L’influence de Benjamin Constant sur le constitutionnalisme français*
p. 131-149
Texte intégral
1Benjamin Constant apparaît à beaucoup comme l’un des pères du constitutionnalisme moderne. Si l’on doit aux révolutionnaires de 1789 récupérant les analyses de Montesquieu l’affirmation d’ailleurs hâtive selon laquelle il ne peut y avoir de Constitution sans séparation des pouvoirs, l’on serait redevable à Constant de l’idée que la Constitution pourrait constituer le meilleur rempart de la liberté par l’insertion de déclarations de droits précises et détaillées et pour autant que des mécanismes institutionnels précis, en harmonie avec de grands équilibres sociaux conservateurs, en assurent le respect. Il est vrai que l’Assemblée nationale constituante issue des Etats généraux avait déjà emprunté aux insurgent américains la technique de la proclamation des droits naturels des citoyens. Constant ne saurait se contenter des garanties apportées par le texte de 1789. S’il est des aspects qui ne peuvent que le satisfaire, telles la liberté des opinions, « même religieuses » ou encore l’interdiction de priver qui que ce soit de sa propriété sans une « juste et préalable indemnité »1, en revanche des éléments comme l’égal accès aux emplois publics, a fortiori des affirmations comme « le principe que toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation »2 ne lui paraissent pas nécessaires ni même sans doute souhaitables du moins pour ceux qui, dans la ligne de Rousseau, y voient une référence à un gouvernement populaire dont il se méfie.
2Les déclarations des droits telles qu’il en rêve, tendent surtout à donner des arguments aux notables qui souhaitent s’opposer aux immixtions de l’État dans un domaine relevant de l’initiative privée et non du domaine de l’intervention publique. L’acte additionnel fournit une idée assez précise de la déclaration des droits idéale selon Constant. On a longtemps considéré qu’il était difficile de trouver dans ce texte attribué par les contemporains à Constant la part qu’y avait prise l’auteur de L’esprit de conquête ou des Principes de politique3. En fait, c’est dès le mois de mai 1814, dans Réflexions sur les Constitutions4 qu’il indique les bases sur lesquelles il souhaite voir élaborée la nouvelle loi fondamentale de la France, donc près d’un an avant que Napoléon ne l’en charge. Les livres de 1814 concluent une période de silence de Benjamin Constant de plus de dix ans, depuis son éviction du Tribunat. Entre temps, il a jeté les bases d’un grand ouvrage de réflexion politique qui nourrira la plupart de ses publications des débuts de la Restauration5.
3On peut donc considérer que l’acte additionnel donne un reflet assez fidèle des convictions de Constant6. Il s’en justifiera dans les Mémoires sur les Cent Jours7. Il y dénonce nerveusement toutes les atteintes aux libertés auxquelles s’est livrée la première Restauration à l’encontre des classes moyennes issues de la Révolution, du Consulat et de l’Empire, les humiliations subies, les vexations inutilement imposées. Il ne dissimule pas les arrière-pensées de l’empereur de retour de façon éphémère et qui souhaite se donner une image libérale pour se conformer à l’esprit du temps. Au milieu de ces développements auto-justificateurs et de ces aveux un peu cyniques, un élément de sincérité surnage : l’évocation, finalement satisfaite, de l’acte additionnel. Même s’il affecte d’en énumérer les vices avec un peu d’accablement, Benjamin Constant est visiblement fier d’avoir été associé à l’élaboration de cette loi fondamentale et de se sentir capable de dialoguer d’égal à égal avec les présidents de section du Conseil d’État8, ce que nombre de commentateurs jugeront comme un moment de faiblesse, une concession à la volonté trop réelle d’obtenir une nomination9. En fait, ce texte exprime bien ses convictions et c’est l’aspect le plus froid, le moins émouvant, donc le plus important à ses yeux des Mémoires sur les Cent Jours. Il souligne avec un peu de complaisance toutes les avancées que l’acte additionnel a permis d’obtenir sur des aspects bien concrets de la défense des libertés fondamentales10. Parmi les défauts qu’il reconnaît, le plus important à ses yeux est de n’avoir pu obtenir l’interdiction des confiscations à l’encontre des adversaires politiques ; il y tenait visiblement beaucoup, rappelant les pratiques de la République romaine consistant à attribuer à l’assassin légal les biens du proscrit. C’est ce genre de pratiques qui lui paraissent odieuses et contre lesquelles il aurait voulu dresser cette barrière de papier que constitue une Constitution. Mais Napoléon s’est refusé à renoncer à cette arme11. De toute façon, l’acte est trop furtivement appliqué pour que Constant ait le temps d’être vraiment déçu.
4En même temps, les critiques que lui vaut son ralliement le touchent. Dans cette période difficile où il a le sentiment de tout jouer à quitte ou double, il nourrit un grand dessein : publier « un ouvrage qui rétablisse ma réputation et constate mes principes »12. Ce seront les Principes de politique applicables à tous les gouvernements représentatifs. Dans l’ambiance fiévreuse des Cent jours, il se livre pour une fois, reprenant des réflexions rédigées un peu moins de dix ans plus tôt dans ce qu’il imaginait être ses « Principes de politique » ainsi que ce qu’il a publié dans Réflexions sur les Constitutions. L’avant-propos révèle tout : « Il y a longtemps que j’ai dit qu’une Constitution étant la garantie de la liberté d’un peuple, tout ce qui tenait à la liberté était constitutionnel »13. On a longtemps réduit Constant à cela et il en est un peu complice. Il porte à ce que l’on appellera plus tard le droit constitutionnel un respect considérable, attribuant aux lois fondamentales que se donne une nation une force coercitive absolue. Il y reviendra surabondamment au cours de la seconde Restauration. C’est un vrai juriste bien qu’il n’ait pas de diplôme de Faculté de droit14. Son esprit de système le conduit à considérer qu’un texte accepté et publié constitue un argument utile et la Charte lui fournira nombre d’arguments de ce type dans le débat politique, bien au-delà de ce que ses auteurs auraient imaginé.
5C’est peut-être par ce biais que Benjamin Constant a laissé quelque chose à la doctrine constitutionnelle française. Puisque chacun est d’accord pour protéger les libertés, une loi fondamentale rédigée dans l’urgence, avec le souci de renforcer l’exécutif, avec le désir sincère de préserver la démocratie, mais en s’efforçant d’imaginer les mécanismes qui empêcheront la représentation nationale de changer le gouvernement pour un rien, peut être récupérée dans un souci de protection des libertés. La décision du Conseil constitutionnel français de 1971 Les amis de la Cause du Peuple15 se situerait alors dans cette perspective. Le Conseil s’emploie à protéger les libertés publiques, y compris contre la loi, par tous les moyens juridiques à sa disposition, ce qui le conduit à remonter, en s’appuyant sur un système de renvois successifs, du préambule de la Constitution de 1958, à celui de 1946, enfin à la loi de 1901 sur les associations16. C’est donc au terme d’un véritable jeu de piste juridique qu’il se considère en droit de présenter la liberté d’association comme protégée par la Constitution, ce qui est peut-être aller un peu au-delà des intentions du constituant. C’est l’écho lointain de la phrase de 1815 sur la Constitution garantie de la liberté d’un peuple. Il faut débusquer dans la loi fondamentale tout ce qui peut protéger les libertés.
6Encore qu’une telle démarche puisse paraître trop systématique et même simplificatrice, mais peut-être par réaction contre les démonstrations parfois compliquées -à base de double négation et de chapelets de subordonnées relatives-de Benjamin Constant, nous nous proposons d’évoquer son rôle d’inspirateur par rapport au constitutionnalisme français en répartissant les divers éléments ayant nourri ses analyses, en fonction du degré d’influence qu’ils ont pu exercer, donc en exposant d’abord les convictions qui, chez lui, sont plutôt contraires aux valeurs sur lesquelles est actuellement fondé le constitutionnalisme français (I), puis en recherchant celles qui ont pu marquer ce constitutionnalisme mais de façon inavouée et quasi clandestine (II), puis naturellement en mettant l’accent sur celles de ses constructions idéologiques et juridiques qui apparaissent comme une source d’influence à peu près évidente (III), enfin en s’interrogeant sur les éléments susceptibles de fournir des modèles dans l’avenir, sans se dissimuler ce que des réponses à des questions actuellement à peine esquissées peuvent avoir d’hypothétiques (IV).
