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Introduction

p. 11-16


Texte intégral

1La récente actualité a éclairé toute l’importance et la valeur du patrimoine culturel. Heureuse et exceptionnelle découverte d’une tombe princière celte du Ve siècle avant J.-C près de Troyes (Lavau) mais aussi quelques jours plus tôt le saccage de biens culturels du VIIe siècle avant J.-C. dans le musée de Mossoul par des djihadistes de l’Etat islamique. Si des dispositions juridiques contribuent à la préservation de biens culturels, les législations nationales ou les normes patrimoniales internationales sont inopérantes face à l’obscurantisme. L’intervention d’Irina Bokova, pour une mobilisation contre le « nettoyage culturel », l’a rappelée une fois encore après d’autres destructions en Afghanistan, au Mali ou encore en Tunisie.

2Les patrimoines culturel puis naturel ont été saisis par le droit depuis la seconde moitié du XIXe s dans le cadre des Etats puis au sein de l’espace européen et au niveau international. Les célébrations du 40e anniversaire de la Convention concernant la protection du patrimoine mondial culturel et naturel de 19721 et la commémoration de la loi du 31 décembre 1913 sur les monuments historiques2 l’ont rappelé. Quelles ont été les principales évolutions juridiques ? Comment une compréhension de plus en plus large – chronologique, topographique, catégorielle et conceptuelle3 – du patrimoine a-t-elle été appréhendée par le droit ? Qu’en est-il de l’état du droit et de son application ? Les regards rétrospectif et contemporain doivent aussi contribuer à la formulation d’une vision prospective. Des évolutions sont souhaitées4 et elles apparaissent souhaitables tant en France qu’en d’autres espaces.

3Le présent ouvrage propose de saisir quelques-uns des enjeux juridiques de notre temps liés aux phénomènes de patrimonialisation, d’urbanisation et d’internationalisation des biens culturels et naturels, éclairés par les constructions passées, pour réfléchir à de possibles évolutions normatives. Les articles ici réunis sont issus de la collaboration scientifique du Centre toulousain d’histoire du droit et des idées politiques (E.A. 789), du Centre Michel de L’Hospital (E.A. 2142) de l’Université d’Auvergne ainsi que de l’Institut du patrimoine culturel de Renmin University (Pékin). Le colloque organisé les 19 et 2 janvier 2015 a permis de réunir 24 contributeurs autour de travaux et d’approches théoriques, conceptuels, méthodologiques et appliqués intéressant de multiples aspects de la protection juridique du patrimoine culturel et naturel. Le présent ouvrage offre également au lecteur des études relatives à la France et à la Chine dans la continuité de rencontres annuelles5 et d’un état des lieux présenté sous l’égide de l’Association des historiens des Facultés de droit6. Des représentants des Universités de Pékin, Shanghai et Taïwan ont été ainsi associés (Renmin University, Fudan University, East China University of Law and Politic Science, Université nationale Chengchi à Taïwan, National Taipei University of Education et Fudan University). Ces différents points de vue éclairent la fabrique de la norme patrimoniale dans son environnement, cherchant à apprécier notamment l’importance de l’influence de textes internationaux, mais également la vie du droit du patrimoine dans le temps et l’espace, éclairant l’écart qui existe parfois entre la norme et son application.

4 La formation dans un cadre national d’un droit relatif au patrimoine culturel et naturel est chose commune. La France a développé depuis le milieu du XIXe siècle un corpus de textes dont la dynamique et les enjeux évolutifs sont ici rappelés et éclairés. La législation française entre 1887 et 2014 a connu le développement d’une stratégie de plus en plus globale et non plus centrée sur les biens immeubles. A côté du patrimoine bâti, d’autres formes ont été retenues à partir du début du XXe siècle. Plus récemment la protection et la mise en valeur des paysages renvoie aussi à des préoccupations liées au cadre de vie et à une demande sociale nouvelle. La promotion de la notion de paysage culturel, telle qu’elle est comprise par le droit en France, permet d’apprécier ses liens avec l’acception internationale. Le droit national prend plus ou moins en compte en matière patrimoniale des dispositions européennes et internationales. La question de leur influence, illustration des phénomènes de mondialisations des droits et de transferts juridiques, est posée. La formation du droit du patrimoine culturel de la République populaire de Chine a déjà été influencée par les conventions de l’UNESCO en particulier la convention concernant la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel de 1972 puis la convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel de 2003. L’attitude de Taïwan au regard de la convention de 1972 est aussi éclairante. Il en est autrement, pour la France, avec les dispositions de la convention de 2001 sur le patrimoine culturel subaquatique. L’analyse menée ici éclaire l’absence de rôle prescripteur de cette convention pour l’adoption de nouvelles normes internes.

