L’image des débats en cour d’Assises chez les romanciers français des xixe et xxe sièclesi
p. 415-432
Texte intégral
1Les débats en Cour d’assises devraient passionner les romanciers et leur fournir une source toute très naturelle d’inspiration1. Parmi les épisodes de la vie juridique, et plus généralement de la vie sociale, il en est peu qui puissent offrir une tension dramatique aussi forte tant par l’importance de l’enjeu que par les caractéristiques de la procédure, c’est-à-dire de la mise en scène. Tout concourt à faire du procès criminel, un spectacle classique auquel ne manquent ni l’unité d’action, ni l’unité de lieu ; il n’est guère que l’unité de temps qui puisse subir quelques atteintes, d’ailleurs limitées. L’intervention de témoins extérieurs et parfois inattendus permet toutes sortes de coups de théâtre. La présence de la victime -ou en tout cas de ses représentants sous la forme de la partie civile- garantit des moments d’émotion vraie. Le jury joue un rôle ambigu et menaçant qui tient du cœur antique, muet mais toujours présent et participant par ses mimiques difficilement interprétables, et de la statue du Commandeur d’autant plus dangereuse qu’il n’y a aucune chance d’échapper à sa sentence. Tout contribue à ce que l’intérêt se maintienne jusqu’au bout, avec une montée en puissance de la tension dramatique, depuis le choix des jurés et la lecture de l’acte d’accusation jusqu’à l’énoncé du verdict, ce dernier admirablement préparé par la longue attente qu’imposent les délibérations du jury, le jeu des questions-réponses et le prononcé de la peine qui est censée en découler de façon quasi mécanique, variante du fatum antique.
2Pourtant il est relativement peu d’œuvres romanesques qui fassent au procès d’assises une place importante, en tout cas digne d’un moment si intense. Du moins si l’on exclut les auteurs de romans-policiers qui l’évoquent de façon quasi professionnelle, en tout cas trop orientée pour être significative. Au surplus, nombre de ces romans policiers se situent dans un cadre très anglo-saxon, avec des procès fondés à tort ou à raison sur la technique de l’interrogatoire croisé et agressif des témoins par les avocats et le procureur, sans que l’impression laissée puisse, d’une façon ou d’une autre, être considérée comme exprimant les sentiments du justiciable français à l’égard du système judiciaire dont il dépend. S’agissant de la Cour d’assises telle que la prévoient le Code d’instruction criminelle de 1808 et le Code pénal de 1810, les romanciers paraissent hésiter à en intégrer le fonctionnement dans leurs œuvres soit qu’ils répugnent à faire appel à un procédé trop facile pour valoir la peine d’y recourir, soit qu’ils craignent de commettre des erreurs techniques dans la description d’une procédure où la moindre irrégularité peut être source de nullité pour les parties et de ridicule pour le narrateur, soit enfin qu’ils considèrent un tel épisode comme trop décisif et même définitif pour être facilement intégré dans une intrigue que l’on souhaite conserver ouverte à toutes sortes de rebondissements ultérieurs.
3L’on ne sait si ce constat facilite notre travail de recherche sur l’image du procès en Cour d’assises chez les romanciers français des XIXe et XXe siècles par le petit nombre des œuvres à synthétiser ou s’il le rend au contraire plus périlleux par l’étroitesse de l’échantillon à scruter. A s’en tenir à l’essentiel, deux auteurs semblent dominer la période, du point de vue qui est le nôtre, c’est-à-dire par l’utilisation du procès d’assises comme élément décisif du récit romanesque. Il s’agit, pour le XIXe siècle, rien moins que de Victor Hugo qui le place au centre tant du Dernier jour d’un condamné2 où c’est l’accusé lui-même qui fait, à la première personne, le récit de son procès, que des Misérables3, lorsque Jean Valjean renonce à la quiétude de son poste de maire de Montreuil-sur-Mer pour sauver Champmathieu qui risque d’être condamné à sa place. Pour ce qui est du XXe siècle, c’est Albert Camus qui semble pouvoir être le plus efficacement utilisé avec l’Etranger, dont le cinquième est consacré au récit du jugement de Meursault après l’assassinat d’un Arabe sur une plage algérienne4. Ce seront les deux principales œuvres d’imagination dont nous utiliserons le texte, complétées par Le Rouge et le Noir de Stendhal et le récit du procès de Julien Sorel après qu’il ait tiré sur Madame de Rénal5.
4Il est vrai que ces œuvres d’imagination peuvent être complétées par les témoignages également écrits par des romanciers mais sans qu’ils aient jugé utile, en l’occurrence, de prendre le masque de la fiction. Une telle extension semble d’autant plus justifiée que même les romans sont en général fondés sur des affaires réelles6 ou, à tout le moins, sur une observation assez poussée d’un certain nombre de procès dont les composantes sont mêlées pour constituer un ensemble nouveau7. A l’inverse le regard du romancier peut interpréter des faits qu’il prétend se borner à décrire jusqu’à les rendre méconnaissables, surtout lorsqu’il s’agit d’accusation où il était lui-même en cause, ainsi lorsque Chateaubriand raconte comment il a entendu assurer lui-même sa défense devant le jury de Paris pour un article publié dans la Quotidienne en faveur de la duchesse de Bercy8. A l’inverse, au XXe siècle, certains romanciers se sont voulu témoins objectifs, presque journalistes, pour rendre compte de procès d’assises qui leur apparaissaient comme un témoignage des pratiques et des tares de la société de leur temps. C’est André Gide qui a poussé l’effort le plus loin, jusqu’à se faire recruter comme membre de jury de Cour d’assises et jusqu’à diriger une collection d’ouvrages sur des procès jugés intéressants9. Appartenant à la même veine : L’affaire Fabre-Bulle de François Mauriac sur l’assassinat par une femme mariée de son jeune amant et de sa rivale10 et les Notes sur l’affaire Dominici de Jean Giono à propos du mystérieux assassinat d’une famille d’Anglais dans le sud de la France11.
5Si l’on met à part le sentiment estimable mais finalement assez banal qui pousse à peu près tous ces auteurs à disserter sur la difficulté qu’il peut y avoir à décider du destin d’un homme quelque coupable qu’il paraisse, si l’on doit souligner l’image finalement plutôt bienveillante à l’égard des magistrats qui se dégage de ces écrits, surtout compte tenu de la difficulté du métier du juger12, la plupart de ces récits se rejoignent également par des appréciations moins nettement favorables. Ils se retrouvent pour dénoncer le caractère artificiel, professionnel et stéréotypé des débats : il s’agit moins de reconstituer une vérité humaine, de débusquer les motivations profondes et les véritables responsabilités que de mener à bien une sorte de parcours obligé, sans problèmes ni scandales, avec juste ce que peuvent introduire d’animation les rivalités professionnelles existant naturellement entre le président, le procureur, l’avocat de la défense et celui de la partie civile. Toujours dans le bon ton. La première impression est donc celle d’un spectacle (I), avec des acteurs plus ou moins talentueux mais où chacun connaît bien son rôle et surtout où les juristes professionnels -magistrats et avocats- entendent se voir reconnaître la première place (II), sans toujours tenir suffisamment compte des circonstances particulières du procès, tendant plutôt à confiner les intervenants extérieurs -tels les témoins-dans des interventions limitées, en s’efforçant surtout de faire accepter son rôle par l’accusé (III), pour qu’il se tienne à sa place, la plus discrète possible, sans risque de perturbation du schéma bien organisé dont les professionnels ont l’habitude et qu’ils ont la ferme intention de mener tranquillement à son terme.
I - Un spectacle bien organisé
6L’idée de spectacle -si insolente qu’une telle comparaison puisse paraître au premier abord- n’était pas tout à fait absente de l’esprit de ceux qui mirent en scène, aux lendemains de la Révolution, le procès d’assises. Simplement et à s’en tenir au témoignage des romanciers, l’on n’est pas sûr que soit toujours atteint le but qu’ils poursuivaient.
