Du « bon juge » aux « juges rouges »
p. 113-146
Texte intégral
1Le 14 mars 1898, Clemenceau publie en première page de L’Aurore, sous le titre « Un bon juge », un article relevant l’acquittement d’une fille mère poursuivie pour vol d’un pain dans une boulangerie. Rapidement, toute la presse -à de rares exceptions près- va reprendre l’expression pour qualifier le président du tribunal de Château-Thierry qui a prononcé ce jugement. Le « phénomène Magnaud »1 est né. Le 25 octobre 1975, le magazine Paris-Match porte en couverture un photomontage des visages de six juges « contestataires » sous le titre « Ils veulent une nouvelle justice. On les appelle les juges rouges ». Au premier plan, comme à l’avant-garde, figure le juge d’instruction Patrice de Charrette qui avait, un mois auparavant, placé en détention préventive un patron à la suite d’un accident du travail mortel. L’expression de « juges rouges » reste associée à l’action de quelques magistrats pendant cette seconde moitié des années 1970.
2Il n’est pas indifférent de remarquer que ce sont les médias qui qualifient et donnent toute leur ampleur à ces juges iconoclastes, le président Magnaud, bien isolé au tournant des XIXe-XXe siècles, les « juges rouges » moins seuls, car soutenus par le jeune Syndicat de la magistrature. Faisant figure de fortes têtes2, ces juges sont d’autant plus célèbres qu’ils paraissent en rupture avec le comportement de toute la magistrature et que, surtout, à l’encontre de celle-ci, ils rendent une justice humaine, indulgente aux miséreux et n’oubliant pas de sanctionner les délits des puissants. Alors qu’ils trouvent un écho des plus favorables dans les classes populaires, les élites critiquent vivement ces juges politisés, oubliant devoir de réserve et impartialité pour rendre une justice de classe.
3 Par leurs actes en rupture de la pratique judiciaire ordinaire à leur époque, Magnaud et les juges rouges3 suscitent de forts remous au sein de la magistrature. Au-delà de ce constat révélateur des clivages au sein du corps, il est utile d’analyser leur volonté de rendre une justice différente, plus proche des justiciables, prenant en compte la réalité des inégalités sociales dans une jurisprudence qui veut corriger l’application stricte du droit par l’appel à l’équité. Ces « moments de rupture » étant éphémères – ils restent moins d’une dizaine d’années sur le devant de la scène- on s’interrogera enfin sur les raisons de leur apparition comme sur leur portée pour la justice, les juges et le droit.
I – Quand les « fortes têtes » suscitent un tollé dans la magistrature
4Qu’il s’agisse du président Magnaud ou des « juges rouges » des années 1970, ces magistrats sont d’emblée placés par les médias en marge de leur corps. Ne les qualifie-t-on pas également de « petits juges » pour dire qu’ils sont situés au bas de l’échelle du corps, souvent en butte aux vexations de leur hiérarchie et donc aussi proches du « petit peuple » qu’ils voient souvent venir à la barre de leur tribunal ? Une telle représentation du petit juge est confortée par l’hostilité que ce dernier rencontre dans le reste de la magistrature, même si le rejet est moindre à la fin du XXe siècle qu’à son début.
A – Le bon juge Magnaud, favorable aux déshérités
5Magnaud, président du tribunal de Château-Thierry depuis 1887, sort de l’anonymat en relaxant le 4 mars 1898 Louise Ménard. La prévenue, une journalière de bonne réputation, élevant seule son enfant de deux ans, ayant à charge sa mère, et étant sans travail, reconnaissait avoir volé un pain chez le boulanger, après épuisement de la nourriture donnée par le bureau de bienfaisance. Plus que le dispositif du jugement, ce sont les attendus, longuement développés qui retiennent alors l’attention :
« Attendu qu’au moment où la prévenue a pris un pain chez le boulanger P..., elle n’avait pas d’argent et que les denrées qu’elle avait reçues étaient épuisées depuis trente-six heures.
Que ni elle, ni sa mère n’avaient mangé pendant ce laps de temps, laissant pour l’enfant les quelques gouttes de lait qui étaient dans la maison ;
Qu’il est regrettable que dans une société bien organisée, un des membres de cette société, surtout une mère de famille, puisse manquer de pain autrement que par sa faute ;
Que, lorsqu’une pareille situation se présente et qu’elle est, comme pour Louise Ménard, très nettement établie, le juge peut et doit interpréter humainement les inflexibles prescriptions de la loi ;
Attendu que la faim est susceptible d’enlever à tout être humain une partie de son libre arbitre et d’amoindrir en lui, dans une grande mesure, la notion du bien et du mal ;
Qu’un acte, ordinairement répréhensible, perd beaucoup de son caractère frauduleux, lorsque celui qui le commet n’agit que poussé par l’impérieux besoin de se procurer un aliment de première nécessité, sans lequel la nature se refuse à mettre en œuvre notre constitution physique...
Que, si certains états pathologiques, notamment l’état de grossesse, ont souvent permis de relaxer comme irresponsable les auteurs de vols accomplis sans nécessité, cette irresponsabilité doit, à plus forte raison, être admise en faveur de ceux qui n’ont agi que sous l’irrésistible impulsion de la faim ;
Qu’il y a lieu, en conséquence, de renvoyer la prévenue des fins des poursuites, sans dépens, et ce, par application de l’article 64 du code pénal. »
6Les commentaires de presse, à commencer par le premier, celui de Clemenceau dans l’Aurore, ne tarissent pas d’éloges sur l’humanité de ce verdict. En fait, le président Magnaud avait déjà, précédemment, rendu des jugements sortant de l’ordinaire. Il avait ainsi condamné, en 1887 et 1893, la compagnie des chemins de fer de l’Est pour cause de pertes de marchandises, en stigmatisant ses « procédés odieux qu’on ne saurait trop flétrir ne tendant à rien moins qu’à fléchir le bon droit devant la puissance de l’argent »4. Il avait également relaxé, à plusieurs reprises, en 1889 et février 1898, des vagabonds, auteurs de vols simples ou de bris de lanternes commis dans le but de trouver un abri en prison, estimant que l’intention de nuire n’existait pas. En 1890, il est censuré pour excès de pouvoir par la Cour de cassation pour avoir refusé le serment d’un garde-chasse, naguère condamné. Mais il est vrai que la popularité que lui donne la relaxe de Louise Ménard le conduit ensuite à multiplier les jugements « novateurs » dans les matières les plus diverses, en faisant preuve d’une attention et d’une indulgence particulière pour les déshérités et les faibles et d’une sévérité pour ceux qui portent atteinte à leurs intérêts. En janvier et mars 1899 il acquitte deux mendiants, Chiabrando et Dubost (ce dernier ayant à son casier 43 condamnations) en « s’appuyant sur [des] principes à la fois juridiques et humains », voyant en eux des « malheureux »5 et non des délinquants. Magnaud se veut également le défenseur des femmes, condamnant un père naturel à verser une pension alimentaire jusqu’à la majorité de son enfant6, relaxant les délits d’adultère en dénonçant « une loi si partiale et d’un autre âge »7, et accordant le divorce par consentement mutuel8. On ne s’étonnera pas qu’il accueille avec plaisir à son tribunal, en 1901, la première femme avocate, formulant le vœu « que les femmes arriveront bientôt aux fonctions judiciaires »9.
7Sa jurisprudence est également favorable aux ouvriers. En matière d’accidents du travail, il condamne un employeur alors même que la loi de 1898 n’est pas encore applicable10. Des patrons sont également sanctionnés lors de renvois abusifs de grévistes ou de syndiqués, Magnaud se faisant le défenseur du droit de grève qu’il comprend dans un sens élargi puisque l’un de ses attendus indique que ce droit « appartient non seulement à l’ouvrier lui-même, mais à tous ceux qui, même sans faire partie du prolétariat, prennent sa défense et cherchent par leurs conseils éclairés et désintéressés à améliorer leur sort »11. On comprend qu’un tel jugement lui ait valu une lettre chaleureuse de l’Union des syndicats de la Seine : « Monsieur le président, les travailleurs étant habitués depuis si longtemps à voir rendre des jugements iniques par la magistrature à la dévotion de la classe bourgeoise et capitaliste, vous félicitent une fois de plus pour vos si justes jugements »12. Manifestement, le président du tribunal de Château-Thierry doit sa popularité à des jugements qui tranchent avec la jurisprudence courante perçue comme trop fidèle à une législation favorable aux classes dominantes. Clemenceau ne s’y est pas trompé en le qualifiant de « bon juge » : autant par ses verdicts que par ses motifs fortement argumentés, il rendait une justice qui paraissait novatrice et humaine aux yeux de nombre de ses contemporains, notamment au sein des catégories populaires et parmi ceux qui voulaient améliorer leur sort. On retrouve, en partie, une position semblable à celle de Magnaud dans les années 1970.
B – Dans les années 1970, des juges contre les notables ?
8Alors qu’au début du XXe siècle, Magnaud se rendait célèbre pour son humanisme et son indulgence envers les pauvres, dans les années 1970, les juges faisant l’actualité s’en prennent surtout aux notables et aux puissants.
Le juge Pascal et l’affaire de Bruay-en-Artois : le petit juge et le notaire
9Le nom du juge Pascal est lié à l’affaire de Bruay-en-Artois13. Chargé de l’instruction au tribunal de Béthune depuis 1957, Henri Pascal, un des premiers adhérents au Syndicat de la magistrature, est de permanence lorsqu’on découvre le corps sans vie de la fille d’un mineur, Brigitte Dewèvre, le 6 avril 1972. La présence, à proximité de la victime, de la voiture du notaire de Bruay, Pierre Leroy, célibataire âgé de 37 ans, habitant chez sa mère, oriente les soupçons vers ce notable. Pour les familles de mineurs « Il n’y a qu’un bourgeois pour avoir fait ça »14. Le juge d’instruction place le notaire sous mandat de dépôt. Perquisition au domicile de Leroy et reconstitution n’apportant pas d’éléments probants, le procureur de la République demande la mise en liberté provisoire du notaire, avant même que l’avocat de ce dernier ne l’ait demandé, ce qui suscite l’indignation parmi les proches de la victime et la population. Le refus de Pascal les rassure et lui donne l’auréole de « petit juge » résistant courageusement à sa hiérarchie. Selon les mots du père de la victime, ce juge, « c’est un petit qui n’a pas peur des gros »15.
10Dans ce contexte local d’une forte opposition sociale entre bourgeoisie et mineurs, l’instruction devient l’enjeu d’une lutte de classes. L’activisme des maoïstes de la Gauche prolétarienne renforce cet aspect : représentés sur place par quelques mineurs et un professeur de philosophie du lycée de Bruay (F. Ewald) et renforcés ponctuellement par des expéditions de militants de la capitale sur le terrain du crime, soutenus par des intellectuels médiatiques (Foucault, Sartre), ils traduisent dans un journal édité sur place – Pirate – les paroles de haine contre le notaire, créent un Comité Vérité et Justice de Bruay appelant à soutenir le juge Pascal et déposent même une plaque sur les lieux du crime avec l’inscription : « A cet endroit, Brigitte Dewèvre, fille de mineur, a été assassinée par la bourgeoisie de Bruay ».
