Dédoublement fictionnel
p. 145-177
Texte intégral
L’oubli n’a pas passé sur les choses.
Au moment voulu.
La déviance du reflet
1La fiction, on l’a vu, est le lieu d’une transparence où les rapports ne sont pas aussi clairs qu’ils apparaissent dans la mesure où l’interférence d’une vitre entraîne tout à la fois le passage d’un regard et une distance qui ne va pas sans opacité. Pour aller un peu plus loin dans la définition du fictionnel, il n’est pas inutile d’établir un nouvel élément qui dépasse la simple opacité pour associer la transparence à la dissimulation : le reflet, battement entre l’apparaître et la dissimulation. Les textes de Maurice Blanchot révèlent un intérêt particulier pour des éléments qui, insérés dans le texte sous le signe de la manifestation, viennent en même temps s’y dérober, jusqu’à ne plus pouvoir être placés d’un côté ou de l’autre. Ce sont des traces ambiguës qui semblent se contredire elles-mêmes, ce n’est qu’une feinte de plus, ces traces sont la preuve d’un fort effet de fiction. Parce que fictif et dissimulation sont liés, le principe de fiction parvient à tenir le pari difficile, mais qui est inhérent à sa propre démarche, manifester ce qui se dissimule en lui. Michel Foucault précise :
Le fictif n’est jamais dans les choses ni dans les hommes, mais dans l’impossible vraisemblance de ce qui est entre eux : rencontres, proximité du plus lointain, absolue dissimulation1.
2La fiction impose un non-retour à la présence des éléments qui y sont convoqués, cependant ce mouvement qui lui est spécifique n’est pas arrêté. Entendons-le comme dynamique : ainsi la trame narrative blanchotienne exploite la défection de la présence jusqu’à la conduire vers un apparaître de fiction. Celui qui ne m’accompagnait pas est révélateur de ce double jeu qui consiste à explorer ce qui apparaît chaque fois qu’un élément est engagé sous le signe de l’évidement. Le titre du récit exprime le caractère actif du négatif, insistant sur l’absence insolite de celui qui, n’accompagnant pas, est mis en relief et indique d’emblée, non pas la négation de la figure, mais sa part de défiguration. Ce qui relève de la description, comme tout ce qui entoure ou qualifie la figure appartient au régime fictionnel du reflet. Les effets de miroitement sont ici multipliés par Blanchot pour montrer que la figure ne se fixe pas et l’exposer plus radicalement à l’événement de sa disparition : alors qu’elle pouvait ailleurs se donner pour progressive, Celui qui ne m’accompagnait pas indique que la figure est d’emblée donnée en sa disparition parce que la fiction est un défi pour sa propre présence. Le récit passe par un effet de déviance : d’une part en insistant sur la surface de miroitement, par une présence massive de baies vitrées, d’autre part en sollicitant l’attention du lecteur par la reprise presque intégrale, à quelques pages d’intervalle, d’un même passage, où sont seulement intégrées des différences infimes en début de phrase, certaines autres plus radicales ensuite. Voici les deux extraits mis côte à côte, y apparaissent nettement les modifications :
En regardant par les grandes baies vitrées – il y en avait trois – je vis qu’au delà se tenait quelqu’un ; dès que je l’aperçus, il se tourna contre la vitre et, sans s’arrêter à moi, fixa rapidement, d’un regard intense, mais rapide, toute l’étendue et la profondeur de la pièce.
[…]
En regardant vers les grandes baies – il y en avait trois – je vis qu’au delà se tenait quelqu’un ; dès que je l’aperçus, il se tourna contre la vitre et, sans s’arrêter à moi, il fixa intensément toute l’étendue et la profondeur de la pièce2.
3Inhabituel et plutôt surprenant, le principe d’altération brusque la linéarité du récit pour renforcer l’effet fictionnel ici entièrement conféré au mode particulier du reflet. Notons que les surfaces vitrées sont au nombre de trois, que leur intervention est répétée, dans un passage à peine modifié, renvoyant au temps du retour qui ruine le présent. La répétition offre un effet de surprise et d’inquiétude sur la mise en place du récit mais aussi sur le statut à accorder au sujet. Supports du reflet, les baies éveillent le soupçon sur la figure, ici apparemment réduite à une silhouette, qu’elles feront apparaître au-dehors. Anne-Lise Schulte Nordholt voit en cette figure une « ombre », un « pur reflet » : ce qui serait alors un bon moyen pour mettre en valeur le double mouvement de l’apparaître et de la dissimulation. Les trois baies vitrées entraînent dans le texte de nombreux jeux de regard et autorisent la présence d’une figure plus qu’équivoque, parce que le regard s’y donne aussi comme trompeur. Où se trouve celui qui est vu par le narrateur ? A-t-il une place ou doit-on se résoudre à dire qu’il n’a pas d’autre lieu que celui où il apparaît n’être pas ? C’est-à-dire au dehors. Le texte joue sa part de feinte. L’incertitude de la vision, la perception abusive renvoient à la déviance du reflet. « Je vis qu’au-delà se tenait quelqu’un » ne dit pas que quelqu’un est là mais uniquement que là je vois quelqu’un. Ce qui importe, c’est ce que prétend l’homme qui parle : or ce qu’il éprouve engage une incertitude. Que voit le narrateur sinon un reflet confondu avec l’image que procure l’acte de vision ? Le récit de Blanchot aligne questionnements et réponses de telle façon qu’on ne peut plus arrêter exactement une connaissance des faits : vu l’usage nettement exagéré de la répétition, le texte insiste à la fois sur une présence derrière la vitre et sur son mode d’apparition hallucinatoire. Car le principe de fiction implique la méprise.
« Je crois qu’il y a quelqu’un. – Quelqu’un ? Ici ? – Tout à l’heure quelqu’un regardait par la vitre. – Par la vitre ? » […] « Ne bougez pas, je crois qu’il y a quelqu’un. – Quelqu’un ? Ici ? – Quelqu’un nous regarde par la vitre. – Par la vitre ? » […] Je l’entendis cependant encore me dire : « Vous savez, il n’y a personne »3.
4Des effets visuels pervers emplissent le récit, déstabilisent le développement de la narration, émettent un doute sur la figure qui apparaît en des lieux équivoques : toujours à une distance qui fragilise toute certitude, dans le lointain, à l’extérieur, derrière des vitres, en haut d’un escalier. Le trouble ira s’agrandissant jusqu’à retirer, ou presque, toute présence. Les indices fictionnels prennent le pas sur l’ensemble si bien qu’ils détournent l’intérêt vers eux comme s’ils avouaient un élément déterminant. Les écarts invitent à penser la confusion du sujet en ces autres multiples ; à présent perdu, en restent des traces qui ne sont plus que les divers reflets et échos de lui-même.
5Des paroles suivent le narrateur dans ses déplacements, que ce soit les siennes ou celles de quelqu’un qui semble l’accompagner : elles sont données, lisibles dans le texte, et pourtant règne une impression de silence. Le doute qui est né de par la présence du reflet – là, au-dehors il n’y a personne – se répercute désormais sur la voix qui parle aux côtés du narrateur. La déviance du reflet l’emporte, il appartient à la pleine logique de l’apparaître de la fiction. Mais il y a plus : tout comme la vitre a capté l’image du narrateur, l’a transformée et la lui a renvoyée, un même mouvement se manifeste pour l’acte de parole. Une voix se saisit des paroles du narrateur, se les approprie, les lui renvoie. Quelqu’un parle à sa place en un autre lieu. Qui lui prend la parole ? Cette autre voix occupe une place qu’elle ne devrait pas occuper. Elle est tout aussi irréelle que l’image dans la glace, elle est du même effet, celui d’une projection. L’étrangeté arrive par la coïncidence des deux voix qui se renvoient l’une à l’autre, aussi peu réelles l’une que l’autre. Pourtant le récit invite à croire que l’une l’est et l’autre pas : feinte de la fiction.
6L’apparaître de la voix rappelle l’ancien modèle mythologique de la nymphe Écho, celle qui après avoir séduit Narcisse sera, par une déesse jalouse, dépossédée de sa parole, contrainte à ne plus prononcer que des bribes prises à d’autres, ne pouvant plus que répéter les termes qu’un autre prononce avant elle. Cette référence n’est pas soulignée pour procurer au récit un niveau symbolique mais présuppose un mode de rapport avec le mythe. On peut en effet établir un rapprochement, d’un côté avec l’allusion à une surface miroitante, d’un autre côté avec les paroles prononcées en écho les unes des autres, sans qu’on puisse affirmer de laquelle l’autre se trouve être l’écho, sans que jamais elles ne deviennent interchangeables.
Je ne pouvais cette fois venir à bout de mon étonnement, sinon pour répéter : « Du monde ? Des gens ? », ce qui l’amena à répéter, lui aussi : « Des gens, des gens !4 »
7Ce qui subsiste et par là même est mis en valeur, c’est un mode d’apparaître qui ne va pas sans emprunt. L’effet d’artificialité est redoublé et vient émettre un doute qui se déploie tout au long du récit sur les éléments mis en présence et affecte bientôt jusqu’à la position du référent. La confusion du moi en l’autre agit de telle sorte que, malgré l’effet de projection qui peut être perçu, celui qui est là n’est déjà plus celui qui est ailleurs. Le jeu d’écho est une répétition interne, chacun se répète, et c’est pourquoi peu importe qui précède l’autre, il n’y a plus de spécificité linéaire. Seule la répétition est à lire. Le texte l’explicite à sa façon, en appuyant l’apparaître énigmatique pour produire un pur effet de fascination : « Je ne pouvais le comparer à un écho, ou bien, en ce lieu, l’écho répétait par avance : c’était prophétique dans l’absence de temps5. » Celui qui parle avec le narrateur et par suite le narrateur lui-même n’ont d’autre réalité que celle que leur accorde la fiction. Ils sont donnés pour deux, mais leur ressemblance implique un doute. Les termes de l’un sont les mêmes ou presque que ceux de l’autre. L’effet est percutant parce que tous deux éprouvent à la fois leur différence et leur ressemblance. L’autre est peut-être projection, souvenir, une voix spectrale qui n’appartient à personne et qui résonne.
