Les juridictions de l’archevêque de Toulouse au XVIII siècle
p. 157-177
Texte intégral
1Dès le Moyen Age et pendant la période moderne, la ville de Toulouse est une capitale ecclésiastique et judiciaire. Elle est le siège d’un archevêché depuis 1317 et d’une justice royale au ressort très vaste depuis la mise en place du Parlement au milieu du XVe siècle. Si la plupart des justices qui ont leur siège à Toulouse sont des justices royales, qu’elles soient généralistes ou spécialisées, il existe également des juridictions qui relèvent de l’autorité ecclésiastique soit au spirituel, soit au temporel. Si les juridictions royales ont souvent fait l’objet de nombreux travaux, notamment le Parlement de Toulouse, il n’en est pas de même pour les juridictions relevant de l’archevêque dont il n’existe pour la période moderne, à ma connaissance, aucun article ou ouvrage publié1. Cette contribution vise à combler partiellement cette lacune dans l’historiographie toulousaine et, plus généralement, à contribuer à la littérature historique sur les juridictions ecclésiastiques dont le présent volume fera partie.
2Trois aspects de la justice dans des cités épiscopales me semblent particulièrement pertinents à développer ici pour le cas toulousain : tout d’abord, la question de l’organisation des juridictions à la fois en termes de locaux et de personnels, le tout croisé avec les compétences de chacune d’elles ; ensuite, comment jauger de l’activité des juridictions et, à partir de là, mesurer leur vitalité ou, au contraire, leur décadence ? Enfin, comment ces justices archiépiscopales cohabitent-elles avec les justices du bras séculier qui existent également à Toulouse ?
3Pour essayer de répondre à ces questions, je vais pouvoir m’appuyer sur plusieurs travaux effectués par des étudiants toulousains, soit en histoire, soit en histoire du droit. Par ordre d’ancienneté, d’abord le mémoire de maîtrise de Janick Giammettai, sous la direction d’Yves Castan, a abordé le fonctionnement de la juridiction contentieuse de l’officialité diocésaine de Toulouse pour les années 1715- 1750. Cette étudiante a été la première à explorer ce riche fonds et à en donner un compte rendu qui montre une officialité active, notamment dans la discipline des prêtres égarés du fait de comportements fort peu chrétiens2. Sophie Péralba, sous la direction de Jean-Louis Gazzaniga, a rédigé un DEA d’histoire du droit en 1996 portant sur « l’organisation et le fonctionnement de l’officialité archidiocésaine de Toulouse », dont le contenu traite avant tout de la fin du Moyen Age3. Du fait de la période étudiée, je l’utiliserai peu ici. Plus récentes sont deux études historiques réalisées sous ma direction, l’une sur l’officialité et l’autre sur la temporalité de l’archevêque, les deux centrées sur le XVIIIe siècle où les sources sont les plus nombreuses. La première est due à Clémence Costes qui a analysé l’activité aussi bien de l’officialité diocésaine que de l’officialité métropolitaine. Elle y aborde tous les aspects de ces juridictions, les officiers, le personnel auxiliaire, les différentes matières jugées depuis les causes matrimoniales au contentieux et aux demandes d’annulation des vœux des membres du clergé régulier4. De son côté, Sofiane Bendib s’est penché sur le fonds de la temporalité de l’archevêque qui couvre une bonne partie du XVIIIe siècle pour des aires géographiques qui varient du fait des ventes d’une partie du temporel après 1760. L’auteur a examiné le personnel du tribunal notamment dans son siège toulousain ; il a analysé le ressort de la temporalité et la nature des affaires qui ont été jugées5. Grâce à ces travaux, on peut se faire une idée assez claire des contours de ces deux juridictions que sont l’officialité et le temporalité. J’ai moi-même dépouillé une partie des deux fonds et croisé certains éléments avec des fonds judiciaires toulousains dont la justice des capitouls et celle de la sénéchaussée de Toulouse. Il reste une troisième juridiction totalement inexplorée, celle de la chambre supérieure de décimes de Toulouse dont il sera question un peu plus loin. Ici, ce sont mes propres recherches ainsi que les travaux sur l’institution parisienne, effectués dans les années 1930 par Gustave Lepointe, qui permettront d’y voir un peu plus clair.
Les compétences et l’organisation des trois juridictions
4Les compétences des trois juridictions sont vraiment distinctes bien qu’elles aient l’archevêque comme dénominateur titulaire commun. Le poids de l’archevêque se fait sentir le plus fortement dans les deux officialités diocésaine et métropolitaine du fait de ses nominations du personnel judiciaire. S’y jugent des affaires qui relèvent de la discipline ecclésiastique, des vœux des membres du clergé régulier et des vœux du mariage. Il y a donc une double compétence de ratione personae et de ratione materiae qui a subi depuis le Moyen Age un grignotage important par la justice royale mais qui a laissé subsister un pouvoir juridictionnel propre à l’Église encore au XVIIIe siècle. Nous verrons plus loin le détail de l’activité des officialités toulousaines6.
5Si pour les officialités, l’archevêque est théoriquement seul pour désigner les magistrats qui jugent les affaires du spirituel, pour les juridictions de la chambre supérieure du clergé ou du bureau diocésain, son autorité se trouve plus diluée. L’archevêque de Toulouse est le « président né » aussi bien du bureau diocésain que de la chambre supérieure du clergé de Toulouse. Toutefois, cette présidence paraît plus honorifique que réelle et ce sont d’autres clercs qui remplissent la fonction de président. De plus, par le mode de désignation des députés de chaque diocèse qui y siégeaient – « élus » par l’assemblée du clergé de chaque diocèse – l’archevêque de Toulouse ne contrôle pas les « conseillers-commissaires » appelés à juger. Chaque chambre supérieure doit aussi avoir au moins trois magistrats au Parlement ou de présidial, quasi toujours des conseillers-clercs. Ces conseillers-clercs possèdent leurs charges indépendamment de l’archevêque et donc ne sont pas soumis directement à son autorité, notamment dans le domaine judiciaire. Par ailleurs, aussi bien les députés des diocèses que les conseillers-clercs siègent aussi longtemps que leur santé le permette – les vacances sont dues à la mort ou à la résignation ; par conséquent, leur présence au sein de l’instance judiciaire ne dépend point de la volonté de l’archevêque7.
