau bleue des lessiveuses est triste... [...] Je veux qu’elle me regarde. Nous sommes ensemble. Je veux qu’elle se décide. Il n’y a plus de calcul à faire. J’espère qu’elle ne me respecte pas. Elle ri a qu’à dicter. Elle ne dicte rien. Elle renverse la tête. [...] Elle se lèvera. Elle viendra. [...] Mon cœur bat. Je tiens peut-être mon dernier rendez-vous. [...] J’ai des feuilles de papier blanc. Je les déplie. Je lui compose une allée. J’attends dans l’entrée de ma chambre mon épouse en maillot blanc. [...] Elle n’a pas voulu de moi. [...] Elle part65.
78La mort, la mère, la femme aimée aux yeux bleus, distante et froide qui ne regarde pas et qui ne veut pas de cet amour : « elle » pour qui les feuilles de papier blanc se remplissent en l’attendant, et à qui on ne peut dire ce qu’on voudrait lui dire.
Ses lèvres sont mièvres et neuves. Ce sont des lèvres qui laissent passer les gros mots pour les tuer à la sortie. [...] Je me penche sur elle. Je suis sur elle. Ses lèvres ont un goût de craie et mes lèvres sont amidonnées parce que je l’ai embrassée. Ce n’était pas un vrai baiser. [...] Ma bouche est pleine de plâtre. J’ai des lèvres de statue. Elle rêve. Je n’ai pas mouillé sa bouche. Dans la mienne il y a mon enfance amère. [...] Son regard me traverse sans me voir car elle rêve. [...] Je ne peux plus parler. J’ai un monument aux morts dans ma bouche. [...] ma bouche est toujours pleine de plâtre. Je ne peux pas la supplier de se donner à moi66.
79L’apparition de la mort, la rencontre manquée, prennent la même forme que l’événement du début du livre : une promesse de quelque chose à venir, mais qui n’arrive pas ; la nécessité de remplir ce vide en prononçant des mots qui ne peuvent sortir de la bouche. « La mort est là. C’est elle, c’est encore elle, c’est toujours elle, ce n’est jamais elle. » Le refus du langage et de la nomination qui mettent l’histoire en mouvement rendent impossible la mort comme arrêt du rythme machinal. Si l’événement jamais explicité se rapporte à la femme présente, mais aussi au plus lointain passé, à « elle », mais aussi à l’enfance amère, ce déplacement de l’objet empêche l’aboutissement espéré, et interdit, aussi, la possibilité de cette autre fin, la mort. La mort arrive au nom de personne ; objectivée, elle entre dans le système d’objets déplacés et les figure en tant que revenant : elle n’est pas la mort qui arrive, mais celle déjà arrivée et jamais nommée, ce « monument aux morts dans la bouche ».
80La description de la venue de la mort est donc aussi une mise en scène de l’impossibilité de la mort et de la nomination ; la mort arrive dans le récit mais cette mort-là ne peut mettre fin à l’écriture. En ce sens, la main qui écrit prend la relève de la bouche, mais en lui donnant le change. L’écriture devient le lieu d’une figuration ou d’une incorporation de la mort, qui se transforme en « monument », gardé derrière « la grille d’une tombe ». Par là, l’écriture devient aussi ce heu où la mort ne peut advenir : elle est là, toujours, mais pas encore. Cependant, le monument qui empêche de parler n’empêche pas d’écrire, et ce sur le monument même : l’impossibilité de nommer est aussi la possibilité d’encrypter le nom, d’inscrire le secret et d’empêcher la mort effective. « Je » peux mourir, mais « elle », celle qui porte mon nom crypté sur sa tombe, ma signature, survit.
81La fin de L’Affamée, on le sait, instaure le début de l’écriture et l’effacement de la voix : si le texte est là pour être déchiffré, « je » n’arrive jamais à l’instant où pourrait s’énoncer le nom propre à l’auteur. La possibilité de la mort, de la fin du deuil et de l’histoire, ne surviendrait qu’au moment où le je pourrait parler en son propre nom et au nom de sa mort, voix d’outre-tombe avant la lettre, et défiguration de la crypte. Le moment où la mort deviendrait possible, et le nom dicible, serait peut-être, en effet, une voie de sortie de l’aporie autobiographique.
Le moment autobiographique
Seul demeure le sentiment de légèreté qui est la mort même ou, pour le dire plus précisément, l’instant de ma mort désormais toujours en instance.
Blanchot, L’Instant de ma mort
82Si le moment autobiographique est cet instant où l’écriture, la parole et la vie se rejoignent comme au dernier instant, quelle configuration temporelle permettrait une telle « mort » survenue avant la lettre ? Nous l’avons vu, d’un côté, le temps linéaire projette l’instant de la mort au-delà du texte à son extrême limite ; de l’autre, le temps circulaire venu de la torsion de la linéarité inclut le dernier instant en tant que prévision, et forclos ainsi la possibilité de toute mort à venir. Dans les deux cas, ce dernier instant de rencontre ne pourra jamais avoir lieu. Si l’autobiographie est possible, si elle peut réussir à répondre aux exigences du projet en permettant un moment de rencontre où l’identité se constitue, ce ne peut être qu’en formulant une structure temporelle qui échappe au temps mécanique. Il faut donc qu’elle repense ce rapport à l’avenir que figure la mort comme limite du récit d’une vie.
