L’école doctorale et la recherche juridique
p. 31-44
Texte intégral
1Le doctorat est souvent envisagé comme un diplôme, conclusion d’un parcours estudiantin qui, bien que long et prestigieux, ne se différencie pas beaucoup de la licence et du Master. Le sigle LMD issu du processus de Bologne en est d’ailleurs la matérialisation la plus connue. Pourquoi donc envisager qu’il puisse y avoir un lien entre “école doctorale” et “recherche juridique” ? L’apparente contradiction du sujet est d’ailleurs renforcée par le nom de la structure administrative qui gère le doctorat : “l’école” doctorale, une école étant bien le lieu de l’enseignement et non celui de la recherche. L’oxymore n’en est pourtant pas une. Le lien entre l’enseignement universitaire et la recherche est en effet une composante intrinsèque de l’institution universitaire. Le terme officiel “d’enseignant-chercheur” qui désigne aujourd’hui les professeurs et maîtres de conférences1 montre de manière particulièrement topique le statut hybride de l’Universitaire. Cette double nature s’étend aux écoles doctorales, à la fois écoles et lieu de recherche.
2Les instances d’évaluation de l’enseignement supérieur2 viennent d’ailleurs évaluer les écoles doctorales à un double titre : d’abord en tant que telles, pour leur dimension “école”, c’est-à-dire les formations doctorales et l’activité administrative qui gère les relations entre l’institution et ses usagers. Ensuite à travers l’évaluation des centres de recherche, l’école doctorale étant auditionnée dans le processus d’évaluation de tous les “équipes d’accueil” ou “unités mixtes de recherche”3, chacune se devant d’être rattachée à une ou plusieurs écoles doctorales. Le rôle de l’école doctorale dans la recherche juridique dépend d’ailleurs de ce que l’on veut entendre par recherche juridique et, à l’analyse, le lien entre les deux est encore plus visible. Les matières rattachées aux sciences dures laissent en effet facilement voir le lien entre la thèse et la recherche : lorsqu’une thèse décrit le comportement d’une enzyme, qu’elle précise le développement d’un virus, qu’elle calcule la trajectoire d’une comète, le profane comprend aisément comment elle apporte à la Recherche. En histoire ou archéologie, lorsqu’une thèse relate la découverte d’un tombeau mérovingien ou explique la remontée des hominidés d’Afrique en Europe, on comprend en quoi elle est une recherche scientifique. La recherche en droit est moins visible, et c’est cette moindre visibilité qui conduit à ce que, chez les juristes, le lien entre l’école doctorale et la recherche est lui aussi moins visible. Cela conduit alors à limiter l’école doctorale à son rôle “diplômant”. Or, la recherche en droit existe. Matériellement, si nous n’avons pas de laboratoires dans lesquels nous sommes en blouse ou de supercalculateurs, nous avons des bibliothèques et des bureaux. Au fond, si nous ne guérissons pas de maladies rares ou ne creusons pas le sol à la recherche d’artefacts, nous organisons la jurisprudence, nous interprétons et clarifions les textes, nous proposons des concepts permettant d’appréhender la réalité et nous soulignons la cohérence – ou l’incohérence – du droit, et proposons de nouvelles de nouvelles notions ou de nouveaux régimes juridiques. Si l’on part du principe que cela constitue bien une activité de recherche, alors assurément, la thèse de doctorat est aussi de la recherche. Elle en est même un moment privilégié et fondateur, durant lequel le doctorant chercheur va pouvoir, pendant un temps long (entre trois et sept années, et en moyenne 5 ans), effectuer une recherche originale.