8L’apparition, s’offrant au regard derrière une vitre, est la manifestation d’un fantasme : quelqu’un est là-bas et me regarde, la figure est pour le moins inquiétante parce qu’elle viole une intimité. Du dehors, quelqu’un fixe l’intérieur de la pièce, le narrateur, à l’intérieur, entre la protection de ses murs, éprouve à le voir un irréductible frisson. Etranges sont les apparitions quasi fantomales qui proviennent de l’imagination de celui qui voit ou prétend voir. À quoi correspond ce type de vision ? La vitre renvoie l’image de celui qui regarde au travers, mais celui-ci est incapable de reconnaître son image, déformée, transposée. Il en vient à se prendre pour une autre, le reflet a une telle apparence qu’il l’empêche de se reconnaître. C’est parce qu’elle est par avance infraction à la règle que l’étrangeté ouvre une brèche qui alimente plus qu’aucune autre la question de la fiction. Blanchot passe par l’espace enchanté du miroir, par la transparence, pour offrir un reflet trompeur où apparaît l’autre, au lieu même où il ne se trouve pas, car le principe de fiction passe par le ravissement du reflet, lieu du merveilleux où s’invente l’image comme projection de soi.
9De nombreux indices marquent des dédoublements, laissant penser à une descente du sujet en folie, laissant émerger certains comportements qui pourraient conduire à une lecture non pas menée par une analyse proprement psychanalytique mais sous-tendue par des éléments qui lui sont apparentés. Serait-ce pour évoquer le clivage du sujet ? Le texte dit tout le contraire, repoussant l’idée de psyché pour absenter l’être, pour dire que la figure n’a pas d’histoire, que rien ne peut l’inscrire ni la faire naître au monde, fût-il fictionnel. Comment comprendre que les figures présentent des aspects à valeur clinique ? Elles sont exposées à des symptômes, discernables par qui consent à aborder les textes sans présupposé autre que celui d’entrer en fiction, même s’il lui faut par la suite accepter qu’ils appartiennent à la pratique d’un détour entretenu par la fiction. Ce sont les conséquences inconsidérées d’un reflet qui interroge un état de fait : le statut superfétatoire de l’apparition. La présence fictionnelle est avouée comme réalité impossible, une présence en surnombre. Elle est le résultat d’un effet d’optique qui déroute le regard du narrateur. « Était-ce moi ? » Le récit conserve intégralement les ambiguïtés, d’un côté certains éléments répondent par l’affirmative, il y a bien un reflet dû aux baies vitrées, il y a une voix qu’il entend, probablement la sienne. D’un autre côté le doute subsiste – et c’est là que réside la singularité de la puissance d’invention fictionnelle, elle ne peut plus revenir en arrière : quelqu’un a été vu. Le narrateur est en peine de se reconnaître là-bas, tout comme il ne se reconnaît pas en cette voix qu’il entend. La question reste posée, cela peut être « moi » autant qu’un autre. Plus sûrement là était un autre que moi. Peu à peu, l’effet de double est tel que le récit bascule vers un espace indécis. La fiction se donne comme espace capable de recevoir et de présenter une image inconnue/reconnue. À la fois très familières et au plus haut point étrangères, les images qui nourrissent l’écrit blanchotien sont comme les traces sédimentées d’un imaginaire lointain, d’un « effroyablement ancien ». Elles ne viennent pas sans peur ni stupéfaction, répondant à une exigence archaïque qui, par une mise en mémoire, provoque le frisson. Le reflet d’une glace ou d’une vitre renvoie l’image de celui qui se reflète et assume l’autre du « je ». Celui qui apparaît dans Celui qui ne m’accompagnait pas est donc forcément toujours l’autre : il est rencontré à différents endroits, ici par des effets de miroitement qui renvoient une image, là par les images qui habitent un souvenir indécis. Car l’image fait aussi le jeu de la mémoire. Blanchot utilise les reflets pour soumettre une résistance sur laquelle il est impossible de revenir, rien ne permet plus de distinguer ce qui ne ferait pas partie de l’image. Le reflet satisfait donc le double jeu qu’il est censé accomplir : il vient tout indifférencier, plaçant l’apparaître du fictionnel sous le signe de l’image, tandis que par des effets de résistance il sauvegarde aussi les apparences et maintient des distinctions factices, réalisant en cela le travail de dissimulation.
10On peut se demander pourquoi la voix poursuit le narrateur et lui parle, parcourant à ses côtés l’espace de la maison. Le narrateur cherche à reconnaître les lieux mais sa mémoire lui fait défaut. La voix se fait entendre et s’offre à lui comme un piège. À chacun de ses pas s’effacent les traces retrouvées, vers un plus grand retour à l’oubli. Le récit a pour particularité de maintenir l’état d’illusion sur tout ce qui advient, comme si ne venait jamais dans la narration que l’image en double d’une réalité dissimulée, la fiction mettant l’accent sur l’effet réalisé. Après avoir observé l’apparaître fictionnel, on voit ici comment s’exerce plus exactement un apparaître de fiction. Le récit se perd comme se perdent les images. Demeure, au-delà des apparences, l’oscillation entre des traces, entre le souvenir et l’oubli, entre l’affirmation et l’effacement. Le reflet sous-entend que là n’est personne. Le double affirme que celui qui s’adresse au narrateur n’est pas et ne parle pas, il est donc bien celui qui n’accompagne pas. La négation n’est pas là pour nier une réalité mais pour menacer un état de présence convoqué. Elle conduit la fiction, plus encore qu’à prétendre l’absence, à la faire venir et à la présenter. Telle est l’apparition reflétée. Elle risque l’absence, lui donne un semblant de présence. Avec elle, quelque chose d’absent se figure. Or il suffit que s’énonce la virtualité du reflet pour que du même coup défaille la parole du compagnon, et qu’elle devienne celle du compagnon qui n’est pas. Cela l’abstrait de sa présence. La question reste ouverte : que nous fait voir l’image si elle n’est l’image de rien ?
Image hallucinée
11La fiction devient comme une hallucination où surgissent d’étranges visions, d’où émergent les simulacres : il n’y aurait de la figure qu’une image apparaissant en sa démultiplication. C’est cette image qui donne au texte sa valeur fictionnelle. Plus encore qu’elle ne reflète, l’hallucination porte la figuration vers le pressentiment d’une abstraction qui ne serait rien d’autre qu’un vide figuré, venant sans doute de la particularité de la figure, mais livré comme sans support. Bergson dit explicitement le rapprochement entre fiction et hallucination : « Il faut remarquer que la fiction, quand elle a de l’efficace, est comme une hallucination naissante6. » L’hallucination perturbe les sens. Qu’elle soit visuelle ou auditive, elle est la manifestation d’un voir autre, d’une écoute autre, c’est-à-dire différents de ceux auxquels nous a habitués la perception. L’hallucination n’est pas à lire comme une erreur des sens mais comme un détachement du réel phénoménologique. Et en tant que telle, elle entraîne pour le mode fictionnel des implications qui nous font alors progresser dans la définition de la fiction. S’acheminant vraisemblablement hors réel, le principe de fiction laisse la place à des manifestations irréelles. En son lieu, le réel se retire et se trouve déconnecté : il tomberait sous le foudroiement de la fiction. Mais n’est-ce pas une preuve de plus de la feinte essentielle ? L’un est toujours appelé à passer en l’autre et le passage, loin d’être dérisoire, est à reconnaître comme un point d’ancrage possible pour un devenir fictionnel.
12Dans les récits blanchotiens, on trouve de nombreux passages où lire la proximité avec le délire hallucinatoire. Certaines figures entrent dans des états de démence tels qu’elles ont l’air pour un instant détachées de la réalité. Elles deviennent étrangement ressemblantes avec des cas pathologiques reconnaissables. De nombreux éléments attirent l’attention et une analyse plus approfondie atteste la valeur de l’analogie. Ce qui paraît plus troublant, c’est l’exactitude de certains traits spécifiques qui soutient parfois la référence par des détails symptomatiques. On pense notamment aux réflexions de Jacques Lacan lorsqu’il admet la cohérence d’un cas clinique dans l’un des textes de Marguerite Duras, Le Ravissement de Lol V. Stein, reprenant avec Freud l’idée que le psychanalyste, jusque dans sa propre discipline, reste précédé par le domaine de l’art, et que l’artiste est toujours celui qui fraye la voie : « C’est précisément ce que je reconnais dans Le Ravissement de Lol V. Stein, où Marguerite Duras s’avère savoir sans moi ce que j’enseigne7. »
13Il nous reste à signaler que la pertinence du lien à effectuer va de pair avec l’entreprise de dissimulation. Faut-il penser que les figures sont sous l’emprise de quelque maladie mentale reconnue sous le nom de schizophrénie, propre à des êtres qui perdent le contact avec la réalité ? Pourquoi pas, mais la scission évoque un caractère plus intime de l’être de fiction : les figures blanchotiennes vacillent entre deux limites, prises dans l’entre-deux de la réalité de la fiction et de leur état réel de fiction. Loi V. Stein est ravie à son propre présent et ne peut plus être assurée d’elle-même ni de sa réalité. L’homme qui parle dans La Folie du jour est incapable de s’adapter au réel parce qu’il doit affronter sa nature d’être brisé. La déchirure se manifeste au travers des paroles et des comportements, il suffit de quelques gestes bien choisis et le voilà vite rapproché du schizophrène. L’homme est coupé du réel, livré à lui-même, à ses visions, à des voix venues d’on ne sait où, fruits d’un conflit interne. Rapproché mais non assimilé : les scènes de ce type éclairent de manière efficace le phénomène de schize qui affecte la part de fiction et qui touche immanquablement les figures. La « folie du jour » est une folie hallucinatoire. Le narrateur a des visions, il voit, revoit peut-être, des individus. Que voit-il, ce qu’il voit est-il réalité ? Comme pris par la fièvre, il est soumis à un monde de plus en plus détaché du réel, jusqu’à se méconnaître lui-même. Se méconnaître signifie donc se reconnaître autre avec tout ce que cela implique comme complications mentales. L’homme entend (les entend-il ou croit-il les entendre, et cela est-il si différent ?) des cris de hyène qu’il comprend être les siens : ces cris sauvages traduisent de façon expressive son intimité mêlée à une étrangeté qui la dépasse. « En outre, j’entendais des cris d’hyène qui me mettaient sous la menace d’une bête sauvage (ces cris, je crois, étaient les miens)8. » : l’homme a été victime d’une hallucination auditive, il le reconnaît après coup. Le sujet semble s’adresser à certaines personnes dont on ne sait rien de plus. Il devient littéralement leur patient. Devant eux (mais là encore on peut douter de cette présence), il s’analyse, reconnaissant les symptômes de sa folie. La Folie du jour se prête à de multiples productions fantasmatiques. S’abandonnant à son intimité divisée, la figure de l’un échoue et l’autre s’éveille, se glisse au travers de l’intimité de l’être, s’en détache pour retrouver l’instabilité de la relation. Au bord de la disparition, la figure appelle un mode de rapport : le dédoublement.