11Sur le plan judiciaire, la chambre d’accusation de la cour d’appel de Douai doit trancher le conflit entre Pascal et le procureur de Béthune. Le 30 mai 1972, elle rejette la mise en liberté de Pierre Leroy, compte tenu des présomptions, mais demande qu’on réunisse preuves et indices matériels. Le 28 juin, la chambre criminelle de la Cour de cassation annule cet arrêt, mais rejette la requête en suspicion légitime contre le juge Pascal, tout en ordonnant le dessaisissement de tous les magistrats instructeurs de Béthune dans cette affaire désormais confiée à un juge et à des policiers de la capitale. Après la relaxe en 1976 d’un autre suspect, l’affaire, non élucidée, sera classée en 1981.
12Elle présente l’intérêt de bien situer le contexte de ces années 1970 quand, à l’exemple de Pascal, d’autres juges, affichant comme lui leur volonté de respecter strictement la loi, vont contester l’impunité des « gros », pour reprendre l’expression des mineurs de Béthune.
Quand les juges rouges mettent les patrons en prison
13C’est justement à ce même tribunal de Béthune que, le 29 septembre 1975, Patrice de Charrette, en charge de l’instruction depuis un an, inculpe, pour homicide involontaire, infractions aux règlements de la sécurité du travail et du travail temporaire, Jean Chapron, directeur de l’usine Huile, Goudrons et Dérivés de Vendin-le-Vieil, une filiale des Charbonnages de France, et le place sous mandat de dépôt16. L’ordonnance de mise en détention provisoire est prise à la suite de la mort d’un ouvrier intérimaire, invalide, Roland Wuillaume, écrasé par un wagon, en travaillant de nuit, dans un emplacement mal éclairé et sur une voie en pente :
14« Attendu qu’en employant un travailleur temporaire sans qualification à une tâche d’ouvrier spécialisé, dans un secteur où les conditions de travail sont particulièrement dangereuses, M. Chapron a directement occasionné le décès de cet ouvrier ; que ces faits ont apporté à l’ordre public un trouble considérable ; attendu en conséquence que la détention de l’inculpé est nécessaire pour préserver l’ordre public du trouble causé par l’infraction... ».
15Si pour le juge cet accident, compte tenu de ses circonstances « n’est pas loin du meurtre par préméditation »17, l’incarcération de Chapron est perçue comme scandaleuse par les cadres de l’usine -qui se mettent en grève pour réclamer la libération de leur directeur- comme par les autorités au plus haut niveau. Le garde des Sceaux, Jean Lecanuet, dénonce au journal télévisé du 2 octobre le comportement du juge : « Je me bornerai à vous dire ceci : un magistrat doit être indépendant. Il ne doit pas rendre une justice de classe, c’est-à-dire favoriser les uns contre les autres. Il doit être impartial, il doit rechercher l’équité. Il n’a pas le droit de faire entrer ses convictions philosophiques, politiques ou syndicales dans le déroulement de son action judiciaire ». Un de ses prédécesseurs, Jean Foyer, publiera dans le Figaro du lendemain un article intitulé « Des juges contre la justice ». C’est une violente charge contre le Syndicat de la magistrature auquel appartient de Charrette, syndicat présenté comme « une organisation subversive gauchiste », noyautant, à partir de l’École nationale de la magistrature, les tribunaux, utilisant la justice comme « une arme de l’action psychologique » : « Il ne s’agit plus de faire justice -conception bourgeoise-mais d’utiliser la justice comme instrument de la lutte des classes ». L’affaire Dewèvre comme l’incarcération de Chapron sont présentées comme autant de coups d’éclat de ces juges contestataires qualifiés de « conjurés » : « Il s’agit, en déshonorant, à travers un accusé, une catégorie sociale tout entière, de disloquer la société et d’indigner les honnêtes gens contre ses abominables vices... On habitue peu à peu l’opinion à l’idée que les notaires assassinent les filles d’ouvriers, que les chefs d’entreprise par cupidité se moquent de la vie et de la santé de leurs collaborateurs, que les policiers sont corrompus, j’en passe et des meilleures ».
16Les termes employés sont révélateurs du climat de ces années encore marquées par l’ébranlement des journées de mai-juin 1968 et le raidissement des élites conservatrices qui s’en suit. Sur intervention directe du ministère de la Justice, la chambre d’accusation de la cour d’appel de Douai se réunit exceptionnellement un samedi, le 4 octobre, pour statuer sur l’appel de l’ordonnance rendue par Charrette et remettre l’inculpé en liberté.
17D’autres incarcérations suite à des accidents mortels du travail engageant la responsabilité patronale auront lieu, mais en petit nombre. Toujours dans la mise en cause des « puissants », un autre magistrat adhérent au Syndicat de la magistrature, Étienne Ceccaldi, substitut à Marseille, fera l’objet d’une promotion sanction (nommé procureur à Hazebrouck le 9 mai 1976), à la suite de ses réquisitions dans une affaire d’entente illicite entre pétroliers et visant à l’inculpation de 43 dirigeants dont les PDG des grandes compagnies. Cette sanction sera à l’origine de la première grève lancée le 10 juin 1976 par le syndicat : 550 magistrats répondront à son appel. Quant aux autres juges présents sur la couverture rouge du Paris-Match d’octobre 1975, tous membres du syndicat, ils ont eu des démêlés avec leur hiérarchie et la Chancellerie à la suite de leur contestation de certaines pratiques de la justice. Nicole Obrego, substitut à Troyes, avait, en 1969, protesté auprès du président pour sa décision de retrait d’un juge taxateur sur pression des avoués, mécontents de l’application stricte de la taxe à leur égard. Hubert Dujardin, juge d’instruction à Lille, se voit retirer cette fonction en janvier 1975 pour avoir accepté la présence d’un journaliste du Nouvel Observateur dans son cabinet. L’hebdomadaire, sous le titre « Le Saint-Just de Lille », avait respecté l’anonymat des parties, mais pas celui du magistrat dont la photo apparaissait en couverture. Joël Menez, substitut chargé de l’exécution des peines, présent lors de la révolte à la centrale de Loos en 1974, avait protesté contre le matraquage d’un détenu.
18L’action de ces juges -leurs « coups d’éclat » selon Jean Foyer- est donc étroitement associée au Syndicat de la magistrature, au point que dans l’opinion et pour les autorités, « juges rouges » et syndicat tendent à se confondre18. Ce dernier développe une réflexion dans laquelle les juges faisant l’actualité s’inscrivent, même s’ils apparaissent parfois comme des électrons libres, et la défense des contestataires lui donne l’occasion, notamment lors de ses congrès annuels, de critiquer, dans ces années 1970, une magistrature restée dans son ensemble trop soumise aux élites et aux gouvernants, en plaidant pour une justice rendue « Au nom du peuple français »19.
C – Réactions de pairs : un corps désuni ?
19On aura remarqué dans l’évocation du Bon juge et des juges rouges la part prépondérante des tribunaux de province. Château-Thierry, « un modeste tribunal de province »20, et Béthune -juges Pascal et Charrette- font l’actualité alors que la capitale n’est jamais citée. Le plus souvent, on a donc de « petits juges », par leur jeunesse, leur position de début de carrière (substitut, juge d’instruction)21, la hiérarchie judiciaire étant à l’opposé hostile, appelée à sanctionner, sans trop d’états d’âme, les éclats des contestataires. Un des premiers axes de lutte du Syndicat de la magistrature22 est d’ailleurs de dénoncer l’emprise de la hiérarchie sur le corps et la justice, hiérarchie accusée de servilité en enterrant les affaires sensibles impliquant notables et pouvoir et, plus largement, en asservissant l’ensemble du corps à une justice routinière, et finalement en captant la justice à son profit. Il faut dire que la dite hiérarchie le lui rend bien, quand elle célèbre l’indépendance et l’homogénéité de la magistrature, cette « unité que nous considérons comme notre bien le plus précieux »23. C’est dire que les épisodes traités sont révélateurs des dissensions au sein du monde judiciaire.
20Magnaud, soutenu par une grande partie de la presse et de l’opinion, reste bien isolé parmi ses pairs. La hiérarchie de son ressort lui est hostile. Dès le jugement relaxant Louise Ménard prononcé, le procureur général près la Cour d’Amiens fit appel a minima, ce qui suscita un tollé dans l’opinion et même à la Chambre des députés où le garde des Sceaux doit se défendre d’être intervenu. Un ancien président du Conseil, Goblet, alors député de la capitale, vient assurer la défense de Louise Ménard. Dans ce contexte, la Cour est contrainte de confirmer le jugement rendu par le tribunal de Château-Thierry, mais « sans adopter les motifs des premiers juges », acquittant au bénéfice du doute, dans l’impossibilité de dire « s’il y a eu de la part de l’inculpée une intention frauduleuse »24. La Cour d’Amiens infirmera ensuite la plupart des jugements de Magnaud, exprimant même à l’occasion sa lassitude de devoir sanctionner, périodiquement, sa jurisprudence. À l’audience du 12 mai 1900 l’avocat général Pironneau finit par la dénoncer en ces termes : « ... nous éprouvons le besoin de vous dire, pour le soulagement de notre conscience, combien la méchante rédaction des motifs de certains jugements déférés à votre examen nous surprend, nous afflige et nous excède. Il n’est jamais permis aux juges d’attaquer les personnes, d’associer à ces attaques, en quelque sorte, la nation elle-même, le « peuple français » au nom de qui se rend la justice... Quand donc, Messieurs, verrons-nous s’éteindre ce cratère en ébullition qui s’est formé depuis peu dans le pays du bon La Fontaine »25. À la fin de la même année, le procureur général de la Cour justifie le refus de toute marque de faveur donnée à Magnaud (avis sur les palmes académiques) par les dispositions de l’intéressé « les plus inconciliables avec la bonne administration de la justice. Violent, entêté, susceptible, il cherche toutes les occasions d’entrer en lutte avec les juridictions supérieures : la cour d’appel est obligée de réformer ses jugements, soit au civil soit au correctionnel, dans une proportion excessive ; sa correspondance avec M. le Premier Président, témoigne d’une méconnaissance regrettable des devoirs de déférence et de convenance en un mot, il est à l’état d’insurrection morale... »26. Inutile d’ajouter que les appréciations des chefs de Cour dans ses notices individuelles sont des plus négatives. Dès 1894 le procureur général le présente comme à l’état d’insurrection morale et dans celle de 1896, il le décrit comme « violent, passionné, indiscipliné », le qualifiant de « mauvais magistrat qui abuse de l’inamovibilité ». En 1900, les deux chefs de Cour donnent la même appréciation lapidaire : « caractère très autoritaire qu’il exagère jusqu’à la dureté. Emballé à froid, il professe des opinions très avancées qu’il manifeste de la manière la plus intempestive, se mettant de parti pris en état d’insurrection morale ». Avec de telles notes, on comprend que sa carrière ait connu quelques aléas. L’avancement demandé lui est systématiquement refusé, sous des prétextes divers, et quand, après son mandat législatif (il est élu député de la Seine en mai 1906), il demande sa réintégration dans la magistrature, il lui faudra attendre un an avant d’être nommé juge au tribunal de la Seine où ses marges de manœuvre sont des plus réduites. Si le procureur de cette juridiction reconnaît – notice individuelle de 1912 – qu’il remplit ses fonctions, selon la formule consacrée, « avec l’exactitude et le zèle désirables », même s’il paraît « tombé au dernier rang » après ses heures de gloire à Château-Thierry, le président le juge comme « un magistrat pitoyable qui n’entend rien au devoir moral du magistrat et qui ignore tout de la loi qu’il a reçu pour mission d’appliquer »27.
