Avec ou sans Carl Schmitt ?
Le droit constitutionnel selon Olivier Beaud et Stéphane Rials
p. 243-257
Texte intégral
« Lire les grands auteurs, c’est parfois terrible… »1
1La science du droit public a-t-elle intérêt, en France, à se mettre à l’école d’un maître venu d’Allemagne, et dont la réputation est à jamais compromise par sa collaboration avérée avec le régime nazi ? Notons, à tout le moins, qu’en sens inverse la question ne se pose même pas : l’intérêt passionné de Schmitt pour la France ne s’est jamais démenti2. C’est qu’à l’en croire, nous autres Français constituerions à l’échelle de l’histoire universelle -à un titre aussi éminent, peut-être, que celui des Romains évoqués par Alain3 à la suite de Hegel4- le véritable peuple du droit. « Le personnage du juriste français est aussi indissociable de la singularité nationale française, à dominante bourgeoise, que la figure de l’officier prussien est inséparable de l’histoire générale de l’Etat prussien, ou celle du prêtre de l’histoire de la nation espagnole », écrivait en pleine guerre5 un Schmitt étonné par cette singulière civilisation du droit civil, pour laquelle « ce qui n’est pas civil n’est pas non plus civilisé », de sorte que « l’unité et l’égalité de la loi civile » y reçoivent une importance privilégiée par rapport à « la religion, la race et le statut social »6. Si l’on ajoute à cela le fait que Schmitt attribuait à Jean Bodin « les manières de penser et de parler d’un frère », proposant « des réponses actuelles aux questions de notre temps »7, qu’il considérait en outre l’institutionnaliste Maurice Hauriou comme son « frère aîné »8 et le jeune René Capitant en quelque sorte comme son cadet, on peut comprendre qu’Olivier Beaud ait pu écrire dans sa préface à l’édition française de la Théorie de la Constitution qu’« aucun autre constitutionnaliste étranger ne connaissait aussi bien la doctrine juridique française »9. Si vive qu’ait été l’attention prêtée par Schmitt aux travaux de ses prédécesseurs et homologues français, la réception française de Schmitt, pour autant qu’elle ait vraiment eu lieu, aura été beaucoup plus philosophique que juridique, de Raymond Aron10 aux antilibéraux contemporains11, en passant par la (monumentale) esquisse de phénoménologie du politique de Julien Freund12, et la déconstruction13. Du côté des juristes, il semble qu’un certain nationalisme ait fait obstacle à une véritable prise en compte de l’apport schmittien. De manière très révélatrice, l’Année politique française et étrangère coiffe ainsi sa traduction de « L’ère des neutralisations », en 1936, d’un chapeau très « Action française » dans son style, regrettant qu’un travail de ce genre, contaminé par « la philosophie de l’histoire », puisse détourner « les esprits germaniques de l’analyse directe et objective des faits », et n’ait pas grand-chose à apporter « aux peuples d’esprit latin que nous sommes »14. Schmitt n’est considéré, en somme, qu’en tant qu’exemplaire d’un type, celui du « juriste du Reich ». Autant dire qu’il n’est pas vraiment lu15-et il n’a guère commencé de l’être qu’après sa mort, grâce à la traduction progressive de ses écrits juridiques, à commencer par la « Théologie politique » de 192216. Le ralliement de Schmitt au régime hitlérien ne suffit pas à expliquer une telle indifférence : après tout, Schmitt a publié certaines de ses œuvres juridiques les plus importantes bien avant l’arrivée au pouvoir de Hitler. Olivier Beaud a donc de bonnes raisons d’expliquer l’échec de cette réception par des raisons doctrinales, et non pas simplement idéologiques ou politiques. Il y aurait eu comme une allergie française au décisionnisme : « La large réception des thèses kelseniennes a peut-être nui à celles, diamétralement opposées, de Schmitt. Par son caractère universaliste et libéral, la pensée du Maître de Vienne était […] mieux adaptée à la tradition républicaine française »17. Or cette hégémonie intellectuelle du normativisme d’inspiration libérale est peut-être devenue douteuse ; malgré le signal peu encourageant que constitue le fait, relevé par O. Beaud, que « la doctrine française se contenta d’accueillir » la traduction tardive de la Théorie de la Constitution « par un silence gêné ou hostile »18, l’heure d’une « seconde réception » de l’œuvre de Schmitt n’a-t-elle pas sonné ? Ou bien l’essor contemporain des traductions et commentaires n’est- il dû qu’à une curiosité antiquaire pour un secteur jusque-là quelque peu négligé de l’histoire des idées ? A l’heure où les philosophes sont à leur tour sommés par les gardiens de l’orthopédie intellectuelle de ne plus voir en Schmitt qu’un « idéologue nazi » qu’il conviendrait d’« abandonner à son ignominie »19, on tâchera dans les lignes qui suivent d’examiner lequel des usages de Schmitt est susceptible de se révéler le plus scientifiquement fécond : vaut-il mieux en faire un repoussoir absolu, infâme et inutile (Stéphane Rials), ou bien l’inspirateur d’une réflexion contemporaine sur l’éclipse et les ressources de la souveraineté (Olivier Beaud) ? Vaut-il mieux défendre le droit constitutionnel contre l’influence de Schmitt, ou s’aider de son œuvre pour défendre la constitution ?
