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Le patrimoine scientifique des universités, une construction à la frontière de plusieurs mondes

p. 67-76


Texte intégral

1Depuis 2007, les communautés savantes et en particulier celles œuvrant au sein des Universités, sont les témoins et les acteurs des changements structurels de leur environnement institutionnel. En ces temps révolus des éphémères pôles de recherche et d’enseignements supérieurs (PRES) et à l’orée des « communautés d’universités et d’établissements » (COMUE)1, les Universités, soumises de surcroît à la loi relative aux libertés et responsabilités des Universités (LRU), vivent au rythme des micros et macros révolutions. Au même titre que les missions d’enseignement et de recherche, le patrimoine scientifique des universités se retrouve lui-aussi impacté par ces évolutions. Celui décrit dans cet article est multiple (archives, livres, instruments, collections d’histoire naturelle et de médecine, etc.). Il s’ancre sur l’histoire mouvementée des Universités et s’inscrit dans un contexte universitaire toulousain spécifique à 2015. Il profite d’un lent mais certain accroissement d’intérêt par la majorité des Universités françaises depuis une vingtaine d’années ; intérêt qui se traduit par la multiplication d’initiatives. Cependant, le patrimoine scientifique souffre d’un manque de moyens et de reconnaissance en tant que constituante de l’identité de l’institution et ressource à fort potentiel pour l’Université. Pourtant, le patrimoine scientifique peut être une vitrine prestigieuse de l’Université, ainsi qu’un irremplaçable acteur des sciences d’aujourd’hui. Objet de recherche ou vecteur de l’enseignement supérieur, ce patrimoine est un reflet de l’histoire et de l’actualité socio-économique locale tout comme des liens entre l’institution et la cité. A Toulouse, comme dans bien d’autres pôles universitaires français, les traces matérielles et immatérielles des diverses activités savantes sont en cours d’identification par une communauté productrice accompagnée par les professionnels du patrimoine. Ensemble, ils ont à inventer un cadre opérationnel adapté aux spécificités d’usage de leurs patrimoines incluant les pratiques de sélection, de conservation, de protection et de restauration en s’inspirant, notamment, des pratiques réglementées à ce jour au sein de multiples cadres juridiques2 (Codes de la recherche, du patrimoine, de l’éducation, de la propriété intellectuelle, code général de la propriété des personnes publiques, etc.)

Les origines d’un patrimoine scientifique en marge de l’Université

2Le contexte historique français ne simplifie pas le rapport de l’Université à son histoire, à sa mémoire et donc à son patrimoine. Les Universités, vieilles institutions placées à l’origine sous la protection du pape, arrivent à bout de souffle à la fin de l’Ancien Régime. Les étudiants sont peu nombreux et peu assidus, la qualité des diplômes contestée et les enseignants isolés. Ces derniers s’ennuient3 dans des Facultés qui ne leurs offrent pas de soutien dans l’exploration de leur discipline et le développement de leurs connaissances. Pourtant les universitaires font de la recherche et contribuent pleinement aux découvertes et controverses scientifiques de leur temps. Dès le XVIIe siècle, ils trouvent dans les sociétés savantes4, le réseau, l’émulation et la publication de leurs travaux (ce que l’université leur refusera encore jusqu’à la fin du XIXe siècle). Ce sont ces mêmes académies, très actives à Toulouse, qui contribuent alors à la création des musées de sciences pour accueillir et rendre accessibles à tous, les collections issues des prélèvements qui ont nourri les questionnements scientifiques (notamment dans le domaine des sciences naturelles5) et des instruments qui ont permis nombre de découvertes.

3Ces musées, créés hors de l’Université, sont pourtant souvent dirigés par les titulaires de chaires universitaires. Ces hommes de sciences s’efforcent, selon les époques, de retisser des liens plus ou moins resserrés avec cette dernière. Bien que les frontières institutionnelles soient poreuses, l’expertise académique et empirique des professionnels du patrimoine s’est développée dans ces institutions muséales dédiées6, tandis que le monde de l’Université s’est concentré sur son cœur de métier : l’enseignement et la recherche. Il est d’ailleurs intéressant de noter que ce n’est qu’en 2008 que des postes de responsables, chargés, assistants et techniciens de collections apparaissent dans le référentiel des emplois-types de la recherche et de l’enseignement supérieur au sein de la branche d’activité F « information : documentation, culture, communication, édition, TICE ».