I – Éléments opposés au constitutionnalisme français actuel
7L’influence de Constant est trop vraisemblable sur le libéralisme constitutionnel qui triomphe actuellement dans nos systèmes politiques pour que l’on ne se sente pas en droit d’en rechercher d’abord les limites. Il en est une qui paraît évidente, même si elle a pu chagriner quelques-uns de ses admirateurs qui y ont vu comme une lacune, presque une faiblesse chez le grand homme17. Il s’agit de son hostilité à la démocratie, du moins pour autant qu’on la conçoive, conformément à l’étymologie, comme un mode de gouvernement confié au peuple. Qu’un libéral sincère puisse ne pas être démocrate ardent surprend de nos jours tant nous ne pouvons concevoir un libéralisme solide qui ne s’appuierait pas sur la démocratie, ni une démocratie méritant ce nom qui ne respecterait pas les libertés.
8En fait, au début du XIXe siècle, c’est plutôt la réaction inverse qui s’impose. Il n’est pas de libéraux un peu notoires qui ne se méfient plus ou moins de la démocratie. Certains y sont tout naturellement portés par les valeurs fondamentales dont ils se réclament, tel Chateaubriand que sa volonté de fidélité à la tradition conduit à soutenir la monarchie légitime. D’autres libéraux ont abandonné les convictions démocratiques de leur jeunesse, ainsi des « idéologues », marqués par les persécutions de la Terreur révolutionnaire et qui y puisent la justification d’une neutralité boudeuse à l’égard du régime napoléonien18. D’autres enfin n’excluent pas de faire un jour une place au suffrage populaire mais bien plus tard : ainsi des « doctrinaires » qui, avec Guizot, mettent en place un ambitieux plan de formation des enfants des classes défavorisées19. Ils préparent cette réconciliation du libéralisme et de la démocratie que Tocqueville réalisera après avoir constaté, grâce à son voyage en Amérique, qu’une grande République peut être un convenable rempart des libertés.
9Constant en est loin. Il reflète et oriente à la fois tout le courant libéral du début du XIXe siècle en manifestant hautement sa méfiance à l’égard du suffrage populaire. Dans son projet de livre sur La possibilité d’une Constitution républicaine dans un grand pays, « fragments d’un ouvrage abandonné », il imagine toutes les précautions, tous les contrepoids qui doivent éviter que le suffrage devienne une menace pour la liberté20. Il précise sa pensée dans le premier chapitre de ces Principes de politique sur lesquels il compte pour le révéler tel qu’en lui-même après les revirements des premiers mois de 1815. Il s’attache à éclairer l’idée de souveraineté du peuple, « principe [qui], en effet, ne peut être contesté »21 mais en des termes qui en limitent la portée jusqu’à la rendre à peu près inopérante. Selon lui, la souveraineté du peuple ne saurait en aucun cas être absolue et c’est la grande erreur de Hobbes22 que d’avoir soutenu un système qui ne peut dégénérer qu’en dictature.
10Rousseau aurait pris tardivement conscience de son imprudence, lui qui, après avoir exalté la toute-puissance de la volonté générale, est comme « frappé de terreur à l’aspect de l’immensité du pouvoir social qu’il venait de créer »23 : il trouve la parade aux périls qu’il a suscités par la libération du moloch populaire, en entourant l’exercice de son pouvoir de conditions si évidemment impossibles, en exigeant une démocratie directe si clairement irréalisable dans une grande nation, que cela revient à « anéantir de fait le principe qu’il venait de proclamer »24. En tous cas, quels que soient les scrupules, vrais ou supposés de Rousseau, Constant n’a aucune hésitation lorsqu’il s’agit de dénoncer les périls liés à une souveraineté populaire illimitée. Rien, et surtout pas le suffrage populaire, ne saurait justifier des atteintes aux libertés dont chacun peut légitimement se targuer. L’on ne saurait admettre que « l’universalité des citoyens [...] puissent disposer souverainement de l’existence des individus. Il y a au contraire une partie de l’existence humaine qui, de nécessité, reste individuelle et indépendante, et qui est de droit hors de toute compétence sociale »25.
11Dans ces conditions, Constant juge fort imprudentes ces formules qui figurent dans les Constitutions françaises depuis 1793 et que l’on retrouve actuellement dans la plupart des lois fondamentales du monde, des formules inspirées de Rousseau, sur la souveraineté qui appartient au peuple26 ; Constant ne saurait l’admettre sans de prudentes limitations que tend justement à exclure la formule également à peu près toujours présente sur l’interdiction à toute section ou portion du souverain de s’en attribuer l’exercice27. De même n’aurait pu recueillir son adhésion ce principe emprunté à l’histoire constitutionnelle et politique américaine sur « le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple »28. Une telle affirmation, proférée plus de trente ans après la mort de Constant et maintenant largement utilisée, lui serait apparue quasi contradictoire dans les termes : rien ne garantit que le gouvernement du peuple par le peuple débouche sur des décisions conformes aux intérêts du peuple. Les débordements populaires de la Terreur prouvent le contraire. Et ce n’est pas la perspective de participer par son vote personnel à l’exercice de la souveraineté populaire qui pourrait le rassurer : de quel poids une voix pèse-t-elle au milieu de millions d’autres ? Cinq ans après les Principes de politique, il fixe sa pensée avec la célèbre distinction sur la Liberté des anciens et des modernes, distinction déjà esquissée dans L’Esprit de conquête29 : nous ne pouvons considérer que notre liberté soit suffisamment protégée, comme on le croyait dans les cités antiques, par notre « participation active au pouvoir collectif » ; nous devons lui préférer « la jouissance paisible de l’indépendance individuelle »30.
12Pour Constant, il y a, dans les masses populaires, de dangereuses tendances à la versatilité et à la vulnérabilité aux promesses des démagogues, d’autant mieux reçues que les classes défavorisées se sentent mal traitées, ce qui peut les conduire à adhérer à des politiques de proscriptions, de confiscations, d’exécutions massives contre ceux qu’on leur présente comme des privilégiés. Il en va de même d’un dictateur, d’autant plus menaçant qu’il se sait fragile au pouvoir, instable et toujours exposé aux rivalités d’autres candidats à l’usurpation qui rêvent de le supplanter en s’inspirant de son exemple. Au contraire, un monarque héréditaire, consolidé sur le trône par une longue tradition, rassuré sur son maintien au pouvoir par le caractère viager de son autorité, incité à ne rien fonder que de durable par le souci de laisser un héritage intact à ses descendants, est naturellement porté à la modération31.
13De ce point de vue, Constant est en parfaite harmonie avec les Chartes de 1814 et 1830. Si l’on ne peut présenter l’Acte additionnel comme une simple « Charte améliorée » contrairement à ce que prétend Chateaubriand, et pour la simple raison qu’il reprend un texte publié en avril 1814, donc avant la Charte32, en revanche l’on ne peut nier qu’auteur le plus connu et le plus respecté du courant libéral malgré quelques revirements, il ait exercé une profonde influence sur l’état d’esprit qui présida à la mise en place et, plus encore, au fonctionnement de la monarchie constitutionnelle entre 1815 et 1830, voire au-delà de sa mort jusqu’en 1848. Par ce biais, il participe de la construction de la tradition constitutionnelle française, d’autant que nombre de mécanismes des IIIe, IVe et Ve Républiques y ont été puisés. Mais la démocratie manque à ses constructions.
14Par quelques autres aspects, Constant s’oppose, à l’avance, à la Constitution de la Ve République. En l’occurrence et contrairement à ce qui vient d’être dit à propos d’une démocratie fondée sur le suffrage populaire, ce ne sont pas des aspects décisifs mais ils sont révélateurs de ses préoccupations liées aux circonstances, ces dernières différentes de celles qui motivaient le constituant de 1958. Ainsi en va-t-il d’une disposition de son projet de Constitution de 1814 prévoyant expressément une compatibilité entre les fonctions de ministre et celles de membre d’une assemblée33. Au-delà du modèle britannique auquel Constant se réfère systématiquement, ce sont bien les circonstances, différentes à un siècle et demi de distance, qui expliquent ces deux positions opposées. Ce qui préoccupe Constant, c’est la stabilité constitutionnelle. Il veut créer un réseau d’intérêts entrecroisés qui consolident l’édifice et incitent chacun à en assurer la pérennité.
