Les archives personnelles des chercheurs : un patrimoine scientifique peu exploré
p. 89-99
Texte intégral
Introduction
Une préoccupation patrimoniale croissante
1On observe depuis le début des années 1980, une préoccupation patrimoniale croissante, même si elle demeure encore timide, de la part des acteurs de la production des savoirs. Ce mouvement participe d’une impulsion générale qui a poussé différents mondes sociaux et, en particulier, le monde universitaire, à investir le champ culturel. Cela a également participé de la prise de conscience, pour une institution donnée, de l’utilité – sinon de la nécessité – de conserver une mémoire de ses pratiques, à la fois dans le but de façonner, de circonscrire et de définir son « identité » (en mettant en lumière ses objets, ses méthodes, ses valeurs), tout en développant un regard critique et réflexif sur son évolution, mais aussi de donner à voir le fonctionnement de l’Université et des activités de recherche à un public non académique.
Un intérêt nouveau pour les archives scientifiques
2L’intérêt des institutions scientifiques pour les archives scientifiques trouve initialement son origine dans le développement de l’histoire et de la sociologie des sciences. Ces disciplines ont en effet opéré depuis les années 1970, un changement de régime épistémologique qui les a conduites à analyser désormais et simultanément pratiques et contenus scientifiques. L’intérêt pour les archives scientifiques est également marqué par le contexte socio-économique du début des années 1980 qui a amené les institutions scientifiques à se doter de services de communication pour renouveler leur image auprès du grand public et auprès de leurs partenaires, réels ou potentiels.
3Des réflexions structurées autour des archives de la recherche ont progressivement été conduites. On peut citer celle de la mission ARISC (ARchives Issues des Sciences Contemporaines) menée au CNRS par Odile Welfelé dans les années 1990. Plus récemment, le service interministériel des archives a développé au niveau national, à travers sa mission pour les archives de l’enseignement supérieur et de la recherche, une politique de sensibilisation et de formation. Aujourd’hui, de nombreux organismes de recherche et Universités se sont ainsi dotés de services d’archives, comme l’Université Toulouse 1 Capitole ou l’Université Toulouse 2 Jean Jaurès. Un réseau professionnel (le groupe métier AURORE) s’est également structuré en 2007 pour réunir les personnes en charge des archives dans les établissements d’enseignement supérieur. Il a pour objet aussi bien les archives administratives que celles de la recherche, et prend en compte toutes les disciplines développées dans les universités concernées. Par ailleurs, le réseau des MSH (Maisons des sciences de l’homme) de France, piloté par la MSH de Dijon, recueille les archives de chercheurs. C’est notamment le cas pour la MSH de Toulouse, qui a recueilli plusieurs fonds de chercheurs toulousains. Enfin, il faut évoquer le travail mené par un certain nombre de bibliothèques universitaires ou de bibliothèques d’institutions de recherche (laboratoires, instituts, etc.) pour valoriser ce patrimoine. A Toulouse, le service interuniversitaire de coopération documentaire dispose d’un service du livre ancien qui travaille sur les collections patrimoniales des diverses bibliothèques universitaires ; ces collections comprennent des manuscrits, des livres, des périodiques, des images... Une partie en a été numérisée et peut être consultée en ligne (http://tolosana.univ-toulouse.fr).
Trois types d’archives scientifiques
4Il est difficile de définir ce que l’on entend par « archives scientifiques ». Celles-ci recouvrent tout ce qui est produit par un scientifique, par un centre de recherche, par une institution d’enseignement supérieur. Trois types d’archives scientifiques peuvent ensuite être distingués (Charmasson, 2006) : les archives de tutelle des établissements de recherche et d’enseignement scientifiques ; les archives propres de ces établissements (et en particulier les archives des laboratoires et des unités de recherche de ces établissements) ; les archives personnelles des chercheurs.
5A la suite du guide de l’AMUE (Agence de mutualisation des Universités et établissements d’enseignement supérieur et de recherche)1, nous qualifierons d’archives personnelles les documents « [issus] du travail de recherche (cahiers de laboratoire, correspondance, comptes rendus de réunions, notes, rapports, fiches de travail, notes de travail, carnets de terrain, documentation diverse (revues, tirés-à-part, plaquettes, fascicules), littérature grise (rapports, études), documents relatifs à la participation à des colloques et conférences (programmes, compte rendu, liste de chercheurs...), rapports d’expertise) », par opposition aux archives consignant les résultats de la recherche (rapports, comptes rendus de recherches, manuscrits et tapuscrits d’articles et/ou d’ouvrages, épreuves, preprints, ouvrages, articles, tirés à part) ou encore aux archives relatives à la réception des résultats de la recherche (correspondance, coupures de presse, dossiers de traduction et de réédition d’articles et d’ouvrages).
