Le statut de la presse vaudoise pendant le premier tiers du xixe siècle1
p. 587-609
Texte intégral
1Confronté, au XIXe siècle, aux problèmes que pose le développement de la presse, le législateur français est écartelé entre les séductions du libéralisme -idée alors à la mode- et les tentations de la censure, si commode pour museler une opposition intérieure qui sombre souvent dans la diffamation ou l’appel au crime. A la même époque, le législateur vaudois subit des affres comparables, avec une différence cependant : ce qui fait obstacle à la liberté des journaux, c’est moins la peur d’ouvrir la porte aux désordres à l’intérieur du canton -l’expérience révolutionnaire a servi de leçon aux plus excités- que la crainte des réactions éventuelles venant des autres membres de la Confédération ou des monarchies européennes voisines. L’indépendance du Pays de Vaud vis-à-vis de Berne est trop récente, la neutralité helvétique est trop fragile, successivement menacée par l’Empire napoléonien puis par la Sainte Alliance, pour que l’on puisse laisser les gazettes faire preuve d’insolence contre des puissances qu’il faut ménager.
2L’histoire du statut de la presse vaudoise pendant le premier tiers du XIXe siècle, jusqu’au vote de cette loi de 1832 qui restera ensuite en vigueur pendant plus d’un siècle, balance donc entre ces deux tendances et apporte à ce problème des solutions bien caractéristiques ; tantôt la rigueur des principes est atténuée par la souplesse de leur application comme lorsque le landamman Monod exerce avec discernement et modération une fonction de censure préalable, tantôt le libéralisme des lois est rapidement remis en cause par des décrets d’exception plus stricts, ainsi lorsque le décret du 12 mai 1823 vient suspendre les effets de la jeune loi du 14 mai 1822. D’hésitations en velléités, l’on en arrive aux dosages prudents de 1832 qui demeureront. Aux rigueurs des années 1803 -1819 a ainsi succédé, de 1819 à 1 8 3 3 , une marche lente mais déterminée vers la liberté.
I - De 1803 à 1819, les rigueurs de la censure
3Sous la République helvétique, plus ou moins centralisée, le régime de la presse est fixé par les autorités nationales et appliqué, avec quelques variantes, par les agents locaux en place dans les divers cantons. Le retour à un système confédéral va conduire chaque Etat membre à élaborer son propre statut à l’intention des gazettes. Dans le Pays de Vaud, c’est autour d’une réglementation à base de censure et d’autorisation préalables que vont s’organiser les rapports souvent difficiles des dirigeants et des journalistes.
A - Elaboration de la réglementation : déclaration et censure préalables
4En application de l’Acte de Médiation et de la constitution imposée par Bonaparte, le Grand Conseil du canton de Vaud tient sa première assemblée le 14 avril 1803 et désigne le Petit Conseil qui se réunit le 16 avril suivant. Moins d’un mois plus tard, ce dernier se préoccupe du statut de la presse. Le problème n’est pas encore de choisir entre la liberté et la contrainte puisque, du fait des habitudes héritées de l’Ancien Régime et revivifiées par les dernières années de la période révolutionnaire, du fait aussi de l’exemple des puissances voisines et notamment de la France, la censure est, en somme, de rigueur. Le problème se résume à organiser la surveillance et à doser les sanctions.
5C’est d’abord la censure préalable dont le principe est affirmé. En vertu de deux décisions du Petit Conseil des 9 et 17 mai 1803, les éditeurs des feuilles publiques du canton devront envoyer la première épreuve de chaque numéro de leur publication à la secrétairerie qui transmettra au département de législation pour effectuer la censure1. Une lettre du landamman de la Confédération, Louis d’Affry, va conduire le Petit Conseil à préciser les responsabilités. D’Affry souligne que, des difficultés s’élevant entre les Etats voisins, il importe « qu’aucun papier public imprimé en Suisse ne se permette aucune improbation sur les discussions publiques qui naîtront de ces difficultés ». Il demande donc que, « provisoirement et par mesure extraordinaire », la censure garantisse que les journaux « ne compromettent en rien les relations de la Suisse vis-à-vis d’aucune puissance »2. Sur cette invitation, le Petit Conseil confie au préfet Roguin la censure préalable des journaux, fonction qu’il n’exerce d’ailleurs que peu de temps avant qu’en soit chargé le professeur Develey3.
6Instaurer la censure préalable ne suffit pas. Il faut placer entre les mains du censeur une arme qui dissuade les journalistes d’essayer de jouer au plus fin avec lui, qui les éloigne de la tentation de détourner son attention ou d’éluder ses ordres. Cette arme consiste à subordonner la parution des gazettes à une autorisation préalable qu’il suffit de retirer pour réduire une feuille au silence, menace qui doit inciter les rédacteurs à la sagesse. L’expérience prouve l’utilité de cette menace puisque, d’août 1803 à février 1804 et malgré la censure préalable, c’est à rien moins de sept reprises que le Nouvelliste parvient à publier des articles jugés indiscrets. Contre ce journal de tendance conservatrice, voire réactionnaire, les dénonciations s’accumulent sur la table du Petit Conseil, émanant du Grand Bailli de la République du Valais, du Petit Conseil d’Argovie, de la Diète fédérale et surtout du landamman fédéral4.
7Une dernière plainte, visant un article dirigé contre le gouvernement de Schwytz, va entraîner la disparition de ce titre. Il est vrai que les éditeurs refusent obstinément de révéler le nom de leurs informateurs et même de publier un démenti. Sur proposition du département de législation qui juge impossible de tolérer plus longtemps « que des gazetiers indiscrets continuent à semer dans le public des articles insultants pour les membres de la Confédération », le Petit Conseil supprime le Nouvelliste, le 24 mars 18045. Ses imprimeurs Fischer et Luc Vincent, et son rédacteur Briatte vont immédiatement s’employer à le ressusciter. Trois jours après la suppression, les imprimeurs demandent l’autorisation de poursuivre en promettant plus de circonspection et, sans attendre un acquiescement, ils sortent une Gazette suisse que le juge de paix doit arrêter. Encore une semaine et c’est Briatte qui sollicite le droit de publier un Journal suisse6.
8C’est l’occasion de compléter la réglementation. Sur proposition du département de législation, le Petit Conseil prend un arrêté du 3 avril 1804 créant un régime d’autorisation préalable. Il s’appuie sur les risques que les journaux font courir au canton de Vaud dans ses « relations extérieures avec les autres Etats tant étrangers que confédérés », il constate que ces problèmes politiques relèvent de la haute police, et donc de la responsabilité du Petit Conseil, pour conclure qu’aucune gazette ne paraîtra plus sans une permission spéciale, laissant huit jours aux titres existants pour se mettre en règle7. Le principe posé, le Petit Conseil, libéral, permet à Briatte de réaliser son projet de Journal suisse8.
9Ainsi, avec la décision du 9 mai 1803 organisant la censure préalable et avec l’arrêté du 3 avril 1804 instituant l’autorisation préalable, le canton de Vaud s’est doté de l’appareil réglementaire nécessaire pour une presse de tout repos.
B - Mise en application de la réglementation : détermination des journaux autorisés et choix des censeurs
10Il n’est guère de presse de tout repos que muette. L’exécutif a résisté pourtant à la tentation d’utiliser l’arme de l’autorisation préalable de façon trop drastique puisqu’il a autorisé, dès avril 1804, la poursuite de la Gazette de Lausanne de Fornerod et la résurrection du Nouvelliste sous la forme du Journal suisse de Briatte9. En 1806, le Petit Conseil décide même de créer, au profit de Louis Raymond et pour compléter sa pension d’ancien militaire, une Feuille d’Avis officiels. Ce nouveau titre se heurte à plusieurs obstacles, à l’opposition de Duret qui publiait déjà une feuille d’avis à Lausanne, à l’attitude du Grand Conseil qui se montre hostile à tout monopole d’un journal, surtout au déficit obstiné des Avis officiels, ce qui conduit Reymond à y renoncer et à se contenter d’une réévaluation de sa pension militaire10. Finalement, pendant la plus grande partie de ce début du XIXe siècle, la presse vaudoise compte deux titres politiques, la Gazette et le Nouvelliste devenu Journal suisse, et trois publications d’annonces, celles de Lausanne, Vevey et Yverdon.
11Le Petit Conseil ne reste pas pour autant inactif, puisque le régime de l’autorisation préalable empêche de considérer un journal comme un élément patrimonial ordinaire et que tout changement d’éditeur doit être ratifié par l’autorité. Dans une telle circonstance, le Petit Conseil affirme ne pas vouloir tenir compte des « arrangements qui peuvent avoir été pris »11 par les anciens propriétaires puis, les principes préservés, il veille à ne froisser aucun intérêt légitime : en 1807 après la faillite de Duret, détenteur de la Feuille d’avis de Lausanne, c’est à son frère qu’il est finalement permis de prendre la relève12 ; en 1808 et conformément aux vœux de Briatte qui abandonne son Journal suisse, c’est Soutter, ancien membre du tribunal cantonal, qui est autorisé à poursuivre ce titre13 ; en 1818, la Feuille d’avis de Lausanne est de nouveau en balance et, parmi plusieurs candidats à la succession de Duret, le Petit Conseil choisit Lacombe, lieutenant de l’ancien 4e régiment suisse, tout en laissant la veuve Duret garder la publication jusqu’à la fin de l’année14. C’est donc avec discernement que les autorités exercent leur droit d’autorisation préalable.