7On sait que l’appareil de la justice est fait pour impressionner, particulièrement lorsqu’il s’agit de justice pénale. Selon une tradition fort ancienne, soigneusement recueillie par Napoléon qui y voyait un élément de l’ordre social, tout devait être mis en œuvre pour jeter l’accusé dans un sentiment de crainte propice à l’aveu de ses fautes, au repentir sincère et à l’acceptation de la sentence. Par-delà cet accusé dont on n’ose dire qu’il est l’acteur principal tant son intervention active est peu sollicitée mais qui demeure du moins la cause décisive de mise en branle de la procédure, ce sont l’ensemble des spectateurs qui devaient être frappés d’une sorte de terreur salutaire devant le décorum judiciaire, la puissance maîtrisée dont il témoigne, le caractère inéluctable du processus de punition des coupables selon un schéma parfaitement logique auquel nul ne peut échapper, d’une belle fatalité. Si tel était bien le but au début du XIXe siècle, et dans la mesure où il en demeure quelque chose de nos jours, il faut reconnaître que le récit qu’en font les romanciers tendent à conclure que c’est souvent raté.
8Ils ne contestent pas qu’il y ait spectacle mais d’un genre fort mélangé et sans que les éléments dramatiques et solennels soient forcément les plus nombreux. Il y a aussi du burlesque dans le procès d’assises, des moments d’émotion vraie et, plus encore, d’ennui. Il est aussi des instants de jubilation pour les spectateurs, pas toujours pour le bon motif, lorsque l’un des acteurs trébuche dans sa démonstration, dans son système de défense ou d’attaque et qu’on le sent sur le point de succomber mais sans que la recherche de la vérité y ait toujours sa part. C’est d’ailleurs ce qui frappe d’abord à l’entrée de la salle d’audience, avant même de s’intéresser au décor13 et aux personnages principaux : la pression de la foule, son inquiétude à l’idée qu’il puisse manquer des places14, ses réflexions pas nécessairement malveillantes mais toujours empreintes de préjugés15, sa curiosité indiscrète lorsqu’elle croit avoir reconnu un témoin ou une personnalité, les bousculades pour voir l’accusé, surtout lorsqu’il encourt la peine capitale. N’hésitant pas devant la comparaison facile, mais il est vrai la mettant dans la bouche de son futur condamné à mort, Victor Hugo dénonce cette « nuée de spectateurs qui venaient s’abattre sur les bancs de la salle d’audience comme des corbeaux autour d’un cadavre »16 . A l’inverse, plus didactique quoiqu’un peu misogyne, François Mauriac fait l’éloge de ce président dont « l’autorité souveraine (...) a purifié la Cour d’assises d’un immonde public d’oisifs et de belles curieuses »17.
9Tout le monde ne s’en plaint pas. S’imaginant peut-être lui-même dans une telle circonstance, Stendhal dépeint Julien Sorel surtout intéressé, tout au long des débats qui vont déboucher sur sa condamnation et son exécution, par le spectacle de « douze ou quinze jolies femmes qui, placées en face de la sellette de l’accusé, remplissaient les trois balcons au-dessus des juges et des jurés »18. Il en est tout ému. Quelques instants auparavant, au moment d’entrer, s’étant préparé à affronter « cette foule d’envieux qui, sans cruauté, allaient applaudir à son arrêt de mort », il a été bien surpris de constater « que sa présence inspirait au public une pitié tendre. Il n’entendit pas un seul propos désagréable. Ces provinciaux sont moins méchants que je ne le croyais, se dit-il ». En tout cas, à partir de là, Julien Sorel assiste à son procès dans une sorte de ravissement dont il est rien moins qu’évident qu’il soit représentatif de tous les accusés d’assises. Certains lecteurs en jugeront même le récit peu vraisemblable.
10A peine Julien a-t-il constaté la présence, juste en face de lui, de ce groupe de jolies femmes parmi lesquelles le gendarme qui le garde lui a fait obligeamment identifier la préfète, une amie de Madame de Rénal, la marquise de N*** - « celle-là vous aime bien ; je l’ai entendu parler au juge d’instruction »-, qu’il se retourne pour regarder le public : la tribune était « remplie de femmes : la plupart étaient jeunes et lui semblèrent fort jolies ; leurs yeux étaient brillants et remplis d’intérêt »19. Tout concourt à la félicitée de cet accusé à l’heureuse nature : son entrée a été saluée « par un murmure d’étonnement et de tendre intérêt » ; iI est vrai qu’il n’y a, dans ce succès de prétoire, rien d’improvisé : « Mathilde avait voulu présider elle-même à sa toilette ». Le résultat est à la hauteur : « il était mis fort simplement, mais avec une grâce parfaite, ses cheveux et son front étaient charmants ». Le succès est complet : « il entendit dire de tous côtés : Dieu ! comme il est jeune !... Mais c’est une enfant... Il est bien mieux que son portrait »20.
11L’ensemble des débats se déroulent dans cette ambiance délicieuse : chaque fois que l’avocat général l’attaque, ces dames affectent « de le désapprouver vivement » ; elles ont presque toutes « le mouchoir à la main » dès que l’avocat de la défense commence sa plaidoirie au point d’émouvoir Julien lui-même et de lui faire craindre un instant d’être ridicule, crime suprême pour Stendhal. Il est agréablement surpris de constater que, malgré l’heure tardive, « aucune femme n’avait quitté l’audience pour aller dîner ». Encouragée, il prend lui-même la parole ; c’est l’apothéose : « toutes les femmes fondaient en larmes » ; il n’est jusqu’à l’amie de Madame de Rénal - la victime- qui, devant un repentir si sincère, ne finisse par s’évanouir dans un grand cri. L’enchantement demeure pendant la délibération du jury : en dépit du temps qui passe « aucune femme n’avait abandonné sa place » ; il ne se dissout même pas lorsqu’est prononcée la sentence de mort : « ce pauvre président des assises, tout juge qu’il est depuis nombre d’années, avait la larme à l’œil en me condamnant »21. Ramené dans sa cellule, il s’endort paisiblement et son premier mot, à son réveil : « N’étais-je pas beau hier, quand j’ai pris la parole ? »22 Beaucoup de magistrats d’assises rêveraient d’un accusé aussi charmant, tellement coopératif et finalement si content de sa condamnation. On est loin des sombres bois de justice dépeints par tant d’écrivains lugubres.
12Ce portrait dont l’outrance frappe le lecteur même le plus acquis à Stendhal, comporte cependant une part de vérité dont on trouve des échos chez Camus, encore qu’en termes moins charmants comme il se doit avec le romancier de l’absurde, et sans qu’il y manque même un peu d’humour noir. Avant même d’être admis dans la salle d’audience, attendant derrière la porte avec ses gendarmes, Meursault est surpris par les bruits qu’il entend de l’autre côté : des voix, des appels, des bruits de chaises, « tout un remue-ménage qui m’a fait penser à ces fêtes de quartier où, après le concert, on range la salle pour pouvoir danser ». Et c’est bien l’idée de fête et de spectacle qui domine. On comprend dans ces conditions qu’un instant après, meublant l’attente en devisant avec ses gardes, il leur fasse part de son intérêt d’assister à un procès puisqu’il n’en a jamais vu jusqu’à présent, s’attirant cette réponse sans malice de la part du gendarme : « cela finit par fatiguer », éventualité dont il n’est guère menacé. Quelques minutes encore et il est introduit dans le prétoire et demeure très étonné de la foule venue assister, ayant de la peine à imaginer que c’est pour lui : « D’habitude les gens ne s’occupaient pas de ma personne. Il m’a fallu faire un effort pour comprendre que j’étais la cause de toute cette agitation ». Là encore, il s’en ouvre aux gendarmes : « que de monde ». Un journaliste vient lui dire quelques mots, si cordiaux et presque mondains que Meursault est sur le point de le remercier de sa présence et de celle d’un collègue parisien également venu rendre compte, puis il se ravise : « j’ai pensé que ce serait ridicule »23.
