Les amis de la liberté*
p. 543-574
Texte intégral
Apparition de la Société des amis de la liberté
1La Révolution vaudoise a eu ses sociétés populaires, comme la Révolution française, ou plutôt à l’imitation de la Révolution française. La plupart des contemporains s’accordent à voir dans les divers clubs qui apparaissent un peu partout au début de 1798, le résultat de l’influence de la Grande Nation. Il y aurait d’abord le prosélytisme naturel des sociétés en place dans les villes de France proches de la Suisse, ravies d’accueillir les Vaudois de passage et les invitant à susciter de telles réunions de retour chez eux1. Mallet du Pan subodore des contacts entre la Société des Jacobins de Dijon et les mécontents de Lausanne2. Rosset, qui a participé à la commémoration du 14 juillet et auquel on prête de sombres desseins, s’entend interroger par la commission d’enquête bernoise au sujet d’un voyage qu’il vient d’effectuer à Pontarlier : on le soupçonne de s’être alors affilié au club de la ville3.
2Certains vont plus loin, surtout les contre-révolutionnaires, hostiles tant aux changements qu’à l’influence de leur puissant voisin. Le Directoire français est accusé de répandre des agents provocateurs qui « s’introduisaient dans les classes moyennes, y semaient des bruits alarmants, cherchaient à les réunir en clubs et souvent y parvenaient »4. Le passage de Bonaparte marquerait le signal de l’arrivée d’une « nuée d’émissaires français », conduits par Mengaud, représentant la France en Suisse. « Des agitateurs parcouraient les villes et les campagnes ; on forma des clubs clandestins en quelques lieux ; la légation de Baie leur promit hommes, secours et argent »5. Ces auteurs semblent surestimer les moyens mis en œuvre par le gouvernement français, alors plus soucieux d’acheter la bienveillance d’une presse parisienne obstinément malintentionnée, que d’entretenir des boutefeux en Suisse. Si l’on peut voir dans certains désordres la main de l’étranger, il ne faut pas en attribuer la responsabilité à une cohorte disciplinée d’agents rétribués, mais plutôt à quelques aventuriers, agissant de leur propre mouvement pour tirer parti de toutes les opportunités. C’est ainsi qu’un certain Favre de l’Aude parcourt le canton de Vaud et organise des clubs à Lausanne, Vevey et Morges, sans que le bailli de Lausanne ose sévir par peur de mécontenter le Directoire que l’on croit à l’origine de l’opération. C’est toutefois si peu le cas que les troupes françaises, dès leur entrée en Suisse, n’auront rien de plus pressé que d’arrêter cet agitateur6.
Du Comité secret à la Société populaire
3De tous les clubs fondés en 1798, les « Amis de la Liberté » de Lausanne s’affirment comme le plus important. La surveillance des autorités bernoises, sans doute aussi les hésitations des membres fondateurs, ont retardé sa mise en place puisque la première réunion a lieu le 9 février seulement, au temple de Saint-Laurent. Cette séance inaugurale est le résultat de plus d’un mois de manœuvres très progressives et clandestines. Plusieurs groupements se sont succédé, remplacés, progressivement élargis, jusqu’à donner le jour à la Société des amis de la Liberté. Il ne serait pas toujours facile d’y voir clair si le Cercle des jeunes négociants ne donnait à toute cette agitation son unité de lieu : c’est le local de cette association, place de la Palud, qui abrite les groupements réunissant successivement les éléments avancés de la population.
4Les Jeunes négociants accueillent d’abord -première étape- un comité secret apparu le 1er janvier et dont les membres se lient par un serment tout à fait dans la tradition des conjurations médiévales, mêlant velléités révolutionnaires et scrupules bourgeois : « Je jure d’être fidèle à la cause de la Liberté et de l’Egalité ; de sacrifier, s’il le faut, pour elle ma fortune et ma vie ; et de faire respecter les personnes et les propriétés »7. C’est encore peu de chose : à l’origine six personnes seulement, mais encouragées par la fermentation des esprits et la protection accordée aux Vaudois par le Directoire français. Les membres de ce comité secret se mettent en devoir de répandre des proclamations qui revendiquent la réunion d’une assemblée des députés du Pays de Vaud pour réformer les abus. Ces pétitions doivent permettre d’accélérer le cours des événements et de rassembler davantage de partisans autour d’une idée mobilisatrice8. C’est un succès : la maison des Jeunes négociants, qui sert de local pour recueillir les signatures, voit défiler un nombre important de « pétitionnaires » ou « réclamants », pour employer la terminologie de l’époque. On ne peut laisser cet enthousiasme inemployé et le comité secret se met en devoir d’encadrer ces nouveaux adeptes.
5Il songe d’abord à convoquer une assemblée populaire réunissant tous les pétitionnaires, mais une telle initiative paraît hasardeuse et surtout risque de se heurter aux réticences des agents publics encore en place. Finalement, les patriotes se résolvent à placer les intérêts communs entre les mains d’un « Comité de réunion » qui siégera en permanence9. Le 13 janvier est adopté un règlement intérieur très complet prévoyant que les douze membres sont élus par l’ensemble des pétitionnaires, organisant un bureau composé d’un président, d’un vice-président et de trois secrétaires, n’oubliant ni d’octroyer une voix supplémentaire au président en cas d’égalité des suffrages, ni de déterminer un quorum de quatre membres pour que les délibérations soient valables, complétant le dispositif par l’existence de six suppléants éventuellement appelés à participer aux séances. Outre sa précision, le texte se caractérise par un souci évident d’assurer la rotation rapide des élus : deux membres du comité sont éliminés par le sort chaque quinze jours, le caissier est également désigné pour quinze jours, le président et le vice-président pour huit jours, les secrétaires sont « renouvelés selon l’exigence des cas », les membres du bureau ne sont pas immédiatement rééligibles. Le rôle reconnu par ce règlement au Comité de réunion semble particulièrement important : il « s’occupera de tous les objets qui intéressent les réclamants et la cause commune ». Pratiquement, il doit se tenir en permanence à la disposition des particuliers qui ont des revendications à présenter ou des renseignements à demander, entretenir une correspondance suivie avec les patriotes des diverses communes du pays, en un mot représenter « les réclamants dans tous les cas relatifs aux affaires d’un intérêt général », quitte à organiser une réunion exceptionnelle de l’ensemble des pétitionnaires « lorsqu’il s’agira d’objets d’une importance majeure »10. C’est, bien sûr, le local des Jeunes négociants qui continue à servir de cadre à cette activité débordante.
6Durant la seconde quinzaine de janvier, le nouveau Comité de réunion est à tous les combats, au moins par la parole. Il polémique avec Weiss, général en chef des troupes de Berne, et ce n’est pas la moindre surprise des contemporains de surprendre le représentant de LL. EE. s’abaissant à des controverses avec un organisme plus ou moins insurrectionnel. Le procédé paraît d’autant plus maladroit que Weiss, par son ancienne fraternité avec Robespierre, ne semble pas le mieux armé pour défendre, la plume à la main, les traditions constitutionnelles et le maintien du statu quo. Le Comité de réunion ne laisse pas passer l’occasion de rappeler ses prises de position antérieures, notamment contre Louis XVI, « monarque idiot »11. Le Comité correspond également, quoiqu’en employant des termes autrement déférents, avec les militaires français qui stationnent aux frontières. Le 23 janvier au soir, ce sont deux de ses membres, Georges Rouge et Hedelhoffer, qui, de retour du pays de Gex, remettent à l’Assemblée des villes et des communes une lettre décisive du général Ménard, commandant des troupes françaises, promettant la protection du Directoire aux patriotes vaudois : « Vos ennemis seront les nôtres [...]. L’armée d’Italie vous couvre. » C’est encore le Comité de réunion qui, le même soir, reçoit de Paris les exemplaires d’une brochure signée Laharpe et Perdonnet, engageant les communes du Pays de Vaud à proclamer leur indépendance vis-à-vis de Berne et à constituer une assemblée représentative12. La lettre de Ménard et le libelle de La Harpe vont précipiter les événements. Pendant la nuit du 23 au 24 janvier, une agitation populaire exceptionnelle se développe autour du Comité. C’est à sa suite que les Lausannois adoptent alors la cocarde verte, c’est à la fenêtre de son local qu’apparaît le premier drapeau portant « République Lémanique. Liberté, Egalité »13. Le 24 janvier, l’Assemblée des villes et des communes saute le pas et se proclame Représentation nationale provisoire du Pays de Vaud. La rupture avec Berne est consommée. Les troupes françaises vont envahir le pays, prétextant la mort de deux hussards à Thierrens. Les anciennes prudences ne semblent plus de mise et le Comité de réunion va pouvoir songer à réunir régulièrement et au grand jour l’ensemble des pétitionnaires, regroupés au sein d’une société populaire. Nouvelle étape à franchir.
7Ce ne sera pas sans mal. Develey raconte : « Nous sentîmes le besoin de former un club ou une assemblée populaire sous le nom de Société des Amis de la Liberté ; nous nous occupâmes sérieusement de cela, et nous eûmes bien des difficultés et des oppositions à vaincre avant d’y parvenir »14. L’opposition semble surtout venir des autorités officielles, plus ou moins sincèrement ralliées à la Révolution. En même temps, la création d’une société populaire, regroupant les pétitionnaires, s’affirme d’autant plus nécessaire que des rivaux semblent apparaître dans le canton de Vaud, capables de rassembler la population au sein d’une organisation concurrente. Un épisode de la séance tenue le 2 février par l’Assemblée provisoire témoigne à la fois de cette inquiétude du Comité de réunion et des réticences des organes publics. Une délégation du Comité demande à être reçue par l’Assemblée et vient se plaindre que, depuis quelques jours, le peuple de Lausanne « paraît se détacher d’eux et vouloir former un parti séparé ». Ils réclament qu’on interdise la formation d’une autre société populaire qui diviserait les esprits. Cette demande de monopole éveille peu d’échos favorables : « Mention honorable du civisme des membres du Comité de réunion et passé à l’ordre du jour »15. A la même époque, quelques membres du comité cherchent un local pour la nouvelle société et leurs demandes éveillent l’inquiétude des propriétaires16.
8Un changement intervenu à la tête des troupes françaises occupant le canton de Vaud va modifier les données du problème. Le général Ménard s’était efforcé de comprimer les mouvements subversifs. Le général Brune le remplace, conscient de la faiblesse des effectifs qu’il peut aligner en face des troupes de Berne. En attendant les renforts de l’armée du Rhin, il cherche à gagner du temps par des semblants de négociations. Il s’efforce de s’appuyer sur les éléments les plus avancés de la population vaudoise, pour entraîner les autorités officielles, peu soucieuses d’en découdre. Il se fait admettre à l’Assemblée provisoire, l’accable de promesses et l’exhorte à former des bataillons de volontaires contre « les bandes égarées de l’oligarchie »17. Il produit lettre sur lettre, proclamation sur proclamation, donnant en exemple le civisme du Comité de réunion18. Tout logiquement, il favorise l’apparition des « Amis de la Liberté » qui semblent servir ses desseins en ouvrant de nouvelles possibilités de manœuvre. « Peut-être n’aurions-nous pas réussi sans l’aide du général Brune », reconnaît Develey19. La Société ne s’en cache d’ailleurs pas et dans une pétition rédigée trois mois plus tard, rappelle qu’elle s’est créée « sous les auspices du général Brune qui la protégeait »20.
9La première séance se tient donc le 9 février au temple de Saint-Laurent. Boisot prononce le discours inaugural d’un ton plutôt modéré21 C’est ensuite l’adoption du règlement intérieur. Il s’ouvre par une courte déclaration de principe, avec quelques lieux communs contre les ennemis de « notre heureuse révolution » et sur les lumières du patriotisme. Incidemment, les membres se flattent « que leurs intentions honnêtes et patriotiques ne seront pas désapprouvées des généraux français qui nous environnent ». Suivent onze articles très précis. Les « pétitionnaires » sont membres de droit, toute nouvelle recrue devra être présentée par quatre membres en place et recevoir une carte lui permettant de participer aux séances. La Société élit un président, un vice-président, deux secrétaires et huit inspecteurs. On retrouve le même souci de provoquer une rotation rapide des élus que dans le règlement du Comité de réunion : président et secrétaires sont renouvelés tous les huit jours et pas rééligibles avant un mois ; les inspecteurs responsables de la salle sont nommés pour la journée22.
10La mise en place des Amis de la Liberté apparaît comme une victoire du Comité de réunion, mais aussi comme une menace contre son existence, le rendant désormais superfétatoire. Il est vrai que le règlement même de la Société prévoit le maintien du Comité et, par ses articles 5, 8 et 11, le charge de recevoir les procès-verbaux des secrétaires et de distribuer les cartes de membre signées par le président. Il sera désormais composé de 18 personnes, élues lors de la première séance. Cette survie ne semble pas faire l’affaire de tous et Dubois propose alors d’adapter son organisation au nouvel ordre des choses en le réformant, en le transformant en simple « comité de correspondance ». Boisot s’y oppose : « le Comité de Réunion étant le berceau de la liberté vaudoise et étant connu sous ce rapport dans tout le pays de Vaud, il ne doit pas changer de nom ». On décide donc de le conserver en l’état avant de procéder à l’élection des 18 membres23. Trois jours plus tard, la Société votera, à l’intention du comité, un règlement intérieur tout à fait proche de celui qui avait été adopté le 13 janvier précédent, tenant simplement compte de la création de la Société24. Le Comité continuera d’avoir une action personnelle, préparant plusieurs motions de sa propre initiative, avant de voir son activité diminuer progressivement au profit de la Société qu’il a créée25.
