L’impact de la réforme de la police en 1699 sur la « Cour commune de Grenoble » : alliance et désunion du juge royal et du juge épiscopal face aux édiles grenoblois (1244-1789)
p. 513-525
Texte intégral
1La création d’une police par les édits d’octobre et novembre 1699 a eu un double objectif : d’un côté la police doit gérer, administrer la cité et ses habitants, de l’autre il lui est assigné une mission judiciaire toute particulière par le monarque. Le volet judiciaire de l’institution de la police de 1699 illustre parfaitement la modernité de la réforme : elle est conçue comme un moyen privilégié de traiter de manière égale l’ensemble des individus, quels que soient leur rang, leur condition, en cas d’infraction aux dispositions réglementaires prises pour maintenir l’ordre public. Ceci est réellement novateur. Le souverain affiche la volonté dans sa société d’ordres d’appliquer les mêmes sanctions par un magistrat unique. Les habitants de la ville sont soumis à la police grenobloise par leur seule présence dans la circonscription territoriale définie préalablement par le pouvoir municipal1. Seule compte la compétence ratione loci, la compétence ratione personae étant générale. En effet, le souverain a pour dessein de rationaliser la gestion des cités en faisant primer l’intérêt public sur tout autre intérêt privé, particulier.
2Aussi, pour que la réforme de la police soit significative dans le royaume, les édits de 1699 prévoient-ils qu’elle doit être appliquée dans toutes les cités d’importance, où se trouve un juge royal jugeant des infractions aux dispositions de police. Le seul tempérament étant toutefois le respect de l’existence des droits antérieurs de justice, détenus par toutes juridictions seigneuriales.
3Dans ce contexte, la situation de Grenoble répond parfaitement aux exigences de la réforme royale. La ville possède un juge royal œuvrant pour le respect de la police de la cité. Mais celui-ci exerce ses fonctions au sein d’une « Cour commune ». Grenoble connaît en effet depuis le XIIIe siècle l’existence de la Cour commune, juridiction co-seigneuriale, tenue en pariage par un juge royal et un juge épiscopal, ladite juridiction ayant notamment pour compétence de traiter des affaires de police. La présence d’une Cour commune n’a rien d’anecdotique et s’explique parfaitement si l’on considère l’histoire de la cité.
4Si l’on remonte aux origines de Grenoble, l’établissement d’un évêché est attesté dès le IVe siècle : Cularo est renommée Gratianopolis en 381 en l’honneur de l’empereur romain d’occident Gratien qui dote la bourgade d’un évêché2. Grenoble prend son nom uniquement au XIVe siècle. Ainsi, on se rend compte de la forte influence du monde épiscopal sur la Cité. D’ailleurs, l’ensemble des évêques qui se succèdent à la tête de l’évêché procèdent continuellement à des transformations au profit de la ville. Ils ont en outre le titre d’« Evêques et Princes de Grenoble » : ces deux titres octroyés aux évêques permettent aussi de saisir les alliances très nettes entre les seigneurs de la ville et les évêques. Pour illustrer ces liens entre les coseigneurs, on retrouve par exemple qu’Humbert d’Albon3, issu de la famille régnant sur la cité, sera choisi comme évêque de la ville4. Des jonctions familiales très fortes encouragent l’exercice de pouvoirs co-seigneuriaux concomitants, à l’exemple de ce droit donné par l’empereur Frédéric Ier du Saint Empire romain germanique à l’évêque de Grenoble Jean de Sassenage, en 1178, de battre monnaie, tandis que le dauphin Guigue V d’Albon en avait obtenu l’autorisation depuis 1155. Avec le transport du Dauphiné en 1349 au royaume de France, les évêques tiendront la Cité, en signalant au souverain les indélicatesses et les exactions de ses représentants présents à Grenoble (gouverneurs, lieutenants généraux)5.
5La Cour commune a ainsi pu être consolidée et pérennisée du XIIIe à la fin du XVIIe siècle. Obtenue en 1244 par les Grenoblois auprès des coseigneurs, l’évêque et le Comte d’Albon, ces derniers conjuguent leurs pouvoirs pour garder toute leur autorité sur cette juridiction, et ce même après le transport du Dauphiné. Cette alliance coseigneuriale est appréciée et soutenue par la monarchie. Toutefois au tournant du XVIIIe siècle, notamment par l’augmentation de la population dans les cités, la monarchie décide de renforcer ses liens avec ses sujets, tandis que les Lumières commencent à diffuser leurs idées.
6Progressivement, la monarchie décide de faire évoluer ses préférences : si dans un premier temps, elle a soutenu les autorités tutélaires de la capitale des Alpes (épiscopat et représentant royal) se plaçant du côté des pouvoirs et des rapports hiérarchiques, pensant que c’est par eux qu’elle tiendra les villes du royaume, au XVIIIe siècle les rapports de force changent et mieux vaut-il sans doute s’allier aux édiles locaux et leurs administrés, c’est-à-dire se placer du côté de la « base », afin de renforcer le lien direct avec les sujets. La Cour commune sera au cœur de ces changements politiques : elle est d’abord protégée par la monarchie jusqu’à la fin du XVIIe siècle (I), pour ensuite être démembrée par celle-ci au XVIIIe siècle (II).
I - La Cour commune de Grenoble, juridiction coseigneuriale protégée par la Monarchie (1244-1699)
7La Cour commune a été protégée par le souverain contre les velléités bien justifiées des édiles grenoblois de s’occuper des affaires de police. On le voit notamment par les décisions rendues par la royauté concernant l’application de son édit de février 1566 sur la réforme de la justice (A). L’issue du procès en 1634, à la suite des conflits qui se sont égrenés entre les consuls grenoblois et les coseigneurs durant les années 1620-1630, a été favorable à ces derniers, grâce à un arrêt rendu par le conseil privé du roi. La position monarchique renforce l’organisation matérielle et le fonctionnement de la Cour jusqu’à la réforme de 1699 (B).