Le patrimoine scientifique tourmenté par une Université à géométrie variable qui oscille entre réunification et cloisonnement

4En 2015, chaque région de France détient sa ou ses Université(s). Ces institutions publiques composent avec l’histoire nationale partagée, l’histoire de son académie, ainsi qu’avec l’histoire locale mais aussi internationale de ses disciplines scientifiques. De ces influences croisées, ce patrimoine scientifique tire une richesse de sens qui éclaire à son tour les parcours, les choix et les spécificités de ces institutions. Mais ce patrimoine est aussi soumis à ces vicissitudes contextuelles. Le grand bouleversement généré par les évènements de mai 1968 et la loi « Edgard Faure7 » a abouti, notamment, au renforcement de l’autonomie universitaire et la dissolution des Facultés. Malgré l’une des intentions initiales de créer des Universités pluridisciplinaires, le constat aujourd’hui, tendrait plutôt vers le découpage accru de la communauté. Cette fragmentation a fragilisé et malmené le patrimoine scientifique des Universités, en particulier les collections et les archives des sciences8. Mais ce hiatus, cette rupture nécessaire avec le passé que l’on pourrait qualifier « d’oubli pour la vie » au sens du philosophe Paul Ricœur9, ne peuvent justifier seuls, plus de quarante ans plus tard, une si faible considération pour ce patrimoine. Comment expliquer qu’il soit très souvent difficile de faire comprendre aux universitaires eux-mêmes que les biens créés ou utilisés par leur institution sont des biens communs et que, bien qu’ils en aient la paternité, ils appartiennent au domaine public de l’Etat, leur employeur et financeur10 ?

5La tendance générale en 2015 est à nouveau au rassemblement : affirmer des métropoles, promouvoir à l’international des territoires et des pôles d’industrie vers une haute compétitivité, ou hisser les pôles de recherche et d’enseignement vers l’excellence... Les fusions, les fédérations ou les associations d’établissements d’enseignement supérieur et de recherche issues de cette volonté d’harmoniser les politiques publiques iront-elles puiser dans leur patrimoine scientifique largement partagé les racines d’une nouvelle unité ?

Les spécificités du patrimoine scientifique des universités : une multiplicité de natures et d’usages

6Le patrimoine universitaire est multiple, le définir est périlleux. La communauté scientifique universitaire détient en effet une multitude de fonds issus des évolutions et des spécialités de son activité propre -la recherche et l’enseignement- mais aussi de son administration, de ses lieux de vie et de leurs usages.

7En 2014, l’étude11 menée sur le recensement du patrimoine universitaire toulousain a permis de montrer qu’il est représentatif de l’état du patrimoine scientifique français tel qu’il est revendiqué par les universitaires eux-mêmes12. Il rassemble communément des collections zoologiques, paléontologiques, minéralogiques, cartographiques, anatomiques, odontologiques, anthropologiques, astronomiques, un jardin botanique et un arboretum, des herbiers, des fonds photographiques, des instruments scientifiques anciens et contemporains, des supports pédagogiques... mais aussi (hors du strict domaine scientifique) un important patrimoine écrit, des archives (papier, numériques, audiovisuelles, etc.) des œuvres d’art, des bâtiments et des complexes architecturaux et paysagers. A l’image de la description que fait Michèle Antoine (responsable des expositions à l’Institut royal des sciences naturelles de Belgique) du patrimoine universitaire français13, l’Université de Toulouse possède ainsi « un grand nombre de collections disparates, appartenant à des domaines académiques variés et de qualité très inégale. Cette hétérogénéité intrinsèque provient bien souvent de la manière dont ces collections ont été rassemblées au cours du temps ». En effet, elles sont en lien avec des activités de recherche et d’enseignement ou résultent de donations sans rapport direct avec l’activité universitaire, léguées par des institutions ou des personnalités qui ont reconnu en l’Université une légitimité pour en assurer la permanence, l’étude et la transmission. Citons en exemple, le don des Capucins à l’Université Jean Jaurès qui cède en 1999 une collection de plus de deux mille volumes, ouvrages religieux ibériques du XVIe au XXe siècle, rassemblés au début du XXe siècle par les pères Michel-Ange de Narbonne et Fidèle de Ros.