21Au-delà même de son ressort, on ne voit guère de magistrats apprécier sa jurisprudence. Certes, l’opinion est nuancée chez les représentants du ministère public, lors des discours prononcés à l’audience solennelle de rentrée des Cours en octobre 1900, quand est reprise la discussion sur la question de la responsabilité pénale en cas d’extrême misère. En fidèles représentants de l’exécutif, les avocats généraux qui parlent de ce thème dans les Cours d’Agen, Nancy et Pau prennent surtout en compte les débats parlementaires sur l’état de nécessité et les projets de modifier en conséquence l’article 64 du code pénal28. Ils présentent favorablement ces projets. Mais à Agen, Mazeau est plutôt sévère pour les « sentimentalistes » que Magnaud a suivis pour rechercher la renommée, critiquant son jugement « qui ne témoigne pas précisément d’une très grande habileté »29. À Nancy et Pau, Marchand et Chassain ne veulent retenir des attendus du jugement Menard que la seule question des conditions de la responsabilité pénale. En revanche, dans les discussions à la Société générale des prisons, tant sur l’état de nécessité en 1900 que sur la loi de pardon en 1901, les magistrats présents sont, en général, des plus critiques. Tellier, conseiller à la Cour de Douai estime que suivre Magnaud sur ce plan serait provoquer « l’encouragement à la paresse et au vagabondage », affirmant qu’ayant vu comparaître devant lui plusieurs voleurs de pain, il s’est trouvé en face de gens « qui étaient les auteurs de leur misère »30. Jolly, juge d’instruction à la Seine, accepte le dispositif du jugement, mais non « les attendus, longuement et complaisamment développés qui stigmatisent notre organisation sociale et condamnent sévèrement, sans circonstances atténuantes, la société ! »31. Les mêmes critiques sont reprises lors du débat sur la loi de pardon, le substitut Morizot-Thibault admettant que Magnaud « peut être un homme extrêmement humain », « mais, au moment où il monte sur le siège de juge, il doit se souvenir que le magistrat doit respecter la loi parce qu’il est chargé de l’appliquer et que tout serait compromis s’il en inspirait le mépris aux particuliers »32. Plus éloquents encore sont les avis de magistrats, publiés anonymement dans la presse, et donc laissant libre cours aux sentiments probablement les plus répandus dans la magistrature. Signé « un ancien magistrat », l’article du Correspondant publié en mars 1901 est une violente charge contre Magnaud, le « sectaire », le « réformateur impatient et combatif, un tirailleur d’avant-garde, qui serait plus à sa place à l’extrême gauche dans nos assemblées législatives que dans la calme et impartiale atmosphère de nos prétoires »33. La même réprobation prévaut dans la doctrine. Dalloz et Sirey ne publient que le premier jugement, et l’on sait comment F. Gény scellera pour longtemps le sort de la jurisprudence Magnaud en la qualifiant de « passade »34, de « pur sentiment » et de « crise d’impressionnisme judiciaire »35.
22L’argumentation des adversaires de Magnaud se développe dans quatre directions, dès le lendemain de l’acquittement de Louise Ménard. D’abord, face à une opinion très favorable à ses jugements, on affirme que Magnaud n’a pas le monopole de la justice humaine. À la Société générale des Prisons, l’avocat général Brégeault assure que « cela se fait tous les jours ». On évoque alors le classement sans suite par le parquet ou les non-lieux délivrés par le juge d’instruction pour des délits de misère. Henri Robert, avocat à la Cour de Paris, fera néanmoins remarquer qu’on ne voit guère cette commisération se manifester à l’audience des flagrants délits et que Magnaud a peut-être eu tort de « battre la grosse caisse », mais que son action a « réveillé dans le cœur des magistrats certains principes qui semblaient être endormis à jamais... »36. La violation de la loi écrite focalise toutes les critiques. Morizot-Thibault reproche aux juges de Château-Thierry de pardonner « en déchirant le texte de la loi »37. Le magistrat du Correspondant en fait le cœur de son argumentation : Magnaud « viole la loi écrite au profit de ce qu’il considère comme la meilleure loi naturelle »38. Il lui reproche également ses considérants « parasites » qui pointent la responsabilité de la société dans la délinquance. En prétendant ainsi dire son fait à la société, en diluant la responsabilité des prévenus, il « fait de ses jugements un prétexte à polémiques, de son siège une tribune d’où il menace et écrase quiconque professe des opinions différentes des siennes, déchaîne les passions et pousse, sans s’en douter, je le veux bien, à la guerre des classes »39. En outre, cet « homme de parti » est tout le contraire du magistrat « qui fuit le bruit », guérit la misère par l’aumône : Magnaud cherche le moindre prétexte « pour appuyer de toutes ses forces sur la chanterelle »40. En somme, il fait figure en son temps, de « héraut solitaire en guerre ouverte avec les siens »41.
23Ce n’est plus le cas avec les juges contestataires des années 1970. Sans doute, les critiques à leur égard sont les mêmes que celles faites au président Magnaud : recherche de la popularité, politisation, viol de la loi, balance de la justice en faveur des faibles. Certes également retrouve-t-on les appréciations négatives de la hiérarchie sur leur action, quelques notes individuelles assassines en témoignant comme celle présente au dossier de Patrice de Charrette : « Ce magistrat est dangereux pour la justice et pour les justiciables »42. La hiérarchie multiplie les avertissements faute de pouvoir, légalement et sous la pression du Syndicat de la magistrature ayant le soutien de l’opinion, faire plus. Par exemple, Hubert Dujardin, traduit devant le Conseil supérieur de la magistrature en décembre 1974, se voit retirer l’instruction, alors que le directeur des services judiciaires, représentant du garde des Sceaux avait réclamé la révocation. Mais à défaut de cette mesure extrême43, les techniques habituelles sont utilisées pour entraver la contestation, notamment en agissant sur le déroulement de carrière. Oswald Baudot, substitut à Marseille, auteur d’une harangue aux jeunes magistrats (« Soyez partiaux... pour maintenir la balance entre le fort et le faible... ») adressée en 1974 sous pli fermé à une centaine de ses collègues, terminera ses 35 années de carrière comme premier substitut, alors que l’accès à ce poste se fait généralement en moins de dix ans. Il reste que le contexte, par rapport au début du XXe siècle, est très différent : cette fois, les juges rouges sont certes peu nombreux à faire l’actualité, mais ils ont l’appui d’une partie notable de la magistrature comme l’a montré la première grève dans l’institution judiciaire en 1976.
24Cette différence informe sur le degré d’homogénéité et de cohésion de la magistrature aux époques concernées. Si, dans les deux cas, le corps affiche son unité sans faille par la voix de la hiérarchie qui parle en son nom, les contestataires remettent fortement en question la magistrature et la justice de leur temps. On l’a noté pour les années 1970, avec les premiers programmes du Syndicat de la magistrature voyant dans le principe hiérarchique le vice fondamental de l’institution. On le voit également dans le discours de Magnaud qui a bien conscience qu’il a pour lui « la presque complète hostilité de la magistrature »44. Interrogé sur l’affaire Thérèse Humbert (une escroquerie de grande ampleur) par Le Matin en 1902, il n’est pas tendre pour cette « magistrature qui en est arrivée à se laisser berner depuis quinze ans à l’aide de subtilités juridiques », estimant qu’elle s’est rendue moralement complice, signant ainsi « elle-même sa déchéance ». Opposant l’application mécanique de la loi pour condamner « à plusieurs mois de prison un pauvre diable sans ressources sur la route ou demandant un morceau de pain » aux lenteurs de la procédure pour « les escarpes de haut vol », il en tire la conclusion « que la réforme et la simplification de ce rouage vermoulu de notre organisation sociale qu’est la magistrature, ainsi que celle des codes qui forment son arsenal, s’imposent à tous égards... »45. Il n’hésite pas d’ailleurs à critiquer la magistrature dans ses attendus, comme dans celui qui figure dans le jugement d’un délit de chasse prononcé en décembre 1901 : « Qu’à la vérité, la jurisprudence toujours disposée, puisqu’elle est l’œuvre de la magistrature, à renchérir sur les sévérités légales et à aggraver la situation des prévenus, se refuse à admettre la bonne foi en ce qui concerne les délits de chasse... »46. C’est donc, au-delà des clivages apparaissant dans la magistrature, une autre justice qui est revendiquée par Magnaud comme par les juges rouges.
II – Une autre justice ?
25Magnaud met en pratique cette autre justice, multipliant les attendus qui ont le don d’exaspérer ses pairs, mais qui se veulent avant tout en phase avec les mutations sociales de son époque. Il souhaite rendre une justice humaine tenant compte des inégalités sociales. De même, dans son manifeste intitulé significativement Au nom du peuple français, le Syndicat de la magistrature veut redonner toute sa force à la formule placée en tête du jugement. Il s’agit de restituer le pouvoir du juge au peuple et de rompre avec la fiction d’une justice indépendante, placée au-dessus des contradictions sociales.
26Cette justice humaine, se voulant proche des justiciables, ne débouche-t-elle pas, comme le dénoncent ses détracteurs, sur une justice de classe en souhaitant corriger les inégalités ? En faisant appel à l’équité pour prolonger le pouvoir d’interprétation du droit, ne s’écarte-t-elle pas de la légalité, emportant le soupçon de violer la loi ? On a déjà rencontré ces questions au fil des réactions suscitées lors de ces deux « éruptions » contestataires.
A – Une justice proche des justiciables ?
27Toute la culture du juge repose sur la modération « garantie essentielle de l’impartialité » pour le signataire de l’article déjà cité du Correspondant. Cette vertu va de pair avec la discrétion : « Le bon juge, c’est précisément celui qui fuit le bruit, qui, comme les peuples sages, n’a pas d’histoire... ». À l’encontre de ce « devoir de réserve », conçu de manière très extensive, Magnaud et les juges rouges utilisent les médias dans leur stratégie de rupture, affirmant hautement que le juge doit sortir de ses palais et abolir la distance sociale qui le sépare des justiciables pour mieux rendre justice.
