Comment peut-on prétendre que les lumières écossaises ont influencé la justice du sud de la France ?
Un exemple de circulation des idées à la fin de l’époque moderne au travers d’un cas pratique : « les moulins d’ardus à la fin du xviiie siècle »
p. 293-313
Texte intégral
1Plus l’on s’avance vers la fin de la période moderne, moins le terme de justice épiscopale n’a de sens. Peut-on cependant avec justesse parler de période de descendance de cette justice, rien n’est moins sûr. Le royaume est alors en pleine époque de réforme. En effet l’une des caractéristiques de cette fin de période moderne n’est pas l’absence de réforme, mais au contraire son extrême profusion qui, après des années d’immobilisme, présente par certains aspects un caractère anarchique. En conséquence, les profondes réformes de Turgot, brillant économiste dans ses écrits, se sont heurtées à l’incompréhension non seulement des simples citoyens, mais également de beaucoup d’hommes de pouvoir et de nombreux corps intermédiaires dont le niveau de connaissances semblait a priori, les ouvrir aux idées des lumières. Cependant dans ce mouvement qui s’emballe quelque peu, et qui finira avec le maelström révolutionnaire, certains îlots de stabilité ont pu apparaître, c’est autour de l’un d’eux que se déroulera notre étude.
2Parmi les nombreuses modifications qui se font jour alors, il est certain que la justice ecclésiastique perd de sa puissance et de sa grandeur. Dans sa forme traditionnelle, elle vit d’ailleurs ses dernières années. Ses tribunaux se réunissent de moins en moins souvent, pour des jugements de plus en plus rares et touchant de plus en plus, des affaires mineures. Cependant, et cela est un paradoxe important de cette fin du XVIIIe siècle, la place de l’Église catholique est encore prédominante dans la société. Par de multiples aspects, elle semble plus même plus importante que jamais.
3Il convient, à ce propos, d’insister sur la naissance d’une véritable force économique qui précède de peu dans notre pays la venue de l’ère industrielle. Depuis l’apparition des monastères, puis du fait de l’évolution économique qu’ils ont connue, l’Église se trouve au centre de la vie économique française. Le Languedoc, province soumise au régime des États, en est une très bonne illustration. L’influence du clergé est importante non seulement par le biais des Assemblés du Clergé mais encore par la présence de vingt-trois représentants de cet ordre lors des réunions annuelles de l’Assemblé des États. Le clergé a en charge la presque totalité des affaires économiques qui s’y traitent. Il possède en outre, la totalité des présidences de commission dans les assemblées délibératives. Son rôle ne cesse de croître avec la prégnance nouvelle de l’économie sur la société.
Les États de Haute Guyenne
4Dès lors, il est tout à fait logique que lorsque Necker cherche à réformer le royaume en créant à titre expérimental une Assemblé provinciale de Haute-Guyenne sur le territoire de l’ancienne généralité de Montauban, il se tourne vers l’évêque de Rodez pour en assurer la présidence.1 L’expression même des faits tels que nous venons de les exposer, révèle à la fois le modernisme de la situation et les troubles futurs qui vont entacher son fonctionnement. Cette nouvelle entité se veut à la fois politique et économique. Elle regroupe deux anciennes provinces, le Quercy et le Rouergue, ainsi que les trois grandes villes qui les administrent, Montauban, Cahors et Rodez. Dans un souci de rationalité, la présidence permanente, une grande nouveauté institutionnelle, siégera à Villefranche-de-Rouergue, témoignage d’une volonté politique qui se veut fondée sur l’efficacité.
5L’Assemblée qui comporte cinquante-deux membres2 se réunit tous les deux ans, entre autres pour élire la commission permanente, véritable détentrice de pouvoirs exécutifs. Elle possède, à sa tête, comme indiqué, l’évêque de Rodez. Dans un premier temps il s’agit de Jérôme Champion de Cicé (1735-1810), puis après sa nomination à Bordeaux de Charles Colbert Seignelay de Castle-Hill. Tous les deux sont des hommes des lumières, plus habitués à la fréquentation des salons parisiens qu’aux rigueurs des hivers sur les plateaux aveyronnais. Ils ne sont cependant pas à proprement parler, des évêques de cour, mais bien des hommes de terrain, pragmatiques, possédant un riche bagage intellectuel, ainsi qu’un important réseaux de connaissances.
Exposé des faits
6Dans l’arrêt d’arbitrage que nous présentons ici, il n’est donc pas étonnant que l’évêque de Rodez se retrouve en position de devoir trancher entre des protagonistes résidant dans SA province. Il ne s’agit plus pour les adversaires d’aller de nouveau devant la justice. Leur cas a, semble-t-il, été de nombreuses fois examiné par diverses cours sans que ces dernières s’estiment compétentes. L’un des protagonistes est président de la Cour des Aydes de Montauban, ce qui rend difficile le recours à la juridiction habituelle. Porter l’affaire devant une cour de justice royale parait hors de propos vu l’enjeu qui est assez modeste et sans grand intérêt pour la collectivité.
7Les parties prenantes pourraient passer pour des aristocrates plus tournés vers la chicane et l’intérêt privé que pour des personnes « au grand cœur » qui ont pour souci premier le bien des administrés qu’ils ont sous leurs responsabilités respectives. Les risques sont plus importants que les enjeux, une banale querelle de voisinage. En revanche, se tourner vers une nouvelle institution semble présenter de nombreux avantages. Comme il s’agit dans ce cas, d’une matière absolument civile, non pas liée au droit canonique, mais plus à l’économie politique qui est par essence même, une discipline qui se soucie plus de l’avenir que du passé, il semble que le recours à la commission générale et à son président, devienne alors, naturelle.
8Cette nouvelle institution cherche dans ses jeunes années, les limites de son champ de compétence. Il s’agit dans l’idée de Necker d’une expérimentation. Ce dispositif laisse plus qu’ailleurs, loin de Paris, un certain degré de liberté dans la prise en charge des affaires. Enfin, dernier argument en faveur de l’arbitrage par Colbert-Seignelay, il est le plus important personnage de la province. Il est nommé par le roi et bénéficie également d’une esquisse de reconnaissance démocratique puisque placé à la tête d’une assemblée qui compte cinquante-deux membres, votant tous de manière individuelle et nominative.
Le lieu du conflit
9Ce conflit modeste par la taille se situe dans une région bien particulière de la nouvelle province. Il s’agit d’un pays situé à l’extrême Sud-Ouest de la nouvelle entité et qui est situé à quelques dix kilomètres de la ville de Montauban3, la plus importante de la province par la taille mais également par le formidable développement économique qu’elle présente durant ces années. Plus précisément, le conflit se situe le long de la rivière Aveyron. Cette rivière présente la particularité d’être la seule à traverser d’Ouest en Est, la nouvelle province. Elle en épouse presque le centre et constitue à n’en pas douter, son arête centrale. La rivière arrose les villes de Rodez et de Villefranche-de-Rouergue, et coule à quelques kilomètres de Montauban dans une large plaine alluviale plate et fertile. Elle se jette dans le Tarn qui lui-même rejoint la Garonne à Moissac, tout cela en moins de dix kilomètres. Au XVIIIe siècle, les cours d’eaux constituent des voies de navigation et de commerce tout à fait prioritaires, principalement pour le transport des matières pondéreuses, des productions fragiles, mais aussi pour le confort des voyageurs, certains prestigieux.
10Si le souci de la nation, par la création du corps des ponts et chaussés en 1716, est de développer le transport, les voies navigables ne sont pas négligées. Bien au contraire, un homme comme Jérôme De Lalande4, songe à couvrir la France de canaux navigables. Or, au contraire, des rivières voisines du Tarn, de la Garonne, mais aussi du Lot, la rivière de l’Aveyron n’est que très partiellement navigable. Bien que son cour soit long de près de trois cents kilomètres et qu’elle possède un important bassin versant, cette rivière souffre d’un faible nombre d’affluents qui rend son débit très variable5, la rivière n’est que très partiellement navigable. Le seul aménagement réalisé en ce milieu de XVIIIe est de lui permettre d’évacuer les bois, par simple flottage, de la forêt de la Grésigne, une forêt artificielle, voulue par Jean Baptiste Colbert (1616-1683), ministre de la Marine, afin de fournir aux constructions navales, aux arsenaux de l’Atlantique, des bois de qualité (dont principalement le chêne). Cependant, toutes les tentatives de canalisation plus importantes sont jusque alors restées sans succès.