5La fabrique de la norme patrimoniale doit aussi porter son intérêt à sa formulation, à la définition juridique des vocables relatifs au patrimoine ou encore au recours à des « mots du droit du patrimoine » partagés et communs. Diversité des termes employés pour qualifier les formes patrimoniales mais aussi absence ou insuffisance des définitions juridiques se rencontrent dans les législations nationales7. Il en va ainsi, par exemple, de l’archéologie et des écomusées en Chine. Il en est de même pour l’archéologie préventive en France ou pour d’autres champs patrimoniaux. La délimitation du patrimoine universitaire pose question tout particulièrement pour ce qui est du rapport du chercheur à ses « archives ordinaires » ou encore des processus de patrimonialisation8. En l’absence de définition juridique de ce patrimoine pourtant important dans ses formes, des usages et des pratiques ont été élaborés par la communauté scientifique. Il est ainsi permis de prendre la mesure de la formation d’un droit souple tant dans son mode de production que par sa force normative. De nouvelles perspectives sont ainsi ouvertes.

6La vie de la norme patrimoniale éclaire son application ouvrant la voie à la formulation de propositions. Le riche terrain de l’archéologie a été exploité à partir du cas de l’abbaye Saint Géraud d’Aurillac. Des dispositifs insuffisants relatifs à la conservation mais aussi des ambiguïtés existantes dans la loi relative à l’archéologie pendant les travaux d’infrastructure en Chine ont été mis à jour. D’autres champs patrimoniaux, mettant en lumière diverses difficultés rencontrées, ont été retenus qu’il s’agisse de la loi à Shanghai de 2014 sur les peuples autochtones, des écomusées en Chine ou encore de la numérisation patrimoniale. Le problème juridique de la réutilisation est posé dans le cadre de la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012 relative à l’exploitation numérique des livres indisponibles au XXe siècle. Le débat intéresse aussi plus largement la prise en compte d’une mémoire numérique.

7A partir de la formation et de la formulation des normes patrimoniales et de leur application, différentes contributions proposent diverses pistes de réflexion et d’évolution. Gageons qu’elles puissent alimenter de prochains débats et inviter à la réflexion d’un futur normatif patrimonial. Mme Fleur Pellerin, au cours de son audition par la commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale le 14 octobre 2014, a souhaité « affirmer [l’] attachement aux principes fondamentaux de l’identité de notre pays en matière de culture...[le besoin de] clarifier le droit des espaces protégés ». L’ambition affichée était de lever les doutes sur le devenir des projets de loi sur les patrimoines et la création élaborés durant le ministère Filippetti. L’avant-projet de loi de 2015 reprend de nombreuses dispositions dans son titre 2 (art. 16 à 27). Des évolutions sont proposées avec une définition plus adaptée du patrimoine culturel sous l’influence des conventions internationales : intégration de la notion de patrimoine mondial et du patrimoine culturel immatériel. Il y a aussi l’intention de renforcer les notions de qualité et de valorisation avec l’idée de « Qualité architecturale » promue par la stimulation de la créativité des architectes et la possibilité de déroger aux règles d’urbanisme. On trouve encore un souci de « réformer le régime juridique des biens archéologiques et des instruments de la politique scientifique archéologique » ou encore la création d’un label patrimoine d’intérêt architectural récent. La proposition de revoir le régime patrimonial est aussi formulée avec la création de la « cité historique » fusionnant les dispositifs des secteurs sauvegardés, ZPPAUP, AV AP pour instaurer une seule servitude d’utilité publique. Elle devrait l’être en lien avec un plan local d’urbanisme « patrimonial ». Ces différents éléments ne manqueront pas d’être discutés, ils ont déjà commencé à l’être par les divers acteurs patrimoniaux. Plus généralement, l’extension du champ et des formes patrimoniales -d’aucuns évoquent l’« inflation patrimoniale »9 et l’idée d’un « concept nomade »10- doivent également susciter une réflexion sur une inflation législative patrimoniale, la complexité résultant de la mise en jeu de différentes législations ou encore le développement et l’influence de textes européens et internationaux.

8On laisse le soin au lecteur de prendre plus avant connaissance des différentes questions et enjeux juridiques présentés par cet ouvrage pour disposer d’éléments utiles à la compréhension de la fabrique et de la vie de la norme patrimoniale mais aussi d’évolutions souhaités ou souhaitables. Le présent ouvrage est divisé en trois parties qui s’intéressent aux phénomènes de patrimonialisation (partie 1), d’urbanisation (partie 2) et d’internationalisation (partie 3).