13Le spectacle est d’ailleurs inégal. Qu’il faille l’attribuer au mépris légitime que des romanciers de talent ne peuvent que ressentir face aux vains efforts d’éloquence du monde judiciaire ou qu’il y ait, dans leur jugement, une part de jalousie telle qu’elle peut exister entre créateurs d’œuvres de l’esprit24, les appréciations sont assez uniformément défavorables. C’est, comme il se doit, l’accusation qui encourt les critiques les plus vives : « pathos en mauvais français »25, « éloquence plate »26, « violent et fleuri, comme sont habituellement les avocats généraux »27... Les moindres reproches tiennent à l’ennui qu’il distille28 ou au vocabulaire qu’il emploie, incompréhensible, surtout pour l’accusé, « mais ce qu’il comprendra bien tout à l’heure, c’est qu’il est condamné »29. Chateaubriand est impitoyable à l’égard de son accusateur, Persil, il est vrai confronté à une rude tâche : faire comprendre au jury sans grossièreté la comparaison ordurière que pouvait évoquer une phrase visant le gouvernement : « il est difficile d’écraser ce qui s’aplatit sous les pieds ». Persil s’efforce à une mimique : « Sentez-vous, messieurs, ce qu’il y a de méprisant à ce paragraphe (...) ? » et il faisait le mouvement d’un homme qui écrase sous ses pieds quelque chose ». Si l’effet est raté et l’auteur de l’article acquitté, Chateaubriand ne rate pas en revanche son portrait du magistrat renouvelant son geste pour être bien compris : « II recommençait triomphant : les rires de l’auditoire recommençaient. Ce brave homme ne s’apercevait ni du contentement de l’auditoire à la malencontreuse phrase, ni du ridicule parfait dont il était en trépignant dans sa robe noire comme s’il eut dansé, en même temps que son visage était pâle d’inspiration et ses yeux hagards d’éloquence »30.
14François Mauriac est, comme l’accoutumée, plus féroce encore sous une apparence plus paterne. Il décrit l’avocat général, « orateur armé de poncifs redoutables », ajoutant qu’il « met au service de la société de très vieilles armes mais éprouvées, car la rouille envenime les plaies »31. Telle est bien l’accusation la plus habituelle : celle d’une éloquence vieillie, dépassée, provinciale même. Victor Hugo puise dans ce thème l’un de ces morceaux de bravoure qui ne sont pas absolument indispensables au déroulement général de l’intrigue mais dont le lecteur se souviendra ; il décrit « cette langue de province qui a longtemps constitué l’éloquence du barreau et dont usaient jadis tous les avocats (...) et qui aujourd’hui, étant devenue classique, n’est plus guère parlée que par les orateurs officiels du parquet, auxquels elle convient par ses sonorités graves et son allure majestueuse ; langue où un mari s’appelle un époux, une femme une épouse, Paris le centre des arts et de la civilisation, le roi, le monarque, monseigneur l’évêque, un saint pontife, l’avocat général, l’éloquent interprète de la vindicte, (...) les erreurs imputées aux journaux, l’imposture qui distille son venin dans les colonnes de ces organes, etc. etc. »32
15En somme et à s’en tenir à la description des romanciers : un spectacle inégal, avec des acteurs de talents et d’autres passables, mais bien rodé et finalement distrayant et efficace si l’on met à part quelques longueurs. Encore est-il nécessaire, pour que la fête soit complète, marquée par une animation de bon aloi mais sans excès ni scandale, que les professionnels-magistrats, avocats de l’accusation, de la partie civile et de la défense- se voient reconnaître un rôle tout à fait prédominant, que les amateurs et les figurants -jurés, témoins et même accusé, a fortiori la foule- restent à leur place, discrets, heureux d’un certain point de vue que l’on accepte leur présence mais n’en abusant pas : la justice doit rester une affaire de professionnels.
II - Une affaire de professionnels
16Bien sûr, l’on ne peut imaginer un procès d’assises sans accusé, sans témoins, ou encore -du moins en l’état de notre législation- sans jury. Un observateur extérieur ou inexpérimenté considérerait même qu’il faut leur affecter les premières places. En fait, cette analyse ne résiste pas à quelques minutes passées dans la salle des débats. Telle est bien l’impression de Meursault, dès le début de son procès : « j’ai remarqué à ce rnoment-là que tout le monde se rencontrait, s’interpellait et conversait, comme dans un club où l’on est heureux de se retrouver entre gens du même monde. Je me suis expliqué aussi la bizarre impression que j’avais d’être de trop, un peu comme un intrus »332. Mauriac exprime la même constatation de manière plus abstraite et générale : « Ceci m’a d’abord frappé à la Cour d’assises : la créature qui a mis en branle cet appareil terrible, l’accusée, ne compte guère : c’est dans ce drame le personnage sans importance, -indispensable au jeu comme la balle que les joueurs se disputent, elle sert pour chacun des protagonistes pour manifester le génie qui leur est propre »34.
17Certains accusés puisent, dans ce sentiment d’exclusion, un motif d’indignation, tel Meursault : « Mon sort se réglait sans qu’on prenne mon avis. De temps en temps, j’avais envie d’interrompre tout le monde et de dire : « Mais tout de même, qui est l’accusé ? C’est important d’être l’accusé. Et j’ai quelque chose à dire. » Et d’ajouter : « Mais réflexion faite, je n’avais rien à dire »35. Parmi ceux qui comparaissent, il en est d’autres qui trouvent dans cette ambiance feutrée et conviviale, presque légère, d’illusoires motifs de fausse sécurité, ainsi de ce futur condamné à mort mis en scène par Victor Hugo et qu’apaise un spectacle charmant dans la salle d’audience : « un jeune assesseur causait presque gaiement en chiffonnant son rabat avec une jolie dame en chapeau rosé, placée par faveur derrière lui ». Et d’ajouter : « Comment une idée sinistre aurait-elle pu poindre parmi tant de gracieuses sensations ? »36 3. Des réactions opposées aboutissent donc à des résultats comparables : que son exclusion le choque ou le rassure, l’accusé ne songe pas à réclamer d’être replacé au centre des débats.
18Les témoins ne sont guère mieux traités. Même s’ils subissent, dans la procédure française, un traitement moins brutal que dans la procédure américaine, si popularisée par le film et la télévision, il apparaît vite que chacune des parties cherche moins à écouter les témoignages qu’à les attirer de son côté, même si les interrogatoires dépendent d’abord du président. Ce dernier n’est d’ailleurs pas à l’abri de certains a priori. Et Gide de dénoncer « le président interrogateur (qui) arrive avec une opinion déjà formée sur l’affaire dont le jury ne connaît encore rien ». Ces idées toutes faites ont des conséquences sur « la manière dont le président pose les questions, dont il aide et favorise tel témoignage, fût-ce inconsciemment »37. Camus en donne maints exemples. Les témoins à décharge de Meursault sont promptement expédiés. Son logeur est tout surpris d’être si peu écouté, il a quelque chose à ajouter, on le prie d’être bref, il ne sait que dire, que toute cette affaire de meurtre, c’est « un malheur » et s’entend répondre par le président que « nous sommes là pour juger les malheurs de ce genre », puis on lui enjoint de « quitter la barre ». L’amie de Meursault, Marie, est plus maltraitée encore au point de finir par fondre en larme et par dire qu’on « la forçait à dire le contraire de ce qu’elle pensait » ; « mais l’huissier sur un signe du président l’a emmenée ». Son voisin de palier a le même sort, à peine écouté lorsqu’il proteste des bons sentiments de l’accusé : « il faut comprendre » répète-t-il ; « mais personne ne paraissait le comprendre. On l’a emmené »38.
