La justice de l’archevêque dans la cité de Bourges (xe-xiie siècles)
Formes et limites
p. 317-330
Texte intégral
1Durant la période retenue, milice de paix et commune sont sans doute en Berry les aspects les plus spectaculaires mais aussi les plus étudiés de la justice archiépiscopale1. Ces raids désignent en effet l’archevêque comme l’arbitre des rapports sociaux au sein de son diocèse2. Il s’est imposé dès le haut Moyen Âge comme une personne d’autorité et un homme de réseau dont les compétences furent certainement étendues par absorption, au cours des IXe et Xe siècles, des attributions comtales3. Aimon de Bourbon est le premier à faire une telle démonstration de force en 10384. Régulièrement, au cours des XIIe et XIIIe siècles, ses successeurs vont user de compétences militaires similaires, agissant pour « l’utilité publique » comme l’exprime Urbain III en 1185 dans une lettre adressée à l’archevêque Henri de Sully5. En 1261, alors que l’administration capétienne est désormais capable d’assurer l’ordre dans la région, 212 personnes (seigneurs, chevaliers, écuyers et autres sergents) prêtent toujours serment à l’archevêque Jean de Sully de respecter la trêve et la commune6. Ces épisodes montrent que l’archevêque joue un rôle de premier plan dans l’équilibre de la région.
2En marge de ces coups d’éclats, que savons-nous cependant de l’exercice plus discret de la justice épiscopale à Bourges, intra muros ? L’archevêque n’a-t-il d’autres moyens d’expression que l’action militaire, sur fond d’engagements féodaux ? Dans une lettre datée de 1108, Yves de Chartres tente de dissuader l’archevêque Léger, influencé selon lui par certains de ses diocésains, de lancer la Commune contre Arnoul de Vierzon, seigneur du nord du diocèse. L’évêque chartrain propose alors diplomatiquement la médiation de Raoul de Blois7. L’urgence de la situation masque cependant une phase antérieure moins démonstrative : la lettre nous apprend en effet qu’Arnoul s’est auparavant rendu devant la cour archiépiscopale, qu’il y fut certainement sanctionné et qu’il fit appel en cour de Rome8. Ces étapes discrètes, largement dominées par les démonstrations militaires, attirent l’attention. Que savons-nous de cette cour et de son rôle ? On peut croire que s’organise, ici comme dans d’autres cités, une cour épiscopale plus sédentaire, à mesure que le territoire diocésain se cristallise9. L’archevêque apparaît entouré alors de clercs dont le rôle va grandissant durant les Xe-XIIe siècles (I). C’est une justice plus collégiale qui s’affirme, mais aussi plus concurrentielle ; le rôle du chapitre cathédral Saint-Etienne est à ce titre remarquable.
3Les traces d’activité d’une cour archiépiscopale restent tout de même fines. Doit-on imputer cette discrétion uniquement à un corpus trop peu fourni ? C’est en partie vrai, la documentation étant d’inégale qualité sur l’ensemble de la fourchette chronologique retenue. Mais il faut faire état des preuves d’une justice archiépiscopale qui reste tout au long de la période par nécessité itinérante ; ce qui évidemment contraste avec l’image d’un archevêque justicier, en sa cour de Bourges. Les circonstances politiques jouent également. Bourges est une place stratégique au sud de la Loire, au cœur d’un diocèse tiraillé entre couronne de France et duché d’Aquitaine10. En favorisant son statut de capitale ecclésiastique, la royauté a pour ambition de faire de cette cité un point d’appui sûr. Que Bourges apparaisse comme le siège stable de la justice archiépiscopale résulte donc d’intérêts politiques et économiques, variables dans le temps. Se pose alors la question de la réelle sédentarisation d’une justice épiscopale au sein de la cité avant la fin du XIIe siècle (II).
I - La justice de l’archevêque… et celle de ses clercs. Collégialité ou concurrence ?
4Si la participation du clergé aux décisions épiscopales est prévue depuis l’Antiquité tardive, elle n’est en pratique pas évidente11. Pour le Berry, des sources plus nombreuses à partir des années 970-980 permettent de saisir les contours de la justice épiscopale, exercée collégialement. L’archevêque semble en retrait : s’il préside les débats, apparaissent à ses côtés plusieurs personnages issus du chapitre cathédral beaucoup plus impliqués dans le déroulement du procès12. C’est le cas par exemple en 983 pour la restitution de plusieurs églises à l’abbaye Saint-Sulpice de Bourges, l’archevêque Hugues étant entouré des chanoines de la cathédrale Saint-Etienne13. La présence de ces derniers à la cour épiscopale est croissante durant la période : perceptible fin Xe siècle, cette participation est beaucoup plus nette au XIIe siècle et beaucoup plus spécialisée.
5Parmi les hommes du chapitre, le doyen se distingue. En 1070, le seigneur Eudes de Dun se rend in judicium pour mettre fin à un litige l’opposant à l’abbaye de Saint-Sulpice de Bourges, établissement dont les intérêts se mêlent à ceux de l’église cathédrale14. L’archevêque est absent mais le doyen du chapitre est bien là15. L’acte est malheureusement trop laconique pour comprendre le rôle précis du doyen ; on constate cependant sa présence récurrente tout au long XIe siècle aux côtés de l’archevêque en matière temporelle, souscrivant systématiquement en seconde position. Le doyen semble ensuite relayé au XIIe siècle par le chantre, figurant lui aussi en bonne place dans les actes de l’archevêque et intervenant en matière judiciaire. En 1112, un jugement de l’archevêque Léger en faveur de l’abbaye de Fleury pour des biens situés dans le diocèse de Bourges, s’appuie en fait sur une décision antérieure rendue par le chantre du chapitre cathédral, Mathieu16. On peut s’interroger sur la compétence de ces dignitaires en matière judiciaire, mais surtout souligner que ces clercs sont avant tout sollicités pour leur connaissance des parties au litige et des biens concernés. La présence de Mathieu au sein du chapitre, comme pré-chantre, chantre ou archidiacre est attestée au moins de 1093 à 1119, période couvrant donc plusieurs pontificats17. Sa mémoire de la gestion des affaires du diocèse le désigne comme la personne sans doute la plus apte à démêler certaines situations conflictuelles.