9Dans une première partie, la préservation et la valorisation de patrimoines ont retenu l’attention. D’une part Marie-Isabelle Gentillet, Moussa Talbi, Michel Fraysse et Magali Perbost ont envisagé des lieux et des supports écrits (archives, bibliothèques) en relation avec la question de conservation et de la numérisation de fonds. D’autre part, la notion de patrimoine universitaire a retenu l’intérêt d’Anne-Claire Jolivet, Marie-Charlotte Mazens, Marie Bassano, Charles-André Dubreuil mais aussi Muriel Lefebvre, André Cabanis et Philippe Delvit.

10Dans une deuxième partie, la place du patrimoine au sein de la ville a été présentée à partir de l’archéologie par Béatrice Fourniel, Nicolas Clément, Michel Vaginay et Zhao Zhiyong. Le développement de la ville et les politiques patrimoniales ont été saisies pour divers espaces par Mathieu Poumarède, Julian Montemayor et Li Weifang.

11Enfin une troisième partie a permis à Hsu Yao-Ming, Hsieh Yin-Ling, Tsai Chih-Wei, Wang Ynuxia et Hue Shanchen de s’intéresser à l’influence des normes internationales sur la législation chinoise mais aussi à Pierre-Alain Collot et Clémentine Bories d’en apprécier la portée pour la législation française.

12 La matière patrimoniale est devenue de plus en plus complexe et évolutive. Que soit tout particulièrement remerciée Marie Cornu d’avoir accepté de nous livrer des conclusions permettant de démêler l’écheveau des normes patrimoniales, de saisir l’importance des liens tissés et renouvelés entre patrimoine et science mais aussi de déceler la formulation de l’idée d’« un changement de paradigme dans le traitement patrimonial ».

1315 mars 2015

Notes de bas de page

1 http://whc.unesco.org/fr/40ans/, voir en particulier Préparer demain. Rapport sur le 40e anniversaire du patrimoine mondial, Paris, 2013, avec « la Vision de Kyoto », p. 11.

2 1913. Genèse d’une loi sur les monuments historiques. J.-P. BADY, M. CORNU, J. FROMAGEAU, J.-M. LENIAUD, V. NEGRI (coord.), coll. « Travaux et documents », n° 34, La Documentation française, Paris, 2013.

3 Sur ces évolutions, N. HEINICH, La fabrique du patrimoine. Paris, 2009, p. 15- 21.

4 De récentes propositions de loi des sénateurs Jacques Legendre et Françoise Férat en 2010 mais aussi le projet de loi Filippetti puis le projet de loi relative à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine ont proposé diverses évolutions : Proposition de loi n° 68 du 27 octobre 2010 des sénateurs Férat et Legendre, proposition de loi n° 359 du 13 février 2013 relative à la politique nationale du patrimoine de l’Etat, proposition de loi du 1er juin 2011 puis du 12 décembre 2012 relative à la vigne ou encore le projet de loi relatif aux patrimoines culturels 2013.

5 Trois colloques Patrimonium se sont déjà tenus à Pékin (2011), Clermont-Ferrand (2012) et Shanghai (2013). Ils ont donné lieu à des publications : Droit du patrimoine culturel. Notion, Système et Opinions, Publication de Renmin University, Pékin, 2012 ; Patrimonium – Espaces patrimoniaux : enjeux juridiques, politiques et environnementaux, A. ANTOINE et F. GARNIER (dir.), Editions Centre Michel de L’Hospital, Clermont-Ferrand, 2013 ; La protection juridique de la participation du public à la protection du patrimoine culturel, Shanghai, 2014.

6 L’Histoire du droit en France. Nouvelles tendances, nouveaux territoires, J. KRYNEN et B. d’ALTEROCHE (sous la direction de), Paris, 2014, p. 401-416.

7 Voir M. CORNU, J. FROMAGEAU, C. WALLAERT, Dictionnaire comparé du droit du patrimoine culturel, CNRS édition, Paris, 2012.

8 J.-F. BERT, Qu’est-ce qu’une archive de chercheur ?, consultable en ligne : http://0-books-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/oep/438?lang=fr

9 N. HEINICH, La fabrique du patrimoine, op. cit., p. 15.

10 F. CHOAY, L’allégorie du patrimoine, Paris, 1996, p. 9.

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