19La malignité n’explique pas tout. Ce n’est pas forcément par hostilité à l’égard de l’accusé que l’on expédie ainsi les témoins mais plutôt -du moins a-t-on souvent ce sentiment- par défiance à l’égard des intervenants extérieurs lorsqu’ils veulent sortir de la simple description des faits pour présenter des explications ou des analyses39. Il n’est jusqu’aux interventions de l’accusé dont son défenseur même se méfie. Meursault s’entend conseiller par son avocat « de répondre brièvement aux questions qu’on me poserait, de ne pas prendre d’initiatives et de me reposer sur lui pour le reste »40. L’injonction lui est de nouveau signifiée à plusieurs reprises au cours des débats41. D’ailleurs, il faut reconnaître que ses rares interventions ne sont guère heureuses, ainsi lorsqu’on lui demande la cause de son geste meurtrier : « J’ai dit rapidement, en mêlant un peu les mots et en me rendant compte de mon ridicule, que c’était à cause du soleil. Il y a eu des rires dans la salle. Mon avocat a haussé les épaules »42. On retrouve, dans les témoignages de Gide, toutes sortes d’anecdotes sur les maladresses et les erreurs commises par les témoins, voire par l’accusé lui-même et à son détriment43.
20On comprend, dans ces conditions, que son avocat, avec les meilleures intentions du monde, n’hésite pas à adopter un système de défense différent de celui que souhaite son client, dont il veut faire le bonheur le cas échéant malgré lui. Ainsi le défenseur de Champmathieu se refuse-t-il à le croire lorsqu’il nie être Jean Valjean et en fait part au tribunal, arguant de sa propre « bonne foi », soulignant que son client avait adopté un « mauvais système de défense », qu’il « le lui avait conseillé », qu’il « s’y était refusé obstinément » et de conclure : « cet homme est évidemment stupide », il faut donc être indulgent avec lui44. Evidemment, ces demi-aveux ravissent l’avocat général qui félicite son confrère pour « sa loyauté » ; un peu plus tard ce dernier complimentera l’accusation pour son « admirable parole ». On est entre gens du même monde, et qui se voudrait du meilleur. Il n’y a que l’accusé qui n’y trouve pas son compte mais, en l’occurrence, il ne comprend pas grand chose à ces rites bizarres. Meursault en revanche est plus lucide. Il conçoit une naïve fierté d’être au centre des débats : « Même sur un banc d’accusé, il est toujours intéressant d’entendre parler de soi ». Mais il se rend bien compte qu’il y a une grande parenté entre les points de vue des deux professionnels qui affectent de s’affronter à son sujet : « Etaient-elles si différentes, d’ailleurs, ces plaidoiries ? L’avocat levait les bras et plaidait coupable, mais avec excuses. Le procureur tendait ses mains et dénonçait la culpabilité, mais sans excuses. (...) En quelque sorte on avait l’air de traiter cette affaire en dehors de moi »45. Il y reviendra un peu plus tard, agacé de ces rites d’exclusion : « j’ai pensé que c’était m’écarter encore de l’affaire, me réduire à zéro et, en un certain sens, se substituer à moi. Mais je crois que j’étais déjà très loin de cette salle d’audience »46. Cela lui permet de supporter les mondanités ridicules qui suivent la plaidoirie de son avocat : « ses collègues sont venus vers lui pour lui serrer la main. J’ai entendu : « Magnifique, mon cher. » L’un d’eux m’a même pris à témoin : « Hein ? » m’a-t-il dit. J’ai acquiescé, mais mon compliment n’était pas sincère, parce que j’étais trop fatigué »47.
21C’est Mauriac qui présente l’analyse la plus complète, à partir d’une affaire réelle. Il s’agit d’une femme d’un certain âge qui, après vingt ans d’une vie conjugale très classique, s’éprend d’un jeune homme, abandonne tout pour lui bien qu’il ait une autre maîtresse puis, après trois ans d’humiliation, les tue tous deux. On la fait passer aux assises et pourtant, personne ne s’intéresse à cette femme, à cet égarement qui l’a saisi tardivement, à sa jeunesse passée mais encore perceptible malgré l’âge, les épreuves d’un amour mal partagé et le temps passé en prison en attendant son procès. Ni l’avocat de la défense, ni celui de la partie civile ne se soucient de cela qui n’entre pas dans leur schéma de défense et d’attaque. Le premier « avait besoin d’une vieille femme pour rendre plus odieux son jeune séducteur » ; le second « exigeait aussi une roublarde sur le retour ». Et chacun s’emploie à rendre crédible ce schéma simpliste et rassurant, entrant dans des cadres connus : « Tandis qu’accusateurs, défenseur et témoins échangeaient des considérations prévues touchant la ménopause, j’observais sur cette figure détruite une enfance mystérieuse : « C’est de là qu’il faudrait partir pour tout comprendre », me disais-je »48. Mais évidemment personne, parmi les professionnels de la justice, n’en a le goût, ni le loisir.
22Totalement oublié dans les débats, l’accusé ? Pas tout à fait car il a, lui aussi, un rôle à tenir, présent pour maintenir l’émotion intacte de bout en bout, intervenant juste ce qu’il faut, dans la discrétion et le bon goût. Ici, tous les professionnels du procès -magistrats, procureurs, avocats de la partie civile et de la défense- négligent leurs divergences d’intérêt, taisent leurs rivalités pour conjuguer leurs efforts vers un but commun : maintenir l’accusé à sa place.
III - Le rôle d’accusé
23Que ce soit par un sentiment humanitaire fort compréhensible à l’égard de celui que menace une lourde sentence ou qu’il faille l’attribuer au souci d’éviter des éclats qui menaceraient la sérénité des débats par des manifestations de colère ou de désespoir du plus fâcheux effet, tout se passe comme si l’accusé devait être entouré d’attentions destinées à lui assurer une fausse tranquillité, quasi à l’anesthésier. Bien sûr, il n’y a pas de consigne officielle à ce sujet mais chacun agit, autour de lui, comme s’il devait en être ainsi.
24C’est le cas d’abord de ses gardiens, d’une douceur qui contraste avec la brutalité, en tous cas la rigueur de l’arrestation et, parfois de l’enquête. Ils s’inquiètent de ses appréhensions avant d’entrer en séance, ainsi pour Meursault auquel ils offrent une cigarette avant de s’enquérir s’il a « le trac ». Tout au long du procès, par la suite, ils l’éclairent sur tout ce qui lui paraît surprenant, sur l’abondance du public qu’ils attribuent aux informations publiées par les journaux, sur cette bizarre attitude de l’avocat de la défense consistant à plaider à la première personne comme si c’était lui qui était accusé ; le gendarme rassure : « Tous les avocats font ça »49. A l’occasion, le gendarme intervient de son propre mouvement pour conseiller l’accusé qui ne sait comment réagir face aux interpellations du ministère public ; le Champmathieu de Victor Hugo en bénéficie et le constate : « Le gendarme, qui est bon enfant, me pousse le coude et me dit tout bas : réponds donc. Je ne sais pas expliquer, moi, je n’ai pas fait les études »50. Souvent issus des mêmes milieux sociaux que les accusés, professionnellement conduits si l’on peut dire à les fréquenter, sinon à les comprendre, animés à leur égard d’une sorte de compassion que le caractère à peu près inexorable du châtiment vient nourrir, les gendarmes jouent, tout au long de l’audience, un rôle utile d’information, d’explication et le conseil pour rendre la justice moins opaque à ceux qui y sont confrontés. Nul besoin, pour qu’il remplisse cette fonction médiatrice, de leur en donner l’ordre. Cela se fait naturellement et les romanciers’en font volontiers l’écho.