14D’autres figures rappellent l’état de schizophrénie. Celui qui ne m’accompagnait pas, Thomas l’Obscur offrent des situations de type clinique tout à fait justes et reconnaissables. On peut y trouver certains troubles comportementaux à caractère pathologique. Dans Celui qui ne m’accompagnait pas, le sujet est incapable d’être assuré de lui-même, il redoute au plus haut point de se perdre et de se dissoudre. C’est pourquoi par instant il distancie son image de lui-même. L’autre voix, qui apparaît dans le texte comme extérieure à lui, semble donc être la sienne, sa propre voix intérieure, plus raisonnable et plus lucide. C’est pourquoi elle affirme que là, en l’image hallucinée, « il n’y a personne » : lui persiste à voir quelqu’un, lui qui, en tant que sujet fictionnel, est entré en folie. Le sentiment d’étrangeté à soi se propage. Les profondeurs de la folie invitent à pénétrer les secrets d’une pensée s’ouvrant pleinement à l’autre qu’elle devine en elle – pensée prétendue impénétrable.
Un effet de rémanence
15La rémanence appartient au principe de fiction et possède une qualité importante qui tient à la diffraction accompagnant maints effets d’optique. On trouve dans le texte blanchotien des traces qui renvoient à ce qu’on entend par rémanence fictionnelle : l’image persiste au lieu-dit de sa disparition. Chez Mallarmé notamment le phénomène est tout à fait remarquable, il se rapproche du mirage, tel que le définit Georges Poulet en une expression suggestive : « Mirage où l’on s’aperçoit soi-même à l’horizon, non tel que l’on est, non où l’on est, mais précisément tel que l’on n’est pas et où l’on n’est pas9. » La rémanence est dotée d’un même principe d’apparition doublement négative. D’autant plus qu’elle est liée à un revers dont elle ne peut se passer, qui implique l’idée de retour, d’un retour sur soi ou sur déjà autre chose que soi dès lors qu’il y a retour. Tel le souvenir assumant la fonction qui est la sienne : marquer la réalité d’un écart, et faire apparaître un vide en lequel on se souvient de soi hors de soi, en une altération de soi qui se constitue : « L’on se revoit alors, non tel que l’on est, mais tel que l’on a été mystérieusement transfiguré par cette mort que l’on appelle le passé10. » Notons la proximité avec l’attitude de la figure dans Celui qui ne m’accompagnait pas. Le sujet fait l’épreuve de sa propre étrangeté par une reconstitution de soi, car il pressent que certains moments de son passé ont pu demeurer solidaires, comme ils peuvent l’être aussi avec l’instant présent, au sein d’une « commune étrangeté ».
16La psychanalyse autorise ici un rapprochement qui vient au point où semblablement nous conduit la fiction. Il existe dans la posture de certaines figures blanchotiennes l’expression d’une certaine « porosité » du moi, que l’on rattache à des « troubles limites de la personnalité » susceptibles d’atteindre des patients dont la pathologie relève d’un état narcissique. Le sentiment d’être soi-même troué est très bien retranscrit par l’image du corps-passoire que Gilles Deleuze met en évidence à partir de l’exemple d’Antonin Artaud : le vide est pressenti à l’intérieur de soi. Dans un essai de psychanalyse sur le miroir, Alberto Eiguer analyse justement les conséquences cliniques d’un cas pathologique qui vit avec l’appauvrissement de son moi : pour combler le vide, un double imaginaire est inventé, c’est un dédoublement de personnalité, et tient lieu de réalité. Ce qui est fondamental pour notre étude, puisque le double fictionnel se fait passer pour la réalité. On y ajoute cet élément non sans importance : Alberto Eiguer explique que ce type de comportement est lié à une conception du temps et à une trop forte dimension accordée à la réalité du temps passé11. Les patients désirent rester en contact avec un passé dont ils ne parviennent pas à faire le deuil. Le seul moyen, pour ne pas avoir l’impression de se perdre eux-mêmes, devient la nécessité de se retrouver en divers lieux et à divers moments du temps passés. L’hypothèse d’un « état limite » satisfait la correspondance avec ce qui cherche à s’élaborer sous l’idée de fiction, c’est-à-dire non pas une concordance avec le cas clinique mais une part de ressemblance. On trouve dans les textes de Blanchot des détails qui rappellent certains symptômes percutants qu’analysent les psychanalystes aujourd’hui : des moments d’enthousiasme suivis de forts moments d’abattements, des moments d’hystérie, des moments dépressifs, disent-ils. On note aussi le privilège accordé à l’écoute, et la destitution qui s’ensuit sur la prégnance du visuel ; ou encore l’état de panique quand le langage n’arrive plus à « lier » ni à « signifier ». Ici le cas clinique : « Le moi s’épuisant à reconstruire ses limites qui s’effondrent en même temps que l’objet tend à disparaître12. » Là, la figure blanchotienne qui, dans Celui qui ne m’accompagnait pas, se cherche à travers ses nombreux déplacements et semble se suivre elle-même tant elle a l’impression d’être constamment sous le signe d’un décalage : « Je mettais toutes mes forces à demeurer lié à moi-même13. » Le parallélisme est clair, l’un comme l’autre est confronté au nécessaire mais impossible retour sur soi et doit pour s’envisager se contempler intégralement. Butant sur un interdit majeur, la faille se retourne contre lui, le mouvement s’inverse et au lieu de se trouver comme unité, la dispersion s’accroît. L’homme va faire une expérience surprenante, il aperçoit soudain quelqu’un qui monte l’escalier. Or ce qui retient son attention c’est avant tout que la silhouette est selon lui plus grande qu’elle ne devrait l’être et que cette singularité le déconcerte au plus haut point. Pourquoi donner tant d’importance à ce détail ? Pour noter d’un côté la considération apportée à la taille et à la forme de cette autre figure vue en haut de l’escalier, à la plus ou moins grande connaissance de celui qui le regarde ; mais aussi et surtout pour « déconcerter la vue », « affoler le regard »14. Il est question de mise en perspective. L’escalier constitue l’échelle de référence. Soudain l’objet du regard paraît plus grand : l’indice se rapporte moins à un souci phénoménologique, malgré la profusion des termes qui y renvoient, qu’à l’étrangeté de la déformation. Il n’est pas anodin que la figure arrêtée en haut de l’escalier soit juste auparavant assimilée à une « forme ». Ce qui s’accomplit sous ses yeux fixes est l’enjeu d’un mouvement d’approche soumis à une inévitable déformation : le mouvement est contrarié, la distance change, la mesure varie. Face à l’œil abusé, l’effet de surprise est doublé par la méconnaissance toujours plus grande de ce qui est abordé. Plus il se rapproche plus grande est la déformation. Au lieu de la reconnaissance reste une distance inépuisable qui déclare l’impossible familiarité avec soi.
17La figure est paralysée par la peur qu’elle a de se perdre. Or le sentiment de perte est remplacé par un autre, moins définitif, plus effrayant : osant un léger déplacement, le sujet éprouve la sensation de lâcher un peu de lui-même à chaque pas et à chaque instant. On dirait qu’il retrouve sa maison après l’avoir quittée depuis un trop grand nombre d’années. Aussi, il passe son temps à rechercher les traces qui se seraient déposées à chaque endroit de chez lui. Ces traces, quoique fictives, s’imposent peu à peu à lui, à sa vision, prenant réalité au fond de sa pensée. Il faut voir un déplacement significatif : confronté directement à la réalité du temps passé, plus matériellement que quiconque, il en vient à se penser différent selon les instants qu’il traverse. Pour Anne-Lise Schulte Nordholt, les événements « sont d’emblée faits racontés, relatés, et par là même plongés dans un profond passé, entièrement accompli, impossible à resituer dans son intégralité ». Comme elle le précise, elle s’intéresse surtout au fait que les événements n’ont pas lieu : « Des “non-événements” qui appartiennent aux profondeurs inaccessibles de l’imaginaire15. » Or ici l’accent est à mettre sur l’événement comme retour du passé, désir de réappropriation de chaque instant de son passé, doublé du désir de se porter tout entier soi-même. Éprouver le passage du temps, c’est en même temps retirer toute représentation du temps. Ainsi dans Celui qui ne m’accompagnait pas, au lieu de penser que jour après jour il construit son être propre, le sujet en vient à la folle idée que son moi se disperse et s’éparpille à travers les lieux par lesquels il passe, restant par endroits, comme il le prétend souvent, « cloué sur place ». Il se déplace mais, en chaque lieu où il passe, c’est comme s’il déposait une trace de lui-même qui s’inscrit comme pur effet de rémanence :
Je restai cloué sur place. […] Quelque part, ailleurs, j’avais été, en effet, « cloué sur place ». […] En tout temps j’étais cloué sur place. […] Cela arrivait en vérité parce qu’il était quelque part ailleurs cloué sur place16.