8De plus, Michel Van Praët affirme que « le patrimoine de la recherche ne se réduit pas aux collections d’Histoire naturelle et d’instruments scientifiques [...] l’on doit réfléchir à la conservation d’ensembles fonctionnels, de laboratoires, mais aussi de pratiques et de savoirs, plus intangibles que des collections au sens strict »14. Cette masse et cette diversité ne nuisent évidemment pas à la richesse du patrimoine universitaire mais troublent sa visibilité et complexifient sa prise en charge. Il faut aujourd’hui investiguer plus en profondeur ces différents ensembles patrimoniaux et s’interroger sur le statut de ces fonds et collections et les processus de patrimonialisation à l’œuvre.

Un statut des collections oscillant entre le vide ou le trop plein juridique.

9Force est de constater que les universités connaissent peu leur patrimoine. La multiplicité des formes et les impressionnants volumes rendent fastidieuses les campagnes d’inventaire. C’est pourtant la première action à mener pour approfondir notre connaissance des fonds et ainsi pouvoir les identifier et faire la part entre les différents statuts de collections.

10Se trouvent aujourd’hui pêle-mêle des pièces pouvant aussi bien appartenir à des notions toujours en quête de consensus telles que les « collection de référence » (qui devraient être conservées dans leur globalité comme les herbiers, les droguiers, les types et figurés...), les « collections d’étude » (matériel perçu comme source ou moyen de la recherche, susceptible d’être encore utilisés et peut-être dégradé ou détruit), des « collections pédagogiques » (matériel de démonstration soutenant une transmission des savoirs, dont la manipulation peut être à la longue contraire à sa préservation), ou des « collections strictement patrimoniales » (matériel considéré comme devant être préservé devant tout autre usage)... Ces statuts liés à la destination des pièces des collections amènent directement les questions de protections (notamment juridique) et de modes de gestion adaptés et spécifiques à chacun d’entre eux.

11La segmentation des fonds soit par leur caractère intrinsèque (archives, livres, bâtiments, instruments, collections, bases de données, etc.), soit par leur qualification patrimoniale (collections d’étude, pédagogique, strictement patrimoniale) crée une superposition de cadres conceptuels, administratifs et législatifs (Codes du patrimoine, de la recherche, de l’éducation, de la propriété intellectuelle, Code général de la propriété des personnes publiques, etc...) contraire à la nature transversale des fonds universitaires et en inadéquation avec les moyens dont dispose l’institution. Pour toutes ces raisons, le régime de protection propre aux collections, tel qu’il est défini dans le cadre des musées de France ne saurait être transposable aux collections universitaires qui font face à un vide (ou un trop plein) juridique.

12Ce n’est que dans la loi du 23 décembre 1970 que la législation intègre les critères concernant plus spécifiquement le patrimoine universitaire : l’intérêt scientifique et technique d’un bien mobilier ! Or les processus de patrimonialisation demandent du temps et de l’accompagnement ; quarante-cinq années plus tard, nous pouvons constater un manque d’expert pour qualifier le caractère scientifique et technique des biens. Le volume possible d’inscriptions et de classements est ainsi limité. Limite relative dans la mesure où les Universités ont besoin également de moyens pour les étapes préalables à l’inscription : l’inventaire, la documentation et l’étude des biens. Le cadre juridique et administratif est primordial mais sans moyen pour l’honorer, l’Université est en difficulté pour assumer ses obligations et devoirs patrimoniaux.

13Le patrimoine matériel culturel est globalement plus facile à cerner et à saisir mais il induit implicitement la notion de musée, qui, au sens traditionnel du terme, peut embarrasser aujourd’hui l’Université française. Le contexte économique et social français ne lui donne pas les moyens et les compétences humaines et financières pour en assurer un fonctionnement. Alors quel acte conservatoire peut-il être revendiqué par les institutions des communautés savantes ? Devons-nous à tout prix, un jour « entrer en collection » ou bien maintenir la majorité du patrimoine scientifique comme « matériel ou collection d’étude » et ainsi revendiquer au sein même de l’Université un acte conservatoire évolutif ? Et si la réponse est oui, quel cadre juridique apporter pour garantir la protection de collections d’étude dans le système juridique actuel ?