15Dans cette perspective, l’existence de députés-ministres sera à la fois une incitation pour les députés à soutenir un régime qui leur laisse l’espoir d’accéder au gouvernement et un moyen pour les ministres d’obtenir l’appui d’une assemblée à laquelle ils appartiennent parfois depuis longtemps et où ils comptent autant de collègues et, sans doute, quelques amis. Constant est, ici comme toujours, soucieux de multiplier les mécanismes qui consolident des solidarités réciproques fondées sur les intérêts bien compris des uns et des autres. Ce qui préoccupe en revanche le constituant de 1958, c’est la stabilité ministérielle avec le souci de décourager les députés de renverser les ministres pour les remplacer fût-ce pour peu de temps, et avec la volonté d’inciter les ministres à se maintenir tant qu’ils n’auront pas fait l’objet d’une motion de censure. A époques différentes, à problèmes différents, solutions techniques opposées. On n’est pas loin de la conception chère à certains politologues modernes, affectant de s’intéresser au droit constitutionnel et présentant chaque Constitution moins comme l’expression de choix idéologiques que comme une « boîte à outils » où des techniciens placent puis utilisent, en fonction des besoins du moment, les instruments et les mécanismes les plus aptes à résoudre des problèmes concrets34.
II – Éléments ayant discrètement influencé le constitutionnalisme français
16Cette hostilité à l’égard du suffrage populaire ne peut que jeter un certain discrédit sur les projets constitutionnels de Constant, du moins aux yeux des républicains. Pour autant, ils ne songent pas à contester son libéralisme, ni le bien-fondé des mesures protectrices qu’il a imaginées pour garantir les droits des citoyens. En revanche, les auteurs de gauche n’osent guère se réclamer de lui lorsqu’il s’agit d’installer les autres mécanismes qu’il préconise afin d’atteindre un objectif qu’il ne juge pas moins prioritaire : la préservation de l’ordre social. Ce souci ne lui paraît pas contradictoire mais complémentaire de la défense des libertés publiques. Il y revient sans cesse, avec des analyses qui montrent sa volonté de ne pas s’en tenir, pour garantir la pérennité de l’édifice politique et social, à des règles juridiques toujours menacées. Ne pouvant apporter la richesse à l’ensemble de la population, il faut du moins lui assurer une paix intérieure et extérieure qui lui permettra d’atteindre un minimum de bien-être et la dissuadera de se révolter au spectacle des inégalités sociales.
17Au-delà d’un égoïsme trop facilement dénoncé par ceux qui condamnent l’individualisme de Constant et sa volonté de préserver les privilèges financiers dont jouit une minorité à laquelle il entend bien appartenir35, il ne fait pas de doute qu’il conditionne les progrès de la civilisation à la présence d’une classe dirigeante et privilégiée, seule capable à ses yeux de faire progresser la culture, l’art, les valeurs intellectuelles et même morales. Ses projets constitutionnels constituent l’un des éléments qui doivent tendre à la protection de cet ordre social auquel il est d’autant plus attaché qu’il en profite mais aussi qu’il croit à ses bienfaits. Ici son influence se fait presque clandestine. Lui-même n’ose pas brandir son idéal de conservatisme social avec trop d’ostentation et ceux qui y puiseront des sources d’inspiration seront encore plus discrets sur l’origine de leurs emprunts. Pour en briser là avec des controverses possibles, l’on dira qu’il a participé d’une crainte présente à toutes les époques à l’égard des troubles sociaux et qu’il a apporté pour s’en préserver, ses valeurs, au premier rang desquelles la défense de la propriété, et ses mécanismes juridiques, parmi lesquels et prioritairement, la présence d’une seconde assemblée aristocratique.
18La défense de la propriété fait figure de priorité absolue aux yeux de Constant. Il y revient d’autant plus volontiers qu’il se sait, sur ce point, en accord avec à peu près tous ses contemporains, en tous cas avec ceux qui jouent un rôle quelconque. Il ne présente pas la propriété comme une valeur antérieure à la société et se moque de ceux qui se lancent, de ce point de vue, dans des théories fumeuses pour tenter de l’intégrer parmi les principes relevant d’on ne sait quel droit naturel36. Elle ne résulte de rien d’autre que d’une convention sociale et se justifie donc par l’intérêt que chacun y trouve.
19Sans propriété reconnue et garantie, il n’y aurait aucune protection pour personne. Chacun serait exposé à être à tout moment détroussé sans aucun recours. Personne ne se sentirait incité à faire des efforts pour obtenir plus que la satisfaction de ses besoins immédiats. Il n’y aurait aucune raison de se doter de biens qui ne seraient pas immédiatement consommables. Donc, sans propriété, chacun vit dans l’instant, sans aucune motivation pour épargner, a fortiori pour accumuler soit dans un but de précaution à l’égard d’un avenir dont on ne sait ce qu’il réserve, soit pour en faire profiter sa famille dans un futur plus lointain. La propriété revêt un rôle social : elle constitue le seul motif susceptible de pousser les individus à se projeter au-delà de l’instant. Sans propriété, pas de développement économique, aucune forme de progrès à espérer. Chacun s’enfermerait dans l’accomplissement étriqué des petits travaux quotidiens nécessaires à sa survie. « L’abolition de la propriété serait destructrice de la division du travail, base du perfectionnement de tous les arts et de toutes les sciences »37.
20La défense de toutes les propriétés légitimes, y compris de celles acquises pendant la Révolution, portant sur les biens nationaux, constitue l’une des composantes de cette doctrine autour de laquelle Constant propose de réunir tous les Français38. Il se sait en bonne compagnie dans cette défense de la propriété, y compris parmi les faiseurs de Constitution puisque la propriété figure dans toutes les déclarations, à commencer par celle de 1789 et qu’il n’est jusqu’à la Charte octroyée par Louis XVIII pour proclamer la pérennité des ventes de biens nationaux39. Constant va y ajouter sa touche personnelle avec un article proposé dans son projet de 1814 destiné à assurer la « garantie [des] créances sur l’état (sic) »40. On a vu qu’il aurait voulu maintenir dans l’acte additionnel, l’interdiction de toute confiscation qui figurait dans la Charte41. Il se heurte à un refus si violent de la part de Napoléon qu’il n’ose insister et y consacre l’un des développements les plus embarrassés de ses Mémoires sur les Cent-Jours42.
21Il est vrai qu’avec cette question des confiscations politiques, Constant a affaire à forte tradition. En son temps, voire au-delà, lorsque Napoléon III confisque l’immense fortune des Orléans43, il est habituel de mettre la main sur les biens de l’adversaire politique vaincu : c’est à la fois le châtier et le priver de tout moyen financier apte à lui permettre de redevenir dangereux. Certes une disposition sur l’interdiction des confiscations politiques n’a plus lieu de figurer dans nos documents constitutionnels actuels, certes la protection de la propriété figure dans le texte de 1958 à travers une référence à la déclaration de 1789 ; il n’en reste pas moins que Constant a participé d’une ambiance et a éveillé des échos qui n’ont pas tout fait fini de retentir comme en témoigne le fait qu’une des premières décisions d’annulation d’une loi par le Conseil constitutionnel après l’alternance de 1981, a porté sur les modalités de calcul des indemnisations à verser aux victimes des nationalisations prévues dans le programme commun de la gauche désormais au pouvoir44.
22Constant ajoute à sa défense de la propriété comme valeur sacrée, quelques objurgations qui sont destinées à en étendre les effets bienfaisants. Naturellement, le suffrage doit être réservé aux propriétaires. L’idée est à la fois trop ancrée dans les mentalités de l’époque et trop étrangère à nos convictions pour qu’il soit nécessaire d’y insister alors que Constant passe pas mal de temps à s’en expliquer. Tout au plus peut-on remarquer que, de ce point de vue, les formules de Constant qui évoquent des interrogations contemporaines, ne sont pas celles auxquelles l’on pouvait s’attendre. Ainsi Constant apparaît-il singulièrement rétrograde lorsqu’en cette veille de démarrage économique, il exclut la propriété industrielle du calcul du minimum de patrimoine nécessaire pour avoir le droit de vote45. Il se présente aussi comme peu clairvoyant et médiocre défenseur de ses propres intérêts lorsqu’il écarte également la propriété intellectuelle46. On l’aurait attendu plus moderne sur ces aspects.
23En revanche, son goût pour les formules générales pourrait lui valoir d’être actuellement récupéré par tous ceux qui se méfient d’une extension du droit de vote aux étrangers. Alors qu’il n’y songe guère, certaines phrases, isolées de leur contexte pourraient faire l’objet d’une utilisation non prévue par leur auteur : « Aucun peuple n’a considéré comme membre de l’Etat tous les individus résidant, de quelque manière que ce fut, sur son territoire »47. Il y a toute une page sur ce thème avec des formules péremptoires, mais auxquelles, heureusement, la médiocre notoriété de Constant dans le grand public, épargnera d’être exploitées, en ce début du XXIe siècle où se développe un débat sur le vote des étrangers. Il y aurait d’ailleurs quelque paradoxe à ce que celui qui consacrât tant d’effort et qui eût tant de peine à se faire reconnaître comme Français48, soit mis, post mortem, au service d’une argumentation à la tonalité plutôt xénophobe.