83Dans son essai de 1924, « Le Concept de temps »67, Heidegger interroge le fonctionnement du temps linéaire et circulaire à partir de la figure de l’horloge, mécanisme qui donne le temps comme une suite d’intervalles d’égale durée, se répétant constamment de manière cyclique. Chaque instant est toujours antérieur ou postérieur à un autre qui lui est cependant identique, et qui peut être pensé comme « avant » ou « après » à partir de n’importe quel « maintenant » arbitraire. Ainsi le temps que donne l’horloge est d’abord, dit Heidegger, le maintenant – « Maintenant je regarde ma montre » – du sujet qui se place dans le temps. En ce sens, la question du temps conduit à celle de l’existence : « Est-ce que par le maintenant je ne veux pas dire moi ? Est-ce que je suis moi-même le maintenant et mon existence le temps ? » Si tel est le cas, le moment présent, qui me définit, appartient aussi aux autres : « Et tous ensemble nous serions le temps, personne et chacun68. »
84Cependant, « je ne suis pas les autres » de même que ma mort n’est pas celle d’autrui. Ce qui définit la particularité de l’existence du « je » serait donc la « possibilité extrême » qui lui appartient en propre, et dont la mort serait l’instance la plus manifeste. Comment le sujet peut-il donc se connaître, alors que l’existence, toujours en chemin, n’a pas encore rencontré sa fin ? L’existence est précisément ce qui n’est pas encore fini ; et « à la fin, lorsqu’il en est là, il n’est précisément plus. Avant cette fin il n’est jamais en propre ce qu’il peut être ; et l’est-il, qu’il n’est plus ». Le sujet sait cependant que cette fin aura lieu, que son existence aboutira en sa mort à venir dont il a une connaissance anticipée : sa mort est certaine, indéterminée, immanente69.
85La possibilité de ne plus être rend manifeste ce qu’aura été l’existence. L’existence du sujet qui anticipe sa propre mort se vit sur le mode d’une continuité qui prévoit ce qu’il aura été : « C’est au sein de cette anticipation qu’il revient à son passé et à son présent. » Il n’est plus simplement « dans le temps », il est le temps même70. Ainsi, pour Heidegger, le phénomène essentiel du temps n’est pas le « maintenant » répétable, mais l’avenir en tant que possibilité indéterminable71. En d’autres termes, l’existence se vit sur le mode d’un futur antérieur qui exclut le présent, le dissout dans un passé « à quoi je peux toujours revenir de nouveau72 ». Le temps comme possibilité future repose sur l’anticipation de la mort dont l’avènement ne peut être déterminé selon le mode mécanique du temps de l’horloge.
86Que l’autobiographie soit tendue vers la mort du sujet, qu’elle s’écrive en ce sens selon le mode du futur antérieur – l’autobiographie comme ce que j’aurai été – apparaît de manière assez claire. Cependant, si l’autobiographie prévoit, et se dirige vers la mort, elle le fait à partir d’une structure chronologique linéaire qui voudrait déterminer le moment de la mort et actualiser ce qu’aura été la vie. La vie n’est pas perçue comme révolue par anticipation, mais en tant qu’elle sera révolue après ce moment à déterminer de la fin de l’histoire. L’aporie autobiographique tient donc toujours en ce que la mort à venir, au moment de sa venue, ne sera précisément pas « mienne », puisque je ne serai plus.
87D’un autre côté, lorsque l’autobiographie se sert du décalage entre le passé de l’histoire et le « présent » de l’écriture pour faire de ce dernier la suite, ou « l’avenir » du récit raconté, lorsqu’elle arrive à superposer les moments différents du temps et à cerner ou à prévoir ainsi ce que « j’aurai été », elle le fait en objectivant le « sujet » autobiographique. Ici encore, la mort n’est pas « mienne ».
88La figure d’une mort survenue avant la lettre que nous avons vu s’esquisser tout à l’heure prend cependant une autre forme. Elle ne s’accorde ni aux modalités du temps chronologique, ni au modèle heideggerien de l’essai de 1924. La mort, comme ce qui est toujours, jamais là, qui revient mais reste encore à venir, a structure d’événement, où le rapport à l’avenir est inséparable du lien au passé. L’attente de l’événement repose sur ce qui a déjà eu lieu sans être élucidé. Le rapport à l’avenir ne relève cependant pas de la prévision. Au contraire, ce n’est qu’au moment futur attendu que l’événement du passé pourra se révéler, et être approprié comme ce qui m’est déjà arrivé, selon le mode de l’après-coup. De manière inverse, la structure de l’après-coup suppose la venue d’un événement insensé, imprévisible et incompréhensible, événement qui serait la possibilité même de l’avenir sous une forme autre que la répétition pure du passé. Qu’un tel événement puisse m’arriver ne peut être compris selon la logique du futur antérieur. Il n’est pas seulement indéterminé : il dépasse les limites de ce que « je » peux concevoir jusqu’ici. « Je » ne peux revenir sur un tel événement à partir d’une anticipation du futur : c’est l’événement même qui revient sur moi dans ma passivité. L’événement en revenant se révèle comme ayant déjà eu lieu, mais je ne peux dire ce qui m’est arrivé qu’après-coup. En d’autres termes, la temporalité qui sous-tend le phénomène de l’après-coup n’est pas celle du futur antérieur, mais son contraire : elle est la possibilité d’une antériorité future.
89Si la mort, telle que l’on peut se la figurer, apparaît comme étant toujours, encore, jamais là, il est clair qu’il ne peut s’agir de quelque chose qui me serait toujours déjà arrivé, même en tant qu’anticipation du révolu. Ce serait là le paradoxe de la survivance : si je peux dire « je suis mort », c’est que cette phrase ne se rapporte plus à « moi », et que « je » suis donc effectivement mort. La phrase est incompréhensible comme la mort effective est incompréhensible, imprévisible et insensée, précisément dans la mesure où elle est à venir et ne m’appartient pas. Elle se rapporte à ce que je ne suis pas, à ce qui ne peut se concevoir que comme altérité, c’est-à-dire la possibilité même de l’avenir, de l’événement jusqu’ici indicible. En ce sens, la mort sera toujours la mort de l’autre, toujours tout aussi insensée, mais à laquelle, jusqu’ici, j’ai survécu.