12Quant à la censure préalable, elle semble résoudre tous les problèmes avant qu’ils se posent, aucun article ne pouvant voir le jour sans être passé sous les yeux d’un fonctionnaire spécialement choisi. Encore faut-il trouver ce personnage, au bon esprit garanti, suffisamment attentif pour ne rien laisser passer de critiquable, suffisamment libéral pour ne pas tomber dans des rigueurs inutiles. C’est d’abord le préfet Roguin qui, par une décision du 1er juin 1803, se voit remettre la responsabilité de la censure. Il ne s’en occupera pas longtemps. Ses autres fonctions ne lui permettent pas d’assurer ce travail supplémentaire et il obtient d’être déchargé rapidement d’abord de la surveillance des livres, puis également de celle des journaux politiques15.
13Le professeur Develey le remplace. S’il n’a guère de problèmes avec le contrôle des livres imprimés, en revanche les gazettes, et surtout le Nouvelliste, lui valent de fréquentes convocations par le Petit Conseil, mécontent qu’il ait laissé passer des articles imprudents. Il se défend en alléguant son absence de Lausanne et le manque d’expérience de son remplaçant provisoire, ou encore en faisant valoir qu’un article qui a déplu avait déjà été publié dans un journal helvétique et concernait une brochure vieille de 173 ans16.
14La mauvaise humeur du Petit Conseil transparaît dans la proposition de l’un de ses membres suggérant de confier la censure à chaque conseiller à tour de rôle, ainsi que dans la conclusion d’une lettre adressée au landamman fédéral et indiquant que « on avait remis la censure à une personne de confiance et qu’on croyait qu’elle serait propre à l’exercer avec discernement »17. La position de Develey est d’autant plus difficile que ce dernier fait également l’objet de récriminations de la part des journalistes dont il censure les textes, tel Fornerod qui se plaint « sur un ton peu convenable » de s’être vu interdire la publication d’une lettre de Talleyrand. Finalement, le 4 juillet 1804, le Petit Conseil constate que ses autres occupations empêchent le censeur de consacrer le temps nécessaire à la surveillance des journaux, le remercie « de sa complaisance pour le passé »- formule ambiguë- lui octroie 80 francs à ce titre, et le décharge pour l’avenir18.
15« La censure des papiers publics » est alors remise à Cassat, membre du tribunal de district de Lausanne. Il ne devra tolérer aucun article contre le gouvernement des autres cantons ou des pays alliés et veiller « en général que tous les gouvernements soient traités avec les égards qui leur sont dus ». Develey conserve cependant la surveillance des livres, fonction qu’il exerce jusqu’à ce qu’en 1809 le Petit Conseil décide d’en charger Curchod, ce dernier lui-même remplacé en 1811, après sa mort, par Chavannes, membre du Conseil académique. Pour ce qui est des journaux, qu’il faille l’imputer à l’apaisement des esprits ou à une plus grande sévérité, Cassat a moins de problèmes que son prédécesseur, encore qu’il doive à l’occasion rappeler au Petit Conseil les émoluments de 80 francs par an qui lui ont été promis19.
16Au surplus, la censure préalable s’alourdit progressivement, jusqu’alors, elle épargnait les journaux d’annonces ; ils vont y être soumis à leur tour. En février 1807, un article consacré au recrutement, et jugé critiquable, vaut à la Feuille d’avis de Lausanne de devoir désormais envoyer ses épreuves avant impression à la secrétairerie. En août 1812 , c’est le tour de la feuille d’avis d’Yverdon qui n’a pas vu malice à publier le texte d’un pasteur invitant à une collecte en faveur des incendiés de Cuarnens. Noble cause, en apparence à l’abri de toute critique. En fait, les autorités, qui ont veillé à l’indemnisation des victimes, s’offusquent de cette immixtion et confient au juge de paix de la ville le soin de surveiller cette gazette, étendant ce régime à la feuille d’avis de Vevey. Lorsque Gallot, médecin à Payerne, voudra créer une telle publication dans son district, l’autorité prévoira à son encontre la même surveillance20. Il est désormais de règle que les juges de paix contrôlent les journaux d’annonces paraissant dans leur ressort.
17La censure s’alourdit également de l’intervention du Conseil de santé. Dès 1806, le bureau de santé se préoccupe d’insérer des avis dans la Gazette de Lausanne et, en 1809, il fait interdire que les journaux annoncent, sans son autorisation, l’arrivée des dentistes. Témoignage d’une époque où cette activité attirait les charlatans. Enfin, en 1811, le Petit Conseil décide que les feuilles publiques ne pourront insérer aucun avis sur la médecine sans le visa du Conseil de santé2121.
18Vers la fin du Premier Empire, la situation internationale s’aggravant, le Petit Conseil prend lui-même en main la censure. Par un décret du 5 février 1812 , il prévoit « que désormais son vice-président, et en son absence le premier membre présent, sera chargé de la censure des papiers dont l’épreuve est apportée ». Désormais, il ne pourra s’en prendre qu’à lui-même s’il paraît un article imprudent. A la suite d’un arrêté de la Diète fédérale, et sur plainte du représentant de l’Autriche contre les indiscrétions des gazettes, en 1815 les modalités de contrôle sont précisées et, dans cette période difficile où se joue la survie du canton de Vaud et, en tout cas, son régime démocratique, ce sera finalement le landamman Monod qui aura la délicate responsabilité de veiller à ce que les journaux paraissant à Lausanne ne mettent pas les autorités publiques en mauvaise position vis-à-vis de leurs voisins22.
C - Rapports entre les autorités et la presse : réprimandes, injonctions et interdictions
19Les modalités de la censure préalable sont progressivement précisées et, dans une certaine mesure, aggravées. La première décision du Petit Conseil en ce domaine, en mai 1803, se borne à enjoindre aux éditeurs d’envoyer la première épreuve « non corrigée » à la secrétairerie. Fin avril 1804, il précise que les épreuves doivent parvenir à la censure avant midi si le journal veut être autorisé. En juin 1814, l’heure est encore avancée et c’est désormais à 10 heures qu’il faut déposer les feuilles à la maison cantonale si l’on veut qu’elles soient lues à temps pour paraître23.
20Comme il est normal, les journalistes essaient de profiter de l’existence de plusieurs autorités pour s’appuyer sur l’une contre les autres. Vains efforts. Les premiers temps, le Nouvelliste croit pouvoir se targuer du fait que le Petit Conseil n’a pas expressément prohibé un article pour le publier malgré l’interdiction signifiée par Develey. On précise à l’éditeur qu’il faut obtempérer aux injonctions du censeur désigné. Un peu plus tard, à la fin de 1805, le Nouvelliste récidive. Cette fois, il refuse de nommer les informateurs qui lui ont fourni des éléments sur ce qui se passe à Lucerne ; le journal se considère comme libéré par la censure préalable de toute responsabilité sur ce qu’il publie. Le Petit Conseil ne veut rien admettre de semblable. A l’avenir, chaque autorisation de création d’un journal précise que ses rédacteurs devront être à même de révéler leurs sources24.
21Désormais, il n’y aura plus guère de difficultés entre le censeur et les journaux qu’il lit avant parution, sauf erreur ou désinvolture de ceux-ci. Il en est ainsi lorsque la Gazette de Lausanne oublie de maintenir dans le texte définitif l’origine d’une information qu’elle semble s’attribuer. De même lorsque ce journal, pressé d’envoyer quelques exemplaires à l’étranger, les imprime avant la censure et se contente de biffer ensuite d’un trait de plume l’information interdite, ce qui attire l’attention sur elle sans la rendre illisible. Réaction du Petit Conseil : que rien ne soit imprimé avant le retour de l’épreuve contrôlée25. C’est encore le rédacteur de la Gazette qui est sur la sellette lorsqu’un membre de l’exécutif s’étonne d’avoir lu dans l’exemplaire définitif un article sur l’incendie de la poudrière qui n’avait pas été soumis au contrôle. Il s’entend répondre que c’est l’effet d’un malentendu : le texte, arrivé après les autres, a été apporté à la maison cantonale par un jeune garçon qui, n’ayant trouvé personne à qui le faire lire, l’a ramené, laissant croire à l’éditeur que l’autorisation avait été donnée. Une mésaventure semblable frappe la feuille d’avis d’Yverdon pour avoir publié un article sur la pêche, sorti trop tard pour que le juge de paix le lise26.
22A peu près dociles lorsqu’il s’agit de renoncer à un article interdit par la censure, les journalistes se rebiffent un peu plus devant les demandes d’insertion que prétendent leur imposer les autorités. Passe encore de n’être pas libre de dire ce que l’on pense ; faut-il encore se faire les agents de la propagande officielle et, ce qui est particulièrement douloureux, gratuitement ? Fin septembre 1805, les éditeurs de l’ancien Nouvelliste et du nouveau Journal suisse adressent une facture pour les articles publiés sur ordre. Encore bienveillant, le Petit Conseil accepte d’honorer la note et charge le département des finances de conclure un arrangement avec ce journal pour l’avenir. Nouvelle facture en 1808 portant sur les insertions de la période 1806-1808. Nouvelle acceptation, mais accompagnée cette fois d’une décision le 16 juin 1808, indiquant que les journaux ne continueront à jouir de la franchise pour leurs transports que s’ils publient gratuitement les lois, arrêtés et avis envoyés par le gouvernement et ses bureaux27. Chaque nouvelle demande de paiement se verra opposer cette décision du 16 juin 1808. Fin 1809 encore, le Petit Conseil paie pour la publication d’un décret de Napoléon 1er. En 1812, il refuse pour un décret du roi de Bavière. La gratuité des insertions est même étendue au profit du Conseil de santé28.