6Les périodes de vacance du siège archiépiscopal montrent également l’emprise croissante en matière judiciaire du chapitre qui assume sans problème cette charge. Il est d’ailleurs remarquable que ces moments de flottement dans la direction du diocèse sont précisément choisis pour saisir le chapitre, comme en témoigne un conflit opposant les moines de Vierzon à ceux de Déols vers 109918. Ces derniers avaient profité qu’un des leurs, Audebert, devînt archevêque de Bourges pour mettre la main sur l’abbaye de Vierzon en en chassant les occupants. La mort d’Audebert fut pour les moines lésés l’occasion de saisir la justitia capituli Sancti Stephani. Avec satisfaction car les chanoines de Saint-Etienne, réunis in plenario capitulo, tranchèrent en faveur des moines de Vierzon qui purent alors réintégrer leur établissement.
7Le chapitre reste durant le XIIe siècle présent sur ce terrain, rasséréné par son émancipation générale19. En matière judiciaire, son rôle s’épaissit, et pas uniquement durant les périodes de vacance du siège archiépiscopal. Les textes tendent de plus en plus souvent à associer archevêque et chapitre dans les décisions de justice. En 1113, pour clore un litige dans le sud du diocèse opposant les moines de la Chapelle-Aude à ceux d’Ahun, les deux entités sont citées conjointement20. Le document rapporte de manière très construite comment les parties, après plusieurs convocations à différents synodes, se rendent finalement à Bourges pour défendre leurs causes et présenter leurs preuves, le jour dit, in capitulo beati Stephani, lieu donc choisi pour rendre la justice. Fin XIIe siècle, la collégialité se mue en concurrence : en 1178, le pape Alexandre III proteste contre le seigneur Renaud de Graçay pour les dommages qu’il cause à la collégiale toute proche et dépendante du chapitre Sainte-Croix d’Orléans. Le pape compte alors sur l’archevêque de Bourges Guérin (1174-1180) pour exiger de Renaud réparation par tous les moyens, y compris l’excommunication ; à défaut, le chapitre pourra, précise Alexandre III, s’en charger21…
8Dans le même temps, pour faire face à l’accroissement de l’activité juridictionnelle, entre en scène, de façon simultanée dans beaucoup de diocèses dès le dernier quart du XIIe siècle, un nouveau personnage se distinguant des autres clercs de l’entourage épiscopal : l’official22. Juge ordinaire, il connaît de toutes les causes entrant habituellement dans la juridiction de l’évêque. Quand apparaît-il à Bourges ? Pour le Moyen Âge, on ne le connaît essentiellement qu’au travers de ses compétences gracieuses que nous livrent une série très stéréotypée de donations et de ventes qu’il authentifie23. La plupart de ces actes sont datées du XIIIe siècle, ce qui est déjà tardif pour notre propos. Cependant, un nouvel examen de l’ensemble des sources disponibles révèle plusieurs éléments intéressants. Il a d’abord permis de détecter une apparition plus précoce par rapport aux relevés antérieurs : il existe à Bourges un official au moins en 120524. Il est même tentant de remonter plus haut encore en s’appuyant sur le témoignage d’un acte de Louis VII de 1145 faisant allusion à l’official ; cette mention serait alors la plus ancienne pour l’ensemble de la France. Notons cependant que l’acte n’est connu que par des copies tardives et le risque d’interpolations incite à la prudence25. Cependant, pour un siège métropolitain situé au cœur d’un vaste diocèse, on ne peut exclure qu’assez tôt le fonctionnement de la cour devienne plus complexe et spécialisé26. Y a-t-il en outre un ou plusieurs officiaux à Bourges ? Les mentions portées sur les actes des XIIe et XIIIe siècles entretiennent une certaine confusion en évoquant tour à tour l’official de la cour et du chapitre, l’official du chapitre, l’official du doyen, voire l’official du doyen et du chapitre27. La qualité de notre corpus ne permet pas d’en savoir plus sur ces distinctions28. On a également recours à un vices gerens officialis, témoignant de la ramification de l’institution29. Dans le même temps, la fonction devient aussi plus anonyme : si l’on peut par exemple suivre, fin XIIe-début XIIIe siècle, l’activité d’officiaux tels Gui ou Pierre de Vic, ce genre d’enquête n’est plus possible quelques décennies plus tard, les actes de l’officialité devenant formels et stéréotypés30.
9Ces détails rassemblés permettent de saisir les contours d’une cour archiépiscopale à laquelle quelques textes font d’ailleurs explicitement référence. C’est ici que l’on reçoit les plaintes et que l’on s’efforce d’attirer les défendeurs. Au début du XIIe siècle sous le pontificat de Léger, même si les textes sont trop imprécis encore pour reconnaître physiquement le lieu de la justice dans la cité de Bourges, les termes nouveaux apparaissent dans la documentation. Le prieur de la Chapelle-Aude vient à la « domus » de l’archevêque pour se plaindre des pressions exercées par le seigneur Humbaud de Huriel. Léger ordonne alors à ce dernier de se rendre à Bourges, « ad judicium » ; sans succès d’ailleurs car l’archevêque meurt sans avoir pu le faire venir, même à coups d’excommunication31. Le lieu de l’audience paraît encore très variable : en 1112, Léger tient une audience in capitulo Sancti Ursini. Ce chapitre, dont la titulature même entretient le souvenir du premier évêque de Bourges, est depuis sa création au Xe siècle lié de diverses façons à la cathédrale32. La charge symbolique est remarquable. Le chapitre Saint-Etienne peut aussi servir de cadre, comme nous l’avons vu plus haut. En 1113, jugement est rendu « in curia Leodegarii Bituricensis archiepiscopi, et in capitulo Sancti Stephani »33. Dans un autre document de 1117, l’archevêque rend cette fois-ci une décision « in camera nostra Bituricis », sans précision sur le bâtiment en question cette fois-ci34. En l’état de la documentation, il est difficile d’en savoir plus sur ces aspects d’ordre matériel. Cette discrétion peut certes s’expliquer par la faiblesse des sources mais aussi parce que la justice archiépiscopale s’affirme encore de différentes manières en dehors même de la ville de Bourges où les concurrences sont de toutes façons nombreuses. L’intérêt en cause joue également.
II - Bourges, siège de la justice épiscopale ?
10La justice épiscopale finit-elle par se sédentariser à Bourges même ? Les témoignages sont de deux sortes ; Il peut y avoir un intérêt à faire de Bourges le siège de la justice archiépiscopale, pour l’archevêque lui-même ou pour ceux faisant appel à lui, magnifiant au passage son rôle. Il faut toutefois faire état de la réalité du terrain.