A - Le fonctionnement de la Cour commune pérennisé malgré l’édit de février 1566
8Grenoble est une ville de pariage co-seigneurial depuis le XIe siècle6. Par la charte de 12427, les coseigneurs, l’évêque et le comte d’Albon, ont reconnu un ensemble de libertés d’autogestion aux habitants de la cité. Une association jurée est dès lors constituée, qui se voit confier « la police de la ville et la sécurité des rues ». Mais dès 1244, les coseigneurs s’appliquent à se réapproprier diverses attributions confiées à l’association jurée grenobloise. L’existence d’une Cour commune est alors évoquée pour recevoir des compétences judiciaires8. Cette création représente certes une avancée dans le règlement des litiges et une garantie pour les Grenoblois, mais il s’agit surtout pour les coseigneurs de gouverner la cité. Ils diminuent les prérogatives et libertés de la communauté grenobloise9, puisque la Cour commune, juridiction inférieure de droit commun10, est non seulement chargée d’assurer l’apaisement des conflits entre les habitants au quotidien11, de garantir l’application des libertés conférées aux habitants, mais a aussi l’initiative en matière d’ordonnances de police. C’est la fin de l’association jurée, les Grenoblois sont tenus de recourir à la Cour commune. L’exercice des compétences attribuées à la Cour commune est assuré par le représentant de l’évêque et celui du dauphin, qui se succèdent alternativement, et ce annuellement, aux fonctions de « juge ordinaire ». Avec le « transport » du Dauphiné en 1349 au royaume de France, un juge « royal » se substitue évidemment à celui du dauphin.
9Cette compétence alternative à la Cour commune perdure effectivement, même si l’édit de Moulins de février 1566 aménage de nouvelles attributions de police au profit des magistrats municipaux. Par cet édit relatif à « la réforme de la justice », les magistrats municipaux se voient, en principe, reconnaître des pouvoirs de police. L’article 72 énonce : « En chacun quartier ou paroisse, il serait élu un ou deux bourgeois qui auraient la charge et intendance de la Police ; qu’ils auraient le pouvoir de condamner et de faire exécuter, jusqu’à soixante sols nonobstant l’appel ; que néanmoins les plaintes de leurs ordonnances seraient reçues et qu’il y serait fait droit par les juges ordinaires en l’assemblée de police, qui serait tenue pardevant eux avec les mêmes bourgeois une fois la semaine ; qu’en cette assemblée, ces bourgeois, intendants de police, feraient rapport de ce qu’ils auraient fait et de ce qu’ils estimeraient nécessaire à l’avenir pour le bien de la Police »12.
10Une homologation de l’édit de février 1566 par le Parlement de Grenoble intervient par un arrêt du 16 janvier 156713, qui enregistre les « articles pour le fait de la police de Grenoble, suivant le pouvoir donné aux commis élus pour la police par Sa Majesté ». En se reportant au règlement municipal de 157114, relatif à l’élection des consuls grenoblois et à l’organisation du conseil général des Quarante, l’article 11 admet explicitement que « les quatre consuls ont leur principale charge de gouverner la police de la ville sur laquelle ils ont juridiction, contenue aux ordonnances royaux donnés à Moulins en février 1566, article 72, et pour aide leurs sont baillés et élus deux notables, l’un qui habite deçà, l’autre delà le pont de ladite ville ».
11Mais les dispositions de l’article 72 de l’édit de Moulins de février 1566 font rapidement l’objet de contestations entre les autorités consulaires et coseigneuriales. La nature des compétences attribuées aux consuls grenoblois est en effet discutée, puisqu’ils continuent concrètement à être considérés comme de « simples commis de la police et de simples dénonciateurs »15, selon l’évêché. Grâce à l’opposition des juges de la Cour commune, la monarchie confirme le fonctionnement de celle-ci lors du procès de 1634.
B - Le fonctionnement de la Cour commune confirmé par le procès de 1634
12Dès les années 1620-1630, se développent de vifs conflits juridictionnels entre les consuls et le juge ordinaire de la Cour commune de Grenoble16. A cette occasion, on tente de préciser les compétences respectives des uns et des autres, les protagonistes expliquant leurs prétentions auprès du parlement de Grenoble17 pour obtenir la juridiction sur la police de la ville.
13Pour s’en tenir aux revendications du juge ordinaire de la Cour commune, investi de « l’honneur d’être officier de Sa Majesté, seule source de toute justice »18, ce dernier excipe du bon ordre qui doit être maintenu au sein de la cité grenobloise : « la meilleure police que se puisse garder en une ville, c’est quand l’ordre qui est établi et offices et charges publiques, est gardé et observé sans qu’il soit loisible à aucun de s’élever par-dessus le rang de sa condition, ni entreprendre sur les charges d’autrui »19. Il est nécessaire de rappeler, à travers cette citation, que les préséances politiques et sociales sont jalousement observées et qu’on ne saurait tolérer une quelconque dérive de celles-ci, sous peine de « déchaîner » les rancœurs et susceptibilités.
14Surtout, au-delà de ces considérations, le juge royal argue du postulat selon lequel « la police fait partie de la justice ». Comme il a l’autorité et l’administration de la justice, il doit aussi « avoir l’administration de la police »20. Il explique ses prétentions : « le demandeur qui est magistrat et le premier juge ordinaire de ladite ville de Grenoble est en droit et possession de tout temps et ancienneté de cognoitre du faict de la police d’icelle ville ; au préjudice de quoi les consuls qui ne sont que de simples officiers municipaux qui n’ont aucune cour ni juridiction s’y sont voulu ingérer depuis peu de prendre cognoissance de la police »21.