18C’est à cette immobilité qu’il remonte mais il ne parvient pas à la retrouver. Lorsqu’il revient sur ses pas, malgré l’apparence d’un temps suspendu il reste le temps du déplacement qui ne permet pas la superposition de deux instants. Le sujet part à la recherche des vestiges de lui-même. Il les croise à force de parcourir les lieux qui lui sont familiers, à force de fixer les yeux sur les objets qu’il a souvent touchés, à force de revenir, de s’arrêter à chaque endroit qu’il connaît mieux qu’aucun autre. Mais jamais l’instant de la rencontre ne lui est autorisé. Il n’a droit qu’à des impressions, à de fausses rencontres. Il s’assied où il s’est déjà assis : « En quelque sorte je m’y retrouvais moi-même. » C’est comme si les deux instants se superposaient, comme s’il lui était permis de se retrouver à présent à l’endroit où il était tout à l’heure, ou il y a bien plus longtemps encore, quand il était resté « cloué sur place ». Et c’est ce qui motive chacun de ses déplacements : « Tu dois voir en-bas si tu y es […] le mouvement qui me poussait d’une chambre à l’autre, tandis que les portes battaient17. »
19En fait, c’est un peu l’état des lieux de lui-même que dresse le sujet-narrateur, s’apercevant à chaque endroit chaque fois autre : et cet autre se détourne de lui. Mais pourquoi soudain ne veut-il pas se coucher sur son lit ? Il préfère rester « au bout du lit », quelque chose le retient, l’empêche de se coucher, comme si là dans son lit à sa place il y avait quelqu’un, une présence inopportune. Si on suit le texte, en tenant compte de la chronologie des déplacements, on sait qu’il est déjà monté dans cette chambre, qu’il est venu là peu de temps avant et qu’il s’est lui-même couché sur le lit. Il y a donc une ellipse : la figure est restée « clouée sur place » ; sur le lit une trace de cet instant persiste, une trace de la figure se manifeste. Ce qui renforce cette idée, c’est que le narrateur retournant à ce lieu après-coup se voit en même temps en train de dormir sur son lit, et telle est la vision qu’il tient sous les yeux : lui-même rêvant. Il lui faut retrouver ces instants, apparemment perdus par l’idée d’un temps qui passe, qui demeurent cependant étonnamment inscrits au-delà. À la fois ici couché sur son lit et là se tenant au bord du lit sans pouvoir s’y allonger : c’est entre ces deux cas de figure qu’il faut inscrire le déplacement fictionnel.
Une altérité interne
Un cas en porte-à-faux : le mode analogique
20Rappelons qu’on n’est pas en face d’un cas de figure comme on est devant un cas clinique. La psychanalyse n’est qu’un point d’appui maintenu pour sa faculté d’éclaircissement, la question de la fiction reste tout autre. Le texte fictionnel résiste à la lecture psychanalytique à moins de la comprendre comme un détour, qui n’est pas inutile. En effet, des points de correspondance conduisent des rapprochements efficaces pour reconduire la notion de fiction. Si les démarches sont différentes, n’ont pas les mêmes bords, le fond a un air de ressemblance qu’il nous faut à présent analyser. Le terme de « fiction » est une constante du vocabulaire lacanien. Il engage des biais divergents ; le terme est associé à celui de « tromperie » ou de « méprise ». On retrouve la simulation qui appartient à la fiction mais la question reste de savoir pourquoi la psychanalyse est ainsi préoccupée de fiction.
Le but de la psychanalyse est d’amener le sujet à rencontrer le Ça étranger et impersonnel, non pas à l’intérieur de nous-mêmes grâce à l’introspection, mais à l’extérieur, fût-ce au prix d’une perception hallucinée18.
21La littérature ne doit rien à la psychanalyse et il faudrait peut-être penser le contraire, comme le prétend l’étude de Pierre Bayard, renversant la proposition par ce titre : Maupassant, juste avant Freud. Des éléments sont communs et, reprenant l’exemple de Maupassant, on pense inévitablement au Horla, à ce qu’il laisse apparaître de suspect quant à l’investigation de la psychanalyse : pourtant n’est-il pas l’être étranger, l’autre par excellence ? Qu’il soit indifféremment un être brésilien ou un témoin de l’inconscient qui est en moi comme dans sa propre maison, le Horla acquiert une véritable et non moins redoutable présence lorsque le narrateur le sent agir au travers de lui. La littérature et la psychanalyse auraient-elles des intérêts communs ? Leurs bords restent divergents, la figure fictionnelle ne représente en aucun cas la folie. Evoquer l’hallucination, ce n’est pas en appeler à Freud ou à Lacan ; l’écho n’en est pas moins présent. Si, dans ses textes, Blanchot fait peu de cas de la réalité de l’inconscient, est-ce finalement autre chose qu’il évoque lorsqu’il parle lui aussi de « quelqu’un » qui réside à l’intérieur du moi et qui s’emploie à l’altérer ? « En moi, il y a quelqu’un qui ne fait rien que de défaire ce moi : occupation infinie19. » Cette affirmation résonne sur le ton de la naïveté dans Le Pas au-delà mais pèse sur l’ensemble des textes blanchotiens : le sujet fictionnel paraît accompagné. Par qui ? La différence n’affecte-t-elle pas le sujet lui-même ? L’ambiguïté de la lecture psychanalytique persiste, même si on cherche à s’en dégager, elle se signale tout au long de la narration. Si la référence n’est jamais directe, elle est pourtant là et, sans s’y arrêter, il faut la lire. Elle fragilise le texte de fiction en ce sens qu’elle le renvoie insidieusement sur des versants autres mais qui le touchent de près. On ne saurait confondre la figure blanchotienne avec un type de pathologie quelconque. Ce serait à l’évidence se perdre que de tenter un renvoi à une blessure d’ordre affectif. Alors de quelle nature est cette blessure ? Elle ne peut remonter à un traumatisme antérieur qui donnerait une cohérence logique à la lecture d’un cas. Reste l’idée que l’ensemble du texte est marqué par un « désastre » lointain dont on ne sait rien et dont l’absence pèse. Les préoccupations qui touchent à ce désastre – le terme est blanchotien – sont à chercher ailleurs. Pourtant la terminologie propre à la psychanalyse aide à penser l’ambivalence : sous le signe de l’altérité de nombreux points sont à lire, dédoublement du sujet, trouble face à une réalité dans laquelle il ne parvient pas à se poser ni à se fixer, sentiment de dépersonnalisation. Au risque d’un abus de l’expression, on est à la limite d’une pensée schizophrénique prise dans un délire chronique de « déréalisation » autant que de « dépersonnalisation ». Certains de ces termes, trop connotés et non appropriés, permettent cependant d’approcher la spécificité de la fiction parce qu’ils notent mieux que d’autres le décalage de la fiction par rapport au réel, ses perpétuelles marques de distance par rapport à ce qu’elle n’est pas. Jean Bessière parle de « déréalisation de l’objet à quoi peut se rapporter le littéraire, déréalisation du littéraire même, ainsi que le fait conclure la notation apophatique du signe20 ». La déréalisation fait partie du processus de régression, elle est une faille du fonctionnement mental dans la mesure où une part de la réalité devient étrangère à soi ; plus régressive encore est la « dépersonnalisation », puisque c’est une partie de soi qui devient étrangère à soi. La régression est ce retournement du présent vers le passé, poussé par le désir de projeter en arrière de soi un vide trop présent afin de lui donner un semblant de consistance et ainsi de le combler, ne serait-ce qu’en apparence.
Un état limite
22Des domaines divers, autres que celui du littéraire, orientent et infléchissent le travail d’écriture. Ils traversent de part en part celui de Blanchot, nourrissant la matière de certains textes à valeur théorique, pénétrant autrement le versant fictionnel – emplissant les textes de fiction sans qu’ils ne soient jamais dénaturés, portant la réflexion au-delà d’elle-même, n’engageant plus, en fiction, les mêmes questions. Ici des débats d’idées, là l’engagement d’une expérience qu’implique l’entrée en fiction : un état limite. C’est en pensant que les textes fictionnels ne sont pas dénaturés qu’on peut parler d’authenticité. Demeure un effet de neutralisation qui permet à la fiction de se vider de tout rapport à autre chose qu’elle-même et de se présenter telle quelle : ce qui à terme permet enfin de fonder la fiction.
23De plus en plus nombreux sont les critiques qui s’emploient à mettre en relation, d’une façon ou d’une autre, texte littéraire et travail de l’inconscient comme s’il en allait d’un certain élan de la modernité de déterminer en ce lieu quelque élément décisif. Jean Bellemin-Noël tient une sorte de compte rendu de ces multiples rencontres21 : il passe en revue diverses tentatives de connivence et dresse un portrait de ceux qui sondent les marges de la psychanalyse. Il rapporte notamment comment Gilles Deleuze et Félix Guattari se démarquent, mettant en place la « schizoanalyse », qui n’est pas une variante de la psychanalyse : elle fait état de leur recherche parce qu’ils « cherchent à dénoyauter le sujet » selon « une conception autre de la réalité inconsciente ». Blanchot prend acte de l’avancée et du travail de la psychanalyse, mais ses textes de fiction, assurément touchés par ces préoccupations, ne rendent pas compte de quelque versant psychanalytique : ce qui se met en place avec la fiction, c’est l’indice d’une « pensée latente » qui n’aurait rien à voir avec le travail de l’inconscient mais qui pourtant, laissant parler l’analogie, le rappelle sans cesse, sans qu’un champ n’investisse l’autre. Lorsqu’on aborde les textes, il faut donc prendre les distances qui s’imposent.
24Les textes, on l’a montré avec l’exemple de Celui qui ne m’accompagnait pas, tirent de certains caractères cliniques quelques traits spécifiques qui alimentent de l’intérieur la matière fictionnelle. Dès que ces éléments sont insérés, ils font partie de la fiction, ils sont à ce point assimilés qu’ils ne renvoient plus qu’à elle : est-ce le fait d’appartenir au monde fictionnel qui les coupe de toute possibilité de référence, doit-on penser à un subterfuge de la fiction qui fait en sorte que tout lui revienne ? Passer par un semblant de schizophrénie aura permis de mieux comprendre l’écart qui menace la fiction : détachée du réel, elle n’a pas d’autre lien avec lui que de marquer le lieu de sa disparition. La question de la référence ainsi posée ne suffit pas encore à rendre compte de l’altérité intrinsèque que déploie l’écriture fictive.
