La suppression de la faculté de droit de Grenoble sous la restauration
Opportunités administratives d’un contrôle politique1
p. 199-212
Texte intégral
1« Quelques factieux ont osé porter le trouble dans la ville de Grenoble. Ils n’ont pas craint de proférer des cris séditieux et d’arborer les couleurs de la révolte (…) Les chefs du complot sont connus (…) Les agitateurs ont entraîné un certain nombre de jeunes gens1 ». Placardée dans tout le département le 21 mars 1821, l’adresse du préfet de l’Isère n’avertit pas seulement la population de l’échec immédiat de l’émeute qui s’est produite la veille à Grenoble. Elle signale surtout et sans attendre une catégorie particulière de séditieux en désignant les « jeunes gens » de la ville. Et si la prose préfectorale n’est guère plus précise, l’identité de ces derniers a déjà convaincu les représentants locaux du pouvoir : cette jeunesse factieuse, séduite, est d’abord celle de la Faculté de droit.
2La journée du 20 mars est pourtant étrangère à la Faculté. Tout commence le matin, vers neuf heures, lorsque la rumeur venue de Lyon répand le bruit de l’abdication de Louis XVIII au profit du duc d’Orléans. Aussitôt, simples curieux, libéraux, républicains se retrouvent dans la rue pour éprouver la nouvelle. Et bientôt résonnent les cris de « Vive la Charte ! » ou « Vive la Liberté ! » Les cocardes tricolores se répandent. Les esprits s’échauffent. Des attroupements se forment, virant à l’émeute selon les uns, à l’échauffourée selon les autres. A midi, autorités civiles et militaires ont rétabli le calme. Une dernière salve, aussi brève qu’inutile, marquera le milieu d’après-midi2.
3Le préfet de l’Isère n’exagère donc pas lorsqu’il affirme dès le lendemain que tout est terminé. Et sa prédiction est juste lorsqu’il promet de s’intéresser spécialement à la jeunesse grenobloise. Car, aussitôt, l’émeute du 20 mars devient l’affaire de la Faculté de droit. Peu importe que cette dernière ne fût pas concernée par le déroulement des événements : on a cru voir parmi les factieux une centaine d’étudiants en droit et c’est ce qui compte ! L’occasion est alors parfaite, pour les ultras, de marquer leur fermeté par une sanction rare : la suppression immédiate de la Faculté de droit de Grenoble3. Sanction exceptionnelle, rapide, disproportionnée, puisqu’en définitive seuls huit étudiants sont identifiés comme liés aux troubles du 20 mars.
4De 1821 à 1824, Grenoble perd donc sa Faculté de droit. Le caractère politique de cette suppression ne fait pas de doute, particulièrement appuyé par le contexte et les protagonistes de cet étonnant épisode de l’histoire des Facultés4. Au point, même, de masquer bien des aspects juridiques de la décision royale, moins étudiés que les enjeux et considérations politiques de l’affaire. Puisque tout est politique, en somme, la place du droit était naturellement réduite !
5Or rien n’est moins juste que de confondre la défaite et l’absence du droit. Même politiques, les procès et autres actes de répression ont un ressort forcément juridique propre à révéler les mécanismes et l’économie de la vérité officielle. La suppression de la Faculté de droit s’organise en effet dans un cadre juridique susceptible, au contraire, d’éclairer la décision exceptionnelle de Louis XVIII. Et ne saurait, du coup, limiter son intérêt aux seuls procès politiques qui l’ont complétée. Sanction collective, injuste, frappant aussi bien l’ensemble des étudiants que tous les professeurs de droit, l’ordonnance de suppression prend place dans un ensemble de textes et de procédures qui souligne l’intérêt particulier d’une mesure administrative si générale. La suppression de la Faculté vient donc s’articuler avec d’autres voies de répression, notamment criminelle et académique. Où l’on conçoit que chaque logique répond à la volonté de saisir un aspect particulier de la vie de la Faculté et de la manifestation du désordre. Et où se mêlent les dimensions locales et nationales de l’affaire, pour le plus grand préjudice de la Faculté.