15Il justifie alors de sa connaissance exclusive de la police et développe une argumentation minutieuse : « Soit qu’on observe le droit commun, soit que l’on regarde les ordonnances royaux, soit les arrêts et règlements de la Cour, soit qu’on s’arrête sur toutes possessions immémoriales, l’on trouvera qu’au juge de Grenoble privativement aux consuls de ladite ville appartient la connaissance des contraventions aux règlements de la police ; la possession qu’il a ne peut être mise en controverse puisqu’il justifie par acte que non seulement à la requête des procureurs fiscaux, mais aussi à la requête des consuls, il a jugé des contraventions et puni les infractions des règlements de la police »22.
16Le juge royal peut alors tempérer la portée de l’article 72 de l’édit de Moulins, car il ajoute : « si l’on prend bien garde à l’article 72, l’on verra que [les officiers municipaux] ne sont établis qu’aux villes pour soulager [le sieur Juge] ; que par le même édit au même article, il est porté que l’établissement des juges politics est sans préjudice de la concurrence des juges ordinaires »23. Les consuls de Grenoble sont relégués au rang de « commis », sans aucune juridiction. Cette dernière n’appartient qu’au « magistrat et premier juge ordinaire de la ville »24 dans l’intérêt commun de la ville.
17Après la production de nombreuses pièces et titres des droits lui appartenant25, le juge de la Cour commune obtient confirmation de sa compétence en matière juridictionnelle, à l’encontre des consuls, par un arrêt du conseil privé du roi du 8 août 1634. Ce dernier confirme la Cour commune de Grenoble dans son droit et privilège de juridiction en matière de police26. L’arrêt du 8 août 1634 ne saurait viser exclusivement le maintien de compétences du seul juge « royal ».
18En effet, les compétences dont jouit le juge ordinaire sont alternativement exercées par le représentant du roi et celui de l’évêque de Grenoble. Lorsqu’intervient la décision royale, en 1634, l’exercice de la police appartient au juge « épiscopal ». C’est la raison pour laquelle l’arrêt est rédigé comme suit : « notre ami et féal conseiller en nos conseils Evêque et Prince de Grenoble Messire Pierre Scaron nous a fait remontrer que par transaction et concordat fait entre Humbert dauphin et son prédécesseur Evêque dudit Grenoble le 3 juin 1343, il est concédé audit Evêque de Grenoble plusieurs droits et privilèges et convenu accordé que la juridiction et justice de ladite ville de Grenoble demeurera commune et indivisible entre lesdits Dauphins et Evêque de Grenoble, ensemble tous les droits et émoluments qui en dépendent »27.
19Les représentants coseigneuriaux ont allié leurs efforts. Leur intérêt commun étant d’être « maintenu en la possession de connaître de toutes contraventions qui se feront aux règlements de police et contrats stipulés avec la ville par les bouchers, chandeliers, poissonniers ou autres marchands et membres des arts et métiers de la ville, avec inhibition et défense aux consuls d’en prendre aucune connaissance, ni d’exercer aucun acte de juridiction à peine de faux »28. Ce qui permettra à la Cour commune de connaître du fonctionnement préservé des atteintes consulaires jusqu’en 1699. Pour en attester, on retrouve dans les archives des « règlements généraux de police », qui sont pris annuellement, qui émanent de l’autorité des deux seigneurs de la cité grenobloise et sont signés par le juge ordinaire de la Cour commune en exercice29 : les règlements de police sont pris « De par de nos deux seigneurs » (ce qui est placé en en-tête des règlements). Le règlement judiciaire des litiges occasionnés par les activités administratives dont bénéficie la Cour commune sont nombreux.
20La Cour commune est parvenue à se maintenir grâce au soutien de la monarchie et de ses arrêts en faveur des coseigneurs. Pourtant c’est par une enquête royale30 menée par l’intendant du Dauphiné à la veille de la grande réforme de la police de 1699 qu’est mise en valeur la présence et l’existence d’un juge royal, officiant alternativement avec un juge épiscopal au sein de la Cour commune. Ce constat institutionnel peut alors soumettre Grenoble à l’application de la réforme portant création de la police et entraîner le démembrement de la cour coseigneuriale.
II - La Cour commune de Grenoble, juridiction coseigneuriale démembrée par la Monarchie (1699-1789)
21La réforme de la police en 1699 invite la cité à réfléchir si elle souhaite ou non l’application de celle-ci. En effet, la présence d’un juge royal peut être cause de démembrement de la Cour commune. Mais les choses sont plus complexes qu’elles n’y paraissent. Si le démembrement de la juridiction coseigneuriale a lieu, il est le fait de la décision personnelle du cardinal Le Camus, évêque de Grenoble. Il décide de céder purement et simplement la portion de ses droits sur la police de la cité, en contrepartie d’une rente annuelle (A). La monarchie s’emploie durant tout le XVIIIe siècle à requalifier la nature de la rente afin de l’amoindrir progressivement (B).
A - Une cession épiscopale volontaire des droits de police contre une rente royale
22La désunion du juge épiscopal à la juridiction de police est décidée par le cardinal Le Camus. Elle est réalisée en conséquence d’un arrêt du conseil d’état du roi du 26 janvier 1700 qui reconnaît la fin de l’implication épiscopale dans les affaires de police. A ce moment, les édiles grenoblois proposent d’unir le corps de ville à celui de la police, le souverain soutenant leur dessein.