Stratégie de rupture et utilisation des médias
28C’est peu dire que ces quelques juges veulent ôter à la justice son bandeau. Sans forcément rechercher la popularité, ils s’en accommodent et s’en servent dans leur combat pour une autre justice. Magnaud a multiplié les interviews et les articles dans les journaux parisiens (Le Matin, Le Figaro) et la presse locale, réagissant immédiatement aux critiques faites à ses jugements. L’Illustration et la Vie illustrée lui consacrent des reportages photo et les caricaturistes de l’Assiette au Beurre lui dédient « respectueusement » le numéro d’avril 1901 qui stigmatise la magistrature sous le vocable de Tapinophages (dévoreurs d’humbles gens). À Jules Huret, journaliste du Figaro venu le rencontrer à Château-Thierry, il montre avec fierté et émotion les paquets de lettres empilés sur son bureau : « ... elles venaient de tous les coins de la France et de tous les pays du monde ; elles émanaient de toutes les classes sociales, d’hommes et de femmes de toutes conditions, ... de tout le monde et de partout, mais d’aucun magistrat... On lui écrivait comme on aurait écrit aux saints, ou au bon Dieu ! »47. Lisant longuement une lettre d’un vagabond le remerciant de l’avoir remis sur le droit chemin, Magnaud a les larmes aux yeux, autant par sensibilité à l’égard de la condition des malheureux que « par l’évocation attendrie de sa justice et de sa bonté » note le journaliste. Sans nul doute, le bon juge a une haute idée de son action et apprécie sa récente popularité. Elle lui vaut les foudres de ses pairs, même à titre posthume : un de ses biographes, magistrat à la cour d’appel d’Amiens, n’a pas de mots assez durs pour dénoncer ce « président-drapeau, sa fanfare et ses foudres »48. Mais sans cette popularité, Magnaud n’aurait sans doute jamais pu développer pendant plusieurs années une jurisprudence dans des domaines variés, mettant en lumière l’archaïsme de la législation en la matière. Il n’aurait sans doute jamais envoyé des pétitions à la Chambre des députés pour proposer d’amender l’article 64 du code pénal ou de remplacer par une réprimande la condamnation de délits mineurs et excusables (loi de pardon). Et l’eût-il fait, que, sans son aura médiatique, ces projets ne seraient sans doute jamais venus en discussion.
29Dans l’affaire de Bruay-en-Artois, le numéro de Paris-Match du 20 mai 1972 peut titrer : « Le petit juge a maintenant toute la France pour auditoire ». Là encore, la médiatisation de l’affaire entre dans la stratégie du juge qui s’en prend au secret de l’instruction, dans le cadre d’une conception de la justice démocratique, sous contrôle du peuple : « Le droit pour le public de voir fonctionner sa justice découle de cette vérité indiscutée que, rendue au nom du peuple français, elle est bien « sa » justice. Le justiciable n’est pas au service de la justice, c’est la justice qui est au service du justiciable. Nous devons donc, nous magistrats, accomplir notre travail autant que possible sous les yeux du public, afin que, si l’on admet que celui-ci peut nous critiquer, il puisse le faire en pleine connaissance de cause. Il doit pouvoir se rendre compte des conditions dans lesquelles sa justice est rendue, et pour cela il doit pouvoir examiner et contrôler notre travail, aussi bien pendant que nous l’accomplissons que lorsqu’il est terminé et que nous lui présentons ce que nous avons fait. Toute œuvre exécutée par un homme doit pouvoir être jugée sur pièces et critiquée par les autres hommes »49. Mise en pratique, cette conception, censée écarter ainsi les pressions de notables voulant entraver la marche de l’instruction, aboutit à une collaboration étroite avec la presse (les journalistes campent au palais de justice de Béthune) et au discours du juge Pascal sur les marches du palais devant quelque 2 000 personnes, plaidant en faveur d’une « justice à ciel ouvert ». Mais il se contente de rendre publiques les étapes de la procédure sans rien dire sur le fond de l’affaire, ce qui explique l’échec de la requête en suspicion légitime à son encontre.
30Quant aux juges rouges, ils utilisent également les médias pour justifier leur action, acceptant les interviews de la télévision50, le Syndicat de la magistrature organisant des journées portes ouvertes, des débats publics, distribuant des tracts pour démythifier la justice et le métier de juge. On sait comment Hubert Dujardin a accepté, dans cet esprit, la présence pendant trois jours d’un journaliste du Nouvel Observateur dans son tribunal. L’organe même du syndicat, Justice, et les deux volumes Au nom du peuple français (1974) et Justice sous influence (1980) donnent au public une vision tout à fait nouvelle du fonctionnement de la justice en dévoilant les diverses techniques de manipulation utilisées par la hiérarchie comme les astuces de procédure pour orienter le traitement d’une affaire. Jamais jusqu’alors des juges n’avaient montré, aussi précisément, la réalité concrète de la justice et du travail des magistrats51.
31Ce recours aux médias, commun à tous les épisodes cités, dépasse de loin le souci de popularité : il vise expressément à abolir la distance sociale entre justice et justiciables.
Magistrature : distance ou proximité sociale ?
32Or cette distance est grande. Sans évoquer les nombreux discours de rentrée devant les cours d’appel et plaidant dans ce sens pour préserver l’indépendance et l’impartialité du juge, et en dépit de quelques orateurs demandant une plus grande ouverture au monde, force est de constater le conservatisme de la magistrature sur ce plan, aisément justifié par une pratique professionnelle qui impose du recul face aux prétentions des plaideurs. Comme le dit le conseiller Tellier lors de la discussion sur l’état de nécessité à la Société générale des prisons, le grand avantage du magistrat du parquet (pour classer les délits de misère) c’est que « Le silence du cabinet prévaut contre les entraînements faciles ; la foule est souvent injuste et cruelle : le désir de la satisfaire fausse la notion de réelle justice »52. Comme on a, encore au début du XXe siècle, des juges en majorité notables, très liés par leurs origines et relations sociales aux classes possédantes, cette distance va de pair avec une certaine condescendance, voire du mépris à l’égard des classes populaires. Le substitut Morizot-Thibaut repousse l’idée d’une réprimande pour les délits excusables, car si elle convient parfaitement pour sanctionner les manquements des professionnels de la justice « à l’épiderme sensible », appliquée « à un ouvrier, à un homme de la campagne, c’est-à-dire à un justiciable à la peau dure, il ne la sentira jamais... ».53
33Or la plupart des actes des juges contestataires ont justement porté sur les problèmes sociaux : jugements en faveur des déshérités de Magnaud, droit du travail privilégié par les juges rouges54. En réponse à Barthou qui lui reproche de transformer « ses sentences en autant de thèses sociales et de réquisitoires contre la société »55, Magnaud, réplique que « La première qualité d’un juge, à mon sens, est d’être un homme, et un homme de son temps, qui, loin d’être le dévot d’un formalisme traditionnel, s’efforce de ne rien ignorer du monde divers qui l’entoure, de discerner la variété des sentiments qui règnent à chaque degré de l’échelle sociale, et d’en faire délibérément état dans ses décisions »56. Et, de fait, ses jugements abondent en attendus prenant argument de la condition des prévenus pour motiver relaxes ou verdicts d’indulgence. Au magistrat du parquet qui a fait appel de l’acquittement Louise Ménard, il réplique « Je me demande si l’Avocat général de la Cour d’Amiens, qui s’est montré si sévère pour Louise Ménard, était resté trente-six heures sans manger avant d’écrire son réquisitoire, je me demande s’il se serait montré si sévère ! »57. Dans le jugement Chiabrando, il plaide en faveur d’un juge capable de se mettre à la place du justiciable pour mieux comprendre ses motivations : « Attendu que, pour équitablement l’apprécier, le juge doit, pour un instant, oublier le bien-être dont il jouit généralement afin de s’identifier, autant que possible, avec la situation lamentable de l’être abandonné de tous... »58.
34Cette justice du cœur -qui conduit logiquement Magnaud à proposer de modifier le code pénal dans le sens de l’acquittement ou de l’excuse pour les délits de misère- est aussi celle que préconise dans les années 1970 le juge Pascal, en justifiant ainsi sa volonté de rendre justice en pleine lumière, en critiquant tout ce qui dans la procédure creuse le fossé entre magistrats et justiciables : « Avoir du cœur, voilà tout simplement la grande qualité nécessaire à tout magistrat... Avoir du cœur, c’est avant tout savoir se mettre à la place des autres... Le juge est avant tout un homme : s’il ne peut pas comprendre les autres hommes, il ne doit pas être juge... Quand le juge a affaire à un manœuvre maçon, il doit s’efforcer de raisonner et de sentir comme un manœuvre maçon ; quand il a affaire à un garçon de seize ans, il doit s’efforcer de raisonner et de sentir comme un garçon de seize ans ; de même quand il a affaire à une vielle dame et ainsi de suite »59.
35On retrouve, en partie, cette volonté d’une justice proche du peuple, parmi les juges rouges et dans les publications du Syndicat de la magistrature pendant les années 1970. La meilleure illustration en est donnée par la harangue à des magistrats qui débutent d’Oswald Baudot : « Soyez partiaux. Pour maintenir la balance entre le fort et le faible, le riche et le pauvre, qui ne pèsent pas d’un même poids, il faut que vous la fassiez un peu pencher d’un côté. C’est la tradition capétienne. Examinez toujours où sont le fort et le faible, qui ne se confondent pas nécessairement avec le délinquant et sa victime. Ayez un préjugé favorable pour la femme contre le mari, pour l’enfant contre le père, pour le débiteur contre le créancier, pour l’ouvrier contre le patron, pour l’écrasé contre la compagnie d’assurance de l’écraseur, pour le malade contre la sécurité sociale, pour le voleur contre la police, pour le plaideur contre la justice »60.
36Une telle justice rencontre les aspirations permanentes des justiciables – que l’on retrouve tout au long de l’histoire de la justice- en faveur non seulement d’une proximité géographique des tribunaux, mais également d’une proximité sociale du juge (ce qui implique des formes simplifiées) allant de pair avec un règlement pacifique des litiges, privilégiant la médiation à la sanction61. Impliquant la prise en compte des inégalités sociales, elle est accusée par ses détracteurs de conduire à une justice de classe.
B – Une justice de classe ?
37Il y a sur ce plan unanimité pour attribuer le stigmate à Magnaud, Pascal et aux juges rouges. Au premier, si l’on veut bien admettre l’humanité de ses décisions dans la relaxe de la voleuse de pain et des vagabonds et mendiants véritablement miséreux, sa condamnation des employeurs et sa jurisprudence hostile aux propriétaires dans les affaires de chasse sont très mal accueillies. Mais surtout, par sa mansuétude envers les humbles, il est rangé au rang des agitateurs socialistes qui s’en prennent à l’ordre social. N’a-t-il pas l’outrecuidance de dénoncer la société dans ses attendus ? Pour le magistrat écrivant dans Le Correspondant, il pousse « à la guerre des classes »62. À la fin du XXe siècle encore, un de ses biographes, magistrat, l’accusera de pratiquer « une justice de classe à rebours »63. Le juge Pascal s’est attiré les mêmes foudres quand il a placé en détention préventive le notaire Leroy, d’autant plus que le contexte de lutte de classes à Bruay-en-Artois, en 1972, ne pouvait que se prêter à l’accusation de parti pris en faveur des habitants des corons contre la bourgeoisie locale. On connaît les réactions suscitées, quelques années après, par l’incarcération de Chapron par le juge de Charrette. Là encore l’opposition de condition entre la victime de l’accident et le patron de l’usine conduit le garde des Sceaux à protester contre « une justice de classe ».
