Les nouvelles formes d’assurance-vie
p. 195-201
Texte intégral
1La dernière loi de finances rectificative pour 2013 (article 9 de la loi no 2013-1279 du 30 décembre 2013) a institué deux formules nouvelles de contrats d’assurance vie, les contrats euro-croissance et les contrats vie génération.
2Pour comprendre les raisons qui justifient cette création et les caractéristiques propres à chacun de ces deux contrats, il est nécessaire de rappeler quelques principes essentiels en matière d’assurance-vie.
3L’assurance vie, ce n’est pas simplement un contrat de couverture de risques de survie ou de décès de l’assuré : c’est surtout un support de placement à moyen et long terme de l’épargne privé. Fin septembre 2014, les encours d’assurance-vie (et des contrats de capitalisation) s’élevaient à 1500 milliards d’euros (à titre de comparaison, le montant de la dette publique française à la même époque était de 2000 milliard d’euros). 1500 milliards d’euros, c’est 15 % du patrimoine français ou encore 40 % des placements financiers à long terme des français.
4Par conséquent, le contrat d’assurance vie est un instrument de la politique publique, dont la ligne directrice est que ce placement doit être au service de l’économie française.
5Plus précisément, le contrat d’assurance vie doit favoriser le financement des secteurs jugés prioritaires de l’économie tout en permettant au souscripteur de se constituer à terme un complément de retraite. Les secteurs jugés prioritaires ce sont aujourd’hui les PME, les ETI et les structures du secteur de l’économie sociale et solidaire (article 9 de la loi no 2013-1279 du 30 décembre 2013, exposé des motifs). Or, les contrats proposés par les compagnies d’assurance vie avant la réforme ne permettent pas d’atteindre totalement cet objectif. Classiquement, en effet, les contrats d’assurance vie sont classés en trois catégories, en fonction du placement des primes (contrat en euros, contrats en unités de compte, et Contrats multi-supports avec fonds euros)
6L’essentiel des primes (85 %) est aujourd’hui investi dans des fonds euros. Or, la caractéristique principale des fonds en euros est une garantie immédiate en capital. Les primes sont investies dans une provision dite mathématique qui constate l’engagement immédiat de l’assureur sur le capital investi et un taux d’intérêt. Cet intérêt s’incorpore annuellement au capital, par un effet de cliquet.
7Il en résulte l’obligation pour l’assureur d’investir les primes sur des supports de placement sécuritaires, type obligations souveraines ou “corporate” (entre 70 et 85 % de la composition des fonds euros).
8En d’autres termes, les primes, pour l’essentiel, sont placées sur des supports qui ne permettant pas de financer les PME et le ETI, ou les entreprises du secteur sociale et solidaire.
9Pour atteindre l’objectif des pouvoirs publics, il est donc nécessaire d’inciter les épargnants à réorienter leur épargne figurant sur les fonds euros vers d’autres supports.
10Une telle politique doit cependant tenir compte de la psychologie des contractants. Or, schématiquement, Il existe deux catégories de contractants : d’abord, ceux, la majorité, qui envisagent l’assurance vie comme une technique de constitution de flux futurs. Pour les séduire, il faut leur proposer un rendement supérieur au fonds euros et une sécurité en capital. Ensuite ceux, beaucoup moins nombreux, qui envisagent le contrat essentiellement comme un levier d’optimisation fiscale de la transmission. C’est souvent le cas pour le 1 % des détenteurs de contrats les plus riches dont l’encours moyen étant 600 000 €.
11C’est la raison pour laquelle le législateur a entendu promouvoir deux nouveaux contrats, les contrats « euro-croissance » et les « vie génération » dont la commercialisation a pour objectif de réorienter l’épargne privé vers des supports permettant le financement de ces types d’entreprises.
12Le contrat vie-génération est une variété de contrats d’assurance vie en unités de compte, c’est-à-dire que les primes sont investies par la compagnie d’assurance sur des supports, en fonction d’une allocation d’actifs choisie dans les limites des supports éligibles au contrat et conforme au profil de risque du souscripteur (Pour les précisions sur l’allocation d’actifs V. Décret no 2014-1011 du 5 septembre 2014 relatif aux contrats et placements mentionnés à l’article 990 I du code général des impôts bénéficiant d’un abattement proportionnel de 20 %).
13Ce sont des contrats d’assurance vie financièrement risqués pour le souscripteur puisque l’assureur ne garantit que l’existence des unités de compte c’est-à-dire des supports de placement et non pas leur valeur.