90Si la mort donc, pour l’autobiographie, est cet événement dernier où personnage, narrateur et auteur se rencontrent enfin, elle sera indéterminée et imprévisible. Sa possibilité dépendrait d’un événement anachronique qui se révélerait, après-coup et après la fin du texte, comme ayant déjà eu lieu, pour ainsi dire, trop tôt. En d’autres termes, cette « mort » que constitue la fin du texte ne pourra avoir lieu comme rencontre qu’à partir d’une autre « mort » déjà survenue, mais restée jusque-là incompréhensible. À ce moment-là, je aura parlé au nom de ce qu’il n’est pas encore, ni comme personnage, ni comme narrateur ; il aura parlé comme ce qui m’a échappé en écrivant, ou ce qui s’est échappé de moi dans l’écriture. À la fin du texte, au moment où je n’agis, ne parle, n’écris, ne suis plus, où il ne reste que cette écriture – tombeau si l’on veut –, le je se donnera alors à entendre, voix spectrale avant la lettre, comme ayant déjà parlé.
91C’est une telle voix apparaissant avant l’heure qui se donne à entendre dans La Bâtarde. Une scène de ce livre raconte la première sortie nocturne, à Paris, de Violette Leduc, alors adolescente. Au jardin du Luxembourg, elle rencontre un jeune Argentin qui lui donne les deux volumes de Du côté de chez Swann de Proust.
Du côté de chez Swann. Les deux volumes à la portée de ma main m’ont suivie pendant plus de trente années. La poussière ne veut pas d’eux. Si je les ouvre, j’entends comme si c’était hier les vocalises de l’accent argentin. C’est de la jeunesse immortelle plaquée sur les périodes de Proust73.
92Le récit rétrospectif de sa vie d’adolescente et de jeune femme se déplace ici vers un présent de l’écriture trente années après, les deux moments reliés, et le temps qui les sépare aboli, par la « jeunesse immortelle » du livre de Proust. Ce récit de La Bâtarde se poursuit cependant en introduisant un deuxième « présent » de l’écriture on ne peut plus éloigné du premier.
Hélas, depuis que j’ai écrit cela, l’invisible qui vient ici, la nuit ou bien en mon absence, a déchiré la couverture, mettant à nu les cahiers reliés. Je ne compte plus les livres dans ma chambre qu’il détruit ainsi : Bossuet, Mallarmé (plus que les autres), Saint-John Perse... Signal et signature d’un vampire qui s’attaque aux livres.
93Les dates données dans La Bâtarde en témoignent, la rédaction du texte recouvre une période de plusieurs années, laps de temps qui pourrait expliquer la différence de voix entre ces deux « présents » de l’écriture. Cependant, la voix plus tardive, celle qui refuse le passage du temps et la trace qu’il laisse sur des objets, préférant y voir l’œuvre de l’invisible qui la traque – cette voix ne semble pas se rattacher à un « présent » déterminable. Elle est unique dans La Bâtarde, mais aussi, d’une certaine manière, dans toute l’autobiographie. Alors que d’autres passages difficilement compréhensibles – sur les tours et leurs meurtrières, sur le bébé de la ruelle74 – font appel à des textes antérieurs, ces quelques lignes se rapportent à des livres encore à venir : la fin de La Folie en tête, le début de La Chasse à l’amour. C’est dans ces textes plus tardifs qu’est racontée et expliquée, voire mise en scène mais avec recul, la crise de paranoïa subie par Leduc à la fin des années cinquante, sept ans avant la publication de La Bâtarde. La voix qui se fait entendre ici, qui est à proprement parler celle de la folie, fait ainsi signe vers des textes écrits plus tard, mais aussi vers ce délire déjà survenu et dont il ne reste pas de trace, ces quelques phrases mises à part, dans l’écriture.
94L’Invisible qui s’attaque aux livres serait, pour la voix de la raison, une figure du passage du temps : « Les choses s’usent, Violette », dit Simone de Beauvoir, « nous l’oublions75... » Les preuves multiples de l’existence d’un tel être persécuteur seraient l’œuvre d’une manie de surinterprétation, d’un refus de se satisfaire du sens commun des mots. Tout commence par un numéro inscrit sur la plaque minéralogique des voitures à Paris76.
Une auto noire [...]. Le chiffre 7. Qu’est-ce que le chiffre 7 ? Question de vie ou de mort. Ah ! que ça fait du bien, j’ai trouvé. Je suis née un 7, en 1907. Vais-je vivre ou vais-je mourir avec ce 7 peint en blanc sur du noir ? [...]
Une autre auto. Elle roulait vite avec le numéro mystérieux. [...] Soixante-quinze, l’âge d’un vieux. Ma vie s’arrêtera à soixante-quinze ans, c’est un avertissement77.
95« Violette, réfléchissez... », reprend Simone de Beauvoir : « le numéro soixante-quinze... c’est le numéro de Paris, vous ne le saviez pas ? »
96Les voitures marquées du chiffre mystérieux et envoyées sur le passage de Violette Leduc feraient partie des actes persécuteurs de « l’or-ga-ni-sa-tion », celle qui paye l’invisible pour laisser des messages cryptés, par exemple sur l’étiquette des bouteilles d’eau minérale.