6Chacune des trois catégories d’archives définies ci-dessus comporte des spécificités qui lui sont propres. En fonction de leur provenance, par exemple, ces différentes archives ont un statut juridique et un lieu de conservation différents. Ainsi, les archives de tutelles sont généralement entreposées à Paris, au Centre historique des Archives nationales ou, pour les fonds postérieurs à 1958, au Centre des archives contemporaines de Fontainebleau. Les archives propres des établissements dépendent pour leur part des politiques de chaque établissement. Certains ont organisé leur propre service d’archives, d’autres les versent aux Archives départementales ou encore aux Archives nationales.
Un cadre juridique complexe
7La loi de 1979, révisée en 2008, donne un cadre juridique aux archives, en France. Les archives sont ainsi définies par le Code du patrimoine, livre II, qui précise en son article L211-1 : « Les archives sont l’ensemble des documents, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, produits ou reçus par toute personne physique ou morale et par tout service ou organisme public ou privé dans l’exercice de leur activité. »
8Cette définition des archives est extrêmement large. L’article L211-4 précise la notion d’archives publiques : « Les documents qui procèdent de l’activité, dans le cadre de leur mission de service public, de l’Etat, des collectivités territoriales, des établissements publics et des autres personnes morales de droit public ou des personnes de droit privé chargées d’une telle mission. [...] Les archives privées celles qui ne relèvent pas de cette définition. »
9Les archives scientifiques peuvent donc rentrer dans ce cadre juridique, en tant qu’archives publiques. Des difficultés émergent lorsque ces archives sont considérées par leurs auteurs comme privées, et sont alors régies par le Code de la propriété intellectuelle et les droits d’auteurs.
Les archives personnelles des chercheurs
10Les archives « personnelles » des chercheurs (Charmasson, 1995 ; Artières & Laé, 2011 ; Bert, 2014) souffrent en effet d’un véritable flou juridique : elles sont régies à la fois par le Code du patrimoine et par le Code de la propriété intellectuelle. En effet, les chercheurs considèrent bien souvent ce matériau comme des documents privés, alors même qu’ils les ont élaborées en tant qu’agents d’un organisme public de recherche. En théorie, en qualité d’auteur-agent d’un établissement public, les chercheurs devraient obéir à l’obligation légale de versement qui s’applique aux archives publiques, dans le cadre du Code du patrimoine. Mais en pratique, les chercheurs semblent disposer d’un traitement différencié par rapport à d’autres catégories de fonctionnaires.
11Ce double statut des archives des sciences (certaines régies par le Code du patrimoine, d’autres par celui de la propriété intellectuelle), met au jour la tension quotidienne qui existe dans la profession de chercheur entre les intérêts individuels et les intérêts collectifs ; entre le corps des chercheurs (à la fois le corps physique et le corps symbolique) et les institutions. Finalement, la conservation des archives dites personnelles des chercheurs est donc tout à fait aléatoire, et dépend essentiellement du bon vouloir des chercheurs, qui se sentent rarement concernés.
Une approche socio-communicationnelle des archives personnelles des chercheurs
12Les archives personnelles des chercheurs constituent un objet encore peu interrogé, lorsqu’il n’est pas dévalorisé. Il s’agit d’un objet difficile à saisir car les principaux intéressés le perçoivent rarement comme un objet digne d’être questionné et, a fortiori, conservé. Dans cet article, nous rendrons compte de cette relation souvent ambivalente des chercheurs à leurs traces documentées, entre désir de conservation, besoin d’oubli et gestion de tri et questionnerons la profonde méconnaissance des chercheurs de leurs droits mais également de leurs obligations en matière d’archivage.