23Il n’y aura plus que de menus incidents. Par exemple lorsque le Journal suisse fait suivre un texte de l’Allgemeine Zeitung qui lui a été imposé par le Conseil d’Etat, de la mention « article communiqué », ce que Miéville, rédacteur de la Gazette de Lausanne, juge déloyal, lui qui a dû obtempérer au même ordre sans oser révéler l’origine officielle. Plus tard, c’est la Gazette qui est réprimandée à son tour pour n’avoir pas annoncé l’ouverture d’un concours pour une chaire de philosophie ; on lui rappelle que les publications demandées par l’autorité ont priorité sur les autres. Circonstances difficiles lorsque le commandant autrichien de place à Lausanne, en 1814, s’étonne que l’article qu’il avait transmis au Journal suisse et concernant l’entrée des alliés à Paris n’ait pas été publié. Il s’entend répondre, avec une naïveté dont on ne sait si elle est feinte, que, ne connaissant pas l’origine d’une information si importante, la censure a arrêté son texte29.
24Cette description des rapports entre les journaux vaudois et les autorités officielles du canton pendant un peu plus de quinze ans serait incomplète sans la liste des sujets tabous, particulièrement nombreux clans les périodes troublées et instables, à deux reprises, juste après l’instauration de la Confédération par l’Acte de Médiation, vers 1803- 1804, et au moment des combats qui accompagnent la chute de l’Empire napoléonien et le changement de constitution, vers 1813- 1819.
25Durant la période 1803-1804, la principale préoccupation de la censure vaudoise consiste à ne pas encourir la mauvaise humeur du puissant voisin français dont on subodore qu’il ne faudrait pas lui donner trop de prétextes pour qu’il songe à annexer Lausanne comme il l’a fait pour Genève et comme il le fera pour Sion. Cette crainte des foudres napoléoniennes vaut au Nouvelliste d’être réprimandé par le Petit Conseil pour un article faisant état de « prétendues négociations » entre le Premier Consul et les Bourbons. Le landamman se plaint de l’annonce de cadeaux que la Confédération aurait l’intention d’offrir à la légation française. Le censeur Develey s’inquiète qu’un texte sur une rupture éventuelle entre la France et la Russie ait paru malgré son interdiction. C’est d’ailleurs d’avoir laissé passer un article extrait du Schweizer Bote et susceptible de blesser la France qui vaut à Develey de se voir retirer la surveillance des journaux au profit de Cassât30.
26Par la suite, vers 1813-1819, le danger se déplace vers l’est et c’est désormais des monarchies groupées au sein de la Sainte Alliance que peuvent venir les périls. Il ne faut rien dire de la marche des troupes confédérées. Le ministre de Bavière se plaint d’un article de la Gazette sur le maréchal de Wrede. Le ministre d’Autriche s’adresse à la Diète confédérale pour qu’elle invite les journaux à se garder de toute indiscrétion. A croire que tous les représentants diplomatiques en Suisse s’y mettent ; jusqu’au ministre du grand-duc de Baden qui enjoint de ne pas parler de l’ex-roi de Suède. Le Directoire fédéral reproche à la Gazette d’avoir publié une lettre de Metternich31. Chaque fois l’exécutif vaudois répond avec déférence, protestant de sa bonne foi, promettant de mieux surveiller ses rédacteurs mais évitant de livrer le nom des correspondants qui sont à l’origine des indiscrétions commises.
27Par-delà les vissicitudes de la politique européenne, certaines informations demeurent en permanence l’objet de soins attentifs de la part des autorités vaudoises, les informations qui concernent les autres cantons et les autorités fédérales. Il est plusieurs fois rappelé que les travaux de la Diète ne doivent faire l’objet d’aucune affirmation hasardeuse32. Le censeur ne tolère aucun article qui serait « directement ou indirectement » une satire des décisions ou des coutumes des membres de la Confédération. D’ailleurs leurs autorités veillent et ne manquent pas de se plaindre si une insertion leur déplaît : le grand bailli du Valais, le département de police de Lucerne, le Petit Conseil d’Argovie, celui du Tessin à quatre reprises33 ; au niveau confédéral, le landamman très souvent. Les dirigeants vaudois se plient en général de bonne grâce aux demandes de démenti, quitte à protester lorsqu’un article publié ailleurs les mécontente, ainsi lorsque la Gazette d’Aarau prétend que Joseph Bonaparte a trouvé un abri sur les bords du Léman, quitte aussi à réclamer la réciprocité si une réponse satisfaisante se fait attendre, par exemple quand la Gazette de Berne tarde à publier un texte qui lui a été transmis34.
28Il est vrai qu’à l’égard de Berne, dont on n’est pas sûr qu’elle ait abandonné toute ambition sur le Pays de Vaud, la vigilance est de mise. En janvier 1814, le Petit Conseil n’hésite pas à interdire l’entrée de la Gazette de Berne et de tous les journaux étrangers renfermant des actes en provenance de cette ville. Consigne permanente au censeur : aucun article émanant d’une autorité extérieure au canton, y compris fédérale, ne peut être publié sans l’accord du Petit Conseil35.
29A côté des injonctions et des réprimandes liées aux articles susceptibles de déplaire aux Etats étrangers ou aux cantons confédérés, les ordres de la censure concernant les problèmes intérieurs vaudois sont extrêmement rares, témoignage d’une vie politique paisible, grâce à une entente assez générale autour de thèmes simples, sans conflit inexpiable. L’instauration d’un statut plus libéral accordé à la presse va en être facilitée.
II - De 1819 à 1833, la marche chaotiques de la liberté
30En 1819, l’époque est au libéralisme, sinon dans les faits, du moins dans les idées, en Suisse et dans toute l’Europe. A l’égard des journaux, les velléités de bienveillance des gouvernants vaudois le disputent aux nécessités de la censure lorsque la conjoncture internationale devient plus difficile. Avance et recul de la liberté de la presse vont donc se succéder au rythme des réformes législatives ou réglementaires.
A - Première évolution libérale (1819-1823)
31Au début de 1819, la censure est subie de plus en plus impatiemment par les imprimeurs et les libraires qui adressent une pétition au Grand Conseil en arguant de son inconstitutionnalité36. Il est vrai que la surveillance, organisée de leur seule autorité par le Petit Conseil puis par le Conseil d’Etat, mérite d’être de toute urgence régularisée par un vote du Grand Conseil puis, en connaissance de cause et selon des modalités à définir, allégée. Beaucoup en ont conscience, jusque parmi les dirigeants. Au surplus, le fait qu’il n’existe plus, depuis 1816, depuis que la Gazette de Lausanne a absorbé le Journal Suisse, qu’une seule feuille politique, et des plus paisibles, rassure les autorités et les incite au libéralisme.
32Une occasion se présente de prendre position sur le statut de la presse : comme chaque année, en application de l’article 14 de la Constitution, le Conseil d’Etat présente au Grand Conseil un rapport sur l’exécution des lois durant l’année précédente, faisant le bilan des mesures prises et suggérant de nouvelles directions d’action. La commission du Grand Conseil chargée d’examiner le rapport pour 1818 propose de demander au Conseil d’Etat « qu’il présente le plutôt [sic] possible un projet de loi sur la presse, l’inspection des cabinets littéraires et la librairie ». Le 7 juin 1819, le Grand Conseil, en séance plénière, adopte cette proposition et ajoute qu’en attendant, le Conseil d’Etat doit demander les pouvoirs nécessaires pour avoir le droit de contrôler la presse jusqu’à la prochaine session ordinaire37. Ce dernier point vise seulement à régulariser les pratiques antérieures.
33De fait, un décret du 15 juin suivant se borne à accorder, en termes très généraux, au Conseil d’Etat, et jusqu’au 15 juillet 1820, « des pouvoirs extraordinaires » pour exercer « une police sur les Imprimeries, les Cabinets littéraires et les Librairies ». Il ne faut pas se tromper sur la portée de ce texte : bien loin de marquer un accroissement des rigueurs pesant sur les journaux, il résulte d’une conscience libérale plus aiguë en donnant un fondement plus solide et un terme strict à ce qui n’était jusqu’alors que le résultat de décisions dispersées, prises par l’exécutif sans autorisation législative et sans limite dans le temps. D’ailleurs, interrogé par le Conseil d’Etat sur les arrêtés d’application à prendre à la suite de ce décret, le département de l’intérieur conclut qu’il n’appelle aucune mesure particulière, qu’il suffit de s’en tenir aux pratiques précédentes, « dispositions que ledit décret met provisoirement hors de toute atteinte »38.
34Reste le plus difficile : l’élaboration de la loi organisant la liberté de la presse. En juin 1819, les membres de l’exécutif imaginent volontiers qu’il sera facile d’établir un projet et de le faire adopter clans l’année. La réalité décevra ces illusions. Il faudra rien de moins que six projets successifs et près de trois ans de travail et de navettes.