24Cette défense du suffrage censitaire rejoint un autre aspect de la pensée constitutionnelle de Constant, en faveur de la création d’une deuxième chambre, aristocratique. Autant il se montre précautionneux pour justifier le droit de suffrage réservé aux propriétaires fonciers, autant il fait preuve de détermination à propos d’une haute assemblée, « héréditaire » explique-t-il sans ambages dans les Principes de politique49. En fait et comme d’autres passages de ce livre, l’essentiel des développements sur la chambre chargée d’équilibrer l’assemblée élue est repris textuellement des Réflexions sur les Constitutions50 publiés un an et demi plus tôt. C’est dire que Constant y tient. Il s’en justifiera encore dans les Mémoires sur les Cents-Jours51. Pour nous, si l’on accepte de mettre de côté l’aspect « aristocratie héréditaire » qui n’est plus de mise de nos jours mais qui n’est pas négligeable pour Constant et qui traduit sa volonté de donner une place officielle à une classe de notables aptes à consolider la Constitution52, ses arguments en faveur d’un bicaméralisme renvoient à quelques préoccupations actuelles. Il en va ainsi lorsqu’il explique que, sans l’appui d’un corps intermédiaire -ici il s’inspire de Montesquieu-, le gouvernement d’un seul tourne au despotisme et se résume à ceci : « un homme qui commande, des soldats qui exécutent, un peuple qui obéit »53. Si l’on ne fait pas aux notables une place au sein des organes constitutionnels, ils n’appuieront, ni ne modéreront le pouvoir personnel qui s’en trouvera fragilisé et incité aux excès.
25Si le thème du bicamérisme tel que Constant le défend évoque quelques préoccupations actuelles, c’est par le rôle modérateur qu’il assigne à la chambre haute. Il s’agit de faire contrepoids à l’assemblée élue, plus sensible -et pour Constant trop sensible- aux variations de l’opinion publique. La répartition des rôles est claire : à cette dernière « l’esprit progressif », à la seconde chambre « l’esprit conservateur »54. Et Constant de rêver d’un système équilibré où les tentations apparues au sein de l’assemblée élue de prendre des décisions outrées « échouent devant le calme [de la deuxième chambre, ] celle qui sanctionne ou rejette ses résolutions ». L’on n’est pas loin du rôle que nombre de commentateurs assignent au Sénat des trois dernières Républiques. Notre Sénat républicain ne saurait reconnaître qu’il descend directement de la Chambre des pairs de la Restauration et de la Monarchie de juillet, modèle qui a pourtant directement inspiré le constituant de 187555 et qui est, tous comptes faits, plus valorisant que celui du Sénat napoléonien.
III – Éléments ayant évidemment influencé le constitutionnalisme français
26Ici, aucun doute et chacun en convient : s’il est un héritage incontestablement laissé par Benjamin Constant au constitutionalisme moderne, c’est dans son combat pour la liberté qu’on peut le trouver. C’est ce qui donne son unité à sa vie. Malgré une ambition un peu impatiente et qui le pousse à offrir ses services à tout régime débutant, malgré de trop réels problèmes financiers qui l’incitent à négocier son ralliement éventuel contre des postes à la mesure de ses mérites, malgré une tendance très perceptible à orienter ses démonstrations théoriques en fonction des puissants de l’heure qu’il entend convaincre de l’efficacité de sa plume, son attachement à la liberté n’a jamais faibli. Il ne lui a fait aucune concession, pas même pour conserver des positions avantageuses, durement acquises et auxquelles il tenait. En 1817, appelant à l’union nationale malgré les affrontements politiques passés, cherchant des excuses à certains de ceux qui ont paru, notamment à l’époque de Napoléon 1er, prêts à bien des concessions pour obtenir des postes, il a une formule qui pourrait s’appliquer à lui : « Oui, plusieurs ont été faibles : mais chaque fois qu’une espérance de liberté s’est offerte à eux, ils l’ont saisie, ils l’ont secondée, ils en ont conservé la tradition ; et si elle survit, ils y sont pour quelque chose »56.
27L’unité de sa pensée est accentuée par la tendance, chez lui, à reprendre des écrits anciens et à les recopier, parfois à la virgule près, dans des publications ultérieures. On pourrait presque soutenir que toute sa pensée est déjà dans ces Principes de politique, publiés par Etienne Hofmann57, rédigés autour de 1806, jamais publiés de son vivant dans leur forme originale mais où il n’a cessé de puiser par la suite. Sont présents à chaque page non seulement le souci de dresser des barrières protectrices de la liberté et de faire sauter les obstacles qui peuvent faire obstacle à sa propagation, mais surtout la volonté de convaincre les dirigeants qu’il n’y a pas de meilleures garanties de durée que de la respecter : elle consolide les fidélités, elle rallie les opposants, elle rassemble toute la population par la crainte d’en perdre les bienfaits en cas de chute du régime en place.
28Il n’y a rien qui l’indigne plus que les gouvernants liberticides. L’Esprit de conquête lui permet d’exhaler l’amertume que l’on devine accumulée tout au long du règne de Napoléon, depuis son éviction du Tribunat jusqu’aux défaites de 1813. Plus que la riante peinture des effets de la liberté, c’est la sombre description des méfaits de la dictature qui mobilise ses efforts58. Le despotisme avilit ceux qui le subissent. Si le thème n’est pas nouveau, il prend sous la plume de Constant, peu porté à s’abandonner aux effusions dans ses écrits politiques, la forme d’implacables analyses sur les flatteries des courtisans, les mensonges des journalistes, les complaisances des juges, la propension de tous à trahir. Finalement le dictateur sera la plus éclatante victime de ses propres turpitudes59 et on pourrait lui pardonner son avilissement consenti s’il ne laissait derrière lui une société déshonorée, divisée, déresponsabilisée. Seuls les bienfaits de la liberté lui permettront de se restructurer et de se reprendre en main.
29Encore faut-il que les institutions constitutionnelles ne farcissent pas l’esprit des gouvernants d’absurdes idées, telles l’infaillibilité du monarque, l’irresponsabilité des ministres ou encore la souveraineté absolue du peuple ou de ses représentants. Il est des principes et des valeurs qui s’imposent à tous, nés du libéralisme et exprimés dans les déclarations des droits. C’est sur elles que Constant fait reposer tout son système de protection de la liberté. Apparemment rien de très nouveau par rapport aux analyses du temps puisqu’à peu près toutes les Constitutions de l’époque s’accompagnent d’une déclaration des droits, rédigée en termes noblement balancés, parfois avec des variantes qui doivent beaucoup au souci de chaque groupe de constituants de laisser sa marque, et occasionnellement accompagnée d’une liste des devoirs.
30Il n’y a donc pas grand-chose de spécifique dans la proposition de Constant de compléter son projet de Constitution en y insérant une déclaration des droits. C’est plutôt l’inverse qui étonnerait à l’époque. L’originalité de Constant tient surtout au laconisme de son texte, à la brièveté de sa liste. Il s’en explique avec tout un chapitre sur « la nécessité de ne pas étendre les Constitutions à trop d’objets »60. Il y affirme qu’il faut s’en tenir à l’essentiel c’est-à-dire, comme en Angleterre, aux « garanties de l’ordre social et de la liberté publique ». Si la Constitution comprend trop de dispositions et de portée trop médiocre, certaines seront inévitablement violées, ne fût-ce que parce que cela ne paraît pas porter à conséquence. En fait, à partir du moment où quelques articles ne sont plus appliqués, le mépris s’étend à l’ensemble. Si l’on ne respecte pas tout, on ne respecte rien. Il vaut mieux s’en remettre à l’expérience et à la pratique pour déterminer les modes de fonctionnement concrets des institutions les plus adaptées. Consciemment ou pas, Constant retrouve des formules utilisées par les contre-révolutionnaires : « Les Constitutions se font rarement par la volonté des hommes : le temps les fait »61.
31De fait, les libertés prévues par Constant dans son projet de 1814 sont réduites au plus petit nombre. Enumérons-les littéralement : liberté individuelle, jugement par jurés, liberté religieuse, liberté d’industrie, garantie des créances sur l’Etat, liberté de manifester et de publier les opinions, sauf responsabilité légale62. Un peu plus loin, il y ajoute l’interdiction des arrestations arbitraires, des détentions (sic) et des exils63. Finalement, tout se ramène, si l’on met à part ce renvoi un peu inattendu à la liberté économique, à proclamer la liberté d’opinion et la sûreté, au sens de Montesquieu. Ce n’est pas l’effet du hasard. Constant y revient dans les Principes de politique lorsqu’il énumère les limites à la souveraineté populaire : « Le peuple n’a pas le droit d’attenter à la liberté d’opinion, à la liberté religieuse, aux sauvegardes judiciaires, aux formes protectrices ».