Les Amis de la Liberté et leur idéologie
11Pour ce qui est du nombre des participants à chaque séance, les comptes rendus publiés dans L’Ami de la Liberté puis dans le Régénérateur26 ne permettent pas d’avancer un chiffre précis, tout au plus d’esquisser une courbe d’évolution de ce nombre et d’identifier les principaux intervenants. Ainsi, il ne fait pas de doute qu’une certaine désaffection se fait jour, un mois à peine après la séance inaugurale, une fois passé le premier engouement et surtout après les élections. Les candidats n’ont plus besoin d’une tribune pour exposer leur programme aux électeurs et l’intérêt faiblit. Il se présente peu d’orateurs au point de conduire le bureau, le 14 mars, à espacer les réunions et à définir un thème de discussion pour chaque séance, espérant ranimer l’intérêt27. C’est peine perdue et, dix jours plus tard, le président en place constate que ce sont non seulement les intervenants mais aussi les spectateurs qui se raréfient. Il en vient à douter des possibilités de survie de la société. Chacun y va de sa suggestion. Certains songent à rendre les interventions plus distrayantes par des lectures, des chants, l’exécution de morceaux de musique. D’autres proposent d’ouvrir les séances au public et d’attirer les modérés en gommant les aspects trop révolutionnaires qui peuvent les avoir effrayés28. On peut craindre alors que la Société ne s’éteigne progressivement faute de participants, mais les persécutions des pouvoirs publics ne lui en laisseront pas le temps. Si le compte rendu des séances ne chiffre pas l’importance de l’auditoire, du moins fournit-il le nom des orateurs et l’on est surpris de rencontrer toujours à peu près les mêmes personnes, un petit nombre de tribuns continuellement sur la brèche mais ne se renouvelant guère. Ce sont au total un peu plus de quarante personnes qui apparaissent au gré d’une cinquantaine de séances. Encore faut-il défalquer de ce total un certain nombre de militaires français de passage, qui ne peuvent être comptés comme membres permanents mais auxquels une délibération spéciale permet d’assister aux séances, à droite du président29. Parmi eux, Suchet, futur maréchal de France, tombé sur une séance particulièrement véhémente, vient prêcher la modération. Quant à Bote, « jeune militaire français », il se taille quelques succès faciles en chantant des hymnes patriotiques30. La population vaudoise fournit également des figures pittoresques, tel ce Piccard, étudiant, qui regrette que l’on ne puisse élever un cénotaphe pour Amédée Laharpe dans le temple de Saint-Laurent, ce Falconnier, forgeron, promettant que « tant qu’il me restera un souffle de vie, je briserai, j’amincirai et détruirai les fers de l’aristocratie sous le marteau de l’égalité », ou encore Prades, habitué des séances dès douze ans, venu faire hommage de ses œuvres à la Société puis lui lisant la lettre d’un de ses camarades hostile à la place faite au latin et au grec dans son collège. Applaudissements et baiser fraternel du président31.
12Si l’on met de côté des individualités sympathiques mais qui ne suffiraient pas à faire la réputation d’une société populaire, il n’y a guère que 23 intervenants qui apparaissent plus d’une fois32. Au premier rang des orateurs les plus diserts : Raymond, dont les comptes rendus parlent avec d’autant plus d’enthousiasme que c’est peut-être lui qui les rédige33. C’est aussi le plus extrémiste des membres de la société. Il joue un rôle décisif, dès le 9 février. Après lui, le libraire Mourer, dont le nom apparaît plus tardivement, semble affecter une modération de bon aloi. Chacun d’eux, Reymond et Mourer, tente de jouer un certain rôle de chef de file. Ils se livrent une lutte d’influence très discrète mais parfois perceptible.
13A défaut de fournir des statistiques exhaustives sur le public en séance, les comptes rendus donnent une idée assez précise des opinions émises et des positions adoptées par les Amis de la Liberté. Pour eux, il ne s’agit pas seulement de confronter des points de vue plus ou moins convergents, mais surtout d’éclairer le peuple. Ils se reconnaissent un rôle pédagogique indispensable au succès de la révolution. Lors de la première séance, Boisot proclame cette fonction de toute société populaire : « C’est sans doute pour vous instruire de ces grands principes que des citoyens pleins d’amour pour la patrie vous ont invités à vous réunir dans ce lieu. Ici nous pourrons débattre les pouvoirs des gouvernements et des gouvernés, nous étudierons les lois qui font le bonheur des Etats, nous fixerons les limites des pouvoirs et nous ferons voir la manière dont ils doivent être balancés. » Il fait une description très imagée du cheminement de ces bonnes idées gagnant, de proche en proche, toutes les couches sociales : « Alors nous verrons le peuple entier contracter l’alliance d’un même langage, d’une même opinion. [...] Il se formera une masse progressive d’instruction, une atmosphère croissante de lumière : la vérité sortira de la nuit obscure où les tyrans l’avaient enveloppée ; elle deviendra l’immuable règle de la conduite de tous les citoyens. Les idées se communiquant, des classes entières seront instruites, et la science politique deviendra vulgaire »34 Bien entendu, dans cette perspective pédagogique, les Amis de la Liberté n’ont jamais de mots assez durs contre « la fatale ignorance », « compagne inséparable de l’esclavage » : « combien ton funeste bandeau peut être nuisible aux progrès de notre liberté ! Si l’on ne se hâte de le déchirer, que de maux ne produirait-il pas encore dans notre patrie [...]. Vaudois, défiez-vous de ces hommes qui cherchent à persuader par leurs discours qu’il ne manquerait rien à votre instruction »35.
14L’enthousiasme est général dans le temple de Saint-Laurent, au moins pendant les premières séances. Pour les contemporains, « un tableau tout à fait nouveau, animé et varié », en même temps « sujet d’alarmes pour quelques personnes »36. Modérés et extrémistes évitent de s’opposer. Si l’on fait la part des hésitations et des contradictions, inévitables dans une telle assemblée populaire, les discours recueillent des applaudissements uniformément unanimes et les motions sont votées sans que personne esquisse une objection. La Société donne une image assez cohérente d’elle-même. Cohérente par l’accord qui paraît régner entre les membres, beaucoup moins cohérente si l’on s’interroge sur la compatibilité des idées successivement émises et toujours adoptées avec enthousiasme. Les Amis de la Liberté accueillent en effet toutes les influences issues du XVIIIe siècle, ils se placent au carrefour de courants divergents qui n’ont en commun que le prestige de la nouveauté et le goût du changement. Ils adhèrent de confiance aussi bien à l’idéal démocratique de Rousseau qu’au libéralisme nuancé d’aristocratie et de conservatisme de Montesquieu.
15La Société voue à l’auteur du Contrat social une dévotion qu’elle n’accorde à aucun autre penseur politique. Il fait l’objet d’un véritable culte, particulièrement spectaculaire lorsque tous les membres traversent la ville en procession pour porter son buste jusqu’au temple de Saint-Laurent. Dans la tradition des fêtes de l’Etre Suprême à Paris, deux jeunes filles symbolisent la Liberté et l’Egalité. C’est l’occasion de discours émus prononcés par Boisot, Reymond et Ravizza à la gloire du philosophe genevois37. Son influence transparaît même lorsque son nom n’est pas cité, surtout lorsque son nom n’est pas cité et que ses idées sont acceptées, sans discussions, sans vérifications, sans même de référence. On adopte sa méthode : pas de réflexions sur l’origine des gouvernements ou sur la liberté inaliénable qui ne commence par une évocation de l’état de nature, point de départ obligé de toutes les déductions38. A la suite de Rousseau et de Bernardin de Saint-Pierre, chacun s’attendrit sur le bon sauvage ou, plus proche, sur le vertueux paysan, sur « la force et la santé qu’il possède bien plus que le citadin, son contentement d’esprit et la pureté de ses innocents plaisirs qui [sic] n’obscurcissent point les soucis rongeant et l’ambition inaltérable [sic] »39.
16La loi est placée au-dessus de tout, « expression du vœu général », « pacte qui unit les citoyens entre eux : dans un Etat démocratique, tous les membres concourent à sa formation ». Les Amis de la Liberté rappellent au peuple qu’il est seul dépositaire de la souveraineté. « L’universalité des citoyens est le souverain. Aucune partie ou au droit de la souveraineté ne peut être détaché de l’ensemble pour devenir une propriété particulière. »40 Les orateurs n’acceptent de s’éloigner des idées de Rousseau que pour tenir compte de l’expérience révolutionnaire française, pour sacrifier aux analyses de Sieyès et faire une place aux organes de représentation. Chaque hommage à la souveraineté du peuple est l’occasion de faire allusion à la nécessité pour ce dernier de désigner des mandataires.
17A côté de ces prises de position très avancées où la souveraineté nationale le dispute à la souveraineté populaire, les Amis de la Liberté demeurent sensibles à des analyses plus modérées, marquées par le libéralisme aristocratique proche de Montesquieu ou de Voltaire. C’est l’occasion de développer un thème, source d’interminables variations, sur la différence entre liberté et licence. Les orateurs brodent inlassablement autour de cette idée qui permet un mariage heureux entre leur vœu de changement et leur tradition de modération. On en vient tout naturellement à disserter de la distinction entre l’insurrection, « devoir sacré qui nous est prescrit par la nature », et la révolte, « crime contre la société ». Reymond fait preuve de lyrisme : « l’insurgé ne s’écarte jamais de la justice ; [...] ami de la nature, il est soumis à ses lois ; il ne se lève que pour les défendre. Le révolté n’écoute, ne sert que ses passions ; il leur sacrifie la tranquillité publique ; d’autant plus coupable, qu’en violant les lois que la société s’est imposées, il ne peut plus lui-même prétendre à la protection qu’elles accordent à chacun de ses membres. »41
18Quant à l’égalité, elle ne saurait être que juridique. Il ne peut s’agir de « cette ridicule et chimérique égalisation, que les stupides, les lâches sectateurs du fanatisme et de la royauté accusent journellement, en mentant à leur conscience, les républicains d’avoir pour idole ; non cet absurde niveau, qui mettrait au pair la paresse et le travail, la maladresse et l’industrie, la lâcheté et le courage, [...] non, cette fausse égalité répugne à la nature, qui a créé les hommes inégaux en taille, en force et en esprit, en jugement, en moyens de tout genre »42. Egalité devant les juges, devant l’impôt, devant les emplois publics ou privés, voilà un programme qui leur semble suffisamment ambitieux.
19Ces contradictions et ces réticences n’entament en rien l’optimisme des Amis de la Liberté qui se jugent « la première assemblée d’hommes raisonnables » que le pays ait connue depuis des siècles43 8. C’est faire peu de cas de leurs ancêtres, notamment ceux qui, aux XVe et XVIe siècles déjà, se sont réunis dans le cadre des Etats de Vaud ou des Trois Etats de l’évêché de Lausanne.
La Société des amis de la liberté et l’assemblée provisoire (janvier - mars 1798)
20Des oppositions de principe s’élevant entre ces deux organismes rivaux, leur coexistence ne peut être que provisoire et trouve sa conclusion prévisible dans une mesure d’interdiction prise à l’encontre de la société populaire.
Des oppositions de principe
21Rien de bien surprenant que l’Assemblée provisoire et le Comité de réunion devenu Société des Amis de la Liberté, n’aient pu coexister sans heurts.
22Une première source d’oppositions réside dans la conception que chacun de ces deux organismes se fait de son rôle. Jusqu’à la proclamation de l’Assemblée provisoire, le Comité de réunion a joué un rôle moteur, comme un véritable organe représentatif, revendiquant au nom du peuple, adressant ses consignes aux autorités publiques, en correspondance avec l’étranger44. C’est enfin sur sa suggestion que le comité central s’est proclamé « Assemblée des délégués des villes et des communautés » avant de se transformer en « Représentation Provisoire du Pays de Vaud »45. On aurait pu imaginer que le Comité, moins scrupuleux ou moins timide, revendique ce titre pour lui. Certains lui ont d’ailleurs tenu rigueur d’avoir ainsi laissé échapper le premier rôle : « Aurait-il dû [...] quand il avait l’autorité en main, et qu’il était sûr de vouloir le bien du Peuple, aurait-il dû remettre les rênes du Gouvernement à des hommes peut-être très capables, très probes, très bien intentionnés, mais dont il ne connaissait point suffisamment les principes, et dont le pouvoir n’était pas plus légal que le sien ? N’aurait-il pas dû, au contraire, former le noyau de l’Assemblée Représentative, et appeler à lui, pour le moment, les Députés des Pétitionnaires des autres Villes du Pays, au lieu des Députés des différentes Magistratures ? »46 Pour expliquer la singulière prudence du Comité de réunion, sans doute suffit-il de rappeler que l’Assemblée provisoire parvient à rallier presque tous les notables vaudois, des personnages qui ont déjà occupé des fonctions importantes à l’époque du régime bernois, connus. Il est vrai qu’ils s’emploient à canaliser les événements, mais les jeunes gens du Comité de réunion ne peuvent se substituer à eux, ils ne bénéficient pas, au sein de la population, de la même notoriété et, partant, de la même confiance.