3En droit cependant, la thèse de doctorat ne prend pas toujours la même forme et n’a pas toujours les mêmes objectifs. Trois principaux types de thèses peuvent à notre sens se dégager. La première est la thèse dite “universitaire” ou “agrégative” en référence au concours permettant de devenir professeur d’université dans un certain nombre de disciplines. Ce sont le plus souvent les thèses dans lesquelles s’engagent les meilleurs étudiants à l’issue de leur master 2, avec pour objectif de devenir enseignant-chercheur. L’exigence de rigueur scientifique, d’innovation et de recherche est forte, et ces thèses sont en moyenne les plus longues. La deuxième catégorie regroupe les thèses dites “professionnelles”. Il ne s’agit pas là d’un autre diplôme, mais bien de thèses dont le sujet est souvent plus pratique et qui doivent permettre aux docteurs de mettre en avant un diplôme et une compétence de très haut niveau. Ces thèses sont souvent un peu plus courtes, et souvent faites plus rapidement, sauf si la thèse est écrite alors que le doctorant travaille en parallèle et ne peut consacrer à son travail de recherche qu’un temps limité dans la semaine. La troisième catégorie de thèse est la thèse que l’on peut qualifier de “rayonnement international”. Il s’agit de permettre à des étrangers de participer à des activités de recherche au sein d’un centre de recherche rattaché à l’école doctorale et à écrire un travail qu’il pourra valoriser en retournant le plus souvent dans son pays. À l’école doctorale de droit et sciences politiques de Toulouse 1 Capitole, ces thèses représentent en 2014 un peu moins de la moitié de 450 doctorants. L’objet de ces thèses est de faire rayonner le droit français, notamment à travers des docteurs qui deviendront souvent des élites universitaires, économiques ou politiques dans les pays en développement.
4La formation doctorale est en pleine mutation. Régie aujourd’hui par le décret du 7 août 2006 relatif à la formation doctorale4, elle va être modifiée dans les mois à venir par un nouveau décret qui devrait paraître à la fin 2015. Ses missions vont être précisées, avec une confirmation des écoles doctorales comme lieu d’organisation du doctorat, et un contrôle renforcé des organes centraux des universités sur ces écoles.
5L’une des questions centrales est celle de savoir si l’on peut se passer des écoles doctorales. Il faut à cet égard noter une grande évolution dans leur rôle. Il y a encore une quinzaine d’années, en droit, les seules relations d’un doctorant avec son école doctorale étaient lors de l’inscription, et beaucoup ignoraient qu’elles eussent le moindre autre rôle. Aujourd’hui, cette situation est révolue. Les rôles des écoles doctorales ont fortement augmenté et les doctorants ont des relations bien plus poussées et régulières avec les écoles doctorales. Ainsi, l’organisation des formations aux doctorants, les conférences de l’école doctorale, les entrainements aux recrutements, le suivi des thèses par des comités (rendu bientôt obligatoire par l’arrêté à venir), la résolution des difficultés administratives ou personnelles conduisent à avoir des relations régulières entre les doctorants et leurs écoles doctorales.
6Ces différentes fonctions des écoles doctorales au profit des doctorants peuvent être regroupés en deux types d’action, qui démontrent le lien entre la recherche et la formation doctorale : d’abord la formation à la recherche (I), ensuite la formation par la recherche (II).
I – LA FORMATION À LA RECHERCHE
7La thèse est une recherche, mais elle est aussi une période de formation à la recherche qui fondera les capacités de recherche des docteurs durant toute leur carrière – ou plus modestement durant tout le début de leur carrière. L’objectif de l’école doctorale est donc aussi de former à la recherche.
A – La thèse est une – notable – part de la recherche en droit
8Le premier point à clarifier est le fait de savoir si la thèse de doctorat est, ou n’est pas, un œuvre de recherche. Il est à cet égard possible de dire que la thèse est à la fois une recherche en soi et le fondement d’autres recherches.
9La thèse est en effet une recherche en soi. Il s’agit, pour le dire simplement, du pendant du “chef d’œuvre” des artisans-compagnons : une œuvre innovante faisant état de son art de la part du doctorant. Il faut reconnaître qu’il est très rare, en droit, qu’un chercheur écrive dans la suite de sa carrière une monographie qui, en volume, ait la même importance. La nature de travail de recherche apparaît clairement dans le fait que la thèse se doit d’avoir une méthodologie rigoureuse (avec une bibliographie exhaustive sur son sujet, sauf s’il est trop large) et qu’il doit apporter quelque chose à la connaissance et à la compréhension. L’essence même de la recherche est en effet de trouver, et la thèse n’échappe pas à cette règle. Ces considérations ne doivent cependant pas laisser penser, qu’en droit, la recherche est essentiellement réalisée avant 35 ans. L’ensemble de ce que l’on écrit après équivaut parfois en quantité à une thèse, et le thème de recherche de la thèse n’est pas le seul qui soit ensuite développé.
10La thèse est aussi le fondement d’autres recherches. Elle n’est pas un monde clos qui se suffirait à lui-même, elle est l’une des étapes de l’analyse d’un point de droit. Elle servira à ceux qui voudront modifier ce droit, à ceux qui l’appliquent, et à d’autres chercheurs qui voudront travailler sur le même objet (ou sur un objet connexe), que cela soit dans une autre thèse ou dans des articles de doctrine.