6Dès lors, sous son rapport juridique, la suppression de la Faculté n’est plus seulement un coup arbitraire ou excédé du calcul politique. Au-delà des combinaisons du pouvoir, elle éclaire une partie de l’histoire administrative des Facultés sous la Restauration en mettant en scène professeurs et étudiants dans leurs rapports avec les autorités facultaires et ministérielles. De ce point de vue, elle manifeste d’abord une volonté de discipliner la Faculté de droit-voire les Facultés de droit-classiquement entreprise selon les voies juridictionnelles répressives (I). Mais derrière l’évidence du binôme répression/justice, elle éclaire surtout l’opportunité de la voie administrative pour exercer un contrôle exhaustif des étudiants et personnels de la Faculté, plus large que ne pouvait le permettre aucune action judiciaire (II).
I - L’intérêt politique limité des cadres répressifs juridictionnels
7En 1821, les rapports entre le gouvernement et les Facultés de droit sont marqués par une forte exaspération du premier à observer l’incapacité des secondes à mettre un terme aux troubles étudiants. L’entourage de Louis XVIII, poussé par les ultras, redoute alors la contagion des contestations politiques et la déstabilisation du pouvoir par une jeunesse frondeuse, mal rompue à l’obéissance silencieuse. La suppression de la Faculté de droit de Grenoble ne se comprend alors que dans une double dimension politique, locale et nationale, propre à éclairer la recherche d’un contrôle politique général des Facultés (A). Face à cette volonté manifeste, la multiplication des textes répressifs semble alors d’un piètre secours. Les procédures engagées à l’encontre des coupables présumés soulignent en effet, par leur portée limitée, l’inadéquation des réponses criminelles et académiques au vœu général de subordination. Destinées à frapper et à exclure, elles ne sont pas l’instrument idoine du contrôle d’envergure imaginé par le pouvoir parisien (B).
A - La recherche d’un contrôle politique
8Les événements du 20 mars 1821 s’apprécient d’abord dans leur dimension locale. De ce point de vue, ils viennent s’ajouter à une série de désordres qui ont déjà attiré l’attention du gouvernement sur la ville de Grenoble, sa Faculté de droit et ses étudiants. L’ordonnance du 2 avril est d’ailleurs assez claire lorsqu’elle vise « les troubles dont cette ville a été agitée à diverses époques ». Parmi les plus récents, nul doute que le chahut des étudiants en mai 1820 lors du passage en ville du duc d’Angoulême- que d’aucuns ont regardé comme « propre à renverser l’auguste trône des Bourbons5 »-ou la conspiration Didier, menée en août 1819 par l’ancien directeur de l’Ecole de droit6, sont dans tous les esprits. A cela, s’ajoutent d’autres considérations qui, indépendamment de sa Faculté, renforcent l’image frondeuse et exaltée de la ville. L’élection, en 1819, du conventionnel régicide Grégoire et celle du socialiste Rey, que l’on retrouve aux côtés de Didier, viennent raviver douloureusement, pour les ultras au pouvoir, le souvenir de Vizille comme celui de la route Napoléon.