25La fiction opère moins sur elle-même que sur une altérité qui viendrait d’elle. La figure de l’altérité indexe la limite. L’écart est à entendre comme écart par rapport à soi et le retour à l’autre se donne à lire comme point d’écart entre soi et soi. Il n’en reste pas moins l’important est l’écart manifesté par l’apparition des figures qui indiquent l’impossible retour sur soi. Le texte fictionnel montre que la seule issue que l’on garde face à soi-même, c’est de se faire passer pour autre. C’est pourquoi il présente le dédoublement. La menace est grande car, à se faire passer pour autre, on en vient à se prendre pour tel, glissement justifié par le biais d’une adéquation qui va de soi – la fiction en prend le risque. Il en résulte que l’altérité se donne pour première.
26Au-delà des qualités dont relève le psychisme de l’homme, au-delà de ce que les recherches psychanalytiques apportent comme contribution, quels sont ses modes d’altération ? La logique de fiction est à inscrire comme le mouvement d’une intériorité qui n’en a jamais fini avec sa propre extériorité. On assiste à un retournement : le fictionnel ne répond pas à la mise en absence du monde, celle-ci conditionne l’apparaître en le liant irrévocablement à l’avancée de sa propre disparition. Le mode analogique reste un élément de perversion qui, au moment qu’il éclaire, éloigne de l’intimité à trouver. En ce sens il nous aide à penser la fiction, dont l’horizon est le paraître ; il renvoie à des images qui ne sont jamais données qu’au-delà d’elles-mêmes. Comment penser les points de similitude qui établissent les éléments charnières et qui assurent toujours autre chose qu’eux-mêmes ? Le passage hors de soi ramènerait-il plus singulièrement à soi ?
Se livrer à des variations littéraires sur la schizophrénie ou la mythomanie, est-ce vraiment chercher le sens profond, le vrai mouvement de l’âme perdue hors du réel et hors d’elle-même ? Pour aborder les problèmes de la personnalité, il faut des principes – et des principes rationnels – et pour en épuiser la profondeur, la science des mystiques est indispensable22.
27Blanchot évoque l’ouvrage de Daniel-Rops, Deux hommes en moi, et regrette qu’il s’en tienne à une surface d’ordre psychologique. On peut penser que Blanchot, en tant qu’écrivain, cherche autre chose au moment où il aborde l’(im)personnalité, au moment où ce qui traverse le monde fictionnel n’a plus rien du monde sinon quelques points de ressemblance qui ne seront sans doute pas évacués, et ne doivent pas l’être. Les textes de Blanchot indiquent partout la défection tout autant que la rémission du sujet, mais rien ne semble jamais s’en tenir à quelque aspect de la psyché ; ils en sont presque totalement dépourvus, en accord avec un mouvement plus impersonnel qui fait se perdre la pensée « hors du réel et hors d’elle-même ». Le détour par la psychanalyse sert à percevoir les enjeux. Par le recours analogique et l’état de ressemblance qu’il fait naître, il permet d’accéder à la profondeur de la pensée de fiction : celle d’une pensée interne qui s’extériorise en s’actualisant au travers du texte littéraire.
28La reconnaissance est un leurre. Blanchot en joue à tel point que cela devient la caractéristique première de ce qui se trame sous sa fiction, déroutante dans la mesure où le rapport au réel est sans arrêt remis en cause. Christophe Bident utilise le rapprochement avec la psychanalyse et rapporte le récit blanchotien au « phantasme paranoïaque », prenant le risque de connoter trop fortement une écriture dont il devient clair qu’elle n’a de souci que pour elle-même. Christophe Bident montre combien les textes de Blanchot sont proches de ce qui relève du « phantasme paranoïaque ». En effet, on peut rapprocher la figure du narrateur de celle d’un « sujet-narrateur psychotique », non seulement en relevant les points de similitude dans les effets de narration qui sont les siens et les indices multiples que met en place le récit, mais aussi en rapprochant espace littéraire et « espace fantasmatique ». Ainsi naît un décalage face à la réalité ; le déplacement opéré par la terminologie psychanalytique devient un embrayeur et Christophe Bident l’utilise en ce sens. La psychanalyse est un point d’appui privilégié pour l’analyse de certains textes parce qu’elle permet de retirer des aspects enfouis, de mettre en évidence des liens révélateurs, non pas avec la vie psychique intérieure, mais de façon plus percutante, avec une extériorité qui échappe à la pensée. Le détour devient déterminant : il relance la perspective, celle de l’exploration d’un mouvement qui livre au dehors une « pensée interne », sans l’infléchir.
29Il y a là une part d’inconnu dont on ne sait si elle est extérieure à la pensée ou si elle est inscrite au cœur d’une pensée qui échappe. C’est là toute l’ambiguïté d’un entre-deux. Le mode analogique facilite une certaine compréhension, donne accès à un mode de pensée dont il faut admettre les qualités au moment où elles s’avèrent lacunaires. Le passage par l’analogie reste légitime, compte tenu du principe de fiction qui semble par définition se dérober à la saisie de toute pensée fixe, mais ne suffit plus. À moins de comprendre que l’insuffisance déclarée devient une affirmation décisive pour admettre que la définition de la fiction n’ira pas sans l’aveu d’une fragilité, d’un manque ; à moins d’établir ce manque comme lui-même fondateur.
La prégnance de l’oubli
30Les récits sont déployés en un double mouvement qui oriente la narration vers une évocation de ce que fut un certain passé, mettant en œuvre la marche de la mémoire comme en une lente anamnèse ; d’un autre côté laissant planer le soupçon sur ce qui revient à la mémoire comme si elle était d’avance marquée par une amnésie à laquelle elle ne saurait échapper, éveillant le doute sur la crédibilité conférable à la valeur d’un tel souvenir. Rapprochant l’écriture de Maurice Blanchot de celle de Marguerite Duras, Marie-Hélène Wicker lie la question du souvenir à la figuration de l’autre. Elle montre que les récits d’après 1945 ne privilégient pas le souvenir mais reconduisent une permanente anamnèse, et le retour à une scène primitive. Tout d’abord, on ne veut pas marquer ici de différence essentielle entre les œuvres de fiction, même avec celles publiées dans la période d’avant-guerre – sauf à penser que la guerre marque une coupure insurmontable qui ferait de cette période d’avant-guerre comme une scène originelle. D’autre part, sur la question de la mémoire, pour témoigner de la lente anamnèse, Marie-Hélène Wicker privilégie deux récits, Celui qui ne m’accompagnait pas et Au moment voulu. Précisons qu’elle est plus convaincante encore lorsqu’elle en vient à l’écriture de Marguerite Duras où elle dit explicitement que le désastre est à l’œuvre dans la mémoire.
31La question de la mémoire est liée à la question de l’autre. Selon un principe d’occultation, l’autre est toujours déjà là, à jamais retenu, en retrait, dans l’oubli. C’est donc contre le souvenir mais à travers lui que vient le mode de l’oubli. Un rapprochement devient inévitable : l’image d’un retour vers une scène originelle. On pense à une scène primitive, en la séparant de toute préoccupation psychanalytique. Ainsi l’anamnèse ne s’accomplit pas. La fiction retient au cœur de l’oubli ce vers quoi elle ne saurait remonter, ce qui fait d’elle ce qu’elle est. En exploitant à la fois le penchant vers le souvenir et la teneur de l’oubli, les textes disent l’impossible de l’anamnèse. Cela constitue un point fondamental de ce qui motive la fiction. L’oubli de l’être et du sujet gagne peu à peu l’ensemble de la fiction blanchotienne, se montrant progressivement et plus explicitement de texte en texte, jusqu’à celui qui en est plus ou moins en ce sens l’aboutissement : L’Attente l’oubli. En effet, il donne à lire un pas de plus et permet, de manière efficace, le renvoi sur un événement hors de soi qui apparaît au lointain, qui dit son éloignement – événement émergeant de très loin comme s’il ne pouvait être submergé par l’oubli. À l’instant où il est menacé de disparaître, témoignant au plus loin de lui-même, de sa réalité qui n’est autre que passée, il se retrouve là hors de sa présence, là parce que retourné à l’oubli, oublié et pourtant là encore, défiant l’oubli au cœur de lui-même.
32À la limite de l’anamnèse et de l’amnésie, oscillant entre ces deux pôles sans que jamais ne soit reconduit au souvenir ce qui lui aurait échappé, l’oubli lui-même devient l’assurance que rien ne saurait tomber trop sûrement dans un état d’oubli. Il faut comprendre que s’il y a oubli, c’est d’un mouvement d’oubli qu’il s’agit, un mouvement qui se livre de façon continue sans que jamais l’oubli ne se donne à lui-même un point d’arrêt. Roger Laporte, intrigué par l’idée d’un « effroyablement ancien », est contraint de se poser cette même question : « Les récits de Blanchot nous affrontent à l’impensable dans la mesure même où toute anamnèse est radicalement impossible23. » La figure de Judith dans Au moment voulu est tout à fait éclairante et représentative de ce temps indécidable, « impensable » dit Roger Laporte, résolument difficile à penser parce qu’il n’a jamais appartenu qu’au passé et qu’il ne suit pas l’ordinaire passage du temps. Le temps de l’effroyablement ancien est une marque inséparable des récits blanchotiens, il détermine sa fiction dans la mesure où avec lui s’effectue un écart dans notre façon d’appréhender le monde et parce qu’il nous invite à sa suite non pas à penser un autre monde mais à radicaliser l’inscription de ce qui ne tient plus lieu d’aucun monde. Evoquant Au moment voulu, Marie-Hélène Wicker établit avec raison la figure de Judith comme « l’image du passé antérieur ». Alors que l’enjeu est de définir ce que la fiction porte d’intime, à s’y confronter on retombe sur une face obscure, secret de l’expérience littéraire. Il n’est pas innocent que l’un des derniers articles de Blanchot prenne « l’énigme » pour titre, disant l’impossibilité de la déchiffrer.