Violée au coin, l’étiquette. Flétrie, pincée. Il s’est acharné aussi sur la lettre a de “Eau naturelle”, la lettre a en a pris un coup. Il m’a laissé, à regret, un n, ensuite tu et elle sans le r. Tu elle peut se transformer facilement en tue elle. Qui dois-je tuer ? Quelle femme dois-je supprimer ? M’annonce-t-il à l’avance la mort d’une valeur ? Ce a effacé veut-il dire André mon père mort à trente-six ans ? Me prédit-il que je mourrai de tuberculose aussi ?
97Plus tard, les cryptogrammes infiltreront aussi les journaux ; il y aura des messages chiffrés à la radio.
Ce journal avant-hier et France-Soir hier avec des lettres à l’encre plus grasse et plus noire... Un typographe me guette, il m’atteint. Je ne te raterai pas pendant que tu liras les faits divers. Il ne m’a pas ratée. Si je me trompe dans ma composition c’est pour te serrer de plus près. Je te trouble avec la lettre V de ton prénom, avec la lettre L de ton nom. Je les ai fait sauter exprès. Deux détonations. Tu as péri deux fois. Et ce n’est pas fini. [...] La radio devient infernale. Jean Witold. [...] Jean Witold se moque de moi quand il parle des duchesses et des comtesses. Mon nom finit avec duc. [...] Si c’était une allusion à mes dîners chez Jacques, au luxe de Jacques, à mon sentiment pour lui... Jacques n’est pas un comte, n’est pas un duc : Jacques est un industriel78.
98Après les journaux, c’est donc Jacques Guérin, le dédicataire de L’Affamée et le premier éditeur de Thérèse et Isabelle qui devient persécuteur, puis la rédaction des Temps modernes. À la fin, c’est Sartre qui épie pour écrire Les Séquestrés..., alors que Simone de Beauvoir, elle, demeure à première vue hors du jeu, bienveillante et rationnelle. Il n’en faudra pas beaucoup plus pour que l’invisible ne s’attaque au cahier propre de Violette Leduc, détruisant la reliure, y laissant sa « griffe » ou sa « signature »79 comme il a fait aux livres de Proust, histoire qui se répète, à sa place cette fois-ci, à la fin de La Folie en tête :
Il déchire avec ses ongles le bas de la couverture des deux livres de Proust sur la cheminée de ma chambre. Du côté de chez Swann devient de la colle séchée, une vieille couleur marron, des cahiers d’imprimerie agglutinés80.
99La surinterprétation paranoïaque qui s’efforce de trouver un sens au travail de l’invisible paraît, d’une certaine manière, comme une lecture après-coup de l’écriture cryptée de L’Affamée. L’Invisible se sert, en effet, de lettres isolées pour donner à lire le nom du père, du jeu des pronoms pour désigner la femme aimée, « elle ». Comme dans L’Affamée, la cryptographie est liée à la mort : le nom du père comme signe de sa propre mort, les lettres V et L sautées comme un double assassinat, le pronom « elle » comme annonce « à l’avance » d’une mort à venir. « Qui dois-je tuer ? Quelle femme dois-je supprimer ? » Le travail insidieux de l’invisible trouble la référence des pronoms : « tu » et « elle » deviennent indistincts, tout comme « je », « tu » et « il » dans le passage sur les fautes du typographe. « Je ne te raterai pas. [...] Il ne m’a pas ratée. » Qui dois-je donc tuer ? Qui me guette ? Elle ? Lui ? Toi ? Moi ? Plus tard, la scène de la lame de rasoir dans La Chasse à l’amour met en relief ce jeu d’équivalences. « Le vampire au plafond ne sera pas vaincu si je ne meurs pas. [...] Pourtant. Cependant. C’est lui qui me conduit à la mort. » Se tuer, c’est donc le tuer, celui qui me tue...
100Leduc, suivant les conseils de Simone de Beauvoir, choisit d’entreprendre une cure de sommeil qui durera un mois. « Un mois. J’étais morte. Je suis ressuscitée. [...] Morte et ressuscitée pour combien de temps ? [...] quatre semaines dans une tombe. Je la voulais, je la réclamais... cette tombe81. » La mort survécue, tout recommence, évidemment, de plus belle : je suis encore là, comme lui (le vampire), comme elle (l’or-ga-ni-sa-tion). Après le réveil, la première visite reçue est celle de Jacques Guérin. Il part à Rome, et offre de donner des nouvelles à Beauvoir, qui se trouve également en Italie. Tout de suite, l’association se fait entre cet homme qui n’est pas un « duc », mais un industriel, et le père, industriel également, et dont le nom, qui n’est précisément pas « Leduc », est prononcé ici pour la première fois.
Il part pour Rome, dans le plus grand hôtel de Rome, sans doute. Oui ma maman, ton enfant affaibli entend aussi le fiacre d’André Debaralle, le bruit des roues caoutchoutées sur les pavés du Nord82.
101Lorsque Simone de Beauvoir revient de Rome, elle amène Leduc dans la maison de repos de la Vallée aux Loups, où le médecin Le Savoureux ressemble « au vieux Debaralle, le père de mon père ». « Il est revenu, grand-père Debaralle. Et il me soigne83. »
102Le réveil après le cure de sommeil, ces « quatre semaines passées dans une tombe », se figure ainsi comme une renaissance, où le nouveau-né se refait une famille de choix : Violette le « duc », le riche industriel, le grand-père, Simone de Beauvoir. La malade se méfie fort de cette réunion familiale, de la présence à la fois d’un père et d’une mère adoptifs. « Il ne m’a pas oubliée. Il le prouve », dit-elle du « père », mais pour ajouter aussitôt : « Qui est-ce qui s’est occupée du traitement ? Qui m’a dit je vous en supplie, soignez-vous ? Simone de Beauvoir. L’éclaircissement est indispensable. » Ainsi, lorsque Jacques Guérin veut rencontrer de Beauvoir, Leduc fait tout pour l’en empêcher.
