Rapport de synthèse. Carnet de voyage des 19 et 20 juin 2014
p. 395-414
Texte intégral
1Je voudrais dissiper tout malentendu en précisant d’emblée que je n’ai pas la prétention, à l’issue des deux journées denses qui nous ont réunis, de faire à proprement parler un rapport de synthèse.
2J’aimerais plus modestement vous soumettre les observations, réflexions, interrogations suscitées par vos interventions directement entendues ou dont on m’a fait le récit (étant dépourvue d’un don d’ubiquité qui m’aurait permis d’assister aux ateliers concomitants) et que j’ai notées ces deux derniers jours dans ce qui pourrait être mon carnet de voyage de découverte sur le thème “voyage et droit”.
3Gilles Deleuze (dans “V comme voyage”) citant Proust dit : “Finalement qu’est-ce qu’on fait quand on voyage, on vérifie toujours quelque chose”, et il prend soin de préciser que Proust ajoute plus loin : “Le vrai rêveur c’est celui qui va vérifier quelque chose1”.
4Voyageuse, rêveuse ou ne voyageant qu’en rêve, qu’est-ce que je pouvais donc vouloir vérifier ? Par honnêteté intellectuelle, il me faut le dire avant de livrer les notes inscrites dans mon carnet de voyage puisqu’il faut croire qu’elles auraient pu être infléchies par ce voyage en quête de vérification.
5J’ai assurément d’abord voulu vérifier les réflexions très tôt échangées avec mes compagnons de route pour l’organisation scientifique de ce colloque, MM. Gaven, Mouton et Nicod, relativement à la question qui de tout temps, de la cité antique à l’État moderne, aura été celle de l’équilibre à trouver entre ouverture et fermeture aux voyageurs. Une quête d’équilibre exprimée dès l’Antiquité par le couple des représentations des deux divinités grecques Hermès et Hestia, aussi opposées qu’indissociables : Hestia à laquelle revient l’univers du dedans, Hermès auquel revient l’univers du dehors, le dedans devant s’ouvrir au dehors pour exister comme l’exprime Jean-Pierre Vernant : “Autant Hestia, la déesse du foyer, est sédentaire, refermée sur les humains et les richesses qu’elle abrite, autant Hermès est nomade, vagabond, toujours à courir le monde ; il passe sans arrêt d’un lieu à un autre, se riant des frontières, des clôtures, des portes, qu’il franchit par jeu, à sa guise. Maître des échanges, des contacts, à l’affût des rencontres, il est le dieu des chemins où il guide le voyageur, le dieu aussi des étendues sans routes, des terres en friche où il mène les troupeaux, richesse mobile dont il a la charge, comme Hestia veille sur les trésors calfeutrés au secret des maisons. Divinités qui s’opposent, certes, mais qui sont aussi indissociables (…) Pour qu’il y ait véritablement un dedans, encore faut-il qu’il s’ouvre sur le dehors pour le recevoir en son sein. Pour être soi, il faut se projeter vers ce qui est étranger, se prolonger dans et par lui. Demeurer enclos dans son identité, c’est se perdre et cesser d’être. On se connaît, on se construit par le contact, l’échange, le commerce avec l’autre (…)2”. Ainsi se fermer aux voyageurs, au dehors, c’est choisir si ce n’est la mort l’immobilisme, comme en firent l’expérience les Japonais sous le shogunat Tokugawa. Et c’est au dehors, aux savants3, y compris aux experts étrangers en droit, que le Japon sous l’ère Meiji (Tadaki Matsukawwa) comme la Chine républicaine (Hélène Simonian) ou le Vietnam dans les années 1980 (Nguyen Thi Hai Van) font appel quand ils veulent rattraper la modernité, assurer leur développement économique et participer au commerce international. Et ainsi voyage le droit.
6J’ai ensuite voulu vérifier les lectures qui m’ont personnellement le plus nourrie en préparant ce colloque4, à savoir les thèses soutenues par Virilio dans “Vitesse et politique5” et par Deleuze et Guattari dans “Capitalisme et schizophrénie6”, plus particulièrement dans “le Traité de nomadologie” qui figure dans “Mille Plateaux”. La thèse de Virilio tout d’abord selon laquelle le pouvoir politique de l’État est “polis, police, c’est-à-dire voirie7, et ceci, dans la mesure où, depuis l’aube de la révolution bourgeoise, le discours politique n’est qu’une série de prises en charge plus ou moins conscientes de la vieille poliorcétique communale, confondant l’ordre social avec le contrôle de la circulation (des personnes, des marchandises)8” et selon laquelle encore “les portes de la cité, ses octrois et ses douanes sont des barrages, des filtres à la fluidité des masses, à la puissance de pénétration des meutes migratrices9”. À cette thèse de Virilio fait écho celle développée dans leur traité de nomadologie par Deleuze et Guattari dans “Mille plateaux”, opposant l’espace strié des États à l’espace lisse des nomades, opposant donc le chemin sédentaire qui a pour fonction de “distribuer aux hommes un espace fermé10, en assignant à chacun sa part et en réglant les communications des parts11”, quand le trajet nomade fait le contraire et “distribue les hommes (ou bêtes) dans un espace ouvert12, indéfini non communiquant13”. Et Deleuze et Guattari de préciser que : “La ville est le corrélat de la route. Elle n’existe qu’en fonction d’une circulation et de circuits ; elle est un point remarquable sur des circuits qui la créent ou qu’elle crée” et qui la relient aux autres villes dans les lignes horizontales d’un réseau14. Ce qu’ajoute l’État moderne, c’est la résonnance des villes avec la campagne, l’État moderne formant un ensemble vertical et hiérarchisé qui traverse les lignes horizontales. Or c’est par la forme-État et non par la forme-ville que le capitalisme triomphera quand les États occidentaux auront réassujetti les villes mais à charge de revanche car si l’État moderne a donné au capitalisme ses modèles de réalisation, ce qui se trouve réalisé avec la mondialisation c’est comme une seule et même Ville, une mégalopolis, dont les États ne seraient que des quartiers15. Autrement dit les États modernes et le capitalisme, dont ils ont assuré le triomphe, à force de strier l’espace ont reconstitué un espace lisse pour un capital nomade.