9Les troubles du 20 mars 1821 fournissent donc une occasion majeure de frapper un contexte éminemment local. Mais ils nourrissent aussi une exaspération nationale, offrant du coup l’opportunité d’un acte exemplaire pour l’ensemble des Facultés du royaume. Car le gouvernement déplore depuis plusieurs années déjà les troubles liés aux Facultés de droit7. Ces dernières sont regardées comme des lieux d’insubordination, où l’on discute de lois et d’institutions en répandant de faux principes. Et où les professeurs tolèrent plus que de raison l’agitation estudiantine. Plusieurs fois suspects, ces derniers sont rappelés à leurs obligations morales et politiques dès 1816 par le Conseil de l’Instruction publique : « le devoir d’un professeur de droit n’est pas seulement de remplir la mémoire de ses auditeurs des dispositions positives de la législation, (…) il doit encore les pénétrer de ces principes généraux d’ordre, de justice universelle, de ce sentiment de respect pour le gouvernement légitime et d’amour pour le souverain sans lesquels aucune législation ne peut se maintenir8 ». Dans les années qui suivent, les troubles se multiplient pourtant. De 1815 à 1821, depuis Rennes, Poitiers, Aix, Dijon, Toulouse, et bien sûr Paris, la correspondance des recteurs d’académie concentre sur le maroquin ministériel la vision inquiétante d’une généralisation des désordres. Ports de cocardes, chansons et discours séditieux, absentéisme, assemblées et diffusions d’imprimés, promenades nocturnes, ivresse publique… les signes de l’indiscipline se ressemblent d’une Faculté à l’autre9. Et face à une jeunesse identifiée à la contestation politique10, certains ministres rêvent de supprimer toutes les Facultés de droit comme autant de lieux naturels d’insubordination11. Moins zélé que ses membres les plus ultras, le gouvernement, pour sa part, se contenterait de les maîtriser et révèle alors une grande nervosité marquée par la multiplication des textes répressifs.
10Pour les seules années 1819-1820 et les premiers mois de 1821, une ordonnance royale, six arrêtés ministériels majeurs et plusieurs circulaires et instructions complètent et renforcent la législation impériale en matière d’ordre public lié aux étudiants, notamment des Facultés de droit12. Ces textes ont la même ambition : saisir, de la façon la plus complète, toute la vie des Facultés afin d’y ramener l’esprit de discipline et d’en exclure toute exaltation politique.
11Mais la multiplication des dispositions n’y fait rien. Les troubles se propagent régulièrement, au point d’éloigner progressivement autorités universitaires et rectorales d’un côté, et gouvernement de l’autre. Ce dernier, dès avant l’affaire de Grenoble, conçoit une méfiance si générale à l’égard de ses recteurs et de ses professeurs de droit, que le rétablissement de l’ordre ne lui semble plus pouvoir relever que de l’action des préfets. Les troubles de Poitiers en mai et juin 1820 indiquent très clairement le moment de cette exaspération. Une fois de plus, en effet, recteur, doyen et professeurs de droit déçoivent le gouvernement, fatigué d’observer les autorités facultaires adoucir le récit et la répression des troubles qui agitent leurs murs. Mais cette fois, le pouvoir cesse de regarder ces affaires comme des questions relevant prioritairement de l’administration de l’Instruction publique. Les considérant comme des cas de police, voire de police politique, il commence à écarter la hiérarchie rectorale et universitaire, pour lui préférer l’appréciation et les mesures du ministère de l’Intérieur. En réalité, le traitement des troubles de Poitiers en 1820 inaugure une discrète inflexion, confirmée un an plus tard à l’occasion de l’émeute grenobloise : celle de la mise à l’écart des professeurs, recteurs et doyens, au profit de l’administration préfectorale.
12A la tête du Conseil royal de l’instruction publique, le comte de Corbière personnifie cette nouvelle orientation. Cet ancien député ultra, ami de Villèle et futur ministre de l’Intérieur, préfère déjà la fidélité des préfets à la diplomatie des recteurs d’académie. C’est donc sur les premiers qu’il décide de s’appuyer pour marquer la nouvelle énergie du gouvernement. Un relais bienvenu, en quelque sorte, car les premières mesures prises contre les protagonistes de l’émeute grenobloise, inscrites dans les limites des derniers textes, se caractérisent avant tout par une très faible portée, bien éloignée du contrôle général et exhaustif attendu.