6La compétence de ces juridictions porte sur le contentieux en matière de décimes prélevées sur les titulaires de bénéfices ecclésiastiques. Le bureau diocésain possède une double compétence, la première proprement administrative – répartir les décimes au sein du diocèse et les collecter tout en contrôlant leur utilisation – la seconde plus strictement contentieuse en jugeant les conflits autour de la répartition et de la collecte des décimes. La chambre supérieure ne doit, théoriquement, s’occuper que du contentieux au second degré d’affaires dont l’importance financière dépasse les seuils établis au XVIIe siècle, quelques dizaines de livres. Ces chambres, parfois appelées chambres souveraines, sont dotées du pouvoir de juger « souverainement » du contentieux, c’est-à-dire, en dernier ressort, comme les justices royales souveraines – cours des aides, Parlements.... G. Lepointe avance l’argument, qui me paraît fondé, que ces chambres appartiennent aussi à la justice royale, une forme de justice déléguée, dans la mesure où elles avaient été créées par édit royal, qu’elles devaient compter en leurs rangs des conseillers royaux et que le Conseil du Roi pouvait évoquer des affaires portées devant les chambres ou casser leurs décisions et renvoyer les affaires devant la juridiction de son choix8. Cet ensemble de données montre combien l’archevêque de la ville siège d’une chambre supérieure du clergé n’est pas, et de très loin, le seul maître à bord.
7La troisième juridiction relevant de l’archevêque de Toulouse est celle de la temporalité, autrement dit la justice seigneuriale exercée sur les terres et les justiciables englobés dans le temporel de l’archevêque. Il n’est pas nécessaire de présenter longuement les compétences d’une telle juridiction tant elles sont connues par ailleurs9. Il s’agit d’une juridiction généraliste de première instance qui juge au civil et au criminel des affaires qui peuvent aller de la simple police à des crimes. Le pouvoir de l’archevêque réside dans la nomination des magistrats et des auxiliaires qui la font fonctionner. Mais, comme pour toutes les justices de ce type, l’appel aux tribunaux royaux constitue une forte limite au pouvoir du seigneur qu’il soit simple laïc ou puissant ecclésiastique.
8Les trois juridictions étudiées ici occupent, au XVIIIe siècle, le même espace toulousain, au sein de l’enceinte de Saint-Étienne qui englobe la cathédrale, le quartier canonial et l’archevêché. Il y a tout lieu de croire qu’elles exerçaient la justice dans les mêmes locaux et qu’elles y avaient leurs archives. La prison commune de ces juridictions s’y trouvait également, la prison dite de l’Écarlate, où pouvaient être détenues des personnes jugées par l’officialité ou par la temporalité10. La justice temporelle de l’archevêque avait un autre siège et prison au château de Verfeil qui lui appartenait.
9Le partage des locaux judiciaires semble avoir duré jusqu’à la fin de l’Ancien Régime mais il a été question, au cours des années 1770, que la chambre supérieure des décimes puisse faire construire ou aménager une nouvelle salle d’audience et une salle de greffe, la justification étant le délabrement des locaux existants (et partagés) et une activité qui méritait des locaux plus spacieux. Toutefois, ces aménagements n’ont jamais abouti pour cause, semble-t-il, de l’opposition du chapitre de Saint-Étienne11. La vétusté des locaux judiciaires n’est pas une spécificité des justices ecclésiastiques, le problème a été récurrent à tous les niveaux de la hiérarchie judiciaire, dans la justice royale, comme dans celle des seigneurs et de l’Église.
10Les trois juridictions n’avaient pas les mêmes ressorts, en tout cas, pas totalement. Chaque juridiction avait sa propre histoire et obéissait à ses propres logiques, d’où des ressorts territoriaux distincts. Le ressort le moins important en superficie était celui de la temporalité ; c’est aussi celui qui a le plus évolué entre le Moyen Age et la Révolution. Il correspond aux terres seigneuriales de l’archevêque qui prennent leurs origines au Moyen Age, notamment après la Croisade contre les Albigeois. Sans suivre ses évolutions sur toute la période entre le XIVe et le XVIIIe siècle, on peut donner une idée assez claire sur la carte qui donne la situation dans la première moitié du XVIIIe siècle (voir annexes). Le temporel de l’archevêque était alors coupé en plusieurs parties, dont la plus importante se situait à l’est de Toulouse entre les limites de la ville du côté de Balma jusqu’à la région de Verfeil et des limites avec l’actuel département du Tarn. Le ressort comptait alors plusieurs baronnies qui fournissaient le plus grand nombre d’affaires : Castelmaurou, Balma et Verfeil. Plus au sud de Toulouse il y avait un autre noyau de terres relevant du temporel, notamment autour de Montbrun, près du canal du Midi. Cette partie du temporel ainsi que celle relevant des baronnies de Balma et de Castelmaurou ont été vendues à partir de 1769, laissant la baronnie de Verfeil comme terre et justice principale de l’archevêque jusqu’à la Révolution12. Malgré ces démembrements successifs, la temporalité est restée comme une des plus importantes seigneuries et justices seigneuriales de la proche région toulousaine13.
11Les ressorts des juridictions proprement religieuses suivent logiquement les contours des circonscriptions religieuses de l’Ancien Régime. Dans le cas des officialités diocésaine et métropolitaine, les ressorts recouvrent très exactement les limites du diocèse de Toulouse dans le premier cas et celles de l’archidiocèse dans le second, avec, en plus du diocèse de Toulouse, ceux de Montauban, Lombez, Rieux, Pamiers, Mirepoix, Saint-Papoul et Lavaur. Les ressorts respectifs de la juridiction « administrative » et « fiscale » du clergé recouvrent le diocèse de Toulouse pour le premier degré (bureau diocésain) et un vaste territoire composé de quasi tous les diocèses sis dans le ressort du Parlement de Toulouse avec quelques exceptions : le diocèse de Viviers relevait de la province ecclésiastique de Vienne, le diocèse du Puy était disputé par les chambres de Toulouse et de Lyon, et plusieurs diocèses appartenant à la province d’Albi ont obtenu de relever de la chambre supérieure de Bourges14. L’ensemble de ces juridictions et leurs ressorts plus ou moins vastes montrent que, comme dans le domaine de la justice royale, Toulouse était une véritable capitale judiciaire dans le domaine ecclésiastique.
12Lorsque l’on examine le personnel de ces juridictions, une première distinction s’impose : pour les juridictions relevant de l’Église – officialité et décimes – les principaux juges étaient des membres du clergé, voire du haut clergé, alors que pour la justice temporelle de l’archevêque, les juges étaient des laïcs comme dans l’ensemble des justices du même type. A la tête des officialités, il y avait l’official dans le rôle de juge et le promoteur dans celui de procureur. Le plus souvent, ces clercs font partie du chapitre Saint-Étienne ; quelle marge de manœuvre avait l’archevêque dans ses choix parmi les membres de cette institution toujours soucieuse de ses prérogatives ? Si des clercs occupaient les principales charges du tribunal, ils faisaient appel à des laïcs comme assesseurs ; ceux-ci sont des avocats au Parlement15. La chambre souveraine ou supérieure avait à sa tête un président alors que le promoteur général faisait office de procureur. À la temporalité, les officiers correspondent à ceux trouvés dans d’autres justices seigneuriales, avec un juge et un procureur fiscal. Dans les juridictions à deux étages (officialités et décimes), on ne pouvait pas être, en même temps, officier aux deux niveaux. En revanche, il y a des cas où la même personne a occupé successivement les charges d’official diocésain et d’official métropolitain, parfois même dans le sens de la plus haute juridiction vers la plus basse. M. Druilhe de l’Isle, chanoine général du chapitre Saint-Étienne, a d’abord été official diocésain dans les années 1738 à 1746 avant de devenir official métropolitain entre 1763 et 1788. M. de Cairol est allé dans l’autre sens, d’abord official métropolitain brièvement en 1742 et 1743, puis official diocésain en remplacement de M. Druilhe, entre 1747 et 175716. Au total, neuf officiaux diocésains se sont succédés au XVIIIe siècle alors qu’il y a eu huit officiaux métropolitains. Avec deux seuls clercs qui ont occupé les deux postes, on constate qu’il n’y avait pas un passage automatique et balisé d’une juridiction à l’autre. Faut-il voir là un résultat de la concurrence au sein du chapitre Saint-Étienne pour éviter une sorte de cumul des mandats ?