2Pourquoi recourir à Schmitt pour élucider la souveraineté ? C’est que nombre de juristes contemporains, remarque O. Beaud en ouverture de son étude sur La Puissance de l’Etat20, semblent handicapés dans leur réflexion sur la puissance publique par un « affect hostile à la souveraineté » (PE, p. 16). Or comme seule une approche de l’Etat sous l’angle de la souveraineté est susceptible de le ramener « à son terrain d’origine qui est le droit », et de se déployer en une véritable « théorie juridique de l’Etat », ce constat d’hostilité est aussi celui d’une « démission des juristes […] français » dans l’étude de l’Etat (PE, p. 13). Il faut donc se passer de leur concours pour envisager « la question du sujet de la souveraineté, c’est-à-dire la question de la souveraineté tout court »21 ; ce qui revient, s’agissant de la puissance propre à l’Etat démocratique, à élucider la nature, les fondements et les éventuelles limites du « pouvoir constituant du peuple » (PE, p. 24). Or le positivisme dominant, « de Carré de Malberg à Kelsen, rejette la puissance constituante dans les ténèbres du non-droit » (PE, p. 212), faute de pouvoir admettre qu’une simple volonté (la volonté constituante) puisse être considérée comme immédiatement productrice de droit. Exclusion dommageable, pour autant que « si le juriste veut décrire le droit positif, il ne peut pas se désintéresser d’un phénomène aussi important que le pouvoir constituant » (PE, p. 215)-phénomène auquel Schmitt, pour sa part, a consacré d’amples développements dans son essai sur La Dictature (1921), et dans la Théorie de la Constitution (1928). N’allons pas croire, toutefois, qu’O. Beaud se contente de faire fond sans les modifier sur les analyses de son illustre et sulfureux prédécesseur.
3D’une part, il ne fait pas sienne la définition (ou plus probablement le critère) de la souveraineté qu’énonçait Schmitt : la capacité de décider de la situation exceptionnelle22. Est-ce vraiment une décision juridique ? Certes, Schmitt, au nom en particulier d’une certaine dramatisation de l’acte juridictionnel23, voit dans la décision, saisie « dans son absolue pureté » un « élément formel de nature juridique »24. Mais ce sont surtout et plus généralement, à l’en croire, les exigences d’une « philosophie de la vie concrète » qui le conduisent à proclamer : « L’exception est plus intéressante que le cas normal […] l’exception prouve tout […] la règle ne vit que par l’exception »25. O. Beaud préfère réinterpréter la souveraineté en termes moins existentiels (voire existentialistes…) et plus normatifs : l’acte de souveraineté est déterminé comme norme suprême édictée par le pouvoir. C’est bien sûr un pas en direction de Kelsen, auquel O. Beaud reproche cependant de laisser hors du champ de son analyse la détermination de l’auteur de cet acte juridique, en se focalisant exclusivement et de manière formelle sur la hiérarchie des normes ; alors que la « logique de la souveraineté » interdit de dissocier l’étude de la norme (suprême) de celle de « l’auteur de l’acte normateur », et d’envisager la hiérarchie des normes sous un autre point de vue que celui « des autorités qui les édictent en vertu d’une autohabilitation » (PE, p. 24).
4D’autre part, O. Beaud nuance de manière significative la conception schmittienne du peuple-et donc de la démocratie. Schmitt se retrouverait sans doute dans la critique dévastatrice adressée par O. Beaud à la conception positiviste du peuple comme simple organe de l’Etat (magistrat constitutionnel) et du citoyen comme « fonctionnaire national » (Carré de Malberg). Critique qui, appliquée à Kelsen, vise en particulier la notion d’un peuple dont les actes ne peuvent acquérir leur signification juridique de volonté étatique que par le biais d’une constitution prédonnée, et d’un citoyen actif dans la mesure seulement où il est habilité par cette dernière à coopérer par son vote à l’édiction de normes juridiques générales. Moyennant quoi l’on n’aurait ici affaire qu’à un pseudo-peuple « hétéro- défini et donc hétéro-limité » par l’ordre juridique en vigueur, « jamais entièrement souverain » par conséquent, puisque « son existence résulte d’une décision juridique extérieure à lui-même » (PE, p. 295). Et O. Beaud ne peut que se sentir redevable à Schmitt d’avoir pointé, au cœur de la signification du mot « peuple », « une opposition à toute […] magistrature de l’Etat »26 qui ne saurait être minimisée sans que soit par là même méconnue « l’importance que revêt l’irruption du peuple politiquement ‘majeur’ dans la vie politique » (PE, p. 296). Toutefois, O. Beaud ne montre aucune complaisance à l’égard du césarisme plébiscitaire de Schmitt. Se refusant, en principe tout du moins, à « entrer dans l’immense débat philosophico-politique sur la possibilité […] d’une démocratie césarienne » (PE, p. 302), il n’en rappelle qu’avec plus d’insistance les arguments proprement juridiques qui plaident en faveur du système représentatif : les « pratiques juridiques » électorales ou référendaires confèreraient seules à l’intervention du peuple, en exprimant son « consentement exprès », le degré d’« objectivité », voire de « certitude », qui permet de conjurer le risque d’une manipulation de l’opinion par un chef autocratique (PE, p. 296). A un Schmitt qui proclamait un peu vite que « la démocratie est autre chose qu’un système d’enregistrement de scrutins secrets »27, et que la volonté du peuple est toujours identique à elle-même et valablement exprimée, que ce soit par le biais du suffrage universel ou « qu’un homme unique ait la volonté du peuple même sans vote, ou que le peuple procède d’une manière ou d’une autre par ‘acclamation’ »28, O. Beaud oppose l’inanité juridique de l’idée d’un consentement tacite du peuple29. Seule une conception représentative de la démocratie « dans laquelle le peuple joue un rôle actif d’investiture et de légitimation » (PE, p. 295) pourrait être juridiquement recevable. En somme, et si insurmontable que puisse sembler par ailleurs la tension entre le libéralisme (normativiste et procéduraliste) et la démocratie, une démocratie illibérale n’en serait pas moins, aux yeux du juriste français, inconcevable.