11La question de savoir si l’on doit considérer la thèse comme une activité de recherche est en réalité liée à celle de savoir si la période de thèse est une période d’études ou une période d’activité professionnelle. Trancher cette question n’est en réalité par nécessaire, parce que l’un n’est pas exclusif de l’autre. Le risque serait au contraire d’estimer qu’il s’agit d’une période qui ne serait que de formation (auquel cas le résultat de la thèse serait une acquisition de connaissance et non production desdites connaissances) ou que de l’activité professionnelle (auquel cas la thèse serait un acquis de l’expérience et non à la fois un diplôme et un titre particulier qui ne s’acquiert pas seulement par de l’expérience, mais “s’apprend” aussi). La tendance passée a cependant été de considérer qu’il s’agissait d’une période de formation, ce qui portait préjudice à l’insertion professionnelle des docteurs qui apparaissaient comme de jeunes diplômés et non comme des personnes ayant déjà une expérience professionnelle. L’Union européenne s’est d’ailleurs inquiétée de cette situation qui éloignait la jeunesse européenne de la recherche et diminuait notre investissement humain en recherche et développement. C’est pour cette raison que la Commission a édicté le 11 mars 2005 une Charte européenne du chercheur dont l’un des apports est de reconnaître les doctorants comme des professionnels de la recherche5.
12Une thèse de doctorat est donc bien une part importante de la recherche en droit, tant par ce qu’elle représente dans la recherche individuelle que pour son rôle dans la recherche collective. Le statut du docteur est donc celui d’un “étudiant-travailleurs” et le rôle du l’école doctorale est donc en lien avec l’organisation de ce statut particulier.
B – L’organisation des études doctorales, garantie de la formation à la recherche
13La multiplication des structures de rattachement des doctorants donne aux écoles doctorales une série de rôles qui se cumulent, notamment, avec les rôles des centres de recherches. On peut cependant noter une place particulière des écoles doctorales comme garant de la formation à la recherche, que cela soit à travers le financement des thèses (1) ou par une série d’actions durant tout le déroulement de la thèse (2).
1) Le rôle des écoles doctorales dans le financement du travail doctoral
14Cette question de la professionnalisation de la recherche n’est pas neutre sur le rôle de l’école doctorale et la production de recherche. En effet, si faire une thèse est une activité professionnelle, elle devrait être rémunérée. Or, un certain nombre de thèses (en réalité la grande majorité, environ 70 % en droit) sont réalisées par des doctorants dits “non-financés”, c’est-à-dire des doctorants qui ne sont pas payés pour la réaliser. Cette situation est en contradiction avec l’idée d’une expérience professionnelle et pourrait être envisagée comme interdite. La Charte européenne va d’ailleurs dans ce sens6. D’un autre côté, nombre des plus éminents chercheurs en droit aujourd’hui n’ont eu aucun financement de thèse et le faible nombre de financements possibles garantirait un appauvrissement de la recherche en droit si ces recommandations étaient suivies. Plus encore, un certain nombre de personnes désirant faire une thèse malgré une absence de salaire (par exemple parce que leur situation familiale le leur permet) en seraient exclues. Enfin, nombre de doctorants sont étrangers (souvent près de la moitié en droit) et ils sont peu nombreux à avoir une bourse. Or, le rayonnement du droit français dépend en grande partie de ces thèses, et les pays qui vont bénéficier du retour de ces experts après leur travail doctoral ont intérêt à ce que ces recherches doctorales puissent perdurer. La situation, on le voit, est plus complexe que ce que les principes ne le laissent entendre, et la dimension “diplômante” du doctorat en fait aussi autre chose qu’une simple expérience professionnelle.
15Or, l’école doctorale a depuis bien longtemps un rôle de financement de la formation par la recherche. C’est en effet en son sein que sont répartis une partie des contrats qui permettent aux doctorants de réaliser leurs thèses dans de bonnes conditions : les contrats doctoraux. Ces derniers sont les héritiers des “allocations de recherche” qui existaient avant 20007 et ont été l’occasion d’une revalorisation des financements des thèses8. Le nombre de ces contrats varie en fonction des universités et de la répartition que fait le Président entre les différentes écoles doctorales. En droit, les doctorants ainsi financés représentent moins de 10 % des doctorants. Il y a là une spécificité des doctorats en droit puisque dans bon nombre d’autres matières, le financement de la thèse est une condition sine qua non à l’inscription. Dans ce cas, le nombre de thèses est bien plus réduit (souvent à peine un quart du nombre de thèses par rapport à une école doctoral plus ouverte), et les contrats doctoraux représentent au moins un tiers de ces thèses financées.