23L’Assemblée provisoire, une fois installée, confortée par l’arrivée incessante de nouveaux membres représentant les communes jusque-là réticentes, s’empresse de remettre chacun à sa place. Moins d’une semaine après sa création, alors que les troupes françaises s’apprêtent à franchir la frontière et à pénétrer dans le Pays de Vaud, le président se préoccupe « d’atténuer l’influence que pouvait avoir le Comité de réunion en prenant ainsi qu’il semble le faire l’initiative sur des objets dont ce corps de représentation générale est appelé à s’occuper ». Sur quoi, il est décidé de ne plus accepter aucune motion présentée directement par un particulier. Pour être mise en délibération, une proposition devra obligatoirement avoir été transmise par l’un des délégués des villes, présentés ainsi comme seuls représentants légitimes de la population, seuls habilités à exprimer ses souhaits47. Deux jours plus tard, nouvelle occasion d’affirmer la prééminence de l’Assemblée : constatant la vacance des autorités traditionnelles, le Comité de réunion s’était cru autorisé à délivrer des passeports signés par ses membres. C’était usurper une prérogative de puissance publique. L’Assemblée convoque deux représentants du Comité, leur fait reconnaître leur imprudence et proclame par affichage « aux piliers publics », que c’est désormais à elle seule qu’il appartiendra de légaliser les passeports48. Ces deux décisions reviennent à refuser au Comité aucune fonction officielle, malgré son action passée.
24La Société des amis de la liberté, officiellement apparue après la proclamation de l’Assemblée provisoire, ne peut prétendre se dresser en rivale de cette dernière. Du moins revendique-t-elle une fonction de contrôle. François explique qu’il leur revient de surveiller les pouvoirs publics. « Si cette société se dissout, l’esprit public se perdra [...]. Les autorités constituées ne seront pas surveillées, elles marcheront suivant leur caprice et sans doute d’un pas incertain, puisqu’elles ignorent le vœu du peuple. »49 L’Assemblée, dans la première motion qui lui est adressée, s’entend sommer de rendre publiques ses séances « afin que l’œil du peuple puisse surveiller ses droits et son bras les défendre en cas de besoin »50. Les Amis de la Liberté ne voient, bien sûr, personne qui soit mieux placé qu’eux pour exprimer les souhaits réels des masses populaires. Les motions présentées, les nominations souhaitées le sont « au nom du peuple » ; jusqu’aux statuts de la Société qui se font l’écho de cette prétention51. Ne pouvant prétendre à la même représentativité que l’Assemblée qui intègre des députés venus de tout le canton, elle prend soin de correspondre avec les autres clubs, souvent issus des mouvements suscités quelques semaines plus tôt par le Comité de réunion52. Lorsque l’Assemblée ou l’une de ses commissions ne défère pas à leur souhait, les membres de la Société n’hésitent pas à s’adresser directement aux troupes françaises et d’abord à leur premier protecteur, au général Brune53.
25Ils vont plus loin et s’érigent en censeurs des députés qui leur ont déplu. Ils réclament l’exclusion de Secretan qui s’est imprudemment attaqué à la Société54. Ils exigent que Cornaz de Moudon, autre membre de l’Assemblée, qu’un départ précipité fait soupçonner de complicité avec Berne, soit considéré comme traître et rayé de la liste des citoyens55. L’Assemblée provisoire ne peut déférer à de telles injonctions, surtout lorsqu’elles sont dirigées contre l’un des siens. Recevant la délégation des Amis de la Liberté venue réclamer le départ de Secretan, le président réplique que « ce n’est point à une société quelconque de juger les membres de l’Assemblée provisoire »56. Quant à Cornaz de Moudon, il parviendra à se disculper à son retour et sera finalement réhabilité57. D’une façon générale, les représentants officiels de la population vaudoise refusent de se croire tenus à rendre des comptes à un groupe de particuliers.
26Des différences dans la conception de leur rôle respectif ne peuvent suffire à expliquer l’antagonisme entre Assemblée et Société. Le conflit est plus profond et les positions politiques de ces deux corps sont très éloignées. A la modération de l’Assemblée correspond l’extrémisme, au moins verbal, de Reymond et de certains des Amis de la Liberté, désireux de conduire la révolution aussi loin que possible. Par leur assiduité aux séances et la fréquence de leurs interventions, ils donnent à la Société une coloration qui effraie les corps constitués. Leurs attaques contre les aristocrates et les tenants du régime bernois tranchent sur l’habituelle modération de leurs compatriotes. Quatre jours après la création de la Société, l’un des membres demande une réunion exceptionnelle pour dénoncer les paysans d’Ecublens qui, à l’occasion d’une réunion des milices, ont foulé aux pieds la cocarde verte et acclamé LL. EE. de Berne. La tolérance des patriotes ne va pas jusqu’à accepter une telle attitude. Ce n’est qu’une clameur dans le temple de Saint-Laurent : il faut « venger la cause de la liberté et anéantir ces vils partisans de l’esclavage ». Lorsqu’il s’agit de s’inscrire, le nombre des volontaires est très réduit. Un délégué de la Société va inviter le comité militaire de l’Assemblée à prendre des mesures puis, devant ses réticences, s’adresse au général Brune et au commandant de la place de Lausanne. Tant et si bien que quelques meneurs ou supposés tels finiront par être arrêtés58.
27C’est surtout à propos des élections que la Société croit devoir jouer un rôle de censeur. Reymond se plaint que l’Assemblée provisoire n’a pas osé interdire aux contre-révolutionnaires de se porter candidats. Il est vrai qu’une telle mesure aurait été inconstitutionnelle, mais, dit-il, la présence de ces aristocrates ne l’est pas moins. Develey cite le nom de cinq élus, jugés « tous vils agents des Bernois ». On se félicite que Pillichody et Russillon aient été arrêtés, ce qui les a empêchés de briguer les suffrages : ils auraient été élus. Finalement, la Société décide d’écrire au général Brune pour qu’il annule les opérations électorales et convoque de nouveau les assemblées primaires. Develey souhaite même que ce soit le général français qui, comme Bonaparte en Italie, désigne lui-même les électeurs59. Désespérant d’obtenir une mesure si extrême, Reymond tente d’arracher la décision en suscitant des désordres au cours des opérations électorales. Sans plus de succès60.
28Au premier rang de ces modérés dont le club se méfie : les membres de l’Assemblée elle-même. Cependant, cette méfiance transparaît peu dans le compte rendu des séances du temple de Saint-Laurent. Tout au plus trouve-ton quelques critiques dirigées contre tel député ou contre l’une des commissions de travail, par exemple contre le comité militaire « dont l’impéritie et la faiblesse sont connues »61. En fait, chacun sait que cette réserve dissimule une certaine animosité. Reymond ayant approuvé une mesure prise par le législateur, un député, présent au club, relève cette approbation comme un événement exceptionnel62. Si l’on veut trouver des traces de l’état d’esprit réel des Amis de la Liberté en ce domaine, il faut le rechercher dans leurs conversations ou leur correspondance privée. Ainsi, dans une lettre adressée à La Harpe, Develey accuse l’Assemblée d’avoir été « formée sous le règne de l’oligarchie ; et les députés à ce corps n’étaient point les députés du peuple, mais les députés des conseils aristocratiques des villes et des villages. Aussi n’avait-il point de vigueur, il laissait partir les baillis et leurs trésors, tous leurs effets, même des amas de fusils. En tout et partout il ne prenait que des demi-mesures »63.
Une coexistence provisoire
29Société et Assemblée ne peuvent guère s’entendre. En même temps, les circonstances, surtout les opérations militaires contre Berne, rendent difficile une opposition trop ouverte. Chacun des deux protagonistes va jouer un jeu subtil, évitant d’atteindre le point de rupture pour laisser quelques chances à une coexistence provisoire.
30La Société tente de ne pas trop inquiéter. Boisot fait allusion au risque qu’une société puisse devenir une source de désordres, pour nier, bien sûr, qu’il risque d’arriver rien de semblable aux Amis de la Liberté641. Dubois revient sur cette réputation : « Les ennemis de notre société la peignaient comme une troupe de séditieux. » Ils prétendent que l’on y vote des motions incendiaires. Pour les désabuser et prendre l’opinion à témoin, la Société décide la publication d’un bulletin chargé de rendre compte des séances et, avantage supplémentaire, de provoquer la création d’autres sociétés populaires dans tout le canton. Dubois ajoute qu’il est important de veiller à la bonne tenue des réunions, de n’y tolérer ni violence ni trouble, d’expulser tous ceux qui pourraient en être responsables. La Société est convaincue. Elle vote incontinent que les femmes ne seront plus admises aux séances65.
31Certains n’ont aucune peine à donner à la Société une allure rassurante. Ce sont les plus modérés de ses membres, et d’abord Mourer. Il adjure les orateurs d’éviter les attaques personnelles. Après la chute de Berne, il va plus loin. Il prêche la concorde : « Il faut bannir toutes les haines, toutes les animosités, et enfin toutes ces dénominations d’esprit de parti [...]. Il ne doit plus être question d’aristocrates, ni d’oligarques, mais uniquement de citoyens helvétiques. » Comme gage de réconciliation, il propose d’admettre les tenants de l’Ancien Régime comme membres de la Société. L’accueil fait à cette proposition est d’autant plus favorable que la Société se sent menacée, qu’elle craint d’être expulsée du temple de Saint-Laurent66.
32Reymond a davantage de mérite à affecter parfois une modération qui ne correspond pas à son tempérament. C’est en des termes volontairement ambigus qu’il salue la fin du mandat de l’Assemblée provisoire. Se rappelant que, quelques jours plus tôt, Mourer a eu des mots assez durs pour le Comité de réunion sous couleur de le couvrir de fleurs, Reymond indique « je vous invite à en jeter de pareilles sur le tombeau de l’Assemblée provisoire ». Chacun devine la critique sous l’éloge apparent et l’un des membres, Fiaux, tente d’atténuer le coup : s’il est vrai que l’action de l’Assemblée a été souvent discutée, du moins a-t-elle fait de son mieux. « Elle nous a amené à une fin sinon brillante du moins satisfaisante. »67 On aurait pu rêver une oraison funèbre plus élogieuse, encore n’est-elle pas injurieuse.
33L’Assemblée adopte la même attitude conciliante avec les mêmes arrière-pensées. Les Amis de la Liberté lui ayant adressé plusieurs exemplaires du bulletin de leurs séances, elle remercie de cet envoi et lui accorde une mention honorable, étant donné « les principes patriotiques de cette société, l’intérêt de ses travaux et l’utilité de ses vues »68. Il est plus révélateur encore de constater que, si l’on excepte la sortie de Secretan, les motions venues du temple de Saint-Laurent reçoivent en général une réponse favorable.
34C’est le cas, bien sûr, des suggestions qui, plus symboliques qui réellement efficaces, portent peu à conséquence. Ainsi, le 2 février, le Comité de réunion invite-t-il les députés à adopter la devise « Liberté-Egalité » dans leurs actes. « L’Assemblée, considérant que cette devise est en rapport avec ses sentiments et avec les circonstances, déclare que dès ce jour elle l’adopte. »69 L’acceptation est immédiate lorsque la Société et les citoyens de la rue du Bourg prient l’Assemblée de nommer une députation pour la représenter à la cérémonie d’inauguration d’un arbre de la liberté70. De même lorsque la Société souhaite que les pouvoirs publics viennent au secours des parents d’un jeune tambour tombé au combat. Il est vrai que les députés s’étaient déjà saisis de l’affaire71. Réponse également favorable, quoique, après quelques jours de réflexion, à la suggestion d’assurer la publicité des séances de l’Assemblée72. Pour toutes ces motions, apparemment marquées par un patriotisme sincère, il semblait difficile de refuser sans risquer un incident. De toute façon, rien de tout cela n’engage gravement l’avenir.
35Deux autres propositions, également acceptées, sont moins insignifiantes. Le 11 mars, le Comité de réunion attire l’attention de l’Assemblée sur les précautions nécessaires pour éviter que soient soustraits les biens appartenant aux religieux de la Part-Dieu, à Vevey. Cela rejoint tout à fait les préoccupations des députés qui n’entendent pas que la Révolution soit l’occasion de trafics ou de détournements. Le comité de surveillance de Vevey est invité à prendre les mesures nécessaires73. Société et Assemblée se retrouvent également dans une méfiance commune à l’égard des anciens dirigeants bernois. La Société invite l’Assemblée à écrire au général Brune pour qu’il écarte de l’administration bernoise les hommes de l’ancien gouvernement. L’Assemblée charge son comité de surveillance d’adresser des instructions en ce sens aux députés Secretan et Roguin et certains membres surenchérissent en faisant demander à Brune de surveiller et contrôler les déplacements des oligarques bernois et de leurs alliés, notamment Rovéréaz et le major Roux74.