5C’est donc bien une conception tout à la fois libérale et démocratique du pouvoir constituant que cherche à élaborer O. Beaud. Or s’il est vrai qu’en climat kelsenien, avec la substitution de la norme fondamentale à la nation « indépendante de toute forme » et perpétuellement à l’état de nature jadis célébrée par Sieyès30, « le pouvoir constituant disparaît de l’horizon juridique » (PE, p. 323), toute la question sera maintenant de savoir comment le faire réapparaître, sans pour autant se résoudre à en escamoter derechef la teneur démocratique pour autoriser, comme le faisait Carl Schmitt, « la renaissance d’une souveraineté néo-absolutiste » dans laquelle le pouvoir constituant serait bâti « sur le modèle de la monarchie absolue » (PE, p. 434). Cette préoccupation n’empêche pas O. Beaud de reprendre à son compte, pour l’essentiel, le concept schmittien de constitution. Entendons par là qu’il souligne à son tour le « lien entre constitution et régime politique »31. Lien que le normativisme a tendance à édulcorer, fasciné qu’il est par l’aspect formel de la constitution, à savoir son caractère de règlement intérieur de l’organisation Etat, ou comme disait M. Troper32, de « méta-règle », de « règle qui organise la production d’autres règles » : à la limite, la science du droit constitutionnel s’imaginerait bientôt avoir affaire à un « droit constitutionnel sans Etat »33-voire sans peuple, serait-on tenté d’ajouter. Or, l’originalité de l’approche schmittienne consiste bien plutôt à ressaisir la constitution comme décision-« décision politique fondamentale du titulaire du pouvoir constituant, c’est-à-dire du peuple dans la démocratie »34, à l’occasion de laquelle le peuple « exerce son pouvoir constituant par n’importe quelle expression discernable de sa volonté globale directe »35 ; décision par laquelle le pouvoir constituant détermine consciemment « la forme et le genre de l’unité politique » dont l’existence est présupposée36. C’est ainsi que la constitution de Weimar, par exemple, exprimerait avant tout la décision politique du peuple allemand en faveur de la démocratie (contre le suffrage restreint), de la république (contre la monarchie), d’une organisation fédérale du Reich, et du libéralisme « bourgeois » (protection des droits fondamentaux, séparation des pouvoirs, parlementarisme…), contre les soviets. De même, à travers l’article 89 de la constitution de la Ve République, le peuple français décide « de se constituer en forme de gouvernement républicain » (PE, p. 482) ; et à travers l’ensemble du titre premier de cette constitution, le même peuple exprime « une décision constituante » tout aussi fondamentale « en faveur d’un Etat, d’une ‘nature d’Etat’, ou de la ‘puissance publique’ » (ibidem). Cette définition tout à la fois institutionnaliste et décisionniste de la notion de constitution semble renouer opportunément avec l’idée encyclopédiste de la constitution comme choix de la « forme sous laquelle la nation agit en qualité de corps politique »37, et surtout avec « la signification révolutionnaire de la constitution et du pouvoir constituant : par elle, le peuple devient une nation, c’est-à-dire devient conscient de son existence politique »38. Loin d’être synonyme de domestication juridique de la politique, la constitution serait-elle un des moyens pour la politique de dicter au droit ses limites39, ou tout au moins de lui rappeler sa provenance ? A tout le moins, on peut souligner avec O. Beaud que la « conception matérielle du droit constitutionnel », qu’il partage avec Schmitt, présente l’avantage de ne pas « couper ce droit de sa base politique » (PE, p. 376). Tandis que « tout le courant constitutionnaliste vise au contraire à subordonner la politique au droit »40, mieux vaut, avec (entre autres) Schmitt, « penser le droit constitutionnel comme un droit politique, irréductible à une lecture purement contentieuse »41.
6A l’évidence, l’enjeu d’une telle redéfinition de la notion de constitution n’est pas seulement épistémologique. S’il vaut la peine de récuser le normativisme et d’extraire la science du droit des « sables mouvants de la pure technique juridique » (ibidem), c’est surtout pour fonder en droit une conception exigeante de la souveraineté populaire. A cette fin, Beaud insiste tout d’abord sur l’abîme, pas toujours aperçu comme tel par la doctrine, qui sépare le pouvoir constituant (du peuple) du pouvoir de révision constitutionnelle. C’est que le premier, à la différence du second, ne peut en aucun cas être délégué : ce serait une entorse fondamentale au principe de l’inaliénabilité de la souveraineté. Pouvoir constitué ou, comme disait Schmitt42, « octroyé » par les lois constitutionnelles, le pouvoir de révision est, de ce fait, juridiquement limité : c’est une compétence, non pas une prérogative. Il en découle que ce pouvoir de révision ne saurait être réputé neutre : partial, comme l’est le pouvoir judiciaire, en faveur du droit existant, il doit être au service de la constitution qu’il modifie, et des valeurs qu’elle proclame ; en d’autres termes, toute révision ne peut avoir pour ambition que de « garantir ou protéger la constitution qui la prévoit » (PE, p. 342). S’il s’agit de l’améliorer, ce ne peut être que pour lui permettre de gagner en profondeur, c’est-à-dire de devenir chaque fois un peu plus elle-même… Refuser d’attribuer à la révision des limites matérielles reviendrait en effet à imaginer le pouvoir constituant momentanément transféré, comme par magie, du peuple à l’organe de révision (par exemple le Parlement réuni en Congrès), ou, comme disait Schmitt, à élever le magistrat constitutionnel qui édicte la loi de révision constitutionnelle au rang d’« assemblée nationale constituante […] investie d’une dictature souveraine »43. C’est pour s’éviter de telles embardées qu’il vaudrait mieux s’accorder avec Schmitt pour soutenir, comme le fait O. Beaud, qu’en matière de révision « l’autorité compétente doit respecter le parti pris adopté par le constituant » (PE, p. 348). A contrario, admettre que la révision puisse éventuellement déroger à la constitution conduit à légaliser a priori n’importe quel changement constitutionnel. Le positivisme va-t-il jusqu’à l’absurde, c’est-à-dire jusqu’à intégrer l’abrogation de la constitution dans le champ des révisions licites ? Prétend-il légaliser la révolution, ou la contre-révolution ? A en croire O. Beaud, « toute doctrine positiviste pousse le paradoxe jusqu’à légitimer juridiquement une révolution » (PE, p. 370). On pourrait lui objecter que le dernier Kelsen souligne pourtant qu’en cas de remplacement d’une constitution par une autre, il y a solution de continuité : pour autant que la révolution est victorieuse, et donc que son droit est efficace, « le fondement de la validité de l’ordre juridique tout entier a changé », ou pour mieux dire, « la norme fondamentale s’est modifiée »44. Mais précisément, ce qui semble décisif aux yeux de Kelsen n’est pas tant l’ampleur du changement qui se produit en de telles circonstances (par exemple, le fait que la souveraineté change de titulaire) que la manière dont ce changement s’effectue. Pour la théorie pure du droit, « une seule chose compte : c’est que la constitution en vigueur est soit modifiée soit remplacée complètement par une nouvelle constitution d’une façon autre que celle qu’elle prescrivait »45. Selon ce critère formel, on pourrait donc penser qu’une révolution qui ne dirait pas son nom, une révolution de velours en quelque sorte, qui envelopperait le transfert de la souveraineté sous les oripeaux d’une procédure de révision constitutionnelle formellement correcte, serait tout simplement légale. A ce compte, « n’importe quel contenu peut être modifié dès lors que les règles formelles sont observées » (PE, p. 370).