103C’est pendant cette période de repos dans la Vallée aux Loups que Leduc écrit La Vieille fille et le mort84, récit qui met en scène une femme solitaire amoureuse d’un cadavre qu’elle garde en secret chez elle, « un vagabond venu mourir dans son café le soir. C’était Jacques, pour le nommer. [...] Il a fallu qu’il meure. Je n’avais pas d’autres moyens pour m’approcher de très près, effleurer ses paupières de mes doigts. Ce mort est à moi. »
104Le travail de l’invisible, déplacement de pronoms et effacement de lettres, permet ainsi de mettre en place toute une série d’associations entre personnages, comme s’il était – presque – possible de tout dire, à commencer par le nom du père. Mais cette même logique permet, aussi, à un objet, à un nom, de prendre la place d’un autre. Le cadavre aimé, c’est Jacques tué, même si Jacques est aussi « mon père exécré » ; et si Simone de Beauvoir joue le rôle d’une mère, si son nom rappelle à la fois mère et père, il n’empêche, la femme à « supprimer », c’est évidemment « moi ». Ainsi, un passage étonnant de folie, de clarté, d’ambivalence à la fin de La Folie en tête :
Et Simone de Beauvoir ? [...] Je l’ai escroquée, je l’escroque de toutes les façons. [...] Je mens. Je cache. [...] Elle s’en moque. [...] Si les mouchoirs choisis avec fébrilité, si les fleurs mélangées avec une application de puriste, n’étaient qu’une comédie... Pourquoi, destructrice, tranches-tu la main qui choisit les linons avec des clématites, pourquoi sectionnes-tu les doigts qui ajoutent des roses aux balsamines ? Pour un peu de clarté. Soigne tes bouquets, l’amour est une nuit obscure. [...] Si c’étaient des ruses, mes mouchoirs et mes bouquets ? Et après ? Elle sera toujours ton soleil quand tu la reverras. Elle est la nouvelle journée dans mon aujourd’hui.
105Et, un peu plus loin :
Vampire, je t’en supplie. Je ne veux pas la menacer, je ne veux pas lui montrer mon poing en le montrant au plafond. Tous verraient dans le grenier qu’elle ne mérite pas ma hargne et mon exaspération. Elle ne me protège pas assez... [...] Pourquoi, mon Dieu, me permettez-vous de tout détruire ? Insulterai-je un jour Simone de Beauvoir comme j’insulte les passants ? [...] Dieu, ne permettez pas cela85.
106Les menaces qui pleuvent sur Violette Leduc, les insultes, les accusations qu’elle formule contre elle-même, seraient-elles liées, contre toute apparence, à ce qu’elle voudrait lui dire mais ne laissera pas sortir de la bouche ? Pendant une scène de rêve dans L’Affamée, ce sont les saletés plein sa bouche qui l’empêchent de parler : « Je préservais ma langue contre l’envahissement de la boue. [...] L’ordure est entrée. [...] Je ne pouvais plus lui dire ce que je voudrais lui dire86. » Plus tard, ce sera un « monument aux morts » dont, par un déplacement étrange, la propre bouche en plâtre laisserait « passer les gros mots pour les tuer à la sortie ». Et ce vampire, lui, à la main qui griffe et signe, qui vient en « mon » absence défigurer la crypte de l’aimé(e), éclairant sa nuit obscure et y inscrivant ce qu’il ne faut absolument pas dire ! Encore une bonne raison pour la couper, cette main ambivalente qui confond les gestes d’amour avec les mots de la haine...
107Comme le remarque Leduc à la fin de La Folie en tête, le vampire invisible que paye l’or-ga-ni-sa-tion est un être étrange : « Il ne boit pas. Il griffe... » Si le « vampire » participe, traditionnellement, de la topique de l’oralité meurtrière, ici il paraît s’y opposer : « l’invisible » n’est pas une bouche, mais une main. Cette main a été mise en scène dès L’Asphyxie, où elle grattait la terre de la tombe de l’enfant morte : « Assez ! Cesse de gratter sa terre... » Elle a réapparu dans L’Affamée comme la main qu’il faut couper pour ne plus écrire, dont il faut se détacher pour peur qu’elle ne mette fin au deuil. « Il y a un chargement d’angoisse dans mon estomac. Cela chemine jusqu’à ma gorge. Je voudrais extirper ce colossal pressentiment avec mes ongles. » La main invisible entre donc en conflit avec la bouche comme l’écriture avec la voix : elle travaille en l’absence du « je » pour « s’attaquer aux livres », les déchirer, les défigurer, y laisser sa trace ou « signature ». Elle est à la fois effacement – par exemple du nom, des lettres V et L – et inscription qui nomme de manière cryptée. Elle défigure la crypte en y traçant les lettres de ce qu’il fallait ne jamais nommer – « Dieu, ne permettez pas cela... » – et mettre ainsi à mort : toi, lui, elle, DBL, c’est-à-dire moi.