7Une telle grille de lecture m’a initialement donné le confort d’une articulation de mes observations non plus autour des trois axes proposés pour ce colloque mais seulement de deux. Le premier : si le pouvoir politique dans les États sédentaires est voirie, contrôle de la circulation, distribution des hommes dans l’espace et règlement de leurs communications, comment cela se traduit-il dans leur droit et comment le droit appréhende-t-il les voyageurs, ceux qui circulent, qui se trouvent sur les routes ? Distingue-t-il pour reprendre la terminologie deleuzienne les sédentaires en voyage, les nomades (ceux qui ne partent pas, ne veulent pas partir et s’accrochent à leur espace, à leur territoire), les migrants (ceux qui quittent un milieu parfois devenu ingrat et partent d’un point vers un autre même incertain), les itinérants (qui suivent un flux de matières), les transhumants (qui tracent un circuit et sont destinés dès le départ à revenir au point qu’ils ont quitté)16 (II) ? Le second : à l’heure de la mondialisation, du capitalisme nomade et de la ville-monde, qu’en est-il du voyage et du droit dans cette nouvelle configuration (III) ? Mais c’était sans compter l’invitation d’hier matin à voyager dans le temps avant la naissance de l’État et de la police modernes français, qui nous a appris qu’avant même l’apparition du mot voyage17, qui ne prendra son sens moderne en France qu’à la fin du XVe s. avec l’essor du capitalisme, la chose existait déjà et a participé à la construction de l’État moderne (I).
I – VOYAGE ET DROIT AVANT L’ETAT MODERNE
8Au Moyen Âge, alors que le mot voyage n’existait pas encore, la mobilité des hommes était extrême (Adrien Blazy). “Sur les routes, chevaliers, paysans rencontrent les clercs en voyage régulier ou en rupture de couvent (…), les étudiants en marche vers les écoles ou les universités célèbres (…), les pèlerins, les vagabonds de toute sorte18” mais aussi les rois de France et leurs impressionnants cortèges (Didier Guignard et Marie-Hélène Gozzi). Désireuse de prendre en charge les pauvres, les malades, et plus généralement tous les voyageurs “éloignés des cadres rassurants de leur maison19”, la société médiévale chrétienne observe à leur égard les lois de l’hospitalité (A). Et le voyage est à la même époque instrumentalisé par l’Église chrétienne et la royauté afin d’asseoir leurs pouvoirs (B).
A – L’hospitalité chrétienne envers les voyageurs
9Dans “L’étranger - Ou le pari de l’autre”, Tobie Nathan rapporte le passage de la Genèse dans lequel Abraham apercevant trois étrangers passant devant sa tente, se précipite au-devant d’eux pour leur offrir l’hospitalité et les supplier de venir se reposer chez lui. Et l’auteur avance que la raison pour laquelle Abraham se comporte ainsi, c’est non pas l’amour du prochain ni d’un semblable mais : “Parce que l’étranger, l’inconnu, peut se révéler Dieu en personne !20”. Aussi comprend-on que dès le début du Moyen Âge, l’Église invite à pratiquer l’hospitalité à domicile à l’égard des voyageurs ; que dès l’époque carolingienne, des capitulaires exigent que les voyageurs ne soient pas empêchés dans leurs pérégrinations et mettent en avant le devoir d’hospitalité qui doit habiter chaque chrétien ; et encore que lorsqu’en 816 le Concile d’Aix-la-Chapelle fait de l’hospitalité un devoir épiscopal, des laïcs se joignent au mouvement et créent des structures d’accueil, des hôpitaux, pour accueillir à l’entrée des villes les voyageurs comme les pèlerins (Adrien Blazy). Devoir d’hospitalité et devoir de charité se soutiennent dans l’économie du salut caractéristique du pouvoir pastoral, lequel “prétend conduire et diriger les hommes tout au long de leur vie et dans chacune des circonstances de cette vie, un pouvoir qui consiste à vouloir prendre en charge l’existence des hommes dans leur détail et dans leur déroulement depuis leur naissance et jusqu’à la mort, et cela pour les contraindre à une certaine manière de se comporter, à faire leur salut21”. Mais alors qu’observer l’hospitalité revient à parier sur l’étranger voyageur22 - et il faut se rappeler ici que Hermès gardien des routes et des carrefours, le dieu des commerçants et des voyageurs, est aussi le dieu des voleurs-, observer la charité envers le voyageur, pèlerin ou vagabond, assimilé au pauvre, c’est s’assurer le salut de son âme. Aussi distingue-t-on très tôt, au regard de la charité, les pauvres locaux et les errants et, au regard de l’hospitalité, les mêmes errants et les pèlerins. Quand les pauvres locaux jouissent d’une assistance locale permanente et quand les pèlerins bénéficient d’un véritable statut juridique protecteur au lieu de leur départ, sur les chemins et aux étapes, les vagabonds ne se voient offrir qu’une hospitalité bien temporaire et l’hôtel-dieu est pour eux moins un point dans un voyage qu’un relai où ils atterrissent avant d’être relancés sur les routes (Adrien Blazy). Mais les pèlerins eux-mêmes ne constituent pas une catégorie homogène et l’affinement de la catégorie révèle la possibilité d’une instrumentalisation du voyage par le pouvoir.
B – L’instrumentalisation du voyage par les pouvoirs temporel et spirituel
10Du pèlerinage volontaire accompli par la majorité des pèlerins médiévaux qui partent dans l’espoir d’obtenir une faveur parfois matérielle, telle une guérison, mais plus souvent spirituelle, le salut de l’âme, se distingue le pèlerinage nécessaire ou expiatoire, qui recouvre le pèlerinage pénitentiel et le pèlerinage judiciaire. La condamnation judiciaire au pèlerinage pouvait émaner d’une juridiction aussi bien laïque qu’ecclésiastique et, tout en poursuivant la satisfaction de la partie lésée, entendait également apporter une réponse au désordre moral causé par le délinquant à la communauté (Adrien Blazy, Aline Tomasin, Ikram Jellazi Nasra). Le pèlerinage judiciaire semble bien n’être que l’une des déclinaisons, adaptée à l’époque médiévale chrétienne, d’un principe plus intemporel et largement partagé par les sociétés humaines de recours au voyage forcé comme sanction. Quant aux pèlerinages volontaires, leur encouragement entre le VIIIe et le XIIe s. par les pouvoirs révèle leur dimension géopolitique. Ainsi l’évocation des origines du pèlerinage à Saint-Jacques-de-Compostelle a permis de rappeler comment les pèlerinages autour de la vénération des reliques de saints personnages ont bénéficié de la conjugaison des visées expansionnistes du Pape et de Charlemagne, ce dernier apparaissant comme le bras armé d’une Église qui ambitionnait notamment grâce à ces pèlerinages de faire naître une piété populaire chrétienne à l’échelle d’un territoire héritier de l’empire romain d’occident (Aline Tomasin).