14Pour illustrer ce propos, nous allons développer trois exemples. Le premier concerne le patrimoine scientifique et technique contemporain. Sa sauvegarde est pilotée par une mission nationale du Musée des arts et métiers qui se déploie sur le territoire au travers de son réseau national dit « PATSTEC »15. Ce programme emploie à bon escient le terme « Sauvegarde » compte tenu de la situation d’urgence que revêtent l’identification et la conservation de ce patrimoine scientifique. Les trois constats fondateurs de la mission sont : le départ massif à la retraite des acteurs ayant contribué à la création des grands laboratoires d’aujourd’hui, l’accélération de l’évolution des sciences et le manque de m2 associé. Les missions régionales membres de ce réseau sont portées soit par un muséum (Clermont-Ferrand), soit par une association de la loi de 1901 (Grenoble), soit par un CNAM régional (Aquitaine, Champagne Ardenne, Lorraine), soit encore pour une grande majorité par une Université ou une Ecole d’ingénieur (Dijon, Lille, Marseille, Montpellier, Nantes, Poitiers, Rennes, Rouen et Toulouse).

15Cette mission PATSTEC développe une réflexion au niveau national sur une science « fraîchement » obsolète, voire « sur la science en train de se faire » au travers des traces générées par l’activité de recherche. En s’appuyant sur l’expérience multiséculaire du Musée des arts et métiers, ce programme se concentre spécifiquement sur la sauvegarde des instruments de laboratoire et leurs documents associés : les outils, les machines, les modèles réduits et les prototypes, les plans et les dessins techniques, photographies, cahiers de laboratoire, brevets et logiciels, les dispositifs pédagogiques, les bases et les banques de données, les lieux et les sites, et enfin la mémoire et les savoir-faire qui y sont rattachés : les témoignages des chercheurs, des acteurs des évènements clés des XXe et XXIe siècles.

16Une fois encore, et d’autant plus du point de vue du chercheur et de l’enseignant, compte tenu des différentes typologies d’objets gérés par différents métiers du patrimoine (livres, archives, instruments/objets), il est d’autant plus difficile à percevoir sur ce « patrimoine en devenir » (propos emprunté à Catherine Cuenca, la conservatrice, responsable de la mission nationale PATSTEC), ce qu’est le patrimoine scientifique contemporain. Ce patrimoine est un matériel d’étude, sur lequel appliquer des critères d’authenticité et d’intégrité semble peu adapté. Objet revêtant un intérêt scientifique intrinsèque parfois difficile à apprécier par manque de recul historique et par le petit nombre de conservateurs spécialisés à même de juger de sa valeur, il est encore utilisé pour l’enseignement et/ou pour la recherche...

17Le deuxième exemple concerne deux installations d’instruments-monuments. Un même objet patrimonial universitaire peut être à la fois bâti et mobilier, monument et instrument, tout comme certains patrimoines industriels. A ce titre, la soufflerie de 1936 de l’Institut de mécanique des fluides de Toulouse est inscrite et labellisée en tant que patrimoine industriel du XXème siècle. Mais le scénario n’est pas toujours aussi simple : la « boule », tant qu’à elle, n’est pas protégée. Ce bâtiment spécifique témoigne de la naissance de la recherche dans l’infiniment petit grâce à la microscopie électronique.

18Son propriétaire, le CNRS, ne souhaite à ce jour entreprendre aucune procédure d’inscription de crainte de ne pouvoir disposer tel qu’il l’entend de ce bâtiment dont les caractéristiques antisismiques sont précieuses pour les expérimentations actuelles. Cet exemple met en exergue les tensions entre la mission première de recherche d’un laboratoire et son devoir (que l’on peut qualifier de secondaire) de partage de son histoire, de diffusion des savoirs au travers de son patrimoine. Par méconnaissance des rouages patrimoniaux, l’institution scientifique se positionne en retrait face à son patrimoine par crainte d’un accroissement de difficultés de gestion et de contraintes administratives et de surcoût financier.