108La déchirure du livre ne serait rien d’autre que le passage du temps qui s’accomplit en un éclair. Dans l’espace d’une nuit, ou pendant mon absence, après toutes ces années, quelque chose arrive, et l’immortalité du livre se réduit en poussière. Il ne faut pas oublier que le livre en question fait partie d’À la recherche du temps perdu. Décrit dans La Bâtarde, ce travail de la main invisible ne fera sens que quelques cinq années et cinq cents pages plus tard, à la fin de La Folie en tête où, en lisant, il devient clair, soudain, que tout ceci a déjà eu lieu avant l’heure. La signature, acte insensé et incompréhensible, défigure l’œuvre monumentale et déchire, pour reprendre l’expression de Blanchot, la trame du temps, faisant naître une voix spectrale, parole d’avenir avant la lettre. La voix qui s’élève un instant, avant l’heure, dans La Bâtarde, prend, en effet, la forme de la signature dont elle parle en l’attribuant à la main. Ne voulant rien dire, incompréhensible et insignifiante, elle est la voix d’une certaine altérité : elle m’habite sans être encore mienne. En tant que telle, elle est la possibilité d’autre chose à venir, ayant déjà eu lieu, ici ; elle est la marque singulière de ce que je serai, à la fin du livre.
*
109L’autobiographie comprend deux mouvements contradictoires. D’une part, elle constitue une image de l’auteur, désignée par le nom sur la page de couverture, en tant qu’objet du récit. Le nom d’auteur est à la base de toute la fiction de l’autobiographie comme monument à la gloire posthume ; il donne à voir l’image de l’auteur, et à entendre la voix qui veut tout dire de la naissance à la mort. D’autre part, ce premier mouvement linéaire est déjoué, dès qu’il se met en œuvre, par cela même qui rend possible la constitution d’une telle fiction : l’impossibilité de toute appellation singulière, et l’absence nécessaire de tout ce qui est nommé. L’autonomination étant une distanciation qui transforme le sujet en objet absent, l’autobiographie se trouve face à l’incapacité de dire ce que je voudrais dire, à savoir ce que je suis. Ce défaut du langage, qui touche à l’identité même de celui qui parle, fait qu’il reste toujours autre chose à dire ; il instaure un deuxième mouvement contraire, effet de retardement et écho silencieux lisible, mais indicible. Paradoxalement, si la tension de ce double mouvement contradictoire fait récit, et donne le temps comme rythme, il fait aussi l’aporie de l’autobiographie. Car le système fonctionne par le fait même que tout ne sera jamais dit et qu’il n’y aura donc jamais de conclusion.
110L’écriture peut cependant inscrire, de manière cryptée, un autre nom que celui inscrit sur la couverture et énoncé à travers le récit de l’acte de naissance. Cette signature apparaît, dans L’Affamée, comme la trace d’un élément indicible. En tant que telle, elle fait signe vers la main écrivante divorcée de la voix narratrice. Dans L’Asphyxie, nous avons vu un autre mouvement, celui de l’apparition d’une voix anachronique, distincte de la narration, mais reconnaissable comme celle, future, de l’auteur. Ensuite, à l’intérieur du projet autobiographique, les deux mouvements se rejoignent à partir d’un mouvement temporel qui, dans La Bâtarde, est lié à la folie. La voix parle au nom de la main qui signe, établissant ainsi après-coup un lien entre narration et écriture. Ce double mouvement fonctionne précisément à condition de ne pas faire sens à l’intérieur du récit, et d’échapper à la logique du projet.
111Le mouvement silencieux de la signature déjoue la logique de la nomination et de la prosopopée, d’une part parce que la cryptonymie consiste à ne pas dire le nom, et donc à ne pas objectiver et rendre absent ce à quoi le nom fait référence. D’autre part, précisément parce que le nom crypté ne se dit pas, il n’y a aucune identité énoncée entre le nom trouvé ou adopté et la voix autobiographique. Cette incorporation d’une identité déplacée ne fait qu’augmenter la tension entre écrire et dire, sans offrir d’issue à l’aporie autobiographique. La chance de l’autobiographie réside alors dans un moment de folie, où la voix du sujet parle au nom de sa propre altérité, c’est-à-dire d’une identité qui ne se révélera qu’à travers l’écriture encore à venir. Ce déchirement du tissu du texte défigure l’œuvre monumentale du nom et de la voix uniques, et dévoile ce que le monument recèle : la mort de l’autre, devenue sienne, dont l’autobiographie aura été le deuil fait avant l’heure. Ainsi la figure du tombeau, du monument funéraire, qui soutient la fiction de l’autobiographie, décrit aussi le fonctionnement tensionnel que cette fiction occulte. Le texte qui se veut monument à la gloire de l’auteur se fait véritablement crypte, en inscrivant de manière chiffrée le nom du mort, et en révélant par là, sans le dire, le secret de cette recherche d’identité qu’est l’autobiographie. Paradoxalement peut-être, c’est au nom de cet autre, dans un moment de folie, que la voix d’outre-tombe s’élève contre la main qui l’inscrit, et que « je » assume ainsi son identité, à la fois son nom et sa voix.
112Un tel moment de folie, déplacement radical et fugitif de la voix narratrice, ne deviendra signifiant qu’après-coup, lorsque le récit aura mis en place tous les maillons de la chaîne reliant le nom crypté au personnage de l’auteur, et que la série de déplacements régie par l’antonomase aura donné lieu, à la fin du livre, à la prosopopée du nom propre. Ce n’est pas dire qu’il y ait, enfin, rencontre entre la main et la voix, entre « je » et le personnage nommé. La temporalité du récit implique qu’il y ait toujours un décalage entre sujet et objet jusqu’à ce dernier instant de rencontre que serait la mort – et nous le savons, à la fin du livre, la mort n’intervient pas. Au contraire, nous nous rendons compte, maintenant, qu’elle a déjà eu lieu, avant l’heure, pendant ce court moment où s’élevait la voix de l’autre, mort et enterré, que je suis devenu plus tard.