Les deux « adversaires » qui demandent un arbitrage au conflit
11Comme nous l’avons indiqué, Colbert doit porter un jugement entre les deux protagonistes qui sont aussi semblables que différents. S’ils sont tous les deux des personnes qui appartiennent à la noblesse, la fin de la période moderne est déjà révélatrice des grandes différences que l’on retrouve dans cet ordre. Une fracture entre conservateurs et libéraux qui divisent durant toute la période des lumières cet ordre, ne peut qu’aboutir à un conflit d’intérêt qui se trouvera tranché par la révolution de 1789, maintenant proche.
Le Baron de Crugy
12Le plaignant si l’on peut dire, ou plus exactement le requérant principal de l’arbitrage est le baron Melchior Crugy de Marcillac6. Il est le fils de François de Cruzy de Marcillac, baron de Sauveterre et de Jeanne de Gagés de la Bouisette, sa mère. Il est né en 1748, il est donc âgé de 35 ans environ lors de cette affaire. Il appartient à une très ancienne famille noble du Rouergue qui compte des militaires au service du roi ainsi que de nombreux ecclésiastiques de rang ordinaire.7
13Lorsqu’il n’est pas en campagne, ce qui arrive souvent durant ces années de paix relative, il séjourne dans son château de Loubéjac où il mène une vie de propriétaire terrien sur son petit domaine. Le village de Loubéjac est situé sur la rive droite de l’Aveyron dans une région vallonnée qui connaît une paix absolue depuis la fin des guerres de religions. Cependant entre les seigneurs locaux qui se partagent les riches terres de la plaine alluvionnaire, il existe en permanence des conflits locaux, sorte de « guerres picrocholines » qui n’ont pour but que de faire reconnaître leurs puissances respectives, très relatives et le renouvellement perpétuel de leurs droits antérieurs.
14La famille est connue pour être très conservatrice et peu ouverte au monde moderne comme peut en attester, à titre d’illustration, le sévère château ancestral qui domine la rivière et le modeste bourg. Pour se convaincre de ce conservatisme, il suffit de lire quelques lignes écrites par Pierre Louis Auguste de Crugy, fils aîné de Melchior, né en 1771 qui fut l’un des rares nobles locaux, à devoir émigrer lors de la révolution. Le texte est écrit quelques années plus tard, lors de son retour sur ses terres natales de Loubéjac.
15« Combien j’étais éloigné de concevoir le plaisir que j’éprouverai dix années après cette période funeste, en revoyant vos ruines seulement ; en traversant furtivement et avec crainte d’être reconnu de quelques vieux vassaux, le domaine de mes pères morcelé et devenu la propriété de ces mêmes paysans qui s’armaient volontairement, en 1789, pour défendre leur seigneur qu’ils appelaient aussi leur père, auquel ils vouaient des sentiments de reconnaissance sans fin pour les intarissables bienfaits qu’ils en recevaient. Je connaissais peu, ou même point du tout alors le cœur de l’homme ; je le croyais rempli de vertus et de nobles sentiments ? Erreurs de mon jeune âge pourquoi n’avez-vous abandonné8. »
16Ce court texte bien que postérieur à notre propos, est plein d’une certaine nostalgie. Il montre bien les idées qui sont partagées par l’ensemble des membres de la famille.
Le baron de Lamothe
17Bien que vivant à moins de dix kilomètres, toujours sur la rive droite de la même rivière, un autre aristocrate ne mène pas du tout le même type de vie. Il s’agit du seigneur d’Ardus qui a pour nom lors de l’arbitrage Joseph Duval de Lamothe, baron de Varayre (ou Varaire). Joseph Duval (1724-1791) est lui-même le fils de Francois Duval (1685-1744) qui peut être considéré comme le fondateur de la dynastie. La noblesse des Duval est récente mais François est un homme entreprenant. Outre les fonctions de président de la Cour des Aydes de Montauban, il réside durant l’été à Ardus, charmant petit village, sur la rivière Aveyron, habitant une propriété qui est acquise en 17139.
18Il aménage son domaine et fait bâtir à la place de l’ancien château moyenâgeux, une élégante maison tout à fait dans le style du XVIIIe une très élégante grande villa, ou un petit château qui est toujours visible de nos jours dans sa forme initiale. On peut noter que contrairement à son voisin, le château ne fut en rien affecté par la Révolution. Le baron fait en outre construire une chaussée qui barre totalement la rivière. Il est propriétaire à Ardus des deux rives. Cette construction permet la mise en place de deux moulins dont l’ensemble représente treize meules, un ensemble tout à fait remarquable pour la région qui est riche en céréales de toutes sortes. La chaussée est en outre, un aménagement qui permet d’endiguer la rivière et de mettre en place un bief au débit presque constant et à la profondeur connue.
19Mais l’ambitieux homme d’affaires n’arrête pas son ambition d’industriel à devenir simple meunier, en 173810, il fonde à Ardus une faïencerie. Rien ne prédispose ce lieu à la présence de ce type d’industrie nouvelle si ce n’est l’argile qui provient des collines environnantes, le sable qui vient de la plage que forme la rivière en aval du moulin, ainsi que les bois flottés, source inépuisable de combustible, qui proviennent de la forêt de la Grèsigne. Cependant, le baron Duval doit faire appel à des artisans, à leur savoir-faire, venus soit de Nevers-en-Bourgogne, soit d’Italie pour introduire les techniques que demande la mise en cuisson et la préparation des enduits. Il sera pour la petite histoire l’employeur d’un certain Gambetta, immigré Italien.
20D’une qualité assez médiocre au départ, la fabrique d’Ardus va rapidement prospérer grâce au génie d’entrepreneur de Duval. La faïencerie donnera naissance à une importante industrie qui s’installera dans la ville voisine de Montauban. Cette industrie devra sa perte à l’amélioration des moyens de transport rendant la porcelaine, matériau de meilleure qualité, venant d’Angleterre ou de Limoges, beaucoup plus compétitive. Bien qu’habile entrepreneur, le baron, suivi par son fils Joseph, durent affermer leurs activités commerciales et industrielles car les fonctions d’homme d’affaires étaient alors incompatibles avec celle de magistrat. Par ailleurs, Joseph Duval possède le titre de Baron de Varayre qui semble provenir par sa mère d’une lointaine parenté avec l’une des familles les plus importantes et célèbres du Languedoc, les familles Riquet de Bonrepos et Riquet de Caraman, qui sont pour un temps encore les heureux et riches propriétaires de l’ensemble des canaux royaux du Languedoc.
21Ainsi, les deux principaux protagonistes semblent avoir des origines, des comportements dans la vie et dans le domaine des affaires tout à fait différents. Alors que l’un est en quelque sorte un noble campagnard relativement conservateur, le second symbolise l’entrepreneur, l’aristocrate libéral des « lumières » qui se confond maintenant avec l’élite de son siècle. Cependant à cette présentation, il nous manque le personnage central c’est-à-dire l’arbitre auquel chacun des deux va remettre son avenir ou tout au moins l’avenir de son industrie.
L’arbitre : l’évêque Charles Colbert Colbert-Seignelay de Castle-Hill
22Il est né au château de Castle-Hill en 1736, sur les terres d’une très ancienne famille écossaise dont l’origine est située tout au nord du pays, proche du triste site de Culloden11, tout proche de la ville d’Inverness, elle-même située à l’extrémité nord-est, devenue célèbre auprès des touristes du monde entier, pour la célèbre présence, certes hypothétique, du fameux monstre du Loch Ness. La ville est l’un des ports les plus extrêmes de l’Écosse, le climat y est rude et la vie devait être particulièrement austère et difficile en ce milieu de XVIIIe siècle dans un pays au très faible potentiel agricole. L’ouverture de l’Écosse au commerce atlantique qui a lieu à cette époque dans les ports de l’arc Atlantique ne change que peu de chose. Les ports de la Mer du Nord bénéficient très peu, en tant que relais, de ces nouveaux échanges. Les terres purement agricoles connaissent une baisse de valeur, cela rend la pratique des cultures est de plus en plus difficile et il devient impossible de prospérer et même de subsister, sans adapter son activité. La famille choisi donc pour certains d’entre eux, l’ultime solution : l’exil.