32C’est de la Constitution que Constant attend une protection des libertés publiques. Voilà ce qui fait sa modernité. Il faut la chercher dans cette confiance à l’égard du texte constitutionnel et dans cette apparente certitude quant à la capacité d’un si chétif document à faire obstacle aux abus du pouvoir politique. Nous y sommes si accoutumés, avec l’intervention désormais habituelle et incontestée des Conseils ou des Cours constitutionnels que l’audace du propos risque de nous échapper. De fait, il y avait plus que de la prescience, une forme d’inconscience à confier la défense des libertés à une Constitution, avec ses prescriptions toujours contestées au point qu’en France, elles ne duraient guère plus que trois ou quatre ans en moyenne. Constant n’est pas si naïf : il entoure la Constitution de toutes sortes de savants équilibres sociaux, tels que l’intérêt de tous soit de respecter la liberté des autres. Cet équilibre une fois atteint -et il en mesure la difficulté- il appartiendra à la loi fondamentale de fixer aux titulaires du pouvoir, et d’abord aux ministres et aux fonctionnaires, les limites qu’ils ne doivent pas franchir.
33Reste à déterminer l’autorité susceptible déjouer le rôle de gardien du respect de la Constitution. Constant n’imagine rien de comparable à nos modernes Conseils ou Cours constitutionnels. Il est vrai qu’il se méfie surtout de l’exécutif et de ses agents, plus que d’un législatif que sa composition passablement élitiste devrait dissuader de lois liberticides. À l’encontre des ministres et des membres de l’administration, il compte d’une part sur des procédures de mise en accusation du type impeachment, d’autre part sur les recours que les citoyens peuvent adresser à la justice. Il oppose la soumission des magistrats dans l’ancien ordre des choses, à l’époque des dictatures, et l’indépendance dont ils sauront faire preuve à la faveur d’une loi fondamentale libérale : « Notre Constitution, en rendant inamovibles dès ce moment tous les juges qui seront nommés désormais, leur donne une indépendance dont ils ont trop longtemps été privés. Ils sauront qu’en jugeant des ministres [...], ils ne peuvent encourir aucune animadversion constitutionnelle, qu’ils ne bravent aucun danger »64. Il était sans doute un peu prématuré, au début du XIXe siècle et en France, d’imaginer la magistrature s’opposant de front aux ministres ou aux députés. Constant s’avère en revanche bon prophète lorsqu’il annonce certains équilibres actuels avec des juges qui n’hésitent plus à mettre en jeu la responsabilité des membres de la classe politique. Ce qui pouvait apparaître comme une rêverie émanant d’un auteur libéral trop optimiste fait désormais figure de réalité difficilement prévisible lorsqu’il écrivait.
34Autre péril pour la liberté : l’armée. Entre deux dangers, Constant choisit le moindre. Un article du projet de 1814 est sans ambiguïté : « La force armée est sous les ordres du Roi »65. La Charte y faisait également allusion et l’idée d’un chef de l’État qui « commande les forces de terre et de mer »66 se retrouvera dans la plupart des Constitutions françaises, jusqu’à celle de 1958. Il ne s’agit pas seulement du souci de mettre entre les mains d’un seul le moyen de faire face à d’éventuelles tentatives d’invasions. Il se méfie de l’armée plus encore que de l’exécutif. Toute sa démonstration, dans L’Esprit de conquête, tend à convaincre le lecteur que l’époque des guerres est révolue, que la prolongation des expéditions militaires ruine les pays, démoralise les nations et affaiblit les gouvernements67. La puissance se mesure désormais à l’importance du commerce et au développement de l’industrie, au sens du XIXe siècle, c’est-à-dire des activités productives. Les aventures prétoriennes sont anachroniques. Nul doute qu’il y ait dans son propos une réaction au près d’un quart de siècle de guerres répétées dans lesquelles la France se laisse entraîner par les révolutionnaires, puis par Napoléon. Nul doute qu’il ne systématise les convictions d’une partie de l’opinion publique. En tout cas, et comme toujours, il cherche le meilleur moyen de préserver la liberté. C’est en civilisant les forces militaires sans tomber dans le système du service militaire universel -autre péril pour la liberté- qu’on les maintiendra dans les limites de leur devoir, en leur faisant prendre conscience de leurs vraies responsabilités : la défense du pays contre les agressions extérieures et contre les désordres intérieurs.
IV – Éléments susceptibles d’influencer à l’avenir le constitutionnalisme français
35S’il est toujours hasardeux, selon Paul Valéry, de s’aventurer à prédire l’avenir, c’est encore plus aventureux si l’on tente de l’éclairer à l’aide d’interprétations empruntées au passé. Il s’agirait en somme d’attribuer aux auteurs anciens des réponses à des questions qui ne se posaient pas alors. Notre propos est heureusement plus modeste. Il s’agit simplement de rapprocher certaines analyses de Constant des interrogations actuelles, même si les termes qu’il emploie et la problématique qu’il adopte exigent un effort de reformulation. Ainsi en va-t-il, par rapport aux controverses actuelles sur le rôle du chef de l’État sous la Ve République et par rapport aux propositions de retour à un président arbitre tel que le prescrit l’actuel article 5 de la Constitution, d’une l’idée si chère à Constant qu’il en fait le premier article de son projet de 181468 : il s’agit de rien moins que de disjoindre le chef de l’État du gouvernement et d’en faire deux pouvoirs totalement distincts. Cela lui permet de se démarquer de la traditionnelle division tripartite des pouvoirs héritée de Montesquieu. S’il conserve « l’exécutif », « le représentatif »-qu’il préfère à législatif puisque d’autres que les assemblées participent à l’élaboration de la loi par le biais d’un droit d’initiative ou de veto- et « le judiciaire », il y ajoute « le pouvoir royal », terme général pour désigner l’ensemble des fonctions du chef de l’Etat et qu’il conservera dans son ouvrage de 1815, donc même après avoir prêté la main à la réinstallation d’un empereur69.
36Il ne s’agit pas pour lui d’affaiblir le chef de l’Etat puisqu’il lui reconnaît le droit de nommer et de renvoyer les ministres, d’ajourner et de dissoudre l’assemblée élue, de proposer et de refuser les lois, de nommer les juges... Il s’agit en fait de le placer au-dessus de la mêlée pour reprendre une expression moderne ou, pour utiliser son propre terme, fréquemment répété, d’en faire un pouvoir « neutre », non pas faible mais uniquement orienté vers la défense de la liberté et de l’ordre. C’est son principal reproche à toutes les Constitutions déjà expérimentées en France depuis un quart de siècle et ce qu’il considère comme son principal apport : créer un pouvoir neutre placé entre les mains d’un homme qui ne pourra, comme le roi d’Angleterre, faire « aucune loi [...] sans le concours du Parlement ; aucun acte [...] sans la signature d’un ministre ; aucun jugement [...] que par des tribunaux indépendants »70. Cette impossibilité de commettre, de son propre chef, rien d’attentatoire aux libertés individuelles justifie l’irresponsabilité du chef de l’État.
37En même temps, la multiplicité des moyens de pression dont il dispose à l’encontre des ministres et des assemblées lui permet de tout orienter dans le sens de l’intérêt général, c’est-à-dire de la liberté : son « intérêt [...] n’est aucunement que l’un des pouvoirs renverse l’autre, mais que tous s’appuient, s’entendent et agissent de concert »71. On en conviendra : on n’est pas loin du président arbitre de notre article 5. Constant lui reconnaît même quelque chose qui s’apparente à une sorte de rôle de « garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire »72 en lui conférant le pouvoir de nommer les magistrats, pour autant qu’ils soient ensuite inamovibles : « Que [...] la nomination des juges doive appartenir au Prince, est une vérité évidente. Dans un pareil gouvernement, il faut donner au pouvoir royal toute l’influence et même toute la popularité que la liberté comporte »73.