Notes de bas de page
1 Le Pacte autobiographique, p. 26.
2 Idem.
3 Ibid., p. 33.
4 Ibid., p. 34. Lejeune ne fait pas mention ici du cas où le nom reçu n’est pas celui du père, bien qu’il cite le nom de Genet dans la phrase précédente.
5 Ibid., p. 35.
6 Lejeune remarque que le cas du pseudonyme est « facile à écarter » : il suffit de le définir en tant que nom d’auteur. « Les pseudonymes littéraires ne sont en général ni des mystères, ni des mystifications ; le second nom est aussi authentique que le premier, il signale simplement cette seconde naissance qu’est l’écriture publiée. Écrivant son autobiographie, l’écrivain à pseudonyme en donnera lui-même l’origine. [...] Le pseudonyme est simplement une différenciation, un dédoublement du nom, qui ne change rien à l’identité. » Le Pacte autobiographique, p. 24. Il est vrai que le pseudonyme, comme le nom propre, garantit l’identité juridique (par exemple dans les cas de droits d’auteur). Ce qui nous intéresse ici, cependant, ce sont les moyens par lesquels l’identité entre la personne, le narrateur et le personnage peut être établie. Le cas du pseudonyme complique le processus, puisqu’il y a alors deux noms, renvoyant l’un à l’auteur, l’autre à la personne en chair et en os. Est-ce que le lien entre les deux est simplement juridique ? Notre intérêt pour la question est évidemment marqué par l’autobiographie de Leduc, qui ne raconte pas l’histoire de son nom propre.
7 « Autobiography as De-facement », p. 71.
8 Le Pacte autobiographique, p. 35.
9 Idem, p. 26.
10 Ibid., p. 36-37.
11 Ibid., p. 37.
12 Ibid., p. 36.
13 Ibid.
14 Ibid., p. 35, nous soulignons.
15 Ibid., nous soulignons encore.
16 Ibid., p. 36.
17 Nous nous appuyons dans ce qui suit sur l’analyse de la signature dans Limited Inc, de Jacques Derrida, présentations et traductions par Elisabeth Weber, Galilée, coll. « La Philosophie en effet », Paris, 1990.
18 L’Affamée, p. 193.
19 L’Affamée, p. 52.
20 Idem, p. 72.
21 Ibid., p. 193.
22 Ibid., p. 176.
23 Ibid., p. 77.
24 Voir la « Chronologie » de Jansiti.
25 « Saussure avec Freud », dans Parcours de Freud, Galilée, Paris, 1974, p. 66.
26 L’Affamée, p. 44-46, 50.
27 Remarquons que la version du texte publiée dans Les Temps modernes en octobre-novembre 1947 ne contient ni le prénom de la narratrice, ni le jeu sur la lettre B ; ces éléments auraient donc été ajoutés (en vue de former l’anagramme ?) plus tard, avant la publication chez Pauvert en mai 1948.
28 La Folie en tête, p. 30.
29 L’ironie du sort fait que c’est le nom propre de Leduc, et non pas du père, qui a trait aux « attelages », comme nous le signale Littré : « duc 5. Terme de carrosserie. Voiture du plus grand luxe, sorte de grande victoria à deux places seulement, avec un siège par derrière et un par devant pour deux domestiques sur chaque. » En ce sens, la particule liée au nom du père fait indirectement référence au nom de la mère, qui se trouvait être domestique dans la maison du père. Nous reviendrons sur la signification du nom Leduc plus loin.
30 Des violettes ? En général chez Leduc le bleu se rapporte à l’azur ou, dans l’univers floral, au myosotis. Mais quelle autre fleur bleuâtre pousse à l’ombre de l’arbre ? Remarquons à ce propos l'absence de violettes parmi toutes les fleurs dont il s’agit dans l’œuvre.
31 Texte inédit (source – Carlo Jansiti/IMEC).
32 Le Pacte autobiographique, p. 33-34, nous soulignons.
33 Il s’agit des Essays upon Epitaphs [1810?], dans Wordsworth’s Literary Criticism, éd. W. J. B. Owen, Routledge and Kegan Paul, Londres, 1974, p. 120-169.
34 « Autobiographie as De-Facement », p. 75-76.
35 Idem, p. 80-81.
36 Ibid., p. 71-72.
37 Voir les Essays, p. 162-165. L’épitaphe vient du poème The Excursion, vii, 395-481, Poetical Works, ed. Thomas Hutchinson, nouvelle édition révisée par Ernest de Selincourt, Presses Universitaires d’Oxford, Londres, 1967, p. 673-674.
38 La figure de l’antonomase décrit une dispersion de l’identité lorsque le nom propre fonctionne comme un nom commun. Voir Bernard Meyer et Jean Daniel Balayn, « Autour de l’antonomase du nom propre », Poétique, no 46, avril 1981, p. 183-199.
39 Voir de Man, p. 72, et Essays, p. 169, n. 28 de l’éditeur.
40 Certains éléments de ce travail sur L’Asphyxie et sur le nom propre sont repris de notre article « Au bord de L’Asphyxie : remarques sur l’autobiographie chez Violette Leduc », Littérature, no 98, mai 1995, p. 45-58.
41 Voir Freud, « Le Roman familial des névrosés », trad. J. Laplanche, dans Névrose, psychose et perversion, PUF, p. 157-160.
42 « Le Dézingage », Les Temps modernes, no 3,1945, p. 527-534.