23L’arrêt de cession épiscopale des droits de police du 26 janvier 1700 a été le résultat de l’aboutissement d’une enquête menée sur la police de Grenoble par l’intendant, par laquelle ont été établies les modalités d’exercice de la police. Des questions ont été posées aux différents acteurs locaux. La première question est la suivante : « Par qui la police est exercée ? ». Il est répondu « qu’elle est exercée par les consuls sous l’autorité du juge de la ville, qui est commun entre le Roi et Monseigneur l’Evêque »31. A la seconde question : « Si le premier Juge la fait seul ou s’il la partage avec le maire et échevins et autres officiers de la ville ? », il est reconnu que « le juge commun connaît seul en première instance de tout ce qui se traite en juridiction au fait de la police »32. Cet élément est important car seules les villes « où une justice royale est établie »33 sont concernées par la création d’un lieutenant général de police et de ses auxiliaires. Si un juge royal exerce la police à Grenoble, la ville est invitée à établir le nouvel officier imposé par la réforme. Dans le cas contraire, un exercice seigneurial de la police peut être maintenu. Grenoble est donc susceptible d’appliquer la réforme.
24Dans un Mémoire contenant les éclaircissements à désirer sur les offices de Police des villes du Royaume34, les édiles locaux paraissent de prime abord assez réticents à l’installation d’un magistrat supérieur de police, ce qui ne ferait qu’amoindrir leurs compétences déjà très limitées en la matière. Les consuls affirment que « Sa Majesté n’a jamais pourvu aucun officier de police en cette ville »35, croyant ainsi échapper à la réforme. Cependant, les compétences exercées par le juge royal de la Cour commune sont prises en considération par le monarque pour envisager l’application des édits d’octobre et de novembre 1699.
25Inquiets du devenir de ce projet royal, les consuls grenoblois décident l’union des corps de ville et de police, qui est obtenue par l’arrêt du conseil d’Etat du roi du 11 mai 1700. Et cette union est favorisée par la cession des droits de police par le cardinal Le Camus, « une des grandes figures de l’épiscopat français sous Louis XIV »36, évêque et coprince de Grenoble.
26La cession épiscopale volontaire de la police laisse enfin les magistrats municipaux libres d’obtenir des compétences effectives en la matière et se fait en contrepartie d’une rente annuelle au profit de l’épiscopat.
B - Une rente annuelle progressivement discutée par la monarchie
27L’arrêt royal de janvier 1700 accorde à l’épiscopat grenoblois 500 livres annuelles, en contrepartie de la cession consentie des droits de police. Rente certes confortable, mais dont la nature sera progressivement discutée par l’autorité monarchique afin d’en obtenir la réduction.
28Le pariage coseigneurial de la police s’achève par l’arrêt du conseil d’Etat du roi du 26 janvier 1700. Il y est disposé que « le Roi en son Conseil ayant égard aux offres du sieur Cardinal le Camus et de son consentement a ordonné et ordonne que toute la juridiction pour fait de Police à lui appartenant en la ville de Grenoble, en qualité d’Evêque et Prince de Grenoble, demeurera réunie à perpétuité à l’office de lieutenant général de police et autres créés pour l’exercice de la police en ladite ville par édits des mois d’octobre et novembre 1699 ; pour par ceux qui seront pourvus desdits offices en conséquence desdits édits et avoir l’entière administration de la police en ladite ville tant en l’année dans l’exercice de la justice où elle appartient à Sa Majesté que dans celle où elle appartient au dit Evêque, sans que ses officiers y puissent à l’avenir apporter aucuns troubles ni empêchements »37.
29La cession épiscopale des droits de police sur la ville est notamment motivée par l’incompatibilité de certaines fonctions attribuées aux nouveaux offices créés avec celles que peut exercer le juge épiscopal38 : « Ce serait la matière d’un règlement par juge qui serait difficile et causerait beaucoup de contestation »39. Cependant, si l’on envisage l’exemple de l’évêché de Valence qui connaît la même « incompatibilité » de fonctions, le problème est résolu différemment. L’évêque de Valence décide pour sa part de réunir les nouvelles fonctions simplement en les rachetant pour que ses officiers soient habilités à les remplir : « Néanmoins ayant égard aux offres faites par [l’évêque de Valence], nous avons uni et incorporé à la justice dudit évêché les nouveaux droits et fonctions attribués tant à l’office de lieutenant général de police qu’aux autres, lesquels droits et fonctions les officiers dudit sieur évêque n’étaient pas en droit d’exercer, savoir la connaissance des manufactures en ce qui avait été attribué aux maire et échevins de ladite ville tant par les règlements particuliers de l’année 1667 que par les statuts et règlements généraux des manufactures de l’année 1669, de l’exécution de la déclaration d’août 1699 concernant le trafic des bleds et autres grains, et réception du serment de ceux qui voudront faire trafic desdits bleds et autres grains à l’exclusion de tous juges royaux, ports d’armes, et assemblées illicites, le droit et fonction de parapher tous les bulletins qui seront délivrés par les maire et échevins pour logement des gens de guerre […] à charge pour l’évêque de Valence de payer 6 000 livres »40.
30A Grenoble, en contrepartie de la cession de ses droits, le cardinal demande une rente au profit de l’évêché de la ville. Il propose une alternative financière : soit lui accorder un « dédommagement convenable pour l’église de Grenoble dont il est obligé de maintenir les droits, lequel dédommagement ne pourrait être moins de 10 à 12 000 livres »41, soit « charger le domaine de Dauphiné d’une rente de 5 à 600 livres pour son indemnité »42. La seconde proposition est retenue. L’évêque de Grenoble bénéficie43 d’une rente annuelle et foncière de 500 livres44.