16Le choix des candidats au doctorat fait l’objet d’une double sélection par l’école doctorale. La première consiste à sélectionner les candidats eux-mêmes, en recherchant ceux à même de finir une thèse et d’apporter quelque chose d’original sur le plan scientifique. La seconde consiste à sélectionner ceux, malheureusement moins nombreux, qui peuvent bénéficier d’un contrat doctoral. Les textes encadrant le doctorat précisent que le choix des doctorants bénéficiant de ces contrats doit être fondé sur des critères explicites et publics9, mais c’est aussi ce qui préside au choix des doctorants eux-mêmes. La pratique oscille entre analyse objective de dossier et audition des candidats. Sont la plupart du temps pris en compte les notes obtenues dans le parcours antérieur, et spécialement en master, le résultat du mémoire de master 2, la description du sujet de thèse et, lorsqu’il y a oral, la capacité du candidat à en défendre l’originalité. Le fait que cela ait lieu avant la recherche elle-même est certes un défaut de ce dernier critère, mais il démontre au minimum une véritable réflexion amont sur le sujet.
17Le rôle de l’école doctorale est en revanche moins important pour les autres modalités de financement, même s’il n’est pas neutre. Parmi ces autres modalités, la première est la thèse en convention CIFRE qui permet à un doctorant de passer trois ans en entreprise en faisant sa thèse en parallèle et pendant un certain nombre d’heures pris sur les journées de travail. On comprend bien ce modèle pour les sciences exactes puisque le doctorant est dans un laboratoire privé et peut utiliser le résultat de ses recherches pour écrire sa thèse. Le temps de travail est donc exactement celui de la thèse. En droit, la situation est différente. L’objet du travail juridique est en lien avec le sujet de thèse, mais le travail demandé en entreprise ou collectivité n’a qu’exceptionnellement comme résultat le travail de thèse. La situation classique est que le doctorant rend des notes juridiques à la structure d’accueil et écrit sa thèse pendant 2 à 3 jours de la semaine chez lui où à l’université10. Ce financement est très intéressant et se multiplie en droit. Il est cependant difficile à l’école doctorale d’avoir des liens avec les entreprises pour développer les conventions CIFRE. Le partenariat entre l’université et les entreprises peut cependant avoir un volet relatif aux dispositifs CIFRE. En revanche, le niveau COMUE11 ne paraît pas spécialement adapté à cela, à notre sens.
18Les autres dispositifs de financement des thèses sont plus limités, et spécialement en matière juridique. Il existe d’autres contrats doctoraux financés par des organismes (INRA, INSERM…) qui ne prennent quasiment aucun juriste. Par ailleurs, le faible nombre de contrats de recherche12 en droit ne facilite pas le financement de contrat pour un projet, puisqu’un contrat doctoral coûte au minimum 35 000 euros avec les charges sociales, ce qui atteint la somme de 100 000 euros pour les 3 ans de contrats, plus que la plupart des financements de la recherche juridique. Pour ce qui est des autres formes de contrat, par exemple celle des contrats innomés qui permettent d’utiliser un poste de titulaire vacant, elles posent d’autres problèmes. D’abord il est difficile de s’engager sur plus d’une année, le poste étant remis au concours assez vite, le plus souvent. Ensuite, la pratique actuelle est plutôt d’utiliser ces postes pour financer des contrats post-doctoraux, qui par définition ne sont plus pour les doctorants, mais pour les docteurs. On le voit, ces postes sont régis directement par les présidents d’universités en lien avec les départements ou facultés. L’école doctorale peut certainement en demander, elle ne peut agir de manière décisoire sur le développement de tels contrats. À tout le moins revient-il aux écoles doctorales de renseigner sur les contrats et sur les bourses dont peuvent bénéficier les doctorants.
2) Le rôle de l’école doctorale dans le déroulement du travail doctoral
19L’école doctorale ne se contente pas d’un rôle en amont de la thèse, le suivi du doctorant est aussi un élément de garantie de la formation à la recherche.