14Sans être devin, il est aisé de prévoir que la commercialisation des contrats vie génération sera un échec. Pour une raison très simple : la création d’une nouvelle forme de contrats d’assurance-vie est réussie lorsque la formule proposée est, par son allocation d’actifs, de nature à atteindre l’objectif économique recherché et dans la mesure où les caractéristiques et le régime fiscal du produit le rendent conforme à l’attente du public visé.
15Or, le contrat vie génération est un contrat en unités de compte. Ce qui signifie que le souscripteur ne bénéficie d’aucune garantie en capital. Pire, s’agissant de l’allocation d’actifs, le contrat présente, par rapport aux contrats en unités de comptes ordinaires, des contraintes importantes puisqu’il exige qu’au moins 33 % des unités de comptes dans lesquels sont investies les primes soient constituées par de supports de placements particuliers permettant le financement des PME ETI et de l’économie solidaire. Et ceci tout le temps du contrat.
16Certes, la souscription de ce type de contrat emporte un avantage quant au traitement fiscal de la garantie décès, puisque lorsque les primes sont versées avant le 70ème anniversaire de l’assuré, le bénéficiaire profitera, pour le calcul de la base taxable, d’un abattement supplémentaire de 20 %, applicable avant l’abattement fixe de 152500 €.
17Cependant, la majorité des épargnants dont les encours sont très importants ont essentiellement un comportement sécuritaire. Ce qu’il souhaite c’est sécuriser l’épargne pour eux même et pour le bénéficiaire. Or, l’investissement dans ce contrat est risqué, sans garantie de capital et sans avantage fiscal en terme d’IR dont peut bénéficier le souscripteur.
18Ces contrats étant voués à l’échec, nous nous intéresserons exclusivement au contrat euro-croissance
I – CARACTÉRISTIQUES GÉNÉRALES DES CONTRATS EURO-CROISSANCE
19Le contrat euro-croissance est une variété de contrats euro-diversifiés, ce qui signifie que tout ou partie des engagements de l’assureur est exprimé par une provision de diversification ; cependant, à la différence des contrats diversifiés ordinaires, les engagements de l’assureur peuvent en partie être exprimés en unités de compte (1). C’est donc un contrat qui fait naître une espérance de rendement plus important que les contrats « euro » ordinaires et qui est plus sécuritaire que les contrats en unités de compte, puisque l’assureur s’engage, à terme, à la garantie du capital investi (2).
A – Le placement des primes
20Les contrats euro-croissance sont des contrats euro-diversifiés : Il en résulte techniquement que l’investissement des primes est constatée en tout ou en partie dans une provision de diversification. Cette provision constate l’engagement de l’assureur à garantir le capital investi, non pas immédiatement comme pour les valeurs inscrites dans la provision mathématique, mais à terme, à une échéance qui ne pourra pas être inférieure à huit ans à compter de la date du premier versement de primes donnant lieu à la constitution d’une provision de diversification (C. assur, art. R. 134-1. I).
21Toutes les primes peuvent être investies dans la provision de diversification ou seulement une partie d’entre elles. En effet, : « le versement de primes au titre d’un contrat d’assurance sur la vie peut donner lieu à la constatation d’engagements exprimés en euros, d’engagements exprimés en unités de compte et d’engagements donnant lieu à la constitution d’une provision de diversification » (C. assur., art. L. 134-1, al. 3). Il en résulte que pourront être souscrits :
- des contrats mono-support euro-croissance dans lesquels les primes versées sont entièrement affectées à l’acquisition de droits pouvant donner lieu à la constitution d’une provision de diversification ;
- des contrats multi-supports euro-croissance pour lesquels seule une fraction des primes versées est affectée à l’acquisition de droits pouvant donner lieu à la constitution d’une provision de diversification, le reste étant constitué d’engagements exprimés en euros, voire en unités de compte.
B – Limitation de la faculté de rachat
22Par leur architecture même, les contrats euro-croissance sont des placements à long terme. Par conséquent, les rachats anticipés, c’est-à-dire avant la date de garantie du capital par l’assureur, sont contraires à l’économie générale du contrat. Toutefois, le législateur n’a pas souhaité conférer à ces contrats un caractère non rachetable. Mais, comme pour les autres contrats euro-diversifiés, le contrat peut inclure des clauses d’indisponibilité temporaire ou permanente dont l’effet sera d’interdire le rachat pendant le temps de leur application (C. assur, art. L. 132-23° ; Cette période d’indisponibilité ne peut pas en principe excéder une durée fixée par décret en Conseil d’État.
23Selon le décret du 04 septembre 2014 relatif aux contrats comportant des engagements donnant lieu à constitution d’une provision de diversification, la durée d’indisponibilité ne pourra pas excéder huit ans.