B - Les limites politiques des répressions criminelle et académique
13Dès le 20 mars 1821, les autorités administratives se mettent en action. D’un côté, le recteur Sordes informe son ministre de tutelle en relayant les explications du conseil de Faculté. Et Corbière, en qualité de secrétaire d’Etat président du Conseil royal de l’instruction publique, saisit aussitôt la justice académique pour statuer sur l’exclusion des étudiants impliqués dans les troubles. De l’autre, le baron d’Haussez, préfet de l’Isère, réunit les premiers éléments d’information sur les attroupements, de façon à les communiquer au procureur général Achard de Germane, lui permettant ainsi de mettre en œuvre la justice criminelle. La répression des événements du 20 mars emprunte donc très rapidement deux voies juridictionnelles différentes, académique et criminelle. Cette énergie, cette promptitude devaient satisfaire le gouvernement. Mais ces deux voies, parce qu’elles comportent en elles-mêmes des limites politiques, ont paru insuffisantes au point de motiver, en complément, la suppression entière de la Faculté.
14S’agissant de la justice disciplinaire, les textes adoptés en 1819 et 1820 sont en effet d’un faible secours à tous ceux qui espèrent une remise en ordre exemplaire des Facultés. L’économie générale des nouvelles dispositions, révélatrice d’une méfiance évidente à l’endroit des Facultés, répartit la charge de la discipline académique entre les conseils de Faculté, composés des seuls professeurs et doyens13, et les conseils académiques, réunissant sous la présidence du recteur divers représentants des administrations académiques, universitaires, préfectorales et judiciaires, ainsi que des notables parmi les plus en vue de la vie économique locale14. De ce point de vue, la nouvelle organisation de la justice académique répond à la nouvelle charge qui pèse sur les recteurs. En 1820, si le baron Cuvier, à la tête de l’Instruction publique pour quelques mois encore, préfère une dernière fois l’académie à la préfecture15, il réoriente toutefois vers le recteur, et non la Faculté, le devoir d’« inspirer [aux étudiants] de bons sentiments, l’amour de l’ordre, l’attachement au roi et le respect pour les lois qui nous sont données16 ». Cette dernière marque de confiance le conduit à demander très fermement aux recteurs de redoubler d’activité pour la surveillance des étudiants et à préciser très expressément qu’ils seront, avec les professeurs, tenus pour responsables des désordres à venir, insupportables en présence des nouveaux moyens de répression organisés par l’ordonnance royale du 5 juillet 1820.
15Dans ce nouvel équilibre, qui tient encore à distance l’autorité préfectorale, les textes de 1820 limitent la compétence des conseils de Facultés aux désordres commis dans l’intérieur de celles-ci. Les Facultés ne jugent donc que les affaires de police intérieure, sous réserve de l’appel des décisions d’exclusion aux conseils académiques. Et encore faut-il souligner que tous les actes, même commis dans l’intérieur des enceintes universitaires, ne ressortissent pas de la justice des Facultés. Seuls sont visés ici « tout manque de respect, tout acte d’insubordination, de la part d’un étudiant envers son professeur ou envers le chef de l’établissement17 » et les incitations aux désordres. Sur ce dernier point, l’ordonnance désigne clairement « tout étudiant qui sera convaincu d’avoir cherché à exciter les autres étudiants au trouble et à l’insubordination dans l’intérieur des Ecoles18 ». En revanche, les actes consécutifs à cette incitation échappent entièrement à la juridiction des Facultés.
16Le nouveau dispositif transfère en effet aux conseils académiques la connaissance de la majeure partie des « actes illégaux » commis par les étudiants. Cela s’entend tout d’abord de tout « acte illicite commis par suite desdites instigations à l’intérieur des Facultés19 ». Cela vise également « tout étudiant qui sera convaincu d’avoir, hors des Ecoles, excité des troubles ou pris part à des désordres publics ou à des rassemblements illégaux20 ». Les conseils académiques sont donc « responsables », selon le mot de Cuvier, plus exactement juges de la discipline des étudiants : discipline politique à l’intérieur des Facultés pour les actes positifs consécutifs à une instigation, discipline politique à l’extérieur des Facultés pour les actes d’instigation eux- mêmes et tous ceux qui en découleraient. Largement dessaisies sur le plan juridictionnel, les Facultés sont seulement rappelées à un rôle préventif, sommées de ramener leurs élèves à la sagesse et à la subordination.