20Cela passe d’abord par le développement de formations. Cet aspect de la thèse a pendant longtemps été totalement absent des écoles doctorales qui n’avaient “d’école” que le titre, pas la dimension pédagogique. Les seules formations obligatoires étaient liées à l’enseignement, dans le cadre du CIES13 et pour les seuls “allocataires-moniteurs”, c’est-à-dire aujourd’hui les contrats doctoraux avec enseignements. Aujourd’hui, la formation des doctorants est une mission importante et en pleine croissance des écoles doctorales. Au sens strict, la formation “à la recherche” n’est d’ailleurs qu’une petite partie des formations dispensées, l’autre objectif étant de développer des compétences permettant une insertion professionnelle après la thèse. La diversité est pour l’heure heureusement de mise : de 5 à 20 jours de formation par an environ. On comprend en effet que le doctorant dans un laboratoire de science ait besoin de diversifier sa formation pour pouvoir travailler dans des domaines plus larges que sa thèse. En revanche, le doctorant en droit qui fait déjà des heures d’enseignement dans d’autres matières que sa thèse se prépare spécialement bien à une vie professionnelle dans laquelle il va être confronté à d’autres droits que celui qui est l’objet de sa thèse. À cet égard, on peut craindre d’ailleurs un rapprochement des pays anglo-saxons dans lesquels la formation représente environ six mois sur trois ans de thèse. Comment en effet envisager de réduire à quatre ans la durée des thèses si le doctorant doit y inclure les travaux dirigés et six mois de formation ? Ces exigences contradictoires ne sont pas raisonnables.
21Pour ce qui concerne les formations directement liées à l’apprentissage de la recherche, elles sont relativement faciles à envisager en droit. Elles sont aussi nouvelles puisqu’elles ne correspondent pas à la majorité des formations des anciens CIES. On peut penser notamment aux formations aux bases de données ou à la recherche documentaire en général. Les logiciels de bases de données bibliographiques (Zotero, Mendeley…) étant aussi centraux en la matière. À cela s’ajoutent des formations relatives aux méthodologies de la recherche : méthodes des sciences sociales et enquêtes en science politique, grandes doctrines, histoire de la pensée, épistémologie sont ainsi des cours permettant de donner aux doctorants les outils nécessaires à une réflexion de haut niveau. En la matière, il faut d’ailleurs être innovants et développer des approches contemporaines permettant des thèses en avances sur le plan méthodologique. Les exemples du développement du Law and Economics, des méthodes actuelles du droit comparé ou de la pluridisciplinarité sont topiques de ces nouveaux besoins. Certaines formations encore trop peu développées en droit le seront de manière certaine dans l’avenir, notamment celles relatives à la recherche des financements de la recherche et des appels d’offres qui feront – malheureusement ? – le quotidien de la jeune recherche actuelle.
22La formation à la recherche est aussi marquée par des rencontres avec les autres chercheurs, que cela soit par l’organisation de colloques de l’école doctorale ou l’incitation que peut mettre l’école doctorale à avoir des doctorants parmi les intervenants. On pense aussi aux doctoriales qui se développent dans bien des sites et qui ont cet objectif de création d’une conscience de “communauté scientifique”.
23Enfin, certaines formations que mènent selon les cas les écoles doctorales et les laboratoires sont relatives à l’insertion dans le monde académique et sont, partant, des formations à la recherche. Ainsi en est-il des formations et entrainement aux concours de recrutement (maîtrise de conférences et agrégation du supérieur), des séminaires de recherche qui apprennent la confrontation d’idées et, quand cela est possible, l’initiation au montage d’un colloque ou d’une manifestation scientifique.
II – LA THÈSE, FORMATION PAR LA RECHERCHE
24La thèse n’est pas seulement une période de sa vie professionnelle durant laquelle on apprend à faire de la recherche, c’est aussi une période durant laquelle l’activité de recherche forme profondément le doctorant.
25Il serait en effet dommage que la thèse ne mène qu’à des activités futures de recherche, qu’il s’agisse d’un diplôme ne visant que l’auto-reproduction des enseignants-chercheurs. Ce que l’on apprend par l’écriture d’une thèse dépasse en effet largement cela et l’école doctorale y participe directement ou indirectement. D’abord parce que le développement des capacités de recherche dépasse largement la seule recherche académique (A), ensuite parce que le rôle de l’école doctorale est aussi de préparer l’insertion dans d’autres métiers que ceux de la recherche publique (B).