II – LA TRANSFORMATION DES CONTRATS ORDINAIRES
24Pour atteindre l’objectif du législateur, c’est-à-dire diminuer sensiblement la valeur des primes placées sur les fonds euros, et favoriser l’investissement sur des supports plus aptes au financement des secteurs prioritaires de l’économie, il est nécessaire qu’une fraction importante des encours actuellement investis sur les fonds euros soit rapidement, affectée à la provision de diversification.
25La réorientation de l’épargne vers des supports.
26Une technique classique permet d’atteindre ce résultat, c’est la transformation, sans perte d’antériorité fiscale.
A – Contrats pouvant être transformés
27Le contrat transformé, sans perte d’antériorité fiscale (à la condition de respecter les conditions légales), peut être :
- un contrat “dont les primes versées sont affectées à l’acquisition de droits qui ne sont pas exprimés en unités de compte” (CGI, 125-0 A, 2o), c’est-à-dire un contrat mono-support euros ;
- un contrat “dont les primes versées ne sont pas affectées à l’acquisition de droits pouvant donner lieu à la constitution d’une provision de diversification” (CGI, 125-0 A, 2o, a), c’est-à-dire un contrat multi-supports en unités de compte ;
- une assurance de groupe ou une assurance individuelle : “La transformation partielle ou totale des contrats relevant du chapitre II du titre IV du livre Ier du Code des assurances en un contrat dont une part des engagements peut être affectée à l’acquisition de droits en euros” (CGI, 125-0 A, 2o, B).
28La transformation peut être totale. Dans ce cas, le contrat transformé est un contrat euro-croissance mono-support. Mais la transformation peut n’être que partielle, en raison de la possibilité de créer des contrats euro-croissance multi-supports. Cependant, la transformation ne produira alors son effet qu’à la condition qu’elle « donne lieu à la conversion d’au moins 10 % des engagements, autres que ceux exprimés en unités de compte ou donnant lieu à la constitution d’une provision de diversification, en engagements donnant lieu à la constitution d’une provision de diversification » (CGI, 125-0 A, 2o, B).
B – Modalités de la transformation et protection du contractant
29Un contrat d’assurance-vie ou un bon ou contrat de capitalisation ne peut être transformé qu’auprès du même organisme assureur en un bon ou contrat de même nature.
30La transformation de contrats individuels s’effectue :
- soit par un avenant au contrat d’origine entre le souscripteur et l’assureur ayant proposé ledit contrat ; l’avenant prévoit que les primes versées sur le contrat peuvent être affectées, selon le cas, à l’acquisition de droits exprimés en unités de compte ou à l’acquisition de droits donnant lieu à la constitution d’une provision de diversification ;
- soit par le transfert de l’intégralité du montant de la provision mathématique constituée au moyen des primes versées sur le contrat d’origine, qui donne lieu à la souscription d’un nouveau contrat ;
31L’adhérant ou le souscripteur doit être informé des conséquences de la transformation, mais il doit également être conseillé, sauf exception, quant à l’opportunité de réaliser cette opération.
32Sans doute le contractant bénéficiera-t-il de l’obligation générale de conseil prévue par le I de l’article L. 132-27-1 du Code des assurances.
33En plus de cette obligation de conseil, l’assureur ou l’intermédiaire sera obligé, pour les contrats individuels d’assurance sur la vie ou de capitalisation et préalablement à la première demande de conversion, de remettre, contre récépissé, un document d’information portant sur les modifications apportées ou devant être apportées au contrat, présentant clairement le contenu des changements opérés ; la faculté offerte au souscripteur de revenir sur sa demande de conversion. Un modèle de lettre destiné à faciliter l’usage de cette faculté est joint au document ; Enfin sur la faculté d’obtention, sur demande du souscripteur, d’une note d’information sur la totalité du contrat.
34Il est à noter que le souscripteur qui regrette son choix peut revenir sur l’expression de sa volonté. C’est évidemment le cas si la transformation emporte conclusion d’un nouveau contrat. Le contractant bénéficie alors des dispositions de l’article L. 132-5-1 du Code des assurances. Si la transformation n’est pas une novation, le souscripteur ou à l’adhérent qui a opéré la transformation par avenant la possibilité de revenir sur sa décision, par le moyen d’une lettre recommandée avec demande d’avis de réception (RAR) pendant un délai de trente jours calendaires révolus à compter de la date de sa demande de conversion (Art. 3, Ord. no 2014-696, 26 juin 2014 favorisant la contribution de l’assurance vie au financement de l’économie).
Auteur
Maître de conférences à l’Université Toulouse 1 Capitole, Responsable MII Ingénierie du Patrimoine, Institut de droit privé (EA 1920)
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