7C’est en ce sens que sous la IIIe République, Duguit estimait qu’une assemblée nationale de révision pourrait légalement abroger l’article 2 de la loi du 14 août 1884, prohibant la restauration de la monarchie ou de l’Empire46, et « très constitutionnellement changer la forme du gouvernement »47 : l’abrogation de la constitution (le changement de régime politique) prenant alors la forme pour ainsi dire inapparente d’une révision de la révision (en 1884) des lois constitutionnelles républicaines (de 1875). C’est en ce sens aussi que le doyen Vedel réputait « juridiquement correcte »48 la révision de la procédure de révision constitutionnelle que prétendait opérer la loi constitutionnelle du 10 juillet 194049, alors qu’il s’agissait de toute évidence d’une délégation de pouvoir parfaitement illégitime, l’Assemblée nationale n’étant nullement fondée à transférer à quiconque (Pétain en l’occurrence) le pouvoir constituant dont elle ne disposait pas. De fait, « il y a usurpation de la souveraineté lorsque l’un des pouvoirs constitués s’arroge le pouvoir constituant » (PE, p. 438). Toujours aveugle à la différence qu’il peut y avoir entre la modification de certaines règles constitutionnelles et l’abrogation de leur ensemble, ou pour mieux dire le changement de norme fondamentale, le même Vedel soutenait encore à l’été 1968 qu’« une révision constitutionnelle pourrait, demain, sans irrégularité juridique, pourvu qu’une procédure appropriée soit suivie, nous doter d’un système américain, soviétique ou yougoslave »50 ; et c’est avec la même assurance somnambulique qu’en 1992 il suggérait de contourner le problème de l’inconstitutionnalité du traité de Maastricht en faisant simplement voter une loi de révision constitutionnelle, habilitant le Parlement à ratifier le traité. En somme, résume O. Beaud, « de même que la révision de la révision justifiait tout renversement de régime constitutionnel par la voie d’une simple modification de la procédure de révision (ex. loi du 10 juillet 1940), elle justifierait la compétence directe du législateur constitutionnel pour autoriser la formation de l’Union européenne » (PE, p. 471), et rendrait ainsi le Parlement momentanément souverain, puisque sa décision serait substituée au vote direct du peuple (référendum) et soustraite à la censure du Conseil constitutionnel. Alors qu’aux yeux d’O. Beaud, un changement constitutionnel aussi profond que celui exigé par Maastricht ne peut, en démocratie, s’effectuer autrement que par l’acte solennel d’un référendum constituant. On peut en effet appliquer au traité instituant l’Union européenne ce que Ch. Eisenmann remarquait en 1954 au sujet du projet de traité instituant la Communauté européenne de défense : à savoir qu’il modifie les constitutions des Etats contractants, en exigeant d’eux plus et autre chose que des limitations de souveraineté (cas des traités internationaux ordinaires), nommément le transfert « d’une partie de leur compétence à un pouvoir supranational, sous l’autorité duquel ils seront désormais placés »51 ; moyennant quoi l’adoption de ce traité translateur de pouvoir « excède les pouvoirs du législateur ordinaire et exige l’intervention du pouvoir constituant »52. A qui objecterait que l’abandon de souveraineté était moindre dans le cas de Maastricht que dans celui du traité instituant la CED, dont l’article 38 mentionnait explicitement la perspective « fédérale ou confédérale » dans laquelle s’engageait la construction européenne, O. Beaud aurait beau jeu de répondre qu’une fois encore, c’est en s’appuyant sur la Théorie de la constitution qu’on peut y voir clair quant à la nature de cet objet politique non identifié qu’est l’UE. Ni organisation internationale, ni Etat53 fédéral, c’est un Bund, « une ‘Fédération’ au sens utilisé par Carl Schmitt, d’une union durable de plusieurs Etats dans une nouvelle entité qui ne supprime pas pour autant ces Etats » (PE, p. 489). Du coup, son acte fondateur n’a pas le caractère d’un simple contrat entre Etats, ou d’un traité ordinaire : « Le pacte fédératif est un […] pacte constitutionnel. Sa conclusion est un acte du pouvoir constituant »54. L’engagement de la nation dans une telle Fédération n’aurait donc pas dû prendre la forme d’une révision de la constitution : une décision de cette importance, qui « modifie le status politique global de chaque membre de la Fédération »55, requiert que le peuple souverain exprime solennellement sa volonté de l’être beaucoup moins. Là où une simple loi constitutionnelle de révision, suffisante selon la doctrine dominante, n’aurait en réalité d’autre signification que celle d’un « changement clandestin de constitution », c’est au contraire « un changement solennel de constitution, voté par le peuple dans son activité constituante de Souverain » (PE, p. 485) qui seul semble à la hauteur de l’enjeu.