A – Les capacités de recherche dépassent la seule recherche académique
26Les écoles doctorales ont pour objectif de former des chercheurs au sens large. Cela comprend bien entendu les enseignants-chercheurs, mais il faut d’ores et déjà noter ceux-ci peuvent être dans la recherche publique (Universités, CNRS ou autres organismes publics de recherche) ou dans la recherche privée. Peu courante en droit, cette recherche privée se rencontre principalement dans les pays étrangers où les facultés privées développent des activités de recherche théoriques ou appliquées. On peut aussi penser aux universités catholiques, en France et dans le monde. Un certain nombre de docteurs rejoignent cependant cette recherche, ce qui montre le rayonnement de la France en la matière.
27La formation par la recherche dépasse cependant très largement ces métiers. La capacité à chercher et analyser l’information pertinente est en effet un élément essentiel à toute thèse, mais aussi à un grand nombre de métiers juridiques. Or, la formation à la recherche est de plus en plus faible dans les facultés, les documents utiles étant photocopiés ou, de plus en plus, mis sur une plate forme web permettant leur téléchargement par les étudiants. Aujourd’hui, les étudiants n’ayant jamais été chercher un commentaire dans une revue sont légions avant le Master, alors que bon nombre d’entre eux passeront une partie de leur temps professionnel à cela, ou seront mauvais. Que cela soit le juriste en entreprise, l’avocat, le juge, tous ont besoin de matière première (arrêts, notes, textes, commentaires doctrinaux…) pour analyser la situation qui se présente à eux. La thèse apprend à chercher, en donnant des atouts que des années de pratique professionnelle ne donnent pas. Elle apprend aussi à synthétiser un grand nombre de données et à retrouver des lignes fortes, le droit applicable au sein de nombreux cas d’espèce. Elle apprend enfin à convaincre par le raisonnement que l’ensemble des données va dans le sens que l’on dit. On le voit, ces qualités deviennent, après une thèse, très au delà de la moyenne des juristes et permet que les docteurs soient très rapidement reconnus dans leurs métiers postdoctoraux. Ces qualités dépassent d’ailleurs l’analyse juridique et donnent aux docteurs des capacités de synthèse et une grande profondeur d’analyse leur permettant de s’adapter à des activités professionnelles dépassant celles de l’expert dans sa matière.
28Trois autres qualités, directement liées à la thèse sont enfin reconnues aux docteurs, parce qu’elles sont des qualités indispensables à l’achèvement d’une thèse. La première est la rigueur et les qualités d’analyse. Que cela soit en sciences dures ou en sciences humaines, ces qualités sont l’essence d’une recherche scientifique et elles se traduisent par un rejet des situations approximatives ou des approches sur lesquelles la méthodologie n’aurait pas été travaillée. La deuxième qualité est l’inventivité. Le travail doctoral n’est pas une synthèse, il se doit d’apporter des analyses et connaissances originales. Cette exigence conduit à développer des qualités d’innovation, une capacité à voir autrement les problèmes pour apporter des solutions originales et adaptées. La troisième qualité du docteur est la persévérance. La thèse est une épreuve psychologique qui endurcit ceux qui la mènent au bout. Peu de métiers conduisent à devoir développer un projet sur 4 à 7 ans, de manière très solitaire dans des matières comme le droit, pour avoir une appréciation extérieure sur le seul résultat final. Le moral est souvent cyclique14 et le doctorant est habitué à remettre en question tout le temps ce qu’il vient de voir pour en assurer la fiabilité. Cette épreuve au long cours nécessite et renforce l’endurance et la capacité du docteur à se lancer dans des projets au long terme. Il sait travailler autrement que dans l’immédiateté qui fait une partie des métiers de management soumis à des flux constants de courriels.
29L’ensemble de ces qualités du docteur, qualités acquises par la recherche, sont aujourd’hui prises en compte sur le plan institutionnel, par un développement des rôles de l’école doctorale.
B – Un rôle de l’école doctorale en pleine croissance
30La thèse est de plus en plus considérée comme une première expérience professionnelle, comme un début de carrière et non, comme c’était le cas, comme un passage estudiantin dans le monde de la recherche. Il est en effet difficile de considérer qu’être enseignant-chercheur titulaire est un métier sans considérer que l’être contractuellement pendant 3 à 6 ans ne l’est pas. L’école doctorale a, partant, dû se professionnaliser pour correspondre à cette nouvelle approche, en coordination avec les autres acteurs qui entourent le doctorant, aux premiers rangs desquels le directeur de thèse et le laboratoire.