38S’agit-il alors, pour ces juges rouges d’aller vers une forme de « justice populaire » ? Les débats au sein du Syndicat de la magistrature, dans les années 1970, ont bien montré les interrogations sur une justice « bourgeoise », instrument de domination de classe sur le « prolétariat », pour reprendre le vocabulaire de l’époque. Dans Au nom du peuple français, il est rappelé avec insistance que la loi n’est pas neutre, de même que son application, au constat d’un régime de faveur pour les groupes socio-dominants alors que les exclus, appartenant aux catégories défavorisées, sont lourdement sanctionnés. Mais dans cette phase de « radicalisation »64 du syndicat, la contestation de la légitimité du pouvoir et du droit, reste à l’état de motion. Les quelques actes de rupture des années 1970 ne remettent pas réellement en question la légalité. Le juge de Charrette a motivé en droit son ordonnance de placement en détention de Chapron, faisant appel au motif traditionnel en la matière, celui de « l’ordre public », notion très extensible certes, mais couramment utilisée.
39En fait, il faut davantage voir dans l’action de ces magistrats -de Magnaud aux juges rouges- l’aspiration à rendre une justice démocratique, égale pour tous, en prenant en compte la réalité d’une société divisée en classes aux intérêts divergents ou à tout le moins marquée par de fortes inégalités. Ce qui implique, à leur sens, deux choses : agir pour faire évoluer la législation vers une réduction des inégalités et juger en ayant conscience de la réalité sociale, par le biais de l’interprétation du droit. Au premier chef, Magnaud donne l’exemple en proposant à la Chambre des députés plusieurs pétitions qui formeront autant de projets de loi (ses textes sont repris presque dans leur intégralité à ce stade). Il suivra cette logique en acceptant un mandat législatif, sous la pression de Clemenceau, en 1906, mandat pendant lequel ses projets de réforme (dont celui de la magistrature) n’aboutiront pas. De même, le Syndicat de la magistrature critique les projets de loi attentatoires aux libertés individuelles, prend de multiples contacts et organise des manifestations communes avec les associations et syndicats ouvriers pour faire évoluer la législation. Loin de rester confinés dans leur tour d’ivoire, ces juges ne craignent pas d’entrer dans les débats politiques et sociaux pour faire avancer leur conception d’une justice démocratique.
40Quant à leur fonction de juger, elle vise d’une part à intégrer la responsabilité sociale dans l’appréciation des faits et des mobiles des justiciables et, d’autre part, à tenir la balance égale entre chacun d’eux, quelle que soit sa condition sociale. Magnaud justifie la première intention dans la réponse donnée au Figaro lors d’une enquête sur le droit de punir : « Le juge chargé d’appliquer la peine au nom de la société qui poursuit la répression d’un manquement à la loi ne doit pas se contenter de rechercher, outre l’intention coupable, les causes d’irresponsabilité ou les circonstances atténuantes directes, mais examiner encore si l’acte punissable ne serait pas le résultat, tout au moins indirect, de quelque lacune sociale. Et si, dans sa conscience, il estime que la société n’a pas fait tout ce qu’elle pouvait ou devait faire, la faute du poursuivant ne saurait manquer d’amoindrir, à ses yeux, celle du poursuivi, et parfois même de la supprimer »65. Ce principe est à la base du jugement Menard comme de ceux relatifs au délit de mendicité, dans lesquels il argumente longuement sur l’insuffisance des établissements de bienfaisance. Ce faisant, il va à l’encontre de la jurisprudence de ses pairs qui, selon lui, sont, en raison de leur origine sociale, trop sévères à l’égard des miséreux.
41Il les accuse d’ailleurs, en outre, d’être trop favorables aux gens de leur milieu, renversant ainsi l’argument de la justice de classe. L’affaire Salvez est à cet égard édifiante. Un notaire de son ressort avait pris la fuite après avoir détourné 50 000 francs au préjudice de ses clients. Sa famille ayant remboursé en partie ces derniers, la chambre des mises en accusation d’Amiens rendit une ordonnance de non-lieu. Le 14 décembre 1900, Magnaud connaît une affaire similaire, celle d’un colporteur, Joseph Salvez, coupable d’avoir détourné soixante francs à son employeur. Magnaud se déclare incompétent (l’abus de confiance au préjudice d’un employeur est passible des assises) avec des attendus stigmatisant la justice partiale de la cour d’appel, rappelant le non-lieu accordé au notaire : « Attendu que cette mansuétude envers un inculpé de haute marque ne peut manquer de s’étendre à l’humble prévenu qui, dans une misère profonde, s’est laissé aller à dissiper une petite somme et qui, au lieu de se soustraire aux recherches par la fuite comme le premier, s’est au contraire volontairement constitué prisonnier... Attendu, au surplus, que la culpabilité d’un homme ne saurait dépendre de la plus ou moins grande situation de fortune... »66.
42C’est au fond l’idéal démocratique, celui d’une justice égale pour tous, sans immunité pour les notables et les puissants, qui anime Magnaud. Cet idéal se retrouve à l’évidence dans les années 1970, les juges rouges s’en tenant également à l’application de la loi pour tous (alors, affirme-t-on, que la bourgeoise viole ce principe quand les siens sont en cause), avec la même prise en compte du droit des défavorisés. Dans ce cadre, se pose aussi la question du rôle du droit et du juge comme possible acteur de changement social, de réduction des inégalités.
C – Le rôle du juge : la loi, son interprétation et l’équité
43Les détracteurs des juges contestataires leur ont fortement reproché de s’écarter de la législation, de violer la loi et ne pas respecter les principes fondamentaux du droit, pour rendre une justice sentimentale, certes généreuse, mais inspirée de leur seule conscience. C’est, dit-on, la porte ouverte à l’arbitraire et à l’anarchie judiciaire, chaque magistrat finissant par rendre justice en fonction de ses convictions religieuses ou de ses opinions politiques. Ces critiques sont particulièrement développées à l’égard de la jurisprudence Magnaud, mais elles sont également faites lors de certaines décisions prises par les juges rouges, même si ces derniers font surtout parler d’eux par leurs interventions sur le fonctionnement de l’institution judiciaire.
44Magnaud prononce-t-il des jugements violant la loi ? La réponse doit être nuancée. Généralement, ses décisions sont fortement argumentées, les textes discutés et la référence aux principes du droit, constante. Il y a presque toujours dans ses motivations une analyse scrupuleuse de la loi et du contrat67. Tel est le premier jugement qui l’a rendu célèbre, où il fait application de l’art. 64 du code pénal. Mais, à l’occasion, cela ne l’empêche nullement de faire la critique de la loi, pour indiquer ses lacunes ou pour en souligner la trop grande sévérité. Ainsi, à titre d’exemple, du délit d’adultère : dans un jugement du 6 février 1903, il fustige les prescriptions « tellement surannées » du code pénal, exprimant le vœu de « faire disparaître du code une infraction de cette nature », notamment en raison de « l’odieuse différence de traitement, édictée par le législateur, entre l’homme et la femme », estimant de « son devoir très net... de laisser tomber en désuétude, jusqu’à son abrogation inévitable, une loi si partiale et d’un autre âge »68. Refusant en l’espèce d’appliquer la loi, il lui arrive aussi d’aller au-delà du législateur, quand il prononce, autre exemple, le divorce pour consentement mutuel : « Que si le divorce par consentement n’est pas encore inscrit dans la loi, le tribunal, pour bien apprécier la situation respective des époux, ne doit pas moins tenir le plus grand compte de l’expression de cette volonté, deux êtres ne pouvant être malgré eux enchaînés à perpétuité l’un à l’autre »69.
45Plus encore que les aspects surannés de la législation, Magnaud s’en prend à la jurisprudence en vigueur dont il critique en termes violents le caractère étroit et routinier, le formalisme et le conservatisme, parlant de « servilisme jurisprudentiel »70, comprenant parfaitement que ses décisions « aient suscité les colères de la magistrature, troublée dans la quiétude de son fromage juridique tombant en déliquescence... »71. Dans ses attendus, il n’a pas de mots assez durs pour dénoncer la jurisprudence « obscurcissant et compliquant, comme à plaisir, les textes les plus simples et les plus clairs », affirmant que « le juge à le devoir de s’insurger » contre elle72. Il a sur ce point l’appui d’une partie de la doctrine, à en juger par les interventions de plusieurs professeurs de droit aux séances de la Société générale des prisons en 1900, remarquant, comme Garçon, à propos de l’art. 64 du code pénal, combien la Cour de cassation « gênée par ce texte qui exige la perte de la liberté morale, n’a pu dégager dans notre jurisprudence la théorie du délit nécessaire », alors que les pays étrangers l’ont adoptée depuis longtemps73. Saleilles, sur le même sujet, abonde dans le même sens : « si la magistrature avait usé de tous les pouvoirs qui lui appartiennent, nous n’aurions pas besoin d’ajouter un seul mot à l’art. 64 »74. Ces critiques sont de toutes les époques et on les retrouve naturellement chez les juges des années 1970, à l’exemple d’un des fondateurs du Syndicat de la magistrature, Pierre Lyon-Caen qui estime qu’une des sources du conservatisme de la magistrature réside dans « l’enseignement du droit [qui] repose beaucoup sur l’analyse des précédents, l’étude de la jurisprudence. À l’évidence, nous sommes davantage tournés vers le passé que vers l’avenir »75. La harangue d’O. Baudot appelait à « mépriser les coutumes, les circulaires, les décrets et la jurisprudence » et à consulter « le bon sens, l’équité, l’amour du prochain plutôt que l’autorité ou la tradition ».
46L’équité, la jurisprudence Magnaud y est étroitement associée, le premier jugement qui l’a rendu célèbre ayant été perçu par l’opinion comme une sentence de pure équité. Nombre de ses attendus y font référence et sont souvent cités, en sa faveur ou comme pièce à charge : « Attendu que le mot d’équité se rencontre si rarement dans le code où il est souvent en lutte contre le droit, devant lequel il succombe presque toujours, qu’il est du devoir du juge de ne pas le laisser échapper et d’en faire usage dans la plus large mesure quand, par hasard, il est prononcé »76. Il tend à placer cette notion d’équité au cœur de son action judiciaire, sans renier le droit positif, mais pour adapter ses dispositions, souvent périmées selon lui, aux conditions sociales et aux mœurs de son époque. Le président du tribunal de Château-Thierry, répliquant à Barthou qui l’accuse de se transformer en justicier, pose une question éclairante sur le fond de sa pensée : « Le désir de rendre la justice juridique doit-il prévaloir sur celui de rendre la justice équitable, conforme au droit naturel, ainsi qu’à l’esprit et aux idées d’amélioration sociale de son temps ? »77. En ce sens, s’il est souvent considéré comme ayant pratiqué une justice prétorienne abusant de l’équité, on a pu aussi considérer que « son apport est d’avoir révélé, en un temps où le juge n’était qu’un rouage d’application de la loi, la créativité de son jugement et sa puissance d’interpellation de la société »78.