11Rendre justice à Bourges peut avoir un sens politique et les symboles sont importants. Notons d’abord que le rythme judiciaire se cale sur les temps forts du diocèse et son calendrier liturgique : s’il est classique de demander aux parties au procès de se présenter devant l’archevêque au synode de Pentecôte35, servent aussi de repères, dès la fin du XIe siècle, les fêtes des grands saints tutélaires de Bourges : Etienne, patron de la cathédrale, Sulpice mais aussi Ursin, premier évêque berruyer. Ces souvenirs sont ravivés précisément au moment où s’affirment les prétentions primatiales sur l’Aquitaine avec une certaine défiance à l’égard de Bordeaux36. Au cours du XIIe siècle, les revendications de l’archevêque de Bourges, soutenu par le roi de France, sont en effet plus évidentes. Il s’agit, pour des raisons stratégiques, de confirmer Bourges dans sa position de capitale tant ecclésiastique que politique : le contrôle de cette cité permet à la royauté de se maintenir en Aquitaine et de contenir l’influence du duc. Dès lors, faire de Bourges également une capitale judiciaire peut renforcer ce prestige. On garde ainsi le souvenir de quelques coups d’éclats, dès le XIe siècle. En 1024, la consécration de l’évêque de Limoges, (pourtant suffragant du métropolitain de Bourges) par l’archevêque de Bordeaux fournit un bon exemple rapporté par Adémar de Chabannes dans sa chronique. A la suite d’un concile parisien tenu la même année en présence du roi Robert, l’archevêque de Bourges Gauzlin, en réponse à cette consécration, excommunia tout le Limousin, excepté le monastère de Saint-Martial de Limoges, et suspendit Jourdain, le favori ducal choisi comme évêque37. Non sans malice, le narrateur glisse que Gauzlin se serait dans cette affaire discrédité en réclamant une somme d’argent pour la consécration ; pour cela, Jourdain aurait pu, selon lui, se rendre en cour de Rome pour obtenir justice et la levée de l’excommunication ; option que l’évêque de Limoges écarte finalement pour obéir à Gauzlin et se rendre à la cathédrale de Bourges, nu-pieds tout comme la centaine de clercs l’accompagnant38… Au-delà de l’aspect spectaculaire, le rapport de l’événement, avéré ou non, tend à souligner la compétence de l’archevêque sur l’ensemble de la province, sa capacité à jeter l’interdit sur tout un territoire, mais aussi la volonté de faire du siège de Bourges le lieu de la justice métropolitaine, d’où l’on peut défaire les liens de l’anathème.
12D’autres cas nous montrent cependant que cette volonté de centralisation est anecdotique et cède devant des contraintes locales fortes. Près d’un demi-siècle plus tard, Pierre de la Châtre (1141-1171), en dépit du renforcement des structures ecclésiastiques, connaît quelques difficultés. Un conflit prenant à nouveau place en Limousin montre que ses prétentions primatiales butent sur la force des réseaux locaux. L’affaire en question oppose à partir de 1147 les clercs de Saint-Yrieix à ceux de l’abbaye de Solignac. Elle nous est connue par un dossier constitué d’une trentaine de pièces rassemblées au XIIe siècle sous forme d’un rouleau39. Ce litige portant à l’origine sur la possession litigieuse d’une église au détriment de l’abbaye de Solignac, implique, au gré des liens de parenté et de féodalité, un nombre impressionnant de protagonistes, dont l’archevêque de Bourges. Il est le dernier recours pour l’abbé de Solignac qui, devant l’incapacité de l’évêque de Limoges à faire respecter ses droits, se rend alors à plusieurs reprises à la cour de Pierre de la Châtre40. Depuis Bourges, ce dernier convoque les différentes parties qui se présentent devant lui accompagnés d’avocats. Il met également à contribution non seulement l’évêque de Limoges pour qu’il relaie ses convocations, mais aussi les archiprêtres du Limousin pour qu’ils publient dans leurs archiprêtrés les décisions d’excommunication et appliquent ses ordres41. Les efforts de Pierre sont cependant bridés par l’éloignement et plus encore par la force des solidarités obligeant l’archevêque de Bourges lui-même : il est d’une part l’ami de l’évêque de Limoges Géraud, mais aussi le parent de Bernard, doyen de Saint-Yrieix contre lequel sont dirigées la plupart des plaintes de Solignac42 ! Cette situation l’incite donc à privilégier, tant qu’il le peut la négociation, conseillant par exemple à l’évêque de Limoges de trouver un accord « pro compositione pacis », entre l’abbé de Solignac et l’un des spoliateurs, Hugues de Jaugnac43. Finalement, ce litige finit par se résoudre par la disparition des principaux protagonistes, au-delà de 1161, bien loin de Bourges…
13Tout est donc affaire de circonstances politiques, comme nous le montre la réaction du même Pierre de la Châtre dans deux autres affaires contemporaines de la précédente : cette fois-ci, l’archevêque semble bien décidé à faire de sa cité une capitale judiciaire. Sa démarche n’est pas neutre et le contexte différent.
14La première affaire concerne un seigneur du nord-est du diocèse, Renaud de Montfaucon dont la versatilité politique à l’égard du roi inquiète Suger. L’abbé de Saint-Denis profite alors de la plainte d’un des vassaux de Renaud pour le convoquer devant la cour du roi et ordonner aux sergents de Bourges de l’arrêter. Pierre de la Châtre intervient alors, objectant que Renaud ne peut être tiré hors des frontières du Berry, conformément aux coutumes locales. Selon l’archevêque, Renaud doit être jugé à Bourges même et demande à Suger de retarder le procès ou de le renvoyer devant une assemblée de chevaliers et officiers du roi, à Bourges. De son côté, écrivant aussi à Suger, Renaud évoque les mêmes arguments, ajoutant qu’il est prêt à comparaître au palais royal de Bourges ou bien devant l’archevêque44. Dans cette dernière précision on peut d’ailleurs apprécier ici l’équivalence des compétences royales et épiscopales. Ce cas est assez proche d’une autre affaire dans laquelle Pierre de la Châtre adresse une requête similaire au roi, lui réclamant cette fois-ci d’instruire le cas d’un certain Jouvenet et de son fils à la curia regis, à Bourges, ou lorsque le roi viendra à Bourges45. Importe-t-il donc à Pierre de la Châtre de faire de Bourges, le siège de la justice, de toute justice d’ailleurs ? Il faut se souvenir du parcours de cet archevêque qui doit son élection au soutien de l’aristocratie locale, choisi en 1141 par le chapitre cathédral contre le candidat royal Cadurc46. Bien qu’ayant accordé la licentia eligendi aux chanoines du chapitre cathédral, Louis VII leur avait défendu de nommer Pierre… Ce dernier s’en plaignit devant le pape Innocent II qui reprocha au roi d’être « un enfant qu’il fallait former et empêcher d’accoutumer à de telles actions ». Pour mettre fin à l’interdit jeté sur lui, Louis VII céda finalement47. En réclamant que justice soit rendue intra muros, l’archevêque agit peut-être avec autant de sincérité à l’égard de la coutume et de l’aristocratie locale que de défiance à l’égard de la royauté… Passée cette période difficile, Pierre de la Châtre sert cependant loyalement les intérêts du roi en Berry48.