35Pourtant les responsables n’ont pas tardé pour se mettre au travail puisque, dès le début de juillet 1819 , le Conseil d’Etat charge le département de l’intérieur de préparer les propositions à faire au Grand Conseil lors de sa prochaine session. Il est prévu de tenir compte de « ce qui a été fait en France sur le même objet ». Cette préoccupation est à l’origine du premier retard et de la première remise en cause. Au début de 1820, le département de l’intérieur a rédigé deux projets assez proches l’un de l’autre et s’apprête à les fondre en un texte unique lorsque les discussions qui ont alors lieu en France sur la liberté de la presse ébranlent les idées reçues. Certes, constate le département de l’intérieur, il ne saurait être question de tomber dans une « imitation servile » des lois françaises, mais « il est impossible de se dissimuler que la liberté ou l’asservissement de la presse en France ne change tout à fait notre position à cet égard et sous les rapports les plus importants39». Indécis, il se tourne donc vers le Conseil d’Etat, lui adresse ses deux projets et lui demande s’il convient de se limiter à la répression ou s’il faut établir une censure préalable sur les journaux en ce qui concerne les rapports de la Suisse avec les autres Etats.
36En réponse à cette demande, le Conseil d’Etat va jeter, le 1er avril 1820, les bases de l’une des dispositions les plus caractéristiques de la future loi sur la presse, reflet des préoccupations permanentes d’une nation soucieuse de préserver sa neutralité et d’éviter de fournir des prétextes pour la remettre en cause. Il indique que le projet devra accorder une « liberté de la presse illimitée pour les affaires intérieures du canton sauf les clauses pénales pour en limiter les abus », qu’en revanche, cette liberté sera « restreinte quant à l’étranger, de manière à empêcher que le canton ne puisse être compromis par les abus qu’on pourrait en faire »40.
37Le nouveau projet, tenant compte de cette distinction, est soumis au Conseil d’Etat le 14 avril suivant et au Grand Conseil le 12 mai. C’est l’échec. Il est rejeté le 23 mai. Le Conseil d’Etat veut aller vite. Il prévoit que « le projet sera représenté dans son système actuel avec les changements jugés convenables ». Le département de l’intérieur se remet au travail. Il a déjà terminé le 27 mai. Nouveau passage devant le Conseil d’Etat qui est de nouveau d’accord. Nouvelle discussion devant le Grand Conseil et nouveau rejet. L’année est trop avancée, le temps est trop court jusqu’à la fin de la session pour un projet supplémentaire « sur cette matière délicate ». Il faut se résoudre à demander au Grand Conseil de proroger les pouvoirs extraordinaires accordés par le décret du 15 juin 1819, ce qui est fait41. Ces pouvoirs demeureront jusqu’au 1er juillet 1821. Un an de perdu et quatre projets déjà élaborés.
38Ces refus successifs conduisent le département de l’intérieur à s’interroger sur l’attitude à adopter et à faire part de ses états d’âme au Conseil d’Etat. Faut-il renoncer à présenter un projet de loi au Grand Conseil ? Il serait alors à craindre qu’il « ne passa (sic) pour reconnu qu’une liberté indéfinie de la presse est admise dans le canton, sans aucunes lois répressives, ce qui serait assurément le pire état des choses ». Convient-il alors de demander la prolongation des pouvoirs extraordinaires ? Ce n’est pas souhaitable, le provisoire ne pouvant durer, à supposer que le Grand Conseil soit d’accord. Doit-on s’orienter vers un système de censure limitée ? Cela reviendrait à contrôler les articles relatifs aux questions religieuses et à veiller aux égards dus aux puissances étrangères ; or l’on a vu « l’impossibilité de faire goûter un tel plan » au Grand Conseil. Il ne reste qu’à se résoudre à accorder une liberté illimitée, en se bornant à réprimer les abus par des lois pénales. Certes, la liberté absolue présente des inconvénients. « Toutefois de tels maux ne sont pas aussi redoutables au milieu de nous qu’on pourrait le supposer »42.
39Le Conseil d’Etat est perplexe devant un programme si libéral. Le 20 mars 1821 , il finit par l’accepter, mais, le 4 mai, devant le nouveau projet présenté par le département de l’intérieur conformément à ces principes, la majorité de ses membres s’effraient, renoncent à transmettre le texte au Grand Conseil et se bornent à demander une nouvelle prolongation de leurs pouvoirs exceptionnels jusqu’au 1er juillet 1822, ce qui est accordé par un décret du 16 mai 182143. Une année supplémentaire de retard et un cinquième projet rejeté.
40Le 1er mars 1822, le département de l’intérieur revient à la charge auprès du Conseil d’Etat. Il envisage de fonder ses futures propositions sur trois principes. D’abord, la liberté de la presse pourrait être réservée aux citoyens vaudois, tandis que tout autre auteur serait soumis à la censure préalable. En deuxième lieu, l’absence de contrôle a priori laisserait subsister un cautionnement. Enfin, la loi réprimerait les divers abus selon des modalités tenant compte des remarques déjà faites par les commissions du Grand Conseil. Le Conseil d’Etat donne son aval à ces trois principes. Cette fois la procédure semble bien engagée. Du 26 au 28 mars, le projet est discuté par le Conseil d’Etat. Le 9 mai, il est présenté au Grand Conseil, examiné par une commission composée de Secretan, Bourgeois, Leresche, Nicole et Demiéville, et voté le 14 mai44.
41Cette loi du 14 mai 1822 s’ouvre par deux « considérants » très balancés, constatant que « la faculté d’émettre et de publier ses opinions fait partie des droits de tout homme libre » mais ne se dissimulant pas pour autant que cela peut amener des désordres, « compromettre l’honneur et le repos des citoyens et troubler même la tranquillité de l’Etat ». Le titre premier et son article unique pose le principe fondamental, réservant le bénéfice de la liberté de la presse aux Vaudois et soumettant les autres à la censure préalable. Le titre 2 énumère les peines encourues en cas de diffamation ou d’injure, peines qui peuvent atteindre, pour les faits les plus graves, un an de prison et 600 fr. d’amende, doublées en cas de récidive. La responsabilité retombe sur l’éditeur et sur l’auteur, sauf si ce dernier prouve être étranger à la publication. Le cautionnement est de 10 000 fr. pour les journaux politiques, de 2 000 fr. pour les feuilles d’annonces, étant entendu qu’un seul titre pourra insérer les articles officiels et les avis juridiques. Les peines éventuelles seront prononcées par le tribunal de district. Enfin, le titre 3 organise la censure préalable à laquelle seront soumis les étrangers qui souhaitent publier un journal dans le canton de Vaud45.
42La Gazette de Lausanne, aux opinions fort modérées, ne consacre que dix lignes à la nouvelle loi et c’est pour s’en féliciter au nom du droit à la liberté de la presse. « Des mesures répressives sagement combinées, et telles qu’elles conviennent à un pays ami de l’ordre et des mœurs, sont en même temps opposées à l’abus de ce droit (...) entre autres, dictées par les égards que le canton de Vaud doit aux puissances étrangères ». La Gazette peut d’autant plus se féliciter de cette loi qu’elle va bénéficier du monopole de publication des articles officiels et des avis juridiques, de préférence à la Feuille d’avis de Lausanne qui réclamait ce privilège46.
43Fin même temps et également en exécution de cette loi, le Conseil d’Etat impose à tous les journaux le respect de la règle du cautionnement et il désigne comme censeur, pour les écrits des auteurs étrangers, un ancien membre du Petit Conseil, Couvreu47. Par ailleurs, témoin de la vitalité retrouvée de la presse vaudoise, un nouveau titre apparaît le 1er janvier 1823, L’Ami de la Vérité, bientôt plus audacieux que la Gazette, ce qui n’est pas beaucoup dire48. Tout semble prêt pour une longue application de la loi du 14 mai 1822. Les circonstances en décident autrement.
B - Retour à la censure préalable
44La crainte d’éventuelles actions de représailles contre la neutralité helvétique de la part des puissances voisines va de nouveau conduire les autorités centrales à souhaiter un contrôle plus rigoureux de la presse. Le 23 janvier 1823, le Conseil d’Etat reçoit une lettre circulaire du Directoire fédéral, annonçant qu’il lui a été donné communication par les représentants de l’Autriche, de la Prusse et de la Russie, des résultats du Congrès de Vérone et qu’ils ont au surplus recommandé « la plus grande circonspection d’un côté dans la rédaction des feuilles publiques, et d’un autre côté dans la tolérance de ces étrangers qui, dans d’autres Etats, se sont mis en opposition avec l’ordre de choses légitimes ». La Sainte Alliance entend donc étouffer tous les germes de désordre en Europe et elle veille à ce que la Suisse ne devienne pas le refuge des idées séditieuses et des révolutionnaires exilés. La nouvelle neutralité helvétique est encore trop jeune, trop tendre, acceptée depuis trop peu de temps par l’ensemble de l’Europe pour qu’il soit possible de résister. Le Vorort expose donc aux autorités cantonales « la nécessité d’empêcher que les feuilles publiques ne deviennent l’instrument des passions de l’esprit de parti et ne servent clé moyens pour propager des expressions inconvenantes sur la politique des puissances armées »49.
45Le Conseil d’Etat ne sait trop quelle attitude adopter. Il répugne à remettre en cause une loi votée si récemment et après des discussions si longues. Il se borne, dans un premier temps, à décider que le landamman en charge convoquera les responsables des publications vaudoises, en présence du président du département de l’intérieur, Clavel, pour « les exhorter à la modération et à la circonspection qui sont nécessaires tant sous le rapport de l’intérêt de la Suisse et du canton en particulier que sous celui des éditeurs et rédacteurs des feuilles publiques eux-mêmes ». Sont ainsi reçus, le lendemain et le surlendemain, d’abord Fischer et Bègue pour L’Ami de la Vérité, puis Vincent et Miéville pour la Gazette de Lausanne50. On les incite à une sagesse exemplaire.