23Dès son jeune âge, il fut envoyé en France. Il est âgé de onze ans lors de son départ. Tout laisse à penser que sa famille est jacobite et catholique. Second fils d’une grande et ancienne famille du lieu dit Cuthbert, Charles a pour aîné un certain Lewis qui est devenu l’héritier du domaine familial, le reste de la famille, George, Jane, Marie Anne Cuthbert ou Cluver, seront conduits à des exils multiples dont les variations de leurs patronymes permettent de comprendre leur volonté de survie au-delà de la famille démantelée, s’adaptant à l’environnement local, tout en gardant un grand attachement à leur patrie d’origine.
24De nombreux Colblert, Culbert, voir Cuthberts ou culver se retrouvent au XVIIIe siècle dans les colonies des Antilles, avant de migrer vers les colonies nouvellement indépendantes de Caroline du Sud. Ainsi si le futur Abbé Colbert, immigrant en France peut sembler être un jacobite tardif qui, par sa foi catholique, se voit contraint à un exil religieux. En prenant ce fait en compte, il apparaît très vite que la cause du départ de sa terre natale du jeune adolescent en 1747 n’est pas uniquement due à la bataille de Culloden (1746)12 qui se déroule cependant à quelques miles de la propriété familiale, mais aussi la conséquence d’une situation impécunieuse liée aux faibles rendements des propriétés agricoles.
25On peut affirmer également que les deux faits sont liés puisque le rattachement de l’Écosse à l’Angleterre entraîne un développement du commerce et en particulier, du grand commerce, qui ruine définitivement les exploitants de terres de faibles catégories et de faibles rendements pour paraphraser ici un raisonnement qu’un David Ricardo entreprendra de modéliser quelques années plus tard.
26Dans un premier temps, le tout jeune Ecossais gagne Calais où il possède de la famille13 qui s’est établie dans le commerce. Puis sa famille d’accueil qui est un oncle, plus ou moins lointain suivant la coutume d’Écosse, l’envoie à Paris où il entre au collège des Écossais. Il y fit ses études de 1749 à 1753 puis fréquente rapidement le collège d’Harcourt où les plus grands ont étudié, Voltaire, Diderot comme en attestent les archives de ce collège qui existe toujours à Paris sous la forme plus actuelle, du lycée Louis Le Grand14. Si l’on en croit les annales, il obtient en 1756, soit avant de poursuivre à l’Université, le premier prix avec les félicitations du jury. Ces études le conduisent à ne parler que le français et le latin de manière courante. Le jeune Colbert fréquente ensuite, la très réputée Université de la Sorbonne15, sans en devenir docteur.
27Il y pratiquera le droit romain et le droit canon. Durant cette période, un temps d’étude et d’application, le jeune adolescent fait une rencontre qui changera le cours de sa vie. Par le biais de son enseignement, il entre en contact avec le jeune répétiteur, Charles Étienne Loménie de Brienne (1727-1794), un illustre aristocrate descendant d’une des plus grandes familles françaises et dont l’ambition n’a d’égale que l’intelligence. Mais au-delà de son futur mentor, Colbert fréquente également, dès cette époque un milieu intellectuel des plus riches, les deux principaux amis de son professeur et maître, le jeune Turgot (1727-1781) et son compagnon le futur traducteur d’Adam Smith, l’abbé Morellet (1727-1819). Il faut dire que ces trois sont liés par une amitié que seul les sorts différents et le destin de leur fin de vie vont séparer.
28La période qui suit, voit le jeune universitaire devenir le précepteur du jeune Andrew Douglas dont la famille est originaire d’Édimbourg16. La famille descend également directement de la famille royale écossaise et se trouve par ces circonstances très proches, de la famille d’un certain duc de Buccleuch.17 La famille est donc une très importante famille écossaise qui fait partie des Écossais jacobites assez proches de la cour de Saint-Germain-en-Laye qui croit encore à une possible restauration du dernier des Stuart qui séjourne alors dans le château mis à disposition par le roi Louis XV. Le père de l’enfant est Archibald, duc de Douglas et sa mère Lady Douglas. La famille sera l’objet d’un étrange procès, proche sur la forme du procès Calas même si les enjeux comme le soulignera plus tard Adam Smith ne sont pas du tout semblables.
29Comme beaucoup de membres l’Église gallicane, il ne semble pas que l’engagement du jeune Colbert soit l’objet d’une véritable vocation. Ainsi en atteste une partie de sa correspondance18 avec M. Boudard, le directeur général des Économats du diocèse de Lisieux, la principale vocation en devenant ecclésiastique du jeune Colbert était d’avoir un rang en France conforme à celui qu’il pensait être justement le sien, en Écosse. Ces deux points principaux sont les marqueurs sociaux de cette fin de période moderne : porter un nom prestigieux et avoir des revenus qui permettent de briller en société. Le fait de porter une soutane ne permet pas d’éluder le second point, dans une société qui devient de plus en plus marchande et où les premiers économistes démontrent que les morales traditionnelles ne permettent pas au peuple de développer les nouvelles valeurs qu’ils vont bientôt adorer. « La Fables des Abeilles » de Bernard Mandeville date de 1714, elle a déjà fortement influencé la pensée de nombreux intellectuels et semble une bonne illustration de la conduite dans le monde profane de l’abbé Colbert tout au long de sa vie.
30De ces deux attributs qu’il se doit de posséder, le jeune Colbert en règle rapidement un. L’objet ici n’est pas de revenir sur la petite querelle sur l’origine de la famille et de la transmission plus ou moins hasardeuse du nom de Colbert. Une légende ou une version historique veut que le grand Nicolas Colbert (1619-1663), qui était le fils d’un marchand drapier de Reims et l’excellent ministre de Louis XIV, possède des origines celtiques et fasse référence à ses origines écossaises pour son anoblissement. Sa famille serait la descendance d’une famille écossaise les Culbhert venue du nord des Highlands pour lutter aux côtés des Français contre les ennemis communs anglais lors de la longue guerre de cent ans.
31Ce qui est cependant clair dans cette hypothèse, c’est que les secrétaires des rois Stuarts ont toujours étaient prompts à écrire des certificats pour attester de la noblesse de personnages importants pour peu que cette reconnaissance serve le petit royaume du Nord, les émigrants ainsi anoblis dans leur nouvelle patrie possède une dette envers leur patrie d’origine19.
32Il se trouve que depuis 1755, la famille Colbert en ce qui concerne la branche aînée des Colbert de Seignelay (ou Seigneley, car les deux orthographes se rencontrent dans les documents de l’époque) n’a plus de représentant depuis la mort de Charles Éléonore Colbert de Seignelay. Seule demeure une lointaine cousine qui est entrée dans les ordres et termine sa vie dans un monastère de Normandie. Il est alors probable que le titre soit alors la propriété de l’Église et donc disponible pour un jeune protégé d’un ecclésiastique et aristocrate puissant, son maître à penser, le jeune Loménie de Brienne. Cependant avoir un nom pour le moins célèbre et qui fait référence à de doubles et nobles origines tant françaises qu’écossaises ne fait pas tout dans un monde où l’argent est déjà devenu l’un des éléments de l’importance sociale d’un individu.
33En effet, il y a fort longtemps que la terre de Seignelay dont Louis XIV fit don à son meilleur serviteur a été vendue et démembrée. L’abbé Colbert effectuera quelques séjours en Champagne durant les premières années de son ministère, peut-être dans le but d’en obtenir une part, toujours par l’entremise de son maître qui possède également des terres dans cette province.
34Durant toute la première partie de sa vie et ce jusqu’en 1767, l’abbé souffre d’un manque de fonds. Il est sans aucune fortune. D’Écosse il ne peut rien attendre car le domaine familial sera placer en liquidation judiciaire quelques années plus tard et ne lui sera d’aucun secours financier. Il ne possède que sa pension de vicaire général de Toulouse, une pension qui semble bien faible comparée à ses ambitions.
35La visite du duc de Buccleuch, riche aristocrate écossais et de son tuteur, le grand philosophe Adam Smith (1723-1790) semble donc pour lui une excellente opportunité de briller un peu dans le monde de province où il ne peut que traîner sa soutane dans les églises et les assemblées ecclésiastiques. Au lieu cela, Colbert, en mondain de la fin de la période moderne ne rêve que de faire de longs séjours dans des lieux de villégiatures à Paris ou dans des riches demeures, où ses ressources financières ne lui permettent pas de séjourner sans une aide extérieure.