17Si la lecture chronologique de ces textes restitue l’image incontestable de la fermeté croissante d’un gouvernement qui cherche les meilleures voies du rétablissement de l’ordre, il n’en reste pas moins que ces nouvelles dispositions sont très insuffisantes pour donner à ce dernier les moyens d’un contrôle général des Facultés.
18L’hypothèse d’une telle reprise en main échoue en effet sur le principe de la personnalité des poursuites et des peines. Car la justice académique ne peut saisir que les étudiants et les professeurs liés aux troubles. Jamais l’ensemble des élèves et enseignants de la Faculté. D’où la bataille de chiffres du printemps 1821, entre le recteur et le préfet, qui devait s’achever sur un nombre bien décevant d’élèves incriminés par l’autorité académique. Sur la foi des professeurs, seuls huit étudiants sont expressément impliqués dans les désordres du 20 mars, tandis que le préfet et le ministère croyaient tenir le complot d’une centaine d’étudiants21. Limitée aux seuls prévenus, réduite à huit élèves seulement, la justice académique sur laquelle Cuvier comptait tant dans l’été 1820 ne pouvait être le cadre assuré du procès de la Faculté ! Incapable de saisir toute la vie de l’Ecole mais sommée de juger les manquements à la discipline et de prononcer des sanctions individuelles aux précédents aussi connus qu’inefficaces, elle s’annonce donc, dès le début, comme un cadre beaucoup trop étroit.
19Reste la justice criminelle, saisie elle aussi dès les premiers jours de l’affaire. Hélas pour les ultras, celle-ci se heurte aux mêmes écueils. Car même politique, la justice pénale obéit à quelques règles et a le défaut, notamment, de ne saisir que des prévenus nommément désignés par la chambre d’accusation et dûment arrêtés par les forces de police… Or ici aussi, le butin se révèle quantitativement décevant. C’est même un véritable camouflet pour le gouvernement et tous ceux qui misaient sur la découverte d’un grand complot étudiant. Au début de l’année 1822, seules neuf personnes font l’objet d’un renvoi devant une cour d’assises22. Parmi elles, un seul étudiant23 ! Alors sans doute le procès criminel instruit contre ces neuf émeutiers relève-t-il de la justice politique24, mais celle-ci s’avère finalement d’une portée très limitée, révélant même un écart important entre les efforts du pouvoir pour qualifier et punir un crime politique et l’utilité réelle de cette voie répressive pour reprendre en main le monde des Facultés de droit.
20D’un côté, en effet, la chambre des mises en accusation de la cour d’assises de l’Isère s’attache à définir les éléments constitutifs d’un complot : agitation préalable au 20 mars, indices « presque certains » de la circulation de listes de personnes acquises à une révolution politique, ports de cocarde antérieurs à l’émeute, connexion avec des troubles semblables attendus en France et à Turin, autant d’éléments portant à considérer que l’émeute ne fut « pas l’effet du hasard mais au contraire celui d’un projet antérieur et combiné avec d’autres mouvements25 ». Eléments de définition qui devaient bien conduire la cour d’assises du Doubs, dans l’arrêt final de cette affaire, à condamner pour « complot » cinq des neuf accusés aux plus fortes peines, dont l’étudiant grenoblois26. Mais d’un autre côté, cette justice politique ne produit que des effets limités : non seulement parce qu’elle acquitte quatre des accusés, mais surtout parce qu’elle n’aura saisi, au final, que neuf personnes, et parmi elles un seul étudiant. Ici encore, on devine assez facilement que le cadre pénal de la répression des troubles du 20 mars offrait une très mince occasion de faire un sort général aux Facultés de droit.