11Alors que dans la première moitié du XIIe s., l’attrait pour Rome et Saint-Jacques-de-Compostelle favorise l’essor de toute une hospitalité routière, on peut également croiser au Moyen-âge sur les routes le roi de France. En effet, si la lutte contre les féodalités conduit les rois de France à faire voyager les populations en les incitant avec les franchises royales à quitter les terres seigneuriales pour aller peupler les villes nouvelles (Jean-Christophe Gaven), elle les contraint également eux-mêmes à voyager, à occuper personnellement et physiquement le territoire du royaume pour pallier leur autorité toute relative. Loin d’être incompatible avec l’exercice du pouvoir, l’itinérance est constitutive de l’exercice nomade d’un pouvoir royal qui s’attache à son territoire et qui, en permettant le renforcement du centre sur la périphérie, a été une étape dans la construction de l’absolutisme. Ce mode de gouvernement prévaudra jusqu’au règne de Louis XIII, dernier roi de la monarchie itinérante. Avec l’apparition d’un État moderne centralisé émerge une nouvelle conception de l’exercice du pouvoir23. Pour imposer l’ordre souverain à l’ensemble du corps social et en assurer l’exécution sur le terrain, le pouvoir royal se dote d’agents insérés dans une structure hiérarchique et bureaucratique. “Le maillage”24 du territoire par les agents du roi puis ultérieurement par les fonctionnaires modifie les fonctions du voyage, désormais la présence in situ du monarque ou du chef d’état n’est plus requise” (Marie-Hélène Gozzi, Didier Guignard).
II – VOYAGE, DROIT ET ÉTAT MODERNE
12À partir du XVIe s., l’apparition de nouvelles valeurs et la montée en puissance de l’État moderne mettent un terme à l’économie du salut et provoquent une nouvelle perception des voyageurs. La pratique du pèlerinage volontaire, violemment critiquée par les réformateurs et jugée superstitieuse par les rationalistes, entame son déclin (Adrien Blazy, Aline Tomasin). Les pèlerinages judiciaires deviennent eux aussi moins fréquents. Quant à l’errance, c’est désormais l’État royal et non plus l’Eglise qui s’attache à la réguler. Or la notion d’État royal, qui a substitué à la suzeraineté du Roi une souveraineté pleine et entière, renvoie dans sa terminologie même à la stabilité, la permanence et la continuité (Loïc Azema, Philippe Delvit, Marie-Hélène Gozzi et Didier Guignard). Aussi le nouvel État moderne royal, État administratif qui correspond à une société de règlements et de disciplines imposés à la collection de sujets formant la population25, n’aime pas les voyageurs qu’ils soient étrangers, vagabonds ou nomades. Aussi dès le XVIe s., une abondante législation royale s’efforce de fermer le royaume aux étrangers, de refouler à ses frontières les nomades et d’interdire le vagabondage, de pair avec la mendicité, sous peine de bannissement, galères ou déportation vers les colonies (Tom Le Crom). L’âge de raison (marqué par des travaux nombreux sur la raison d’État et la police26), c’est celui de la démystification des pauvres, des fous, des misérables. Les vagabonds, les voyageurs de la misère ne sont plus de grandes affaires mystiques mais des questions sociales. Il n’est plus besoin de rituels mais de mesures administratives. La misère comme la folie se désacralise, elle est un problème d’ordre public, un problème de police, à condition d’entendre par “police” ce nouvel art de gouverner selon la raison d’État ayant pour objet d’accroître les forces de l’État. Le vagabond est devenu un parasite, un “anormal” pour l’ordre social nouveau fondé sur le travail. Ainsi la misère comme la folie s’enferme et les miséreux, les vagabonds sont contraints au travail forcé notamment à l’entretien des routes (Jean-Christophe Gaven). Car le commerce étant désormais pensé comme le principal instrument pour accroître la puissance de l’État, avec le dessein d’ordonner l’ensemble du territoire comme une grande ville-marché, la circulation est un objet privilégié de la police. À compter de la seconde moitié du XVIIIe s. l’économie politique triomphante, qui dénonce l’inutilité et la contreproductivité des règlementations de police, dessine un nouvel art libéral de gouverner s’efforçant de réaliser un équilibre entre liberté et sécurité27. Que les sédentaires bougent, ce n’est pas un problème ; au contraire on va encourager, gérer et protéger leur mobilité, leurs voyages, surtout quand aux voyages ayant pour objet le commerce s’ajoute le voyage devenu objet de commerce. En revanche on nourrit la suspicion, l’hostilité à l’égard de ceux qui ne peuvent ou ne veulent se sédentariser. Ainsi il est ressorti des travaux la distinction des gens en voyage et des gens du voyage (à condition de ne pas réduire cette dernière expression à la catégorie juridique du même nom). Les gens du voyage ce sont ceux auxquels le voyage, l’itinérance s’imposent et que le droit regarde avec défiance (A). Les gens en voyage ce sont les voyageurs sédentaires qui partent librement en voyage, que le droit regarde avec bienveillance (B).
A – La défiance envers les gens du voyage : les entraves sécuritaires à la mobilité des non-sédentaires
13Aux tentatives de normalisation du monde de l’errance avec la création de l’Hôpital général en 1636 et des dépôts de mendicité en 1764 qui poursuivaient le même objectif de rééducation par le travail, succède sa répression. Le vagabondage et la mendicité sont érigés en délits par le Code pénal napoléonien de 1810 (Ludovic Azema). Tenus aux siècles précédents pour oisifs et inutiles, les errants sont désormais considérés comme dangereux. Au cours du XXe s., les vagabonds auparavant d’origine et de pérégrination rurales deviennent les clochards des villes. Avec le développement économique et la mise en place progressive de l’État social, l’ampleur de l’errance tend à décliner au XXe s. tout particulièrement durant les Trente Glorieuses mais est marquée par une recrudescence à compter des années 1970. Mais c’est seulement avec le nouveau Code pénal de 1994 que disparaîtront de l’arsenal répressif les délits de vagabondage et de mendicité. Depuis lors, les pouvoirs publics tentent de prendre des mesures visant à rendre invisible la nouvelle pauvreté errante urbaine en éloignant des centre-ville les SDF dans un souci notamment d’hygiène sociale.
14C’était déjà au nom d’un “hygiénisme tout à la fois moral, social et politique” qu’était réapparue dans le dernier quart du XIXe s. la stigmatisation des “bohémiens”, “égyptiens”, “tsiganes”… pour leur mode de vie nomade. Accusés de tous les maux, désignés comme voleurs de poules quand ce n’était pas d’enfants, il était bien difficile pourtant de les poursuivre pour des délits de vagabondage ou de mendicité faute de réunion des éléments constitutifs de ces infractions (Ludovic Azéma). Le terme “nomades” est apparu officiellement dans la législation française au milieu du XIXe s. au lendemain de la colonisation algérienne pour désigner en Algérie les peuplades qui ont un mode de vie itinérant et qui, pour la gestion occidentale de la colonie posent problème parce qu’elles bougent, qu’elles sont dangereuses et qu’elles attaquent28. Le terme désigne bien ici des nomades au sens proprement deleuzien, au sens d’“une machine de guerre”. Le terme est bientôt repris en métropole pour qualifier tous les gens qui bougent même si leur itinérance était bien différente29. Ils sont perçus comme des dangers surtout dans les années 1870 à l’issue du conflit avec la Prusse, car les Manouches et les Yénishes qui parlent allemand sont soupçonnés d’être des agents de l’ennemi. L’État français n’aura alors de cesse, quand il ne pourra les expulser ou les interner dans des camps, de les soumettre à des contrôles administratifs et policiers extrêmement stricts. La loi de 1912 qui instaure des carnets anthropométriques ne sera abrogée que par la loi du 3 janvier 1969 qui assouplit certes le dispositif mais maintient le contrôle de ceux qui entrent dans la nouvelle catégorie juridique créée des “gens du voyage” puisqu’elle remplace le carnet anthropométrique par un livret de circulation et institue la notion de commune de rattachement (Ludovic Azéma, Olivier Borel et Aurélien Simonet). Quant aux nouveaux tsiganes, victimes après la chute des régimes communistes des politiques d’exclusion dans les pays de l’Est, ce ne sont pas des nomades mais des migrants, qui réclament protection et asile politique.