46Cela ne va pas suffire. Il est vrai que la Gazette s’enferme plus que jamais dans une modération un peu terne. Elle explique qu’un « journal, dans un pays neutre, heureux, tranquille, ne doit pas être un journal de parti. Spectateur impassible des événements, c’est à lui à réunir les pièces qui s’y lient : c’est au public à les juger ». En revanche L’Ami adopte un ton progressivement plus vif, il manifeste de la réserve à l’égard de la politique agressive des diplomates de la Sainte Alliance, position pour le moins périlleuse à l’époque. Le 14 février, le landamman reçoit Fischer et Bègue pour leur reprocher le ton « peu convenable et même dangereux pour le canton » de leur publication. Ils promettent la prudence51.
47Il faut plus que de la prudence en cette période de réaction triomphante en Europe. Le 10 mars, Watteville et Mousson écrivent au landamman du canton de Vaud pour lui expliquer que même un texte d’apparence modérée peut être critiquable ; le danger réside « dans certains rapprochements, dans une tactique de rédaction artificieuse, destinée à produire un certain effet ; dans le soin que l’auteur se donne d’exposer de préférence et sous un jour favorable une opinion et les raisonnements d’un parti, tandis qu’au contraire il néglige, altère quelquefois, ou même représente sous un faux point de vue, tout ce qui tient à l’opinion contraire ». Le Conseil d’Etat balance entre plusieurs mesures : supprimer L’Ami, rétablir la censure ou se borner à de nouvelles exhortations. Finalement, il adopte la dernière solution, tout en demandant à son département de l’intérieur de préparer un projet de décret suspendant la liberté de la presse52.
48La loi de 1822 n’aura donc pas fait un long usage. Le 7 avril, le Directoire helvétique réitère ses injonctions en précisant que, chez les puissances européennes, « les préventions paraissent se porter principalement sur l’Etat de Vaud, sur les dispositions du gouvernement, comme sur l’esprit d’un grand nombre des habitants ». Le 24 avril, le département de l’intérieur présente un premier projet de décret qui fait l’objet de deux versions successives avant d’être transmis au Grand Conseil. Une commission composée de La Harpe, Monod, Clavel, Leresche et Briod émet un avis favorable et le décret est adopté le 12 mai 1823, très proche de ceux qui réglaient provisoirement la situation de la presse en 1819, 1820 et 182153. L’article premier indique que l’application de la loi du 14 mai 1822 est suspendue. Aux termes de l’article 2, « des pouvoirs extraordinaires sont accordés au Conseil d’Etat, en vertu desquels il est autorisé à exercer une police sur les imprimeries, sur les cabinets littéraires et les librairies ». L’article 3 autorise à prononcer des peines excédant le maximum prévu par la loi. Enfin, l’article 4 fixe le 1er juillet 1824 comme terme de cette situation exceptionnelle54.
49Un arrêté du 28 juin suivant et une série de décisions du 4 juillet viennent organiser l’application du nouveau décret. Les feuilles politiques seront soumises à la censure du landamman Monod. Les juges de paix de Lausanne, Vevey et Yverdon s’occuperont des feuilles d’avis de leur ressort et veilleront à ce qu’elles ne contiennent « rien de politique ou d’offensant pour personne ». Un juge d’appel, Clavel, remplace Couvreu pour le contrôle des livres et étend sa surveillance aux journaux plus ou moins littéraires, tels la feuille d’agriculture de Chavannes et le journal d’éducation de Miéville. Clavel accepte cette responsabilité, tout en s’interrogeant sur la position à garder à l’égard des ouvrages des méthodistes55. C’est l’époque où les controverses religieuses déchirent les consciences. En tout cas, lorsque, au mois de juillet suivant, le Conseil d’Etat reçoit le conclusum de la Diète sur la police de la presse dans la Confédération, il peut répondre que le décret du 12 mai et ses mesures d’application ont anticipé sur les précautions souhaitées56.
50Les autorités centrales n’interrompent pas pour autant leurs sollicitations. Ce sont quatre injonctions du Directoire qui se succèdent, contre la Gazette de Lausanne qui a mal reproduit l’une de ses circulaires ainsi qu’une note du ministre d’Etat russe, pour que les journaux ne qualifient pas de troupes « constitutionnelles » les soldats combattant pour les Cortes en Espagne, contre la publication du rapport de la commission sur la liberté de la presse et la police des étrangers, enfin contre L’Ami de la Vérité, dénoncé par le représentant de l’Autriche, et qui a laissé entendre que c’est pour des raisons d’opinion politique que plusieurs Italiens honorablement connus ont été condamnés à mort par les tribunaux autrichiens et pour permettre à l’empereur de profiter de son voyage en Italie pour commuer leur peine en celle de carcere fluro, ce qui est à peine moins cruel57.
51Cette dernière affaire est grave. Le département de l’intérieur incline à l’indulgence. Le Conseil d’Etat ne le suit pas dans cette voie. Considérant que ce journal est rédigé dans « un esprit inconsidéré dans les circonstances actuelles et propre à compromettre le canton sous des rapports politiques », il supprime L’Ami de la Vérité ainsi que son bulletin politique le Fidèle Ami de Vérité et avertit le Directoire de cette sentence, le 24 septembre 1825 . Ce dernier s’en déclare satisfait58. Il est vrai que, quelques jours plus tard, en octobre, l’imprimeur Mignon sollicite l’autorisation de publier un Nouvelliste vaudois, promettant d’être très prudent, de n’accompagner les informations « d’aucune réflexion qui puisse avoir quelque chose de désobligeant pour aucun des gouvernements de l’Europe ». Avec une naïveté peut-être affectée, peut-être réelle, le Conseil d’Etat affirme qu’il ne paraît pas y avoir de rapport entre cette demande et les deux Amis supprimés et il donne son accord59. Toujours est-il que la situation se normalise, les pressions étrangères s’allègent, les plaintes des autorités helvétiques se raréfient, ce qui n’empêche pas le Conseil d’Etat d’obtenir une prolongation de ses pouvoirs extraordinaires jusqu’au 1er juillet 182560.
52A partir de cette année 1825 , la décrue s’amorce dans l’évolution de la censure. Faute d’en avoir assez tôt conscience, le Conseil d’Etat s’expose à une déconvenue, sous la forme d’un rapport négatif de la commission du Grand Conseil chargé d’examiner, en mai 1825 , sa demande de renouvellement des pouvoirs extraordinaires sur la presse. C’est un refus. Un second projet, plus libéral, est présenté quelques jours plus tard. Il reprend en partie les termes des décrets de 1823 et 1824, mais avec deux différences. D’abord l’article premier ne vise plus que « les écrits qui auraient rapport à la politique tant extérieure qu’intérieure ». De plus, il est intercalé un article 2 fort balancé : « Les écrits relatifs aux affaires purement administratives, judiciaires ou législatives du canton pourront être imprimés et publiés, sous les conditions de réserves établies par la loi du 14 mai 1822. Toutefois, ces écrits devront être soumis à la censure, qui jugera s’ils n’ont rien clé contraire à l’article premier du présent décret. »61
53Le projet est adopté le 18 mai 1825, applicable jusqu’au 1er juillet 1826, et explicité par un arrêté du Conseil d’Etat du 3 août 1825 . Ce dernier texte reprend en grande partie les dispositions de la loi de 1822, qu’il s’agisse des peines pour outrage à la religion ou aux bonnes mœurs, des insultes aux autorités du canton, etc., qu’il s’agisse de la responsabilité des auteurs et des éditeurs, qu’il s’agisse de la procédure à suivre contre les publications critiquables62. La principale différence entre la loi, d’une part, le décret et son arrêté, d’autre part, réside dans le maintien d’une censure préalable exercée sur tous les écrits, périodiques ou pas, mais avec le souci de ne pas trop gêner la parution des journaux et avec la possibilité de faire recours au Conseil d’Etat contre les décisions des censeurs.
54La Diète fédérale ayant confirmé sa volonté de voir étroitement contrôlée la presse des cantons, deux décrets et deux arrêtés de 1826 et 1827 prolongeront l’effet des textes de 1825 jusqu’au 1er juillet 182863. La surveillance se fait cependant plus lâche, l’indépendance à l’égard des ordres venant de l’étranger est plus marquée. Le Conseil d’Etat refuse de déférer aux vœux du consul général du Portugal d’insérer un article sur une colonie suisse au Brésil : l’on ne veut pas paraître encourager cette émigration. L’évolution se poursuit dans le même sens après que Monod eut obtenu, à la fin de 1826, d’être déchargé de cette fonction de censure « qu’il a exercée pendant assez longtemps ». Le landamman Clavel le remplace. Quelques menus incidents émaillent ses rapports avec les journaux, surtout le Nouvelliste, au cours de l’année 1827, concernant par exemple une mauvaise transcription d’une délibération du Grand Conseil64. Rien de bien marquant.
55En 1828, le Conseil d’Etat résiste à la demande du représentant du Valais de faire démentir le compte rendu de désordres qui ont marqué l’enterrement d’un protestant : si le Valais veut démentir, qu’il le fasse sous sa responsabilité. Un peu plus tard, le Nouvelliste ayant laissé entendre que des irrégularités ont été commises dans les opérations électorales du cercle d’Ecublens, le département de justice conclut qu’il n’y a pas à poursuivre le journaliste mais seulement à s’informer auprès de lui de la gravité éventuelle des faits dont il a été averti65. La presse joue ainsi le rôle d’informateur qui lui revient normalement dans une démocratie. Les dirigeants sont prêts à un retour à l’application intégrale de la loi de 1822.