36Cependant tout changera après le séjour des deux Ecossais à Toulouse. Faut-il y voir une prise de conscience ou une formation plus aiguë aux problèmes de l’économie ? Cela est plus que probable. Mais plus encore, la fréquentation de Smith et de David Hume (1711-1776), autre immense philosophe écossais, séjournant en France, donnera à l’Abbé une formation intellectuelle parfaitement en adéquation avec la période comme en atteste sa bibliothèque de Rodez20. Ses idées sont fort avancées par rapport à celles de ses collègues évêques et deviendront tout à fait modernes et progressistes comme en atteste la seconde partie de sa vie dont il convient de dire quelques mots pour bien comprendre toute la complexité du personnage et son intérêt dans notre histoire.
37Dès 1767, il obtient la commandite de l’abbaye de Val-Richer en Normandie. Cependant le rôle économique des abbayes et leurs revenus connaissent à cette période une forte érosion21. Colbert avec l’aide de sa famille française et en particulier de son neveu, originaire de Calais, tentera durant plus de vingt ans d’en obtenir le rendement maximum en limitant tous les investissements qui n’auraient pas un caractère productif.
38Ainsi se montre-t-il plus un homme soucieux d’économie que de la gloire d’un Dieu auquel il semble croire avec une certaine ferveur. Juste avant la révolution il obtiendra également la commandite de l’abbaye de Sorèze, en juin 1789, dans le sud du département du Tarn22. Cette abbaye qui est d’une toute autre importance puisqu’elle abrite une école militaire royale, l’une des plus célèbres de France, ne lui sera d’aucun secours puisque les privilèges seront abolis moins de deux mois après leurs obtentions. Colbert votera, lui-même l’abolition de ses propres privilèges annulant ainsi, les efforts d’une vie. Cependant à cette époque Colbert est déjà devenu un tout autre personnage que le jeune homme en soutane noir qui effraya le jeune Duc de Buccleuch lors de leur première entrevue à Toulouse, en mars 1764.
39Après avoir servi avec application et une dévotion quasi filiale son maître le cardinal Loménie de Brienne ce que souligne sa correspondance23, sa carrière prendra un tour nouveau et sa longue attente semblera enfin récompensée. Le 28 janvier 1781, il succéda à Champion de Cicé, comme évêque de Rodez. Loin d’être un évêque prudent, il se montre au contraire fort entreprenant. Il fonda dans cette ville des conférences d’agriculture, une école d’ingénieurs agricole, un cours d’accouchement pour jeunes filles, améliora les routes, dota Villefranche-de-Rouergue d’un quai et d’une promenade et Millau d’une esplanade et d’un lavoir, ouvert à tous. Il se fit également remarquer pour son goût pour les sciences, et devint membre de l’Académie de Montauban24 peu de temps après le décès du célèbre Lefranc de Pompignan en 1784.
40En tant qu’évêque de Rodez, il devient directement président de l’Assemblée provinciale de la Haute-Guyenne réunie à Villefranche. Le jeune évêque s’investira durant sept ans dans le développement de cette œuvre. Gageons que Colbert trouve là un poste qui correspond parfaitement à ses attentes. Il dispose enfin de revenus nécessaire à son train de vie.25
41Cependant loin de Rodez et de son petit monde provincial fait de querelles locales et de progrès agricoles modestes, la France connaît des bouleversements importants, les réformes sont insuffisantes et Louis XVI doit agir. Il va convoquer des assemblées représentant l’ensemble du royaume. Colbert toujours à la recherche d’un destin national répondra bien sûr avec enthousiasme à l’appel. C’est ainsi qu’il siège aux deux assemblées des notables qui sont l’un des prélude à la mise en place des Etats généraux et les premiers pas de la future Révolution française. Le 21 mars 1789, il fut élu par la sénéchaussée de Rodez député du collège du clergé aux États Généraux au titre du clergé. Tout d’abord, il inclina du côté du tiers état. Il se prononça pour la réunion des trois ordres, et fut un des sept évêques qui, dans la séance du 22 juin 1789, vinrent déposer leurs pouvoirs sur le bureau de l’Assemblée nationale. Cette démarche, dit le registre de l’Assemblée Nationale, donna à Colbert une grande popularité. Mais son heure de gloire allait venir.
42Il fut porté en triomphe le 1e juillet dans les rues de Versailles par le peuple qui la veille avait poursuivi de ses huées l’archevêque de Paris. Il fut nommé commissaire de la salle des séances (questeur), et il fit partie des comités de règlement et de l’extinction de la mendicité.26 D’autre part, au nom du comité des recherches, il opina favorablement à une demande de la Commune de Paris, tendant à obtenir l’autorisation de pénétrer dans le palais de Versailles pour l’instruction relative aux événements des 5 et 6 octobre 1789. Colbert-Seignelay27 parla encore au sujet de l’organisation communale et départementale, et appuya l’institution des cantons, organisation qui était déjà en place dans la province qu’il présidait.
43Le projet de constitution civile du clergé le rejeta parmi les partisans de l’ancien régime. Il fut l’un des fondateurs de la petite Église du Rouergue qui survécut modestement jusqu’au XXe siècle28. Il refusa le serment à la constitution, s’associa dès lors à toutes les protestations de la droite et, après la session de la Constituante. Il se décida à émigrer. Il se rendit à Londres, où il passa le reste de ses jours, se refusant de rentrer en France en 1802, se prononçant nettement contre le concordat qui demandait aux évêques de se démettre de leur siège afin de pouvoir traiter avec le gouvernement français. Charles Colbert-Seignelay de Castle Hill devint, dans l’émigration, secrétaire du futur Louis XVIII, lors de la deuxième partie de son exil en Angleterre. Son rôle semble cependant se limiter à quelques traductions et à la perception d’une pension.
44L’abbé Colbert mourut à Londres en 1811 à son domicile au 4th Glouglouter Square dans la municipalité de Westminster avant le retour des Bourbon en France suite à plusieurs décennies de troubles29. Durant son séjour en Angleterre, il se rendit souvent en Écosse à Édimbourg où il obtient la protection du puissant duc de Buccleuch, le même qu’il avait connu jeune homme, quarante ans avant, un jour de mars 1764, à Toulouse. Avec le duc, il intervient pour obtenir des pensions pour les nobles immigrés depuis la France. Enfin son dernier domicile à Londres n’était pas sa propriété mais bien celle de la famille Buccleuch, preuve que la rencontre de Toulouse avait eu, au travers des hasards des événements historiques, une place capitale dans la vie du jeune abbé.
45Ainsi résumée en quelques phrases, la vie de Colbert qui semble très marquée par des événements externes qu’il traverse en s’adaptant non pas de manière opportuniste, mais en suivant une ligne directrice proche de la pensée libérale qui est peut-être due à sa double culture. En effet, lors de son exil, il laisse à Rodez, dans le petit château-évêché qu’il s’est fait construire, une riche bibliothèque30 qui, chose peut-être unique pour un évêque français, possède de nombreuses œuvres issues des lumières écossaises parmi lesquelles : les œuvres complètes d’Adam Smith31, les œuvres de David Hume32, les œuvres de Hugh Blair33, de John Locke34 ainsi que de William Petty.35
46On peut donc ainsi affirmer que la rencontre avec Adam Smith et David Hume fut capitale pour l’avenir de l’abbé et qu’au-delà de sa formation classique qu’il acquit à la Sorbonne, les deux années qu’il partagea avec son compagnon de voyage furent pour lui d’une grande importance.
Le cas en quelques mots
47Bien que l’exposé des faits prenne plus de dix pages dans l’arbitrage, il s’agit en fait d’un cas relativement simple. Il apparaît d’autant plus clairement si l’on on adopte une vision économique du conflit comme nous le ferons ici. Cette approche, peu juridique semble aussi celle que pratique également l’évêque de Rodez, Charles Colbert-Seignelay. Le baron Duval, qui possède déjà plusieurs moulins et un ensemble de treize meules, souhaite promouvoir son entreprise. Il souhaite en construire de nouveaux. Pour ce faire, il achète, semble-t-il avec la complicité d’un tiers pour que la transaction passe plus inaperçue dans un premier temps, un terrain qui borde l’Aveyron sur la rive opposée au château de Loubéjac, face aux propriétés du baron de Cruzy.