15On peut regretter que ces épisodes n’offrent qu’un trop bref éclairage du fonctionnement des institutions judiciaires de la cité au milieu du XIIe siècle. Les exemples manquent ensuite pour confirmer cette tendance engagée par Pierre, tout de même très circonstanciée. Mais il faut aussi convenir que d’autres modes de résolutions existent, voire, sont favorisés. Même lorsque demandeurs et défendeurs se présentent au judicium, devant l’archevêque, avec avocats, témoins et preuves écrites, jusqu’au bout la possibilité d’une négociation permettant d’abréger la procédure est offerte49. De nombreuses transactions apaisant les contestations portant sur les dîmes, les terres ou les hommes témoignent de cette diversité de solutions50. Qu’elles prennent la forme de donations, d’échanges ou de ventes, toutes participent de la gestion par l’archevêque de rapports de force dont les textes ne rapportent souvent qu’un épisode. Beaucoup d’autres restent dans l’ombre, nos sources étant le résultat d’une mémoire sélective.
16La justice épiscopale garde en outre une nécessaire itinérance afin de composer avec les équilibres locaux ; le concile ou le synode paraît alors plus adapté soit pour désamorcer rapidement un conflit en rassemblant les parties à l’occasion de la visite de l’archevêque, soit pour organiser un judicium et assurer ainsi une bonne publicité à la décision, en présence de toutes les autorités locales. Les exemples sont plus nombreux à partir du XIIe siècle lorsque chapitres et monastères se lancent dans la réalisation de cartulaires utiles à la défense de leurs intérêts et de leur patrimoine. On peut alors chercher à valoriser, au moment de garder mémoire du litige, le rôle du prélat dans la restauration de l’équilibre et de la justice51. Les moines du prieuré de la Chapelle-Aude52 ont ainsi forgé et glissé plusieurs actes royaux et archiépiscopaux dans leur cartulaire pour défendre leurs positions territoriales contre les prétentions des seigneurs locaux et des communautés voisines53. C’est dans ce but que les faussaires mettent à contribution l’archevêque Richard II (1071- 1093), post mortem. Les sources monastiques du début du XIIe siècle véhiculent l’image d’un grégorien intransigeant, respectueux de la législation romaine54. D’autres encore théâtralisent ses colères. On rapporte ainsi qu’au moment de consacrer l’autel de l’église paroissiale de Viplaix, Richard II réalise sur place ( !) que l’église est entre les mains de laïcs, dépose son étole et refuse de procéder à la consécration tant que les laïcs ne renonceront pas publiquement à l’église et aux oblations55… Dans cet acte, le fait que Richard II s’exprime à la première personne, renforce un peu plus l’effet. Le document est faux mais il est probable qu’il reprend des éléments authentiques : la restitution ici mise en scène a vraisemblablement lieu à l’occasion d’un concile qu’au détour d’une phrase l’auteur de l’acte indique sans que cela n’apporte de plus-value à sa forgerie. Le coup d’éclat de l’archevêque semble plaqué a posteriori sur la tenue d’une assemblée prévue pour connaître du cas de cette église et sans doute d’autres affaires encore que le scribe ne rapporte pas ici, concentré sur son but. En présence de l’archidiacre, de l’archiprêtre et d’un grand nombre de clercs et de laïcs, Richard II attribue donc « ex parte dei, ex parte Sancti Stephani, et ex nostra auctoritate, nostra archiepiscopali virga » l’église au prieur de la Chapelle-Aude56. D’autres actes du cartulaire de La Chapelle-Aude nous donnent indirectement quelques précisions sur les étapes de cette justice ambulatoire57. Le concile, au cours duquel une grande variété de causes sont traitées, reste jusqu’au XIIe siècle le cadre classique de la gestion des conflits effectuée par étape. Ce procédé est plus adapté à un jeu social complexe. Il s’agit d’une justice au long cours. Richard II doit convoquer trois fois un certain Geoffroi, archiprêtre de Saint-Désiré58 qui selon les moines du prieuré de la Chapelle-Aude spoliait leurs biens ; longtemps après la prononciation de son excommunication, le clerc consent enfin à comparaître devant l’archevêque, sur le conseil de ses proches59. L’archevêque Léger connaît les mêmes difficultés, concernant le même établissement : trois, quatre fois les auteurs de troubles sont convoqués au synode pour s’expliquer devant Léger60. Doit-on conclure au manque d’efficacité de l’archevêque ? En fait, la résistance (réelle ou non) soulignée par l’auteur rend la restitution plus remarquable encore, même si le texte dissimule ce que le dit spoliateur et sa famille ont certainement obtenu en contrepartie. Il n’empêche, le prieuré jouit désormais sur ces biens, au terme d’une lutte longue et acharnée, d’une indubitable légitimité offerte par le soutien régulier de l’archevêque. Les différents synodes ou conciles en auront donné le rythme.