21D’où la décision, prise très tôt, d’étendre la sanction politique à l’ensemble de l’institution en décidant la suppression immédiate de la Faculté. On peut n’y voir qu’un mouvement de rage, de colère, de vengeance, contre une Faculté de plus, qui venait de provoquer le pouvoir royal27. Mais on peut aussi y déceler l’utile et nécessaire complément administratif-et donc éminemment politique-de la répression juridictionnelle. Cette suppression, qui devait aussitôt provoquer la joie de Chateaubriand et de ses convives berlinois28, allait en effet offrir un contrôle gouvernemental et administratif de tous les membres de la Faculté qu’aucune autre procédure ne permettait. Supprimer ne devait pas effacer. Seulement contrôler et épurer.
II - L’organisation administrative d’un contrôle politique sur la Faculté
22Face aux Facultés, Corbière est l’homme des préfets. Ecartant la répartition des compétences imaginée par son prédécesseur Cuvier-qui avait marqué quelque défiance à l’égard des Facultés au profit des recteurs d’académie tout en tenant les préfets à bonne distance-le nouveau président du Conseil royal de l’instruction publique s’appuie au contraire sur l’administration préfectorale pour connaître un à un chaque membre de la Faculté, étudiant ou professeur.
23Sans égard pour le recteur Sordes ni pour le doyen Planel, Corbière ouvre les portes et les dossiers de la Faculté de droit au baron d’Haussez, préfet de l’Isère, sommé de livrer ses appréciations en dernière analyse. Dans cette économie, la suppression de la Faculté révèle alors tout son intérêt. Tout à la fois sanction exceptionnelle et avertissement exemplaire, elle est évidemment et d’abord un grand coup de force politique dirigé contre une ville et contre une Faculté. Mais au-delà, elle est surtout une opération bien plus subtile, dont Corbière n’a dû superviser qu’une partie.
24Car plus qu’une simple suppression, le ministre improvise en fait un contrôle minutieux de la Faculté, que rien n’autorisait sauf la nécessité d’une gestion administrative des conséquences individuelles de la décision royale pour les étudiants et les professeurs. La suppression de la Faculté pose en effet immédiatement la question de l’inscription des étudiants loyaux dans d’autres Facultés et celle de la réintégration des professeurs dans l’éventualité d’un rétablissement de la Faculté à Grenoble. Dès lors, la suppression ne peut attirer seule l’attention, qui doit se concentrer sur la double opération suppression/réinscription et suppression/rétablissement. Véritable siège de la dimension politique de l’affaire, l’administration de la suppression offre alors l’opportunité d’un double contrôle absolument complet : elle permet d’abord d’apprécier un à un le cas de chaque étudiant dont il faut régler le nouveau sort (A), puis, de manière plus discrète mais tout aussi déterminée, celui du corps professoral dont la disparition immédiate pose la question de la réintégration prochaine (B).
A - Le contrôle des étudiants : l’examen individuel des dossiers
25L’ordonnance du 2 avril 1821 vise clairement les étudiants de l’« ex- Faculté de droit de Grenoble », notamment ceux qui, étrangers aux troubles du 20 mars 1821, souhaitent poursuivre leurs études au sein d’une autre Faculté de droit. Le texte royal envisage favorablement cette possibilité mais pose une condition préalable : « obtenir une autorisation spéciale du président du Conseil royal de l’Instruction publique29 ». Le visa ministériel est donc nécessaire pour changer de Faculté et prendre une inscription au trimestre qui vient de commencer30. Il fournit au gouvernement l’occasion de « juger » et de connaître individuellement chaque élève.
26A Grenoble, le ministre président du Conseil royal de l’Instruction publique s’appuie immédiatement sur le relais préfectoral pour obtenir les informations nécessaires et examiner la recevabilité des demandes d’inscription. La décision finale revient au ministre, sans obligation de motivation. Choisir le préfet plutôt que le recteur, voilà qui renforce le caractère politique de l’affaire, une affaire d’ordre public désormais, et plus seulement universitaire. Ce choix souligne aussi une méfiance évidente à l’égard des appréciations personnelles du recteur Sordes, lequel, malgré son empressement à fournir des explications31, sera bientôt révoqué comme « ennemi secret du gouvernement32 », accusé de dissimuler la gravité des faits et la culpabilité des étudiants.