31Son versement est réalisé régulièrement jusque dans les années 1765-176745. Puis surviennent des difficultés fondées sur la nature de la rente allouée. En effet, des discussions s’engagent autour de celle-ci pour appréhender la portée de nouvelles dispositions royales relatives aux rentes. L’évêché de Grenoble est dans l’obligation de qualifier précisément la nature de la rente accordée en 1700 afin de parer aux risques de sa liquidation. L’évêché tente de démontrer que celle-ci ne lui a été attribuée qu’au titre d’un dédommagement et nie l’idée selon laquelle cette rente aurait été octroyée à titre personnel46. C’est la raison pour laquelle l’évêché expose que la rente, selon les termes de l’arrêt du 26 janvier 170047, « tient lieu d’un fonds faisant partie du temporel de l’évêché »48. La rente ne constitue qu’un dédommagement accordé à l’évêché pour l’extinction des droits de police. En effet, l’autorité épiscopale souhaite démontrer que la rente n’a pas été octroyée pour indemniser un préjudice qu’aurait subi personnellement l’évêque en 1700. Elle ne peut donc pas être de nature personnelle. En revanche, l’évêché souligne avec force que la rente est attachée à un fonds et est, par là même, de nature réelle : elle représente « le prix d’une aliénation faite d’une portion de biens de l’Evêché »49. L’édit de décembre 1764 et la déclaration du 21 juin 1765 ne sauraient pour cette raison être appliqués, puisqu’ils visent expressément les rentes personnelles. Dès lors, en établissant le caractère réel de la rente, « les parties ne sont point dans le cas de la liquidation »50. L’évêché se soustrait par ailleurs à l’imposition du dixième d’amortissement. Une lettre de l’évêque de Grenoble du 4 novembre 1767 argumente : « on s’est imaginé que c’étoit un revenu personnel à Monseigneur l’Evêque, qu’on la juge susceptible du dixième d’amortissement et qu’on l’a employée dans le rôle de cette imposition, mais son droit reconnu lève toute difficulté et j’adresse au receveur général les ordres nécessaires pour qu’il remette ladite somme de [500 livres] sans diminution »51.
32Echappant jusqu’ici aux dispositions royales, l’évêque de Grenoble ne pourra cependant pas préserver cette rente de la décision de 1771. En effet, le pouvoir royal décide par un arrêt du conseil d’Etat du roi du 7 avril 1771 de soumettre les rentes à des retenues graduelles. Evidemment, l’évêché de Grenoble s’oppose à cette imposition. Pourtant, le contrôleur général Terray écrit le 31 août 1771 : « J’aurai bien désiré que cet objet [la rente de 500 livres] fut dans le cas de l’exception, mais comme vous en jouissez à titre purement gratuit, il ne m’est pas possible de les exempter des retenues graduelles ordonnées par cet arrêt »52. L’évêché de Grenoble, après avoir rappelé l’origine de la rente53, conteste sa qualification de « revenu accordé à titre gratuit »54. La démonstration s’achève ainsi : « cette rente est le prix du fonds cédé et aliéné, il implique que le prix d’une chose cédée et aliénée ne puisse être réputé avoir été donné à titre gratuit. Il est donc évident que cette partie de rente comprise dans les Etats du Roy, de la province de Dauphiné, doit être exemptée des retenues graduelles, ordonnées par arrêt du Conseil du 7 avril 1771 »55.
33Malgré l’effort épiscopal de clarification, il n’en demeure pas moins que la rente sera désormais amputée de ces nouvelles retenues graduelles. Malheureusement, les archives ne contiennent pas l’argument donné par les gens du roi pour imposer l’application de cette décision de 1771. Les nécessités financières du Trésor royal ont sans doute commandé celle-ci.
34La cession épiscopale des droits de police sur la cité grenobloise a donc été décidée par le cardinal Le Camus et réalisée dès janvier 1700. Mais elle n’empêche cependant pas un certain ascendant de l’autorité de l’évêque sur ces droits. Il faut rappeler que l’hôpital général de Grenoble aide à plusieurs reprises les édiles locaux à conserver des offices de police, comme celui de procureur du roi, de greffier ou encore d’huissier. Outre cette prédominance financière, l’hôpital général bénéficie de ressources importantes dues à l’institutionnalisation du corps de police. S’effectue ainsi une récupération partielle et indirecte de pouvoirs de police par l’évêque de Grenoble, qui détient l’administration suprême sur l’établissement hospitalier, et ce depuis la création de l’hôpital le 9 août 1424 par Edmond de Chissé, confirmée par un arrêt du conseil d’Etat du roi de mai 1699. Sa place de premier des « directeurs-nés » l’autorise à maintenir une surveillance sur l’institution de police créée en 1699 et à en retirer finalement davantage de revenus.
35Il faut encore souligner que la création de la police en 1699, aidée en cela par la cession épiscopale des droits de juridiction que l’évêque possédait sur la Cour commune, a fait évoluer les attributions de cette dernière. Vital Chomel a pu écrire : « Dans l’histoire de la Cour commune de Grenoble, l’édit d’octobre 1699 portant création d’un conseiller lieutenant général de police dans les villes du royaume qui se trouvaient siège d’un parlement ouvre une période nouvelle. En effet, dès le 26 janvier 1700, un arrêt du conseil d’Etat du roi prescrivait, après accord avec le cardinal Le Camus, que toute la juridiction en matière de police, qui lui appartenait en qualité d’évêque et prince de Grenoble, serait à l’avenir réunie à perpétuité à l’office de lieutenant général de police nouvellement créé. En revanche, hors des affaires de simple police, meurtres, rixes avec effusion de sang et vols au-delà de la simple grivèlerie restèrent à la Cour commune. En fait, émancipation, tutelles, curatelles et procédures liées aux successions constituèrent la majeure partie des activités de la juridiction »56.