25Les magistrats, et d’abord le président, font également preuve de toute la bienveillance possible, du moins tant que l’accusé se comporte bien et sans que l’on puisse induire la même spontanéité qu’en ce qui concerne les gendarmes. En tous cas, tant dans les œuvres d’imagination -toujours suspectes d’un certain biais pour s’insérer dans l’intrigue- que dans les témoignages -a priori reflet plus direct de la réalité- le juge qui mène les débats fait toujours l’objet d’une description flatteuse. Qu’ils soient sincèrement séduits, que le pouvoir discrétionnaire du président d’assises les fascine, voire qu’ils veuillent ménager une personnalité utile pour la poursuite de leur travail d’enquête, les auteurs romanesques ne lui marchandent généralement pas les compliments. Gide explique qu’il a « vraiment admiré, à plus d’une reprise, la présence d’esprit du président et sa connaissance de chaque affaire, l’urgence de ses interrogatoires (...) »51. Mauriac dépeint, avec une ironie à peine perceptible, le président « qui entre en scène d’un pas à la fois léger, rapide et majestueux, et qui, olympien et comme chargé de foudre, dit soudain avec une bonne grâce noble et charmante : "asseyez-vous, messieurs" »52. Giono renchérit, dans son récit de l’affaire Dominici, louant « le président (qui) dépense des trésors de patience »53. En tous cas, ces témoignages qui présentent toutes les apparences de la sincérité rejoignent les formules utilisées dans les œuvres d’imagination : « le visage du président, doucement éclairé par le reflet d’une vitre, avait quelque chose de calme et de bon » (Victor Hugo)54, « le président m’a questionné avec calme et même, m’a-t-il semblé, avec une nuance de cordialité » (Camus)55. Dans ces deux derniers cas, l’accusé aurait tort de s’y fier : il va être condamné à mort.
26Au bal des hypocrites, ce ne sont certes ni les gendarmes, ni le président qui tiennent la vedette mais bien plutôt l’avocat de la défense. Si l’accusé se complaît dans un sentiment d’absurde sécurité, c’est que son défenseur fait tout pour le rassurer, jusqu’au bout, jusqu’à l’invraisemblance. Quelques instants avant la condamnation à mort, l’avocat mis en scène dans le Dernier jour s’emploie à convaincre son client : « j’espère » lui dit-il56, ajoutant il est vrai que dans la meilleure hypothèse, même si l’on obtient l’absence de préméditation, ce sera quand même les travaux forcés à perpétuité : pour l’accusé, que toute cette mise en scène dédramatisée avait quasi anesthésiée, c’est un réveil terrible ; sa première réaction est de crier qu’il préférerait la mort ; il en reviendra après la sentence. On retrouve un état d’esprit comparable, selon un processus soigneusement décrit dans L’étranger de Camus. Avant même le début des séances, Meursault s’est entendu soutenir par son avocat, pour le tranquilliser, que son histoire n’était pas très importante, surtout par rapport à une affaire de parricide qui suivait. Pendant les suspensions d’audience, il le rassure : « mon avocat m’a dit que tout allait pour le mieux ». Au fur et à mesure que la sentence se rapproche et qu’une lourde condamnation est de plus en plus probable, il se montre de plus en plus optimiste. Pendant que se déroulent les délibérations du jury, « il m’a parlé avec plus de confiance et plus de cordialité qu’il ne l’avait jamais fait. Il pensait que tout irait bien (...) ». Il y revient quelques instants plus tard : « je suis persuadé que l’issue sera favorable »57. Là encore c’est une condamnation à mort qui tombe.
27Il est du moins une catégorie d’acteurs, il est vrai non professionnels, que leurs fonctions même conduisent à ne pas se montrer faussement rassurant mais à s’enfermer au contraire dans une attitude de réserve en principe impénétrable : les jurés. C’est ici l’occasion de mesurer la part de responsabilité de l’accusé dans les illusions qu’il peut nourrir sur l’issue de son affaire. Tout naturellement porté à scruter les douze visages marmoréens placés en face de lui, pour y déceler tous les signes de bienveillance et donc d’espoir, il finit par trouver ce qu’il cherche. Les éléments les plus ténus ou les plus hypothétiques sont interprétés comme des plus prometteurs. Julien Sorel qui ne perd des yeux aucune de ces jeunes femmes si bienveillantes à son égard est fort ragaillardie de voir que « plusieurs jurés, apparemment de la connaissance de ces dames, leur parlaient et semblaient les rassurer ». Si conjecturale que soit son interprétation d’un tel échange de propos que l’on devine au surplus fort rapide, il se sent fort encouragé : « Voila qui ne laisse pas d’être de bon augure, pensa Julien »58. Les mêmes illusions se retrouvent chez le futur condamné à mort que met en scène Victor Hugo : quelques instants avant de donner leurs réponses au président, l’accusé les regarde et les trouve si fatigués -ils « avaient veillé pendant que je dormais ! »- qu’il en est presque attendri : « Rien dans leur contenance n’annonçait des hommes qui viennent de porter une sentence de mort ; et sur les figures de ces bons bourgeois je ne devinais qu’une grande envie de dormir »59. Il n’y a guère que Chateaubriand à n’avoir pas à se plaindre de ses jurés ce qui ne l’empêche d’ailleurs pas de laisser percer, à leur encontre, un certain mépris : « A la fin des débats, j’ai appelé le jury la paierie universelle, ce qui n’a pas peu contribué à notre acquittement à tous »60. Par la suite, toujours délicat, il ira déposer sa carte chez chacun. Moins mondain c’est peut-être Camus qui a finalement la formule la plus juste pour exprimer ce qu’un accusé peut ressentir, au premier abord, face à son jury : "j’étais devant une banquette de tramway et tous ces voyageurs anonymes épiaient le nouvel arrivant pour en apercevoir les ridicules »61. La comparaison demeure finalement rassurante.
28On s’explique, dans ces conditions, qu’au premier incident de séance qui vient perturber cette ambiance apparemment irénique, à la première accusation formulée de façon un peu personnelle ou agressive, l’accusé tombe de haut. Ainsi de Champmathieu, mis en scène par Victor Hugo qui le dépeint, assistant aux débats sans y comprendre grand chose et intervenant de façon ridicule : « Quand il eut fini, l’auditoire éclata de rire. Il regarda le public, et voyant qu’on riait, et ne comprenant pas, il se mit à rire lui-même. // Cela était sinistre ». Il ne sortira de son hébétude qu’après la plaidoirie de l’avocat général. Cette fois, il a saisi le sens général même s’il lui faut un temps pour protester : il dit un mot, s’interrompt, se fait rudement interpeller et, finalement, éclate : « Vous êtes très méchant, vous ! Voila ce que je voulais dire. Je ne trouvais pas d’abord ». Et de conclure après quelques phrases de dénégation : « Vous m’ennuyez avec vos bêtises à la fin. Pourquoi donc est-ce que tout le monde est après moi comme des acharnés ? »62. Le Meursault de Camus a à peu près les mêmes accents et la même surprise de se sentir agressé, brusquement, alors que tout paraissait se passer si bien. Ainsi après que l’avocat général laisse percer sa satisfaction d’un témoignage favorable à l’accusation : « pour la première fois depuis des années, j’ai eu une envie stupide de pleurer parce que j’ai senti combien j’étais détesté par tous ces gens-là »63 4.