Enigme est le pur jaillissement de ce qui jaillit
Profondeur qui tout ébranle, la venue du jour24.
33Blanchot s’interroge une fois de plus sur le rapport à établir entre la littérature et la question éthique : il termine son article en laissant la parole au poète Hölderlin avec lequel il définit en quelque sorte ce autour de quoi le littéraire ne cesse de tourner. En ces termes, on est confronté à la relation établie par Jean Bessière entre « facticité » et « énigmatique »25 lorsqu’il renvoie au secret que porte le texte littéraire, à ce qui lui tient lieu d’opacité, à son point de défaillance qui fait partie intégrante de la part de fiction. Il est moins question de définir la fiction selon des critères inflexibles que de la suivre dans ses détours, pour la baliser au plus près d’elle-même, en pensant que si elle échappe à la saisie, c’est parce que le sursaut lui appartient en propre : ce qui reste à définir, c’est précisément ce sursaut qui lui permet de se prolonger et de se dérober infiniment.
34Chaque texte enferme au plus profond de lui ce qui devrait être présenté au jour, comme si sa part obscure, essentielle, devait demeurer là toujours. Ainsi la révélation ne va pas sans sa contrepartie que serait la dissimulation. Ce n’est pas une force obsessionnelle qui traverse les textes mais une sorte de mise en attente d’un même souvenir qui n’en est pas un parce qu’il a manqué au passé. Ce souvenir inoubliable entre tous est l’instant mortel qui ne s’accomplit pas, on en trouve un exemple dans La Folie du jour, une fusillade prévue, sur le point de s’accomplir, mais qui ne se produit pas :
Peu après, la folie du monde se déchaîna. Je fus mis au mur comme beaucoup d’autres. Pourquoi ? Pour rien. Les fusils ne partirent pas26.
35On peut en lire une variation dans le dernier texte fictionnel de Blanchot, L’Instant de ma mort : « Empêché de mourir par la mort même27. » La ressemblance entre les deux épisodes est frappante. Dans L’Instant de ma mort, un jeune homme va être fusillé par un bataillon de soldats, au seuil de la mort, un subterfuge se produit et le libère au tout dernier moment, témoignant de la fantaisie du récit mais aussi d’une question plus essentielle : celle de la mort ratée mais d’une mort perçue de si près qu’elle est comme entamée ; la vie n’est alors plus qu’un sursis.
Mais voici que l’un d’eux s’approcha et dit d’une voix ferme : « Nous, pas allemands, russes », et, dans une sorte de rire : « armée Vlassov », et il lui fit signe de disparaître28.
36Nombreux sont les critiques qui ont rappelé que l’homme Maurice Blanchot aurait vécu un événement semblable lors de la Seconde Guerre mondiale : ayant lui-même échappé à la mort au moment précis où elle allait s’abattre sur lui. Nombreux sont ceux qui se sont emparés de la comparaison pour satisfaire l’hypothèse du biographique. On peut entre autre lire le commentaire de Didier Cahen qui ne manque pas de mentionner la possibilité du biographique et lui accorde même une importance déterminante qui se répercute sur le caractère paradoxal du texte. La narration est dépouillée, les faits sont clairs, précis et arrivent avec une forte brutalité : comme dans un conte où la priorité est moins la vraisemblance que l’impact des événements. Ce qui est frappant pour Didier Cahen, c’est justement qu’au sein du texte « un certain nombre de détails donnent à penser qu’il pourrait s’agir là d’un récit autobiographique29. ». Philippe Mesnard rapporte l’événement de manière à ne plus faire aucun doute : la ressemblance entre les faits vécus et ce qui est raconté dans les textes de fiction est selon lui trop proche pour qu’on ne convienne pas d’une relation. Il évoque alors La Folie du jour où il repère des traces certaines d’une autobiographie ; d’après lui, des écrivains plus ou moins intimes de Blanchot, Maurice Nadeau, Roger Laporte, Dionys Mascolo, l’ont eux-mêmes confirmé. Cependant il remarque aussi que l’autobiographie comme d’ailleurs la biographie « sont des genres pour lesquels Blanchot n’éprouve aucune attirance, elles sont aux antipodes de sa conception de l’écriture30 ». Philippe Mesnard tient à spécifier que le texte fictionnel de Blanchot va en ce sens contre l’attirance du théoricien. Sur ce point, on préfère suivre la démarche de Christophe Bident qui répond explicitement au texte de Philippe Mesnard pour le contredire et témoigner d’une richesse plus profonde du texte blanchotien : il indique avec raison que le théoricien Blanchot s’accorde de nombreux passages sur les vies de certains écrivains, il donne pour exemple les cas de Mallarmé, de Kafka et de Rilke où effectivement Blanchot ne se prive pas dans ses commentaires de l’emprunt biographique. Il faut donc comprendre avec Christophe Bident que loin d’être aux antipodes de sa conception de l’écriture, l’autobiographie et la biographie « en seraient plutôt le fondement inavouable et déplacé. Sous des formes paradoxales et secrètes qu’il nous appartient de penser31. ». Jacques Derrida met un terme à ces discordes avec la publication de Demeure, où il établit en parallèle le texte fictionnel de L’Instant de ma mort et le passage d’une lettre que lui aurait envoyé l’homme Maurice Blanchot, ce dernier faisant encore allusion à l’épisode de sa vie où il aurait été arrêté par les Allemands et presque fusillé. Jacques Derrida montre jusqu’à quel point les textes de Blanchot jouent l’épreuve d’une limite qu’ils déplacent constamment, et dont ils brouillent les frontières32. Le « tu es mort » de L’Instant de ma mort était d’ailleurs déjà inscrit ailleurs et autrement, dans L’Ecriture du désastre. En ce déplacement s’établit un nouveau mode de rapport dont on veut ici tirer parti. Ce qui est « inavouable » n’aura de présence possible que « déplacé ». La fiction ne raconte pas un événement : loin d’utiliser cet épisode comme un témoignage, un rappel du biographique, on admettra que ce qu’a vécu Blanchot s’inscrit forcément au cœur de ses fictions, et d’autant plus fortement qu’il s’agit d’un souvenir terrifiant comme peut l’être un sursaut de vie devant la mort. On n’assiste pas impunément à sa mort, même ratée : en reste quelque chose d’effroyable. Ce qu’on note comme fondamental c’est la marque obsessionnelle de l’oubli quand il fictionnalise peut-être aussi un souvenir. Plus largement encore ces instants sont, au moyen de la fiction, vécus à travers la mort d’un autre, mort à laquelle on assiste en la vivant soi-même avec intensité, nécessairement en la faisant varier. Pierre Fédida reconnaît que parole et mémoire sont inextricablement liées. Il rend hommage à Blanchot qui selon lui enrichit cette question de « la mémoire dans la parole », construisant un rapport de l’un à l’autre dont la psychanalyse n’a pas encore véritablement pris la mesure et qui est élaboré à partir du potentiel d’affirmation du silence, « ce silence ouvert comme du langage à une parole qui elle-même ne sait pas d’où elle vient en parlant – cette réminiscence est une mise en mouvement de l’intérieur33 ». Ce mouvement de l’intérieur aborde frontalement la singularité de la fiction. Avec lui c’est plus largement la question de l’autre qui pose l’amplitude d’une fiction dont il est difficile de définir la nature car elle est avant tout dépassée par des contre-points qui ne la concernent pas mais dont elle ne peut se passer pour accéder à elle-même. En somme, ce mouvement de l’intérieur ne saurait s’effectuer sans une plus forte extériorité : car la fiction n’a d’intériorité que celle d’une extériorité dont elle cherche à s’émanciper.
37Certains passages se donnent pour fondamentaux, comme les témoins centraux de l’entreprise fictionnelle vers lesquels chaque roman, chaque récit serait secrètement tourné : l’inavouable s’y loge de la façon la plus minimale possible, mais en un faisceau qui rayonne sur l’ensemble du texte. Dans L’Arrêt de mort, J. demande sa dernière piqûre. Elle tient sa main crispée sur celle du narrateur lorsqu’il injecte le produit mortel. Commence un terrible face-à-face. Après lui avoir souri, elle garde les yeux fixés sur lui. Le texte impose ce regard avec force et nous invite à imaginer qu’il s’est en cet instant éternisé. La fiction arrache l’événement à lui-même et le tient hors de lui jusqu’à le perpétuer à l’infini : « le regard dure encore » ; le texte suggère en même temps le malheur d’un arrêt plus que probable :
Je pourrais ajouter que, pendant ces instants, J. continua à me regarder avec le même regard affectueux et consentant et que ce regard dure encore, mais ce n’est malheureusement pas sûr34.
38Dans Au moment voulu, Judith, enfermée dans un appartement, laisse son regard passer par les fenêtres cherchant un point d’appui à l’extérieur, sur la surface neigeuse qui, seule, capte encore ses yeux. Elle est alors ravie à elle-même, se perdant au-dehors : et bientôt elle s’effondre entre les bras du narrateur, marquant en cet instant ce qui assure l’événement inoubliable du récit. Tout comme le pouls de J. s’éparpille, le corps de Judith se décompose : la puissance du regard se retrouve ici, dans les yeux avides de la jeune femme, prolongée en la force d’un rêve :
C’est sur moi que ce corps de rêve s’était décomposé, je l’avais tenu entre mes bras, j’avais éprouvé sa force, la force d’un rêve, d’une douceur désespérée, vaincue et toujours persévérante, telle que seul pouvait me la communiquer un être aux yeux avides35.