47D’une certaine façon, « l’insurrection morale » du président Magnaud marque sinon une rupture du moins un affranchissement à l’égard de la primauté de la loi en vigueur depuis la Révolution française. Sans doute serait-il exagéré d’évoquer un retour à l’arbitraire de la justice d’ancien régime, mais on retrouve, à chaque fois, l’équité au cœur de l’idéologie de la magistrature quand celle-ci tend à affirmer son pouvoir de juger à l’encontre du pouvoir politique dont une législation est contestée79.
48On peut alors se demander si ces périodes contestataires qui mettent en avant le modèle d’une justice démocratique, répondant pleinement aux aspirations des justiciables, ont eu une réelle influence. Les actes de rupture, vécus comme tels par ces magistrats, ont-ils amorcé, sinon constitué, des ruptures réelles dans la justice ou ne sont-ils l’expression que d’une conjoncture particulière ?
III – Juges contestataires et contexte
49S’interroger sur le pourquoi et l’impact de ces « insurrections » passagères permet d’en prendre la mesure au regard de l’ensemble de l’institution judiciaire et de la place de celle-ci dans une société qu’elle modèle tout en reflétant son évolution. Fortement médiatisés, les épisodes étudiés ne sont-ils restés que des épiphénomènes, d’autant plus marquants dans l’actualité qu’ils étaient exceptionnels et marginaux ? Répondre à cette question implique au préalable d’avancer quelques hypothèses sur les facteurs susceptibles d’expliquer l’apparition d’un juge Magnaud comme des juges rouges : les replacer dans le cours de l’histoire est aussi une façon de prendre la pleine mesure de leur originalité comme de leur influence ultérieure.
A – Le contexte de l’émergence des contestations
50Le cas de Magnaud, isolé parmi ses pairs, a conduit à rechercher des préoccupations personnelles à son action. On trouve dans sa notice personnelle de 1892 une allusion à un de ses parents qui l’aurait déshérité, en 1884, au profit d’une congrégation en rétorsion à ses opinions républicaines et anticléricales. En faire le point de départ de sa révolte contre la magistrature est hasardeux, d’autant qu’il est alors simple juge d’instruction. Qu’il s’oriente vers une justice favorable aux humbles peut s’expliquer par son mariage avec une filleule de George Sand. On avance également l’emballement de la popularité : auréolé par l’écho donné à la relaxe de Louise Menard, il aurait alors multiplié les jugements remettant en question la jurisprudence admise.
51Au-delà des aléas de sa vie personnelle, il faut prêter davantage attention à sa carrière judiciaire. Le procureur général d’Amiens le qualifie pour la première fois « en état d’insurrection morale » dans sa notice de 1894 en relevant plutôt un incident de carrière : « Il y a deux phases dans la carrière de M. Magnaud. Dans la première, de 1881 à 1887, sa conduite, loin de donner lieu à la moindre critique, mérite des éloges ; depuis 1887 et particulièrement depuis l’échec qu’il a subi pour un poste de conseiller, il se montre violent et passionné. Il recherche toutes les occasions d’entrer en lutte avec les juridictions supérieures... ». Il est probable que ces vexations, pour un homme imbu de sa personne et au caractère bien trempé, n’étaient pas faites pour entretenir des relations harmonieuses avec sa hiérarchie. Gascon, né à Bergerac, fils d’un directeur départemental de l’enregistrement, Magnaud a abandonné le barreau pour entrer dans la magistrature à 32 ans, comme substitut à Doullens où il est nommé à la fin de décembre 1880. Républicain convaincu – vote négatif au plébiscite de 1870, participation à la guerre dans l’armée de la Loire- il est assez représentatif de cette génération de magistrats républicains entrés massivement dans le corps lors des épurations du début des années 1880 : il est nommé justement lors de la vague de démissions dans le parquet consécutive aux décrets contre les congrégations. Par ses origines familiales et sa fortune modeste, il s’apparente également aux « nouvelles couches » qui commencent timidement, à partir de ces années, à prendre place dans la magistrature à l’occasion des épurations80. Il reste quelques mois à Doullens, puis devient juge d’instruction successivement à Montdidier (mai 1881), Senlis (octobre 1883) et Amiens (juin 1885). Il accède à la présidence du tribunal de Château-Thierry en octobre 1887.
52Ses convictions politiques lui font apprécier le mouvement d’humanisation de la législation pénale qui se développe dans les décennies 1880-1890 et dont le sénateur Bérenger -qui se dit « très sympathique à M. le président Magnaud et à ses idées » tout en n’approuvant pas la forme et l’éclat donnés à certains de ses jugements81 – est l’un des promoteurs. Les lois sur la déchéance de la puissance paternelle (1889) et la répression des violences à enfants (1898) témoignent d’un souci de protection de l’enfance dite en danger qui se retrouve dans la jurisprudence de Château-Thierry, laquelle ne se fait pas faute de stigmatiser les maisons de correction, écoles de perdition82. Les lois de 1885 sur la libération conditionnelle et de 1891 sur le sursis s’inscrivent parfaitement dans la philosophie pénale de Magnaud, lequel souhaite la prolonger, on l’a vu, par l’absolution pour les délits commis en état nécessité ou les délits mineurs (proposition de réprimande). Sa jurisprudence s’inscrit dans le mouvement plus général de cette « République des faibles »83 qui tout en réprimant sévèrement la récidive (loi de relégation outre-mer de 1885) fait preuve d’indulgence envers la délinquance primaire. Son originalité est de vouloir aller plus loin dans ce soutien aux humbles et aux faibles (femmes, ouvriers, exclus), ce qui le rapproche des radicaux et des socialistes.
53Peut-être y est-il incité par la conjoncture politique et sociale de la dernière décennie du XIXe siècle. À la suite de la crise boulangiste (1889) et du scandale de Panama (1892), les gouvernements républicains modérés font aussi preuve d’une grande fermeté à l’égard du mouvement ouvrier, usant de la force pour mettre fin aux grèves et portant atteinte aux libertés publiques dans la répression des anarchistes. D’autre part, l’affaire Dreyfus met en lumière les tergiversations des modérés comme leur volonté d’empêcher la justice de revenir sur le verdict prononcé par le Conseil de guerre de Rennes en 1894. Alors que la chambre criminelle de la Cour de cassation admet le pourvoi en révision de Dreyfus, le gouvernement réalise un véritable « coup d’État judiciaire » en la faisant dessaisir. La cassation par l’ensemble de la Cour -toutes chambres réunies- du jugement militaire est une manifestation forte et nouvelle de la volonté d’indépendance de la plus haute juridiction à l’égard du pouvoir politique. L’action de Magnaud se situe aussi dans le contexte d’un affaiblissement relatif du pouvoir politique par rapport au pouvoir judiciaire.
54Les coups d’éclat des « juges rouges » se réalisent dans une toute autre conjoncture, même s’ils prolongent, d’une certaine façon, l’ébranlement né de la contestation étudiante et ouvrière de mai-juin 1968. On avancera en ce sens, la naissance du Syndicat de la magistrature, en 1968. Plutôt réformiste les premières années, le syndicat se radicalise au début des années 1970, poussé par ses éléments qui s’inspirent directement du mouvement de 1968 : critique de la justice comme instrument de domination de la classe bourgeoise, tendance à politiser l’action juridique, lutte contre le principe hiérarchique (la mise en cause de toutes les institutions d’autorité est un des traits majeurs des contestations politiques issues de 1968), fonctionnement du syndicat sur le mode de la démocratie directe (ce qui laisse une grande liberté aux actions individuelles des « juges rouges » que le syndicat avalise ensuite) et aussi désir de se rapprocher du peuple.
55Pour les mouvements radicaux – « gauchistes » selon l’expression de l’époque –, dont les militants, jeunes, sont en majorité issus des élites sociales ou des couches moyennes, la référence au peuple est omniprésente. Cette volonté d’aller au peuple84, de lui redonner sa place dans toutes les institutions se retrouve au niveau de la justice, dans le Syndicat de la magistrature comme dans le Mouvement d’action judiciaire, ainsi que chez les juges rouges que nous avons cités. L’affaire de Bruay-en-Artois en donne l’exemple le plus éclairant avec l’intervention sur place des maoïstes et de leur journal La Cause du peuple soutenant l’instruction transparente, « à ciel ouvert », du juge Pascal. On retrouve la même attitude dans l’intérêt porté par les juges rouges au droit du travail comme le dit Patrice de Charrette : « ... je crois que ce qui nous a intéressés, c’est que c’était en prise directe sur la réalité... Cela a été une découverte pour moi, qui étais très éloigné des réalités du monde ouvrier, j’étais dans un milieu où les problèmes des ouvriers, c’était vraiment l’inconnu complet... Dans le fond, le droit du travail, c’est un domaine où tout est à faire ; ce que je veux dire par là, c’est que le droit du travail était appréhendé jusqu’à présent avec les catégories du droit civil, c’est-à-dire d’une façon extrêmement juridique, sans aucun contact avec la réalité ou presque... »85. En même temps, ce désir d’aller au contact du peuple et de sa réalité au travail s’inscrit dans un mouvement plus ancien, accéléré à la Libération, de transformation de la législation sociale en droit social. Mais dans les années 1970, les juges contestataires se préoccupent surtout de la faiblesse des sanctions pénales en ce domaine, un domaine « où tout est à faire ».
56La remarque est significative de l’état d’esprit de ces jeunes juges, commençant leur carrière à l’instruction ou comme substitut dans la région du Nord (Lille, Béthune). Leur contestation illustre les mutations en cours dans la magistrature. La plupart ont été formés à l’École nationale de la magistrature (ENM) qui a incontestablement favorisé une réflexion collective et donné naissance, compte tenu de la aise de recrutement de la magistrature, à une nouvelle génération de juges différents par leur origine sociale et leur formation. Alors que la magistrature traditionnelle était en osmose avec les élites et en particulier les notables locaux (par leur origine et leurs relations), les juges sortis de l’ENM sont les enfants de classes moyennes salariées, sans liens privilégiés avec le monde des juristes, ayant connu 1968 sur les bancs des facultés. La professionnalisation des magistrats s’accélère justement à cette époque. Alors qu’au milieu des années 1960, une toute petite minorité des juges était issue de l’ENM (7 % en 1966), de 1967 à 1970, l’École accueille en quatre ans, de 1967 à 1970 plus de magistrats qu’il n’en est entré pendant les dix années précédentes86. L’arrivée massive, dans la magistrature, de ces jeunes sans attaches familiales parmi les juristes, mais ayant connu les contestations étudiantes de 1968 et des années suivantes, explique largement la radicalisation du Syndicat de la magistrature et les initiatives individuelles des juges rouges87. Or ces jeunes magistrats se sentent mal à l’aise dans un corps conservateur, hiérarchisé et soumis au pouvoir politique comme aux élites sociales. D’autant plus qu’entrés nombreux dans la magistrature, leur avancement de carrière est susceptible d’être retardé88, ce qui n’est pas sans rapport avec la contestation, un temps, du principe hiérarchique...