15Or, à l’égard des migrants, de ceux qui partent d’un point pour un autre non nécessairement connu, si l’attitude des pouvoirs publics a pu varier dans le temps au gré des politiques migratoires principalement dictées par des considérations économiques, très tôt il a été demandé à l’étranger désireux de s’établir sur le sol français de taire son extranéité et de démontrer sa capacité à intégrer la société du ressort, sans que lui soit assurée une égalité de traitement (Tom Le Crom). À l’heure des déplacements internationaux massifs de populations pour des raisons économiques, écologiques, politiques ou militaires, la plus grande inégalité règne dans l’accès à la liberté de circulation consacrée par les textes internationaux et régionaux des droits de l’homme. Quand les migrations du Nord vers le Nord et du Nord vers le Sud sont relativement aisées, en revanche pour les migrants du Sud vers le Nord, sauf à obtenir le statut tant convoité de réfugié ou à justifier de ressources financières importantes et-ou de “cerveaux” susceptibles d’intéresser les pays de destination (Emnet Gebre, Laurent Grosclaude), leurs voyages dans la clandestinité les exposent à la mort et les conduisent, quand ils échappent à cette dernière, vers des camps de rétention en attente d’un éloignement. Les conditions actuelles de migration des migrants du Sud offrent un contraste saisissant avec celles qu’ont connues les migrants européens au XIXe s.. Appelés par les pays du Nouveau Monde ces européens, qui émigraient certes parfois par choix mais aussi bien souvent pour des raisons de survie, ont bénéficié dans les pays de départ et de transit d’une législation protectrice encadrant l’activité commerciale des agences d’émigration, même si cette législation était moins dictée par des préoccupations humanitaires que par des considérations économiques, comme l’a révélé le retard pris à légiférer par la France et comblé seulement quand elle fut menacée d’une mise à l’index de ses ports par ses voisins européens, qui s’étaient dotés d’une telle législation (Caroline Gau-Cabée). Quant aux personnes réfugiées ou déplacées qui fuient aujourd’hui les zones de combat, leur voyage est “un voyage forcé, dans le meilleur des cas, vers des camps mis en place par des organisations internationales de diverses origines (gouvernementales ou non). Un voyage après avoir tout abandonné et vers un espoir à peu près inexistant” (Pierre-Marie Martin). Camps de réfugiés, camps de rétention administrative, telles sont les figures du “renfermement” des temps nouveaux pour ces voyageurs forcés. Des camps d’autant plus choquants que bien souvent, à quelques kilomètres de distance, se déplacent librement des gens en voyage.
B – La bienveillance envers les gens en voyage : la mobilisation des sédentaires
16Pour la nouvelle gouvernementalité libérale les dispositifs de type sécuritaire, qui entravent la liberté de déplacement des gens du voyage perçus comme une menace pour l’ordre social, ne s’opposent nullement à l’encouragement à la mobilité des sédentaires voyageant d’un point à un autre dans un but d’exploration, d’affaires, de salut ou de loisir mais en sont les corollaires30. Dès la fin du XVIIIe s. le combat libéral pour la liberté de circulation31 prend le commis-voyageur pour héraut. Le voyageur de commerce, présenté comme le grand agent économique du commerce et de l’industrie, est perçu comme le vrai moteur du progrès. Le XIXe s. est marqué par la croyance en la mission civilisatrice du commerce et nombre de discours entonnent une rhétorique unissant voyage, progrès, commerce et colonisation32.
17Surtout de la fin du XVIIIe s. au début du XXe s., soit des derniers grands voyages d’exploration (Cook, La Pérouse) à la veille du tourisme de masse, le voyage va subir une métamorphose profonde33. En effet le voyage connaît alors un “infléchissement, de l’aristocratique vers le populaire, de la nécessité vers le plaisir, du normatif ou du savant vers le divertissant, du collectif vers l’individuel et du sérieux au drôle”34. L’avènement du plaisir et l’émergence du tourisme finiront par brouiller les frontières entre les figures des voyageurs, studieux, curistes ou pèlerins (Ikram Jellazi Nasram, Aline Tomasin)35. L’hygiénisme avait inventé pour la santé d’une riche élite les stations thermales et balnéaires, mais bien vite l’économique prendra le pas sur la thérapeutique, le casino, le tennis ou le golf n’étant jamais loin des thermes. Ainsi les “baigneurs” et “villégiateurs” annoncent les “estivants” et les “vacanciers” du XXe s. qui aspireront eux aussi à consommer un changement d’air. L’évolution est la même pour le pèlerinage : le but et le lieu de destination sont désormais privilégiés par rapport à la route qui ressemble par trop à l’errance des pauvres et le pèlerinage devient peu à peu un voyage d’agrément36. L’Église n’hésite pas à affréter des trains spéciaux et ses institutions qui prennent en charge l’organisation du voyage préfigurent les futures agences de voyage. Bien avant les pouvoirs publics, dès les années 1890, de puissants acteurs privés seront sensibles à cet infléchissement et favoriseront l’avènement du tourisme de masse. D’un côté des marchands bien sûr, notamment d’automobiles, “désireux de produire autour de leur industrie une dynamique vertueuse qui fasse certes augmenter leurs ventes, mais en les parant des attributs les plus flatteurs, services rendus à la personne, au commerce, à l’industrie, bref à la France” ; d’un autre des associations, dont le puissant Touring-Club de France, soucieux de faire découvrir la France (plus tard ses colonies) et qui tiendra lieu de ministère informel du tourisme jusqu’à la seconde guerre mondiale (Philippe Delvit). Depuis lors, même si le tourisme n’a pas toujours eu les honneurs d’avoir son propre ministère, il n’a cessé d’être au rang des préoccupations des pouvoirs publics français, qui ont veillé notamment à combler leur retard législatif en matière de tourisme par rapport à certains pays voisins comme l’Espagne (José María de la Cuesta Saenz). En outre, la protection du consommateur de tourisme a fait l’objet d’une harmonisation européenne : indirectement initialement, faute d’une base juridique précise, via des mesures qui promouvaient les autres politiques et objectifs de l’Union (environnement, consommation, politique régionale, coopération et aide au développement, concurrence…) et depuis le traité de Lisbonne sur le fondement de l’article 195 TFUE qui range le tourisme dans les compétences d’appui, de coordination et de complément de l’Union (Vasiliki Fasoula). Quand l’Union européenne dit nourrir l’espoir d’un “cadre ambitieux pour faire du tourisme européen une industrie compétitive, moderne, durable et responsable” et quand le tourisme est affiché comme une “priorité nationale” par les responsables politiques français qui aspirent à faire de la France, première destination touristique du monde, la championne du “m-tourisme” pour conserver son leadership37, est exprimée la nécessité d’appréhender le tourisme et au-delà plus largement le voyage dans le contexte de la mondialisation.