13Cette analyse s’appuiera notamment sur les résultats d’un projet de recherche collectif, ECRITO, financé par la région Midi-Pyrénées mené entre septembre 2011 et novembre 2012 à Toulouse sur les écritures ordinaires de la recherche2. Ce projet, intitulé « Les documents scientifiques informels de la recherche : un patrimoine peu exploré, témoin de la construction des savoirs » s’intéressait aux archives personnelles des chercheurs (Lefebvre, 2013). Il visait à questionner les rôles, les usages et les relations que les chercheurs nouent avec leurs écritures ordinaires, tout au long de leur vie de chercheurs et pas uniquement pendant l’élaboration d’un projet ou l’écriture d’un article de recherche. Pour ce faire, une recherche a été réalisée dans six laboratoires toulousains différents, comportant aussi bien des sciences humaines et sociales que des sciences expérimentales : IMFT (mécanique des fluides), IRIT (informatique), TRACES (archéologie), Laboratoire de neurosciences, Laboratoire d’agro-écologie, Dynamiques rurales (socio-géographie). La méthodologie d’analyse comportait la réalisation d’entretiens semi-directifs avec six chercheurs par laboratoire, ainsi qu’une approche ethnographique des pratiques de conservation et d’archivage. Malgré la taille modeste de notre corpus (six laboratoires étudiés, 32 entretiens réalisés), quelques éléments d’analyse méritent d’être soulignés.
Pluralité des écologies documentaires
14Tout d’abord, de la même manière que les chercheurs ne peuvent pas tout conserver dans leurs espaces domestiques, ils ne peuvent pas non plus tout conserver dans leur laboratoire, notamment pour des raisons d’espace. Pourquoi les chercheurs choisissent-ils alors de conserver certains documents plutôt que d’autres ? Comment s’élabore la sélection ? A quels moments ? Sur quels critères ? Pour quels usages ?
15Les pratiques d’archivage n’étant pas perçues comme une contrainte institutionnelle par les chercheurs rencontrés, elles sont aussi variées que l’archivage des documents administratifs chez soi (Dardy, 1997). Du fait de cette extrême variété des écologies de conservation, il est difficile d’envisager une typologie des chercheurs dans leurs pratiques de conservation. Celles-ci ne sauraient en effet être disciplinaires, tant ces pratiques sont avant tout marquées par les personnalités et les histoires des chercheurs. Cette étude a cependant mis à jour une constante : la relation très ambivalente des chercheurs à leurs traces documentaires, entre désir de conservation et besoin d’oubli, et par suite, leurs pratiques variées de conservation et d’archivage.
L’attachement aux écritures ordinaires : pourquoi conserver une trace écrite ?
La dimension symbolique des écritures ordinaires
16Les chercheurs rencontrés nouent souvent une relation affective avec leur objet d’étude, que celui-ci soit humain ou non. Le choix de conserver les écritures liées à une recherche peut alors être interprété comme une nécessaire mise en mémoire affective. C’est la question du lien qui est ici en jeu, lien à la fois personnel et professionnel.
17Cet archivage est essentiellement symbolique et ne peut avoir d’autres usages, à moins d’analyser ensuite la nature et les discours de ces lettres, cartes et critiques. Certains chercheurs soulignent leur besoin de conserver des traces de leurs recherches, notamment lorsque celles-ci leur ont demandé des efforts particuliers.
18Le lien est symbolique, hé au contenu, mais également à l’objet matériel qui est ici en jeu. En effet, il ne faut pas négliger l’importance symbolique du support, comme par exemple les petits carnets qui sont associés à des pratiques d’écriture personnelles, et qui renvoient à un imaginaire de voyage et d’expériences intimes qui va bien au-delà des pratiques professionnelles des chercheurs (Deseilligny, 2013). Ainsi, les chercheurs utilisant des cahiers de laboratoire évoquent souvent la spécificité de ce support, où ils rédigent « encore » à la main (Welfelé, 2003).
Revivre l’expérience du terrain
19Tous les chercheurs rencontrés ont exprimé un lien fort avec leur terrain de recherche. Une fois l’enquête terminée, il s’agit pour eux de pouvoir revivre « l’expérience » du terrain. La relecture d’un carnet de terrains, de notes éparses ou encore le visionnage des rushs d’un film permettraient de se remémorer presque physiquement l’expérience du terrain, et ainsi de revenir à une temporalité antérieure à l’analyse. Cela permettrait notamment à ces chercheurs de revivre les émotions ressenties pendant le recueil des données et de produire du sens avec les données objectivées ensuite dans le bureau du chercheur. Par là même, des chercheurs ont exprimé une forme de dépendance vis-à-vis d’écrits tout à fait ordinaires comme les post-it, les cahiers de terrain, les notes, etc., pour produire de la signification.