39Dans Celui qui ne m’accompagnait pas, outre l’évidence d’une impersonnalité qui progresse continûment dans la narration, par-delà l’absence qui s’accroît au fil du texte, il y a, enfouie au sein du récit, la présence retrouvée d’un sourire. Ce sourire ne relève plus d’aucune figure, détaché il n’en prend que plus de relief et devient une apparition inattendue qui se livre comme don inoubliable. Plongé dans une grande méditation qui probablement engourdit ses sens et la dynamique de ses membres, le narrateur subit un trouble qui altère ses capacités visuelles, il est bientôt entouré d’un « sourire » qui se développe autour de lui, par lequel il se sent comme enveloppé : « Mes yeux étaient ouverts sur quelque chose que je ne saisis pas d’abord, un point, non pas un point, mais un épanouissement, un sourire de l’espace tout entier36. » Si ce sourire est resté trop longtemps caché, retenu et dissimulé par le texte, c’est parce qu’il a été oublié. Ce n’est qu’à la fin du récit qu’il revient à la mémoire de celui qui a manifestement tout oublié de lui-même. Soudain ce sourire apparaît, seul, comme un souvenir-écran de l’ensemble de ce qui lui a été retiré. C’est un peu comme s’il récupérait ce qui lui a échappé : un instant fulgurant qui concentre la prégnance de l’oubli en « un sourire libre, sans entrave, sans visage » dont l’intimité devient inoubliable. « Combien de temps cela dura, je ne puis l’imaginer, ce n’était pas un temps imaginaire, cela n’appartenait pas non plus au temps des choses qui se produisent37. » La place qu’occupe le sourire rappelle la fixité et la permanence des regards de L’Arrêt de mort et de Au moment voulu : le fictionnel n’est pas un événement, il n’est pas non plus la création d’un univers totalement imaginaire. Dans L’Amitié Blanchot nous offre une autre perspective à partir d’une sculpture de Praxitèle : le sourire de l’adolescent n’est pas arrêté, comme certains le croient peut-être, en un présent éternel, « ce sourire a pris forme dans l’irréel, mais l’irréel est aussi une forme du temps, un temps qui est le travail des formes et le destin des images38 ». C’est de ce destin des images qu’on veut rendre compte. Le sourire de Celui qui ne m’accompagnait pas n’appartient pas au souvenir du narrateur, il vient d’ailleurs. Il est donné pour une trace et pour cela trouve sa réalité par l’absence. En tant que trace, il est le lieu d’un ressassement qui le dépasse. Au plus loin d’elle-même, la figure se retrouve. Il faut comprendre que, si dépouillée soit-elle, elle porte sur elle d’autres traces, une infinité de traces qui se déposent en elle pour y disparaître et y être oubliées. Oserait-on se souvenir d’un sourire inquiétant apparaissant-disparaissant, celui du chat d’Alice au pays des merveilles ? Le sourire résiste à la disparition, il perdure alors que le chat lui-même n’apparaît plus. Cela en revient au plus intime de ce qui s’engage en fiction. Et on lira avec une grande attention ces quelques mots de Blanchot qui, évoquant le temps où il résidait à Èze, témoigne d’une effigie pendue au mur de la petite chambre où il dit demeurer le plus souvent :
Une adolescente aux yeux clos, mais vivante par un sourire si délié, si fortuné, (voilé pourtant), qu’on eût pu croire qu’elle s’était noyée dans un instant d’extrême bonheur39.
40Le texte où se trouve mentionnée cette allusion ne porte pas son titre par hasard : Une voix venue d’ailleurs, comme si Blanchot donnait un principe à suivre, celui d’un ailleurs à constamment reconduire. C’est sans doute aussi pourquoi il s’autorise cette digression sur sa vie, à laquelle on le sait peu habitué, au beau milieu de ses commentaires sur les poèmes de Louis-René des Forêts. Ce n’est pas le rappel autobiographique qui importe ici mais véritablement la référence possible à une image, visible et à l’évidence tout à fait suggestive, qu’il ne faudra là encore retenir que comme une trace déplacée dans les textes.
41La figure joue-t-elle l’intertextualité, elle reconduit à l’inévitable oubli en lequel se répètent les textes. La Folie du jour manifeste assez bien l’idée que ce ne sont jamais des liens qui sont ainsi créés entre les textes mais bien des traces devenues possibles : le narrateur, un peu fou, prétend porter sur son dos un autre pensionnaire de l’établissement, un vieillard à barbe blanche à qui il dit : « Tu es donc Tolstoï40 ! » Il affirme ensuite en porter d’autres et avoue s’écrouler sous leur poids trop conséquent pour lui : « Parce que je n’étais tout de même pas un cheval. » La référence à Tolstoï est double. Prenons Le Cheval de Tolstoï. Un hongre pie, une nuit, prend la parole et bavarde sur lui-même, à propos de sa vie. À haute voix, il se libère de ses souvenirs. Or, on relève dans le texte même de Tolstoï une formule qui nous intéresse particulièrement : le cheval y est dit « pareil à une ruine vivante41 ». La référence est réciproque. La figure de La Folie du jour endosse les personnages littéraires tout comme elle prétend porter Tolstoï lui-même. Chaque figure est à même de se mettre en parallèle avec des références littéraires, avec d’autres figures qui la concernent même indirectement. Quand elles apparaissent, on ne peut plus se passer d’elles, le trouble est d’autant plus grand qu’elles appartiennent au même corps – littéraire. La fiction assurément porte des traces, mais elle les renvoie vers un oubli plus grand et les pousse vers une extinction d’elles qui les rapproche en définitive de ce qu’elles sont.
42Chacune des fictions tient à un même élément qui revient, chaque fois différent bien que toujours le même : celui qui, une fois, vit l’insoutenable ne peut plus l’oublier. De même, ce qui peut être une fois dit demeure retenu ; énoncé au hasard, cela reste en réserve. De multiples lignes de fuite parviennent des différents récits, toutes convergent vers un seul et même point : au lieu d’être mises en relief pour mieux être révélées, elles sont au contraire contraintes à mieux se dérober, comme si par nature, elles ne pouvaient advenir en surface. De chaque récit surgit des profondeurs une double face d’obscurité, d’un côté rendue au jour, de l’autre maintenue en son invisibilité : chacune apparaît comme un mouvement de retour vers un instant déterminant qui a échappé à un moment donné, à ce moment précis où l’événement n’a pas eu lieu, ne cessant depuis d’avoir lieu, en un temps différé, celui de la fiction. La prégnance de l’oubli permet une superposition de traces anciennes, entremêlées, indiscernables. Là est la raison d’être d’une étrange vision donnée à la fin de Au moment voulu. Après la mort de Judith, le narrateur perçoit une étrange présence, celle d’une femme assise au bas d’un escalier, repliée sur elle-même. Cette « vision » le poursuit : ayant été le témoin de sa mort, retrouve-t-il là la figure ancienne et nocturne qu’il a tenue un instant entre ses bras ? Elle lui revient alors sous cette apparence :
Quand je la vis à nouveau, elle était assise et, à travers toute l’étendue, elle m’apparaissait un peu en contre-bas, le corps à demi ployé, la tête inclinée vers les genoux42.
43Cette vision se mêle à un ancien souvenir qu’il a de sa vie passée dans le Sud. La ressemblance est certaine, les images se superposent – était-ce déjà Judith ?
[…] assise, elle aussi, en bas de l’escalier, sur la large marche du tournant ; ayant ouvert la porte, je regardais vers elle qui ne me regardait pas. […] Ce corps légèrement courbé dans une attitude qui n’était pas celle de l’attente ni de la résignation, mais d’une profonde et mélancolique dignité43.
44Cette femme ployée, au bas d’un escalier, exactement sur la dernière marche, précédant un tournant dont on ne devine plus rien, apparaît comme une « image » ultime : une figure féminine, prostrée, retournée, se couvrant le visage. Figure en double, elle se greffe sur celle de Judith – morte pour la supplanter, ou du moins en être le souvenir vivant, la trace vive, une figure naissante, dérivant de celle qui s’est absentée. Mais a-t-elle plus ou moins de réalité que la figure première ? L’inconsistance évidente de la figure contraste avec ce « corps » élémentaire, comme s’il cherchait à advenir en touchant la vision, une vision indéfinissable. Par ce corps en retrait qui s’expose, la figure appelle à être vue et à être touchée, elle l’est par défaut. Elle est en surimpression, comme s’il y avait deux mondes superposés : il suffirait de passer de l’autre côté, de descendre l’escalier, pour la rejoindre. L’escalier reste insituable et les deux côtés sont aussi réels, aussi irréels l’un que l’autre : ils resteront disjoints. D’une stabilité inquiétante, la figure acquiert un semblant de présence que l’immobilité rend inaltérable. Sa fixité est obsessionnelle.
45Chose assez surprenante, on peut facilement la comparer à l’ouverture d’un récit de Marguerite Duras, L’Homme assis dans le couloir : « L’homme aurait été assis dans l’ombre du couloir face à la porte ouverte sur le dehors44. » La figure se retrouve chez Marguerite Duras, femme-écrivain, sous l’apparence d’un homme. La situation n’est certes pas la même mais la figure apparaît chez l’un comme chez l’autre avec la même gravité et toute l’ambiguïté d’une vision-souvenir. Les deux figures sont assises, immobiles, dans l’ombre : ainsi projetée, la figure évoque l’apparaître de sa projection. On retrouve encore cette figure prostrée dans d’autres textes de Blanchot, avec l’impression d’une immobilité fantomatique et, plus étonnant encore, dans Le Tour d’écrou de Henry James, semblable exactement, à mi-chemin entre l’apparition spectrale et l’image née d’un désir secret. Dans Le Tour d’écrou, la vision est liée au possible retour de deux domestiques morts, deux revenants. Ce qui nous intéresse, c’est moins l’événement surnaturel que l’instant de la rencontre tel qu’il se produit effectivement. Quelle étrange ressemblance en effet entre la figure légèrement courbée dans Au moment voulu et celle du texte de James aperçue une nuit par la gouvernante des enfants. La proximité des passages est tout à fait déconcertante :
Il m’arriva, une fois, tandis que, d’en haut, j’y plongeais mes regards, de reconnaître la présence d’une femme, assise sur l’une des dernières marches ; elle me tournait le dos : son corps plié en deux et sa tête dans ses mains avaient l’attitude de la douleur45.