13Peut-on mettre ces divers officiers de justice dans la catégorie des officiers « moyens » selon le modèle cher à Michel Cassan ? Il faudrait sans doute distinguer les juridictions plus strictement ecclésiastiques de la temporalité. Dans les deux premiers cas, les officiers sont des clercs qui font partie déjà des strates supérieures du clergé ; leurs charges ne sont pas vénales et ne sont pas patrimoniales même si certaines familles toulousaines voyaient leurs membres investir les principaux chapitres d’une génération à l’autre. Si la charge de juge de la temporalité n’est pas non plus vénale ou héréditaire, il semblerait qu’elle soit considérée comme assez prestigieuse pour attirer des hommes en recherche de promotion sociale. Sur les six juges qui ont occupé la charge de juge temporel au XVIIIe siècle, cinq ont accédé également à une charge de capitoul ; deux capitouls ont occupé la place de juge temporel après leur passage municipal, trois sont passés de la temporalité à la municipalité17. Citons l’avocat toulousain Jean Mascart, qui fut le dernier juge temporel avant la Révolution. Lenard Berlanstein le classe parmi les grands avocats de la ville durant la deuxième moitié du XVIIIe siècle. Capitoul de 1775 à 1778, il devint juge temporel en 1784. Le fait que Mascart a acheté un domaine noble à Teulat, près de Verfeil, en 1775, dans la seigneurie où il allait exercer sa charge de juge quelques années plus tard, n’est certainement pas un hasard18. Ces juges – avocats au Parlement de Toulouse, gradués de droit, plutôt citadins que ruraux – correspondent davantage au profil des officiers « moyens » décrits dans la littérature récente qu’aux « juges guestrés » dénoncés par Charles Loyseau. La proximité de Toulouse, de sa faculté de droit et de son Parlement permettent la constitution d’un vivier de juristes bien formés pour siéger dans ce type de justice locale. La taille de la seigneurie et les assises financières du seigneur ont fait que les offices pouvaient être rémunérés correctement, évitant des formes de cumul dénoncées dans d’autres temps et d’autres lieux19.
14S’il n’y eut pas de mutualisation des charges de juges entre les trois juridictions, il y en eut parmi les auxiliaires de justice, chez les greffiers, huissiers et avocats postulants. A partir de 1747, Jean Lanes fut huissier à l’officialité et à la temporalité ; en 1786, on le trouve également huissier à la chambre supérieure du clergé avec son fils en survivance. La temporalité et l’officialité partagèrent le même greffier, Pierre Guilhot, puis Dominique Soubié, à partir de 1761. Les avocats postulants étaient-ils les mêmes à l’officialité et à la temporalité ? En comparant les noms cités dans les mémoires de Clémence Costes et de Sofiane Bendib, on trouve quelques doublons : maîtres Boutonnier, Arteau, Saint-Julien, Carbonnel, Cathala et Wiser, soit six avocats sur les 39 noms trouvés dans les deux mémoires20. La présence dans les deux juridictions ne semble donc pas être la règle générale. Il faudrait explorer sans doute un peu plus pour voir si ces auxiliaires de justice n’étaient pas aussi présents dans d’autres juridictions soit de la ville, soit dans des petites justices seigneuriales proches. Cette pluriactivité des auxiliaires de justice s’explique probablement par la modestie de l’activité de certaines de ces juridictions, question qui sera abordée dans la prochaine partie. Ce personnel judiciaire fait partie de la « seconde division » de la ville à côté de celle plus prestigieuse du Parlement. Leurs revenus sont moindres, ce qui les oblige à multiplier leurs interventions auprès des juridictions relevant de l’archevêque.
Quelle activité au XVIIIe siècle ? Des juridictions en déclin ?
15Notre connaissance de l’activité des juridictions examinées ici n’est encore que partielle. Si, grâce à Clémence Costes, nous avons une vision claire de l’activité des officialités sur l’ensemble du XVIIIe siècle après 1715, il n’en est pas de même pour la temporalité ou la chambre supérieure. Pour la temporalité, j’ai dépouillé l’ensemble du fonds portant sur le seul siège de Toulouse entre 1710 et 1790. En revanche, il reste à dépouiller huit gros cartons de procédures judiciaires du siège de Verfeil pour ces mêmes dates. Par conséquent, mes conclusions ne peuvent être que partielles en attendant ce travail. Il n’empêche que certains enseignements peuvent être tirés des documents du siège toulousain. Tout d’abord, l’activité de la juridiction est en tous points similaire à celle que l’on retrouve ailleurs : un mélange de procédures de type criminel où l’injure et le vol pèsent plus lourds que la violence physique ; des procédures de type civil avec un contentieux autour des dettes, des obligations, des grossesses ; des procédures liées à l’activité gracieuse de la cour avec des nominations de gardes, des actes de tutelle, etc. ; et, enfin, des actes de police concernant les poids et les mesures, la boucherie, la chasse, les vendanges... Malgré la proximité de la ville de Toulouse, la ruralité est omniprésente dans ces archives avec de multiples affaires de dépaissance des bêtes, des vols de terre, de grains, de bois, des conflits sur les chemins, les passages dans les champs, le glanage21.
16Le volume des cartons et le temps qu’il faut pour les dépouiller peuvent induire en erreur car le nombre d’affaires paraît assez faible : seules deux décennies approchent ou dépassent la moyenne de cinq affaires par an. Il faudra rajouter les affaires contenues dans les cartons du siège de Verfeil, ce qui pourrait, au maximum, doubler le nombre d’affaires par an. Pour une population totale qui devait s’approcher de 10 000 habitants, on n’a pas l’impression d’une activité judiciaire débordante. Celle-ci tend, par ailleurs, à baisser pour le siège toulousain avec la vente de plusieurs seigneuries à partir de 1769 – Montbrun en 1769, Balma en 1770, Castelmaurou en 1785 – et un seul achat – Ramonville en 1775 – qui se traduit par des procédures en provenance d’Auzeville dans la dernière décennie avant la Révolution22. Durant cette dernière période, la majeure partie de l’activité de la temporalité s’est désormais déportée jusqu’à Verfeil où la baronnie comporte encore une population nombreuse et où les cartons d’archives attendent encore leur découvreur23.