29Ultime étape à franchir, pour l’accusé, celle de la lecture de la condamnation. Si tout a été mis en œuvre jusqu’à présent pour qu’il ne perturbe pas le déroulement du spectacle, si l’on est parvenu à contenir ses fureurs et ses désespoirs, ce pourrait être l’instant de l’explosion, maintenant qu’il n’a plus rien à perdre et que la rancune vient s’ajouter à la colère et au sentiment d’injustice. En fait, le système est si bien rodé qu’il n’en est rien. Ici, les romanciers essaient d’imaginer ce que peut être l’état d’esprit d’un condamné au moment où il sort du rêve où le procès l’a plongé pour tenter de mesurer, en quelque seconde, ce qui l’attend. Sans doute sont-ils les mieux placés pour décrire ce moment indicible que le principal intéressé lui-même doit avoir de la peine de reconstituer, quelques heures plus tard. Même si cela paraît fort artificiel, l’on peut évoquer ici la description que Stendhal donne de Julien Sorel, le dépeignant un peu étonné de la sentence de mort mais surtout soucieux de son apparence extérieure, de ce que l’on va penser de ses réactions, de ne pas faire rire ses ennemis, émouvant quand même par son regret de n’avoir pu rencontrer celle qu’il aime et qu’il a tenté de tuer64 : après tout, une attitude si extravertie doit bien se trouver parfois. D’apparence plus convaincante, la description de Victor Hugo, malgré une formulation très dramatique somme toute convenable pour décrire un tel moment : « Condamné à mort ! dit la foule ; et, tandis qu’on m’emmenais, tout ce peuple se rua sur mes pas avec le fracas d’un édifice qui se démolit. Moi, je marchais, ivre et stupéfait. Une révolution venait de se faire en moi. Jusqu’à l’arrêt de mort, je m’étais senti respirer, palpiter, vivre dans le même milieu que les autres hommes ; maintenant je distinguai nettement comme une clôture entre le monde et moi. Rien ne m’apparaissait plus sous le même aspect qu’auparavant »65. Pour décrire ce moment suprême, Camus est, là encore, plus sobre : « le président m’a dit dans une forme bizarre que j’aurais la tête tranchée sur une place publique au nom du peuple français. Il m’a semblé alors reconnaître les sentiments que je lisais sur tous les visages. Je crois que c’était de la considération. Les gendarmes étaient très doux avec moi. L’avocat a posé sa main sur mon poignet. Je ne pensais plus à rien. Mais le président m’a demandé si je n’avais rien à ajouter. J’ai réfléchi. J’ai dit : « non ». C’est alors qu’on m’a emmené »66
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30La vérité du romancier n’est évidemment pas tout à fait celle du juriste. Sans doute, y a-t-il de la caricature dans l’image que ces œuvres d’imagination donnent du procès d’assises, des exagérations imputables aux besoins du récit romanesque et du déroulement de l’intrigue, des malentendus parfois résultant sans doute le plus souvent d’une connaissance imparfaite des exigences de la procédure. Malgré tout, il faut concéder à la plupart de ces auteurs certains efforts d’information et de documentation pour apprendre le rituel judiciaire, en savoir les règles et en comprendre les motivations. Signe des temps ou résultat du hasard, ce sont les écrivains chronologiquement les plus proches de nous -Camus, Gide et Mauriac- qui paraissent avoir fait le travail d’enquête et de compréhension le plus important. Leurs appréciations, leurs jugements, leurs critiques, à plusieurs reprises aussi leurs éloges sur le fonctionnement de la justice n’en ont que plus de poids.
31Surtout, le romancier ose ce que le professionnel du droit ne s’autoriserait pas, en tout cas qu’il ne tenterait qu’avec beaucoup de scrupules : se mettre à la place des acteurs non professionnels du procès d’assises, et au premier chef de l’accusé, imaginer son état d’esprit pendant les débats, au spectacle des témoins, à l’audition des plaidoiries, au moment de la lecture de la sentence. Il y a, bien sûr, une grande part d’hypothèse et même de subjectivité dans ces descriptions des moments d’angoisse mal contrôlée et toujours renaissante, d’espoir tenant à peu de choses, voire d’ennui lorsque les propos tenus à son sujet lui paraissent trop éloignés de la réalité. L’écrivain se décrit lui-même en même temps qu’il prétend reconstituer les pensées de l’accusé. Le lecteur en apprend plus sur Stendhal à travers le personnage de Julien Sorel et sur Camus à travers celui de Meursault que sur ce que peut être l’attitude-type d’un assassin comparaissant devant un jury. Malgré tout, certaines analyses communes à tous ces auteurs, l’impression que l’accusé est plus ou moins exclu des débats, le sentiment que les magistrats et les avocats jouent un jeu personnel sans vraiment chercher à comprendre la réalité psychologique qui sous-tend les faits sur lesquels le jury va devoir se prononcer, la constatation qu’il y aurait une sorte de fossé notamment culturel entre ceux qui comparaissent, y compris les témoins, et ceux qui les interrogent, tous ces éléments convergents dénoncés par des auteurs par ailleurs fort différents ne peuvent manquer de faire réfléchir le juriste soucieux d’étudier le droit et la procédure pénale non pas seulement d’un point de vue purement technique mais avec le désir de se faire une idée de la réalité des choses et de l’efficacité de son action tant du point de vue de la défense de la société que de la protection des droits de l’individu.
Notes de bas de page
1 Cela arrive. L’on connaît la formule, si souvent citée, d’André Gide : « De tout temps les tribunaux ont exercé sur moi une fascination irrésistible ». Et d’ajouter drôlement : « En voyage, quatre choses surtout m’attirent dans une ville : le jardin public, le marché, le cimetière et le Palais de justice » (Souvenirs de la Cour d’assises, Gallimard, Paris 1913, p. 9).
2 Le dernier jour d’un condamné, 1829. Edition citée ici : Le dernier jour d’un condamné, précédé de Bug Jargal, Gallimard (Folio), Paris 1970, p. 251 à 442.
3 Les Misérables, 10 vol., Paris à partir de 1862, livre septième, chap. 9 (« un lieu où des convictions sont en train de se former ») et 10 (« le système de dénégations »). Edition citée ici : Garnier-Flammarion, Paris 1967, t. I, 510 p.
4 L’Etranger, 1942, deuxième partie, chap. 3 et 4. Edition citée ici : Gallimard (coll. Folio), Paris 1995, 186 p.
5 Le Rouge et le Noir, 1830, chap. XLI : « le jugement ». Edition citée ici : Romans et nouvelles, Gallimard (La Pléiade), 1952, t. I, p. 215 à 714.
6 Le Rouge et le Noir de Stendhal est tiré d’une histoire vraie, celle d’Antoine Berthet, condamné à mort par les assises de l’Isère et exécuté en 1828 pour tentative de meurtre sur Mme Michoud, chez qui il avait été précepteur.
7 Hugo et Camus ont notamment en commun leur rejet de la peine de mort et cela éclaire l’image qu’ils se font et qu’ils donnent de la Cour d’assises. Hugo a assisté à plusieurs exécutions ou préparatifs d’exécution et exprime son opposition notamment dans Le dernier jour d’un condamné. Camus n’a jamais assisté à une exécution mais le récit du dégoût ressenti par son père après y avoir assisté l’a durablement marqué (Herbert R. LOTTMAN, Albert Camus, Seuil (Points), Paris 1978, p. 35). Hugo a fait des visites aux bagnes de Brest et de Toulon et participé à plusieurs procès criminels comme membre de la Chambre des pairs (Choses vues 1830-1846 et 1847-1848, Gallimard (Folio), Paris 1972). Quant à Camus, il avait assisté à des procès lorsqu’il travaillait à Alger Républicain (LOTTMAN, ouvr. cité, p. 225).
8 On peut comparer le récit de Chateaubriand dans les Mémoires d’outre tombe (livre 36, chap. 26 : « Mon procès ») (édition citée ici : Editions Rencontres, Lausanne 1963, t. IV) avec, par exemple, les éléments fournis à ce sujet dans le Moniteur (18 février 1833, p. 424 pour l’acte d’accusation ; 1er mars 1833, p. 559 pour un bref compte rendu).
9 Gide s’en explique en appendice de Souvenirs de la Cour d’assises (ouvr. cité), indiquant qu’il avait insisté auprès du maire de sa commune, chargé de dresser les premières listes, pour qu’il y porte « régulièrement son nom depuis six ans » (p. 117). Par ailleurs, dans la préface du premier volume de sa collection « Ne jugez pas » (L’affaire Redureau, Gallimard, Paris 1930), il annonce qu’il n’est pas dans ses intentions de réaliser un « recueil de Causes célèbres » mais de rapporter des affaires « dont les motifs restent mystérieux, échappent aux règles de la psychologie traditionnelle, et déconcertent la justice humaine qui, lorsqu’elle cherche à appliquer ici sa logique : Is fecit cui prodest, risque de se laisse entraîner aux pires erreurs » (p. 7).