III – VOYAGE, DROIT ET MONDIALISATION
18À l’issue de ces deux journées, le thème du voyage nous aura permis de prendre la mesure de la mondialisation (A) et des défis que le droit doit relever dans ce contexte mondialisé (B).
A – La mesure de la mondialisation au prisme du voyage
19Où en est-on de la mondialisation, “c’est-à-dire la disparition des frontières (qui participent incontestablement du “code”), des États, des souverainetés, l’unification du marché, des modes de vie, des consommations, la marchandisation universalisée, c’est-à-dire le fait que tout, sans exception, est destiné à devenir marchandise (…) à quoi il faut ajouter les mouvements de population, les délocalisations, la circulation ininterrompue et frénétique des gens, des biens, des objets, une sorte de nomadisation généralisée, valorisée et favorisée par les développements du « télé » sous toutes ses formes : télévision, internet, ordinateurs portables, téléphones sans fil, avions, etc. : tout ce qui nous permet (ou nous promet) une quasi “ubiquité”, qui nous permet de nous détacher de plus en plus de la “erre”, de voler au ciel comme des dieux, c’est-à-dire, pour parler comme Deleuze, de nous “déterritorialiser”.38” ?
20Certes, nombre de communications ont témoigné d’un capital nomade se mouvant dans un espace lisse, tel Hermès qui se rit des frontières, et de cette marchandisation généralisée caractéristique de la mondialisation. Le capitalisme rapporte tout à l’argent, y compris les collections des musées, les ventres des femmes, les savoir-faire traditionnels et même les territoires, comme l’ont rappelé les communications sur les voyages marchands des œuvres d’art (Pierre Noual), le tourisme procréatif (Sophie Paricard), la biopiraterie (Alexandra Mendozza) et le dumping juridique pour attraire jusqu’à son territoire les capitaux et investissements étrangers (Jennifer Marchand). De même, n’ont pas manqué d’être étayés tant d’une part la frénésie de voyages des personnes, encouragée par la libéralisation des marchés du transport (pour l’aviation en Europe, Amélie Jouandet), comme des biens (Michel Attal) et des capitaux (Jennifer Marchand), que d’autre part les développements du “télé” comme le “e-tourisme” ((Vasiliki Fasoula) ou “m-tourismge” (Philippe Delvit), ou encore les réseaux d’entraide transnationaux pour la pratique de l’assistance médicale à la procréation hors du territoire français (Sophie Paricard) et l’arbitrage on-line des différends en matière de tourisme (José María de la Cuesta Saenz). N’est-on pas même allé jusqu’à évoquer la marchandisation de l’espace extra-atmosphérique avec son ouverture à un tourisme spatial (Jean-Marie de Poulpiquet) ? Si ce n’est qu’il s’agissait alors de s’interroger sur le statut juridique à offrir à ce touriste spatial pour s’assurer d’une position compétitive sur ce marché émergent.
21Les frontières et la division du monde en États souverains n’ont donc pas disparu. Elles ont pu être dénoncées comme gênant le crédit en empêchant les sûretés réelles grevant des biens mobiliers de voyager (Michel Attal) ou comme générant des situations boîteuses au regard de l’état civil pour les enfants nés de GPA (Sophie Paricard). Surtout a été rappelée l’inégalité des hommes en matière de liberté de circulation (Emnet Gebre) avec, aux deux extrémités de l’échelle, des frontières grandes ouvertes aux puissants, responsables politiques (Didier Guignard et Marie-Hélène Gozzi) ou détenteurs de capitaux et des frontières toujours plus contrôlées et infranchissables pour les migrants forcés. Enfin, pour peu que sous le coup du réchauffement climatique s’annonce une modification de la géographie du monde dans la région arctique, notre planète que l’on croyait striée, maillée en quasi-totalité, réveille de nouvelles prétentions des États souverains (Pierre-Marie Martin). Mais les enjeux économiques qui sous-tendent ces prétentions, l’exploitation des richesses du sol et du sous-sol des mers ou la perspective de nouveaux itinéraires de navigation, démontrent combien les États ne sont pas un obstacle à la mondialisation. “Avec le capitalisme, les États ne s’annulent pas donc pas, mais changent de forme et prennent un nouveau sens : modèles de réalisation d’une axiomatique mondiale qui les dépasse. Mais dépasser, ce n’est nullement se passer de…39”. On comprend dans ces conditions la faiblesse des réponses des États aux nombreux défis posés par le voyage.
B – Les défis posés par le voyage dans la mondialistion
22N’ont pas manqué d’être évoqués durant ces deux journées le défi écologique posé par une industrie du voyage polluante (Paul Treguer), celui de la violation des droits fondamentaux des populations privées de toute inscription territoriale ou institutionnelle, masses de migrants contraints au voyage (Emnet Gebre, Pierre-Marie Martin) ou SDF, la protection des données personnelles des voyageurs (Lucien Rapp), la fuite des cerveaux des pays en développement (Laurent Grosclaude), le pillage des peuples autochtones (Alexandra Mendozza), voire leur disparition avec les derniers peuples nomades (Olivier Borel et Aurélien Simonet), quand ils ne sont pas l’objet d’une muséification vivante pour des touristes en quête d’authenticité en étant sommés de rester fidèles à des “traditions ancestrales” conformes aux stéréotypes du “bon sauvage” nourris par l’imaginaire occidental40.
23Ces défis globaux appellent des réponses globales. Certes des réponses internationales, régionales, nationales, publiques ou privées, à quelques uns de ces défis existent. Ainsi a été présenté, relativement à la protection des savoir-faire traditionnels, le Protocole de Nagoya relayé au plan européen par le récent règlement UE 511/2014 adopté le 16 avril 2014 visant à harmoniser la mise en œuvre de ce Protocole dans l’Union européenne et bientôt au plan national par la future loi française sur la biodiversité (Alexandra Mendozza). Et relativement à Saint-Jacques-de-Compostelle, il a été fait allusion à procédure de labellisation des sites par l’Unesco par leur inscription au “patrimoine mondial de l’humanité” (Aline Tomasin). Auraient pu également être évoqués le Code mondial d’éthique du tourisme adopté en 1999 par l’Assemblée générale de l’Organisation mondiale du tourisme reconnu deux ans plus tard par les Nations Unies ainsi que les nombreuses initiatives privées en faveur d’un éco-tourisme responsable et durable41.