17Le fonds toulousain de la chambre supérieure des décimes ainsi que ce qui reste de celui du bureau diocésain attendent aussi leur historien (ne). Un examen attentif de la vingtaine de liasses concernant la chambre supérieure permettraient d’avoir une connaissance plus poussée du volume d’activité de cette chambre aussi bien en termes des jugements que pour ce qui relève de son administration. Par exemple, il y a un registre dédié aux épices perçues par les membres de la chambre entre 1685 et 176324. La chambre de Paris a interdit la perception d’épices en 1771 lors du Parlement Maupeou25. Y a-t-il eu une décision semblable à Toulouse ? L’absence de documents postérieurs le suggère mais la vérification par les archives reste à faire. Cinq liasses portent sur le fonctionnement de la chambre depuis le XVIe siècle avec des procès-verbaux d’élection des députés désignés par diocèse et par province ecclésiastique26. Parmi les enjeux d’une recherche poussée dans ce fonds, citons la possibilité de voir l’importance relative du contentieux au sujet des décimes dans une vaste région de la France du Sud-Ouest ; on apprendrait aussi qui était à l’origine du contentieux – des prêtres bénéficiers, des institutions (chapitres, monastères), des membres du haut clergé.... Un regard rapide sur les registres des affirmations de voyage du début des années 1760 suggère que bon nombre de contentieux opposent le syndic du clergé d’un diocèse à une institution religieuse telle que les religieux bénédictins de la Chaise-Dieu, prieurs et seigneurs de Poussan (diocèse de Montpellier), le syndic des hebdomadiers et prébendés du chapitre cathédral de Montauban, ou le syndic du chapitre abbatial de Saint-Sernin de Toulouse27.
18Les archives des officialités toulousaines sont autrement mieux connues grâce à Janick Giammettei et Clémence Costes. Cette dernière a dépouillé l’intégralité des liasses des différentes procédures et actes même si elle n’a pas analysé à fond les registres d’audiences difficiles à exploiter. Son travail permet de comparer, sur une longue durée, le nombre d’affaires présentes dans les registres d’audiences avec celles présentes dans les liasses de « procès » (voir les deux graphiques en annexe). Il y a un décalage entre les deux ensembles de données qu’il n’est pas aisé d’expliquer. Si je devais émettre une hypothèse, je dirais que le nombre d’audiences reflète le volume des affaires contentieuses. A la fin du siècle, ce volume a diminué laissant la place aux demandes de dispense de parenté qui relèvent de la juridiction gracieuse et non contentieuse. Devant l’officialité toulousaine, les questions matrimoniales occupent une place prépondérante même si elles changent de nature entre la première et la deuxième moitié du siècle. Jusqu’au milieu du siècle, les affaires portant sur des oppositions aux mariages sont très nombreuses malgré le fait que la grande majorité d’entre elles ne trouve pas grâce aux yeux de l’officialité. Dans la seconde moitié du siècle, les affaires matrimoniales concernent massivement des demandes de dispense de parenté, quasiment les deux tiers des affaires dans la décennie 1780-1790. Malheureusement, on ne peut pas comparer ces demandes de dispenses avec les données fournies par André Burguière pour l’officialité de Paris en 1729 et 1790 qui distingue entre des dispenses pour consanguinité, pour affinité, pour affinité spirituelle ou pour « honnêteté », ni suivre leur évolution au cours du siècle avec, notamment une hausse de la consanguinité28.
Questions matrimoniales devant l’officialité de Toulouse, 1710-179029
Années | Empêchements canoniques | Oppositions au mariage | Demandes en nullité du mariage | Total |
1710-1719 | 31 | 31 | 2 | 64 |
1720-1729 | 23 | 26 | 0 | 49 |
1730-1739 | 32 | 44 | 1 | 77 |
1740-1749 | 29 | 27 | 1 | 57 |
1750-1759 | 43 | 3 | 0 | 46 |
1760-1769 | 37 | 0 | 0 | 37 |
1770-1779 | 21 | 0 | 2 | 23 |
1780-1790 | 77 | 1 | 1 | 79 |
Totaux | 293 | 132 | 7 | 0 |
19Si les questions matrimoniales relèvent de la compétence ratione materiae des officialités, la question de la discipline du clergé concernent celle de la ratione personae. Clémence Costes montre à la fois l’existence de prêtres peu faits pour la vie pastorale et leur nombre relativement faible eu égard à la population cléricale du diocèse de Toulouse. Si l’on en croit les archives de l’officialité, le clergé du Midi toulousain au siècle des Lumières avait vaincu les démons si souvent dénoncés lors des siècles précédents. Un autre problème semble guetter le clergé, plutôt régulier : un malaise chez un certain nombre de religieux qui cherchent à faire annuler les vœux ecclésiastiques qu’ils avaient prononcés, souvent contre leur gré si l’on en croit leur argumentation. Quoi qu’il en soit, la comparaison des chiffres toulousains avec ceux d’autres diocèses suggère un malaise plus grand ici qu’ailleurs. Deux articles respectivement de Cyrille Fayolle et de Jean-Marc Lejuste, présentent les données sur les réclamations de vœux dans plusieurs diocèses français30 :
Diocèses et dates | Nombre de réclamations contre les vœux |
Auxerre, Langres et Dijon (1690-1789) | 25 |
Besançon (1700-1789) | 33 |
Clermont (1700-1789) | 25 |
Trois diocèses lorrains (1650-1789) | 11 |
Toulouse (1710-1790) | 98 |
20Comment expliquer à la fois l’importance relative de ce phénomène à Toulouse et sa chronologie ? En l’absence de bonnes études sur les différents ordres religieux à Toulouse au XVIIIe siècle, il est difficile de proposer ne serait-ce qu’une hypothèse.
Demandes en nullité de vœux ecclésiastiques devant l’officialité de Toulouse, 1710-179031
Années | Nombre de demandes |
1710-1719 | 3 |
1720-1729 | 1 |
1730-1739 | 6 |
1740-1749 | 15 |
1750-1759 | 10 |
1760-1769 | 5 |
1770-1779 | 38 |
1780-1790 | 20 |
Totaux | 98 |
La cohabitation des juridictions toulousaines
21Les juridictions de l’archevêque doivent être replacées dans le contexte de l’ensemble des juridictions de la ville, une véritable capitale judiciaire par l’ancienneté de ses tribunaux, par l’importance de leurs ressorts et par la diversité de leurs compétences32. Comme il a déjà été démontré, les justices de l’archevêque partagent ces caractéristiques. Une question se pose : comment la cohabitation de ces juridictions est-elle vécue ? Connaissant la complexité du système judiciaire de l’Ancien Régime, y a-t-il eu de la rivalité entre les justices royales et ecclésiastiques, entre celle des Capitouls et celle de l’archevêque ? Examinons les tribunaux l’un après l’autre.