36Pour d’autres questions, l’Assemblée se montre plus réticente, sans toujours oser une opposition ouverte. C’est particulièrement vrai dans le domaine des forces armées, soigneusement tenues à l’abri des influences populaires. La Société avait recommandé la nomination de Wasserfall comme major de place. Le comité militaire refuse d’y déférer et choisit finalement Dapples pour ce poste de confiance75. Autre refus du comité militaire : lorsqu’une délégation de la Société vient, on l’a vu, demander une expédition contre les partisans des Bernois à Ecublens. Un peu plus tard, la Société souhaite que les jeunes gens qui se sont portés volontaires, soient exercés chaque jour aux évolutions militaires76. Les opérations militaires rendront cette suggestion plutôt vaine et dépassée. Dans un autre domaine, et sur proposition de Reymond, une députation va inviter les magistrats de Lausanne à faire effacer de tous les bâtiments les armoiries bernoises et les marques de l’Ancien Régime. Le comité de surveillance de l’Assemblée va se saisir de l’affaire et, bien loin de déférer aux vœux de la Société, impute à certains de ses membres la responsabilité de la destruction de quelques armoiries par des révolutionnaires. Reymond échappe de peu à une arrestation77 ; ce sera pour une autre fois.
La rupture finale
37Dix jours après avoir accepté de paraître, aux côtés des membres de la Société, à l’inauguration d’un arbre de la Liberté, les députés de l’Assemblée provisoire vont décider son expulsion du temple de Saint-Laurent.
38Le problème du lieu de réunion des Amis de la Liberté s’est posé très tôt. Quelques jours avant la création officielle de ce club, un particulier se plaint à l’Assemblée que certains membres du Comité de réunion sont venus chez lui mettre en réquisition des appartements. Il paraît d’autant plus embarrassé que la maison ne lui appartient pas, qu’il n’en est que le gardien. L’affaire est renvoyée à la municipalité78. Finalement, la première réunion se tient au temple de Saint-Laurent et la Société semble vouloir y demeurer. Elle s’y considère chez elle, au point d’envisager l’embellissement de ce local par quelques décorations : des guirlandes de feuillages, un buste de Guillaume Tell et une statue de femme en qui les orateurs voient, selon leur tempérament, tantôt le symbole de la Liberté, tantôt celui de l’Egalité79. Les membres sont ravis de ces emblèmes patriotiques et lors d’une séance mémorable où chaque orateur surenchérit en proposant son héros favori, ils décident d’y ajouter, pêle-mêle, les bustes de Rousseau, de La Harpe, de Bonaparte et, pour faire bonne mesure, du général Brune. Reymond envisage même d’aller détruire les gisants de la cathédrale pour les remplacer par les effigies des vrais amis de la Liberté80. L’enthousiasme retombé, malgré les applaudissements et les décisions prises à l’unanimité, rien n’est mis à exécution. Guillaume Tell et la Liberté continuent seuls de présider aux séances.
39Tout le monde n’apprécie pas cette utilisation d’un lieu de culte comme salle de réunion politique ; le clergé n’est pas le dernier à s’en plaindre. Dans un discours prononcé le 24 mars, François fait allusion à ces reproches. Pour désarmer les critiques, il propose d’engager les ministres du culte à officier de nouveau et d’enlever les décorations profanes. Reymond ne peut pas admettre une telle reculade. Bien loin d’accepter le départ des statues de Guillaume Tell et de la Liberté, il veut y ajouter — inconscience ou provocation — celles de Caton et de Brutus. François, vertement tancé, se défend comme il peut en disant qu’il ne songeait qu’aux décorations de feuillages. Reymond le rabroue encore : ces décorations rappellent les couleurs nationales et les charmes de la nature. On applaudit81.
40Aucun compromis ne paraissant possible, les pasteurs s’adressent à l’Assemblée provisoire. Ils réclament que le temple soit rétabli dans sa « simplicité primitive » et rendu au culte pour le dimanche suivant, une semaine avant Pâques. Les députés accèdent d’autant plus volontiers à cette demande qu’elle doit combler leurs vœux secrets. Le comité de surveillance de Lausanne est officiellement chargé, le 26 mars, de prendre les mesures nécessaires82. C’est la rupture. Les Amis de la Liberté s’assemblent le jour même de la décision prise à leur encontre et se résolvent à envoyer une délégation, outrée que certains aient pu s’offenser de la présence d’une effigie de Guillaume Tell et de la Liberté. L’Assemblée écoute ces doléances, puis, « considérant que les dogmes de la religion réformée veulent des temples simples et dénués d’ornements, passe à l’ordre du jour ». La Société se réunit encore une fois. Chacun tient son rôle, brutal ou apaisant. Reymond proteste de la violence qui leur est faite, refusant d’enlever les effigies républicaines du temple de Saint-Laurent tant que la cathédrale sera souillée de la présence des tombeaux historiés de nobles et de prélats. A l’inverse, Boisot, appuyé par Mourer, fait valoir que la Société doit s’incliner, sauf à se prétendre autorité constituée. Finalement, et puisque le mandat de l’Assemblée provisoire est sur le point de se terminer, chacun accepte de s’en remettre à la décision de la Chambre administrative qui vient d’être élue83. En attendant, les séances s’interrompent le jeudi 29 mars, neuf jours avant Pâques. Les esprits sont fort divisés. La Harpe juge sévèrement les décisions prises contre la Société : « Que signifie cet acharnement contre les symboles de la Liberté, contre le buste d’un homme dont le nom nous est sacré ? L’Ass [emblée] provis [oire] aurait dû les tancer, mais elle a voulu se venger des Clubistes qui l’ont vexée, et le désir de les mortifier lui a fait commettre une faute qui risque d’être payée par la Ch [ambre] administrative. » Monod s’efforce de justifier la mesure d’expulsion en indiquant que « si l’on voulait que l’église servit, on ne pouvait pas y laisser des statues sur la chaire, quelles qu’elles fussent, il n’y aurait pas eu dix communiants, il valait donc mieux ne pas accorder l’Eglise, vu le scandale ». Quant à Secretan, il considère depuis longtemps que les nouvelles autorités doivent prendre grand soin de se concilier le clergé : « Je hais nos clubistes parce qu’ils dénoncent, irritent, menacent et attisent des réactions ; je soupçonne parmi eux des traîtres, ils nous ont pris une église pour leur assemblée populaire, c’est un grand mal, notre clergé s’est bien montré, il a prévenu nos invitations, il a fait adopter la constitution ; il fallait le ménager, nous avons besoin de lui pour nos campagnes, il peut seul nous donner de la consistance. »84
La Société des amis de la liberté et la Chambre administrative (avril-septembre 1798)
41La Société va mal vieillir et même ses fondateurs doivent convenir « que des assemblées populaires tenues trop souvent et trop longtemps finissent par dégénérer. Dans tous les cas, leur utilité cesse lorsque le but est atteint ; l’agitation n’est plus alors un noble élan qui aspire à un grand résultat, c’est une arène de petites passions et d’ambitions privées »85. Ils ne peuvent pourtant se résoudre à laisser dissoudre leur organisation.
Les conditions du rétablissement
42La nouvelle Chambre administrative se réunit le 31 mars. Dès le début de cette première séance, juste après la nomination du président, du secrétaire général et de trois huissiers, Reymond vient demander que la décision de l’Assemblée provisoire ne soit pas mise à exécution, au moins qu’on ne les contraigne pas à enlever les décorations patriotiques du temple. Refus immédiat : le décret est confirmé et le comité de surveillance de Lausanne devra rendre compte de son exécution86. C’est une déception considérable. La Société avait mis de grands espoirs dans les membres de cette Chambre administrative dont elle avait vanté le civisme quelques semaines plus tôt, lors des élections87. Reymond tente une autre démarche. Le même jour il se rend chez le pasteur Bugnion pour s’efforcer de le fléchir. C’est un nouveau refus : « Notre culte pur et simple ne permet aucune espèce d’image, pas même celle de Jésus-Christ. » Le pasteur accepte seulement d’aider les Amis de la Liberté à chercher un autre local, ce qui ne fait pas leur affaire88. Après ce double échec, ils sont contraints de rendre les clefs de leur local. Le comité militaire place un factionnaire auprès du temple et un poste de garde « à portée »89.
43Le dimanche passé, la fête de Pâques célébrée, la Société se met en devoir de regagner le terrain perdu. Il faut rassurer. Le lundi après Pâques quelques éléments mal contrôlés s’attroupent place de la Palud pour protester contre l’attitude réactionnaire de la Chambre administrative, fournissant aux dirigeants du club l’occasion de prouver leur loyalisme à l’égard des autorités en place. Bien loin de profiter de ce mouvement, Joseph et Reymond contribuent à calmer les esprits. Le Comité de réunion affecte de se féliciter bruyamment que deux de ses membres aient pu aider ainsi au maintien de l’ordre. Par une délibération transmise à la Chambre administrative, il rapporte la belle conduite de Joseph et Reymond, proclamant « qu’il désapprouve formellement et qu’il ne saurait regarder ni comme patriotes, ni comme membres de la Société des Amis de la Liberté, toute personne qui pourrait chercher à troubler l’ordre et la tranquillité publique soit par des attroupements, soit par des attentats aux propriétés et aux personnes ». Bien déterminé à ne pas encourager les trublions, le Comité continuera de « coopérer de tout son pouvoir au maintien de la tranquillité publique et de la sûreté de chacun des individus de la société ». La Chambre administrative ne peut accueillir que favorablement des intentions si pures90.
44Le terrain ainsi préparé, les Amis de la Liberté adressent une nouvelle pétition sur le ton le plus humble. Ils se plaignent des calomnies des aristocrates. « Bien loin d’exciter au tumulte et à la licence, cette société s’est toujours renfermée dans les bornes de ses devoirs et n’a employé dans ses demandes que la voie légale des pétitions. Aucun acte, aucun fait ne prouve contre elle : tout atteste au contraire sa sagesse et sa modération même lorsqu’elle a été offensée et qu’un gouvernement sans force rejetait ses réclamations. » On les a injustement dépossédés de leur habituel lieu de réunion. « Pleins de respect pour le nouveau gouvernement », ils demandent un nouveau local pour favoriser « l’avancement de l’esprit public et le respect que l’on doit aux lois et aux magistrats qui les font exécuter »91.
45Tant d’humilité et des projets aussi estimables ne peuvent qu’attendrir la Chambre administrative. Elle transmet la demande au préfet pour qu’il rédige un projet de règlement de police sur les sociétés populaires, après avoir consulté les arrêtés pris en France à ce sujet. Le lendemain, ce règlement de police est approuvé par la Chambre. Il est précédé d’un exposé des motifs qui intègre la pétition de la Société. Suivent neuf articles qui sont autant de précautions. S’il est bien reconnu que « les individus membres d’une société désignée par le nom d’Amis de la Liberté ou de tout autre semblable pourront continuer de s’assembler dans la vue de s’occuper des travaux louables énoncés dans la pétition ci-dessus » et qu’ils pourront avoir un local, c’est pour ajouter aussitôt qu’il ne devra y avoir entre sociétés ni affiliation, ni correspondance. Les séances seront publiques, sans délibérations ou procès-verbaux. On leur assigne comme but la direction de l’opinion publique vers la science sociale, pour faire aimer et connaître la constitution. Les attaques personnelles seront bannies. Les pétitions seront toujours « réputées individuelles et signées de l’un des membres ». Le président de la société sera responsable « en sa personne » de tout ce qui pourrait se passer de contraire au règlement imposé par la Chambre administrative. Enfin, le préfet et ses agents s’occuperont du choix des locaux, de la police intérieure et de la surveillance de ces assemblées92. « Des conditions sages », note Monod.
46Ainsi muselés mais du moins rétablis, il ne reste plus aux Amis de la Liberté qu’à trouver un local. Ils songent quelque temps à la salle de manège de la ville, mais cette dernière paraît indisponible tant que les troupes traversant la ville l’utilisent. De plus, un tel emplacement aurait besoin de coûteuses réparations. En désespoir de cause, ils sollicitent du préfet leur retour dans le temple de Saint-Laurent. Ils s’affirment toujours « pleins de respect pour tout ce qui émane des autorités constituées, persuadés que leurs délibérations n’ont pour but que de protéger les ministres du culte et la religion ». Ils s’engagent à enlever leurs ornements après chaque séance pour ne pas gêner les cérémonies, à se conformer aux règles édictées par la Chambre administrative, à abandonner le temple dès qu’un autre local apparaîtra possible. Au bas de leur pétition, six lignes du pasteur Bugnion précisent qu’il n’est pas opposé à cette demande pourvu que le déroulement des réunions du culte n’en soit pas perturbé93. L’autorité peut difficilement refuser. Le 12 avril, après deux semaines d’interruption, la Société rouvre ses séances dans le temple de Saint-Laurent.