Les écrits de collaborations scientifiques
20La recherche est avant tout une activité collective. Or, les écrits des collaborations ne sont pas rédigés comme des écrits strictement personnels. En effet, dans le cadre d’une recherche collective, il est essentiel d’en conserver toutes les traces de manière à ce que tous les chercheurs impliqués dans cette recherche aient accès au même corpus de données. Il s’agit finalement de construire un espace de coordination pérenne, afin de s’assurer à la fois d’une mise en commun des données mais également d’un cadre épistémique commun à tous les membres d’une recherche, de manière à les fondre en une véritable communauté épistémique.
21Cette question se pose notamment lorsque de nouveaux chercheurs viennent s’impliquer dans cette recherche. Comment leur transmettre l’histoire du projet ? Son évolution épistémologique ? Si ce travail de mémoire est parfois organisé, cela ne serait pas toujours le cas, et relèverait davantage d’échanges informels, dépendant avant tout de la personnalité du coordinateur du projet.
Un désir de conservation pour des recherches futures
22Plusieurs formes de réutilisation des écritures ordinaires de la recherche peuvent être distinguées : à la fois la réutilisation des données pour une recherche ultérieure et l’analyse de ces différentes écritures dans une perspective historique. Je rajoute cependant aux deux usages proposés par Müller (2006) la revisite des écritures ordinaires dans une perspective autoréflexive par les chercheurs de la discipline concernée. Cela permettra de dégager deux dimensions à ces logiques de conservation des écritures ordinaires de la recherche : une dimension horizontale (la réutilisation de fait par le chercheur lui-même ou par des collaborateurs) et une dimension verticale (la revisite comporte une dimension historique et est marquée par les temporalités de la recherche).
La revisite des données pour de nouvelles recherches
23La plupart des chercheurs ne se séparent pas des documents comportant leurs données, dans l’illusion, peut-être, d’une réutilisation ultérieure, essentiellement par leurs soins. Au contraire, ces documents font généralement l’objet d’un classement et d’un archivage. Les chercheurs expriment par ailleurs un fort sentiment de propriété dès lors qu’il est question des données qu’eux-mêmes ont récoltées, invoquant à juste titre leur droit d’auteur et leur propriété intellectuelle.
24Un autre contexte de revisite doit être évoqué : c’est celui qui concerne la réplication d’une enquête soit sur une autre population, soit ultérieurement, de manière à analyser l’évolution sociologique d’une population par exemple.
La revisite dans une perspective historique
25Les archives scientifiques, et en particulier les écritures ordinaires des chercheurs, constituent un matériau privilégié pour l’histoire sociale des sciences. Elles représentent en effet autant de témoignages de l’époque de la recherche, d’un contexte social, intellectuel, institutionnel, etc. Même si ces écritures ordinaires sont fortement marquées par la personnalité des chercheurs les ayant produites, leur analyse permet d’interroger en détail les conditions socio-historiques de production des connaissances, et d’expliciter « les déterminations sociales qui gouvernent le regard du savant » (Müller, 2006, p. 4).
26L’analyse des archives d’une discipline permet également d’en établir l’existence historique (Delaunay, 2012). Cette réflexion sur l’histoire d’une discipline rend en effet possible l’étude de la structuration d’une communauté de pensée autour d’un objet scientifique, de méthodes ou encore d’un cadre théorique communs. L’analyse des archives de la recherche peut alors pareillement s’inscrire dans un débat sur la scientificité des disciplines concernées (Müller & Wolikow, 2006).
La revisite réflexive
27Les écritures ordinaires de la recherche peuvent également être revisitées dans une perspective réflexive, par les chercheurs d’une discipline. Si cette pratique est devenue courante en anthropologie, elle n’est guère généralisée dans les autres disciplines qui laissent bien souvent à l’histoire des sciences le soin de mettre en perspective la démarche scientifique d’un chercheur par rapport au contexte socio-historique de production de ses connaissances. La réflexivité peut néanmoins prendre deux formes : la réflexivité du chercheur par rapport à ses propres pratiques de recherche ou la réflexivité d’une discipline sur elle-même.