22Le ressort de la justice temporelle est presque entièrement à l’extérieur de la ville et gardiage de Toulouse où s’exerce la juridiction des Capitouls. Presque, parce que l’enceinte de l’archevêché semble relever de l’autorité ecclésiastique. Deux affaires trouvées dans le fonds du temporel vont dans ce sens : dans un cas il s’agit d’une évasion de la prison dite de l’Écarlate, dans l’autre d’un vol de pièces de monnaie chez un prisonnier détenu dans cette même prison33. Il peut y avoir de la concurrence avec d’autres tribunaux – la viguerie de Toulouse avant 1749 et la sénéchaussée de Toulouse durant tout le siècle – car leurs ressorts respectifs recouvrent tout ou partie de celui de l’archevêque. Il faudrait, pour trouver trace de la concurrence, explorer les fonds de ces deux tribunaux royaux pour voir si des justiciables préféraient aller chez les magistrats royaux de Toulouse. Dans deux affaires devant la justice temporelle, il semblerait que la procédure judiciaire avait commencé soit devant la viguerie, soit devant la sénéchaussée parce que, dans les deux cas, les accusés se trouvaient dans leurs prisons respectives. A partir de cette première étape, la juridiction temporelle a repris les choses en main, mais sans savoir à l’initiative de qui : le juge royal en question, le prévenu, le procureur temporel34? La concurrence a pu avoir lieu aussi avec la justice seigneuriale du canal du Midi qui passe à travers une partie des terres de l’archevêque. En 1772, c’est le procureur temporel qui se charge d’un cadavre trouvé dans les eaux du canal à Pechabou. Dans ce cas, il est légitime de penser que le procureur temporel a été averti avant la justice du canal, ce qui expliquerait sa présence alors que la justice du canal appartenait aux seigneurs dudit canal y compris pour y repêcher des cadavres35.
23On peut émettre l’hypothèse que la justice temporelle possédait les moyens de mener à bien ses missions. Elle avait les moyens humains, avec des officiers de bonne qualité et bien rémunérés (nous ne savons pas combien mais on peut imaginer qu’avec les moyens financiers de l’archevêque, les gages ne devaient pas être très inférieures à celles des officiers de la justice du canal). Quant aux locaux de justice, y compris des prisons, même si relativement délabrés, ils devaient permettre un bon exercice de la justice comparé aux milliers de petites justices seigneuriales démunies de tout et souvent dénoncées pour l’incompétence de leurs officiers et leur rapacité en matière pécuniaire.
24Le cas de la chambre supérieure des décimes devra rester pour l’instant à l’état d’esquisse faute de recherches suffisantes dans son fonds. Dans ses articles datant des années 1930, G. Lepointe donne des exemples qui suggèrent que les chambres supérieures ont pu outrepasser leurs compétences en acceptant de juger des affaires qui n’avaient pas encore été jugées par les bureaux diocésains. La concurrence aurait été entre les deux degrés de cette justice financière et administrative un peu comme ce qui pouvait exister entre présidiaux et sénéchaussées36. On peut imaginer que des grandes juridictions proches telles que le Parlement de Toulouse ou les Cours des aides de Montauban et de Montpellier ont pu, à l’occasion, s’immiscer dans les affaires que revendiquaient la chambre supérieure, mais il faudrait explorer aussi bien le fonds de cette chambre et ceux des autres cours souveraines mentionnées.
25A Toulouse, la juridiction ecclésiastique la plus concurrencée semble avoir été l’officialité, surtout dans sa compétence sur les affaires concernant le clergé. En examinant la base de données rassemblée par Clémences Costes, ce furent les sénéchaussées qui constituaient les principales concurrentes avec 34 affaires revendiquées d’abord par la sénéchaussée de Toulouse devant celles du Lauragais ou de Pamiers. Les Capitouls figurent aussi parmi les concurrents ainsi que la viguerie de Toulouse avant 1749, date de sa disparition. Cette concurrence résulte avant tout d’une limitation de la compétence des officiaux pour ce que la législation et la jurisprudence appellent les cas privilégiés. Muyart de Vouglans propose trois types de cas où la justice de l’Église avait son mot à dire : les délits ecclésiastiques, les délits communs et les délits privilégiés. Dans le premier cas, il s’agit de délits qui ne peuvent concerner que des clercs. Par exemple, si un évêque interdit aux prêtres de son diocèse le droit de chasser ou de faire d’autres activités profanes, seuls des clercs sont concernés par une telle interdiction. Un prêtre qui célèbre la messe alors qu’il est interdit de messe serait un autre exemple de ce type de délit strictement réservé aux ecclésiastiques. De plus, ces délits ne sont pas susceptibles de peines afflictives ou infamantes qui sont le monopole de juges laïcs. Muyat de Vouglans propose un deuxième cas, les délits communs, qui sont des délits de faible importance – excès de fait ou de parole – et qui n’ont pas de portée générale. Une personne peut être lésée par des injures mais non l’intérêt général, et les peines ne sont que pécuniaires et ni afflictives ou infamantes. Enfin, son troisième cas porte sur les délits privilégiés qui recouvrent une très grande variété de sujets car la justice royale fait tout pour élargir ses compétences au détriment de la justice de l’Église. Muyart de Vouglans les résume ainsi : ils intéressent l’ordre public fortement et exigent une punition exemplaire ; ils ne peuvent être punis que par des peines lourdes, afflictives et infamantes, domaine exclusif des juges laïcs ; ils sont nécessairement instruits conjointement par un juge royal et un juge ecclésiastique37. Le nombre et la variété des délits privilégiés sont très grands et ne cessent d’augmenter avec la législation royale et la jurisprudence des cours royales ; ils vont du meurtre avec préméditation, aux cas royaux en général, à l’inceste spirituel et à la séduction de pénitentes.
26L’examen de quelques cas toulousains suggère que les parties, y compris des clercs, se présentaient devant les justices royales qui commençaient généralement à instruire l’affaire. Puis, averti par on se sait quel biais, le promoteur de l’officialité intervenait et faisait un acte de réquisition pour que l’affaire soit remise à l’officialité. En juin 1781, dans une affaire qui oppose deux prêtres consorcistes au curé de la paroisse de Saint-Pierre des Cuisines de Toulouse, voici ce qu’écrit le promoteur : « attendu que le Sieur Promoteur doit par son ministère veiller à l’ordre clérical et à celui de la juridiction ecclésiastique pour l’intérêt et le soutien de laquelle il revendique par le présent acte... et requiert en tant que besoin Mr Me de Sabalos, juge criminel, de renvoyer ledit Me Marfaing prêtre consorciste par devant l’official de Toulouse pour estre par lui jugé sur le délit commun... et au cas qu’il fut accusé d’un délit privilégié pour être procédé contre lui conjointement avec le juge royal en la forme prescrite par les ordonnances royales...38 ». On voit ici que le promoteur prend ses précautions, revendiquant le délit commun mais anticipant la possibilité d’un cas privilégié. En cas d’instruction conjointe, la sentence de l’official ne mentionne pas la présence au préalable du juge royal ; la justice ecclésiastique rend sa sentence d’abord, puis la justice royale après. Par conséquent, les archives de l’officialité ne disent rien des sentences rendues par les juges royaux. Pour cela, il faudrait dépouiller les sentences criminelles du sénéchal afin de connaître le fin mot de l’histoire.