38Reste à définir le rôle des juges et à en faire des appuis de la liberté individuelle et d’abord de la lutte contre les arrestations arbitraires. Tout doit être mis en œuvre pour placer l’institution judiciaire au service de la justice. Rien de pire que les tribunaux de l’époque révolutionnaire : les pressions de l’opinion publique étaient telles qu’il aurait fallu aux juges de cette époque un héroïsme supérieur à celui que l’on attend des militaires les plus intrépides : « Ce courage qui fait braver la mort dans une bataille, est plus facile que la profession publique d’une opinion indépendante, au milieu des menaces des tyrans et des factieux »74. Constant est à ce point attaché à l’indépendance du juge, notamment à l’égard du pouvoir politique qu’il en vient à trouver des avantages à la vénalité des offices : « C’était un abus, mais cet abus avait un avantage que l’ordre judiciaire qui l’a remplacé nous a fait regretter »75. Il tient des discours relativement modernes : en ce XIXe siècle où la tendance est de privilégier le juge-notable, mal rémunéré, considérant sa fonction comme une sorte de responsabilité sociale, une forme de tribut que les propriétaires doivent payer au maintien de l’ordre social, il souhaite que les magistrats soient mieux payés76. La demande est d’autant plus méritoire de la part de Constant qu’il est très attaché à des charges publiques aussi légères que possible pour éviter l’alourdissement des impôts77 au point de refuser une rémunération à la plupart des responsables politiques, y compris aux ministres et aux membres des assemblées78. Ici, il se fait violence pour éviter que l’on puisse faire peser sur les magistrats des pressions de type financier.
39En même temps, il n’entend pas tout remettre aux juges professionnels. Il prévoit diverses précautions, notamment « la publicité des procédures, et l’existence de lois sévères contre les juges prévaricateurs »79. Surtout, s’il consacre plusieurs pages à défendre l’indépendance des magistrats, et d’abord leur inamovibilité, il est encore plus disert lorsqu’il s’agit de justifier l’utilité des jurés, en appui à un article péremptoire : « Les jurés prononcent sur les faits : les juges permanents appliquent la loi »80. L’on songe à la formule de Montesquieu sur le juge, bouche de la loi81. Il ne faut pas s’y tromper : Constant ne porte aucun respect superstitieux aux lois. Il les sait imparfaites, résultats de délibérations marquées par les passions, souvent trop nombreuses et trop rigoureuses, parfois mal rédigées82. Pour autant, il préfère encore y soumettre l’arbitraire des juges. En revanche, il compte sur le bon sens des jurés pour savoir s’en affranchir, notamment lorsqu’elles paraissent trop sévères et mal adaptées : dans ce cas, le jury saura prononcer l’innocence de l’accusé, même contre toute vraisemblance, pour lui éviter une peine exagérée. En fait, ce sont les droits des accusés qu’il s’agit en toute hypothèse de protéger.
40Il prévoit que le chef de l’Etat « tempère la rigueur des peines par le droit de faire grâce »83. Il s’éloigne donc des anciennes prérogatives royales qui permettaient au roi, au nom de la justice retenue, de modifier une sentence dans le sens de l’aggravation comme de l’indulgence. Il ne doit lui être permis que de faire preuve de clémence, notamment pour atténuer les effets d’une loi trop sévère. Il réfute l’argument trop simple consistant à dire qu’une loi doit être appliquée ou changée. Il explique qu’une loi peut convenir dans la plupart des cas mais apparaître inadaptée dans un cas précis84. Il ajoute deux garanties supplémentaires pour l’accusé, avec l’interdiction des « tribunaux extraordinaires » comme d’une « suspension ou abréviation des formes »85. Il est tout à fait véhément pour dénoncer ceux qui prétendent que la gravité des crimes ou l’urgence du châtiment peut parfois légitimer l’allégement de certaines garanties que ce soit dans la composition des juridictions ou dans les procédures : rien ne saurait justifier de telles pratiques : ce serait des « actes inconstitutionnels et punissables »86. Sur tous ces aspects -soumission du juge à la loi, lutte contre la détention arbitraire, droit de grâce du chef de l’État- l’on conviendra que les propos de Constant éveillent quelques échos par rapport à de modernes polémiques. Il prend position en fonction d’un critère simple auquel il soumet tout et qui fait l’unité de sa pensée : la défense de l’intérêt individuel.
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41Une étude portant sur l’influence de Constant sur le constitutionalisme français porte en elle-même ses limites. Ces questions d’influences, notamment transnationales, sont souvent trop délicates pour être abordées sereinement. La résignation au mimétisme juridique ou au contraire la recherche d’une problématique authenticité normative, l’exaltation du nationalisme institutionnel ou, à l’inverse, la dénonciation de pratiques relevant de l’abus d’influence, sont trop fréquemment brandies par les auteurs contemporains pour qu’il soit facile de déceler dans chaque groupe de textes, et pas seulement constitutionnels, les modèles étrangers qui ont pu être utilisés ou les sources doctrinales extérieures dont on s’est éventuellement inspiré. Les susceptibilités sont particulièrement marquées dans les pays autrefois colonisés qui aspirent à l’indépendance en tout domaine, y compris juridique. Ces dernières considérations ne peuvent évidemment jouer, s’agissant de Benjamin Constant comme source d’inspiration pour tel ou tel aspect du droit français mais elles incitent à la prudence. Il ne suffit pas qu’un auteur et un texte apportent des réponses identiques à des problèmes semblables pour que le premier soit à l’origine du second. Ils peuvent participer d’une ambiance commune, en l’occurrence celle du libéralisme politique caractéristique des XIXe et XXe siècles, qui les a orientés vers la proclamation des mêmes valeurs et la préconisation des mêmes procédures.
42En même temps, la notoriété de Constant comme source d’inspiration en matière politique et constitutionnelle est trop évidente pour que l’on puisse nier son rôle dans la rédaction d’un certain nombre de lois fondamentales, notamment françaises. Si l’on fait une distinction entre les penseurs peu lus et souvent cités parce qu’ils sont considérés comme des références prestigieuses et, à l’inverse, les auteurs souvent lus mais moins invoqués parce que leur pensée et leur action furent trop complexes pour que le fait de s’en réclamer soit à la fois valorisant et univoque, Constant appartient à la deuxième catégorie. Malgré sa détermination à défendre la liberté partout et toujours, ses atermoiements en plusieurs occasions brouillent son image et obscurcissent sa réputation. En même temps, il met dans sa réflexion un soin à rechercher, au-delà des légitimités et des systèmes de gouvernement, tous les moyens de préserver la liberté, qui ne peut que séduire tous ceux qui se réclament de cette valeur. Il y a du déterminisme chez lui lorsqu’il évoque la force que les idéaux libéraux portent en eux, l’impossibilité pour les régimes dictatoriaux de se maintenir durablement, l’exaspération de l’opinion publique à l’égard de toutes les manifestations d’autoritarisme. Il y a, en même temps, du volontarisme lorsqu’il énumère les équilibres, les techniques, les procédures qu’il faut promouvoir parce que ce sont autant d’armes que pourront utiliser les défenseurs des libertés.
43C’est sans doute là qu’il faut chercher sa modernité. Il ne surestime ni ne méprise les textes constitutionnels comme garantie pour les citoyens. Il sait la force que peut revêtir la proclamation d’un principe et notre histoire politique récente le prouve surabondamment, en Europe et dans le reste du monde. Il suffit de voir les efforts des régimes autoritaires pour justifier leurs dérapages, les manœuvres qu’ils déploient pour faire modifier les normes qui les gênent, pour se rendre compte qu’à leurs yeux, il ne s’agit pas de « chiffon de papier » qu’il est aisé de balayer au nom d’un idéal soi-disant révolutionnaire ou d’un intérêt national arbitrairement défini. Nombre de dirigeants en place depuis longtemps s’étaient habitués à une attitude passablement désinvolte à l’égard du droit constitutionnel, et il n’est que d’évoquer les positions du général de Gaulle en ce domaine pour se convaincre que les pays du tiers-monde n’avaient pas le monopole de telles situations. Ces pratiques ne sont plus de mise, ce que l’on peut interpréter comme une sorte de succès tardif de Benjamin Constant. Il est vrai que l’on ne peut le réduire à l’éloge des documents constitutionnels comme obstacle à la dictature. Son idée de base demeure la conviction que les textes juridiques doivent s’appuyer sur une organisation sociale, c’est-à-dire sur des équilibres d’intérêts qui font que chacun est incité à utiliser le droit pour préserver sa liberté et celle des autres. Le droit n’est utilisable qu’à condition de convaincre tous les membres du corps social de le respecter et de le faire respecter. La classe dirigeante s’accommodera les limites que lui assigne un texte dans lequel elle puise sa légitimité. L’administration respectera des dispositions qui bornent ses prérogatives et ses responsabilités, qui définissent l’ordre qu’elle doit faire régner et les moyens dont elle dispose, hors de tout arbitraire que l’on ne manquerait pas de lui reprocher. Les citoyens ont intérêt à s’incliner devant une charte fondamentale qui fixe à chacun ses droits et ses devoirs. Dans la mesure où tous trouvent leur intérêt à consolider un régime libéral, ce dernier se pérennisera.