10 « L’Affaire Favre-Bulle », dans Les Nouvelles littéraires, 6 déc. 1930. Edition citée ici : Œuvres romanesques et théâtrales complètes, Gallimard (La Pléiade), Paris 1979, t. II, p. 887 à 894.
11 Notes sur l’affaire Dominici, suivies d’un Essai sur le caractère des personnages, Gallimard, Paris 1955. Premières lignes : « Au moment où je classe ces notes prises pendant le déroulement du procès, c’est dimanche après-midi, le jury et la cour sont en délibération dans la salle du conseil. Je n’aimerais pas être à leur place. Je suis bourrelé de scrupules et plein de doute » (p. 9).
12 André GIDE : « je tiens à dire ceci, d’abord, pour tempérer un peu les critiques qui transparaissent dans mes récits, que ce qui m’a peut-être le plus frappé au cours de ces séances, c’est la conscience avec laquelle chacun, tant juges qu’avocats et jurés, s’acquittait de ses fonctions. (...) Tout cela passait mon espérance, je l’avoue ; mais rendait d’autant plus affreux certains grincements de la machine » (Souvenirs de la Cour d’assises, p. 9-10).
13 On peut comparer la description d’une salle d’audience par Stendhal et par Victor Hugo. Le premier raffine dans le délicat, attribuant à Julien ce suprême courage de savoir, au cœur du drame, s’attacher à l’accessoire : « En entrant dans la salle du jugement, il fut frappé de l’élégance de l’architecture. C’était un gothique propre et une foule de petites colonnes taillées dans la pierre avec le plus grand soin. Il se crut en Angleterre » (Le Rouge et le Noir, p. 672). Victor Hugo se complaît dans une description toute fondée sur l’exploitation des contrastes : « C’était une assez vaste enceinte à peine éclairée, tantôt pleine de rumeur, tantôt pleine de silence, où tout l’appareil d’un procès criminel se développait avec sa gravité mesquine et lugubre au milieu de la foule. // A un bout de la salle, celui où il se trouvait, des juges à l’air distrait, en robe usée, se rongeant les ongles ou fermant les paupières ; à l’autre bout, une foule en haillons ; des avocats dans toutes sortes d’attitudes ; des soldats au visage honnête et dur ; de vieilles boiseries tachées, un plafond sale, des tables couvertes d’une serge plutôt jaune que verte, des portes noircies par les mains ; à des tous plantés dans le lambris, des quinquets d’estaminet donnant plus de fumée que de clarté ; sur les tables des chandelles dans des chandeliers de cuivre ; l’obscurité, la laideur, la tristesse ; et de tout cela se dégageait une impression austère et auguste, car on y sentait cette grande chose humaine qu’on appelle la loi et cette grande chose divine qu’on appelle la justice » (Les Misérables, p. 294).
14 Thème classique chez ces romanciers qui durent s’y plier : le ballet de séduction autour du président de la Cour pour disposer de billets d’entrée prioritaire. Stendhal en témoigne : « M. le président des assises était assailli des demandes de billets ; toutes les dames de la ville voulaient assister au jugement » (Le Rouge et le Noir, p. 670). Victor Hugo raconte longuement les hésitations de Jean Valjean devant la porte de la salle d’audience, soulagé à la perspective de ne pouvoir entrer pour se dénoncer, finalement excipant de son titre de magistrat municipal pour obtenir une autorisation que le président lui accorde, malheureusement (Les Misérables, livre VII, chap. 8 : « entrée de faveur »).
15 Victor Hugo décrit longuement la salle des pas perdus « où il y avait beaucoup de monde et où des groupes mêlés d’avocats en robe chuchotaient ça et là. // C’est toujours quelque chose qui serre le cœur de voir ces attroupements d’hommes vêtus de noir qui murmurent entre eux à voix basse sur le seuil des chambres de justice. Il est rare que la charité et la pitié sortent de toutes ces paroles. Ce qui en sort le plus souvent, ce sont des condamnations faites d’avance » (Les Misérables, p. 288).
16 Le dernier jour d’un condamné, p. 267 et de décrire « cette fantasmagorie des juges, des témoins, des avocats, des procureurs du roi (qui) passait et repassait devant moi, tantôt grotesque, tantôt sanglante, toujours sombre et fatale. Les deux premières nuits, d’inquiétude et de terreur, je n’en avais pu dormir ; la troisième, j’en avais dormi d’ennui et de fatigue ».
17 L’Affaire Fabre-Bulle, p. 887. Il est vrai que la critique perce sous l’éloge : il donne l’impression d’admirer « qu’il existe au monde un président d’assises pour clore le bec à un avocat et le dominer jusqu’au dernier acte du drame » mais c’est pour ajouter qu’il en a tout de suite déduit « que l’accusée était perdue ».
18 Le Rouge et le Noir, p. 672.
19 Id.. Cette bienveillance à son égard est confirmée quelques instants plus tard : « Dès les premiers mots de l’accusation soutenue par l’avocat général, deux de ces dames (...) fondirent en larmes ». Julien observe avec attention et constate que, si l’amie de Mme de Rénal ne pleure pas, elle est « fort rouge » (p. 673).
20 Mathilde ne s’y était pas trompée. Enumérant la veille les raisons d’espérer, elle avait ajouté : « votre jolie figure fera le reste » (idem, p. 671-672).
21 Id., p. 676.
22 Id., p. 678.
23 L’Etranger, p. 128 à 131. Quelques mois plus tôt, mis en présence du juge d’instruction qu’il trouve « somme toute sympathique » : "En sortant, j’allais lui tendre la main, mais je me suis souvenu à temps que j’avais tué un homme » (p. 100).
24 François Mauriac s’en prend aux magistrats et aux avocats qui s’indignent à chaque tentative de sortir d’une logique juridique pour tenter de comprendre la réalité des choses et des gens : « ils s’écrient « littérature ! littérature ! roman ! drame ! Et pourtant, que font-ils eux-mêmes, pour séduire le monstre du médiocre, le monstre à douze têtes, sinon de la littérature, -de la littérature à l’usage des petits commerçants, amateurs de cinéma, qui paient leurs impôts et qui n’ont pas de casiers judiciaires ? » (L’Affaire Fabre-Bulle, p. 889).
25 Le Rouge et le Noir, p. 673.
26 Ibidem.
27 Les Misérables, p. 298.
28 L’Etranger, p. 152 : « la plaidoirie du procureur m’a très vite lassé. Ce sont seulement des fragments, des gestes ou des tirades entières, mais détachées de l’ensemble, qui m’ont frappé ou ont éveillé mon intérêt ».
29 Souvenirs de Cour d’assises, p. 29 : l’accusé « fait de grands efforts pour suivre le réquisitoire de l’avocat général, dont on voit qu’il ne comprend de ci de là que quelques phrases ».
30 Mémoires d’outre-tombe, p. 273-274.
31 L’Affaire Fabre-Bulle, p. 889.
32 Les Misérables, p. 296-297 : autres formules toutes faites attribuées à l’éloquence parquetière : « les plaidoiries, les accents que l’on vient d’entendre, le siècle de Louis XIV, le grand siècle, un théâtre, le temple de Melpomène, la famille régnante, l’auguste sang de nos rois, un concert, une solennité musicale, monsieur le général commandant le département, l’illustre guerrier qui, etc., les élèves du séminaire, ces tendres lévites (...) ».
33 L’Etranger, p. 130. Il y reviendra un peu plus loin : « Mon avocat est arrivé, en robe, entouré de beaucoup d’autres confrères. Il est allé vers les journalistes, a serré des mains. Ils ont plaisanté, ri, ils paraissaient tout à fait à leur aise (...) » (p. 131).
34 L’Affaire Fabre-Bulle, p. 887. Sur le rôle de l’accusée, instrument entre les mains es magistrats et des avocats, enjeu de leurs rivalités plus que sujet de leurs préoccupations, utilisée par eux pour leur réussite professionnelle : « il lui reste à servir à la gloire d’hommes jeunes, forts, heureux, pressés de rivaux qui les talonnent, débordants de talent et de puissance ».