24Le développement durable, telle est bien l’idéologie qui sous-tend ces réponses et qui pourrait être la cause de leur inefficacité. C’est “l’environnementalisme libéral” qui dans les années 1980 a été à l’origine du concept de développement durable selon lequel la croissance économique est nécessaire pour combiner protection de l’environnement et développement humain42. Quand sur son site l’UNESCO, qui affirme vouloir aujourd’hui “mettre en œuvre des politiques mieux intégrées, capables d’aborder les dimensions sociales, environnementales et économiques du développement durable ensemble” ajoute que “la réflexion contemporaine sur la “durabilité” du développement reprend à son compte l’intuition fondatrice de l’Organisation43”, on ne peut manquer d’être surpris de lire quelques lignes plus haut que cette “intuition” était en 1945 la “conviction” forte partagée par les Nations au sortir des deux conflits mondiaux selon laquelle “les accords économiques et politiques ne peuvent suffire à construire une paix durable et que celle-ci doit s’établir sur le fondement de la solidarité intellectuelle et morale de l’humanité”. En 1945 c’était donc bien plutôt l’esprit de la Déclaration de Philadelphie proclamée l’année précédente qui animait l’UNESCO et plus largement l’ONU. Une Déclaration qui, ainsi que l’a rappelé Alain Supiot, faisait de la réalisation de la justice sociale l’objectif fondamental de toutes les politiques nationales et internationales, lesquelles ne devaient être acceptées que dans la mesure où elles apparaissaient de nature à favoriser cette justice sociale et devaient être appréciées à l’aune de cette dernière. Ainsi “dans la Déclaration de Philadelphie, l’économie et la finance sont des moyens au service des hommes” mais “c’est la perspective inverse qui préside à l’actuel processus de globalisation : à l’objectif de justice sociale a été substitué celui de la libre circulation des capitaux et des marchandises, et la hiérarchie des moyens et des fins a été renversée.44”. Peut-on renouer avec l’esprit de la Déclaration de Philadelphie et rêver d’un monde respectueux des derniers nomades, sans voyageurs forcés ni voyageurs se comportant en colons. On peut en rêver mais sera-t-on un jour à même de le vérifier ? Pour l’heure, c’est seulement loin des États, par exemple loin des centres de décisions économiques et politiques de l’hémisphère Nord, nous a dit Paul Treguer, que les hommes des expéditions du Grand Sud, appelés à survivre dans des environnements hostiles, créent de facto les conditions pour que solidarité et entraide constituent le fondement des relations humaines ; c’est loin de la planète Terre encore que de jure les États acceptent de s’entraider pour protéger les “envoyés de l’humanité” (Jean-Marie de Poulpiquet).
25“Le véritable voyage de découverte ne consiste pas à chercher de nouveaux paysages, mais à avoir de nouveaux yeux”, écrit encore Proust, c’est bien un voyage de découverte que je voulais entreprendre avec vous et je tenais à vous remercier tous car assurément je repars avec de nouveaux yeux.
Notes de bas de page
1 “V comme voyage” in : L’Abécédaire de Gilles DELEUZE avec Claire PARNET produit et réalisé par Pierre-André BOUTANG, Paris, Montparnasse, 1996, 3 dvd ; l’extrait “V comme voyage” est accessible en ligne : https://www.youtube.com/watch?v=lnjLlMsjQCo.
2 Jean-Pierre VERNANT, extrait de « Franchir un pont » in : La traversée des frontières, Paris, Le Seuil, 2004, p. 179. Ce texte, qui a été commandé pour le cinquantième anniversaire du Conseil de l’Europe, est inscrit parmi d’autres sur une borne du pont de l’Europe, qui relie Strasbourg à Kehl.
3 “En 1868, le jeune empereur Matsuhito, qui vient d’ouvrir l’ère Meiji (gouvernement éclairé) déclare à ses sujets que “pour le salut de l’empire, le Savoir sera recherché partout où il se trouve.”, Nicolas BOUVIER Chronique japonaise, Paris, Payot, coll. Voyageurs, 1991, spéc. p. 99.
4 Avec pour toile de fond des lectures foucaldiennes plus anciennes : not. Michel FOUCAULT, Il faut défendre la société, Cours au Collège de France (1976-1977), Paris, Seuil/Gallimard, Coll. Hautes Études, 1997 ; Sécurité, territoire, population, Cours au Collège de France (1977-1978), Paris, Seuil/Gallimard, Coll. Hautes Études, 2004 ; Naissance de la biopolitique, Cours au Collège de France (1978-1979), Paris, Seuil/Gallimard, Coll. Hautes Études, 2004.
5 Paul VIRILIO, Vitesse et politique, Paris, Galilée, 1977.
6 Gilles DELEUZE et Félix GUATTARI, Capitalisme et schizophrénie, L’Anti-Œdipe, Paris, Minuit, 1972 et Mille Plateaux, Paris, Minuit, 1980.
7 En italiques dans le texte.
8 Paul VIRILIO, Vitesse et politique, op. cit., p. 23. À vrai dire la relativement banale actualité de ces derniers jours permet de vérifier la pertinence de cette thèse : en effet, à l’annonce du mouvement de grève à la SNCF, qui a pimenté de diverses péripéties le voyage de bon nombre de participants à ce colloque, le gouvernement n’a-t-il pas immédiatement réagi en mettant en place un plan de circulation pour assurer la présence aux épreuves du baccalauréat des lycéens.
9 Ibid. p. 17.
10 En italiques dans le texte.
11 Gilles DELEUZE et Félix GUATTARI, Capitalisme et schizophrénie, Mille Plateaux, op. cit., p. 472.
12 En italiques dans le texte.
13 Gilles DELEUZE et Félix GUATTARI, Capitalisme et schizophrénie, Mille Plateaux, op. cit., p. 472.
14 Gilles DELEUZE et Félix GUATTARI, Capitalisme et schizophrénie, Mille Plateaux, op. cit., p. 539.
15 Gilles DELEUZE et Félix GUATTARI, Capitalisme et schizophrénie, Mille Plateaux, op. cit., p. 541-542.
16 V. Gilles DELEUZE et Félix GUATTARI, Capitalisme et schizophrénie, Mille Plateaux, op. cit., p. 510.
17 V. “VOYAGE” in : Dictionnaire historique de la langue française, sous la dir. d’Alain REY, Paris, Le Robert, t. 3, 2006, p. 4130-4131 : “n. m. apparaît sous la forme veiage (1080) puis veage, voiage (XIIe s.), enfin voyage (1480) (…). Voyage a signifié “chemin à parcourir” (1080) et spécialement “pèlerinage” (v. 1138, veage), ainsi que “croisade” (v. 1190, voiage). Il prend au XVe s. le sens général de “déplacement d’une personne qui se rend dans un lieu assez éloigné (1421, viage, 1480, voyage) (…)”.