48Ce dernier, nous l’avons souligné, n’est pas un entrepreneur né. Il jouit de son bien en l’état et trouve ses revenus dans des fonctions militaires. Peut-être également que l’exploitation d’un moulin sur la rive de la rivière lui semble être un mauvais choix en raison des nuisances que cela pourrait occasionner pour son château, tout proche, bruits, passages de personnes de moindres conditions sur son domaine, en fait des externalités négatives comme indiquerait un économiste contemporain.
49Cependant, le baron Duval, nouvellement propriétaire souhaite construire une chaussée qui barrerait l’ensemble de la rivière et prendrait donc un appui sur la rive nord, celle du baron de Cruzy et son château. Il n’est pas indiqué la distance, mais il semble bien que le lieu choisi soit juste au droit de la construction résidentielle, soit moins d’une centaine de mètres.
50Cette nouvelle initiative change l’état d’esprit de notre homme jusqu’alors très conservateur et peu entreprenant ; le voilà qui souhaite alors, à son tour construire un moulin, en lieu et place de celui de Duval, inversant le problème car la chaussée doit prendre maintenant appui sur les terres nouvellement acquises de l’entreprenant baron. Voici donc le petit problème, que certains peuvent juger digne de François Rabelais, que doit résoudre et trancher notre arbitre, un puissant évêque, instruit et cultivé, ouvert aux lumières qui désire depuis son jeune âge être considéré comme un véritable homme d’ État.
51Bien évidemment, dans le document les protagonistes présentent des arguments sous leurs formes positives, le baron de Cruzy souhaite que son droit de posséder un moulin soit respecté, et le baron Duval s’appuie plus sur le fait que la rivière n’est pas navigable, que son lit n’appartient donc pas en conséquence au roi mais pour moitié aux riverains. Sans l’expliciter ouvertement, il souhaite par ces travaux rendre le cours de l’Aveyron plus régulier afin d’assurer un début de navigation dans un premier temps sur sa partie inférieure, la navigation sur la partie supérieure ne pouvant être obtenue que par une canalisation et d’importants travaux dont il ne sera pas question ici.
Comment l’évêque Colbert tranche-t-il ?
52En fait quand il reçoit le mémoire pour trancher le sujet et rendre un arbitrage, l’affaire est déjà ancienne. Elle date de quelques années. L’état du dossier présente ainsi un grand avantage : l’ensemble des éléments et des points de droits ont été exposés dans les diverses procédures qui ont été engagées par le passé, soit à Toulouse, soit à Montauban. Colbert peut donc rapidement comprendre que le droit ne conduira pas à la justice dans ce litige. En revanche, il peut être impressionné par les arguments mis en avant par les deux partis. Ils sont en effets nombreux et divers, mais toujours argumentés et de qualité. Les plus importants portant sur le fait que le roi n’est pour le moment en aucun cas propriétaire de la rivière et que les droits de propriété semblent avoir été respectés.
53Dans un premier temps, on aurait pu s’attendre à ce que l’évêque de Rodez, dans sa réflexion utilise un mode de raisonnement proche de la Common Law anglaise, n’est-il pas après tout lui-même, originaire du Royaume-Uni. Cette approche consisterait dans notre cas à aller de ce cas d’espèce aux principes, ou peut-être à ne pas aller au-delà de ce cas d’espèce, c’est-à-dire poser un acte de jurisprudence. Il convient à ce propos de ne pas commettre un contre-sens. Colbert-Seignelay a quitté l’Écosse à l’âge de onze ans. Il est donc fort probable qu’il n’ait pas acquis dans sa patrie natale, des principes de droit. Mais au-delà de ce simple point de circonstance, il faut comprendre que le droit écossais est fondé sur le Droit Romain et non sur le droit anglais.
54Les Normands ne sont jamais parvenus en Écosse, les Romains fort peu également, mais l’origine du droit est à trouver dans l’influence chrétienne, dans l’évangélisation ancienne et précoce, apparue avec le moine Columkill36 dès 563. Le droit romain et le droit canonique n’ont pas cessé depuis lors d’être enseignés dans les illustres Universités écossaises (l’écosse compte au XVIIIe, cinq universités réputées pour une population de moins de un million d’âmes). L’union des deux royaumes devenue officielle en 1707 n’a rien changé, l’Écosse conserve un certain nombre de privilèges dont son droit et sa justice. Ce dernier point ne va pas sans poser de problème par ailleurs, le royaume du Nord ne possède plus de Parlement, outil indispensable à l’adaptation du droit aux évolutions de la société.
55La présence du collège des Écossais à Paris, auprès de la Sorbonne, trouve d’ailleurs sa justification première dans le fait de donner aux jeunes catholiques écossais la connaissance du droit romain et dans certains cas plus précis, du droit proprement canonique, toujours en pratique en Écosse. Ainsi l’évêque ne va pas utiliser les principes de la commun law, mais plus simplement les principes déjà ancien de la justice distributive que l’on retrouve chez Aristote mais également au XIIIe siècle chez saint Thomas d’Aquin.
Inévitable influence des lumières « écossaises » sur ce cas
56Cependant, la justice distributive connaît un important renouveau d’intérêt, avec la période des lumières, particulièrement en Écosse pour des raisons spécifiques au niveau de développement. Cette période atteint son apogée en cette fin de XVIIIe siècle. Le but premier était, dans un pays toujours divisé entre des religions, de propager un grand esprit de tolérance qui permette de se reconnaître et de s’apprécier les uns et les autres dans un pays difficile où la ressource humaine est rare. Dans ce cadre d’analyse, la justice n’est plus divine mais devient humaine.
57Nous l’avons déjà indiqué, l’évêque Colbert de Castle-Hill est un grand lecteur, il semble cependant qu’il ait constitué sa bibliothèque sur le tard avec des ouvrages dont les dates d’éditions sont situés autour de 1770. Il faut ainsi, je pense, y voir les fréquentations que le jeune ecclésiastique a dans la première partie de sa vie, entretenues avec le philosophe, Adam Smith, mais également avec David Hume.
58On retrouve d’ailleurs dans la bibliothèque de son palais épiscopal de Rodez, la presque totalité37 des œuvres philosophiques des penseurs écossais contemporains. Cela prouve la grande ouverture d’esprit de l’évêque qui ne sait pas à cette époque qu’il sera conduit à revenir dans un second exil, sur ses terres natales. On peut ajouter, bien que cela ne soit que de peu d’intérêt que l’évêque, comme nombre de ses confrères, est membre d’une loge maçonnique. Une franc maçonnerie qu’il ne faut pas confondre avec celle qui domina la pensée politique française durant la fin du XIXe siècle.
59Devant traiter de justice, Colbert-Seignelay va utiliser deux arguments principaux pour résoudre le cas. Jamais, il ne fera référence au passé, à l’antériorité des petites querelles qui ont émaillé depuis des années, la vie judiciaire des petits propriétaires locaux des bords de l’Aveyron. Il ne fera pas non plus référence, comme cela est pourtant souvent le cas dans d’autres arbitrages, à une affaire qui fut jugée de telle ou telle manière dans le passé, soit le recours à une quelconque jurisprudence.
60Au contraire, il part d’une table rase, de la simple exposition des faits et cherche à développer des arguments modernes fondés uniquement sur la justice distributive des biens communs. Les arguments utilisés ont un caractère moderne dans le sens que l’on utiliserait aujourd’hui, les mêmes pour un arbitrage juste et équitable. Ainsi pourrait-on également prétendre, qu’ils sont tout simplement universels. Le premier argument est celui de la concurrence et par là même du libre accès à un marché. On retrouve chez Adam Smith, premier penseur libéral, le même souci du libre accès, qu’il exprime comme toujours avec une grande clarté et une grande précision et concision.