Notes de bas de page
1 Art. 10 et 17 de la déclaration.
2 Art. 6 et 5 de la déclaration.
3 Première édition de De l’Esprit de conquête et de l’usurpation dans leurs rapports avec la civilisation européenne : janvier 1814 (réédité dans Benjamin CONSTANT, Œuvres complètes, Max Niemeyer Verlag, série Œuvres, t. VIII, Tübingen 2005, p. 549-822 ; première édition des Principes de politique applicables à tous les Gouvernements représentatifs et particulièrement à la Constitution actuelle de la France, juin 1815 (réédité dans Benjamin CONSTANT, Œuvres, t. IX-2, Tübingen 2001, p. 653-858).
4 Première édition de Réflexions sur les Constitutions, la distribution des pouvoirs et les garanties dans une monarchie constitutionnelle : mai 1814 (réédité dans Œuvres, t. VIII, p. 949-1155).
5 Etienne HOFMANN, Les « Principes de politique » de Benjamin Constant, 1er vol., Droz, Genève 1980.
6 André CABANIS et Olivier DEVAUX, « Benjamin Constant et l’acte additionnel aux Constitutions de l’Empire : trois idées reçues à nuancer », dans La Constitution dans la pensée politique, Aix- en-Provence 2001, p. 255 à 287.
7 Première publication d’un article qui va déboucher sur les Mémoires sur les Cent Jours en forme de lettres, avec des notes et documents inédits, septembre 1819 (réédité dans Œuvres, t. XIV, Tûbingen 1993).
8 Dans son journal intime, le 21 avril 1815 : « Séance avec les présidents de sections (sic). Les affaires m’amusent beaucoup. Je les discute bien » (Benjamin Constant, Journaux intimes, Gallimard, Paris 1952, p. 438).
9 Dans son journal intime, notamment le 19 avril 1815, au moment de se rallier officiellement à Napoléon : « Si ma nomination a lieu, je me lance tout à fait sans abjurer aucun principe ». De fait, le lendemain, il est nommé au Conseil d’État et il se rallie (Benjamin Constant, Journaux intimes, ibidem). Pour une analyse malveillante, c’est-à-dire financière, de son ralliement à Napoléon : Henri GUILLEMIN, Mme de Staël, Benjamin Constant et Napoléon, Pion, Paris 1959, p. 157 et s.
10 « Sous le rapport des principes, cette Constitution, bien qu’imparfaite, n’était inférieure à aucune de celles qu’elle semblait destinée à remplacer » (Œuvres, t. XIV, p. 237).
11 Id., p. 226-231.
12 Journaux intimes, p. 439-440.
13 Œuvres, t. IX-2, p. 672.
14 Sur les enseignements proposés à Constant dans les centres universitaires d’Erlanger, puis d’Edimbourg et surtout sur sa participation, dans cette dernière ville, aux discussions de la Spéculative Society : Gustave RUDLER, La jeunesse de Benjamin Constant 1767-1794, Armand Colin, Paris 1909, p. 156-173.
15 Décision n° 71-44DC du 16 juillet 1971.
16 Le préambule de la Constitution de 1958 indique laconiquement que « le peuple français proclame son attachement aux Droits de l’Homme [...] tels qu’ils ont été définis par la déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946 ». Or le préambule de la Constitution de 1946 affirme que « [Le peuple français] réaffirme solennellement [...] les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ». Dévidant la pelote d’un raisonnement venu de loin, il a ensuite suffi, si l’on peut dire, au Conseil constitutionnel de classer la liberté d’association parmi ces principes fondamentaux pour sanctionner une loi y portant atteinte. Sur les conditions d’adoption de cette décision : François LUCHAIRE, « La décision du 16 juillet 1971 », dans François Luchaire, un républicain au service de la République, Publications de la Sorbonne, Paris 2005, p. 373-380.
17 De fait, certains projets d’ouvrages de Constant, initiés avant la proclamation de l’Empire, autour du thème « Sur la possibilité d’une Constitution républicaine dans un grand pays », ont pu être utilisés pour le présenter comme démocrate : cf. notamment Stephen HOLMES, Benjamin Constant et la genèse du libéralisme moderne, PUF, Paris 1984 et son développement « La prétendue hostilité de Constant au gouvernement démocratique », p. 118-120 ; Adrienne LEZAY-MARNESIA, Benjamin Constant. Ordine e libertà, La Rosa éditrice, Torino 1995 et son développement « Un republicano : Benjamin Constant », p ; XV-XVIII ; Tzvetan TODOROV, Benjamin Constant, la passion démocratique, Hachette, Paris 1997 ; Ahmed SLIMAN, Le républicanisme de Benjamin Constant (1792-1799), Presses universitaires d’Aix-Marseille, Aix-en-Provence 1999. Il nous paraît que la méfiance de Constant à l’égard du peuple empêche de le compter au nombre de ceux qui manifestent vis-à-vis de la démocratie autre chose qu’une révérence de circonstance destinée à la rendre libérale en éliminant tout ce qui peut évoquer le suffrage universel.
18 On peut prendre par exemple le cas de Roederer : André CABANIS, « Un idéologue bonapartiste », dans Revue de l’Institut Napoléon, 1977, p. 3 à 19.
19 Pierre ROSANVALLON, Le moment Guizot, Gallimard, Paris 1985.
20 Benjamin CONSTANT, Œuvres, t. IV, Tùbingen 2005, p. 353 à 762.
21 Benjamin CONSTANT, Œuvres, t. IX-2, p. 679.
22 Id., p. 684. Sur « le malentendu au sujet de la souveraineté populaire » chez Constant, cf. Philippe RAYNAUD, Benjamin Constant et la question des principes dans leur relation à l’histoire, thèse science politique Paris II, 2002, dactyl., p. 79-84.
23 Id., p. 683.
24 Ibidem.
25 Id., p. 681. Dans la partie non reproduite de la citation, Constant utilise la formule sur le fait que nulle fraction du peuple ne peut s’attribuer la souveraineté.
26 Art. 7 de la Constitution de 1793 ; art. 1er de la Constitution de 1795 ; art. 1er de la Constitution de 1848 ; art. 3 de la Constitution de 1946 ; art. 3 de la Constitution de 1958.
27 Art. 3 de la Constitution de 1946 ; art. 3 de la Constitution de 1958. Cette formule est d’ailleurs ambiguë : elle figure déjà dans la déclaration de 1789 (art. 3) et dans la Constitution de 1792 (titre 3, art. 1er) mais elle s’applique à la souveraineté nationale.
28 Art. 2 de la Constitution de 1946 ; art. 1er de la Constitution de 1958. Principe emprunté au discours prononcé en 1863 par Lincoln sur le champ de bataille de Gettysburg.
29 Œuvres, t. VIII, p. 627-631 et nos notes.
30 Œuvres, t. VIII p. 627.
31 Œuvres, t. VIII, p. 605. Chap. 2 de la seconde partie de L’Esprit de conquête : « Différences entre l’Usurpation et la Monarchie ». Un biographe de Constant cite à juste titre une phrase de Napoléon à Roederer qui aurait pu fournir « l’épigraphe la plus pertinente [aux] attaques [du livre De l’Esprit de conquête] : « je suis, dit Napoléon, enfant de la Révolution, enfant du peuple ; je ne souffrirai pas qu’on m’insulte comme un roi ». // Avec les fils du peuple, fini de rire ! » (Jean BAELEN, Benjamin Constant et Napoléon, avec une lettre du Général Catroux, Grand Chancelier de la Légion d’Honneur (sic), J. Peyronnet, Paris 1965, p. 146).
32 A. CABANIS et Olivier DEVAUX, « Benjamin Constant et l’acte additionnel [...] », art. cité.
33 Sur la présence de cette disposition dans les successives versions de l’Acte additionnel, cf. Œuvres, t. IX-2, p. 581 et 598 et nos notes ; Constant y revient dans les Principes, idem, p. 747-748 et notre note.
34 Sur les tendances actuelles de la science politique française, notamment dans ses rapports avec le droit : Eric DARRAS et Olivier PHILIPPE (sous la direction de), La science politique une et multiple, L’Harmattan, Paris 2004.