46Ici comme là aurait-on un seul cas de figure ? Le lieu est semblable, la posture est identique : la rencontre bute sur une même image. L’appel à l’intertexte n’explique pas l’image mais marque son retour, elle n’indique pas d’où vient cette image mais par les ressemblances, frappantes, reconduit l’image à son statut d’effroyablement ancien. Elle était déjà là, elle ré-apparaît non sans rester dans l’ombre de l’escalier. On ne le dira jamais assez, la figure prostrée blanchotienne ne vient pas de James. Et pourtant l’image fantomale, spectrale pour le premier (liée avant tout à l’évocation d’une projection), surnaturelle pour l’autre (exploitant la croyance à la réalité des revenants), engage une même altération de la figure. Marquées par la constance du retour et la fulgurance de l’apparition, elles font l’épreuve d’une réalité secrète et insaisissable. S’il est question d’une réalité surnaturelle pour James, elle est tout autre pour la figure blanchotienne : « Je la vis » est-il écrit dans Au moment voulu. « Elle » est aussi bien, selon une analyse narrative, l’image de Judith perdue. Cette vision que le narrateur a eue dans le Sud, apparemment après qu’il a quitté Judith, lui revient avec la mort de cette même femme. Ce qui demeure en cette présence c’est une image de la féminité, la femme désirable qui reste en cela indéfinissable et demeure en deçà de toute explication, se fixant au-delà de tout imaginaire. La figure prostrée se livre nue, comme un apparaître-là hors d’atteinte, échappant à la vision, ne se laissant pas penser jusqu’au bout de lui-même. Lisant les poèmes de Samuel Wood, Blanchot retrouve une image semblable et indique lui-même le rapport au texte de James qu’il ne connaît que trop bien :
Figure qui me trouble parce que je l’ai rencontrée moi aussi, mais de jour, diurne et spectrale. Messagère de la Mélancolie, si semblable à l’apparition évoquée par Henry James dans Le Tour d’écrou, immobile comme une femme fautive, légèrement détournée46.
47La Messagère de la Mélancolie, en écho aux Mégères de la Mer, est textuellement comparable à la figure de Au moment voulu tout autant qu’à celle du Tour d’écrou. La figure est si proche dans un cas comme dans l’autre qu’on voudrait dire avant tout que l’essentiel du rapprochement ne réside pas dans un type d’influence ou d’emprunt d’un écrivain à un autre, mais dans la rencontre semblable d’une même image qui se réfléchit en ses multiples incidences. L’image s’apparente alors à la forme d’un songe qui prend corps, elle n’est ni floue ni vaporeuse, elle jouit d’une incroyable apparition qui la rend aussi réelle qu’improbable. « Pendant cette minute, cela fut aussi vivant, aussi atroce qu’une rencontre réelle47. » Chacun fait en sorte que la rencontre soit d’une réalité exceptionnelle, que la figure entrevue soit animée d’une vie particulière. Là se tient peut-être immobile la réalité la plus sûre, mais qui ne peut tenir en tant que telle et qui, aussitôt apparue, est contrainte de s’évanouir : une présence passive, et vide. Le vide a attaqué jusqu’à l’être même de la figure. « Figures trop réelles pour durer », dit Blanchot, laissant l’expression jouer le paradoxe. La réalité à son point culminant est incapable de durer. Tout comme la réalité d’un instant n’est pas faite pour durer, elle qui se ruine en se posant, la figure se perd par sa trop grande fictionnalité. La figure la plus fictive est celle-là même, prostrée, elle est sans doute aussi la plus réelle, c’est pourquoi elle reste sur le mode du retour. Les dernières pages de Au moment voulu laissent encore réapparaître, sans que jamais elle ne paraisse, la figure prostrée. Ainsi se dessine un repli. Ce qui est appelé à venir, à revenir, se joint à la condition de l’oubli. Chantal Michel, reprenant la posture critique blanchotienne du mouvement d’Orphée, veut indiquer l’origine de Au moment voulu à travers la reprise du personnage biblique de Judith. Il est vrai que la figure de Judith rappelle en de nombreux endroits « Le Livre de Judith », et à ce compte les indices que Chantal Michel relève sont d’un grand intérêt : la synagogue en ruines, le portrait de Judith, et la main crispée comme tenant une arme, dit Chantal Michel en se référant toujours au texte, puisqu’elle se rattache aux « coups d’épée dans le ciel » introduits juste auparavant48. Cependant, et la critique prend le soin de le signaler dans son analyse, cette origine conserve son statut insaisissable. C’est davantage ce mouvement de retrait qui concerne notre étude : le déplacement fictionnel est l’effacement continu des traces par les traces elles-mêmes. On ne peut en rester aux connexions qui peuvent être faites, elles ne sont que des effets de miroitements qui nous abusent plus qu’ils ne nous font avancer vers la figure de la Judith d’Au moment voulu. Parce que les jeux de reflets sont donnés pour tels, la référence reste en sa totale dissimulation. Les figures ne sont ni réelles ni imaginaires, mais précisément fictionnelles : elles ne rappellent ni ne posent aucune référence, elles marquent au contraire l’oubli des images – un oubli vraisemblablement porteur de traces multiples, infinies et variables. Tout souvenir qu’elles font naître doit être reconduit à l’oubli si on veut approcher la figure au plus près : car elle n’est rien d’autre qu’un pur détournement d’elle-même. Ce qui est appelé en la figure est le propre d’un leurre, le principe de fiction est l’invention de ce qui ne passe pas par ces figures mais s’y place comme passé.
Notes de bas de page
1 Michel Foucault, La Pensée du dehors, Fata Morgana, Montpellier, p. 24.
2 Celui qui ne m’accompagnait pas, op. cit., p. 33 et 35-36.
3 Ibid., p. 35, 36, 37.
4 Ibid., p. 21.
5 Ibid., p. 136.
6 Henri Bergson, Les Deux Sources de la morale et de la religion, p. 112.
7 Jacques Lacan, « Hommage fait à Marguerite Duras », Cahiers Renaud-Barrault, décembre 1965, repris dans Marguerite Duras, Albatros, 2e édition, 1979, p. 133.
8 La Folie du jour, op. cit., p. 21.
9 Georges Poulet, Études sur le temps humain, p. 301. Nous soulignons. Le mirage est ici donné en rappel de Narcisse et de Hérodiade.
10 Ibid., p. 317. C’est nous qui soulignons.
11 Alberto Eiguer, Une fêlure dans le miroir. Aspects rivaux du narcissisme dans la pathologie, Bayard, coll. « Païdos », Paris, 1994. Voir aussi l’étude de André Green dans Narcissisme de vie. Narcissisme de mort, Minuit, Paris, 1983.
12 François Richard, Psychothérapie des dépressions narcissiques, PUF, Paris, 1989, p. 33. Ces symptômes ont été tout particulièrement mis en relief par François Richard qui participe à l’idée que nombre de psychanalystes partagent, à savoir l’importance de l’inscription dans le temps.
13 Celui qui ne m’accompagnait pas, op. cit., p. 81.
14 Ibid., p. 64.
15 Anne-Lise Schulte Nordholt, Maurice Blanchot, L’Écriture comme expérience du dehors, Droz, Genève, p. 149.
16 Celui qui ne m’accompagnait pas, op. cit., p. 46-48.
17 Ibid., p. 55-56.
18 Sigmund Freud, cité par J.-D. Nasio, Cinq leçons sur la théorie de J. Lacan, Rivages, Paris, 1992, p. 118.
19 Le Pas au-delà, op. cit., p. 93.
20 Jean Bessière, « Rhétoricité et définition implicité de l’écriture », Barthes après Barthes - Une actualité en questions (Actes du colloque international de Pau, textes réunis par Catherine Coquio et Régis Salado, 22-24 novembre 1990), Publications de l’Université de Pau 1993.
21 Jean Bellemin-Noël, Psychanalyse et littérature, PUF, Paris, 1993.
22 Maurice Blanchot, « Deux hommes en moi, par Daniel Rops », La Revue Universelle, no 21, février 1931.
23 Roger Laporte, Maurice Blanchot, L'ancien, l’effroyablement ancien, Fata Morgana, Montpellier, p. 35-36.
24 « Énigme », Yale French Studies, no 79, 1991.
25 Jean Bessière, Enigmaticité de la littérature, PUF, Paris, 1993.
26 La Folie du jour, op. cit., p. 11.
27 L’Instant de ma mort, op. cit., p. 7.
28 Ibid., p. 12.
29 Didier Cahen, « L’Instant de ma mort », Le Nouveau Recueil, no 34.
30 Philippe Mesnard, Maurice Blanchot, Le sujet de l’engagement, L’Harmattan, Paris, 1996, p. 96-97.
31 Christophe Bident, « Du politique au littéraire », Ralentir travaux, no 7, Hiver 1997, p. 54.
32 Jacques Derrida, Demeure, Galilée, Paris, 1998.
33 Pierre Fédida, « Blanchot pose cette question de la mémoire », Ralentir travaux, no 7, Hiver 1997, p. 67.
34 L’Arrêt de mort, op. cit., p. 52.
35 Au moment voulu, op. cit., p. 134.
36 Celui qui ne m’accompagnait pas, op. cit., p. 167.
37 Ibid., p. 168.
38 L’Amitié, Gallimard, Paris, 1971, p. 45-46 (article paru initialement dans la revue Critique).
39 Maurice Blanchot, Une voix venue d’ailleurs, Cahiers Ulysse fin de siècle, Hors série, Plombières-les-Dijon, 1992, p. 13. Nous soulignons.
40 La Folie du jour, op. cit., p. 32.
41 Léon Tolstoï, « Le Cheval », Œuvres, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », Paris, p. 948.
42 Au moment voulu, op. cit., p. 138.
43 Ibid., p. 138-139.
44 Marguerite Duras, L’Homme assis dans le couloir, Minuit, Paris, 1983, p. 7.
45 Henry James, Le Tour d’écrou, Stock, 1992, p. 93-94.
46 Une voix venue d’ailleurs, op. cit., p. 14-15.
47 Henry James, Le Tour d’écrou, op. cit., p. 88.
48 Chantal Michel, Maurice Blanchot et le déplacement d’Orphée, Librairie Nizet, Saint-Genouph, 1997.
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