8Qu’on ne s’y méprenne pas : la question n’est ici pas celle de la procédure, référendum ou vote du Congrès. C’est la nature de l’acte accompli qui importe : révision constitutionnelle ou changement de constitution. Nous retrouvons donc ici, par un autre biais, le problème des limites matérielles de la révision constitutionnelle ; et O. Beaud y apporte la même réponse que dans le cas précédemment évoqué du changement de régime politique. Est-ce à dire que sur cette question de la révision, O. Beaud se montre, sans plus, un fidèle continuateur de Schmitt ? Nullement, car celui-ci pousse beaucoup plus loin que ne le fait son traducteur le curseur des révisions constitutionnelles admissibles. Pour le maître de Plattenberg, en effet, une constitution moderne (celle d’un « Etat de droit bourgeois ») est foncièrement double, en ce que « sa composante libérale, autonome et close », qui comprend principalement la déclaration des droits et le principe de la séparation des pouvoirs, s’y combine plus ou moins maladroitement avec « des éléments de forme politique »56, monarchiques ou démocratiques par exemple. La première de ces composantes est donc inessentielle ; en toute rigueur, elle pourrait même être considérée comme parasitaire. Puisqu’elle « ne contient à elle seule aucune forme de gouvernement, mais seulement une collection d’entraves et de contrôles de l’Etat »57, il ne peut y avoir d’objection à ce qu’elle soit suspendue : c’est en défense de la constitution que le président de la République « suspend certaines règles constitutionnelles pour sauvegarder l’essentiel, à savoir la nature républicaine du régime, telle qu’elle résulte de la décision initiale et fondamentale prise pour le peuple dans l’exercice de son pouvoir constituant »58 ; mieux, son abrogation par une simple loi constitutionnelle (procédure de révision) serait non seulement juridiquement légitime, mais politiquement profitable à la puissance publique, ainsi libérée d’un poids. Or c’est ce dualisme dans l’interprétation de la constitution que récuse O. Beaud. Il y voit même la source du ralliement de Schmitt au nazisme : « En fin de compte, la prééminence de la partie ‘politique’ » de la constitution par rapport à sa composante libérale (et donc antipolitique59) « signifiait essentiellement la domination de la raison d’Etat et d’une conception ‘homogène’ de la communauté nationale »60. A un Schmitt qui « réussit à subvertir le sens de la Constitution de Weimar en lui opposant une ‘contre- Constitution’ »61 autoritaire et plébiscitaire, s’oppose un O. Beaud qui refuse de trahir l’esprit de la constitution démocratique en subvertissant son contenu, et dénie toute constitutionnalité à un « passage du parlementarisme à la dictature, opéré par une révision constitutionnelle » (PE, p. 366). Plaidant pour un renforcement mutuel de la démocratie et du constitutionnalisme, le juriste se situe ici aux antipodes de certaines utilisations contemporaines de Schmitt, qui spéculent sur une supposée « lutte à mort entre démocratie et constitutionnalisme, entre le pouvoir constituant d’un côté, la thématique et la mise en œuvre des limites de la démocratie de l’autre »62. Là où A. Negri oppose toute « constitution formelle rigide » au pouvoir constituant comme « procédure absolue », et congédie le temps et l’espace « fixés » de la souveraineté au profit d’un pouvoir constituant entendu comme « pluralité multidirectionnelle de temps et d’espaces »63, O. Beaud entend faire au contraire de la « souveraineté constituante » un moyen juridique « destiné à assurer la stabilité de la constitution » (PE, p. 455), sans laquelle selon lui la souveraineté du peuple serait à la merci d’une révision constitutionnelle liberticide, que celle-ci s’opère par la voie du Congrès (et voilà la souveraineté du peuple juridiquement garantie « contre les magistrats constitutionnels qui voudraient abuser de leur droit de révision en effectuant un changement fondamental de constitution » [PE, p. 453]), par référendum, ou par consentement tacite au coup d’Etat (« acclamation »). Reprise d’Hauriou, l’idée de « fondation constituante » donne aux actes constituants, à la jurisprudence constitutionnelle et même, sans doute, aux retours réflexifs sur l’essence et les voies de la souveraineté comme La Puissance de l’Etat, le sens d’une fidélité non dogmatique à la constitution originelle. La « fondation continuée » (PE, p. 451) prolonge et approfondit la « fondation primitive » (PE, p. 452)64 révolutionnaire. Justice et droit constitutionnels trouveront là l’assurance de leur grandeur propre : « L’acte constituant est présent grâce à ses interprètes, de la même façon que la Révélation divine est actualisée par les interprètes religieux habilités » (PE, p. 452).
9Il serait donc erroné de voir dans la reconstruction tentée par O. Beaud du principe de la souveraineté constituante l’ébauche d’un absolutisme démocratique. Si, à l’horizon de la méditation d’un Negri sur le pouvoir constituant, qui prétend maintenir ouvert « ce que la pensée juridique voudrait refermer », on trouve la démocratie comme « gouvernement absolu »65, ou mieux comme « théorie du gouvernement absolu »66, nulle trace chez O. Beaud d’un tel « absolu démocratique »67. Sa théorie juridique de la limitation matérielle de la révision est incompatible avec la révolution permanente, aussi bien qu’avec la servitude volontaire. « Le peuple ne peut abroger légalement la constitution qui lui accorde ses droits et ses libertés » (PE, p. 453) ; ou encore : « le pouvoir constituant du peuple ne peut pas abolir la liberté du peuple » (PE, p. 435). Ce n’est pas une démocratie absolue, mais la démocratie constitutionnelle qu’il s’agissait de fonder. En concevant, avec Schmitt et au-delà de Schmitt, une constitution démocratique « dont l’objet n’est pas l’exacerbation, mais la limitation de la puissance publique » (PE, p. 366), O. Beaud va plus loin qu’une élucidation de « la lecture libérale de la constitution du peuple » (ibidem) : il donne un sens plus plein à l’idée rebattue d’une constitution démo-libérale.