C - Deuxième évolution libérale (1828-1833)
56En 1828, au mois de mai comme chaque année, se pose pour le Conseil d’Etat le problème d’une éventuelle demande de prolongation de ses pouvoirs extraordinaires. Le département de l’intérieur y est plutôt favorable, se basant sur le fait que la Diète fédérale n’a pas renoncé à inciter les cantons à la surveillance et au contrôle de la presse, « bases essentielles de bonnes et paisibles relations envers les Etats avec lesquels il importe à la Confédération de vivre en bonne intelligence ». Le Conseil d’Etat ne souhaite pas persévérer dans cette voie, il préfère laisser s’appliquer de nouveau la loi de 1822, automatiquement à partir du 1er juillet 1828. Il suffit désormais que les diverses publications vaudoises fournissent un cautionnement pour pouvoir être publiées tout à fait librement. Un nouveau titre en profite pour apparaître, La Constituante. La Gazette vaudoise de Jean Fillietaz66.
57Proclamer le retour à la loi de 1822 ne suffit pas à faire disparaître d’un coup les habitudes de contrainte prises au cours de plusieurs années. Il faut que les esprits s’habituent à la liberté. Les journalistes eux-mêmes ne s’adaptent pas immédiatement, tel l’éditeur de la feuille d’Yverdon qui continue, trois mois plus tard, à envoyer régulièrement ses épreuves au juge de paix qui exerçait jusqu’alors la censure préalable ; le Conseil d’Etat y met fin. Certains particuliers avaient l’habitude de se plaindre lorsqu’une publication insérait un texte leur déplaisant concernant leur activité professionnelle ; i l s doivent désormais se trouver d’autres occupations que la délation, et le médecin La Harpe, qui signale aux autorités le Nouvelliste pour avoir annoncé un remède contre l’épilepsie, s’entend répondre qu’une telle insertion n’a rien de condamnable67.
58Les représentants étrangers en Suisse n’échappent pas à la règle, eux dont les demandes étaient jusqu’alors si volontiers accueillies par les dirigeants cantonaux. Le chargé d’affaires français accuse le Nouvelliste d’avoir prétendu que la Diète avait blâmé le duc de Calvello pour sa conduite vis-à-vis de la Suisse dans la capitulation de Naples. C’est le président de la Diète lui-même qui transmet la plainte aux autorités vaudoises. Conformément aux anciens errements, le département de l’intérieur propose d’engager le journal à démentir. Le Conseil d’Etat, plus attentif aux changements intervenus dans la réglementation, se borne à demander des explications au rédacteur qui ergote sur les termes de son article. L’affaire revient devant l’exécutif. Le département de l’intérieur est divisé : la majorité de ses membres pensent qu’il faut obtenir une rétractation. La minorité estime que la loi ne le permet pas et que l’on n’est pas, en l’occurrence, dans l’un des cas de diffamation prévus. Choisissant d’appliquer strictement la législation, le Conseil d’Etat décide de se ranger à l’avis de la minorité, situation exceptionnelle qui témoigne de la difficulté de rompre avec les habitudes prises68.
59Les dirigeants des autres cantons eux-mêmes doivent s’adapter et se résigner à ne plus voir insérés, avec autant de facilité que dans le passé, les démentis qu’ils souhaitent. Les autorités de Schwytz récriminent sans succès contre un article de la Constituante. Le gouvernement de Berne « prie amicalement » ses collègues de Vaud de prendre des mesures contre un texte du Nouvelliste puis, le nouveau rédacteur de cette publication, Monnard, ayant refusé de démentir tant qu’il n’a pas reçu de preuve contraire, il renonce à poursuivre. Un peu plus tard, c’est le gouvernement du Valais qui se plaint à son tour, cette fois de la Constituante. Le Conseil d’Etat lui répond que sa demande n’est pas rédigée dans les formes correspondant aux exigences de la loi de 1822, qu’il faut un réquisitoire adressé à la partie publique. Le Valais se plie à cette procédure et obtient, un peu moins d’un an plus tard, une condamnation de l’éditeur Fillietax à un mois de détention et 100 fr. d’amende69.
60Chacun doit donc s’habituer aux règles ainsi ressuscitées, et le Conseil d’Etat vaudois lui-même en fait l’expérience lorsque le Nouvelliste lui réclame le paiement des insertions officielles. Il faut honorer cette demande et il faudra bientôt créer une Feuille des avis officiels70. Les journalistes prennent rapidement des habitudes d’indépendance, voire d’insolence. En application d’un décret du 5 juin 1829, il leur est signifié l’interdiction de publier quoi que ce soit sur les négociations qui pourraient avoir lieu avec la France au sujet de l’article 25 de la capitulation et concernant : le nouveau Code pénal pour les troupes suisses au service de la France. Le Nouvelliste n’imagine rien de mieux que d’annoncer à ses lecteurs la défense qu’il vient de recevoir. Le Conseil d’Etat se résigne à ne pas poursuivre. Sans doute songe-t-il que la docilité des éditeurs, quelques années auparavant, rendait les choses plus faciles. La censure préalable ne peut plus être imposée qu’aux étrangers publiant dans le canton, tel cet avocat français qui édite à Yverdon un Messager Neuchâtelois71.
61Il est vrai que la loi de 1822 a maintenu certaines rigueurs. La nouvelle constitution vaudoise de 1831 va conduire à les remettre en cause. Son article 7 prévoit en effet que « la presse est libre. La loi en réprime les abus : ses dispositions ne peuvent être que préventives ». Par ailleurs, plusieurs citoyens souhaitent l’instauration d’un droit de-réponse dans les journaux locaux, comparable à ce qui existe à l’étranger. En mars 1832 , le Conseil d’Etat désigne une commission de sept membres, destinée à revoir la loi de 1822 « pour la mettre en harmonie avec nos nouvelles institutions ». Sous la présidence du conseiller d’Etat Boisot doivent se réunir trois magistrats, Bory, Defelice et Clavel, deux membres du Grand Conseil, Jacquet de Morges et Correvon Demartines d’Yverdon, enfin le professeur Pidou. Par la suite, Esperandieu remplacera Clavel et Secretan compensera le départ de Jacquet72.
62Un premier projet est discuté par le Conseil d’Etat en septembre 1832 et par le Grand Conseil au début de décembre. Le 7, ce dernier vote le rejet. On veut en finir vite. Dès le 12 décembre, le Conseil d’Etat propose un nouveau texte, modifié en fonction des observations faites. Une nouvelle discussion a lieu le 19 décembre, limitée à deux points principaux. A propos du cautionnement, Blanchenay soutient qu’il s’agit d’une mesure préventive, donc contraire à la constitution. Jayet lui répond que tout dépend du sens que l’on donne au mot préventif. Dans une acception large, prévoir une peine contre un délit pourrait être considéré comme une mesure préventive, ce qui est absurde. Le cautionnement doit être considéré comme une garantie73.
63Par ailleurs, et à propos de la possibilité offerte au diffamateur d’un fonctionnaire, d’un agent du culte ou d’un membre d’un corps constitué du canton d’apporter la preuve des faits allégués, Druey propose d’étendre cette faculté aux faits diffamatoires articulés contre les autorités fédérales, les souverains et gouvernements étrangers et les agents diplomatiques suisses ou étrangers. Il ne faut pas, explique-t-il, « entourer le trône des souverains d’un nuage de considération tiré d’on ne sait où ». Pidou souhaite restreindre cette liste en épargnant les dirigeants étrangers et leurs représentants : « Laissons les peuples étrangers renverser eux-mêmes les gouvernements dont ils ne veulent plus, surtout n’allons pas donner par des tentatives de preuves pareilles un scandale européen, en outrageant non la dignité des rois, mais la dignité des peuples. » Finalement, l’amendement de Druey est adopté avec les sous-amendements de Pidou, puisque la possibilité de prouver les faits diffamatoires est étendue contre les autorités fédérales et contre les agents diplomatiques suisses74.
64Une seconde délibération a lieu quelques jours plus tard, les amendements précédemment adoptés sont confirmés et le projet adopté. C’est la loi du 26 décembre 1832.
65Ce nouveau texte est assez proche de celui de 1822, encore qu’avec des dispositions répressives atténuées, des peines encourues moins importantes, un cautionnement moins élevé et la suppression de la censure préalable sur les auteurs étrangers. L’exposé des motifs, rédigé par la commission du Conseil d’Etat, explique l’esprit des nouvelles règles75. Il justifie la nécessité d’une loi sur les abus de la presse. Il est vrai que cette dernière n’est qu’un moyen entre les mains de certains pour commettre des délits tels l’injure, l’insulte, la diffamation, faits qui doivent être punis en eux-mêmes. Cependant le développement de la presse, explique-t-on alors, en montre les dangers spécifiques, du moins actuellement, ce qui exige une loi particulière.
66Ici l’exposé des motifs évoque l’idée que, dans la mesure où « la Société se familiarise avec l’action de la presse », la nécessité de ces mesures spécifiques disparaîtra bientôt. Au surplus, l’article 7 de la Constitution a reconnu que tout homme a le droit d’émettre et de publier librement sa pensée par voie de presse, mais dans les limites fixées par le respect des droits d’autrui. Ce sont ces limites qu’il a fallu tracer.
67Le titre I concerne les mesures de police et les dispositions générales. A noter que les journaux politiques et les feuilles d’avis sont exemptés du dépôt préalable : une telle règle peut gêner ces périodiques, est-il indiqué, sans enrichir beaucoup la bibliothèque cantonale, étant donné leur caractère éphémère. Une amende peut atteindre l’imprimeur qui ne fournit pas son nom.