36Enfin cette décision épiscopale grenobloise est tout à fait spécifique, voire isolée : les autres juridictions seigneuriales, épiscopales et archiépiscopales du Dauphiné préservent leurs droits de police en rachetant les offices de police créés par la Royauté. Si à Grenoble, les offices de police sont allés vers le corps de ville, à cause de la présence d’un juge royal siégeant à la Cour commune, à l’inverse, dans les autres villes de Dauphiné, la présence d’un juge royal n’a pas fait obstacle à la volonté des autorités épiscopales et archiépiscopales de réunir tous les droits de police entre leurs mains. Les villes où la police est effectivement entre les mains de juges royaux doivent réfléchir à leur volonté ou non d’installer les nouveaux offices de police. Et « certaines justices seigneuriales s’étant maintenues, il est logique, en raison du lien entre justice et police, que le magistrat seigneurial soit resté en même temps magistrat de police »57. En effet, le souverain agit dans le respect des justices seigneuriales existantes. Et, parce que le Dauphiné est une « province faiblement urbanisée »58, seules dix villes sont généralement reconnues par l’administration royale59 : « Il est connu de tout le monde qu’il n’y a que dix villes en Dauphiné, sçavoir Grenoble, Vienne, Romans, Valence, Montélimar, Gap, Dye, Crest, Embrun et Briançon. Le surplus des lieux habités de la province ne sont que des bourgs et des villages »60. Les archevêchés de Vienne et d’Embrun rachèteront respectivement en 1755 et 1768 les offices de police, là où la réforme était applicable par la présence de juges royaux. L’évêché de Valence ne réunit les offices de police à lui qu’en 1730, malgré le rachat opéré depuis le 24 aout 1700, le Parlement de Grenoble ayant tardé à entériner la décision épiscopale. Enfin, Die et Gap n’ont pas eu à appliquer la réforme du fait de l’absence de juge royal exerçant des droits de police dans leurs murs.
Notes de bas de page
1 Archives municipales de Grenoble (AMG), FF 47, Registre de police, f° 561-562, ordonnance du 6 oct. 1758.
2 Pour tous Les éléments historiques sur Grenoble, on peut se reporter à l’ouvrage d’A. PRUDHOMME, Histoire de Grenoble, Grenoble, Gratier, 1888.
3 La ville a d’abord été sous la dépendance des Burgondes, pour devenir au XIe siècle capitale du comté de la famille d’Albon, Etat indépendant dans le Saint Empire romain germanique.
4 Autre exemple : le chevalier Bayard, célèbre lieutenant général du Dauphiné au XVIe siècle, n’est autre que le neveu de l’évêque de Grenoble, Laurent Alleman.
5 Le souverain ne souhaite que rarement y faire résider le « Dauphin ». Seul Louis II, le futur Louis XI y aura « régné » de 1447 à 1456.
6 A. PRUDHOMME, op. cit., p. 68-74. La confirmation légale de l’existence d’une coseigneurie est intervenue entre Saint-Hugues et Guigues en 1023.
7 Considérée comme la première constitution municipale de la ville, cf. A. PRUDHOMME, op. cit., p. 113-114.
8 Bibliothèque municipale de Grenoble, T 1531 bis, J.J.A.D. PILOT, Histoire municipale de Grenoble, p. 21-26 : on retrouve la charte de 1244 citée in extenso.
9 Voir en ce sens, P. VAILLANT, Les Libertés des communautés dauphinoises : des origines à 1355, Sirey, 1951, p. 548-551 : « … S’effectue une réappropriation co-seigneuriale en 1244 des attributions judiciaires, dont l’association jurée des citoyens, créée en 1242 avait la connaissance… Les franchises de 1242 nous paraissent d’autant moins spontanées de la part de l’Evêque et du Dauphin qu’ils les corrigent en 1244. Désormais, ils ne font plus aucune allusion à l’association jurée et imposent à tout citoyen l’obligation de recourir à leur Cour commune. Au point de vue judiciaire, cette Cour se substitue entièrement à l’association… ».
10 Dont le rôle fut défini à mesure des chartes successives, cf. Archives départementales de l’Isère (ADI), V. CHOMEL, Introduction de l’inventaire de la sous-série 13 B ; V. CHOMEL cite les chartes du 24 mai 1294, du 11 avril 1310, du 1er décembre 1316 et du 18 mai 1321 ou encore celle du 3 juin 1343.
11 Pour le détail des attributions de la Cour commune, en matière d’organisation des rapports entre les coseigneurs, cf. la convention de pariage intervenue en septembre 1293, entre le dauphin Humbert Ier et l’évêque Guillaume.
12 ISAMBERT, JOURDAN, DECRUSY, Recueil général des anciennes Lois françaises depuis l’an 420 jusqu’à la Révolution de 1789, Paris, 1821-1833, n° 110, Edit de février 1566 sur la réforme de la Justice.
13 Archives municipales de Grenoble, FF 6, homologation parlementaire au profit de la police de Grenoble.
14 AMG, BB 147, parchemin, Règlement municipal de 1571 : « Election de MM. Les Consuls, leurs conseillers tant du particulier que Conseil appelé de Quarante, et faite par le général conseil de la ville, en la forme prescrite par le règlement sur le fait par la Souveraine Cour de Parlement en l’an 1557, qui est inséré au second livre de la ville ».
15 ADI IV G 45, Evêché de Grenoble, Judicature à l’égard de la Police, pièce relative à un Inventaire pour advertissement des Juge royal et Lieutenant contre les consuls de Grenoble, 1620-1630, p. 8.
16 Pour le contexte politique, voir A. PRUDHOMME, Histoire de Grenoble, ibid., p. 459- 460 : « A la suite des plaintes nombreuses provoquées par la déplorable gestion des affaires communales, on avait fait emprisonner deux anciens consuls accusés de concussion… Ces plaintes se produisaient depuis 1623. Un parti de mécontents s’était formé, qui avait intenté un procès aux consuls. Le juge de Grenoble Bon de la Baulme, alors en querelle avec la maison de ville, au sujet de la juridiction en matière de police, avait soutenu les opposants, qui avaient saisi le Parlement de leurs doléances. A vrai dire les affaires de la ville étaient alors assez mal administrées, si l’on en juge par la lettre suivante qu’écrivait le 12 août 1625, aux consuls M. du Poux, leur avocat au Grand-Conseil : « Messieurs, je ne sais en quel mépris vous êtes tous entrés des affaires de vostre ville depuis sept ou huit ans, qu’il est impossible de tirer de vos mains un papier pour votre défense ». Les conséquences d’une telle incurie était que la ville perdait tous ses procès et que le peuple refusait de reconnaître l’autorité des consuls ».