17Au sein de Bourges, les compétences de l’archevêque ne sont par ailleurs pas exclusives. D’une part la justice royale connaît de plus en plus souvent de causes ecclésiastiques, d’autre part Rome exerce une autorité croissante sur les affaires du diocèse61. L’archevêque n’est évidemment pas à Bourges le seul justicier et l’exercice de sa compétence juridictionnelle paraît désormais bornée de tous côtés. Un privilège accordé en 1145 par Louis VII aux chanoines de Saint-Outrille, chapitre situé intra muros non loin de la cathédrale apporte une première et sérieuse limite. Tous les ans, durant une période appelée « seizaine de mai » allant du 16 au 23 mai, Saint-Outrille disposait de la haute et de la basse justice sur toute la ville et ses faubourgs. À cet effet, un sergent était nommé pour remplacer les agents royaux dans leurs fonctions. Pendant ce laps de temps, personne ne pouvait intervenir : ni les hommes du roi, ni l’official. Les avantages consentis par le roi sont considérables à l’égard d’une communauté qui obtint déjà en 1132 les faveurs royales quand Louis VI accordait aux chanoines un rang particulier au sein de la cathédrale62. Peut-on comprendre la seizaine de mai comme une sorte de revanche sur l’archevêché et le chapitre cathédral en choisissant de privilégier une communauté située à proximité ? Il faut rappeler que Louis VII n’a pu imposer son favori à Bourges, Cadurc, cédant devant la résistance du chapitre cathédral qui élit finalement Pierre de la Châtre. En favorisant spécifiquement le chapitre Saint-Outrille, le roi introduisait pour un temps une limite certes aux pouvoirs des agents royaux mais aussi à l’autorité de l’ordinaire et du chapitre Saint-Etienne. Ce dernier va toutefois bénéficier en 1175 à son tour d’un privilège de juridiction donné par Philippe Auguste sur l’ensemble du cloître et de ses habitants. L’acte royal vient sans doute entériner une situation acquise depuis plusieurs années en proclamant que la justice du cloître s’exerce sur tout un quartier désormais fortifié, environnant la cathédrale et dans lequel vivent certes des chanoines mais aussi des laïcs. Par ailleurs, ceux qui viendront s’y réfugier dépendront de cette justice63. Cette étape vient en fait confirmer ce que nous percevions plus haut, à savoir une progressive concurrence dans l’entourage proche de l’archevêque. Fin XIIe siècle, la justice épiscopale doit certes partager un terrain de plus en plus morcelé ; mais en fin de compte, les exemples cités dans cette première enquête montrent que la pratique judiciaire de l’archevêque dépasse largement Bourges et les audiences de sa cour pour s’inscrire dans le temps et dans l’espace du diocèse tout entier.
Notes de bas de page
1 Un processus débuté par la milice de paix de 1038 sous l’impulsion de l’archevêque Aimon de Bourbon, et poursuivie au cours des XIIe et XIIIe siècles par des rappels à la trêve et les mises en œuvres de la commune, orchestrées par l’archevêque. Un acte de 1228 établit de façon claire le serment prêté par toute l’aristocratie berrichonne au prélat de Bourges. Cf.G. DEVAILLY, Le Berry du Xe au XIIIe siècle, Paris, 1973, p. 490, rappelant les travaux d’A. VERMEESCH, Essai sur les origines et la signification de la commune au nord de la France (XIe et XIIe siècles), Heule, 1966, p. 43 et s. ; A. Vermeesch propose p. 44, une traduction du texte de 1228 contenu dans le cartulaire de l’archevêché de Bourges (Archives départementales du Cher, 1 G 2, n° 546, p. 141-142).
2 Sur la place de l’évêque dans ces rapports sociaux, cf. L. JEGOU, L’évêque juge de paix. L’autorité épiscopale et le règlement des conflits entre Loire et Elbe (milieu VIIIe-milieu XIe siècle), Turnout, 2011.
3 Sur ce vraisemblable glissement des compétences, nous nous permettons de renvoyer à nos travaux précédents : J. PERICARD, Ecclesia Bituricensis. Le diocèse de Bourges des origines à la réforme grégorienne, Clermont-Ferrand, 2006, p. 88-91.
4 D’après André de FLEURY, auteur des Miracles de saint Benoît, Aimon demande à tous ses diocésains âgés de plus quinze ans de prêter un serment de paix ; en tant que métropolitain, il enjoint ses comprovinciaux à en faire autant. Pour le texte du serment, sa traduction et son analyse, cf. A. VERMEESCH, op. cit., p. 29-30. L’épisode prête encore à controverse : D. BARTHELEMY, L’an mil et la paix de Dieu, La France chrétienne et féodale, 980-1160, Paris, 1999, p. 413 et s.
5 Cartulaire de l’archevêché, p. 38. Lettre citée et traduite par A. VERMEESCH, op. cit., p. 42. Trêve et Commune sont également reconnues par la royauté ; le cartulaire de l’archevêché contient également des diplômes de Louis VIII et Louis IX reconnaissant cette commune, tout en en précisant ses limites (Cartulaire de l’archevêché, p. 39 et 134-135). Des actes de 1228 et de 1261 permettent de connaître la teneur de l’engagement (Cart. Arch., p. 142 et p. 54-70).
6 Cartulaire de l’archevêché de Bourges, n° 633. Cf. G. DEVAILLY, p. 491-492.
7 Patrologie latine, t. 162, lettre 180, col. 181-182 : « Quod ideo suggero sanctitati vestrae, quis audivi quosdam parochianos vestros submurmurantes, vos ita esse obligatum cum quibusdam parochianis vestris, ut nisi eorum consensu justitiam intendere vel remittere non valeatis ».
8 Ibid. : « unde nuper contigit ut audivimus, dura eorum obstinatione, causam Arnulfi Virsionensis in curia vestra esse exasperatam, ut in eadem causa facto judicio sedes apostolica sit appellata, et finitiva ejusdem causae sententia usque ad apostolicam audientiam sit dilata. Quod quanta sit vexatio, quanta rerum expensa, quam incertus negotiorum exitus, tam experimento in vestris negotiis didicistis, quam ex aliorum causis audistis. Consilium ergo quod per quosdam pacis amatores didici, necessarium vobis scribere existimavi, videlicet ut per Radulfum Belgeiacensem aliquando prolixas inducias detis praetaxato Arnulfo, non de minoranda justitia ecclesiastica, sed tantummodo de non ducenda super eum com communia. Interim autem sicut dixit praetaxatus Radulfus eo mediante inter Arnulfum et ejus adversarios pax reformabitur, et justitia in nullo periclitabitur et appellatio quae in curia vestra facta est, sine vestra vel vestrorum vexatione ad nihilum redigetur ».
9 Cf. J. GAUDEMET, L’Eglise et la cité, p. 192. Pour des exemples relevés plus récemment, cf. P. GANIVET, Recherches sur l’évolution des pouvoirs dans les pays lyonnais de l’époque carolingienne aux lendemains de l’an mil, Clermont-Ferrand, 2000, p. 238 ; L. GRIMALDI, Le Viennois du monde carolingien au début des temps féodaux (fin du IXe-XIe s.). Evolution institutionnelle et sociale, Clermont-Ferrand, 2002, p. 197 et s.
10 Sur cette position, cf. G. DEVAILLY, op. cit., passim.
11 Cf. J. AVRIL, « La participation du clergé diocésain aux décisions épiscopales », M. PARISSE (dir.), A propos des actes d’évêques. Hommage à Lucie Fossier, Nancy, 1991, p. 251-263, citant notamment les Statuta Ecclesiae antiqua.