68Le titre 2, consacré aux mesures répressives, s’ouvre par un chapitre sur les délits de presse et les sanctions qui les frappent. La loi de 1822 prévoyait trois classes de délits qui ont été conservées et modifiées : l’outrage à la religion ou aux bonnes mœurs, deux fautes désormais séparées, la seconde paraissant a priori moins grave que la première ; les atteintes à l’honneur, en distinguant l’injure et la diffamation ; la provocation à un crime ou à un délit que le législateur a cherché à définir de la façon la plus simple, sans utiliser la distinction difficile entre provocation directe et indirecte. Enfin le projet ajoute une quatrième classe de délits : la divulgation de faits relatifs à la vie domestique et intérieure des citoyens pour éviter que la publicité, la curiosité malsaine ou la malveillance s’introduisent dans un domaine qui doit rester protégé.
69L’ordre de présentation des délits cherche à les classer en fonction de leur nature et de leur gravité. Les peines sont limitées à l’amende et à la prison, avec un taux maximum assez élevé et un minimum assez bas pour être éventuellement dissuasif mais pas nécessairement trop sévère. Le problème des réparations aux victimes est abandonné aux lois civiles ordinaires.
70Le chapitre 2 détermine les personnes responsables : l’éditeur et l’auteur, éventuellement l’imprimeur ou le colporteur, mais cela concerne peu la presse périodique qui reçoit sur ce point un statut spécifique.
71En effet, le chapitre 3 de la loi fixe les dispositions spéciales relatives aux journaux, ce qui a paru nécessaire au législateur compte tenu des modes particuliers de fabrication des journaux, marqués par la permanence d’une équipe et la rapidité du travail, compte tenu aussi des effets plus rapides, plus massifs, plus violents parfois des idées qu’ils répandent. Bien sûr, ces considérations ne visent pas tous les périodiques mais essentiellement les journaux politiques paraissant plus d’une fois par mois.
72On a donc maintenu pour eux deux règles déjà instaurées par la précédente loi. Il s’agit d’abord de l’établissement d’un éditeur responsable, personnage qu’il est plus facile d’atteindre qu’un auteur souvent anonyme, qu’un imprimeur généralement inconscient de ce qu’il publie ou qu’un distributeur parfois clandestin, éditeur qui n’est quelquefois qu’un comparse mais qui ne peut alors s’en prendre qu’à lui-même de son imprudence. Quant au cautionnement, il est d’abord une garantie morale que l’on réclame du journaliste, que celui-ci conçoive son travail comme un pouvoir ou comme une industrie ; c’est d’autre part une garantie de paiement de l’amende éventuellement encourue, ce qui explique le montant plus faible qu’en 1822, non plus de 10 000 fr., mais du quadruple de la plus forte amende prévue, de 2 000 fr.
73Ces deux précautions ont paru rendre inutile le maintien de la menace de suppression prévue en 1822. Enfin, la création d’un droit de réponse, « réclamée par l’opinion, d’accord avec la justice », qui se retrouve dans les lois de France et de Berne, suffira souvent à satisfaire les personnes lésées et diminuera le nombre des procès de presse.
74Le titre 3 fixe les modalités de poursuite et de jugement des délits de presse. Il consacre le principe que l’action ne peut être intentée en général que sur plainte de la partie lésée. Il n’a pas conservé la règle de la saisie obligatoire dans tous les cas des écrits incriminés, règle trop rigide. Il consacre une précaution déjà évoquée par la loi de 1822 en refusant souvent d’admettre la preuve des faits diffamatoires, ce qui ne peut être toléré « dans un ordre social régulier ». Pour tenir compte des caractéristiques propres aux délits de presse, la publicité des jugements est prévue, mais les poursuites sont limitées par une durée de prescription relativement courte.
75Pour appliquer cette loi, le Conseil d’Etat se borne à adresser une lettre circulaire aux préfets et aux municipalités pour leur rappeler la surveillance dont i l s sont chargés par les articles 1 et 2 sur les imprimeries, les librairies, les cabinets de lecture, sur les marchands d’estampes et de chansons, et pour leur demander, lorsqu’ils dénoncent un délit de presse au juge de paix, d’en adresser une copie à l’accusateur public. Ce dernier ayant, par ailleurs, demandé quelques éclaircissements sur l’interprétation d’un article de la loi qui le charge de poursuivre d’office les délits de presse, des précisions lui sont fournies par le Conseil d’Etat76.
76En quelque dix ans, le Canton de Vaud est ainsi passé d’un système de censure préalable à un régime de sanction a posteriori, passage qui, on en conviendra, ne s’est pas effectué sans mal.
*
77Le résultat en vaut la peine. Au regard de ces quelque dix ans d’hésitations et de travail d’élaboration de la loi de 1832 , il faut mettre ses cent quatre années d’application. Remarquable longévité, payée de quelques amendements limités. En 1875 , elle est approuvée par le Conseil fédéral sur la base des nouvelles dispositions constitutionnelles. Le cautionnement est implicitement abrogé par la nouvelle constitution vaudoise de 1885 . Quelques retouches sont apportées en 1898 au droit de réponse et en 1909 à la répression de la provocation à commettre un délit. Il faut attendre la loi du 14 décembre 1937 pour une refonte complète du statut de la presse vaudoise.
Notes de bas de page
1 Registre des délibérations du Petit Conseil puis du Conseil d’Etat, t. 1, p. 92, 148 (abrégé dorénavant : CE). Ces registres sont conservés par le service des archives du Conseil d’Ftat dans les caves du château Saint-Maire et je tiens à remercier M. Pierre-André Jaccard, vice-chancelier de l’Etat de Vaud, des facilités qu’il a bien voulu m’accorder pour la consultation de ces volumes.
2 CE, t. 1, p. 227. Georges BLUM, Les étrangers et la liberté de la presse, thèse droit, Lausanne 1970, p. 9. Le 23 janvier 1807, le landamman se préoccupe de nouveau de la censure et demande comment elle s’exerce dans le canton de Vaud (CE, t. XXV, p. 135-136).
3 CE, t. 1, p. 227, 273, 295.
4 CE, t. II, p. 34, 560 ; t. III, p. 317- « 18 ; t. IV, p. 28 ; t. VI, p. 579 ; t. VII, p. 84-85.
5 CE, t. VII, p. 123, 146, 206-207, 238-239, 303, 416-418, 438. Jacques BOURQUIN, « La Presse », paru dans Cent cinquante ans d’histoire vaudoise, 1803-1953, Lausanne 1955, p. 200 (Bibl. hist. Vaud.. 14).
6 CE, t. VII, p. 487, 492, 520-521, 575.
7 CE, t. VII, p. 521 ; Recueil des lois, décrets et autres actes du gouvernement du canton de Vaud et des actes de la Diète helvétique qui concernent ce canton, t. II, p. 45-46 (abrégé dorénavant : RL Vd).
8 CE, t. VII, P. 551-552.
9 CE, t. VIII, p. 29, 89.
10 CE, t. XXI, p. 227, 389-390, 474-475, 510 ; t. XXII, p. 4, 11, 22, 123 ; t. XXV, p. 436, 517 ; t. XXVI, p. 336-538 ; t. XXVII, p. 19 ; t. XXVIII, p. 305, 457, 547. Gérald ARLETTAZ, Libéralisme et société dans le Canton de Vaud, 1814-1845, Lausanne 1980, p. 217 (Bibl. hist. Vaud., 67).
11 CE, t. XXXVIII, p. 568-369.
12 CE, t. XXII, p. 108 ; t. XXIII.p. 215, 297 ; t. XXVI, p. 336-338 ; t. XXVIII, p. 582. En 1814 encore, il y a des contestations entre les deux frères Duret : CE, t. LXI, p. 98, 124. Cf. Louis JUNOD, La feuille d’Avis de Lausanne, ses origines et son histoire..., Lausanne 1962, p. 59 et s. (Bibl. hist. Vaud., 33).
13 CE, t. XXXVIII, p. 368-369, 459.
14 CE, t. LXXIV, p. 70, 182.
15 CE, t. 1, p. 113 ; t. 11, p. 341, 385. Sur les censeurs qui succèdent à Roguin, cf. ACV, K VII D 17, liasse sur « les censeurs » (Cassat, Chavannes, Clavel, Couvreu, Develey).
16 CE, t. IV, p. 358 ; t. IX, p. 448-449.
17 CE, t. IV, p. 285 ; t. VI, p. 415.
18 CE, t. IX, p. 448-449, 487 ; t. X, p. 5.
19 CE, t. XVIII, p. 765 ; t. XXXXI, p. 194 ; t. LII, p. 527.
20 CE, t. XXV, p. 273, 297, 322, 497 ; t. LVI, p. 500 ; t. L.X, p. 374, 477-478 ; t. LXII, p. 228- 229 ; t. XVI, p. 319-320.
21 CE, t. XIX, p. 250 ; t. XXXXII, p. 303 ; t. LI, p. 428.
22 CE, t. LIV, p. 169 ; t. LXV, p. 452, 499 ; t. LXVII, p. 165. Sur les périls de cette période, cf. Mémoires du Landamman Monod pour servir à l’histoire de la Suisse en 1811, Ed.: J.-C. BIAUDET avec la collaboration de M.-C. JEQUIER, 3 vol., Berne 1975.