Une survie menacée
47A première vue, rien n’a changé. Une lecture rapide des comptes rendus de séance laisse l’impression que la Société n’a abandonné aucune de ses habitudes d’avant l’interruption. Chacun continue à tenir son poste, modéré ou extrémiste. Dès la séance du 12 avril, Mourer prononce un discours ambigu, faisant l’éloge d’une certaine tradition, indiquant que « les vertus sont préférables aux lumières ». Reymond lui répond, comme en écho, par la description des méfaits de l’ignorance94. Mourer, élu président, s’oppose à une attaque personnelle contre le comité d’Yverdon. Reymond, bientôt président à son tour, « tonne contre les restes impurs de la féodalité » et engage la Chambre administrative à prononcer la destitution des fonctionnaires encore en place95. On continue aussi à adresser pétitions sur pétitions aux autorités constituées. Plus que jamais, même : la Constitution a multiplié les assemblées et donc les destinataires possibles. C’est bien sûr la Chambre administrative du canton du Léman qui sera la plus souvent saisie, mais sans oublier les organes fédéraux, le Directoire, le Corps législatif, voire le Sénat.
48Derrière cette continuité apparente, on devine cependant un état d’esprit nouveau. Et d’abord dans le ton des pétitions. Certaines n’ont d’autre objet que d’affirmer le loyalisme de la Société. Ainsi lorsqu’elle vote une adresse au Directoire, c’est dans le but de « l’assurer des efforts des Amis de la Liberté pour l’amélioration de l’esprit public et afin d’attacher les Citoyens au Gouvernement républicain »96. Des injonctions assez comminatoires adressées au Corps législatif s’adoucissent in fine pour quelques compliments : « Agréez le tribut de notre reconnaissance, pour l’énergie et la fermeté que vous avez montrée ; depuis que vous exercez la législature. »97 Au cours des débats, les orateurs s’empressent d’ajouter qu’ils n’entendent pas, par leurs souhaits, préjuger de la décision des autorités officielles ; ils engagent le peuple « à entourer de leur pleine confiance les mandataires du peuple et à contribuer sans murmure aux impôts que les besoins de la République nécessiteront »98.
49Le sujet des pétitions est lui-même un peu différent. Sauf exception il s’agit moins de reproches ou de demandes précises comme du temps de l’Assemblée provisoire, que d’encourager les corps constitués faire preuve de détermination et de rapidité dans leur politique de réforme. On ne suggère pas une solution, on souhaite qu’un problème soit résolu, d’une façon ou d’une autre. Le peuple, explique-t-on, ne comprend pas tous ces délais et risque de se détacher de la Révolution. La Société engage la Chambre administrative à former au plus tôt les districts et les arrondissements pour que les juges inférieurs puissent être désignés. Le Corps législatif est également saisi du problème tant que les nouvelles circonscriptions ne seront pas délimitées, L anciens fonctionnaires restent à leur place. « Le retard apporté à l’organisation du canton du Léman en districts peut entraîner les suit les plus fâcheuses. Déjà le mécontentement se manifeste par des murmures avant-coureurs d’événements funestes. »99 Un peu plus tard, la Société revient sur la nécessité d’une marche rapide et décidée. Le renvoi de commission en commission, le report des délais retardent les mesures que le peuple attend. Certains magistrats ne peuvent être élus. « Nous gémissons encore sous le joug du fatras indigeste des lois et des coutumes oligarchiques. Le provisoire règne et conserve tous les abus. »100 Pour gagner du temps, il suffirait pourtant d’emprunter à la France ses lois politiques, civiles et criminelles. La Société n’ose plus guère censurer, elle se borne à vouloir stimuler.
50Au contraire de la période précédente où l’Assemblée provisoire déférait souvent à des motions exigeantes, les nouveaux interlocuteurs, surtout la Chambre administrative, accueillent mal ces demandes pourtant modérées. On se souvient qu’aux termes de l’arrêté du 6 avril les pétitions sont toujours réputées individuelles et signées de l’un des membres. L’accueil fait par la Chambre administrative à la première motion que lui adresse la Société apparaît mitigé. Les Amis de la Liberté l’ayant, on l’a vu, invitée à former les districts et les arrondissements, ils s’entendent répondre un peu sèchement que les autorités s’occupent d’abord de ce qui est urgent, que l’organisation demande une unité pour toute la Suisse, « ce dont le Corps législatif s’occupera vraisemblablement bientôt ». La Société affecte de se satisfaire d’une telle réponse101. Un mois plus tard, elle revient à la charge pour se plaindre du bureau des logements de Lausanne, responsable de l’accueil des troupes françaises. Cet organisme, nommé par les anciens magistrats, surcharge les patriotes au profit des aristocrates, sous prétexte qu’il revient à ceux qui ont appelé les Français de les loger102. Ces accusations de partialité semblent fondées et connues depuis longtemps puisque le premier mouvement de la Chambre administrative est de répondre à Reymond qu’on a déjà écrit au comité de surveillance pour que le bureau soit mieux composé et que la distribution des billets de logement se fasse avec plus d’égalité. Dès le lendemain, l’assemblée regrette sa première réponse, bienveillante pour les demandeurs. Elle renvoie la pétition au préfet, sous prétexte que la forme employée n’est pas conforme au règlement du 6 avril. Interprétation rigoureuse d’un texte déjà sévère. Immédiatement après, elle prend connaissance de la lettre du Conseil de Lausanne pour justifier son bureau des logements et fait enjoindre ce dernier, sur un ton comminatoire, de charger davantage les riches que les pauvres, sans tenir compte des opinions politiques103. Les plaintes sur la mauvaise répartition des logements étaient donc justifiées mais il déplaît à la Chambre administrative qu’elles aient été transmises par un club populaire.
51Durant cette seconde période, à partir du 12 avril, deux problèmes reparaissent à chaque réunion de la Société et seront à l’origine de sa suppression. C’est d’abord la question des bourgeoisies. Reymond, et la plupart des membres à sa suite, y voient une survivance médiévale. Il est scandaleux que l’achat d’une bourgeoisie soit un moyen de naturalisation pour les étrangers, d’autant que les obstacles mis à leur établissement retardent les progrès de l’industrie, du commerce et des arts104. A l’intérieur du canton, le maintien de la distinction entre bourgeois et habitants, « branche funeste du fédéralisme », constitue une source de divisions, de jalousies et de discordes105. C’est contraire au premier article de la constitution qui accorde à tous les citoyens les mêmes droits et les mêmes devoirs et à l’article 8 qui abolit toutes les distinctions héréditaires...106. Les arguments se pressent, présentés avec passion. Il est vrai qu’il ne s’agit pas que de conserver quelques privilèges honorifiques. Ce qui est en cause, c’est rien moins que la dévolution des biens communaux. La discussion est vive. Rouge soutient que toute autre solution qu’un partage entre les anciens bourgeois serait « une violation de propriété ». Reymond refuse d’admettre un tel partage, fût-ce étendu aux habitants, ces biens appartenant à la nation : « Soyons plutôt dans la médiocrité, et que la patrie soit riche. » François voudrait que les communes demeurent propriétaires de ces fonds et que tous les habitants puissent en profiter107.
52Les polémiques autour des droits féodaux sont plus véhémentes encore. Tous les membres s’accordent à les condamner. Chacun dénonce les violences qui ont permis aux seigneurs de s’imposer à une paysannerie terrorisée et cela seul suffirait à justifier l’abolition de « ces détestables brigandages, connus sous le nom de dîmes, censes, lods, etc., etc. »108. Au surplus, ils font peser sur l’agriculture une charge qui décourage la production, une charge intolérable lorsque s’y ajouteront les nouveaux impôts publics109. Le peuple des campagnes ne comprendrait pas, ne pardonnerait pas de continuer à subir ces droits ; il exige une disparition sans délai ni rachat. La Société met en garde le Corps législatif : « Le mécontentement gagne de proche en proche ; l’habitant de la campagne qu’on menace d’impôts et d’être forcé de racheter les redevances féodales, n’entrevoit aucun adoucissement à son sort. »110
53Les Amis de la Liberté sont pourtant fort éloignés d’apparaître comme des partageux. Ils prennent soin de protester qu’il ne s’agit pas de menacer la propriété. L’intention de rassurer est certaine, même si l’argumentation demeure faible : l’abolition des droits féodaux « n’attaque point le droit de propriété, puisque celui qui tient en son pouvoir, par héritage ou rachat, une chose extorquée, n’en est pas le véritable propriétaire et qu’elle peut être revendiquée par celui à qui elle appartenait originairement »111. C’est faire beau jeu de la prescription acquisitive sans laquelle aucune propriété ne serait en sûreté.
54Tous ces arguments, sur les bourgeoisies et les droits féodaux, seront repris dans la pétition qui causera la perte de la Société.
La suppression de la Société
55Ce sont les autorités centrales qui vont tirer parti d’une imprudence pour porter aux Amis de la Liberté le coup décisif. La méfiance est ancienne. Le 13 juin, le préfet du Léman informe la Chambre administrative que le Directoire vient d’envoyer un message au Corps législatif pour provoquer une loi qui mettrait un frein aux excès des sociétés populaires. Chaque membre de la Société va réagir suivant son tempérament.
56Reymond ne peut laisser passer cette occasion et son Régénérateur s’enflamme d’autant plus facilement que le Directoire l’a mis nommément en cause. La première précaution à prendre exige de disjoindre le cas de sa publication et celui des Amis de la Liberté pour que les insolences de l’une ne risquent pas d’entraîner les autres dans sa perte. Si le Régénérateur publie le compte rendu des séances, c’est de son propre mouvement, sans qu’il y ait aucun lien organique, sans qu’on puisse imputer au club les articles, beaucoup plus violents, du journal. Ce dernier est protégé par la liberté de la presse. Quant à la Société, Reymond se porte garant de sa modération, puisqu’elle n’utilise que la voie légale des pétitions pour faire prévaloir ses vues, puisqu’elle enseigne l’obéissance aux lois et le respect de la constitution. Ce sont les aristocrates qui tentent de semer la discorde, non les patriotes112. A partir de la mi-juin, presque chaque numéro se fait l’écho de ces protestations.
57Mourer tente de prendre la défense de la Société sur un ton autrement modéré. « En l’absence du président », il écrit aux membres du Corps législatif pour répondre, point par point, aux griefs formulés par le Directoire. Si certaines motions n’ont pas paru respecter les formes imposées par la Chambre administrative, c’était pour faire face à des problèmes urgents et, de toute façon, le Corps législatif ne s’en est pas formalisé sur le moment. Les dénonciations concernant le bureau des logements de Lausanne ne visaient aucun élu du peuple mais seulement des employés. Quant à la motion dirigée contre les aristocrates occupant des emplois publics, elle prouve au contraire le civisme de la Société : « déjouer les manœuvres de l’aristocratie, réchauffer l’amour sacré de la patrie, distribuer des secours aux indigents [...], modérer leurs plaintes [...], voilà la tâche pénible que nous nous sommes imposée et que nous suivrons sans relâche »113.
58Passant outre, une commission de l’assemblée fédérale se saisit du problème des sociétés populaires et, quelques jours après le message du Directoire, propose cinq mesures, assez proches des précautions prises deux mois plus tôt par la Chambre administrative de Lausanne quoiqu’apparemment plus sévères. Le premier article décide en effet que « tous clubs sous le nom de sociétés populaires, sont abolis » mais c’est pour concéder, dans l’article deux, que « les sociétés particulières, dans le but de s’occuper des affaires publiques, sont permises ». Ayant ainsi formulé l’interdiction et son contraire, ce qui permet toutes les interprétations, le rapport de la commission défend à ces sociétés de mettre en délibération les « objets de législation ou de gouvernement » et de correspondre entre elles. En cas de transgression de ces règles, ce doit être la dissolution immédiate. Le Grand Conseil adopte le rapport de sa commission114. La Société de Lausanne peut subsister, un peu plus affaiblie et bridée.
59Une imprudence de Reymond va remettre en cause cet équilibre et la tolérance dont bénéficie la Société. Lors d’une séance tenue à la fin du mois d’août, il présente deux pétitions destinées aux assemblées d’Aarau et concernant l’abolition des droits féodaux et des privilèges de bourgeoisie. Pour respecter les arrêtés de la Chambre administrative et du Grand Conseil, peut-être aussi pour donner plus de poids aux vœux énoncés, il invite les membres qui sont d’accord avec les termes de ces pétitions à aller individuellement apposer leur signature dans la maison où se tient le Comité de réunion115. Les deux adresses sont ensuite envoyées au Corps législatif et publiées dans le Régénérateur sans aucune allusion à la Société, en indiquant simplement que six heures ont suffi pour rassembler près de mille signatures. Le texte n’a rien de très original par rapport à ceux dont la Société accable les autorités constituées depuis plus de trois mois : il est fait référence à la constitution, aux principes de liberté et d’égalité, à l’idéal de justice, voire aux intérêts bien compris de la révolution. En revanche, le ton est moins amène que d’habitude et surtout les deux textes publiés dans le Régénérateur se terminent chacun par une phrase qui ne figure pas dans les motions déposées sur le bureau de l’assemblée, une phrase qui résonne comme une menace. A la fin de la demande concernant l’abolition des droits féodaux, « les soussignés protestent solennellement contre tout arrêté qui soumettrait leurs frères des campagnes ou à la continuation de ces impôts ou à leur rachat ». Plus grave, à propos de la résolution du Grand Conseil sur les municipalités : les pétitionnaires déclarent « qu’ils se refuseront à donner force de lois dans leurs communes respectives au décret qui pourrait en être le résultat »116.