12 J. GAUDEMET, Eglise et cité, histoire du droit canonique, Paris, 1994, p. 192, remarquant cette collégialité au haut Moyen Âge et, dans plusieurs cas, la fonction juridictionnelle de l’archidiacre. Cf. J.-F. LEMARIGNIER, J. GAUDEMET, G. MOLLAT, Histoire des institutions françaises au Moyen Âge, t. 3, Institutions ecclésiastiques, Paris, 1962, p. 257 et s. Plus récemment, P. GANIVET, op. cit., p. 254, révèle à Lyon le rôle joué à partir du IXe siècle par le prévôt du chapitre, présidant parfois le tribunal épiscopal en l’absence de l’évêque.
13 L. BUHOT de KERSERS, « Essai de reconstitution du cartulaire A de l’abbaye de Saint-Sulpice de Bourges », dans Mémoires de la Société des Antiquaires du Centre, t. 35, 1912, p. 5-350, n° 10 : « Et ut stabilirentur dignum esse judicavimus, reddentes et clementer consentientes favente omni clero congregationis Sancti Stephani nostreque concordante bone voluntati. ».
14 Sur ces rapports et le parcours de ces hommes, cf. J. PERICARD, op. cit., p. 102 et s.
15 L. BUHOT de KERSERS, op. cit., n° 9.
16 M. PROU, A. VIDIER (éd.), Recueil des chartes de Saint-Benoît-sur-Loire, t. 2, n° 111, 1112 : « Retulit quoque memorata carta a domino Mattheo precentore sancti Stephani et a Letardo archidiacono et quampluribus aliis sapientibus sancto Benedicto suum jus adjudicatum esse ». Ce chantre est encore présent lors du jugement de Léger : Mathieu « qui tunc in judicio assistebat ».
17 J. PERICARD, op. cit., p. 111.
18 E. HUBERT, « Recueil historique des chartes intéressant le département de l’Indre (VIe-XIe siècles) », Revue archéologique, historique et scientifique du Berry, 1899, p. 81-272, n° 68.
19 En 1145 le chapitre Saint-Etienne obtient le droit exclusif d’élire l’archevêque. Cf. G. DEVAILLY, op. cit., p. 485. Autre signe d’indépendance : l’utilisation d’un sceau distinct, mentionné dès 1123 (L. BUHOT de KERSERS, op. cit., n° 67).
20 M.-A. CHAZAUD, op. cit., Fragments du cartulaire de la Chapelle-Aude, Moulins, 1860, n° 70, 1113 : « Omnibus tam prasentibus quam posteris, notum fieri scripturae tradendo obtamus, super Vippliacensi ecclesia, in curia Leodegarii Bituricensis archiepiscopi et in capitulo Sancti Stephani judicium factum ».
21 J. THILLIER, E. JARRY (éd.), Cartulaire de Sainte-Croix d’Orléans (814-1300), Paris, 1906, n° 381 : « Si autem tu, frater archiepiscope, his interesse non poteris, vos, filii canonici, hec nichilominus exsequamini ».
22 Cf. P. FOURNIER, Les officialités au Moyen Âge. Etude sur l’organisation, la compétence et la procédure des tribunaux ecclésiastiques ordinaires en France de 1180 à 1328, Paris, 1880, réimp. 1984 ; A. LEFEBVRE-TEILLARD, Les officialités à la veille du concile de Trente, Paris, 1973.
23 Archives départementales du Cher, 2 G 9 -25. Les archives de l’officialité sont beaucoup plus importantes pour les XVIIe et XVIIIe siècles. Sur l’activité gracieuse de l’officialité, cf. F. LOT et R. FAWTIER (dir.), Histoire des institutions françaises au Moyen Âge ; t. 3, J.-F. LEMARIGNIER, J. GAUDEMET, G. MOLLAT, Institutions ecclésiastiques, Paris, 1962, p. 261.
24 P. FOURNIER, op. cit., p. 66, donnant la date somme tout assez proche de 1209.
25 Cf. édition établie par L. de RAYNAL, Histoire du Berry, t. 2, Bourges-Paris, 1844, p. 532 (utilisant un acte provenant du cartulaire du château, 8G 1460, XIIIe-XIVe s) : « Inter universa que regalis altitudo disponit, ecclesiam Dei precipue debet intencione protegere juraque ipsius intermerata servare. Proinde notum facimus universis et presentibus pariter et futuris, quod canonicis Beati Austregisili Bituricensis feriam que in festivitate ejusdem Sancti mense Maio, XIII° kal. Junii, pers dies septem, ipso videlicet festivitatis die tribusque precedentibus et subsequentibus tribus annisque singulis celebratur, et justicias ad integrum et consuetudines duplices in ipsa feria et in portis civitatis et omnium suburbiorum, sicut ex dono predecessorum nostrorum usque ad tempora nostra possederant, ita deinceps in perpetuum habendam absque omni diminucione vel immutacione consuetudinis concedimus, confirmamus. Decernimus eciam, ut nullus omnino vel causatorum nostrorum vel officialium in hiis que pretaxavimus ullatenus manum extendat, nec aliquibus vexacionibus prefatos in eodem canonicos vel inquietare vel pertubare presumat ».
26 A la même période, durant le XIIe siècle, se met en place et s’active une chancellerie archiépiscopale. Sur son apparition, cf. R. GANDILHON, Catalogue des actes des archevêques de Bourges antérieurs à l’an 1200, Bourges-Paris, 1927, introduction, p. XC et s.
27 Cf. M. PROU, A. VIDIER (éd.), Recueil des chartes de Saint-Benoît-sur-Loire, Paris, 1900-1903, t. 2, n° 486, 1235.
28 Outre les mentions éparses (notamment celles tirées des chartes de Saint-Benoît-sur-Loire), nos informations proviennent essentiellement du fonds des vicaires de Saint-Etienne (Archives Départementales du Cher, 9 G 1). Or celui-ci fut très abîmé par les flammes lors d’un incendie des archives au XIXe siècle.
29 M. PROU, A. VIDIER (éd.), Recueil des chartes de Saint-Benoît-sur-Loire, t. 2, n° 341, 1217 : « magister Joannes de Osannes, vices gerens officialis curie Bituricensis ». L’acte n° 472 (1232) de ce cartulaire témoigne d’un « vices gerens officialis decani et capituli ».
30 Dès le tout début du XIIIe siècle, des actes anonymes sont produits par l’officialité, témoignent d’une activité abondante mais en matière d’enregistrement essentiellement. En 1216, il est simplement dit que le magister officialis curie Bituricensis, déclare, dans une affaire concernant le patrimoine de Saint-Benoît-sur-Loire, avoir reçu acceptation des parties d’une sentence arbitrale prononcée par l’abbé de Sainte-Colombe de Sens (M. PROU, A. VIDIER (éd.), Recueil des chartes de Saint-Benoît-sur-Loire, t. 2, n° 335). Les biens en question se trouvant dans le diocèse de Bourges, on comprend ce recours (très formel) à l’officialité de Bourges.