23 CE, t. I, p. 148 ; t. VII, p. 551-552 ; t. LXV, p. 499. Après 1815, la procédure est simplifiée : un apprenti va porter les épreuves chez le landamman chargé de la censure, les dépose dans sa cuisine pour les reprendre une ou deux heures plus tard, laps de temps qui permet à l’occasion aux journaux concurrents de se voler des informations exclusives (cf. Pierre GRELLET, Reflets de cent cinquante années. La Gazette de Lausanne de 1798 à 1948, Lausanne 1948, p. 42).
24 CE, t. V, p. 56-57-171 ; t. VII, p. 551-552 ; t. VIII, p. 89. C’est d’ailleurs une tradition du Nouvelliste de ne pas révéler le nom de ses correspondants ; cf. André CABANIS, La presse politique vaudoise sons la République helvétique, Lausanne 1979, p. 116 (Bibl. hist. vaud., 64).
25 CE, t. XIII, p. 251 ; t. XLVII, p. 96.
26 CE, t. LII, 419, 477-478 ; t. LXXII, p. 524.
27 CE, t. XVII, p. 216, 257 ; t. XXXIV, p. 576-377.
28 CE, t. XXXVIII, p. 459 ; t. XL, p. 389-390 ; t. LV, p. 422 ; t. LVII, p. 210, 258.
29 CE, t. LXII, p. 47 ; t. LXIV, p. 429-430 ; t. LXXI, p. 136.
30 CE, t. II, p. 560 ; t. IV, p. 285 ; t. V, p. 56-57 ; t. IX, p. 448-449.
31 CE, t. LX, p. 398 ; t. LXIV, p. 105, 117 ; t. LXV, p. 452 ; t. LXX, p. 544 ; t. LXXV, p. 165, 173, 184.
32 CE, t. II, p. 34, 341, 560 ; t. LXII, p. 384-385,
33 CE, t. III, p. 317-318 ; t. V, p. 113 ; t. VI, p. 379 ; t. XII, p. 34 ; t. XLVIII, p. 260 ; t. LXIII, p. 476.
34 CE, t. XIII, p. 315-316 ; t. LXVII, p. 294, 341.
35 CE, t. X, p. 5 ; t. LXI, p. 17, 60. En 1815 et 1816 se développe une polémique assez vive entre la Gazette de Lausanne et Bleuler, lieutenant-colonel à Berne, sans que le Conseil d’Etat intervienne (CE, t. LXVII, p. 558 ; t. LXV1II, p. 14, 96, 120 ; P. GRELLET, Reflets de cent cinquante années, p. 36).
36 Répertoire chronologique des délibérations du Grand Conseil du canton de Vaud. Période du 14 avril 1803 au 3 mai 1830, Lausanne 1907, p. 252-254 (abrégé dorénavant : Répertoire).
37 ACV, K III 48 (Registres des rapports du Conseil d’Etat et de son administration au Grand Conseil), t. V, p. 9.
38 CE, t. XVI, p. 283-284 ; Répertoire, p. 257 ; CE, t. LXXIX, p. 470.
39 ACV, K VII D 17, liasse sur les « lois de la presse ».
40 CE, t. LXXX, p. 522-523.
41 Cf. t. LXXX1, p. 1, 53, 80, 95, 140, 147 ; ACV, K II 10 (Compte rendu des séances du Grand Conseil), t. IV, p. 1, 6, 14 ; Répertoire, p. 270, 275-276 ; RL Vd, t. XVII, p. 89 ; cf. compte rendu des débats devant le Grand Conseil dans la Gazette de Lausanne, 1820, n° 41-43.
42 CE, t. I, XXXIII, p. 292-293.
43 CE, t. LXXXIII, p. 546 ; t. LXXXIV, p. 5, 54 ; ACV, K IJ 10, t. IV, p. 44-50 ; RL Vd, t. XVIII, p. 7-8.
44 CE, t. LXXXVI, p. 149, 255, 265, 440, 535 ; ACV, K II 10, t. IV, p. 99-105 ; Répertoire, p. 294-298 ; ACV, K VII D 17, liasse sur les « lois sur la presse ».
45 RL Vd, p. 11-30, G. ARLETTAZ, Libéralisme..., p. 198.
46 Gazette de Lausanne, 17 mai 1822, n° 40 ; (CE, t. LXXXVII, p. 107, 197-198 ; P. GRELLET, Reflets de cent cinquante années, p. 39-40.
47 CE, t. LXXXVI1, p. 536, 561, 591, 421, 449, 463.
48 CE, t. LXXXVIII, p. 445 ; G. ARLETTAZ, Libéralisme..., p. 202.
49 CE, t. LXXXIX, p. 68-69 ; Paul MAILLEKER, Histoire du canton de Vaud, Lausanne 1905, p. 461.
50 CE, t. LXXXIX, p. 68-69, 72, 76.
51 G. ARLETTAZ, Libéralisme..., p. 203-204 ; CE, t. LXXXIX, p. 177, 179-180, 195.
52 G. ARLETTAX, Libéralisme..., p. 204 ; CE, t. LXXXIX, p. 360.
53 G. ARLETTAZ, Libéralisme..., p. 204 ; CE, t. LXXX1X, p. 564 ; t. XC, p. 2, 10, 71 ; ACV, K II 10, t. IV, p. 185-191.
54 RL Vd, t. XX, p. 14-15.
55 ACV, K VII D 17, liasse sur les « lois sur la presse » ; CE, t. XC, p. 267, 278, 295, 351-352, 357, 359-360.
56 CE, t. XC, p. 385, 435, 568.
57 CE, t. XC, p. 253-214, 377 ; t. XCI, p. 34, 85.
58 CE, t. XCI, p. 85, 95, 155 ; G. ARLETTAZ, Libéralisme..., p. 205.
59 CE, t. XCI, p. 169 ; ACV, K VII D 16, liasse sur « le Nouvelliste vaudois », f° 1, 5, 15.
60 ACV, K II 10, t. IV, p. 285 ; RL Vd, t. XXI, p. 53-54.
61 CE, t. XCV, p. 286, 344 ; ACV, K II 10, t. IV, p. 349, 350, 353, 357, 359 ; RL Vd, t. XXII, p. 33-35.
62 CE, t. XCVI, p. 146, 153 ; RL Vd, t. XXII, p. 99-104.
63 CE, t. XCVII, p. 439 ; t. XCVIII, p. 55, 211, 266 ; t. C, p. 544, 599 ; t. CI, p. 35, 64 ; RL Vd, t. XXIII, p. 17-19, 90-95 ; t. XXIV, p. 86-94.
64 CE, t. XCIX, p. 270, 523 ; t. CI, p. 4, 12, 28, 36.
65 CE, t. CII, p. 66-106 et 442-582 passim ; ACV, K VII D 16, liasse sur « le Nouvelliste vaudois », f° 37-52.
66 CE, t. CIII, p. 262, 535-536 ; t. CIX, p. 581 et passim ; G. ARLETTAZ, Libéralisme..., p. 389- 590.
67 CE, t. CVII, p. 219 ; t. CXIII, p. 419.
68 CE, t. CIV, p. 158, 209, 243, 296.
69 CE, t. CX, p. 260, 467, 473, 478, 516 ; t. CXI, p. 178, 182, 197, 235, 326, 332, 378 ; t. CX1II, p. 317.
70 CE, t. CXIII, p. 44 ci passim ; t. CXIV, p. 36 et passim ; G. ARLETTAZ, Libéralisme.... p. 384- 385.
71 CE, CVI, p. 195, 268 ; t. CVII, p. 429, 449-450, 498, 104-105 ; t. CX, p. 507.
72 ACV, K VII D 17, liasse sur « les lois sur la presse » ; CE, t. CXII, p. 7, 112, 154, 160, 192.
73 CE, t. CXIV, p. 91, 93-95, 141 ; ACV, K III 5/2, p. 41 et s. ; Bulletin des séances du Grand Conseil, t. III, p. 52, 120-126.
74 Ibidem ; G. ARLETTAZ, Libéralisme..., p. 387-388 ; Henri DRUEY, Correspondance, Ed. M. Steiner et A. Lasserre, t. I, Lausanne 1974, p. 195-197 (Bibl. hist. vaud., 53).
75 ACV, K III 5/2.
76 CE, t. CXIV, p. 499-500.
Notes de fin
1 Article publié dans la Revue historique vaudoise, 1981, p. 99 à 126.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Les Facultés de droit de province au xixe siècle. Tome 1
Bilan et perspectives de la recherche
Philippe Nélidoff (dir.)
2009
Les Facultés de droit de province au xixe siècle. Tome 2
Bilan et perspectives de la recherche
Philippe Nélidoff (dir.)
2011
Les désunions de la magistrature
(xixe-xxe siècles)
Jacques Krynen et Jean-Christophe Gaven (dir.)
2012
La justice dans les cités épiscopales
Du Moyen Âge à la fin de l’Ancien Régime
Béatrice Fourniel (dir.)
2014
Des patrimoines et des normes
(Formation, pratique et perspectives)
Florent Garnier et Philippe Delvit (dir.)
2015
La mystique déracinée. Drame (moderne) de la théologie et de la philosophie chrétiennes (xiiie-xxe siècle)
Jean Krynen
2016
Les décisionnaires et la coutume
Contribution à la fabrique de la norme
Géraldine Cazals et Florent Garnier (dir.)
2017
Ceux de la Faculté
Des juristes toulousains dans la Grande Guerre
Olivier Devaux et Florent Garnier (dir.)
2017