10Du coup, on s’explique mal que le directeur de cette thèse-La Puissance de l’Etat-se montre si peu convaincu, sinon par les conclusions de l’ouvrage, du moins par sa méthode : un dialogue permanent et serré avec Schmitt pour faire un pas de côté par rapport à la conception normative, actuellement dominante, de la constitution. S. Rials doute-t-il que « Schmitt le constitutionnaliste […] reste un auteur intéressant »68 ? A tout le moins. Il est vrai qu’à qui professe une fois pour toutes « l’inanité générale de toute réflexion spécifique sur la souveraineté »69, la lecture de Schmitt peut sembler superflue-« on p[eut] fort bien s’en passer »70. Toutefois, nous n’avons pas affaire ici qu’à l’indifférence du sage pour un demi-habile. Tout en protestant du fait que pour lui « il ne s’agit certes pas de ne pas lire Schmitt », ni même de ne pas rééditer ses deux ouvrages principaux, publiés dans la collection « Léviathan » (mais si le cas devait se présenter, ce ne serait pas sans l’adjonction d’un « explicite avertissement au lecteur », soulignant « le rôle significatif joué par Schmitt dans l’élaboration des doctrines nazies »71), S. Rials confesse le dégoût, et presque l’acédie où le plonge son immersion momentanée dans une œuvre ignoble : « Je […] ne me sens pas la force de passer trop de temps à explorer tous les textes d’un auteur que je n’estime pas, pour comprendre-s’il y a lieu-le mode de production d’écrits qui sembleront de toute façon accablants à presque tous »72. Il faut dire que l’exégète découragé ne fait rien pour atténuer l’infamie de l’auteur dont il traite, allant même jusqu’à traduire de manière très explicitante, et surtout très tendancieuse, l’Artgleichheit (homogénéité) démocratique vantée par Schmitt par « identité de race »73. Mais quoi ! Un minimum d’exagération pourrait bien être de mise, quand on a d’avance décidé de brosser de Schmitt le portrait d’un « homme […] exagérément mauvais »74…
11Il aura donc suffi que le vigilant et péremptoire Y.-Ch. Zarka ait décrété dans un quotidien vespéral la mise au ban de Schmitt, « l’idéologue de Hitler », et son désir que ses œuvres fussent désormais, en France, éditées « comme on édite les textes d’autres nazis, c’est-à-dire comme des documents, non comme des œuvres »75, pour que le directeur de la collection « Léviathan » éprouve sinon des « remords éditoriaux »76, du moins sans doute le regret de n’avoir pas perçu plus tôt « l’orientation d’ensemble - plausiblement nazie […]- de l’œuvre de Schmitt »77. O. Beaud, bien que nanti d’un brevet de respectabilité faisant de lui un « savant éminent et insoupçonnable »78, aura donc dû se donner la peine d’intervenir publiquement à deux reprises au moins, d’abord pour signaler aux lecteurs capables d’un tant soit peu de probité philologique que l’œuvre juridique de Schmitt « n’est pas réductible à l’antisémitisme de son auteur »79, puis, de façon encore plus irréelle, pour rappeler à qui, d’aventure, en eût douté, que ses propres « idées politiques » se situaient « aux antipodes » de celles de Hitler80 ! On aurait préféré que ces manœuvres défensives pussent être évitées. Il n’y a pas si longtemps, lorsqu’il acceptait de « reconnaître, pour finir, que la politique naissait dans (et pour) les vastes clairières que notre finitude (dans le meilleur des cas) livre à l’indéterminabilité de la norme et donc, ordinairement, au déploiement institutionnel de la prudence sur fond de chaos possible, extraordinairement, au vent mauvais de l’urgence et, toujours, à l’empire ultime et souverain de la pure décision »81, S. Rials ne semblait pourtant pas tout à fait étranger à la problématique décisionniste. Et la manière dont il soulignait, face à la montée en puissance du Conseil constitutionnel, la nécessité de « conserver, hors de tout contrôle (sauf de la Haute cour), la possibilité de recourir à l’article 16 qui fait une place suffisante, mais indispensable, à l’irruption douloureuse de l’urgence »82, n’est pas sans évoquer la figure schmittienne du président plébiscitaire « gardien de la constitution », qui la défend contre ses adversaires en cas de péril grave83. Cet ennemi déclaré de l’influence de Schmitt sur la science du droit aurait-il été naguère un héritier inconscient de ce même Schmitt ? A le lire, en tout cas, on ne peut croire que ce soit par hasard qu’il ait encouragé la traduction de la Théorie de la Constitution. Et la vigueur de ses anathèmes ne pourra empêcher le lecteur de bonne foi de comprendre que le style de réflexion déployé par la Théorie de la Constitution et poursuivi, avec les inflexions significatives que nous avons relevées, dans La Puissance de l’Etat, est bel et bien « indispensable pour quiconque veut faire sérieusement du droit constitutionnel »84.
Notes de bas de page
1 Stéphane RIALS, « Le destin de la philosophie du droit dans les facultés de droit et particulièrement à Paris II », in Droits, n° 43, 2006, p. 226 et s.
2 Même S. Rials accepte de reconnaître que « Schmitt […] était attaché […] à certains aspects d’une culture française que Hitler rejetait en bloc » (« Carl Schmitt contre Hobbes. La justification de l’Etat total », in Oppressions et résistances, Paris, PUF, 2008, p. 110 et s.) ! C’est dire…
3 « Il faut s’approcher ; il faut connaître un peu plus intimement le peuple du Droit, qui est le romain, et le peuple sophiste, qui est le grec, sans négliger le peuple adorant, qui est le juif ». ALAIN, Libres propos (XXII), 2 juin 1923.
4 HEGEL, Principes de la philosophie du droit, § 357 : « C’est dans ce monde [romain] que s’accomplit jusqu’au déchirement infini entre les deux extrêmes que sont d’une part, la conscience de soi personnelle privée, et l’universalité abstraite, d’autre part… Tous les individus sont abaissés au niveau de personnes privées et d’égaux, pourvus de droits formels… » (tr. fr. Robert DERATHE, Paris, Vrin, 1986, p. 340).
5 SCHMITT, « La formation de l’esprit français par les légistes » (1942), tr. fr. J.-L. PESTEIL, in Du Politique. « Légalité et légitimité » et autres essais, Puiseaux, Pardès, 1990, p. 181 et s.