61« Par un monopole perpétuel, tous les autres citoyens se trouvent très injustement grevés de deux différentes charges : La première résultant du haut prix des marchandises que, dans le cas d’un commerce libre, ils eussent achetées à beaucoup meilleur marché ; et la seconde résultant de l’exclusion totale d’une branche d’affaires à laquelle plusieurs d’entre eux auraient pu se livrer avec du profit et de l’agrément. »38
62L’arbitrage se fait donc ici au profit du très conservateur baron de Cruzy, mais non pas sur le fondement du droit de propriété qu’il a lui-même évoqué dans sa plaidoirie, mais en fonction de l’intérêt général d’un bien commun que constitue alors pour un économiste, un marché libre de toute entrave, la première d’entre elle étant bien évidement la constitution d’un monopole. Le Baron de Cruzy pourra en conséquence construire la chaussé qui barre la rivière et ensuite un moulin sur la rive nord au pied de son château constituant presque alors une propriété unique qui regroupe l’outil de production et le lieu d’habitation.
63Le second argument qui permet à l’évêque de conclure est celui qui porte sur la navigation. Bien que l’argument ne soit jamais développé parfaitement dans la forme, il est implicite dans la plaidoirie du très progressiste baron Duval. Ce dernier peut-être par opportunisme, s’appuie sur le désir, la volonté, de rendre la rivière navigable et donc la nécessité absolue de la diviser en biefs. Il n’est pas impossible que sa lointaine alliance avec les Bonrepos, soit à l’origine de cette vocation d’aménageur de voies navigables et de communication.
64Ainsi, l’évêque trouve également un argument parfaitement connu et décrit. Il faut savoir trancher entre l’intérêt privé et l’intérêt public. Il faut faire en sorte que jamais un intérêt particulier, n’empêche un intérêt public de se manifester, même si la collusion peut régner entre les deux. Nous trouvons également un passage de la Richesse des Nations qui illustre parfaitement cette circonstance et qui inspira peut-être dans l’esprit, la décision du président de la commission.
65« C’est Avec cette connaissance supérieure de leurs propres intérêts qu’ils ont souvent surpris sa générosité, et qu’ils l’ont induit à abandonner à la fois la défense de son propre intérêt et celle de l’intérêt public, en persuadant à sa trop crédule honnêteté que c’était leur intérêt, et, non le sien qui était le bien général.39 »
66Au titre de l’intérêt public, donc au titre de la possible navigation sur la rivière Aveyron, il justifie le choix premier, celui d’autoriser la construction de la chaussé qui permet la construction du moulin. Cependant il va plus loin, car dans son arbitrage, il oblige le très conservateur baron de Cruzy, à doter la nouvelle construction d’une écluse rendant le passage possible d’un bief à l’autre. Il y a ainsi dans ce jugement le désir d’une justice équitable, qui profite à tous, allant dans le sens de la modernité et du progrès.
En forme de conclusion
67Cependant, on peut le constater de nos jours, la chaussée de Loubéjac reste depuis cette époque, la seule construction du cours d’eau, dotée d’une écluse. La rivière Aveyron, même dans la partie de son cours inférieur, ne deviendra jamais navigable. La raison de cette exception est probablement à rechercher ailleurs que dans cet arbitrage, dans la difficulté des travaux à mettre en œuvre et les montants importants à mobiliser, pour autoriser une navigation sereine. Mais plus encore, on en trouve la raison dans le progrès technique qui verra le territoire national, cinquante ans plus tard déjà, se couvrir de rails de chemin de fer.
68La pensée libérale que répandent des hommes comme l’évêque de Rodez, vient de libérer les forces vives de nos économies. Ils vont fabriquer le monde moderne qui est le nôtre aujourd’hui. Même si son intérêt historique est des plus modestes, en aucune manière par son arrêt, le prélat n’a modifié le cours de l’histoire fut-elle locale. Cependant, l’évêque Colbert s’inscrit dans la pensée moderne, celle qui fut influencée par les lumières françaises, mais également par celles venues d’Écosse dont les héritiers sont, de nos jours, plus à rechercher dans l’Amérique alors naissante et ses États devenus unis que dans nos paisibles campagnes.
Bibliographie
Bibliographie
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Hélène DAVID, Introduction à l’étude du droit écossais, Éditions Librairie générale de droit et de Jurisprudence, Paris, 1972.
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Guy JANSSEN, La petite Église en 30 questions, Editions Geste, La crèche, 1999.
Alexander STEPKOWSKI, L’institution du trust dans le système mixte du droit privé écossais traduction Agnieska SZKLANNA, Éditions Liber, Varsovie, 2005.
Marie-Claude TUCKER, Maîtres et étudiants écossais : à la faculté de droit de l’université de Bourges : 1480-1703, Éditions H. Champion, Études et essais sur la renaissance, Paris, 2001.
Annexe
Annexe principale :
Ce texte est un transcription d’une archive – Il s’agit d’un ensemble de huit page qui portent la cote G84 – Feuillet 22 – aux Archives départementales de l’Aveyron
« Sur la requête présentée au roi en son conseil par Melchior Crugy de Marcillac,40 Baron de Loubéjac contenant que sa terre de Loubéjac est situé sur un des bords de la rivière Aveyron à peu de distance de la ville de Montauban. Cette rivière est seigneuriale parce qu’elle n’est pas navigable de son propre fond. La seigneurie en appartient indivisiblement à plusieurs seigneurs de nombre desquels est le suppliant savoir, au seigneur de Cos pour une moitié, aux seigneurs de Loubéjac pour un quart et pour l’autre quart aux seigneurs d’Ardus et de Capdeville. Leur seigneurie s’étend sur les paroisses et les fonds que borde la rivière. En 1766 ils la répartissent entre eux relativement aux fonds. Ils ne la laissèrent indivise qu’à l’égard de la rivière et ils en règlent l’exercice.
Mais ils sont actuellement en instance au Parlement de Toulouse pour partager la rivière comme ils ont partagé les terres et y a tous lieu de croire que chaque seigneur aura dans son lot la portion de la rivière qui regarde sa terre, comme étant la plus à sa convenance.
Les autres seigneurs ont des moulins sur leur bord. Ils ont fait usage de leur seigneurie à cet égard. Le requérant n’a pas le même avantage. Il est acheteur & obligés d’employer leurs revenus au service du Roi n’étaient pas en état de faire un établissement aussi coûteux.
Une pareille propriété étant plus précieuse aujourd’hui que jamais pour la fabrique du Minot qui s’est considérablement étendue dans la contrée.… .
Il a pour co seigneur Les Duval de Larroque, président à la cour des Aydes de Montauban41 à cause de la terre d’Ardus. Non seulement le Seigneur de Varrayre jouit d’un moulin sur son bord mais il a encore obtenu du roi seigneur haut justicier de rive opposée, la permission d’y en construire un second vis à vis du premier.
En sorte qu’il y a deux moulins sur l’Aveyron qui font actuellement tourner treize meules. Le suppliant lui a fait part de son projet pour le consulter et en tirer les lumières dont il avait besoin. Il n’aurait même pas pas été éloigné de l’affaire à son entreprise. Il n’imaginait pas que ce magistrat qu’y avait déjà deux moulins et une fortune considérable put encore jalouser celui que le suppliant voulait se procurer qui ne pouvait jamais diminuer le travail du sien.
Mais il est arrivé au contraire que le Sire de Varrayre a profité de la confiance du suppliant pour tenter de se procurer l’établissement. Quoique co-seigneur de la rivière et même en instance au parlement de Toulouse avec les autres pour le partage, il a oublié son droit pour supposer sa majesté, seigneur de l’intégrité de la rivière comme rivière navigable et il a présenté sa requête à Sa majesté pour obtenir la permission de faire l’établissement du moulin et dans quel endroit dans le lieu même où le suppliant se proposait de placer meules et four sous les fenêtre même de son Château de Loubéjac.
Le suppliant n’a été informé de ce procédé que parce qu’il a vu le jugement chargé de vérifier les faits à l’occasion de la demande su Seigneur de Larroque opérer sous ses yeux et qu’il leur a demandé la cause et l’objet de leurs opérations. Il est aisé de concevoir l’étonnement que ce rapport lui a cause. Il n’a pas perdu un instant à se pourvoir au conseil, non seulement pour arrêter l’entreprise du Seigneur de Varrayre, mais encore pour demander à sa majesté la grâce dont il avait besoin lui même pour l’ exécution de son projet.