31 Son successeur Vulgrin y parvient finalement. Une charte unique rapporte ces différents épisodes décrits dans un seul document du XIIe siècle (CHA, 38).
32 M. PROU, A. VIDIER (éd.), Recueil des chartes de Saint-Benoît-sur-Loire, n° 111, 1112. Cf. J. PERICARD, « Les communautés canoniales en Berry. L’exemple des chapitres Saint-Ursin et Saint-Outrille (XIe-XVIIIe siècle) » ; A. MASSONI (dir.), Collégiales et chanoines dans le Centre de la France du Moyen Age à la Révolution, Limoges, 2010, p. 57-80.
33 M.-A. CHAZAUD, n° 70.
34 Il s’agit d’un acte favorable aux chanoines d’Evaux. Cf. E. PEYNOT (éd.), La Combraille, Guéret, 1931, n° 8.
35 M.-A. CHAZAUD, op. cit., n° 85.
36 Sur la notion de primatie, cf. F. DELIVRE, L’évêque du premier siège, la papauté et l’office de primat-patriarche dans l’Occident médiéval (fin XIe - début XVIe siècle), Paris, 2006 ; « Aux fondements de la juridiction du primat-patriarche de Bourges dans la province ecclésiastique de Narbonne : genèse, transmission et usages d’une lettre interpolée du pape Nicolas Ier (XIe-XVe siècle) », dans Les justices d’Église dans le Midi (XIe-XVe siècle), 42e Colloque de Fanjeaux, Toulouse, 2007, p. 401 – 447.
37 Mansi, t. 19, col. 391, 413, 321.
38 Adémar de CHABANNES, Chronicon, III, c. 57, éd. R. Landes, G. Pon, p. 178 : « Archiepiscopus vero Bituricensis Gauzlenus, ad cujus diocesim Lemovica pertinet, qui pecuniam requirebat pro impositione manuum, contemptus est et quia sine sua auctoritate consecratus est episcopus, facta sinodo in Francia coram rege Rotberto, ubi septem archiepiscopi adfuerunt, die Pentecostes, cum sufraganeis episcopis, totum Lemovicinum excommunicavit, preter locum Sancti Martialis et que proprie ad eum pertinebant, ipsumque prohibuit ab officio suo episcopum. Qui cum racionem reddere posset et sese purgare a culpa, si vellet, coram papam Romano, scilicet contempsisse archiepiscopum proprium causa simoniaca, tamen satisfaciens, nudis pedibus, cum centum clericis et monachis, omnibus similiter discalciatis pedibus, Bituricam sedem adiit, ubi archiepiscopus cum clero eis processit obviam et honorifice eos deducens, quod ligaverat absolvit ». L’évêque de Limoges précédent, Girard (1014-1022) fut également consacré par l’archevêque de Bordeaux qui profita de la vacance du siège de Bourges. Cf. J. BECQUET, « Les évêques de Limoges aux Xe, XIe, XIIe siècles », Bulletin de la société archéologique et historique du Limousin, t. 105, 1978, p. 79-91.
39 Archives départementales de la Haute-Vienne, 6 H 142. Cf. P. MOREL, « Un conflit ecclésiastique et féodal au XIIe siècle : la tutelle d’Adémar V, vicomte de Limoges », dans Bulletin de la société archéologique et historique du Limousin, 1950, p. 156-183. L’auteur s’appuie sur l’édition faite de ce document par A. LEROUX, A. BOSVIEUX, Chartes, Chroniques et mémoriaux pour servir à l’histoire de la Marche et du Limousin, Tulle, 1886, p. 31-49.
40 « Quarto vel amplius », comme le rappelle Pierre de la Châtre (A. LEROUX, op. cit., p. 42). Dans une autre lettre, Pierre de la Châtre reproche à son suffragant son inertie à l’égard des fauteurs de troubles et lui demande de les « déclarer excommuniés publiquement dans vos synodes et de [les] maintenir excommuniés jusqu’à ce qu’ils aient restitué à l’abbé ce qu’ils ont pris et aient donné une juste satisfaction de leur sacrilège, aussi bien ceux qui ont emprisonné et rançonné les hommes de l’abbé, que ceux qui se sont emparés par la violence de l’église d’Ayen et ceux qui les ont favorisés […]. Quant aux clercs qui ont pris part à cette attaque ou qui ont conseillé de l’exécuter, privez-les de leurs bénéfices et rendez la justice en cette affaire de telle façon que l’abbé ne soit plus obligé de revenir auprès de nous pour un défaut de justice [pro defectu juticie] » (éd. A. LEROUX, op. cit., p. 43 ; trad. P. MOREL, art. cit., p. 165).
41 Dans un autre document, l’abbé de Solignac Gérald de Terrasson se tourne à nouveau vers l’archevêque de Bourges pour lui demander cette fois-ci d’agir avec moins de sévérité à l’égard de son suffragant (cf. LEROUX p. 37 (n° 33) : selon lui, les mesures d’interdiction et d’excommunication pousseraient en fait les fauteurs de troubles à d’autres types de vexations. En somme, l’abbé reproche à l’archevêque un certain manque de discernement dans l’exercice de sa justice.
42 Parenté rappelée dans un lettre de l’archevêque à Bernard (A. LEROUX, op. cit., p. 45). Ce dernier est par ailleurs oncle du vicomte de Limoges, également concerné par cette affaire (cf. P. MOREL, art. cit., p. 168).
43 A. LEROUX, op. cit., n° 26, p. 33.
44 Recueil des Historiens de la France, t. 15, p. 502 et 703 (1148).
45 Ibid., p. 703 (1148). Cf. G. DEVAILLY, op. cit., p. 387. Il est vrai que Louis VII y fait très souvent étape entre 1137 et 1179, parfois tous les ans (A. LUCHAIRE, Etude sur les actes de Louis VII, 1885, Paris, p. 62-68).
46 Cadurc, clerc originaire du Berry, chancelier du roi, à défaut de devenir archevêque, finit par être chanoine de Saint-Etienne, archidiacre de Bourges, doyen de Saint-Aignan d’Orléans, doyen du chapitre de Montermoyen, prieur du chapitre de Saint-Ursin et abbé de Saint-Sulpice… Sur le contexte, cf. M. PACAUT, Louis VII et son royaume, Paris, 1964, p. 43, 68, 94 et s. ; G. DEVAILLY, op. cit., p. 402 et s.