6 Ibidem, respectivement p. 206 et 205.
7 SCHMITT, Ex captivitate salus, tr. fr. A. DOREMUS, Paris, Vrin, 2003, p. 155. Il serait aisé de poursuivre cette généalogie de la science du droit : « son père est le droit romain ressuscité, sa mère l’Eglise romaine » (ibidem, p. 158).
8 SCHMITT, Glossarium. Aufzeichnungen der Jahre 1947-1951, Berlin, Duncker u. Humblot, 1991, p. 13.
9 Olivier BEAUD, « Carl Schmitt ou le juriste engagé », préface à la tr. fr. (par L. DEROCHE) de la Théorie de la Constitution, Paris, PUF, 1993, p. 7.
10 Lequel ne s’est pas borné à accueillir dans une collection qu’il dirigeait la traduction de « La notion de politique ». En redécouvrant, durant les derniers soubresauts de la IVe République, qu’« un coup d’Etat des partisans du régime constitutionnel eût été préférable », en 1932, à un légalisme qui laissait les défenseurs de Weimar désarmés face aux partis totalitaires ennemis du régime, Aron semble confirmer la validité des analyses développées à l’époque par Schmitt (Démocratie et totalitarisme-cours de 1957/1958 -, Paris, Gallimard, 1965, p. 185). Il n’en reste pas moins que le projet schmittien de coup d’Etat (analysé par O. BEAUD in Les derniers jours de Weimar. Carl Schmitt face à l’avènement du nazisme, Paris, Descartes & Cie, p. 114-119) visait à défendre l’Etat comme tel, et non pas la démocratie parlementaire.
11 V. notamment les « Prolégomènes à la souveraineté » d’Etienne BALIBAR, in Les Temps modernes, n° 610, automne 2000.
12 L’Essence du politique, Paris, Sirey, 1965. V. surtout les chap. VII et VIII, sur l’opposition ami/ennemi.
13 Jacques DERRIDA, Force de loi et Politiques de l’amitié, Paris, Galilée, 1994.
14 Cité par Olivier BEAUD, « René Capitant, juriste républicain. Etude de sa relation paradoxale avec Carl Schmitt à l’époque du nazisme », in Mélanges en l’honneur de Pierre Avril, Paris, Montchrestien, 2001, p. 49.
15 A l’exception bien sûr du jeune René Capitant, sans doute peu familier de la Théorie de la Constitution, mais fin observateur de la controverse entre Schmitt et Kelsen sur le « gardien de la Constitution ».
16 Gallimard, 1988.
17 Olivier BEAUD, « Carl Schmitt ou le juriste engagé », p. 9.
18 O. BEAUD, article « Constitution et droit constitutionnel » du Dictionnaire de culture juridique des PUF (sous la direction de D. ALLAND et S. RIALS), 2003, p. 259.
19 Sentence rendue par Yves Charles Zarka au détour d’un éditorial de la revue Cités, n° 6, 2001. Dans le même ordre d’idées et la même année, Blandine Kriegel, philosophe chargée de mission à la présidence de la République, s’inquiétait elle aussi, devant les étudiants de l’Opus Dei célébrant le centenaire de la naissance de saint Balager, du « grand pouvoir d’influence » acquis par Schmitt « dans la pensée des anciens marxistes » (Le Monde, 3 décembre 2001).
20 Paris, PUF, 1994. Pour ne pas abuser des notes infrapaginales, nous nous permettrons par la suite d’intégrer au corps de notre article, entre parenthèses, les renvois à cet ouvrage, dont nous abrègerons le titre en PE.
21 SCHMITT, Théologie politique 1922, tr. fr. J.-L. SCHLEGEL, Paris, Gallimard, 1988, p. 17.
22 Ibidem, p. 15.
23 Ce point est soulevé par Stéphane RIALS dans « Carl Schmitt contre Hobbes. La justification de l’Etat total », (Oppressions et résistances, op. cit., p. 138 et s.).
24 SCHMITT, op. cit., p. 23.
25 Ibidem, p. 25.
26 SCHMITT, Théorie de la Constitution, op. cit., p. 380.
27 SCHMITT, Parlementarisme et démocratie (1923), tr. fr. J.-L. SCHLEGEL, Paris, Seuil 1988, p. 115. Cf. Théorie de la Constitution, trad. cit., p. 219.
28 Ibidem, p. 33. Cf. Théorie de la Constitution, trad. cit., p. 219 : « la forme naturelle de la manifestation directe de la volonté d’un peuple est le cri d’approbation ou de refus de la foule assemblée, l’acclamation ». « Il y a quelques vérités dans cette vue », reconnaissait sobrement Léo Hamon-avant de corriger : « cet aspect plébiscitaire […] ne supprime pas les formes de la participation indirecte, tâtonnante, des hommes à la qualité de citoyens » (Lettre à O. Beaud sur la Théorie de la Constitution, in Droits, n° 19, 1994, p. 158).
29 Cette objection ne s’adresse pas seulement au juriste Schmitt. O. Beaud critique dans le même esprit l’usage gaullien du référendum, qui ne prétendait donner la parole au peuple que pour en faire « une parole captive, prisonnière du chantage plébiscitaire à la démission de celui qui en proposant le référendum, menaçait de partir » (« A la recherche de la légitimité de la Ve République », Droits, n° 44, 2007, p. 86 et s.
30 SIEYES, Qu’est-ce que le tiers-état ?, Paris, Flammarion, 1988, p. 132.
31 O. BEAUD, « Constitution et droit constitutionnel », art. cit., p. 262.
32 Cité par O. BEAUD, ibidem, p. 258.
33 O. BEAUD, ibidem, p. 263.
34 SCHMITT, Théorie de la Constitution, op. cit., p. 154.
35 Ibidem, p. 218.
36 Ibidem, p. 154. Dans la doctrine française, ce concept matériel de constitution n’est apparemment pas étranger à Charles Eisenmann, pour qui « avant même que d’être constituée par sa Constitution, la France est d’abord un Etat souverain, une nation indépendante » (Le Monde, 2 juin 1954-repris in Ecrits de théorie du droit, de droit constitutionnel et d’idées politiques, Paris, Panthéon Assas, 2002, p. 496).