57On le voit, les mutations de la magistrature en cours dans les années 1970 sont autrement plus importantes qu’à l’époque du juge Magnaud. La différence entre les deux périodes suffit à rendre compte de l’isolement du bon juge alors que le « juge rouge » n’est pas seul, soutenu en outre par un syndicat. Elle contribue également à nuancer l’impact de ces contestations.
B – Une contestation dont la portée est limitée ?
58Les réactions, dans le monde judiciaire comme au niveau du pouvoir politique, aux « coups d’éclat » de ces juges font douter de leur impact immédiat. On sait que nombre des jugements de Magnaud sont infirmés par la cour d’appel d’Amiens. Le président de Château-Thierry ne fait pas d’émule. Sa jurisprudence est fortement critiquée par ses pairs comme par la doctrine et F. Gény pourra écrire, à juste titre, qu’il s’agit d’une « passade », personne ne reprenant le flambeau après l’entrée de Magnaud à la Chambre des députés où d’ailleurs il échoue dans ses projets de réformer la magistrature comme dans ses projets de loi sur le pardon et d’abolition de la peine capitale. Il avait déjà proposé à la Chambre des députés, en vain, quand il était juge, cette loi sur la réprimande et une autre sur l’état de nécessité. Son entrée en politique – il est élu à Paris sous l’étiquette « radicale-socialiste »– est fortuite : cédant à la demande pressante de Clemenceau qui compte sur sa popularité pour battre un candidat nationaliste, Magnaud n’est pas du tout dans l’attitude du juge qui conscient des limites de son action, veut réformer le droit en devenant législateur. En fait, il aboutit au résultat inverse : devenu député de la gauche, il renforce les critiques de ceux qui voyaient dans le bon juge un militant des thèses socialistes, et, redevenu simple juge au tribunal de la Seine, il perd toute l’influence qu’il avait comme président à Château-Thierry. Finalement, ses premiers jugements n’aboutissent qu’à des circulaires de la Chancellerie, comme celle du 2 mai 1899 en matière de vagabondage et mendicité, recommandant au parquet de classer sans suite quand l’intention délictueuse fait défaut89. De même, les décisions des « juges rouges » sont, on l’a vu, rapportées ou réformées en appel. À son IXe congrès en 1976, le Syndicat de la magistrature doit constater la portée bien réduite de ses tentatives de faire prévaloir l’équilibre entre le fort et le faible ou l’intérêt des personnes sur le droit des biens90. Significative est l’affaire Chapron. Pour éviter toute contagion, le ministère de la Justice fait voter une modification du code du travail mettant un terme à la jurisprudence de la Cour de cassation sur la responsabilité pénale de l’employeur en exigeant désormais la preuve de sa « faute personnelle » (loi du 16 décembre 1976)91.
59En revanche, à terme, le mouvement de pénalisation du droit du travail devient une réalité. Le constat est encore plus évident pour ce qui est de la jurisprudence Magnaud dont la plupart de ceux qui l’évoquent à notre époque reconnaissent et louent son rôle de précurseur en beaucoup de domaines. Mais ses décisions sont consacrées si tardivement qu’il est difficile de lui attribuer les réformes adoptées des dizaines d’années après sa présidence ! Qu’on en juge : l’adultère ne cesse d’être un délit qu’en 1975, le divorce par consentement mutuel est adopté la même année, l’état de nécessité n’est pris en compte dans la législation pénale qu’à partir du nouveau code pénal (art. 122-7) entré en vigueur en 1994 et la « loi de pardon », visant à remplacer une condamnation par une réprimande ne voit le jour qu’à l’extrême fin du XXe siècle, sous la forme des alternatives aux poursuites dont dispose le parquet, tel le rappel à la loi. Autant dire que le triomphe des idées du président de Château-Thierry est posthume : elles sont manifestement adoptées hors de son influence, dans un contexte politique et social tout à fait différent de celui de son époque.
60Ces mouvements de contestation menés par un ou quelques juges, sont-ils alors restés des épiphénomènes ne troublant que pendant quelques années la « torpeur de la magistrature » qu’ils dénoncent peu ou prou ? Peut-être que c’est justement dans l’institution judiciaire, dans ses rapports au politique, que leur influence immédiate doit être recherchée, si l’on prend soin de rappeler le contexte de leur action. Deux ans après les premiers jugements de Magnaud, un an après le refus de la Cour de cassation de s’incliner devant le « coup d’État judiciaire » qui a frappé sa chambre criminelle, l’avocat général Duboin y prononce à l’audience solennelle de rentrée un discours sur le thème de la législation sociale à la fin du XIXe siècle, et le premier président nouvellement installé, Ballot-Beaupré, invite à interpréter « libéralement, humainement » la loi, et à rendre une justice « à la fois impartiale, égale pour tous, secourable dans la mesure du possible aux faibles et aux humbles... »92. Certes, le thème développé n’est pas tout à fait nouveau et les limites du « possible » sont indécises, mais on peut déceler en ces paroles comme l’écho de la jurisprudence Magnaud. Dans cette période de crise sociale et politique, le bon juge comme l’arrêt de 1899 de la Cour de cassation constituent de premiers pas allant dans le sens d’une revendication du pouvoir du juge dans la société. Mais il faut bien dire qu’ils ne seront guère suivis d’autres avant longtemps.
61L’action des juges rouges a sans doute eu plus d’effet, notamment par le biais du syndicalisme qui a largement contribué à distendre les liens entre la magistrature, le pouvoir politique et les élites. Toutefois, on peut aussi remarquer que l’entrée de ses militants dans les sphères du pouvoir (cabinets ministériels, notamment à la Chancellerie) et leur promotion dans leur hiérarchie après 1981, ont souvent été vécues par les adhérents des années précédentes comme une forme de trahison, à tout le moins sur le mode du désenchantement devant les promesses non tenues. Elle a atténué les critiques à l’égard du pouvoir socialiste, alors que dans le même temps, une partie de la hiérarchie judiciaire « s’est mise à fronder »93. On a déduit de cette évolution que le mouvement de contestation né dans les années 1970 avait été progressivement étouffé par le corps judiciaire, resté hiérarchisé et imposant sa culture de la loi94. Mais le constat n’est pas exclusif d’une indépendance revendiquée à l’égard de l’exécutif et même des élites sociales (au regard de la sociologie nouvelle de la magistrature) : en ce sens les juges d’instruction « chevaliers blancs » des années 1990 traitant les affaires de corruption politique95 se situent bien dans le prolongement immédiat des juges rouges, quand il s’agit de ne plus tolérer l’immunité des « puissants » et des notables politiques.
* * *
62Ils font également la « une » des médias, comme leurs prédécesseurs dans les années 1970 et comme Magnaud à la fin du XIXe siècle. On aurait tort cependant de n’y voir qu’un phénomène médiatique, ayant un caractère exceptionnel et revenant périodiquement sur le devant de la scène, mais restant finalement sans effet sur la justice. Certes, faisant figure de précurseurs, ils suscitent des réactions contradictoires : vilipendés par la hiérarchie et les autorités politiques, ils trouvent un écho enthousiaste de l’opinion publique qui semble découvrir qu’une justice humaine, égale pour tous peut exister. Conscients du poids des inégalités sociales qui pèse sur les litiges et la délinquance, ils sont loin cependant de pratiquer une « justice de classe » comme l’affirment leurs détracteurs. Car c’est, au fond, l’idéal d’une justice démocratique et indépendante des « gros » comme des gouvernements que ces juges incarnent. Ils rencontrent là une aspiration profonde des justiciables que l’on retrouve tout au long de l’histoire de la justice.
63Le fait est que ces juges sont une minorité, fortement agissante sans doute, mais souvent bien isolée dans un combat où elle s’épuise96. Leur action naît généralement dans un contexte de crise : épuisement politique des républicains modérés à la fin du XIXe siècle, ébranlement de mai-juin 1968, crise économique et sociale de la fin du XXe siècle. Dans un climat propice à l’empathie envers les catégories populaires, ils sont partisans d’une justice proche des justiciables, transparente, prenant au pied de la lettre la formule consacrée qui rappelle qu’ils jugent « Au nom du peuple français ». Ce contexte où le pouvoir politique est affaibli leur permet de mettre en avant le pouvoir du juge, en critiquant l’anachronisme ou les lacunes d’une législation, comme son application routinière et injuste socialement, par leurs pairs. En proposant une interprétation du droit faisant appel à l’équité, ils posent le problème des limites à ne pas franchir dans le respect du droit positif comme celui de remédier à l’obsolescence de la législation : à ce double point de vue, il leur était difficile de ne pas subir les foudres de leurs pairs et des autorités.
64Révélatrice des tensions au sein de la magistrature, reflétant partiellement celles de la société, la contestation des « petits juges », aspirant à une justice démocratique, pose la question plus générale des capacités du juge à adapter le droit à l’évolution sociale, et donc la place de l’institution judiciaire dans l’équilibre des pouvoirs.
Notes de bas de page
1 R. MAJETTI, « Le phénomène Magnaud », La Revue socialiste, t. 37, 1903, p. 651-662. L’expression est reprise par François GENY, Méthodes d’interprétation et sources, Paris, LGDJ, 1919, t. 2, Epilogue, chap. IL Une passade de jurisprudence : « Le phénomène Magnaud », p. 287-307.
2 Expression de Jean-Paul JEAN, Á vous de juger, Paris, B. Barrault, 1988, p. 34.
3 Certains considèrent Magnaud comme l’ancêtre des juges rouges : Christophe RADE, Sébastien TOURNAUX, « Retour sur le "phénomène" Magnaud et l’influence d’un magistrat hors norme sur l’évolution du droit du travail », in Emmanuelle BURGAUD, Yann DELBREL et Nader HAKIM (dir.). Histoire, théorie et pratique du droit. Études offertes à Michel Vidal, Pessac, Presses universitaires de Bordeaux, 2010, p. 865-876. Magnaud développe des idées et un programme politique -quand il sera élu député – souvent proche du socialisme, cf. Roland WEYL, Monique PICART-WEYL, « Socialisme et justice dans la France de 1895 : le bon juge Magnaud », Quaderni Fiorentini, n° 3-4, t. 1, 1974-1975, p. 367- 382.
4 Henry LEYRET, Les jugements du président Magnaud, Paris, P.-V. Stock, 1900, p. 175. Les attendus du jugement dénoncent la pratique des recours jusqu’à la Cassation pour décourager ses victimes.
5 Idem, jugement du 20 janvier 1899, p. 40.
6 Idem, jugement du 23 novembre 1898, p. 103
7 Henry LEYRET, Les nouveaux jugements du président Magnaud, Paris, Schleicher frères, 1903, p. 82. Jugement du 6 février 1903.
8 Idem, jugement du 12 décembre 1900, p. 88.
9 Idem, allocution prononcée à l’audience du 21 février 1901, p. 108.
10 Idem, jugement du 7 novembre 1900, p. 136.
11 Henry LEYRET, Les nouveaux jugements du président Magnaud, op. cit., jugement du 7 décembre 1899, p. 164.
12 Idem, p. 167.
13 INA.fr, rétrospective d’affaire Brigitte Dewèvre : http://www.ina.fr/economie-et-societe/justice-et-faits-divers/video/RCC9710242693/retrospective-d-affaire-dewevre.fr.html
14 Pascal CAUCHY, « Il n’y a qu’un bourgeois pour avoir fait ça ». L’affaire de Bruay-en-Artois, Paris, Larousse, 2010, 206 p.