17 ADI, IV G 45, ms., requête du procureur général dans le conflit de compétences de police entre le juge royal et épiscopal de Grenoble et les consuls : « Il est à craindre que si la Cour n’y donne ordre promptement les affaires n’aillent de mal en pis ».
18 Le conflit s’élève lorsque la compétence de police revient au représentant royal de la juridiction coseigneuriale commune.
19 ADI, IV G 45, « Inventaire servant d’advertissement pour le juge royal de Grenoble Bon de la Baume contre les Consuls ».
20 ADI, IV G 45, ibid., p. 12.
21 Ibid.
22 ADI, IV G 45, ibid.
23 ADI, IV G 45, plaidoyer du juge royal de la Cour commune contre les sieurs consuls de Grenoble, ms., 1630.
24 ADI, IV G 45, « Inventaire servant d’advertissement pour le juge royal de Grenoble Bon de la Baume contre les Consuls ».
25 ADI, IV G 45, Inventaire des pièces produites pour prouver par des titres les droits du juge royal et épiscopal à l’exercice de la police parmi lesquelles nous avons trouvé un règlement sur la police, fait par les commissaires députés par le parlement de Dauphiné le 19 décembre 1584 à la requête des sieurs consuls : « … par lequel article 110, il est porté qu’il est spécialement enjoint aux consuls et conseillers de ville de dénoncer les contrevenants et aux juges à les punir ; en quoi se voit la charge que les consuls sont tenus faire en ladite police qui est de dénoncer seulement au lieu que le juge royal et épiscopal de la Cour commune a droit et pouvoir de punir », règlement confirmé par un acte de même nature du 6 mars 1600, en son article 114, ADI, IV G 45.
26 ADI, IV G 44, Evêché de Grenoble, Autres titres concernant la judicature de Grenoble, ms., arrêt du conseil privé du roi du 8 août 1634, réglant le conflit entre le juge de Grenoble et les consuls.
27 ADI, IV G 44, Evêché de Grenoble, Autres titres concernant la judicature de Grenoble, ms., arrêt du conseil privé du roi du 8 août 1634, réglant le conflit entre le juge de Grenoble et les consuls.
28 ADI, IV G 45, plaidoyer du juge royal et épiscopal de la Cour commune de Grenoble contre les consuls, 1630.
29 Cf. pour des exemples significatifs, AMG, 6 Fi 5, affiche, « Règlement de police pour l’année 1698 », portant en en-tête « DE PAR NOS DEUX SEIGNEURS » et qui est signé « Joubert, Juge », ou encore BMG, O 17 180, « Règlement de Police pour l’année 1699 » signé cette fois par « Musy, Juge ». Le changement de juge révèle l’alternance des compétences co-seigneuriales encore en vigueur à la veille de la réforme de 1699 concernant la création de l’institution de police.
30 ADI, II C 23, Intendance du Dauphiné, pièce 39.
31 ADI, II C 23, ibid.
32 ADI, II C 23, ibid.
33 Cf. les édits d’octobre et novembre 1699 relatifs à la création du lieutenant général de police et de ses auxiliaires.
34 ADI, II C 23, ibid., pièce 58.
35 ADI, II C 23, ibid., pièce 58.
36 Ed. ESMONIN, « La Fortune du Cardinal Le Camus », Le Dauphiné : recueil de textes historiques choisis et commentés, Grenoble, Arthaud, 1938, p. 99-108. L’auteur nous renseigne sur sa façon d’administrer son évêché, p. 100 : « Enfin et surtout, sa conduite générale, comme évêque, a été la condamnation muette des pratiques des autres évêques du royaume : tandis que ceux-ci résidaient la plupart du temps à la cour, où ils menaient une vie mondaine, fastueuse et fort peu édifiante, ne venant dans leurs évêchés que pour y toucher leurs revenus et se faire élire à l’assemblée du clergé, il affecta de résider en son évêché, d’y mener une vie simple et même austère, et de visiter régulièrement toutes ses paroisses : ses procès-verbaux de visite, qui nous sont parvenus pour la plupart, sont un témoignage extrêmement précieux sur l’état religieux de notre région à la fin du XVIIe siècle. Le contraste entre cette vie et celle de la plupart des autres évêques, ses contemporains, a été relevé par ses biographes, quelques fois avec exagération, et n’a pas manqué de frapper les esprits qui s’alarmaient alors du discrédit dans lequel commençait à tomber le haut clergé de France ». Malgré cette attitude de proximité dans un évêché tel que celui de Grenoble (c’est-à-dire un évêché peu « rentable »), le jour du décès du cardinal Le Camus, le 12 septembre 1707, un inventaire de ses biens est entrepris, par lequel on pût établir la fortune de ce dernier : « Quoiqu’il n’eût presque de bénéfices que son évêché, et cent mille écus de patrimoine, quoiqu’il donnât beaucoup aux pauvres, l’énormité de son testament surprit et scandalisa », cf. Ed. ESMONIN, ibid., p. 100.
37 AMG, FF 29, arrêt du conseil d’état du roi du 26 janvier 1700.
38 AMG, FF 29, arrêt du conseil d’état du roi du 26 janvier 1700 : « néanmoins comme par les édits de création des nouveaux offices de Police des mois d’octobre et novembre dernier, il leur a été attribué des fonctions et que les officiers de l’Evêque pourraient n’être pas en droit de faire pendant l’année de l’exercice non plus que ceux de Sa Majesté dans leur année ».