27Ce dernier paragraphe montre bien une des limites des archives des officialités : il n’est pas du tout sûr que tous les ecclésiastiques jugés au XVIIIe siècle l’aient été par les juges de l’Église. Dans une ville telle que Toulouse et pour le diocèse dans son ensemble, il conviendrait de partir de la base de données compilée par Clémence Costes puis d’examiner les sentences des tribunaux royaux à Toulouse et dans ses environs. Si les sénéchaux apparaissent dans la grande majorité des affaires où une justice laïque est impliquée, il faudrait s’interroger sur le rôle des capitouls dans plusieurs affaires notées par C. Costes. Car, selon la législation royale, ce sont les baillis et les sénéchaux qui doivent instruire et juger ces délits cas privilégiés. On s’interrogera aussi sur l’affaire qui a impliqué, au moins temporairement, le juge seigneurial de la baronnie d’Issus39. Enfin, les procédures des capitouls entre 1780 et 1790 montrent la présence de clercs dans une vingtaine d’affaires. Seule une de ces affaires semble être parvenue à l’officialité ; pourquoi ces clercs sont-ils devant cette juridiction laïque et pas devant l’officialité, ni devant le sénéchal ?
Conclusions
28Cette première publication consacrée aux juridictions de l’archevêque de Toulouse au XVIIIe siècle nous permet de dresser un premier bilan de ce que nous savons et de ce qui reste à faire. La chambre supérieure du clergé a besoin d’une étude approfondie pour voir exactement comment elle fonctionnait et pour comprendre la nature du contentieux qu’elle jugeait. L’officialité, bien mieux étudiée, doit être abordée maintenant par le biais de ses relations avec les justices royales qui l’entourent et qui, semble-t-il, la concurrencent de plus en plus. Autre question laissée sans réponse est celle des réclamations de vœux qui paraissent nettement plus élevés à Toulouse que dans d’autres diocèses du royaume. Cela passe par un examen en profondeur des affaires et par une étude du recrutement des ordres religieux dans la ville. Enfin, la temporalité apparaît comme une justice seigneuriale typique quoique sans doute mieux armée en infrastructures et en personnels que la grande majorité en France dans les décennies avant la Révolution. Matériellement, il faudrait analyser les cartons du siège de Verfeil, mais il n’est pas dit que les résultats seraient particulièrement originaux. On pourrait plutôt essayer de mener un travail sur l’ensemble des justices de la région toulousaine afin de voir comment le personnel judiciaire répartissait les charges entre juristes toulousains et basoche de village.
29Cette étude montre que Toulouse était une capitale judiciaire aussi bien pour la justice royale que pour la justice relevant de l’Église. La présence d’un archevêché constitue déjà une solide fondation car elle induit l’existence d’un double degré de justice avec les officialités diocésaine et métropolitaine. Si Toulouse bénéficie aussi de la chambre supérieure du clergé, la présence du Parlement est certainement déterminante, les ressorts d’ailleurs sont très proches. La justice temporelle de l’archevêque n’est pas une spécificité de Toulouse, bien d’autres villes épiscopales l’ont connue. Le cas toulousain est peut-être un peu différent dans la mesure où la justice des capitouls a très vite rejeté l’évêque hors des limites de la ville, faisant de la temporalité une justice rurale de proximité et limitant le poids politique de l’archevêque intramuros. A Albi, par exemple, la justice temporelle de l’archevêque incluait le territoire et la population de la ville et on trouverait de nombreux autres exemples ailleurs en France40.
30Du fait de ces trois juridictions, l’archevêque de Toulouse se trouve à la tête d’une administration judiciaire importante et, sans doute, coûteuse. Comment chiffrer le fonctionnement annuel de l’appareil judiciaire ? Pour l’instant, il n’est pas possible d’avancer une somme. Mais on peut voir dans la vente de plusieurs baronnies par Loménie de Brienne entre 1769 et 1785 un effort pour réduire les coûts de la temporalité, ce qui ne pouvait pas être fait avec les justices ecclésiastiques de la même manière. Quoi qu’il en soit, on peut estimer que l’archevêque était, après les Riquet, le plus riche seigneur de Toulouse en termes de revenus annuels. Il avait donc les moyens de faire fonctionner cet appareil avec un personnel nombreux et compétent, puisé d’un côté dans les gens de justice de la ville – avocats, procureurs, notaires, greffiers, huissiers –, de l’autre dans le personnel des chapitres, notamment celui de Saint-Étienne.
31Pour terminer, qu’en est-il de leur activité ? Au temporel, l’activité se poursuit jusqu’en septembre 1790, mais de plus en plus concentrée sur le siège de Verfeil, le siège toulousain ayant subi le contre-coup des ventes des baronnies plus proches de la ville. Les officialités montrent un clair déclin ; à la fin de l’Ancien Régime, les dispenses de mariage constitue leur principale activité ; le contentieux devient rare. Est-ce une question de concurrence des justices royales ? C’est une question qui demande à être approfondie. Enfin, l’activité de la chambre supérieure ne paraît jamais comme débordante du fait de la nature même du contentieux. Ce qui arrive à la chambre, ce sont les appels des jugements des bureaux diocésains dont on saisit mal l’activité. On peut penser que les bureaux étaient déjà le lieu de négociations et de transactions entre les syndics des diocèses et les bénéficiaires individuels ou collectifs. Ce premier filtre paraît assez efficace dans la mesure où le nombre d’affaires devant la chambre n’est pas très important. Toutefois, un travail d’analyse de cette juridiction permettrait de valider ou d’infirmer cette hypothèse.
