Enjeux juridiques de la numérisation des collections des bibliothèques
L’exemple de Toulouse 1
p. 55-58
Texte intégral
1Si un grand nombre de bibliothèques françaises, qu’elles relèvent de grands établissements, de la lecture publique ou d’universités, se sont lancées ou envisagent de se lancer dans la numérisation de leurs collections, ces projets posent un certain nombre de questions d’ordre juridique. Dans un premier temps, les enjeux juridiques liés à la numérisation des collections seront abordés à travers l’expérience de numérisation des collections de l’université Toulouse 1 Capitole.
2Les bibliothèques de l’Université Toulouse 1 Capitole conservent une collection importante, que ce soit en termes numériques comme en terme d’intérêt pour la recherche. Elles comptent en effet plus de 500 000 volumes de livres, pour l’essentiel dans les trois bibliothèques universitaires que compte le campus toulousain : bibliothèques de l’Arsenal, de la Manufacture des tabacs et de Garrigou. A cela il faut ajouter des collections conséquentes de revues, et également de thèses.
3Dans cet ensemble, on distingue le fonds courant dévolu aux besoins de l’enseignement, et le fonds recherche, qui se constitue davantage sur le long terme, par accumulation, et qui a la particularité, à Toulouse 1, de s’appuyer sur des collections anciennes très importantes. Par collections anciennes, on entend l’ensemble des documents antérieurs à 1815. On compte 45 000 volumes répondant à ce critère ou à celui voisin de « rare et précieux » à la bibliothèque de l’Arsenal, et environ neuf cents dans les rayonnages du CTHDIP (Centre toulousain d’histoire du droit et des idées politiques). Ces chiffres sont remarquablement élevés pour une université française de province et font de Toulouse, avec Poitiers, une exception à ce titre au niveau national.
4Le fonds ancien de l’Université Toulouse 1 a été constitué essentiellement à partir de la fin du XIXème siècle et au XXème siècle, grâce à une série de dépôts, d’intégrations et d’acquisitions. Sans pouvoir ici en retracer intégralement l’histoire, il faut citer au moins l’intégration des fonds des séminaires toulousains à la suite de la séparation de l’Église et de l’État, celle d’une partie des collections de la Faculté de théologie protestante de Montauban (qui était riche d’ouvrages puisés dans les dépôts révolutionnaires parisiens), ou encore l’acquisition, après la seconde guerre mondiale, de la collection sur l’histoire de Toulouse constituée par le bibliophile Fernand Pifteau.
5L’ensemble qui en résulte est très riche pour les chercheurs. D’abord pour l’histoire du livre : on y trouve des incunables (par exemple les célèbres Chroniques de Nuremberg, éditées en 1493, une bible imprimée à Lyon en 1496), des manuscrits, des ouvrages ayant appartenu à des personnages ou institutions célèbres (Richelieu, Saint-Germain-des-Prés, la Sorbonne). Mais cette richesse est également patente pour les chercheurs dans plusieurs disciplines, du fait du caractère encyclopédique des collections, peu attendu dans une université de droit et d’économie comme Toulouse 1 : on y trouve en effet beaucoup d’ouvrages de philosophie, histoire, littérature, religion, voire quelques-uns de sciences.
6Pour les fonds de la deuxième moitié du XIXème et du XXème siècles, l’élément notable est la richesse dans les domaines disciplinaires principaux de notre université ainsi que dans des domaines connexes comme la sociologie, la science politique et l’histoire des institutions.
7Voilà brossé rapidement un panorama des collections, destiné à démontrer leur richesse et leur intérêt pour la recherche. De ce fait, la question de la mise à disposition à distance des collections via la numérisation s’est bien évidemment posée dès que les possibilités techniques ont été offertes. Or, cette numérisation se heurte à des obstacles d’ordre juridique, en lien avec le droit d’auteur, et plus particulièrement l’existence de droits patrimoniaux sur les œuvres.