39 AMG, FF 29, arrêt du conseil d’état du roi du 26 janvier 1700.
40 Cf. ADI, B 2482, arrêt du 11 août 1730, f° 331v.
41 AMG, FF 29, arrêt du conseil d’état du roi du 26 janvier 1700.
42 Ibid.
43 Il est d’ailleurs fait mention de ce revenu en argent dans l’inventaire sur la fortune du cardinal, « Enfin, le roi verse annuellement une pension de 500 livres pour les droits de police de Grenoble qu’il a rachetés », cf. Ed. ESMONIN, « La Fortune du Cardinal Le Camus », op. cit., p. 103.
44 AMG, FF 29, arrêt du conseil d’état du roi du 26 janvier 1700 : « et pour indemniser ledit Sieur Evêque, Sa Majesté lui a accordé une rente annuelle et foncière de la somme de 500 livres dont l’emploi sera fait par chacune année dans les états des charges de ses domaines de Dauphiné à commencer en la présente année pour être payée audit Sieur Evêque et ses successeurs sans que pour quelque cause que ce soit il en puisse être fait aucun retranchement ».
45 ADI, IV G 80, Evêché de Grenoble : pensions payées sur les états du roi ; rente annuelle foncière accordée à l’Evêque de Grenoble par l’arrêt du 26 janvier 1700, 22 pièces papier, 1765-1772, 6e sous-pochette : « l’Evêque de Grenoble est employée sur les Etats du Roy de la province de Dauphiné pour la somme de 500 livres à raison de l’indemnité de la police dans la ville de Grenoble, qui lui appartenait comme seigneur… ».
46 ADI, IV G 80, ibid. : « les rentes font parties des revenus de l’Evêché et n’appartiennent pas à Mgr l’Evêque personnellement […] car la rente de 500 livres a été accordée pour indemnité audit sieur cardinal et à ses successeurs audit Evêché ».
47 Qui, rappelons-le, entérine la cession épiscopale des droits de police détenus sur la ville de Grenoble.
48 AMG, FF 29, arrêt du conseil d’état du roi du 26 janvier 1700.
49 ADI, IV G 80, ibid., lettre de Mgr l’Evêque de Grenoble du 8 septembre 1771 adressée à M. le contrôleur général.
50 ADI, IV G 80, Evêché de Grenoble : pensions payées sur les états du roi ; rente annuelle foncière accordée à l’Evêque de Grenoble par l’arrêt du 26 janvier 1700, recette générale du Dauphiné.
51 ADI, IV G 80, ibid., lettre manuscrite de l’évêque de Grenoble du 4 novembre 1767.
52 ADI, IV G 80, ibid., lettre du contrôleur général Terray du 31 août 1771.
53 ADI, IV G 80, ibid., lettre du contrôleur général Terray du 31 août 1771 : « les Evêques de Grenoble avoient de toute ancienneté la police de cette ville, comme une suite de la seigneurie qui est reconnue leur appartenir, ils la faisoient exercer par leurs officiers. Le feu Roy jugea à propos au commencement de ce siècle de prendre en sa main cette police pour la remettre à des officiers qu’il créeroit : Sa Majesté reconnût en même temps la nécessité d’indemniser les Evêques de Grenoble de la perte considérable que faisoit leur siège. Cette indemnité fut fixée à la somme de cinq cents livres par un arrêt du Conseil du 26 janvier 1700. Cet arrêt fût revêtu de lettres patentes, qui ont été enregistrées au Bureau des Finances et à la Chambre des Comptes de cette province, de manière que l’établissement de cette indemnité a acquis toute la plus grande authenticité ».
54 ADI, IV G 80, ibid., « Lettre de Mgr l’Evêque de Grenoble du 8 septembre 1771 adressée à M. le contrôleur général ». « Il suffit que ce soit une indemnité accordée pour un droit reconnu appartenant à l’évêché de Grenoble, pour qu’il s’ensuive que cette somme accordée annuellement ne soit regardée comme donnée à titre gratuit. C’est précisément le prix d’une aliénation faite d’une portion de biens de l’Evêché. Or le prix d’un bien cédé, d’un bien aliéné, ne saurait être mis dans le rang des choses qui sont données à titre gratuit. Le prix d’un bien cédé, d’un bien aliéné est parfaitement de la même nature que le prix d’une chose vendue. Or on ne se permettra jamais de penser, que le prix d’une chose vendue soit donné à titre gratuit ».
55 ADI, IV G 80, ibid., « Lettre de Mgr l’Evêque de Grenoble du 8 septembre 1771 adressée à M. le contrôleur général ».
56 ADI, Introduction du Répertoire de la sous-série 13 B, concernant les archives de la Cour commune. Cf. pour plus d’informations les cotes ADI, 13 B 324 à 363 relatives aux procédures civiles et 13 B 376 à 438 pour les procédures criminelles, pour la période 1699- 1789.
57 B. DURAND, « La Notion de Police en France du XVIe au XVIIIe siècle », p. 163-211, in Policey im Europa der frühen Neuzeit, Frankfurt am Main, Edition Vittorio Klostermann, 1996, p. 207.
58 R. FAVIER, Les Villes du Dauphiné aux XVIIe et XVIIIe siècles, Grenoble, La Pierre et l’Ecrit, PUG, 1993, p. 29.
59 Cf. R. FAVIER, Les Villes du Dauphiné aux XVIIe et XVIIIe siècles, ibid., p. 16 : « Pour l’administration royale, aucun critère juridique ne définissait les villes dauphinoises sous l’Ancien Régime. Les villes ne se caractérisaient par aucune liberté urbaine particulière… En Dauphiné au contraire, et malgré la suspension des Etats dès 1628, les intendants continuèrent jusqu’au début du XVIIIe siècle à ne qualifier officiellement de ville que les dix communautés qui y avaient eu une représentation particulière ».
60 Cité in R. FAVIER, Les Villes du Dauphiné aux XVIIe et XVIIIe siècles, ibid., p. 16.
Auteur
Maître de conférences en histoire du droit
Faculté de Droit, Grenoble-Alpes
(CERDHAP)
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