19Le troisième exemple est la collection d’herbiers. Un herbier est constitué généralement par un seul et même botaniste. Utilisée à l’origine pour la recherche taxonomique et comme outil d’enseignement, la collection d’herbiers reste également une référence et un objet d’étude très sollicité pour la recherche environnementale. Cette simultanéité des usages nécessite une certaine souplesse d’utilisation et un suivi strict qui ne peut être assuré que par des moyens humains adéquats. Il est ainsi difficile d’assumer les mesures de protection que pourrait offrir un classement ou une inscription à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques16 (qui impose une préservation stricte de la collection), ou une reconnaissance comme « œuvre de l’homme », soumise au droit de la personnalité17 voisin du droit moral. Ces contraintes pouvant être contradictoires avec les usages qui sont attendus, la collection d’herbiers reste communément sans protection et seules quelques planches « jugées plus remarquables ou irremplaçables » pourraient être plus facilement protégées.

Le temps de la maturité des processus de patrimonialisation des universités

20Par ces exemples et ces réflexions, vous retrouvez la question épineuse de différentes typologies patrimoniales et du traitement adapté qui en découle (reconnaissance d’une valeur patrimoniale par des experts -et par l’ensemble de la communauté universitaire-, gestion in situ ou conservation dans des institutions compétentes de l’Etat) : sont-elles adaptées au patrimoine scientifique des Universités ? Comment l’Université peut-elle si conformer ? Faut-il concevoir un nouveau statut patrimonial dédié ? Faut-il simplement plus de personnels qualifiés pour décerner et hiérarchiser les enjeux ?

21Cette diversité de formes et de statuts du patrimoine scientifique le fait être perçu tantôt comme une richesse, tantôt comme un fardeau, et le place souvent dans une situation inconfortable d’un point de vue administratif, opérationnel et juridique.

22La nouvelle approche patrimoniale portée par l’Unesco, au sein de la convention de 2003 sur le patrimoine culturel immatériel ne serait-elle pas l’occasion pour l’Université de s’emparer autrement de son patrimoine ? Pour Jean Davallon18, la « question centrale est celle de la relation que ces objets permettent de construire avec les hommes qui les ont produits : en quoi sommes-nous dans la situation de se considérer comme les héritiers de ces hommes ? [...] Sommes-nous aujourd’hui prêts à nous considérer comme les héritiers des scientifiques du passé et à en faire des « grands hommes » fondateur de notre culture ? ». Focaliser l’acte de patrimonialisation vers l’enregistrement des témoignages des hommes et des femmes qui constituent les communautés savantes permettrait dans un premier temps de se concentrer sur l’idée que l’Université est avant tout un univers de langage, bâtie en hommes et en idées avant d’exister entre quatre murs19 . Ce point de vue radicalement opposé à notre tradition patrimoniale centrée sur le monument et l’œuvre déplace, affine, nuance voire exclut les objets de l’attention patrimoniale, et mérite à notre sens d’être exploré sur le terrain universitaire.

23Outre l’intérêt intellectuel de cette démarche, en 2015, elle ne permettrait pas une protection juridique, car il n’est pas question ici d’imaginer une inscription sur la liste de l’Unesco des rites et coutumes de l’Université telle qu’aujourd’hui le PCI le permet. Cela nous amènerait encore une fois dans une démarche trop segmentée et parcellaire !

24Aujourd’hui, les Universités ont à répondre à leur obligation légale dans la prise en compte des archives notamment, mais sont-elles en mesure de répondre à leurs obligations morales en assumant leur nature même de lieux de savoirs ? A Toulouse, reconnue pôle d’excellence en 2013, ces lieux sont héritiers de plus de 786 années d’activités d’enseignement et de recherche. Les établissements toulousains au vu de leurs moyens et de la spécificité de leurs patrimoines, sauront-ils organiser la protection de cet héritage ?

Notes de bas de page

1 Statut créé par la loi n° 2013-660 du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche.

2 Sous la direction de Marie CORNU, Catherine CUENCA et Jérôme FROMAGEAU, Les collections scientifiques, de l’outil de connaissance à l’objet de patrimoine : aspects juridiques et pratiques professionnelles et institutionnelles, Actes du colloque organisé les 12 et 13 juin 2008 au musée des arts et métiers, L’Harmattan, 2010, p. 11-12.

3 John BURNEY, « Toulouse et son université », PUM, 1988.

4 Caroline BARRERA, « Les sociétés savantes au XIXe siècle, une sociabilité exceptionnelle », Patrimoine Midi-Pyrénées, 2004, p. 35-40.