Annexes
Tableau des affaires jugées par l’officialité de Toulouse et où apparaît une autre justice41
Cote | Année | Nature de l’affaire | Tribunal concurrent |
5G 33 | 1720 | Vol de billets de banque | Procédure conjointe, official et juge criminel du sénéchal de Toulouse |
5G 34 | 1727 | Injures entre 2 prêtres | Appel comme d’abus |
5G 34 | 1728 | Injures et violences | Le viguier de Toulouse |
5G 34 | 1729 | Dette | Présidial de Toulouse |
5G 35 | 1731 | Procédure criminelle devant le | |
5G 36 | 1735 | Violation de domicile, un prêtre défendeur | Commencé devant le Sénéchal de |
5G 36 | 1736 | Sénéchal | |
5G36 | 1737 | Calomnies | Capitouls |
5G 36 | 1738 | Abus de confiance | Capitouls |
5G 37 | 1738 | Prêtre usurier | Sénéchal du Lauragais |
5G 38 | 1743 | Dettes | Sénéchal du Lauragais |
5G 50 | 1744 | Assassinat | Sénéchal de Toulouse |
5G 40 | 1746 | Nullité de vœux | Appel comme d’abus |
5G 39 | 1746 | Coups et blessures | Sénéchal de Toulouse |
5G 40 | 1748 | Calomnies | Sénéchal de Toulouse |
5G 40 | 1748 | Calomnies | Sénéchal de Toulouse |
5G 41 | 1749 | Appel en duel | Sénéchal du Lauragais |
5G 41 | 1752 | Sénéchal du Lauragais | |
5G 41 | 1753 | Dettes | Sénéchal de Pamiers |
5G 42 | 1757 | Querelles | Sénéchal de Toulouse |
5G 42 | 1757 | Querelles | Sénéchal du Lauragais |
5G 43 | 1763 | Coups et blessures | Sénéchal de Toulouse |
5G 44 | 1766 | Injures et violences | Sénéchal de Toulouse |
5G 51 | 1778 | Calomnies | Sénéchal de Toulouse |
5G 44 | 1780 | Injures | Juge baronnie d’Issus |
5G 44 | 1781 | Coups et blessures | Capitouls |
5G 51 | 1781 | Injures et menaces | Sénéchal de Toulouse |
5G 51 | 1784 | Injures et blessures | Sénéchal de Toulouse |
5G 45 | 1787 | Injures et violences | Sénéchal de Toulouse |
5G 51 | 1788 | Sénéchal de Toulouse | |
5G 51 | 1788 | Injures et violences | Sénéchal de Toulouse |
5G 51 | 1788 | Injures et violences | Sénéchal de Toulouse |
5G 45 | 1790 | Appel comme d’abus |
32Le ressort de la temporalité de l’archevêque de Toulouse avant 1769
33D’après Jack THOMAS, « Toulouse capitale judiciaire à l’époque moderne : un essai de bilan historiographique et cartographique », dans Jacques POUMAREDE (ouvrage coordonné par), Territoires et lieux de justice, Collection Histoire de la justice, n° 21, Paris, La Documentation française, 2011, p. 76 (cartographie de Joseph Buosi).
Notes de bas de page
1 Pour une vue d’ensemble de ces juridictions, voir Jack THOMAS, « Toulouse ‘capitale judiciaire’ à la fin de l’époque moderne, essai de cartographie », dans Jacques POUMAREDE, (coord.), Territoires et lieux de justice, Paris, La Documentation française, collection Histoire de la Justice, 2011, p. 49-83.
2 Janick GIAMMATTEI, Étude des mentalités à Toulouse d’après la justice de l’officialité du diocèse : 1715-1750, Mémoire de maîtrise en histoire, Université de Toulouse-Le Mirail (désormais UTM), 1972, 154 p.
3 Sophie PERALBA, L’organisation et le fonctionnement de l’officialité archidiocésaine de Toulouse, Mémoire de DEA, Histoire du droit et des institutions, Université de Toulouse I, 1996, 357 p.
4 Clémence COSTES, L’officialité archiépiscopale de Toulouse au XVIIIe siècle, Mémoire de maîtrise en histoire, UTM, 2 vol., 2001, 147 p. et 132 p.
5 Sofiane BENDIB, La justice temporelle de l’archevêque de Toulouse au XVIIIe siècle, Mémoire de maîtrise en histoire, UTM, 2003, 203 p.
6 Pour une revue générale des officialités, voir Anne LEFEBVRE-TEILLARD, Les officialités à la veille du Concile de Trente, préface de Jean GAUDEMET, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1973, 291 p. ; et Bernard d’ALTEROCHE, L’officialité de Paris à la fin de l’Ancien Régime (1780-1790), Paris, Université Panthéon-Assas (Paris II), L.G.D.J., E.J.A., 1994, 150 p.
7 Pour une discussion détaillée de la composition et du mode de désignation des magistrats, voir G. LEPOINTE, « La composition et l’organisation interne de la chambre supérieure des décimes de Paris au XVIIIe siècle », Revue historique du droit français et étranger, 4e série, 15e année, 1936, p. 304-320.
8 G. LEPOINTE, « Le rôle des chambres supérieures des décimes et leur situation juridique », Revue historique du droit français et étranger, 4e série, 17e année, 1938, p. 71-91.
9 Pour une présentation très claire des activités des justices seigneuriales, voir Pierre VILLARD, Les justices seigneuriales dans la Marche, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1969. Pour un ouvrage plus récent qui aborde tous les aspects de la justice seigneuriale, voir Fabrice MAUCLAIR, La justice au village. Justice seigneuriale et société rurale dans le duché-pairie de La Vallière (1667-1790), Rennes, PUR, 2008, 369 p.
10 Sur cet espace toulousain, voir Quitterie CAZES, Le quartier canonial de la cathédrale Saint-Étienne de Toulouse, Toulouse, C.A.M.L., 1998, 194 p. (n° spécial de l’Archéologie du Midi médiéval, supplément 2). Le terme « écarlate » viendrait de la couleur de la porte de la prison. Sofiane BENDIB, La temporalité de l’archevêque de Toulouse, op. cit., p. 99.
11 Archives départementales de la Haute-Garonne (désormais ADHG) 1B 1717 (mars 1771) : enregistrement de lettres patentes autorisant la chambre supérieure des décimes de Toulouse à établir une imposition annuelle de 30 00 livres sur les diocèses de son ressort pour se procurer un lieu propre à la tenue de ses séances et à l’installation du greffe et des archives (f° 469) ; 1B 1753 (août 1775) : enregistrement de lettres patentes qui confirment la cession faite par l’archevêché de Toulouse en faveur du clergé du bâtiment où se trouve la bibliothèque et de deux portions de terrain, sur lesquelles seront établies la chambre souveraine, des archives et le greffe du diocèse (f° 808).
12 Voir Sofiane BENDIB, La temporalité de l’archevêque de Toulouse, op. Cit., p. 30-43.
13 Voir Jean BASTIER, La féodalité au temps des Lumières dans la région de Toulouse, 1730-1790, Paris, Bibliothèque nationale, 1975, 312 p.