15 Idem, p. 39.
16 INA.fr, voir les deux rétrospectives 1) http://www.ina.fr/economie-et-societe/justice-et-faits-divers/video/RCC99005288/retrospective-sur-l-affaire-chapron.fr.html ; 2) http://www.ina.fr/economie-et-societe/justice-et-faits-divers/video/CAA7601980101/retro-affaire-chapron.fr.html
17 Journal télévisé FR3 Nord-Pas-de-Calais, 24 mars 1977(http://www.ina.fr/economie-et-societe/justice-et-faits-divers/video/RCC99005288/retrospective-sur-l-affaire-chapron.fr.html)
18 Pour la postérité ensuite, suivre les textes de Marc ROBERT, On les appelle les juges rouges, Paris, Téma-Éditions, 1976, 168 p. ; Alain BANCAUD, « On les appelait les "juges rouges". Petite histoire de la rupture et de ses limites ». in Le droit figure du politique. Études offertes au professeur Michel Miaille, Université de Montpellier, 2008, p. 727-752.
19 Titre de l’ouvrage publié en 1974 par le syndicat : Syndicat de la magistrature. Au nom du peuple français..., Paris, Stock, 1974, 245 p.
20 Le Matin, 16 mai 1902.
21 Magnaud est certes président, mais d’un petit tribunal, et a un traitement égal à celui qu’il avait avant comme juge d’instruction, et qui deviendra même inférieur quand ce dernier sera réévalué.
22 « ... un des premiers grands cris du Syndicat de la Magistrature a été de réclamer la suppression de la hiérarchie », Au nom du peuple français, p. 13.
23 Discours du premier président de la Cour de cassation Maurice AYDALOT, octobre 1973, cf. http://www.courdecassation.fr/institution_1/occasion_audiences_59/debut_annee_6 0/annees_1970_3338/octobre_1973_9917 .html
24 Henry LEYRET, Les jugements du président Magnaud, op. cit., p. 23.
25 Archives nationales, BB/6 (II)/1039. Dossier personnel, lettre de l’avocat général Pironneau au procureur général, le 21 mai 1900.
26 Idem, rapport du procureur général de la Cour d’Amiens au garde des Sceaux, le 24 novembre 1900.
27 Idem, notice individuelle d’octobre 1912.
28 A l’origine, il y a la pétition adressée à la Chambre par Magnaud tendant à faire reconnaître comme cause d’irresponsabilité pénale, à la suite de la démence et à côté de la contrainte, l’état d’extrême nécessité (texte cité dans Henry LEYRET, Les jugements du président Magnaud, op. cit., p. 69)
29 Oscar-Pierre MAZEAU, La magistrature et la criminologie, 16 octobre 1900, Agen Impr. Moderne, 1900, 31 p. (cité par Henry LEYRET, Les nouveaux jugements, op. cit., p. 4-5).
30 Revue pénitentiaire, janvier 1901, séance de la Société générale des prisons et de la législation criminelle du 19 novembre 1900, p. 55.
31 Idem, p. 57.
32 Revue pénitentiaire, février 1902, p. 181.
33 Le Correspondant, 27 mars 1901, année 1901, 1, p. 1102-1112.
34 François GENY, « Une passade de jurisprudence : le « phénomène Magnaud », op. cit.
35 Idem, p. 307.
36 Revue pénitentiaire, janvier 1901, p. 60.
37 Revue pénitentiaire, février 1902, p. 181.
38 Le Correspondant, op. cit., p. 1103
39 Idem, p. 1112.
40 Idem, p. 1103.
41 Jacques FOUCART, Le Mythe du "bon juge" de Chateau-Thierry. Le président Magnaud, Amiens, Bibliothèque municipale d’Amiens, 2000, p. 53.
42 Justice, n° 120-121, juin-septembre 1988, 20 ans de syndicalisme judiciaire.
43 Appliquée seulement pour le juge Jacques Bidalou, suspendu en 1980 (une de ses décisions invitant les parties à citer le chef du gouvernement pour entendre ses explications sur les conséquences de sa politique économique), révoqué en février 1981, amnistié, réintégré dans la magistrature et à nouveau révoqué, définitivement, en 1986.
44 Le Figaro, 10 décembre 1900, art. de Jules Huret.
45 Le Matin, 16 mai 1902.
46 Archives nationales, BB/6 (II)/1039, jugement du 20 décembre 1901.
47 Le Figaro, 10 décembre 1900.
48 Jacques FOUCART, Le Mythe du "bon juge", op. cit., p. 185.
49 Henri PASCAL, Une certaine idée de la justice, Paris, Fayard, 1973, p. 62.
50 Cf. le reportage télévisé sur les juges rouges de Béthune, 24 juin 1978, INA.fr,http://www.ina.fr/economie-et-societe/justice-et-faits-divers/video/CAB7800706301/juges-rouges.fr.html
51 A l’exception, partielle, de CASAMAYOR, Les Juges, Paris, Le Seuil, 1973, 189 p. (Magnaud est évoqué, p. 160-164).
52 Revue pénitentiaire, janvier 1901, p. 56.
53 Revue pénitentiaire, février 1902, p. 182
54 Pierre CAM, « Juges rouges et droit du travail », Actes de la recherche en sciences sociales, janvier 1978, p. 2-27.
55 La Petite Gironde, 11 avril 1901.
56 Le Matin, 1er mai 1901.
57 Interview de Jules Huret, Le Figaro, 9 décembre 1900.
58 Henry LEYRET, Les jugements du président Magnaud, op. cit., p. 39.
59 Henri PASCAL, Une Certaine idée de la justice, op. cit., p. 205.
60 Justice, n° 120-121, juin-septembre 1988, p. 11-12.
61 Guillaume METAIRIE, La justice de proximité : une approche historique, Paris, P.U.F., 2004, 160 p.
62 Le Correspondant, 27 mars 1901, 1901, 1, p. 1112.
63 Jacques FOUCART, Le Mythe du "bon juge", op. cit., p. 173.
64 Alain BANCAUD, « On les appelait les "juges rouges". Petite histoire de la rupture et de ses limites », op. cit., p. 728.
65 Henry LEYRET, Les jugements du président Magnaud, op. cit., p. 323.
66 Henry LEYRET, Les nouveaux jugements du président Magnaud, op. cit., p. 70- 71.
67 Roland WEYL, Monique PICART-WEYL, « Socialisme et justice dans la France de 1895 : le bon juge Magnaud », op. cit., p. 380.
68 Henry LEYRET, Les nouveaux jugements du président Magnaud, op. cit., p. 81- 82.
69 Idem, p. 88.
70 Lettre envoyée à un numéro des Annales de la Jeunesse laïque, 1902 (Archives nationales. BB/6 (II) 1039).
71 Le Matin, 1er mai 1901.
72 Henry LEYRET, Les nouveaux jugements du président Magnaud, op. cit., p. 45- 46.
73 Revue pénitentiaire, décembre 1900, p. 432.
74 Revue pénitentiaire, janvier 1901. p. 73.
75 Laurent GREILSAMER, Daniel SCHNEIDERMANN, Les juges parlent, Paris, Fayard, 1992, p. 292.
76 Henry LEYRET, Les nouveaux jugements du président Magnaud, op. cit., p. 46.
77 Le Matin, 1er mai 1901.
78 Denis SALAS, « Le bon juge Magnaud », in Loïc Cadiet, Dictionnaire de la justice, Paris, PUF, 2004, p. 857-862.
79 Jacques KRYNEN, L’État de justice, France, XIIIe-XXe siècle. I. L’idéologie de la magistrature ancienne, Paris, Gallimard, 2009, 326 p. (6. La querelle de l’interprétation, p. 139-190).
80 Vincent BERNAUDEAU, « Un séisme professionnel : l’épuration de la magistrature au début de la IIIe République (France, années 1880-1910) », in Hervé LEUWERS (dir.), Juges, avocats et notaires dans l’espace franco-belge. Expériences spécifiques ou partagées (XVIIIe-XIXe siècle), Bruxelles, Archives générales du Royaume, 2010, p. 139-159.
81 Revue pénitentiaire, janvier 1902, p. 61.
82 « les maisons de correction en raison du contact des enfants vicieux qui y sont placés ne sont presque toujours que des écoles de démoralisation et de préparation tout à la fois à des crimes et à des délits ultérieurs », jugement du 10 juin 1898 (Henry LEYRET, Les jugements du président Magnaud, op. cit., p. 122.)
83 Annie STORA-LAMARRE, La République des faibles : les origines intellectuelles du droit républicain, 1870-1914, Paris, A. Colin, 2005, 219 p.
84 Rémi GUILLOT, Innovations judiciaires et appels au peuple. Ce que Mai 68 a ait au droit. Le cas du juge Pascal dans « l’affaire de Bruay-en-Artois », Congrès de l’Association française de sociologie, RT 13 Sociologie du droit et de la justice (en ligne http://www.melissa.ens-cachan.fr/IMG/pdf/Remi_GUILLOT.pdf)
85 Pierre CAM, Juges rouges et droit du travail, op. cit., interview de Charrette, p. 2.
86 Pierre CAM, Juges rouges et droit du travail, op. cit., p. 22.
87 Alain BANCAUD, « On les appelait les "juges rouges". Petite histoire de la rupture et de ses limites », op. cit., p. 729.
88 Jean-Pierre MOUNIER, « Du corps judiciaire à la crise de la magistrature », Actes de la recherche en sciences sociales, 1986, n° 64, p. 20-29.
89 Une autre circulaire du 20 février 1900 invite le juge à voir « le malheureux » dans le coupable, réclamant une application plus fréquente de la loi de sursis (citée par Henry LEYRET, Les jugements du président Magnaud, op. cit., p. 330-334).
90 Alain BANCAUD, « On les appelait les "juges rouges". Petite histoire de la rupture et de ses limites », op. cit., p. 746-747.
91 Jean-Yves CHEVALLIER, « Bon sens et sens de l’histoire, ou les leçons d’une histoire de bon sens en matière d’accidents du travail et de responsabilité pénale des chefs d’entreprise », Mélanges en l’honneur de Henry Blaise, Paris, Economica, 1995, p. 111-123.
92 Henry LEYRET, Les nouveaux jugements du président Magnaud, op. cit., p. 12.
93 Interview de P. LYON-CAEN, in Les Juges parlent, op. cit., p. 316.
94 Alain BANCAUD, « On les appelait les "juges rouges". Petite histoire de la rupture et de ses limites », op. cit., p. 730.
95 Violaine ROUSSEL, Affaires de juges. Les magistrats dans les scandales politiques en France. Paris, La Découverte, 2002, 309 p.
96 On remarquera la fuite vers le politique – véritable terrain de lutte- de plusieurs des juges d’instruction des années 1990.
Auteur
Chercheur associé au Centre Georges Chevrier (Dijon)
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Des juristes toulousains dans la Grande Guerre
Olivier Devaux et Florent Garnier (dir.)
2017