Le besoin d’oubli
28Mais la question de la conservation est aussi directement liée à celle de l’oubli. La mémoire est en effet perçue comme l’antidote de l’oubli. Cet oubli peut prendre différentes formes : il peut relever d’une simple démarche d’archivage ou, plus radicalement, d’une suppression définitive des documents considérés. Ces deux logiques, très différentes -la seconde étant définitive au contraire de la première- renvoient à des rapports distincts et parfois très ambivalents, à ce besoin d’oubli. Ce processus d’oubli nécessaire est tout à fait visible dans le contexte de la recherche scientifique. Pour passer à autre chose, clore une recherche considérée comme terminée, les chercheurs ont tous besoin d’oublier. Cela peut prendre différentes formes.
29En premier lieu, on peut évoquer le classement de tous les documents matériels nécessaires à la recherche dans des boîtes. La plupart des chercheurs ne retournent que rarement ouvrir ces boîtes, une fois la recherche terminée : fermer la boîte, c’est en effet libérer son esprit de manière à pouvoir (enfin) passer à autre chose. Cela renverrait finalement à un besoin d’invisibilisation des traces de la recherche, une fois l’objectif de la publication atteint.
30En second lieu, cet oubli peut prendre la forme d’un archivage numérique. Les outils numériques représentent alors un artefact cognitif, une forme d’extension extériorisée de la mémoire aussi bien individuelle que collective (par le biais notamment d’outils collaboratifs comme la dropbox). L’oubli, comme la mémoire, incarne en effet la temporalité. Aujourd’hui, alors que des générations d’hommes ont redouté de perdre ce que le temps effaçait, « la société découvre avec stupeur une traçabilité en excès. La prolifération des traces numériques introduit de fait une inversion anthropologique du rapport entre mémoire et oubli, où ce n’est plus l’enregistrement mais l’effacement des données qui demande attention, investissement, volonté. On ne peut pas ne pas laisser de traces » (Merzeau, 2011, p. 1). Le numérique représente ainsi la phase souvent considérée comme ultime de la conservation (ou de l’oubli) pour les chercheurs qui l’imaginent pérenne. Cet oubli n’est cependant pas définitif puisqu’il est aussi aisé de rouvrir un dossier numérique archivé qu’un dossier courant.
31Enfin, plus radicalement, cet oubli peut correspondre à la suppression définitive des documents dont la conservation n’est pas jugée nécessaire. Il s’agit en particulier de toutes les écritures intermédiaires de la recherche, préexistants à l’article publié. Cette suppression définitive relève sans doute d’une forme de consécration de l’oubli : ces documents ne sont, ne seront, plus nécessaires. C’est presque comme s’ils n’avaient jamais existé. Cependant, si certains chercheurs procèdent ainsi par choix, parce que cela fait partie de leurs pratiques de classement et d’archivage, d’autres le font par nécessité, par manque de capacité de stockage, notamment lorsque le support de conservation des données, comme dans le cas de l’audiovisuel, est « géophage ».
Conclusion
32L’intérêt pour les archives personnelles des chercheurs ne semblent plus à démontrer (Cornu, 2006). Archivistes et chercheurs en sciences humaines et sociales s’accordent pour reconnaître que ce matériau de recherche est irremplaçable pour l’histoire sociale des sciences et constitue un support fondamental pour donner à voir le fonctionnement de la recherche et de l’université à un public non académique.
33Cependant, si la loi du 3 janvier 1979 organise la collecte et la conservation des archives publiques, et notamment des archives scientifiques, elle ne prévoit aucune obligation de collecte et de conservation pour les archives privées, et donc notamment pour les archives personnelles des chercheurs. Il n’existe donc pas de procédure systématique de sauvegarde de ces archives, souvent conservées aux domiciles de leurs auteurs. Dans l’univers de la recherche, les frontières entre sphère professionnelle et sphère privée sont en effet continuellement poreuses... La conservation de ces archives personnelles est donc finalement, avant tout, fonction du bon vouloir des chercheurs, de leur perception de l’intérêt d’une démarche de dépôt, mais également de leur positionnement en tant qu’acteur social. Voilà qui complique encore un peu plus la tâche déjà ardue des archivistes...
Bibliographie
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Bibliographie
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Notes de bas de page
Auteur
MCF-HDR sciences de l’information et de la communication Université de Toulouse UT1, LERASS (EA 827)-URFIST
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