35 L’Etranger, p. 152. Victor Hugo évoque également les difficultés pour l’accusé de ; défendre : « Devant cette accusation, devant l’unanimité des témoins, l’accusé paraissait surtout étonné. Il faisait des gestes et des signes qui voulaient dire non, ou bien il considérait le plafond. Il parlait avec peine, répondait avec embarras, mais de la tête aux pieds toute sa personne niait. Il était comme un idiot en présence de toutes ces intelligences rangées en bataille contre lui, et comme un étranger au milieu de cette société qui le saisissait » (Les Misérables, p. 296).
36 Le dernier jour d’un condamné, p. 270. Les autres sensations concernent les bruits familiers de la rue et la lumière du soleil.
37 Souvenirs de la Cour d’assises, p. 115. Il souligne « combien il est difficile aux jurés (je parle des jurés de province) de ne pas tenir compte de l’opinion du président, soit (si le président est « sympathique ») pour y conformer la leur, soit pour en prendre tout à coup le contre-pied » (p. 115-116).
38 L’Etranger, p. 142 à 145.
39 Mauriac déplore cette tendance des juristes professionnels à refuser, comme relevant de la littérature, tout ce qui peut faire figure de tentative d’explication psychologique, voire sociologique : « La Cour d’assises ne s’occupe que du connu ; elle revient inlassablement sur les circonstances matérielles du crime, les moins significatives ». En revanche « ni l’accusation, ni - chose incroyable- la défense » ne cherchent à s’enquérir auprès de l’accusé de sa propre interprétation (L’Affaire Fabre-Bulle, p. 890).
40 L’Etranger, p. 131.
41 « Malgré mes préoccupations, j’étais parfois tenté d’intervenir et mon avocat me disait alors : « Taisez-vous, cela vaut mieux pour votre affaire. » (L’Etranger, p. 151).
42 Id., p. 158.
43 Souvenirs de la Cour d’assises : « Il arrive plus d’une fois que le Président pose une question en des termes complètement inintelligibles pour le témoin ou le prévenu » (p. 54). « Combien il arrive facilement que l’accusé s’enferre sur une déclaration de par à côté, dont la gravité d’abord lui échappe » (p. 64).
44 Les Misérables, p. 298.
45 L’Etranger, p. 151.
46 Id., p. 159 : Meursault est agacé mais non impressionné : « D’ailleurs, mon avocat m’a paru ridicule. Il a plaidé la provocation très rapidement et puis lui aussi a parlé de mon âme. Mais il m’a paru qu’il avait beaucoup moins de talent que le procureur ».
47 Id., p. 161.
48 L’Affaire Fabre-Bulle, p. 890.
49 L’Etranger, p. 128-129 et 159. Cette réaction de bienveillance de ceux qui sont abord là pour surveiller, ne semble pas dater du XXe siècle. Stendhal montre la même disponibilité autour de Julien Sorel, de la part de son gardien qui l’appelle drôlement « mon accusé » et qui lui fournit obligeamment le nom des dames du public (Le Rouge et le Noir, p. 672).
50 Les Misérables, p. 302. Dans le même sens, celui de la compassion des gardiens, témoignage de Mauriac sur ceux qui encadrent Mme Fabre-Bulle, souffrante : « Ils sont gentils tout à l’heure quand elle tombera pour la deuxième fois » ; et d’ajouter cependant : « ils ne sont pas méchants, ils manquent seulement d’imagination. Quel prix aurait pour elle, à cette seconde, une main pressée, une épaule offerte ! » (L’Affaire Fabre-Bulle, p. 893).
51 Souvenirs de la cour d’assises, p. 10. A noter cependant que le reste de la phrase fait également l’éloge -en termes il est vrai moins précis- du ministère public, des avocats et des jurés, chaque compliment atténuant un peu la portée des autres.
52 Id., p. 888-89. La formule qui évoque les dieux grecs, revient à plusieurs reprises : « Des paroles de bon sens tombent de l’Olympe où siège le président » ; ou encore : il « rentre en scène, léger, rapide, olympien ; (...) nuée écarlate qui accourt, chargée de foudre » (p. 892-893).
53 Notes sur l’affaire Dominici, p. 14. Il est vrai que cette phrase conclut une série de développements sur le fait que l’accusé, trop rustique, ne comprend pas le vocabulaire, châtié et précis, du président.
54 Le dernier jour d’un condamné, p. 269-270 ; autre formule : « le président, homme attentif et bienveillant » (Les Misérables, p. 301).
55 L’Etranger, p. 134.
56 Le dernier jour d’un condamné, p. 270. Ces mots sont d’autant mieux accueillis que tout concourt à rendre l’accusé optimiste : « Inondé d’air et de soleil, il me fut impossible de penser à autre chose qu’à la liberté ; l’espérance vint rayonner en moi comme le jour autour de moi ; et, confiant, j’attendis ma sentence comme on attend la délivrance et la vie ».
57 L’étranger, p. 163. Ici aussi lorsque l’avocat évoque « quelques années de prison ou de bagne », l’accusé est si plein d’illusion qu’il l’interroge sur les possibilités de cassation pour adoucir encore la peine.
58 Le Rouge et le Noir, p. 673.
59 Le dernier jour d’un condamné, p. 270. Il se raccroche à tous les signes d’espoir, même les plus absurdes, qui lui paraissent exclure une condamnation à mort : "au mois d’août, à huit heures du matin, un si beau jour, ces bons jurés, c’est impossible » (p. 271).
60 Mémoires d’outre-tombe, p. 273. Pour une présentation plus complète et plus objective de ce procès, et notamment de l’influence que put avoir, sur les jurés, la plaidoirie de Berryier, v. Ghislain de DIESBACH, Chateaubriand, Perrin, Paris 1995, p. 485 à 487. Un peu plus d’un siècle après, plus nuancé mais pas forcément plus bienveillant, Mauriac évoquera les efforts des avocats en direction de « ces douze bourgeois qu’ils ont dérangé tout exprès et qu’il faut bien distraire un peu » (L’Affaire Fabre-Bulle, p. 889). Gide, en revanche et sans doute pour en avoir été, présente un tableau beaucoup plus complet et nuancé : v. Souvenirs de la Cour d’assises, p. 11 et 116 à 120.
61 L’Etranger, p. 129. Il ajoute : « Je ne sais si c’était une idée niaise puisqu’ici ce n’était pas le ridicule qu’ils cherchaient mais le crime. Cependant la différence n’est pas grande et c’est en tout cas l’idée qui m’est venue ». Il reviendra par la suite sur sa comparaison : « La banquette de tramway était tout entière tournée vers le président » (p. 135).
62 Les Misérables, p. 301 à 303.
63 L’Etranger, p. 138. L’impression reviendra pendant le réquisitoire : "tant d’acharnement m’étonnais. J’aurais voulu essayer de lui expliquer cordialement, presque avec affection (...). Mais naturellement, dans l’état où l’on m’avait mis, je ne pouvais parler à personne sur ce ton. Je n’avais pas le droit de me montrer affectueux, d’avoir de la bonne volonté » (p. 139).
64 Le Rouge et le Noir, p. 676. Le souci de ne pas faire rire est constant chez Julien Sorel : il refuse de faire appel de sa condamnation à mort « parce qu’en ce moment, je me sens le courage de mourir sans faire rire à mes dépens » (p. 680).
65 Le dernier jour d’un condamné, p. 272
66 L’Etranger, p. 164. Le condamné n’est évidemment pas toujours aussi calme. V., parmi les témoignages : L’Affaire Fabre-Bulle, p. 893.
Notes de fin
i Publié dans Justice et politique, : de la guerre de cent ans aux fusillés de 1914, (dir. Jean BASTIER), Etudes d’histoire du droit et des idées politiques n° 2, Toulouse 1998, p. 53 à 72.
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