En effet, l’établissement de son moulin ayant besoin d’une chaussé qui traversât la rivière et fut attaché au bord opposé au moulin, il était de cet affaire que sa majesté eut la bonté de lui concéder la faculté de continuer sa chaussé dans la partie de la rivière qui était de la seigneurie de sa majesté et de l’adosser à la rive dépendante de cette seigneurie. Si le suppliant avait le droit de construire le moulin de son coté, et si l’utilité de ce moulin était incontestable, sa Majesté ne pouvait pas lui refuser la concession qu’il lui demandait parce qu’en faisant l’avantage de son domaine Sa majesté concourait à l’avantage public qui devait résulter de la construction d’un moulin qui augmentait la concurrence dans la fabrication du Minot.
La requête du suppliant s’est trouvé au conseil en opposition à celle du Seigneur de Varrayre, sans entrer en instance contradictoire leurs requête leur ont été communiquées réciproquement.
Le suppliant a été obligé de ne rien taire du procédé du Seigneur de Varrayre. Il a fait voir en outre que la rivière étant seigneuriale, nul autre que lui ne pouvait avoir droit d’établir un moulin à l’endroit dont il s’agit.
Que la démarche du Seigneur de Varrayre était d’autant plus déplacée qu’il avait consommé son droit par l’établissement de son Moulin d’ Ardus.
Il ne pouvait pas y avoir de question sur la qualité de la rivière parce que les jugements l’avaient reconnue positivement dans leur opérations, où ils avaient également attesté l’utilité du nouveau moulin et les facilités de son établissement en le rapprochant des travaux qu’on projetait pour rendre la rivière plus navigable.42 en sorte que le suppliant avait tout lieu de s’attendre que le conseil lui accorderait ce qu’il demandait.
Le Seigneur de Varrayre semblait le prévoir lui même car il avait fait acquérir sous un nom emprunté un terrain situé hors de la seigneurie su suppliant pour pouvoir s’en servir en cas de besoin. Mais le conseil à jurer à faire droit sur la demande qui lui étaient faites jusqu’à l’événement de ces travaux projetés sur la rivière de l’Aveyron. Le suppliant demande qu’il lui soit permis de faire des représentations contre cette décision fondée sur un événement plus qu’incertain et d’ailleurs dont la fréquentation ne doit point arrêter l’exécution du projet du suppliant. Il a d’autant plus de raison de relancer la justice de sa majesté que le sursis s’étendant au S. de Varrayre paraît laisser son droit en suspens quoiqu’il soit certain dès à présent qu’il n’en a aucun. Enfin elle laisse de droit du suppliant sur la rivière en question quoiqu’il ne puisse pas donner lieu au moindre doute. Il s’ensuit que la propriété du suppliant est compromise. Et en effet s’il est vrai comme il n’est pas permis de le contester que la rivière de l’ Aveyron soit seigneuriale, le suppliant doit y exercer tous les droits qui appartiennent à cet seigneurie et par conséquent celui d’y avoir un moulin. Il ne demande à jouir que de ce dont les autres seigneurs de la même rivière jouissent.
En le privant de l’exercice de ce droit c’est rendre sa condition différente de celle de ses co-seigneurs. Enfin c’est décider que quoique seigneur haut justicier d’une rivière seigneuriale, il n’a pas le droit de moulin sur cette rivière quoique le droit soit inhérent à la haute justice et quoique les autres co seigneurs ne l’ayant exercé qu’à raison de leur haute justice. Ainsi, c’est porter atteinte à sa propriété dont l’usage ne peut souffrir d’empêchement ni de retardement. La prétention du Seigneur de Varrayre ne peut y apporter aucun obstacle, parce qu’elle est aussi insoutenable qu’elle est malhonnête. Il a les mêmes droits sur la rivière de l’Aveyron que le suppliant mais il a consommé son droit de moulin par l’établissement de celui qui est sur sa terre.
Étant propriétaire de ce moulin, il ne peut pas avoir le droit de venir en placer un autre sur la terre de Suppliant et sur la partie de la rivière qui la regarde dès que le suppliant qui n’y en a point veut y en faire construire un, peut use de son droit de justice comme ses co seigneurs ont fait. Indépendamment de que le droit du S de Varrayre est rempli la portion de rivière qui est au devant de la terre du suppliant représente à son égard sa propriété indivise.
Il n’entreprend point sur les portions des autres qu’il regarde comme leurs lots. Ils doivent en user de même vers lui : autrement, il n’aurait aucune jouissance de la rivière parce qu’il ne doit pas penser à aller exercer ses droits vis-à-vis des terres de ses co seigneurs. Ainsi, le S. de Varrayre doit être débouté de toute demande tendant à la construction d’un nouveau moulin sur l’Aveyron. Ce que le suppliant veut l’empêcher de faire sur la terre, les autres seigneurs l’empêcheraient de la faire sur la leur. Il doit se renfermer dans sa propriété actuelle bien capable de satisfaire les désirs les plus étendus parce que les treize meules qui tournent dans ses deux moulins sont d’un produits immense pour lui. Le suppliant convient que le sursis prononcé par la décision du conseil ne condamne pas sa demande qu’elle ne fait qu’en suspendre le jugement d’après le langage tenu par les jugements et leur procès verbal de vérification.
Mais les projets des ouvrages allégués pour la facilité de la navigation ne sont que des idées mises à jour par des jugements depuis longtemps et qui ne se réaliseront jamais parce que l’exécution n’en paraît pas praticable sans faire des dépenses disproportionnées aux avantages qui en résulteraient. Aussi de pareils projets ne doivent pas suspendre l’exercice de la propriété des seigneurs de la rivière.
D’ailleurs, il suffirait que cette inexécution fut incertaine pour qu’elle ne dut pas mettre d’obstacle à l’usage du droit du suppliant parce qu’un pareil droit ne peut être subordonné à une incertitude qui peut le rendre vain et illusoire.
Tout ce que l’on peut exiger de lui en pareil cas c’est que son moulin quand il sera construit ne puisse nuire à ce qui sera fait pour la navigation que son existence et son service se concilient dans tous les temps avec la navigation de cette rivière si l’on peut l’établir parce que l’intérêt particulier doit toujours céder à l’intérêt public ; Or le suppliant se soumettra expressément à cette conviction, il consentira que l’arrêt contienne à cet égard toutes les réserves nécessaires.
Mais il y a plus, les ingénieurs en faisant leurs vérifications et en reconnaissants l’utilité du moulin dont il s’agit, ont déclaré qu’il pouvait être construit et établi de la manière qu’ils ont prescrite sans nuire aux travaux qui pourraient être faits pour la navigation. Le suppliant est prêt à se conformer à ce plan et à ce qui sera réglé par les ingénieurs. Après une pareille déclaration, il ne peut plus y avoir de difficulté à prononcer des à présent en sa faveur parce qu’il n’y a plus de de raisons ni de prétextes d’éloigner et au contraire des motifs essentiels doivent exciter le Conseil à accepter l’établissement du nouveau moulin. La multiplicité de ces usures en augmentant la concurrence prévient d’autant plus le monopole. Il ne peut y avoir trop de facilités pour fabriquer le minot parce qu’elles diminuent le prix de la fabrication et encouragent l’industrie.
Requérant à cet cause le suppliant qu’il plut à Sa Majesté écouter ses très humbles représentations sur la décision qui a juré à faire droit sur sa demande. Ce faisant ordonner qu’il pourra dès à présent construire le moulin dont il s’agit dans le lieu ci devant indiqué avec la chaussé nécessaire aux offres qu’il fait de se conformer dans les dans les dites constructions à ce qu’il lui sera présenté par les Ingénieurs et autres personnes préposées. »
Notes de bas de page
1 Gérard BOSCARY, L’assemblée provinciale de Haute Guyenne : 1779-1790, Éditions E. Desfossés, Paris, 1932 p. 10-25.
2 Ibid, p. 54.
3 Édouard FORESTIE, Les Anciennes Faïenceries de Montauban, Ardus, Négresse, Auvillar, Bresse, Beaumont, Éditions G. Forestié, Montauban, 1949, p. 75-89.
4 Joseph Jérôme Lefrancois de Lalande est un astronome et géographe français (1732-1807). Il est en particulier l’auteur d’un ouvrage publié en 1778 à vocation encyclopédique sur les canaux Des Canaux de navigation, et spécialement du Canal du Languedoc. Il est par ailleurs l’auteur des articles de L’encyclopédie de Diderot, sur les voies navigables. Son ouvrage plaide pour l’implantation de canaux et rivières navigables sur l’ensemble du territoire. A titre d’exemple il était envisagé de joindre le port de Bayonne à la ville de Toulouse pour contourner les monopoles et avantages de la ville de Bordeaux.