60La publication dans le journal de Reymond, avec les adjonctions séditieuses, est du vendredi 31 août. La réplique est à peu près immédiate. Le lundi suivant, sur dénonciation du ministre de l’Intérieur et après vérification, le Directoire exécutif ordonne au préfet de Lausanne de se saisir de l’auteur du Régénérateur, pour qu’il soit jugé « comme provocateur à la rébellion et perturbateur du repos public ». Le ministre de la Justice transmet l’arrêté au préfet, accompagnant son envoi de commentaires de son cru sur les symptômes d’insubordination qui se manifestent dans le canton et sur l’influence probable des puissances étrangères, épouvantail obligatoire dans une affaire de ce genre. En cas de résistance, il engage les autorités locales à employer la garde soldée, éventuellement appuyée par la garde sédentaire, voire par les troupes françaises cantonnées dans la région de Fribourg117. Il ne sera pas nécessaire d’en arriver à ces extrémités. Convoqué à la Maison nationale, Reymond vient se constituer prisonnier le 5 septembre et les ordres prévoient de le traiter « avec toute l’humanité et les égards compatibles avec sa situation »118. Apparemment, le déploiement de forces prévu par le ministre de la Justice est tout à fait inutile.
61C’est trop vite dit. Le soir même de l’arrestation de Reymond, vers 8 heures, un rassemblement se produit place de la Palud, aux cris de « Vive Reymond ! A bas les aristocrates ! » Ils se rendent à la Maison nationale pour demander sa libération. S’étant heurtés à un refus, les agitateurs redescendent à la Palud en criant « Aux armes ! » et remontent bientôt, plus nombreux et armés. S’il est vrai, du moins à en croire le Bulletin Officiel et le Nouvelliste, que la Garde volontaire, « postée dans l’avenue », fait bonne contenance, ce sont surtout les déclarations apaisantes de Reymond qui contribuent à rétablir le calme. Le prisonnier proteste en effet qu’il n’entend devoir sa liberté qu’à la loi. A 10 heures, l’ordre règne de nouveau dans les rues de Lausanne, du moins si l’on excepte quelques braillards. Le préfet avait fait envoyer un courrier à Yverdon pour quérir deux compagnies du corps des volontaires ; elles arrivent lorsque tout est fini. Il n’y a « pas eu la moindre égratignure », se félicite le Nouvelliste. Quant au Bulletin Officiel, il se veut tout aussi rassurant : « La nuit a été très tranquille. »119
62Le lendemain, arrive à Lausanne une proclamation du Directoire exécutif. Les premières lignes se veulent apaisantes, voire flatteuses : on explique aux habitants du Léman qu’ils ont beaucoup fait pour la révolution, que nulle part les lois n’étaient mieux observées, ni les autorités mieux obéies. Cependant, et malgré l’acceptation dont a bénéficié la constitution, malgré l’élection des magistrats, quelques factieux utilisent tous les prétextes pour semer le désordre. « Soudoyés par l’étranger », ils osent accuser d’aristocratie les autorités qui opposent une digue à leurs projets. L’exemple de la Révolution française, jugé instructif, est appelé à l’aide : les sociétés populaires, créées par des hommes sincères et généreux, ont d’abord servi la liberté puis, envahies par des étrangers, elles sont devenues « des cavernes de brigands et de voleurs », réduisant le peuple à la servitude. Le droit de pétition, légitime, ne doit pas dégénérer. Le ton de la proclamation se fait progressivement plus comminatoire : puisque certains voudraient répandre l’anarchie dans tout le canton, le Directoire va devoir, contre son gré bien sûr, utiliser la force. Il faut que tous les citoyens se groupent autour de l’autorité légitime. Les dernières phrases sont tout à fait menaçantes : « Votre lâche indulgence peut vous coûter cher, si le militaire est appelé à donner force à la loi ; en cherchant le coupable, l’innocent sera froissé [...]. Craignez que les ennemis de l’Helvétie ne profitent de votre conduite pour vous plonger dans des calamités sans fin. »120
63Le préfet du Léman n’entend pas encourir une accusation de mollesse. Il s’indigne que certains aient pu troubler « le repos des nuits (qui) est dû aux citoyens », surtout la veille d’un jour consacré au jeûne. Il interdit les attroupements sur la voie publique ainsi que le port d’armes. Les contrevenants seront « poursuivis criminellement », y compris ceux qui, requis par les fonctionnaires publics, ne prêteraient pas main-forte à la loi121.
64Jusque-là, les Amis de la Liberté ne semblent pas directement en cause dans toute cette agitation. Leur membre le plus actif a été arrêté sur une pétition présentée à une de leurs séances ; le Directoire a dénoncé en termes vagues et par référence à l’expérience française, le danger des assemblées populaires ; pourtant rien ne s’oppose à ce qu’ils continuent de se réunir, théoriquement du moins. Théoriquement, car les autorités locales ne sont pas décidées à laisser subsister ce qu’elles considèrent comme un foyer de désordre. Apprenant qu’une nouvelle séance est annoncée pour le 13 septembre, le préfet met en garde Mourer, secrétaire en titre, contre les dangers d’une telle initiative. Le Comité de réunion tente d’utiliser le procédé qui lui a déjà servi dans le passé pour désarmer les oppositions : un message bien plat et bien humble. Après avoir laissé entendre qu’une interruption des séances pourrait être mal interprétée, les Amis de la Liberté protestent longuement de leurs bonnes intentions : « Tous les membres emploieront tous leurs soins à ce que le bon ordre n’y soit troublé en rien et à ce que les orateurs fassent leurs efforts pour ramener entièrement parmi le peuple la confiance et la tranquillité. Jaloux de vous témoigner combien la félicité publique nous est chère, nous vous prions d’être persuadés que nous donnerons constamment l’exemple de l’obéissance aux lois et du respect aux autorités constituées, et d’être parfaitement tranquilles sur la tenue de la Société qui ne peut que produire un bon effet dans ces circonstances, moyennant les précautions que nous avons prises pour assurer le calme »122.
65C’est peine perdue et le préfet leur notifie son opposition à une nouvelle réunion. Le président de la Société, Kronauer, s’empresse d’obtempérer : il promet d’empêcher qu’aucune séance ne se tienne « jusqu’à ce que vous nous avertissez [sic] vous-mêmes que les temps sont meilleurs ». Ce premier mouvement de docilité ne laisse pas de lui poser quelques problèmes de conscience. Il craint ensuite de s’être trop facilement incliné devant les injonctions de l’autorité. Le lendemain de la date prévue pour la nouvelle réunion, il tente d’obtenir des assurances de la part du préfet. Certains, explique-t-il, lui ont reproché sa crédulité affirmant que le gouvernement va transformer la suspension soi-disant provisoire en suppression définitive. Le style et l’orthographe de la lettre qu’il adresse au préfet pour quêter des assurances, trahissent sinon son inquiétude, du moins sa précipitation. « Et moi, je soutiens [sic] plus on emploie des termes de confiance en l’autorité, moins on a à craindre une suspension de trop longue durée et les expressions du désir que vous montres [sic] et du penchant à nous satisfaire me fait espérer que vous me donnerez une assurance plus positive pour pouvoir me disculper sur la valeur de mes expressions et que je ne serai pas déçu dans mon attente de votre parfaite équité et bonté. »123
66Cette confiance est mal récompensée. Le jour même où cette lettre est adressée au préfet, le Directoire prend une mesure extrême. Dans le préambule, il rappelle les désordres de Lausanne et agite le risque d’une dissidence comparable à celle de la Vendée en France. Les cinq premiers articles énumèrent les divers aspects de la reprise en main : fermeture du temple de Saint-Laurent réservé désormais aux seules cérémonies du culte, apposition des scellés sur les papiers de la Société des amis de la liberté et du Comité de réunion, dissolution de toutes les sociétés populaires du canton, arrestation et jugement de ceux qui ont participé aux désordres du 5 septembre. Les six articles suivants garantissent l’exécution de ces mesures : notification de l’arrêté, publication dans tout le canton, mise à la disposition du préfet des diverses troupes, du corps des fonctionnaires, voire des citoyens réquisitionnés124.
67En ce qui concerne les Amis de la Liberté, l’exécution ne fait guère de problème. Leur membre le plus actif arrêté, leurs séances interrompues, leurs protestations repoussées, à ce point rien de pire ne peut leur arriver. Tout au plus, les autorités se préoccupent-elles de mettre la main sur les archives de la Société. Joseph, premier président, proteste ne rien détenir et réaffirme son attachement au gouvernement125. Finalement, le lieutenant du préfet mettra la main sur trois lettres trouvées chez lui et sur quelques papiers et registres tenus par la Société. Il y appose les scellés, comme le prévoyait l’arrêté du Directoire, avant de constater, trois mois plus tard et les esprits apaisés, que toute cette paperasse ne contient rien « qui intéressât le gouvernement ». Les documents saisis sont alors restitués, sans autre126.
68On a vu que le Directoire avait profité des imprudences du club du temple de Saint-Laurent pour supprimer toutes les sociétés populaires du canton, ce qui comble les vœux de certains fonctionnaires locaux. Ainsi, le sous-préfet de la vallée de Joux avait réclamé, trois semaines plus tôt, l’interdiction d’une Société des amis de la liberté siégeant au Chenit et qui s’était permis de critiquer une mesure votée par le Corps législatif127. Averti par le préfet d’exécuter la décision des autorités centrales, encore qu’en y mettant « toute l’attention et les ménagements qu’exigent des citoyens et des frères », il ne cache pas sa joie. Il s’empresse de faire publier l’arrêté dans toutes les églises, témoignant de « la sensation agréable que tous les honnêtes gens ont éprouvé à cette lecture et combien ils ont béni le Directoire exécutif ; si la société populaire du Chenit avait continué d’exister, il aurait été à craindre qu’elle n’eût démoralisé ce petit pays où il y a encore un peu de religion et de mœurs »128.
69Le sous-préfet de Morges est plus hésitant. Tous les quinze jours se réunissent dans sa ville quelques citoyens, sous le titre rassurant d’Amis de la Constitution helvétique. Ils se considèrent comme un cercle privé groupant des particuliers qui se connaissent depuis longtemps, donc pas concernés par la récente mesure d’interdiction des sociétés populaires. Et le sous-préfet de demander des instructions complémentaires. Ce ne sera pas nécessaire : trois jours plus tard, la société se dissout d’elle-même après une dernière réunion. « Tout s’est passé ainsi que je le désirais. »129
70Si la société de Moudon n’est pas moins docile, elle entend du moins marquer sa disparition par un acte de civisme : il reste quarante francs en caisse, qu’elle désire remettre aux citoyens de Stans, « victimes de l’erreur et de la superstition ». Le sous-préfet ayant voulu joindre purement et simplement cette somme au produit d’une collecte faite dans tout le Léman, les membres de la société protestent. Cela ne fait pas leur affaire que cette générosité passe inaperçue, elle doit symboliser leur loyalisme, « les mêmes principes dans notre fin comme dans notre établissement ». Une phrase traduit leur embarras : « Notre intention n’est pas cependant que ce don paraisse une ostentation quoique nous désirons qu’il ne soit pas ignoré. »130
71La révolution de 1798 en pays vaudois tire son originalité de l’influence de la France sans laquelle rien ne se serait passé ainsi, et de la modération dont les principaux protagonistes ont su faire preuve. Ces caractères se retrouvent dans le court destin de la Société des amis de la liberté. Pour ce qui est de l’influence française, on se souvient qu’elle a dû de pouvoir paraître aux velléités politiques du général Brune. Elle n’hésite pas à faire appel auprès des troupes françaises contre les décisions de l’Assemblée provisoire et ce n’est pas un mince paradoxe qu’une fois la révolution stabilisée, le Directoire exécutif ait pu menacer de l’intervention de ces mêmes troupes ceux qui oseraient résister à la mesure de suppression de tous les clubs populaires. Chacun, amis et ennemis de la société, se réclame donc de la protection du puissant voisin et ne tarit pas d’éloges sur son intervention bienveillante. En même temps, la Révolution française apparaît comme un repoussoir, le modèle à ne pas imiter. Le Directoire rappelle volontiers les désordres dont les clubs parisiens se sont rendus coupables pendant la Terreur, pour mettre en garde les Vaudois contre de telles erreurs. Le préfet ne craint pas d’assimiler quelques mouvements liés à l’arrestation de Louis Reymond à un « complot formé par les ennemis de la République, en vue d’organiser une Vendée au sein de la Suisse ».