43 Je remercie Carlo Jansiti, qui m’a signalé cette note en marge du cahier manuscrit.
44 L’Asphyxie, p. 143-144.
45 L’Asphyxie ne date pas les différentes scènes du récit, mais le récit chronologique de La Bâtarde note l’année de la mort de la grand-mère (1916) et celle de l’épisode de la fête de Pentecôte (1921). Préciser qu’il s’agit d’un écart de cinq ans ne vaut donc que pour une lecture dans le contexte plus large de l’œuvre autobiographique.
46 La Bâtarde, p. 36.
47 Comme dans le cas de l’épitaphe de Wordsworth, il y a un double mouvement d’effacement. Le nom inscrit sur la tombe (Thomas Holme, Clémence) est effacé lorsque la voix de l’auteur parle à la place du mort ; le nom de l’auteur est effacé dans la mesure où cette voix se rattache, dans le texte, au personnage (le pasteur, la sœur de Clémence).
48 L’Asphyxie, p. 143.
49 L’exemple type serait, bien sûr, Chateaubriand, dont le projet autobiographique affiché vise précisément à contrôler la vie posthume du manuscrit. Voir aussi Stendhal, Souvenirs d’égotisme, suivi de Projets d’autobiographie et de Les Privilèges, éd. Béatrice Didier, Gallimard, 1983, coll. « Folio », avec ses multiples préfaces testamentaires, l’épitaphe qui joue sur le nom propre, etc.
50 Voir Freud, « Deuil et mélancolie », dans Métapsychologie, trad. Jean Laplanche et J.-B Pontalis, Gallimard, coll. « Idées », no 154, p. 147-174, et Abraham et Torok, « Deuil ou mélancolie », op. cit.
51 L’Affamée, p. 252-253.
52 La Chasse à l’amour, p. 10.
53 L’Affamée, p. 64.
54 Idem, p. 103.
55 Ibid., p. 103-105.
56 Ibid., p. 31.
57 Ibid., p. 165.
58 Ibid., p. 110.
59 Ibid., p. 36, 102-103.
60 Voir le premier chapitre.
61 La Chasse à l’amour, p. 9-10.
62 Idem, p. 11.
63 C'est précisément dans la mesure où l’écriture appartient à une autre topique que cette analyse de la structure « mélancolique » de l’autobiographie ne se confond pas avec une analyse (ou diagnostique) clinique, ou avec un essai de psychanalyse appliquée qui se limiterait au contenu du texte autobiographique en supposant qu’il s’agisse, là, d’un récit comparable (comme le prétend Pièr Girard, dans Œdipe masque : une lecture psychanalytique de L’Affamée de Violette Leduc, Éditions des femmes, Paris, 1986) au discours de l’analysant.
64 La Chasse à l’amour, p. 10.
65 L’Affamée, p. 117-121.
66 Idem.
67 Op. cit. La discussion qui suit pose un problème de terminologie dans la mesure où la définition et la distinction des concepts tels que l’être-là, l’étant, l’être, l’existence, etc. dépassent les limites de ce travail sur l’autobiographie. Nous simplifierons donc, à partir de la définition de Heidegger, p. 30 : « L’être-là est un étant qui se définit lui-même comme : “je suis” », en remplaçant le terme l’être-là soit par le mot sujet (lorsqu’il s’agit de l’être-là comme étant) soit par le mot existence (lorsqu’il s’agit de l’être-là comme mode d’être du sujet).
68 Idem, p. 29.
69 Ibid., p. 31.
70 Ibid., p. 32.
71 Ibid., p. 33.
72 Ibid., p. 35.
73 La Bâtarde, p. 123.
74 Voir le chapitre précédent.
75 La Folie en tête, p. 319.
76 Nous racontons à nouveau cette histoire de paranoïa pour mettre en place un certain nombre d’éléments, en apparence assez hétérogènes, mais reliés par une logique que nous verrons par la suite. Si nous ne l’expliquons pas d’emblée, c’est qu’elle semblerait relever de la folie pure et simple, ce qui est, en effet, le cas. Mais la folie, on le sait, est souvent tout à fait rationnelle et rigoureuse, et elle n’est pas toujours très éloignée de la « psychopathologie » de notre vie quotidienne, pour emprunter l’expression de Freud. Voir La Psychopathologie de la vie quotidienne, trad. S. Jankélévitch, revue, Petite Bibliothèque Payot, Paris, 1969.
77 La Folie en tête, p. 304.
78 La Chasse à l’amour, p. 352-353.
79 La Folie en tête, p. 353, 306.
80 Idem, p. 399.
81 La Chasse à l’amour, p. 103-104.
82 Idem, p. 107.
83 Ibid., p. 109, 113.
84 D’après l’autobiographie du moins. La chronologie donnée par Jansiti, op. cit, p. 8, est légèrement différente. La suite des événements n’est pas sans intérêt :
« 1955 – Parution de Ravages chez Gallimard en version expurgée. Le début refusé par l’éditeur est publié aux frais de Jacques Guérin dans une édition de luxe à petit tirage (25 ex.) sous le titre Thérèse et Isabelle. [...]
1956 – Juillet : Violette Leduc, qui a sombré dans la paranoïa, subit des électrochocs et fait une cure de sommeil d’un mois dans une clinique de Versailles.
Elle achève néanmoins La Vieille fille et la mort et entame l’écriture de la nouvelle Les Boutons dorées.
Décembre : Convalescence dans la maison de repos de La Vallée aux Loups, ancienne demeure de Chateaubriand. Elle en sort en mai 1957.
1958 – Parution de La Vieille fille et le mort, suivi des Boutons dorés. Sur le conseil de Simone de Beauvoir, qui n’a cessé de la soutenir, Violette Leduc commence la rédaction de son autobiographie. »
85 La Chasse à l’amour, p. 407-408, 410.
86 L’Affamée, p. 55-56.
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