5 Le Muséum de Toulouse est créé en 1796 par le naturaliste Philippe-Isidore PICOT DE LAPEYROUSE, dans les anciens locaux du monastère des Carmes déchaussés. Réservé d’abord aux seuls naturalistes, il ouvre au public en 1865 sous l’impulsion d’hommes politiques et de brillants esprits dont Jean-Baptiste NOULET et Edouard FILHOL qui est sera le premier directeur.

6 Michel VAN PRAËT, « Les patrimoines matériels et immatériels des institutions de recherche dans la diffusion des savoirs », Acte du colloque Regards sur le patrimoine culturel des universités Patrimoines artistique, scientifique, ethnologique, Lille 2004, Archives courantes de l’espace Culture de l’Université de Lille 1.

7 Loi n° 68-978 du 12 novembre 1968 d’orientation de l’enseignement supérieur.

8 Thérèse CHARMASSON, « Archives scientifiques ou archives des sciences : des sources pour l’histoire ? », La revue pour l’histoire du CNRS, n° 14 (mai 2006), p. 34-39.

9 Paul RICOEUR, La mémoire, l’histoire, l’oubli, Paris, Éd. du Seuil, 2003.

10 Sous la direction de Marie CORNU, Jérôme FROMAGEAU et Bertrand MÜLLER Archives de la recherche : problèmes et enjeux de la construction du savoir scientifique, Paris, L’Harmattan, 2014, p. 9-10.

11 « Etude et recueil de l’héritage culturel des composantes de l’Université fédérale Toulouse Midi-Pyrénées », Rapport interne en cours de publication par le service Diffusion de la culture des sciences et des techniques de l’UFTMiP, 2015.

12 Lettre de l’OCIM n° 129, « Regards sur le patrimoine scientifique des universités ».

13 Michèle ANTOINE, « Les universités doivent-elles vraiment exposer leurs collections au grand public ? », La lettre de l’OCIM, 129, 2010, p. 7-12.

14 Michel VAN PRAËT, « Les patrimoines matériels et immatériels des institutions de recherche dans la diffusion des savoirs », Actes du colloque Regards sur le patrimoine culturel des universités Patrimoines artistique, scientifique, ethnologique, Lille 2004, Archives courantes de l’espace Culture de l’Université de Lille 1.

15 Sous la direction de Catherine BALLE, Catherine CUENCA et Daniel THOULOUZE, Patrimoine scientifique et technique : un projet contemporain, Paris, La Documentation française, 2010 ; sous la direction de Catherine BALLE, Catherine CUENCA et Daniel THOULOUZE, Patrimoine scientifique et technique : un projet contemporain. Paris, La Documentation française, 2010.

16 L’herbier Roger de Vilmorin contient près de 60 000 planches d’herbier, plus de 200 aquarelles de plantes et de très nombreux documents iconographiques ainsi qu’une bibliothèque de 30 flores. Cet herbier classé monument historique retrace 4 siècles de recherche en botanique et en amélioration des plantes. Il caractérise les travaux et l’évolution d’une des premières entreprises agronomiques à rayonnement mondial. Il a servi de base pour la rédaction par MM. VILMORIN et GUINOCHET de la Flore de France, en cinq volumes.

17 Les droits de la personnalité constituent l’ensemble des prérogatives juridiques portant sur des intérêts moraux (identité, vie privée, honneur) et le corps humain ou les moyens de leur réalisation (correspondances, domicile, image), exercés par des personnes juridiques (physiques ou morales).

18 Sous la direction de Soraya BOUDIA, Anne RASMUSSEN et Sébastien SOUBIRAN, Patrimoine et communautés savantes, préface de François HARTOG postface de Jean DAVALLON, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2009, p. 277 ; Dominique Poulot fait référence à la première leçon au Collège de France de Camille Jullian dans lequel il évoqua que « les ruines des monuments ne témoignent pas seulement de la main d’un ouvrier, du plan d’un architecte, mais aussi des sentiments d’un peuple ; elles reflètent, pour une partie, l’esprit d’une génération d’hommes » Dominique POULOT, « L’archéologie des civilisations », Colloque François Guizot, 1987, actes disponible sur www.guizot.com

19 Christian HOTTIN, Edito du numéro 17, 2011 de la Revue des patrimoines In Situ « Les patrimoines de l’enseignement supérieur », http://insitu.revues.org/981Françoise WAQUET, Parler comme un livre : l’oralité et le savoir, XVIe-XXe siècle, Paris, Albin Michel, 2003, p. 24.

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