31La formation doctorale passe donc par des contraintes apportées par l’école doctorale au doctorant lui-même, mais aussi au directeur de thèse. En droit, la relation entre le doctorant et son directeur était en effet il y a encore peu de temps très libre et bipartite. Si dans la majorité des cas ce caractère interpersonnel permet une avancée en confiance, lorsque la relation est dégradée la thèse en pâtit souvent immédiatement. Le directeur de l’école doctorale a donc de plus en plus pour rôle le rétablissement de relations saines de travail, par des discussions avec les directeurs et avec les doctorants. Outre cette mission de conciliation, il y a fort à parier que l’évolution ira dans le sens d’une formation des directeurs de thèse15 et de l’organisation de “comités de suivi de thèse” permettant un encadrement à la fois individualisé et collectif du doctorant. Le directeur de thèse est cependant le véritable professionnel du suivi de la thèse et l’école doctorale va en réalité avoir de plus en plus pour mission de l’aider administrativement et techniquement dans ce rôle.
32L’internationalisation du doctorat est aussi une voie dans laquelle les écoles doctorales doivent pousser les doctorants les plus compétents. En plus des qualités qu’il faut développer pour finir sa thèse, les séjours à l’étranger permettent en effet de développer des compétences linguistiques et des compétences de recherches sur les bases de données dans un ou plusieurs autres pays. Les universités se dotent pour cela de budget de mobilité internationale, soit au niveau de l’école doctorale, soit au niveau des services de la recherche, soit au niveau de la COMUE. L’école doctorale a toujours un rôle non négligeable dans la répartition de ces budgets qui sont voués à augmenter. Le label “doctorat européen”16 se développe d’ailleurs et la nécessité de faire des voyages à l’étranger, ainsi que la présence de membres du jury issus d’universités étrangères sont des conditions pour accorder ce label. Les thèses en cotutelles internationales se développent aussi, démontrant que l’obtention de deux diplômes de doctorat, un dans chaque pays de la cotutelle, peut être un atout important, tant pour une insertion professionnelle académique que pour une insertion en entreprise.
33Les écoles doctorales ont aussi un rôle à développer pour attirer les meilleurs étudiants à la recherche. En lien avec les directeurs de Master 2, il faut en effet analyser un paradoxe : les demandes d’entrée en doctorat sont nombreuses, mais elles ne proviennent pas nécessairement des meilleurs étudiants. Ceux-ci, attirés par des carrières plus directes, certaines et rémunératrices, sont nombreux à se détourner du doctorat. La sélection à l’entrée de la thèse de développe ainsi pour démontrer l’excellence de ce diplôme, alors que cette même excellence ne faisait pas de doute il y a encore une quinzaine n’années. Une partie des écoles doctorales coordonnent ainsi des réunions d’information pour montrer ce qu’est le doctorat et pour briser des idées reçues sur l’hyper spécialité de ce diplôme. C’est bien l’idée d’une formation par la recherche qu’il faut ici mettre en avant.
34En conclusion, il apparaît clairement que les écoles doctorales ont un rôle de plus en plus important. D’une fonction prestigieuse mais très faible, l’école doctorale est passée à un vrai statut d’école. Elle en a perdu son rôle uniquement fondé sur la recherche et le financement des doctorants (et de ceux qui feraient des TD, qu’elle a toujours eu) ; mais elle a gagné un rôle moins fondé sur la recherche elle même, mais sur l’amélioration des effets de la recherche. Elle est le lien entre la bulle de la recherche et la Nation. C’est une évolution positive et qui ne va cesser d’augmenter.
Notes de bas de page
1 Aux professeurs et maîtres de conférences, il faut ajouter aussi les contractuels, tels les Attachés d’enseignements et de recherche (ATER), les professeurs et maîtres de conférences associés (PAST) ou les post-doctorants.
2 L’HCERES (Le Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur), qui a succédé depuis la loi no 2013-660 du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche (aujourd’hui, art L. 114-3-1 et s. du code de la Recherche), à l’AERES
3 Les équipes d’accueil (ou EA) sont les centres de recherches financés et habilités par le ministère de la recherche, les Unités mixtes de recherche (ou UMR) sont les équipes qui sont aussi reconnues et habilitées par le CNRS. Les termes d’Unités de recherche ou de laboratoires sont aussi utilisés comme des synonymes de centre de recherche.