18 Jacques LE GOFF, La civilisation de l’occident médiéval, 1ère édition 1982, Paris, Flammarion, 2008, p. 109-110, cité par Adrien BLAZY.
19 Alain SAINT-DENIS, “La pratique de la charité en France au XIIIe siècle” in : Lieux d’hospitalité : hospices, hôpital, hostellerie, sous dir. Alain MONTANDON, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2001, p. 51-71, p. 51, cité par Adrien BLAZY.
20 “L’hospitalité naît de la peur de la frustration et elle est toujours un pari. Peur de rater une rencontre qui pourrait se révéler unique, mais aussi peur de ses conséquences… Un pari aussi, que le message de l’étranger, même s’il ne s’agit pas d’un esprit, d’un diable ou d’un dieu, me transfigurera”, Tobie NATHAN, L’étranger - Ou le pari de l’autre, Paris, Autrement, 2014, p. 71-72.
21 Michel FOUCAULT, “Gendai no Kenryoku wo tou (La philosophie analytique de la politique)”, Asahi Jaanaru, 2 juin 1978, p. 28-35. (Conférence donnée le 27 avril 1978 à l’Asahi Kodo, centre de conférences de Tokyo, siège du journal Asahi.) in : Dits et Ecrits, Paris, Quarto Gallimard, 2001, tome II, texte no 232, p. 534, spéc. p. 548.
22 Tobie NATHAN, L’étranger - Ou le pari de l’autre, Paris, Autrement, 2014, p. 73.
23 Il n’est plus question alors que le monarque nomadise : à la fin de l’Ancien Régime, “la personne physique du monarque étant assimilée à l’État, son être là à celui de l’État, on assiste à des troubles, à des scènes d’émeute dès que le lieu de résidence du roi est incertain. Le peuple de Paris pénètre en passant le Palais Royal puis, après avoir été admis à contempler le souverain se retire plus tranquille.”, Paul VIRILIO, Vitesse et politique, op. cit., p. 28.
24 Cf. “striage”.
25 V. Michel FOUCAULT, La gouvernementalité, cours du Collège de France, année 1977-1978 : Sécurité, territoire et pouplation, 4e leçon, 1er février 1978, reproduit in : Dits et Ecrits, Paris, Quarto Gallimard, 2001, tome II, texte no 239, p. 635.
26 V. Michel FOUCAULT, “Omnes et singulatim” : Towards a Criticism of Political Reason (“Omnes et singulatim” : vers une critique de la raison politique), trad. P. E. Dauzat, Université de Stanford, 10 et 16 octobre 1979, reproduit in : Dits et Ecrits, Paris, Quarto Gallimard, 2001, tome II, texte no 291, p. 953.
27 “La nouvelle gouvernementalité (…) devra se référer à un domaine de naturalité qui est l’économie. Elle aura à gérer des populations. Elle aura aussi à organiser un système juridique de respect des libertés. Elle aura enfin à se donner un instrument d’intervention direct, mais négatif qui va être la police.”, Michel FOUCAULT, Sécurité, territoire, population, op. cit., p. 362. Sur le triomphe durant la période révolutionnaire de “l’économie politique”, dite libérale, sur “l’économie politique pouplaire” défendue par Robespierre, v. Florence GAUTHIER, “De Mably à Robespierre – De la critique de l’économique à la critique du politique (1775-1793)” in : La guerre du blé au XVIIIe s., Études rassemblées et présentées par Florence Gauthier et Guy-Robert Ikni, Paris, Les éditions de la passion, 1988, p. 111-143. Florence Gauthier soutient que : “L’économie politique populaire est l’expression d’un libéralisme politique de droit naturel universel, centré sur la liberté à laquelle le droit à la vie et aux moyens d’existence est indissolublement lié. Ce projet libéral ayant mis en lumière le caractère despotique du pouvoir économique que constitue le droit de propriété illimité des biens matériels, affirme la nécessaire subordination de l’économique au politique, dans le but de protéger les faibles contre les forts (en l’occurence ceux qui exercent le pouvoir économique), de résoudre la question centrale de l’époque, celle du processus d’expropriation-prolétaristion, et de réduire peu à peu les inégalités sociales par la loi et l’exercice d’une démocratie économique et politique”, art. préc., spéc. p 137.
28 Alain REYNIERS. “Tsiganes et Voyageurs : identité, rapport au voyage, économie, éducation et rapport à l’école dans le contexte de la société contemporaine.”, Conférence, Centre Académique pour la Scolarisation des Nouveaux Arrivants et Enfants du Voyage, Académie de Nancy-Metz, Feb 2003, Nancy, France. CASNAV-CAREP, Académie de Nancy-Metz. <halshs-00089314>
29 “Le nomadisme, c’est un mode de production économique qui est sous-tendu par une organisation sociale particulière. Ce mode de production économique qui pousse des gens à se déplacer vers une clientèle n’ayant pas de besoin permanent, c’est un mode de production qui peut se maintenir aujourd’hui encore sans nécessairement faire bouger tous les membres de la famille, notamment ceux qui jouent le rôle d’agents économiques (…). L’économie tsigane est liée à un contact permanent entre des gens qui produisent et des gens qui achètent, entre des gens qui sont des acteurs économiques et des gens qui sont les clients de ces acteurs économiques. Les Tsiganes arrivent dans une région et se spécialisent dans un type de rapport économique. Ils vont vendre des biens, ils vont acheter des biens qu’ils revendront ailleurs auprès d’une clientèle qui n’a pas de besoin permanent. C’est donc une niche économique très particulière. Quand ils ont touché les besoins, ils vont ailleurs. C’est ce qui explique les déplacements.”, Alain REYNIERS, “Tsiganes et Voyageurs : identité, rapport au voyage, économie, éducation et rapport à l’école dans le contexte de la société contemporaine”, conférence précitée.
30 “Une des tâches fondamentales de l’État, c’est de strier l’espace sur lequel il règne, ou de se servir des espaces lisses comme d’un moyen de communication au service d’un espace strié. Non seulement vaincre le nomadisme, mais contrôler les migrations, et plus généralement faire valoir une zone de droits sur tout un “extérieur”, sur l’ensemble des flux qui traversent l’œcoumène, c’est une affaire vitale pour chaque État”, Gilles DELEUZE et Félix GUATTARI, Capitalisme et schizophrénie, Mille Plateaux, op. cit., p. 479.