14 Établie en 1580 par lettres patentes du roi, la juridiction de la chambre souveraine du clergé, établie à Toulouse, a changé plusieurs fois de ressort (voir l’arrêt enregistré par le Parlement de Toulouse, 1B 1908, f° 241v°, 1580). Pour le XVIIIe siècle, voir la liste donnée par l’Almanach de Baour en 1786 et les indications fournies dans les dossiers de la chambre souveraine du clergé de Toulouse, ADHG 1G 55, 1G 56, 1G 57, 1G 58 et 1G 59. Selon G. LEPOINTE, « Le rôle des chambres supérieures du clergé », art. Cit., le diocèse du Puy a été attribué à la chambre de Lyon en 1772, suite à une décision de l’assemblée générale du clergé, p. 82. La situation des diocèses de la province ecclésiastique d’Albi est plus complexe car selon des documents trouvés dans la liasse 1G 58, il est question à la fin du XVIIe et au XVIIIe siècle de diocèses, « suffragant de la l’archevêché de Bourges et qui sont dans le ressort de la chambre [ou, parfois, du Parlement de Toulouse] ». Voir, par exemple, le jugement de réception de Messire de Catellan à une charge de la province d’Albi du 19 janvier 1721.
15 A la fin de l’Ancien Régime, par exemple, selon l’Almanach de Baour, Maîtres Aymar et Ozun étaient les deux assesseurs de l’officialité, Almanach historique de la province de Languedoc, nouvelle édition, enrichie de vignettes analogues à chaque corps, 1788, p. 109.
16 Clémence COSTES, L’officialité archiépiscopale de Toulouse au XVIIIe siècle, op. cit., tome 2, Annexe 6, p. 54 et annexe 11, p. 62.
17 Pour les juges temporels, voir Sofiane BENDIB, La temporalité de l’archevêque de Toulouse, op. cit. p. 60 ; pour les biographies de capitouls, voir la thèse de Grégory BARBUSSE, Le pouvoir et le sang : les familles des capitouls de Toulouse au siècle des Lumières (1715-1790), Thèse d’Histoire, UTM, 2 vol., 2004, vol. 2.
18 Sur Jean Mascart, voir Grégory BARBUSSE, Le pouvoir et le sang, op. cit., vol. 2, p. 358- 359.
19 Michel CASSAN, « Officiers ’moyens’, officiers seigneuriaux. Quelques perspectives de recherche », Les Cahiers du Centre de recherches historiques [en ligne], 27, 2001, mis en ligne le 23 novembre 2008, consulté le 12 octobre 2013, URL : http://ccrh.revues.org/1233 ; DOI : 10.4000/ccrh.1233.
20 Clémence COSTES, L’officialité archiépiscopale de Toulouse au XVIIIe siècle, op. cit. p. 39 ; et Sofiane BENDIB, La temporalité de l’archevêque de Toulouse, op. cit. p. 68-69. Il y a un doute sur un septième nom, maître Fourquet ou Fourquié.
21 Voir ADHG 1G 954-968, 971 ; et 5G 53, 54, 56.
22 Pour ces transactions, voir Sofiane BENDIB, La temporalité, op. cit., p. 30-43.
23 ADHG 1G 989-996 (siège de Verfeil). En examinant le dernier carton des archives du siège de Verfeil, j’ai été amusé de voir qu’une des dernières affaires portées devant ce tribunal émanait de Messire Joseph Honoré de Varès, marquis de Fauga, qui s’est plaint du comportement de Me Pillore, feudiste de Verfeil, qu’il avait chargé de refaire son livre terrier vers 1780. Alors que les droits seigneuriaux sont en passe d’être abolis et que la Révolution fait son œuvre, en mai 1790, le marquis continue à mettre en avant ses titres chevaleresques et ses droits seigneuriaux. ADHG B-Justice secondaire, Verfeil, 766.
24 ADHG 1G 65, Livre des épices, 1685-1763.
25 Voir G. LEPOINTE, « La composition et l’organisation intérieure de la chambre supérieure des décimes de Paris », art. cit., p. 322.
26 ADHG 1G 55 à 59.
27 ADHG 1G 63, Registre des affirmations de voyage... 1762-1763.
28 André BURGUIERE, « ’Cher cousin’ : les usages matrimoniaux de la parenté proche dans la France du XVIIIe siècle », Annales. Histoire, Sciences sociales, 52e année, n° 6, 1997, p. 1339-1360 (surtout 1343-1346).
29 Tableau construit en utilisant les données rassemblées par Clémence COSTES, L’officialité archiépiscopale de Toulouse au XVIIIe siècle, op. cit., t. 2, annexe 22, Base de données réalisée d’après les procédures concernant les causes matrimoniales, dans les séries 5G et 1G, p. 86-101.
30 Cyrille FAYOLLE, « L’entrée en religion : détermination sociale et décision personnelle », Revue d’Auvergne, 1997, t. 111 (3/4), p. 114-134 ; et Jean-Marc LEJUSTE, « Vocation et famille : l’exemple de la Lorraine aux XVIIe et XVIIIe siècles », Chrétien et sociétés, (en ligne), 18/2011, mis en ligne le 17 juillet 2012, consulté le 24 février, 2014.
31 Tableau construit à partir des données dans le mémoire de Clémence COSTES, L’officialité archiépiscopale de Toulouse au XVIIIe siècle, op. cit. t. 2, annexe 2, p. 40.
32 Voir Jack THOMAS, « Toulouse ‘capitale judiciaire’ à la fin de l’époque moderne, essai de cartographie », art. cit.
33 ADHG 1G 964 (1750, évasion) et 1G 961 (1719, vol de monnaie). D’après l’ordonnance de 1670, le bris de prisons ou les évasions relèvent des juges qui ont fait incarcérer les prisonniers.
34 ADHG 1G 964 (1719, le prévenu se trouve dans les prisons du sénéchal) ; et 1G 965 (1728, le prévenu est dans la prison du viguier).
35 ADHG 5G 54 (1772, Pechabou). Voir Jack THOMAS, « L’activité toulousaine de la justice seigneuriale du canal de navigation des Deux-Mers en Languedoc », dans Le canal du Midi et les voies navigables dans le Midi de la France, Actes du congrès des Fédérations historiques languedociennes, Castelnaudary, juin 1997, Carcassonne, Société d’Études scientifiques de l’Aude, 1998, p. 21-29.
36 Voir les deux articles de G. LEPOINTE déjà cités plus haut.
37 Pierre-François MUYART de VOUGLANS, Instruction criminelle suivant les lois et ordonnances du royaume, Troisième partie, Paris, 1762, p. 52.
38 ADHG 5G 51.
39 ADHG 5G 44.
40 Voir, pour Albi, Richard BLEUSE, Justices municipales, seigneuriales et royales en la ville d’Albi aux XVIe et XVIIe siècles, Mémoire de maîtrise en Histoire, UTM, 2 vol., 2000, 93 et 104 p. ; et R. BOUTONNET, Étude des mentalités d’après les procédures criminelles de la temporalité d’Albi à la fin du XVIIIe siècle, 1770-1789, Mémoire de maîtrise en Histoire, UTM, 1973, 116 p.
41 Clémence COSTES, L’officialité archiépiscopale de Toulouse au XVIIIe siècle, op. cit. t. 2, Annexe 2.
Auteur
FRAMESPA Université de Toulouse-Le Mirail
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