72Quant à la modération dont les Vaudois ont su ne pas se départir, elle se retrouve tant dans l’attitude de la Société vis-à-vis des autorités publiques que dans le comportement de ces autorités à l’égard de la Société, cela même lorsque les relations ont été les plus tendues. Nous avons vu que la plupart des motions, si exigeantes soient-elles, s’accompagnent de protestations de loyalisme érigées au rang de clauses de style. Dans ses pires débordements, lorsque quelques Amis de la Liberté réclament la libération de Reymond, leur manifestation paraît bien peu menaçante : le principal intéressé prêche le calme au point que le préfet ne peut guère reprocher à ces émeutiers que d’avoir troublé, par leur tapage nocturne, le repos des honnêtes gens. A cette modération jusque dans les éléments les plus avancés de la population, les autorités officielles répondent par une prudence et une bénignité tout à fait comparables. Le préfet et la Chambre administrative rivalisent précautions pour que la détention de Reymond soit aussi douce que possible.
73En fait, si l’on met à part Reymond, le plus excité, condamné à « trois mois d’arrêts domestiques », puis en appel à trois ans de détention et finalement gracié trois mois plus tard, futur chef des Bourla-Papey, la plupart des Amis de la Liberté ont tôt fait d’abandonner l’agitation révolutionnaire, ce péché de jeunesse, pour des carrières tout à fait paisibles et bourgeoises. Relisant quelques dizaines d’années plus tard les proclamations qu’il a formulées dans le temple de Saint-Laurent, le chancelier Boisot s’attendrit devant « le jeune homme sans expérience » qu’il était alors. « Je ne m’exprimerai pas ainsi aujourd’hui, même dans des circonstances analogues. »131 A la même époque, un témoin impartial note : « Quelques-uns des discours prononcés tant au club de réunion que dans le temple de Saint-Laurent, qui furent imprimés dans le temps, étonneraient actuellement bien du monde, et surtout ceux qui en furent les auteurs »132.
Notes de bas de page
1 G. H. DE SEIGNEUX Précis historique de la Révolution du canton de Vaud, t. I, Lausanne 1831, p. 93 ; Henri MONOD, Mémoires, Paris 1805, t. I, p. 108.
2 J. MALLET du PAN, Essai historique sur la destruction de la ligue et de la liberté helvétique, Londres, impr. W. et C. Spilsbury, 1798, p. 61.
3 A. VERDEIL, Histoire du canton de Vaud, t. III, Lausanne 1854, p. 180 (abrégé dorénavant VERDEIL).
4 Jean-Charles BIAUDET, Henri Monod et la Révolution vaudoise de 1798, dans Revue historique vaudoise (RHV), 1973, p. 133 (abrégé dorénavant BIAUDET, Monod).
5 J. MALLET du PAN, op. cit., p. 155-156 ; Eugène MOTTAZ, Maurice Glayre et la Révolution vaudoise, dans RHV 1898, p. 211.
6 H. MONOD, Mémoires, t. I, p. 109 ; BIAUDET, Monod, p. 133.
7 [Isaac-Emmanuel-Louis DEVELEY, ] Mémoire pour servir à l’histoire de la Révolution du Pays-de-Vaud composé surtout d’après les registres du Comité de réunion de Lausanne par un des membres de ce Comité, Lausanne 1798. p. 12 (abrégé dorénavant DEVELEY). Principaux membres de ce comité secret : Oboussier, Penserot, Will, Bergier-Lemaire et Cassat (Eugène MOTTAZ, « A propos du 24 janvier », dans Galette de Lausanne, 24 janvier 1926, p. I).
8 VERDEIL, p. 221 et 223-229.
9 DEVELEY, p. 16-17 ; VERDEIL, p. 231. Au sujet de la date de création du Comité de réunion, cf. René SECRETAN, « Le juge Philippe Secretan pendant la révolution vaudoise », paru dans Documents inédits sur la Révolution vaudoise de I798, Lausanne [1948], p. 31, ainsi que Jean-Charles BIAUDET, « Georges Boisot et la Révolution vaudoise... », paru dans Documents inédits sur la Révolution vaudoise..., p. 55 (abrégé dorénavant BIAUDET, Boisot).
10 Eugène MOTTAZ, « A propos du 24 janvier », p. I. Composition du premier Comité de réunion : Bonnard (président), Louis-Philippe Will (vice-président), Louis Cassât (journaliste), Antoine-Louis Oboussier, Panchaud-Laharpe, capitaine de Bons, Jacques Penserot, Georges Rouge, Duvoisin-Campart (archiviste), Charles Oboussier (caissier), Moïse Fiaux, Hedelhofer aîné (secrétaire). Membres suppléants : Boutan l’aîné, Euler, Francillon-Mercier, Feignoux (secrétaire), Lacombe (libraire), Louis Bouet (secrétaire). A propos de Bonnard, président du Comité, deux notes manuscrites reliées avec l’exemplaire de l’ouvrage Le Comité de Réunion de Lausanne au Peuple des Villes et de la Campagne du Pays de Vaud déposé à la Bibliothèque cantonale et universitaire de Lausanne (cote : A 919), donnent les indications suivantes : selon la première note, de l’écriture de Monod, Bonnard « avait une grande influence et parvint toujours à modérer » ; selon la deuxième note, apparemment de Develey, « c’était un homme sans instruction, qui avait peu de moyens, et pas de véritable influence ; mais on le mettait en avant ».
11 BIAUDET, Boisot, p. 58 ; BlAUDET, Monod, p. 136 ; DEVELEY, p. 22-23 ; J. MALLET du PAN op. cit., p. 185 ; VERDEIL, p. 234-240 ; Du début de la Révolution suisse ou défense du cy-devant général de Weiss contre ses détracteurs, s.l., 1799, p. 29-33.
12 BIAUDET Monod, p. 139 ; DEVELEY, p. 30-31 ; VERDEIL, p. 244-246.
13 DEVELEY, p. 32-35 ; Henri MONOD, Mémoires, p. 116-118 ; VERDEIL, p. 246-247.
14 Lettre de Develey à La Harpe, Bibliothèque cantonale et universitaire de Lausanne (dorénavant ECU), Fonds La Harpe, n° 146 e.
15 ACV, H Ibis 3, p. 48.
16 Id. et Bulletin officiel, 2 février 1798, p. 14. A noter que le nom de ce périodique, apparu le 1er février 1798, a beaucoup varié tout en conservant « Bulletin officiel » dans son titre (abrégé dorénavant B.O.).
17 VERDEIL, p. 301.
18 « L’assemblée connue sous le nom de Comité de réunion, et dont beaucoup de membres de l’Assemblée provisoire ont fait partie, a, comme vous le savez, rendu les plus grands services à la liberté de votre pays ; énergique et sage, elle savait instruire et indiquer les mesures vigoureuses qui pouvaient servir votre République » (BIAUDET, Boisot, p. 67).
19 Lettre de Develey à La Harpe, ECU, Fonds La Harpe, n° 146 e.
20 ACV, H 163 F, pétition d’avril 1798.
21 L’Ami de la Liberté ou Bulletin des séances de la société populaire de Lausanne, p. 5-8 (abrégé dorénavant Ami).
22 Id., p. 1-5. Seront successivement élus présidents : Joseph, Develey, Verdeil, Boisot, Mourer puis, semble-t-il, Louis Reymond et Kronauer.
23 Ami, p. 8-9. Membres du Comité de réunion élu le 9 février : Joseph, Develey, Cassat, Bonnard, Wild, Rouge fils, Moyse Fiaux, Charles Oboussier, Louis Dubois, Prades, Emelingue, Porta dit Jourdillon, Reymond, Lacombe, Bourgeois, Forneret, Boisot l’aîné.
24 Ami, p. 12-13.
25 Interventions du Comité de réunion après la création de la Société, cf. notamment : Ami, p. 56 ; Le Régénérateur par Reymond, p. 19 (abrégé dorénavant Régénérateur) ; ACV, H Ibis 3, p. 166 ; B.O., 24 février 1798, p. 121 ; 15 mars 175 p. 245. Le 16 mars, l’ordre du jour de la Société prévoyant de renouveler le Comité de réunion, Mourer se livre à une attaque en règle contre les membres sortants, leur reprochant de n’avoir rien fait ces quinze derniers jours et de n’avoir pas rendu compte de leur action. Bonnard, Valier et Reymond prennent la défense du Comité avec d’autant plus de conviction que deux d’entre eux en faisaient partie : le défaut de compte-rendu s’explique par l’absence d’un membre important, le Comité peut s’enorgueillir d’avoir été la première sentinelle de la liberté vaudoise, sa baisse d’activité doit être attribuée aux nouvelles occupations de plusieurs membres devenus électeurs ou soldats. L’incident clos, sont élus à ce Comité de réunion « composé de huit membres, suivant l’arrêté pris à cet égard » : Bolomey, Archinard père, Battier, Glaise, Duvoisin-Campart, Falconnier, Vullyamoz, Borgea père (Ami, p. 93-96). Quatre jours plus tard, Battier, bâlois, indique qu’il ne peut faire partie du Comité (Ami, p. 106). Pour le remplacer, ainsi qu’un autre membre défaillant, Mourer et Develey sont élus un peu plus tard (Ami, p. 116).
26 Lors de la deuxième réunion, et sur proposition de Dubois, la Société décide de publier le compte-rendu de ses séances dans un bulletin périodique (Ami, p. 13). Ce sera L’Ami de la Liberté ou Bulletin des séances de la société populaire de Lausanne, dont 16 numéros paraîtront du 9 février au mois de mai 1798, représentant un total de 184 pages. Le dernier numéro annonce que « le citoyen Reymond donnera les séances de la Société des Amis de la Liberté dans son journal intitulé le Régénérateur, qui paraîtra dès le 22 mai courant. » De fait, Le Régénérateur par Reymond (au-dessus du titre : « Liberté-Egalité » ; au-dessous du titre : « Non nobis sed Reiblicae nati sumus Cicer. ») comptera 23 numéros du 22 mai au 31 août 1798. Les comptes rendus des séances de la Société y sont beaucoup plus rares et courts que dans L’Ami de la Liberté. Ces deux publications surtout le Régénérateur, contiennent également des informations et des analyses qui reflètent moins les tendances du club que la pensée du rédacteur. On ne peut donc attribuer à la Société, comme certains ont cru pouvoir le faire, les opinions énoncées dans des articles de ce type, Reymond s’en explique : « Comme auteur du journal intitulé le Régénérateur, qui porte mon nom, je déclare que si j’y ai inséré quelquefois les séances de cette société, je n’en avais reçu aucune invitation de la part de ses membres ; et que si le Régénérateur s’est permis des calomnies, moi seul qui en suis le rédacteur, dois être responsable devant les tribunaux, et non pas la Société que je préside (Régénérateur, p. 28).
27 Ami, p. 86-87.
28 Id., p. 113-115.
29 « Les braves vainqueurs d’Italie, nos généreux défenseurs veulent assister à nos assemblées ; il est décrété qu’ils occuperont la droite du président, dans le parquet » (Ami, p. 9).
30 Ami, p. 34, 19, 27, 28-29.
31 Ami, p. 41-43, 18, 103-105.
32 Principaux intervenants : Reymond, Boisot., François, Mourer, Dubois, Joseph, Ravizza, Verdeil, Gaspard Fiaux, Develey, Bourillon, Valier, Archinard, Falconnier, Junon, Mieville, Vullyamoz, Will, Bonnard, Bote, Corboz, Oboussier, Piccard.
33 Reymond est présenté comme « l’âme des assemblées, le bras et la tête du peuple » (Ami, p. 23 ; cf. aussi p. 19 et 59). Ces comptes rendus n’apparaissent pas comme le récit neutre et impersonnel des séances. L’auteur anonyme n’hésite pas à prendre parti : il approuve ou blâme certains orateurs (par exemple : Ami, p. 53-54, 97-98), il ajoute des commentaires de son cru. On remarque que ces commentaires coïncident souvent avec l’opinion de Reymond (par exemple : Ami, p. 96-103).
34 Ami, p. 6, 59, 83.
35 Id, p. 133 ; voir aussi p. 24, 52-53, 172.
36 BIAUDET, Boisot, p. 66-67.
37 Ami, p. 15 5-164 ; Nouvelliste vaudois et étranger (abrégé dorénavant Nouvelliste), 28 avril 1798 ; VERDEIL, p. 338.
38 Ami, p. 87-88.
39 Id., p. 166.
40 Id., p. 141, 148-149.
41 Ami, p. 144. Sur le thème « liberté sans licence » : Ami, p. 6 ; DEVELEY, p. 43 ; René SECRETAN, Le juge Philippe Secretan pendant la Révolution vaudoise..., p. 36 ; Catéchisme de la constitution helvétique, Lausanne, 1798, p. 61-62.
42 Ami, p. 140.
43 Id., p. 26.
44 VERDEIL, p. 231-247.
45 Id., p. 242.
46 DEVELEY, p. 43-44.
47 ACV H Ibis 3, p. 17.
48 Id., p. 26.
49 Id., p. 114.
50 Id., p. 26 ; ACV, H Ibis 3, p. 127 ; B.O., 9 février 1798, p. 93.
51 Id., p. 11. Le Comité de réunion « représentera le peuple dans tous les cas relatifs aux affaires d’un intérêt secondaire » (art. 7 du plan d’organisation, Ami, p. 12).