31 “89 prétendait être une révolte contre l’assujettissement, c’est-à-dire la contrainte à l’immobilité symbolisée par l’ancien servage féodal qui subsistait d’ailleurs encore dans certaines régions comme le Jura, révolte contre l’astreinte à résidence et l’enfermement arbitraire. Mais nul ne supposait encore que “la conquête de la liberté d’aller et venir”, chère à Montaigne, pourrait, par un tour de passe-passe, devenir contrainte à la mobilité.”, Paul VIRILIO, Vitesse et politique, op. cit., p. 37.
32 V. Sylvain VENAYRE, Panorama du voyage 1780-1920. Mots, figures, pratiques, Paris, Les Belles Lettres, 2012.
33 V. Sylvain VENAYRE, Panorama du voyage 1780-1920. Mots, figures, pratiques, op. cit. et le compte rendu critique de Bertrand GUEST, “Histoire du voyage”, La Vie des idées, 19 avril 2013. ISSN : 2105-3030. URL: http://www.laviedesidees.fr/Histoire-duvoyage.html
34 ”Bertrand GUEST, art. préc.
35 “En étudiant successivement curistes, pèlerins et touristes, le livre aborde un second ensemble centré sur le corps du voyageur. Il montre l’avènement du plaisir au sein de pratiques qui s’en défendent, estompant la frontière entre la rigueur médicale ou la pénitence ecclésiale et ce désir de jouir qui est la meilleure définition du touriste. Jouir n’exclut ni d’apprendre, ni de prier ou de se soigner, mais suffit de plus en plus à justifier en soi le voyage, cure et pèlerinage compris”, Bertrand GUEST, art. préc.
36 Mais à la fin du XXe s. le pèlerinage à Saint-Jacques revêtira à nouveau une dimension géopolitique quand “l’Espagne, soucieuse de se rattacher à l’Europe démocratique, et les institutions européennes, soucieuses de susciter un sentiment d’appartenance et une citoyenneté européenne, vont réinvestir les traces de ce pèlerinage médiéval vers le Finis Terrae de l’Europe, en Galice” (Aline Tomasin).
37 V. l’interview donnée par Fleur Pellerin au journal l’Express et citée par Philippe Delvit, “Fleur Pellerin veut ériger la France en pionnière du tourisme numérique”, accessible en ligne : http://lentreprise.lexpress.fr/actualites/1/actualites/fleur-pellerin-veut-eriger-lafrance-en-pionniere-du-tourisme-numerique_1552646.html
38 Charles RAMOND, “Deleuze : Schizophrénie, Capitalisme et Mondialisation”, Cités, no 41, Capitalisme en sortir ?, Paris, PUF, 2010, p. 99-113, spéc. p. 102.
39 Gilles DELEUZE et Félix GUATTARI, Capitalisme et schizophrénie, Mille Plateaux, op. cit., p. 568.
40 V. Sylvie BRUNEL, “Tourisme et mondialisation. Vers une disneylandisation universelle ?”, archives du FIG de Saint-Dié-des-Vosges - 2006 : http://archives-fig-st-die.cndp.fr/actes/actes_2006/brunel/article.htm. Parmi les nombreux exemples de disneylandisation donnés par l’auteure, cet exemple : “En Mongolie, le renouveau du chamanisme, longtemps interdit par le système soviétique, a été stimulé par la mise en tourisme récente de ce pays. Avec un paradoxe : alors que le chamanisme tel qu’il a ré-émergé au début des années 90 était surtout urbain et moderne, les touristes eux veulent du chamanisme “authentique”, à la campagne dans la yourte ou le tipi, incitant certains chamanes à se folkloriser volontairement pour percevoir la manne financière du tourisme.”.
41 Sylvie Brunel expose que “au-delà de quelques réalisations remarquables, la réalité de l’éco-tourisme est moins satisfaisante : beaucoup de structures opportunistes facturent à des prix prohibitifs le logement “chez l’habitant”, l’absence de services des campements villageois, dans une exploitation de la mauvaise conscience du touriste occidental, qui permet de lui faire payer plus cher le non-confort que l’hôtel club tout compris. Et paradoxalement, l’expérience montre que ces nouvelles pratiques accentuent la disneylandisation des peuples autochtones. Estienne Rodary souligne ainsi que les “expériences récentes d’écotourisme sont largement déterminées par une vision naturaliste et élitiste qui peine à replacer les paysans comme gestionnaires d’une nature désormais cultivée et comme acteurs de la rencontre touristique”. L’éco-tourisme sert ainsi de cache-sexe à la montée du lobby conservationniste, imposant des contraintes énormes aux paysans (qu’on retrouve dans le commerce équitable) et se livrant à une guerre des labels et des certifications parfaitement capitaliste dans son esprit et son mode de fonctionnement”, art. préc.
42 Le concept a été développé dans le fameux rapport Notre avenir à tous (dit Rapport Brundtland), rédigé en 1987 par la Commission mondiale sur l’environnement et le développement de l’ONU et utilisé comme base au Sommet de la Terre de Rio de 1992. Pour Sylvie Brunel : “L’idéologie du développement durable et ses avatars (tourisme durable, agriculture durable, etc.) donne aujourd’hui un essor particulier à la disneylandisation. La multiplication des parcs naturels, comme des réserves intégrales (le fameux “monument” anglo-saxon) et des aires protégées, partis du Nouveau monde à la fin du XIXe s., tend, au nom de la préservation de milieux considérés comme “menacés”, à ériger comme dogme un conservationnisme pur et dur qui fait peu de cas des attentes de développement des populations autochtones (…) Plus que jamais, l’homme occidental se gargarise du mythe de Tarzan, protecteur des bêtes sauvages et de la nature menacée, gardien sourcilleux de la forêt face à des autochtones forcément prédateurs et ignorants. Sa mainmise sur les paradis tropicaux passe désormais par le truchement de puissantes ONG de conservation de la vie sauvage, financées par les crédits de la coopération internationale. Organisées en oligopoles, travaillant de concert avec les élites nationales et internationales, et notamment la nomenklatura des fonctionnaires onusiens, elles s’arrogent le droit et le pouvoir de soustraire d’immenses territoires aux autochtones, au nom de la préservation d’une vie sauvage sanctifiée.”, art. préc.
43 http://fr.unesco.org/about-us/propos-de-lunesco
44 Alain SUPIOT, L’esprit de Philadelphie-La justice sociale face au marché total, Paris, Seuil, 2010, spéc. p. 24. Cf la nécessaire subordination de l’économique au politique du projet d’économie politique populaire, v. supra n. 27.
Auteur
Maître de conférences, Université Toulouse 1 Capitole, Institut du Droit de l’Espace, des Territoires de la Culture et de la Communication (IDETCOM)
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