37 O. BEAUD, « Constitution et droit constitutionnel », art. cit., p. 258.
38 Ibidem, p. 265.
39 Sur cette « liaison au sommet (pouvoir constituant) du droit et de la politique », v. l’étude d’O. JOUANJAN, « La suspension de la constitution de 1793 », Droits, n° 17, 1993, p. 135 (que nous venons de citer) à 138. Pour Schmitt, résume André DOREMUS, « la science du droit ne peut pas être la simple pensée du droit existant, mais la pensée pratique du droit pris à sa propre racine, où elle est politique du droit » (« Introduction à la pensée de Carl Schmitt », Archives de philosophie, n° 45, 1982, p. 587).
40 O. BEAUD, Les derniers Jours de Weimar, op. cit., p. 192.
41 O. BEAUD, « Carl Schmitt, juriste nazi ou qui fut nazi. Tentative de réexamen critique », Droits, n° 40, 2004, p. 217.
42 SCHMITT, Théorie de la Constitution, op. cit., p. 240.
43 Ibidem, p. 242.
44 KELSEN, Théorie pure du droit (1962), tr. fr. Ch. EISENMANN, Paris/Bruxelles, LGDJ/Bruylant, 1999, p. 210.
45 Ibidem.
46 « La forme républicaine du gouvernement ne peut faire l’objet d’une proposition de révision. - Les membres des familles ayant régné sur la France sont inéligibles à la présidence de la République ».
47 DUGUIT, Traité de droit constitutionnel (1911), cité in PE, p. 371.
48 VEDEL, Manuel de droit constitutionnel (1949), cité in PE, p. 371.
49 « L’Assemblée nationale donne tout pouvoir au gouvernement de la République, sous l’autorité et la signature du maréchal Pétain, à l’effet de promulguer par un ou plusieurs actes une nouvelle Constitution de l’Etat français ». Comme on voit, le changement de régime se fait au détour même de la phrase, qui voit « la République » escamotée par les parlementaires au profit de « l’Etat français ».
50 VEDEL, Le Monde, 26-27 juillet 1968, cité in PE, p. 333.
51 Ch. EISENMANN, « Le traité sur la CED : loi simple ou loi constitutionnelle ? Réponse à deux arguments », Le Monde, 15 juin 1954, repris in Ecrits de théorie du droit… (op. cit.), p. 508.
52 Ibidem, p. 509. Cf. PE, p. 478.
53 Institutionnellement du moins ; « matériellement, [l’UE] détient de plus en plus un pouvoir unilatéral de décision analogue à celui d’un Etat » (PE, p. 488).
54 SCHMITT, Théorie de la Constitution, op. cit., p. 514.
55 Ibidem, p. 512.
56 SCHMITT, Théorie de la Constitution, op. cit., p. 339.
57 Ibidem, p. 337.
58 O. BEAUD, « ‘Repräsentation’ et ‘Stellvertretung’ : sur une distinction de Carl Schmitt », Droits, n° 6, 1987, p. 19.
59 Pour autant « qu’il existe une politique libérale sous forme d’opposition polémique visant les restrictions de la liberté individuelle par l’Etat […], mais qu’il n’y a pas de politique libérale sui generis, il n’y a qu’une critique libérale de la politique » (SCHMITT, La Notion de politique (texte de 1932), tr. fr. M.-L. STEINHAUSER, Paris, Calmann-Lévy, 1972, p. 117.
60 O. BEAUD, Les derniers Jours de Weimar, op. cit., p. 199.
61 Ibidem, p. 77.
62 Antoni NEGRI, Le Pouvoir constituant. Essai sur les alternatives de la modernité, tr. fr. E. Balibar et Fr. Matheron, Paris, PUF, 1997, p. 15.
63 Ibidem, p. 19.
64 L’indispensable débat sur ce point avec Bruce Ackerman est contourné dans La Puissance de l’Etat, et à peine esquissé dans « Constitution et droit constitutionnel » (art. cit., p. 265).
65 Ibidem, p. 21.
66 Ibidem, p. 2.
67 Ibidem, p. 43.
68 O. BEAUD, « Carl Schmitt, juriste nazi ou… » (art. cit.), p. 216.
69 S. RIALS, première version de « Hobbes en chemise brune », Droits, n° 38, 2003, p. 226.
70 S. RIALS, Oppressions et résistances, op. cit., p. 197.
71 S. RIALS, première version de « Hobbes en chemise brune », p. 242.
72 Oppressions et résistances, p. 146.
73 Ibidem, p. 129. S. Rials a été précédé dans cette voie par la traductrice en français d’Etat, mouvement, peuple, qui ne trouvait peut-être pas le texte schmittien assez ouvertement « nazi »…
74 S. RIALS, première version de « Hobbes en chemise brune », p. 242.
75 Yves Charles ZARKA, « Carl Schmitt, nazi philosophe », Le Monde, 6 décembre 2002.
76 « Des ‘remords’ ? J’ai beau m’ausculter, la réponse est non ».
77 Ibidem.
78 Ibidem.
79 O. BEAUD, « Lectures croisées de Hobbes : Carl Schmitt entre Leo Strauss et Michel Villey », Droits, n° 38, 2003, p. 162.
80 O. BEAUD, « Carl Schmitt, juriste nazi ou… » (art. cit.), p. 207.
81 S. RIALS, « Entre artificialisme et idolâtrie. Sur l’hésitation du constitutionnalisme », Le Débat, n° 64, mars-avril 1991, p. 167 (je souligne).
82 Ibidem, p. 181.
83 Cf. PE, p. 387-393.
84 O. BEAUD, « Carl Schmitt, juriste nazi ou… » (art. cit.), p. 217.
Auteur
Université de Pau et des Pays de l’Adour
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