52 Id., p. 72-73, 84.
53 Id., p. 24, 56, 57, 127-128.
54 Voyant une députation de la Société se présenter à l’Assemblée pour réclamer la publicité des débats, Secretan, de son propre aveu, « les apostrophe de manière violente de ce qu’ils profanent le temple de Saint-Laurent par des débauches détestables ». C’est faire une description outrée de discussions en général assez paisibles. Le président le rappelle à l’ordre (René SECRETAN, Le juge Philippe Secretan pendant la Révolution vaudoise..., p. 39-40). De retour au temple de Saint-Laurent, les Amis de la Liberté rapportent l’accueil qui leur a été réservé et accusent Secretan d’être fanatique, fou et voué aux « petites maisons ». La Société réclame son exclusion (Ami, p. 33-34). Secretan va racheter sa sortie aussi maladroite que prématurée : il prend le club de vitesse en proposant sa démission avant même l’arrivée de la délégation chargée d’exiger son départ. L’Assemblée refuse cette démission et tout est joué lorsque Joseph, Develey, Boisot, Dubois et Reymond demandent à être reçus. Ils d’entendent répondre que la probité, le patriotisme éclairé et les compétences de Secretan interdisent à l’Assemblée de se priver de tels services (ACV, H Ibis 3, p. 134 à 138).
55 Ami, p. 45. De Paris, La Harpe tente d’apaiser les esprits. Lettre à Secretan : « J’ai appris avec peine que le Comité vous avait dénoncé : je vais leur en écrite ; mais ne les heurtez pas trop de front (BCU, Fonds La Harpe, n° 144). Réponse de Secretan {Ibid., n° 159). Justification de Develey (Ibid., n° 146 e).
56 ACV, H Ibis 3, p. 138. L’idée d’une prééminence de l’Assemblée trouve des défenseurs jusque dans la Société. C’est au cours de la séance où le club apprend, désappointé, le refus d’exclure Secretan, que Suchet rappelle aux membres « Qu’une assemblée populaire n’est pas une autorité constituée, qu’elle ne peut dicter des lois » (Ami, p. 34). A ce sujet, cf. lettre de Monod à La Harpe (BCU, Fonds La Harpe, n° 130/26).
57 ACV, H Ibis 3, p. 209 ; Nouvelliste, 3 mars 1798 ; Ami, p. 68 ; B.O., 25 février 1798, p. 124.
58 Ami, p. 22-24 ; ACV, H i bis 3, p. 127. L’Assemblée veillera à ce que les particuliers arrêtés à la suite de l’affaire d’Ecublens soient traités avec modération (Ibid., p. 132).
59 Ami, p. 55-56. Cf. aussi p. 61-62, 66, 72.
60 ACV, H 3, p. 16 ; H Ibis i, p. 347.
61 Ami, p. 23.
62 Ibid., p. 45.
63 Lettre de Develey à La Harpe, BCU, Fonds La Harpe, n° 146 e.
64 Ami, p. 7. Cette volonté de rassurer transparaît dans un jugement en forme de prédiction publié par le Nouvelliste : « Tout annonce que cette société, quoique très nombreuse se soutiendra dans les bornes d’une juste modération, si difficile à garder dans un temps de crise » (Nouvelliste, 2.4 février 1798).
65 Ami, p. 9-11.
66 Id., p. 52, 126-127.
67 Id., p. 111.
68 B.O., 25 février 1798, p. 126. A noter que le Bulletin Officiel, publié pat les soins de l’Assemblée provisoire, semble particulièrement bienveillant pour la Société, accueillant une publicité pour L’Ami de la Liberté, rendant compte à l’occasion des séances du club (B.O., t. I, p. 162, 273-274, 302-304, etc.). Cette bienveillance durera jusqu’à la disparition des Amis de la Liberté (cf. récit de l’émeute du 5 septembre : B.O., 6 septembre 1798, p. 264).
69 ACV, H Ibis 3, p. 48.
70 Ibid., p. 422 ; B.O., 19 mars 1798, p. 278 ; Nouvelliste, 24 mars 1798.
71 Ami, p. 60-61 ; ACV, H Ibis 3, p. 418-419 ; H Ibis 2, p. 13-14 ; B.O., 16mars 1798, p. 256-258.
72 Ami, p. 26 ; ACV, H Ibis 3, p. 127 ; B.O., 9 février 1798, p. 93.
73 ACV, H Ibis 3, p. 372 ; B.O., 15 mars 1798, p. 245 ; Nouvelliste, 20 mars 1798.
74 L’Ami, p. 78, 81 ; ACV, H Ibis 3, p. 387 ; H 3, p. 37.
75 Ami, p. 11,18. Il est vrai que Dapples, proposé par le comité militaire comme major de place, accepte de ne pas recevoir d’émoluments mais simplement des indemnités (ACV, H Ibis 2, p. 430). Quant à Wasserfall, il sera commandant de la garde sédentaire.
76 Ami, p. 29.
77 Id., p. 35, 49-50.
78 ACV, H Ibis 3, p. 48 ; B.O., 2 février 1798, p. 14.
79 Par exemple Ami, p. 115 et 122. Quant au peuple, il parle naïvement de « Guillaume Tell et sa femme » (ECU, Fonds La Harpe, n° 130/24).
80 Ami, p. 43-44 ; BIAUDET, Boisât, p. 68. Reymond revient souvent sur cette suggestion de détruire les statues de la cathédrale : cf. Ami, p. 124 ; Régénérateur, p. 52-56.
81 Ami, p. 114-116.
82 ACV, H Ibis 3, p. 489 ; B.O., 26 mars 1798, p. 324 ; Nouvelliste, 31 mars 1798.
83 Ami, p. 122, 123-125 ; ACV, H Ibis 3, p. 497 ; B.O., 28 mars 1798, p. 340 ; Nouvelliste, 3 avril 1798.
84 BCU, Fonds La Harpe, n° 129-130/24, 159. Cf. aussi lettre de La Harpe à Maurice Glayre (E. MOTTAZ, « Laharpe et les pasteurs de Lausanne », dans Galette de Lausanne, 6 juillet 1948).
85 BIAUDET, Boisot, p. 68.
86 ACV, 111, t. I, p. 2 ; B.O., 3 avril 1798, p. 371.
87 Ami, p. 85.
88 Robert CENTLIVRES, Histoire de l’Eglise Réformée vaudoise sous le régime helvétique, Lausanne, 1975, p. 18. Reymond serait également intervenu auprès du général Pouget, commandant de place, et, avec l’appui du général Brune, aurait failli obtenir gain de cause s’il n’y avait eu le refus déterminé de Maurice Glayre, président de la Chambre administrative. Cf. E. DERIAZ, « Saint-Laurent et les ‘Amis de la Liberté’ » dans La Revue de Lausanne, 1er mai 1943 et MOTTAZ, « Laharpe et les pasteurs... », op. cit.
89 « Lausanne le 3 avril [...]. Les Amis de la Liberté, malgré toutes leurs démarches, n’ont pu obtenir de laisser dans le temple de Saint-Laurent la statue de Guillaume Tell et la déesse de l’Egalité : ils ont été obligés de rendre samedi les clefs de ce temple. Dimanche soir, ils voulaient déjà les ravoir. Hier soir, ils ont parlé vivement, mais sans succès. On s’est contenté de mettre sur pied une garde de quelques soldats vaudois. Aujourd’hui tout ne paraît pas apaisé, et quelques personnes craignent une émeute populaire. » (Nouvelliste, 3 avril 1798). ACV, H 111, t. 1, p. 5. Sur les menaces de désordres qui ont suivi la décision de la Chambre administrative : E. MOTTAZ, « Laharpe et les pasteurs… », op. cit.
90 ACV, H 111, p. 9-23 ; B.O., 7 avril 1798, p. 394-395 ; Nouvelliste, 10 avril 1798.
91 ACV, H 163 F, pétition d’avril 1798. Cf. aussi L. MOGEON, « La révolution vaudoise d’après un témoin oculaire », dans Galette de Lausanne, 24 janvier 1928.
92 ACV, H 111, t. 1, p. 20 ; B.O., 10 avril 1798, p. 414-415 ; Nouvelliste, 21 avril 1798.
93 ACV, H 163 F.
94 Ami, p. 130-134.
95 Id., p. 146, 180.
96 Régénérateur, p. 3.
97 Id., p. 26
98 Id.., p. 3.
99 Id., p. 26.
100 Id., p. 86.
101 L’Ami, p. 145, 151 ; ACV, H 111, t. I, p. 88.
102 Régénérateur, p. 11.
103 ACV, H 111, t. I, p. 286-293 ; Régénérateur, p. 19, 26.
104 Régénérateur, p. 2, 16 et 60.
105 Ami, p. 172-173 ; Régénérateur, p. 86.
106 Régénérateur, p. 89-90.
107 Ami, p. 151-155.
108 Régénérateur, p. 11. Conclusion d’un article : « La paresse engendra le brigandage, le brigandage engendra la noblesse, la noblesse engendra l’esclavage, l’esclavage engendra l’ignorance, l’ignorance engendra la corruption, et c’est ainsi que quelques coquins entraînèrent le genre humain vers sa ruine. Halte-là ! » (Régénérateur, p. 24 ; cf. aussi p. 7, 8 et 19).
109 Régénérateur, p. 7 ; cf. aussi p. 13-14.
110 Id., p. 86.
111 Id., p. 2-3 ; Ami, p. 8.
112 ACV, H 163 F ; H 111, t. I, p. 372 ; Régénérateur, p. 28. Le 3 juin, François a fait un discours sur l’utilité des sociétés populaires et « sur les moyens qu’elles ont d’affermir le gouvernement » (Régénérateur, p. 19)
113 BCU, Fonds René Secretan, III, I.
114 Nouvelliste, 23 juin 1798.
115 Id., 28 août 1798.
116 Régénérateur, p. 89-91.
117 B.O., 6 septembre 1798, p. 258-260.
118 Id., p. 260. Ce souci de rendre aussi supportable que possible la détention de Reymond ne se démentira pas, même après les désordres populaires. Le préfet invite l’administration à veiller à ce que le prisonnier soit bien traité, « avec les égards qu’exigé la dignité dont le peuple souverain l’a revêtu ». Convoqué, le concierge donne tout apaisement quant au confort de la cellule et à la qualité de la nourriture. Il devra déployer « tous les soins et attentions que son état exige ». L’administration conclut que « Reymond paraît être content et qu’il n’a besoin de rien » (ACV, H 111, t. II, p. 326-327).
119 Nouvelliste, 8 septembre 1798 ; B.O., 6 septembre 1798, p. 264. Il est vrai que le même entrefilet rend compte de la manifestation de la soirée en indiquant que « le peuple s’est porté en foule à la maison Nationale ». La Chambre administrative attire l’attention du préfet sur les termes de ce récit, « que plusieurs personnes ont trouvés contraires à l’exacte vérité, ou du moins exagérés » : il n’y avait pas tout le peuple mais une petite partie. On laisse à l’appréciation du préfet de relever ou non cette erreur (ACV, H ni, t. II, p. 351. VERDEIL, p. 354).
120 B.O., 8 septembre 1798, p. 269-271.
121 Id., p. 268.
122 ACV, H 163 F, lettre du 12 septembre 1798.
123 Id., lettres des 13 et 14 septembre 1798.
124 B.O., 13 juin 1798, p. 328-329.
125 Pour sa défense, Joseph indique qu’il n’assistait plus aux séances depuis trois mois, que Ravissat le remplaçait, que, de toute façon « tout ce qui avait rapport à ladite société était dirigé par le Comité de réunion dont je n’étais point membre » (ACV, H 163 F, lettre non datée).
126 Ibid., rapport du 7 septembre 1798.
127 Le sous-préfet paraît extrêmement monté contre ce club : « Il serait à souhaiter qu’un ordre émané du Directoire exécutif opérât la dissolution de cette assemblée populaire qui n’est qu’une école d’impiété et de licence, qui cherche à entraver les opérations des agents et des autorités constituées » (ACV, H 163 F, lettre du 21 août 1798). Pourtant le programme adressé, au mois de mai, par le président de cette société à la Chambre administrative, semble très modéré : « La base des bonnes mœurs se trouve pleinement et toute entière dans l’Evangile de Jésus-Christ, le devoir le plus sacré d’un bon citoyen est de faire connaître et pratiquer lui-même les vertus qu’il enseigne. » Il faut ramener les égarés par la douceur et la persuasion. Il faut inspirer à tous « l’entière soumission aux lois, la confiance et un grand respect aux autorités constituées » (Ibid., lettre du 5 mai 1798).
128 Id., lettres des 18, 20 et 23 septembre 1798.
129 Id., lettres des 19 et 22 septembre 1798. Sur le club de Morges : B.O., 21 mars 1798, p. 294 ; ACV, H 111, t. I, p. 322.
130 ACV, H 163 F, lettres des 8 et 23 octobre 1798.
131 BIAUDET, Boisot, p. 66.
132 G. H. de SEIGNEUX, Précis historique de la Révolution du canton de Vaud, p. 136.
Notes de fin
* Article publié dans la Revue historique vaudoise, 1976, p. 75 à 114.
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