5 Les chiffres actuels sur les 95 dernières années que l’on retrouve sur les sites Sandre du ministère de l’Ecologie indique un débit en excluant les crues exceptionnelles, un débit qui varie de 113 m3/s en février à 8 m3/s en février.
6 On retrouve également dans les documents l’orthographe CRUGI ou CRUZY
7 Dictionnaire de la Noblesse, t. V, Editions La veuve Duchenne, Libraire rue Saint-Jacques à Paris, MDCCLXXII, p. 390.
8 Pierre-Louis DE MARCILLAC, Souvenirs de l’Émigration, Editions Baudoin Frères, Paris, 1825, p. 6-7.
9 AD 82 - bureau des finances.
10 Édouard FORESTIE, op. cit., p. 26-27.
11 La bataille de Culloden en 1746 marque la dernière tentative des Stuart pour reprendre le contrôle de l’Ecosse qui s’est volontairement unie à l’ Angleterre en 1707.
12 Michel DUCHEIN, Histoire de l’Écosse, Editions Fayard, Paris, 1998, p. 354-355.
13 AD 62 : 4E 46/274.
14 Manuscrits de la série A, Bibliothèque du patrimoine, Centre culturel irlandais, Paris. ACIP- Série A.
15 On peut être surpris qu’un Écossais fréquente un collège irlandais, mais c’est autour de la religion catholique que se fera l’unité de l’enseignement. Avant leur séparation historique les Ecossais et les Irlandais se considéraient mutuellement comme le même peuple.
16 Lillian DE LA TORRE, The HEIR of DOUGLAS being NEW SOLUTIONS to the old Mystery of the Douglas Cause, 1953, Editions Michael Joseph, London, p. 119-129.
17 Ibid., p. 23-26.
18 Le jeune abbé sans revenu, probablement sur les conseils de Smith se verra attribuer les revenus d’une abbaye, celle de Val-Richer en Normandie. Tout à fait par hasard les AD 14 – Archives du Calvados – F5045- possèdent une importante correspondance de l’abbé commendataire. L’examen de cette correspondance permet de comprendre que l’aspect religieux du monastère, n’est pas du tout la préoccupation majeure de Colbert, son intérêt se porte sur le bénéfice que peut procurer ce que l’on doit bien définir comme son entreprise. Comme l’abbaye est en fort mauvais état quand il arrive il monte une véritable entreprise familiale en utilisant un neveu, le fils de l’oncle qui l’a recueilli à Calais comme directeur. Mais comme il a dû investir il se comporte en véritable capitaliste en cherchant à retrouver au plus vite son capital sur le travail bénévole des moines.
19 François COLBERT, L’histoire des Colbert du XVe au XXe siècle, 2000, Éditions François de Colbert. Paris, p. 213.
20 Archives municipales de la ville de Rodez - Catalogue manuscrit de la bibliothèque de Monseigneur Colbert, évêque de Rodez, avant la vente publique dont elle fait l’objet.
21 Pierre-Jean PENAULT, Du Val Richer à la Roque-Baignard, Editions su Pays d’Auge, Caen, 1962 p. 11. Il est à noter pour la petite histoire que l’abbaye rendue à la vie civile ne constitue plus alors qu’une propriété agricole acquise par le ministre et économiste libéral François Guizot au XIXe siècle. Une preuve posthume du fait que l’intervention de l’abbé Colbert a été efficace car pour remettre sur pied un domaine, il faut plusieurs années.
22 Marie Odile MUNIER, Au Pied de la montagne noire, Sorèze, 1999, Editions Siloë Laval, France Contact direct avec l’auteur, p. 170-180.
23 Le Franc de Pompignan qui partage sa vie entre Montauban et Toulouse sera également membre de l’académie française. Ses Œuvres sont assez mineures et conventionnelles. S’il est aujourd’hui encore connu, c’est par les propos de Voltaire sur lui. Le fait que l’abbé Colbert ne soit élu à l’Académie de Montauban qu’après son décès prouve bien que les idées de Colbert étaient forts progressistes puisqu’elles étaient opposées à ce conservateur absolu. Théodore E D BRAUN, Un ennemie de Voltaire : Le France de Pompignan : Sa Vie, ses œuvres, ses rapports avec Voltaire, Editions Minard, Paris, 1972, passim.
24 AD 82, sous-série 2J1, l’Académie de Montauban est une importante Académie du sud de la France, outre l’académicien français Le Franc de Pompignan qui est connu pour ses querelles avec Voltaire, elle compta parmi ses membres Barrière de Vieuzac qui fit une importante carrière sous la Révolution. Au vue du registre des assemblées la contribution de l’Évêque Colbert semble marginale. Son œuvre principale sera la mise en place de concours agricoles et d’un prix visant à améliorer « les conditions d’hygiène dans les fermes ». On peut y voir les prémices des comices agricoles qui font fleurir au siècle suivant.
25 Ibid., p. 254.
26 Archives de l’Assemblée nationale française.
27 Tel était son nouveau patronyme depuis la fin des privilèges.
28 Guy JANSSEN, La petite Église en 30 questions, Editions Geste, La crèche, 1999, Passim.
29 Le 4 Gloucester Square fait partit d’un ensemble immobilier qui est la propriété du Duc of Buccleuch. NAS- GD
30 Bibliothèque municipale de la ville de Rodez. Déjà cité.
31 The Theory of Modern Sentiments, Adam Smith, 2 th Edition, London 1761 (possible cadeau de Smith) ; An Inquiry of the Nature and Causes of the Wealth of Nations, Adam Smith, 3 th Edition, London, 1784.
32 Philosophical Essays concerning Human Understanding, David Hume, London, 1774. Essay Moral and Politics, David Hume, London, 1772.
33 Lectures on Rhetoric and Belles Lettres, Hugh Blair, Paris, 1778. Sermons, Hugh Blair, Edinburgh, 1777.
34 An Essay Concerning Human Understanding, John Locke, London, 1774. Some Thoughts Concerning the education, John Locke, London, 1772.
35 Several Essays in political Arithmetic, William Petty, London, 1755.
36 Michel DUCHEIN, Histoire de l’Écosse, Editions Fayard, 1998, p. 368-405.
37 Le cas est vrai pour Smith qui n’est l’auteur que de deux ouvrages faisant l’objet d’une publication. Cela est moins vrai pour David Hume qui est un auteur prolixe. Cependant, il contient d’indiquer que les ouvrages sélectionné par Colbert sont les principaux et les plus marquants de l’œuvre du philosophe écossais. Peut-être et c’est loin d’être une hypothèse, fut-il influencé par son ami.
38 Adam SMITH, Richesse des Nations Livre 5, p. 453.
39 Adam SMITH, op. cit., Livre I, p. 248.
40 On peut aussi trouver l’orthographe, Crugy. Il s’agit d’une très ancienne famille aristocratique du Bas-Quercy qui fournit plusieurs ecclésiastiques au royaume. La famille descend du Pape Clément. En particulier un certain Sylvestre de CRUZY de Marcillac qui fut consacré évêque en la cathédrale d’Albi le 26 mars 1628. Il meurt à Paris en 1659.
41 De création récente, la cours des Aydes ou Cours des Aides et l’une des cours importante du royaume en ce qui concerne tous les problèmes de justice
42 La rivière Aveyron possède un cours de près de 300 Kilomètres, la rivière en outre épouse parfaitement la nouvelle province de haute Guyenne que préside l’évêque Colbert de Seignelay. Elle joint en effet les villes principales et constitue la colonne vertébrale d’un éventuel développement commercial de la région. Cependant elle présente le gros handicap d’avoir un débit très irrégulier et un parcours assez chaotique avec des gorges, mais également des rapides et des kilomètres difficiles où, du fait de son étiage, son tirant d’eau est faible en été. Une véritable navigation au-delà du bois flotté ne pourrait être réalisée sans gros travaux et la création de véritables biefs qui disposeraient d’un système de régulation relativement performant.
Auteur
Docteur en histoire, membre associé de FRA.M.ESPA.
Université de Toulouse 2 Le Mirail
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