35 Cf. parmi les plus critiques mais qui s’appuie sur une belle érudition : Henri GUILLEMIN, Benjamin Constant muscadin 1795-1799, Gallimard, Paris 1958 : « La « liberté », selon Benjamin Constant, c’est la liberté des riches qui entendent se faire écouter du pouvoir pour qu’il leur laisse toute latitude d’employer à leur profit le labeur des pauvres. L’État, à ses yeux, est la grande machine contraignante grâce à laquelle les possédants assurent leur domination sur la classe qui les entretient » (p. 289).
36 Œuvres, t. IX-2, p. 799 : « Plusieurs de ceux qui ont défendu la propriété, par des raisonnements abstraits, me semblent être tombés dans une erreur grave : ils ont représenté la propriété comme quelque chose de mystérieux, d’antérieur à la société, d’indépendant d’elle ».
37 Id., p. 801. Cette défense de la propriété n’exclut pas une intervention de la société pour l’organiser : elle n’a pas le caractère absolu que Constant reconnaît à la liberté individuelle et à la liberté d’opinion (ibidem, et notre note 2). Pour une analyse bienveillante, donc sociale mais méritoire, de la pensée de Constant : M.-J. BAELEN, « Positions générales de Benjamin Constant en matière politique et sociale », dans Benjamin Constant, Actes du colloque de Lausanne (octobre 1967), Droz, Genève 1968, p. 28-30.
38 CONSTANT, De la doctrine politique qui peut réunir les partis en France, Delaunay, Paris 1817 (2e éd.), p. 10.
39 Art. 9 de la Charte : « Toutes les propriétés sont inviolables, sans aucune exception de celle qu’on appelle nationale, la loi ne mettant aucune différence entre elles ».
40 Réflexions sur les Constitutions, Nicolle, Paris 1814, p. 142.
41 Art. 66 de la Charte.
42 Mémoires sur les Cent-Jours dans Œuvres, t. XIX, p. 226 à 231.
43 En 1852, mesure qui paraît cependant si arbitraire qu’elle provoque, malgré les craintes résultant des toutes récentes mesures de répression qui ont suivi le coup d’État du 2 décembre, une vive indignation jusque chez les possédants avec la fameuse formule dénonçant humoristiquement « le premier vol de l’Aigle », avec aussi la démission d’une des personnalités les plus proches du nouvel empereur, le duc de Morny.
44 Décision n° 81-132 DC du 16 janvier 1982.
45 Œuvres, t. IX-2, p. 739-742. Il se justifie de cette exclusion en expliquant que les propriétaires industriels « sont presque tous en même temps propriétaires-fonciers ». C’est à cette lumière qu’il faut juger d’une remarque comme celle qui fait référence « à cette bourgeoisie industrielle dont Benjamin Constant, par la force des choses, se trouvera un jour le représentant » (L. DUMONT-WILDEN, La vie de Benjamin Constant, Gallimard, Paris 1930, p. 163). Pour accepter le propos, il faudrait adhérer à une perspective qui réduirait l’histoire à celle de la lutte des classes.
46 Id., p. 742-744.
47 Id., p. 733. Cf. aussi une appréciation sur les étrangers qui ne sont pas « intéressés [...] à la prospérité nationale, dont ils ne connaissent pas les éléments, et dont ils ne partagent qu’indirectement les avantages » (ibid.).
48 Henri GUILLEMIN, ouvr. cité, not. chap. 2 : « 1796, ou Benjamin s’affirme, vainement, citoyen français » et chap. 4 : « 1798, ou Benjamin, toujours Suisse, veut être député français ».
49 Œuvres, t. IX-2, p. 712 : « Chapitre IV : D’une Assemblée héréditaire et de la nécessité de ne pas limiter le nombre de ses membres ».
50 Œuvres, t. VIII, p. 966.
51 Œuvres complètes, t. XIV, p. 232 à 236.
52 D’autant que, pour Constant, la noblesse impériale y a sa part, donc composée de personnalités qui tirent leur titre de leurs responsabilités dans l’armée, dans l’administration, parfois aussi dans l’économie comme chef d’exploitation agricole ou d’entreprise industrielle. Il se fonde sur l’exemple de la Chambre des lords britanniques pour faire l’éloge d’un système aristocratique ouvert, accueillant aux mérites des nouveaux venus : « Le lendemain de la nomination d’un simple citoyen à la pairie, il jouit des mêmes privilèges légaux que le plus ancien des pairs » (1131). C’est toujours la même idée que défend Constant : il faut faire une place au plus grand nombre, pour que chacun ait intérêt à préserver le régime par les avantages qu’il y trouve.
53 Œuvres, t. IX-2, p. 712.
54 Œuvres, t. IX-2, p. 727.
55 Ce fut l’une des conditions du ralliement des monarchistes modérés à la République en 1875 : « La République sera conservatrice ou ne sera pas ». L’une des garanties principales de ce caractère conservateur -c’est-à-dire respectueux de l’organisation sociale- résidait dans l’existence d’un Sénat capable de tempérer les emportements de la Chambre des députés. Sous une forme moins provocante, l’argument sera repris avec succès en 1946 contre les partisans de l’assemblée unique et, selon certains, en 1958, auprès du général de Gaulle, comme un moyen d’affaiblir le législatif. Mais nul ne songe bien sûr à évoquer Constant dont les arguments ne jouent plus, sur ce point, de rôle qu’au titre de réminiscence, c’est-à-dire de souvenir dont on ne se rappelle plus l’origine.
56 De la doctrine, p. 27. Ailleurs, et de façon peut-être un peu moins convaincante, notamment dans les Mémoires sur les Cent Jours, il souligne les revirements et les atermoiements de ceux qui prétendent le juger.
57 Etienne HOFMANN, Les « Principes de politique » de Benjamin Constant, 2 vol., Droz, Genève 1980. Pour l’éditeur des œuvres de Constant, c’est un singulier exercice que suivre à la trace, d’une publication à l’autre, la récupération de phrases, de paragraphes, parfois de chapitres entiers dont la première mouture figure dans le manuscrit éditée par E. Hofmann. En notre temps où la généralisation de l’informatique a développé la mise en œuvre systématique de la technique du « copier-coller », Constant fait figure, de ce point de vue aussi, d’inspirateur.
58 Cf. toute la seconde partie de L’Esprit de conquête : Œuvres, t. VIII, p. 599 et s.
59 « Le despotisme a quelque chose de bas et de grossier, qui doit déplaire au maître, en rendant sa tâche ennuyeuse et méchanique (sic) » (Œuvres, t. VIII, p. 959).
60 Œuvres, t. VIII, p. 1057 et s.
61 Id., p. 165.
62 Id., p. 142-143.
63 Id., p. 157.
64 Œuvres, t. IX-2, p. 756.
65 Œuvres, t. VIII, p. 1022.
66 Art. 14 de la Charte.
67 Cf. toute la première partie de L’Esprit de conquête : Œuvres, t. VIII, p. 965 et s.
68 Explication de cet article : « La monarchie constitutionnelle a ce grand avantage, qu’elle crée ce pouvoir neutre dans la personne du roi » (Œuvres, t. VIII, p. 962).
69 « Le pouvoir royal (j’entends celui du chef de l’Etat quelque titre qu’il porte), est un pouvoir neutre » (Œuvres, t. IX-2, p. 690).
70 Œuvres, t. VIII, p. 962-963.
71 Œuvres, t. VIII, p. 962.
72 Art. 64 de la Constitution de 1958.
73 Œuvres, t. IX-2, p. 846.
74 Ibidem.
75 Ibidem.
76 Ibidem.
77 Id., p. 812.
78 Œuvres, t. VIII, p. 1004.
79 Œuvres, t. VIII, p. 980.
80 Œuvres, t. VIII, p. 1013.
81 L’Esprit des lois, livre 11, chap. 6 : « Mais les juges de la nation ne sont, comme nous avons dit, que la bouche qui prononce les paroles de la loi ; des êtres inanimés qui n’en peuvent modérer ni la force ni la rigueur ».
82 André CABANIS et Olivier DEVAUX, « La liberté contre la loi chez Benjamin Constant », dans Pensée politique et loi, Aix-en-Provence 2000, p. 249 à 263.
83 Œuvres, t. VIII, p. 981.
84 Œuvres, t. IX, p. 853.
85 Œuvres, t. IX-2, p. 849-850 ; art. 60 de l’acte additionnel.
86 Œuvres, t. VIII, p. 1128.
Notes de fin
* Article rédigé avec Olivier DEVAUX et publié dans Genève et la Suisse dans la pensée politique, Presses universitaires d’Aix-Marseille, Aix-en-Provence 2007, p. 461 à 479
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