47 Cf. M. PACAUT, op. cit., p. 96.
48 Comme en témoigne sa correspondance. Cf. R. GANDILHON, op. cit. n° 177 et s.
49 Cf. M.-A. CHAZAUD, n° 17. L’acte est certes un faux du XIIe siècle, son auteur décrivant une scène censée se dérouler quelques décennies plus tôt fin XIe siècle (cf. C. Van de Kieft, Etude sur chartrier et la seigneurie du prieuré de la Chapelle-Aude, XIe-XIIe siècles, Amsterdam, 1960. op. cit., passim). Le document est cependant intéressant pour ses allusions à cette possibilité constante de négociation en cours de procès, après avoir écouté les témoignages et les preuves écrites, en l’occurrence de faux diplômes royaux et de faux actes archiépiscopaux ( !) : « Auditis igitur amborum rationibus, archiepiscopus et ceteri proceres qui intererant judicio, interrogaverunt utrumque, priorem scilicet et Hunbaldum, si vellent ex suis rationibus fieri judicium ». On remarque ici le double sens de judicium. La seconde occurrence désigne-t-elle une seconde phase, par exemple un recours au jugement de Dieu auquel finalement le défendeur refuse de se soumettre, préférant la négociation ? On se rapprocherait ainsi d’un modèle défini en Languedoc : H. DEBAX « Médiations et arbitrages dans l’aristocratie languedocienne aux XIe et XIIe siècles » Actes des congrès de la Société des historiens médiévistes de l’enseignement supérieur public. Le règlement des conflits au Moyen Âge. Paris, 2000, p. 135-147. Le cartulaire de la Chapelle-Aude comporte d’ailleurs des mentions d’ordalies (cf. CHAZAUD n° 44).
50 Elles parsèment le cartulaire de l’archevêché, (Archives départementales du Cher, 1G2) tout comme celui du chapitre St-Etienne (BNF n.a. lat. 1274) contenant de nombreuses interventions de l’archevêque prenant place à Bourges même.
51 Cf. P. GEARY, Mémoire et oubli à la fin du premier millénaire, Paris, 1996. Pour un remarquable exemple de réécriture de la mémoire judiciaire cf. C. SENSESY, « Pratiques judiciaires et rhétorique monastique à la lumière de notices ligériennes (fin XIe siècle) », Revue historique t. 629, 2004, p. 3-47.
52 Aujourd’hui La Chapelaude, Allier, ar. Montluçon, c. Huriel.
53 Sur les faux de la Chapelle-Aude et leur analyse, cf. C. Van de KIEFT, op. cit.
54 Un acte de 1110 (authentique celui-ci et provenant d’un autre fonds, celui de Saint-Sulpice de Bourges) entretient le souvenir d’un archevêque soucieux d’appliquer la législation romaine. Cf. L. BUHOT de KERSERS, n° 55 : « Quantum in sinodis et concilis Romanae ecclesiae tam a beato Leone quam ab aliis sanctissimis viris decretum fuit, imo Dei omnipotentis et sanctorum ejus auctoritate interdictum, et maxime in his partibus nostris a domno Richardo Biturigensium archiepiscopo confirmatum, ne aliquis laicorum ecclesiam aliquam aut res ecclesiales invaderet aut invasas tenere presumeret, et si hoc quispiam faceret, extra sinum matris eclesiae teneretur quousque dimitere ». Il est toutefois bien difficile de trouver dans notre documentation un quelconque usage de cette législation. A cette date le droit canonique, ici comme dans d’autres régions, pour reprendre une conclusion de B. LEMESLE, Conflits et justice au Moyen Âge, Paris, 2008, p. 140 « n’est pas déterminant dans la résolution des conflits ».
55 Archives Nationales S 2205, n° 10 (M.-A. CHAZAUD, op. cit. n° 21).
56 « Quo perpetrato eandem aecclesiam et aliam huic adjacentem, deo et Sancto Dionisio et priori Hugoni et monachis de Capella, quibus Radulphus de Paciaco jam dederat, quod in eadem aecclesia tam intra quam extra habebat, annuente Hunbaldo Huriacensi, a quo secundum laicorum veterem consuetudinem movere aecclesia dicebatur, et Rotgerio archidiacono, et Gofffrido archipresbitero, et ceteris tam clericis quam laicis, coram quam plurimis circum astantibus, qui consecrationis causa conciliive convenerant, ex parte dei et ex parte Sancti Stephani, et ex nostra auctoritate, nostra archiespiscopali virga attribui, et aeciam de reliquiis ejusdem aecclesie quamdam partem, quam ad suam deferret aecclesiam, priori Hugoni de Capella in memoria hujus doni ego tradidi ». Dans cet acte est surtout visé surtout Raoul de Pacay qui rend l’église de Viplaix qu’il tient de Humbaud. Mais il n’est pas dit que ce dernier en abandonne finalement la propriété au profit du prieuré… L’auteur de l’acte passe cet aspect sous silence.
57 Cf. M.-A. CHAZAUD, op. cit., n° 70, 85 notamment.
58 Allier, ar. Montluçon, c. Huriel.
59 Cf. CHA, n° 23. « Archiepiscopus itaque, audiens clamorem monachorum, monuit Goffredum ministrum suum, ut faceret monachis Sancti Dyonisii rectum. Archipresbyter autem, inobediens precepto archiepiscopali noluit venire ad judicium. Monachi ergo, videntes archipresbiterum archiepiscopo inobedentiem, iterum adeuntes curiam archiepiscopalem clamaverunt se de archipresbytero. Archiepiscopus itaque, videns ministrum suum inobendientem sibi, monuit eum bis et ter ut veniret ad judicium : quo nolente venire ad judicium, necessitate judicii coactus, excommunicavit eum. Qui excommunicatus diu mansit in excommunicatione eadem. Transacto vero longo tempore, presentavit se ad judicium videns se diutius non posse resistere ».
60 M.-A. CHAZAUD, n° 70.
61 Cf. G. DEVAILLY, op. cit., p. 475 et s.
62 Arch. départ. du Cher, 8 G 1461.
63 Cartulaire du chapitre St-Etienne, p. 61 : « Hanc jam predicte ecclesie concessimus libertatem vero quicquid infra ambitum claustri continebitur salvum sic et immunem ab omni laico potestate. Similiter quisquis ad claustrum confugit ut salvetur salvus erit ». Cf. G. DEVAILLY, op. cit., p. 347 et 388.
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Université de Limoges
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