8Ces droits sont reconnus en France à un auteur ou à ses ayants droit, héritiers ou éditeur, et courent jusqu’à soixante-dix ans après le décès dudit auteur. Envisager une numérisation pose donc aujourd’hui problème pour une grande partie des collections du XXème siècle. La chose n’est pas complètement exclue, nous reviendrons dans un instant sur les possibilités offertes par le droit, mais cela complique tout de même singulièrement les opérations. A Toulouse 1, la question s’est posée par exemple pour un corpus d’ouvrages économiques du XIXème et du XXème siècles. Une part des ouvrages intéressants étaient encore couverts par le droit d’auteur, et leur numérisation aurait supposé des recherches complexes pour identifier les ayants droit, obtenir leur autorisation, avec peut-être à la clé des compensations financières à acquitter. Comme par ailleurs la partie libre de droit s’est trouvée en grande part déjà numérisée par d’autres opérateurs, l’ensemble perdait de son intérêt et le projet n’a pas abouti.
9Pour cette raison, comme dans bien des bibliothèques, la numérisation à Toulouse 1 s’est jusqu’à présent concentrée sur les collections libres de droit et en particulier le fonds ancien, avec une extension jusqu’en 1850 destinée à conserver la cohésion de certains corpus. La numérisation d’une partie des fonds anciens de Toulouse 1 a été opérée par le service inter établissements de coopération documentaire, qui gère ces collections, sous la responsabilité scientifique de Mme Mouranche, responsable du service du livre ancien. La projet a débuté fin 2002 – début 2003 et a donné lieu à la constitution de la base de données Tolosana1. Actuellement2, la base comprend 2 562 volumes numérisés et se structure autour de douze corpus thématiques.
10Bien que présentes dans nombre de ces corpus, les collections de Toulouse 1 ont en particulier été sollicitées pour la constitution du corpus juridique intitulé « Droit et sciences juridiques à Toulouse (1500-1850) ». Le choix des documents de ce corpus a été fait en lien avec MM. Krynen et Poumarède du CTHDIP. Ils sont accompagnés de notices descriptives précises. Des notices ont également été rédigées sur des juristes. Au-delà de la simple mise à disposition du document numérisé, c’est dans cette plus-value, dans le lien avec les travaux d’équipes de recherche que réside l’intérêt de la numérisation – cet aspect étant sans doute à développer davantage, par plus d’éditions critiques notamment.
11Si le fait de numériser des documents anciens permet aux opérateurs de s’affranchir de toute demande d’autorisation ou paiement de redevance liée au droit d’auteur, reste à régler la question de la réutilisation de ces documents numérisés par les lecteurs. Plusieurs possibilités se présentent à ce niveau, entre restrictions plus ou moins fortes et usage libre. Les responsables de Tolosana ont dans un premier temps fait le choix d’accorder le droit de libre reproduction des documents numérisés, sauf en cas d’utilisation commerciale. Sont ainsi permis les usages à titre privé, ainsi que ceux liés aux besoins de l’enseignement. Seuls les usages commerciaux sont soumis à une demande d’autorisation formelle et au paiement d’une redevance3. Néanmoins, une décision récente a été prise pour lever cette dernière restriction et autoriser le libre usage des documents numérisés dans tous les cas de figure. Cette nouvelle politique sera très prochainement mise en application et affichée sur le site web.
Notes de bas de page
1 Base consultable à l’adresse : http://tolosana.univ-toulouse.fr/
2 Relevé effectué au 13 janvier 2015.
3 La perception d’une redevance pour les utilisations commerciale est légitimée par le Code général de la propriété des personnes publiques, au titre de l’utilisation du domaine public des personnes publiques, dont font partie les documents anciens rares ou précieux des bibliothèques – Cf. CGPPP L 2112.
Auteur
Conservateur des bibliothèques, Université Toulouse 1 Capitole
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