4 Décret du 7 août 2006 relatif à la formation doctorale : “Les écoles doctorales organisent la formation des docteurs et les préparent à leur poursuite de carrière. Elles apportent aux doctorants une culture pluridisciplinaire dans le cadre d’un projet scientifique cohérent. Elles concourent à la mise en cohérence et à la visibilité internationale de l'offre de formation doctorale des établissements ainsi qu’à la structuration des sites”
5 Recommandation de la Commission du 11 mars 2005 concernant la charte européenne du chercheur et un code de conduite pour le recrutement des chercheurs. p. 17 : “Tous les chercheurs engagés dans une carrière de recherche devraient être reconnus comme professionnels et être traités en conséquence. Cette reconnaissance devrait commencer au début de leur carrière, c’est-à-dire au niveau du troisième cycle, et devrait englober tous les niveaux, indépendamment de leur classification au niveau national (par exemple employé, étudiant du troisième cycle, doctorant, boursier titulaire d’un doctorat, fonctionnaire).”
6 ibid. p. 19 : “Les employeurs et/ou bailleurs de fonds devraient veiller à ce que les chercheurs jouissent de conditions équitables et attrayantes sur le plan du financement et/ou des salaires, assorties de dispositions adéquates et équitables en matière de sécurité sociale (y compris l’assurance maladie et les allocations parentales, les droits à la retraite et les indemnités de chômage) conformément à la législation nationale en vigueur et aux conventions collectives nationales ou sectorielles. Ces mesures doivent inclure les chercheurs à toutes les étapes de leur carrière, y compris les chercheurs en début de carrière, en correspondance avec leur statut juridique, leurs performances et leur niveau de qualifications et/ou de responsabilités.”
7 Décret no 2009-464 du 23 avril 2009 relatif aux doctorants contractuels des établissements publics d'enseignement supérieur ou de recherche.
8 Depuis le 1er juillet 2010, le traitement alloué aux bénéficiaires des contrats doctoraux est de 1684,93 euros bruts mensuels pour une activité de recherche seule et 2024,70 euros bruts en cas d'activités complémentaires, notamment d’enseignement.
9 Arrêté du 7 août 2006 relatif à la formation doctorale, article 4.
10 A l’Université, ce travail peut avoir lieu soit à la bibliothèque universitaire, soit dans les salles de travail rattachées aux centres de recherche.
11 Les COMUE sont les “communautés d’universités et d’établissements” créé par la loi no 2013-660 du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche (art. L. 718-2 à 13 du code de l’éducation), pour succéder aux Pôles de recherche et d'enseignement supérieur (PRES) et qui permettent de mutualiser des compétences de différentes universités ou écoles sur un site donné.
12 On pense notamment aux contrats de l’Agence nationale pour la recherche (ANR), du GIP droit et justice ou des contrats de recherches européens (stratégie 2020).
13 Les Centres d’Initiation à l’Enseignement Supérieur (CIES) étaient prévus dans le cadre de l’Arrêté du 17 juillet 1992 relatif à l'organisation des centres d'initiation à l'enseignement supérieur pris à la suite du décret no 89-794 du 30 octobre 1989 relatif au monitorat d'initiation à l'enseignement supérieur qui prévoit la création de ces centres d’initiation à son article 3. Quatorze CIES ont été créés en France, ils géraient 2000 nouveaux moniteurs par an, toute matières confondues.
14 On notera avec délectation l’existence d’un groupe Facebook “la thèse nuit gravement à la santé”, ainsi que d’autres sites sur lesquels les doctorants de toutes matières font part de leurs nombreux et légitimes états d’âme.
15 Cette volonté de mettre en place des formations paraît en bonne partie contradictoire sachant qu’ils sont pour la plupart “habilités à dirigés des recherches”, c’est-à-dire que ces compétence de direction de recherche leur ont déjà été reconnues. Cela étant, quelques formations plus techniques ou psychologiques ne seront pas malvenues.
16 Ce label a été institué en 1992 par le Comité de liaison des Conférences de Recteurs et de Présidents des Universités des pays membres de l’Union européenne (devenu en 2001 l'Association Européenne des Universités EUA).
Auteur
Directeur de l’école doctorale des Sciences juridiques et politiques, Université Toulouse 1 Capitole, Institut Maurice Hauriou
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
La loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations…
Dix ans après
Sébastien Saunier (dir.)
2011