27Aussitôt l’ordonnance de suppression connue, les étudiants grenoblois, stupéfaits par la disparition de leur Faculté et inquiets surtout de ne pouvoir s’inscrire à temps dans une autre école, communiquent sans attendre leurs pétitions individuelles au préfet. Autant de lettres qui professent la pureté des sentiments politiques de leurs auteurs. Avec des formulations très proches les unes des autres, les pétitions protestent de leur « dévouement pour l’auguste dynastie des Bourbons33 » et assurent qu’ils n’ont « jamais donné que des marques d’attachement et de dévouement pour la dynastie régnante et le gouvernement paternel de sa majesté34 ». Chacun y clame son royalisme et celui de la famille tout entière. Et lorsque cela est possible, les étudiants mentionnent leur absence de Grenoble le jour de l’émeute. Séjour à la campagne, maladie, visites de famille, tout motif d’éloignement à l’époque des faits est bon à rappeler. Les recommandations ne manquent pas, non plus, en appoint des pétitions : clergé, autorités militaires, avocats et magistrats, députés et élus locaux… tous les notables sont largement sollicités pour appuyer les dossiers transmis au Conseil royal de l’Instruction publique par le truchement du préfet.
28Investi de cette surveillance supplémentaire, détenteur des pétitions d’étudiants et des renseignements fournis par la Faculté, ce dernier improvise aussitôt deux sortes de certificats. Ceux relatifs aux élèves dont il a une connaissance particulière, souvent personnelle, et dont il peut assurer positivement qu’ils sont animés de bons principes. Et ceux relatifs aux étudiants qu’il ne connaît pas, mais à propos desquels rien n’indique qu’ils soient de mauvais sujets. Les premiers sont établis sur un modèle unique et, mus par une chaleur non équivoque, appellent une autorisation bienveillante et confiante du ministre. Ils établissent simplement que l’étudiant « s’est toujours comporté d’une manière irréprochable pendant son séjour dans [Grenoble] et que ses opinions politiques et sa conduite privée ne méritent que des éloges35 ». Les seconds, moins affirmatifs, attestent seulement d’une absence de motifs d’insatisfaction ou de suspicion. Le préfet se limite à indiquer l’assiduité et la bonne conduite de l’étudiant aux cours de la Faculté et précise seulement « qu’il ne lui est parvenu aucune plainte sur le compte » de ce dernier. Une formulation très en retrait du premier type de certificats, qui devait troubler jusqu’au ministre Corbière. Insensible aux subtilités préfectorales et aux typologies improvisées, celui-ci, en effet, a cru devoir y déceler une sorte d’indétermination propre à rendre nécessaires des informations complémentaires.
29Mal récompensé d’un zèle incompris, un peu marri de devoir expliquer ses propres nuances, le préfet a dû lever le doute en expliquant ses propres scrupules. Et au final, tous les étudiants ont pu recevoir, sous une forme ou sous une autre, un certificat préfectoral et une autorisation ministérielle. Aucun nom n’a pu être ajouté aux huit étudiants désignés dès le début de la procédure. Tout au plus certains dossiers portent-ils la mention « Suspendu. N’ayant fourni aucun certificat », le temps, seulement, d’être complétés36.
30D’après les certificats du préfet, le contrôle administratif a porté sur quatre points essentiels : l’assiduité aux cours, conformément aux textes récents qui posent cette exigence comme un premier moyen de contrôle et de subordination des élèves ; les principes politiques de chaque étudiant ; les recommandations diverses formulées en soutien de tel ou tel étudiant, émanant essentiellement d’un personnel politique et administratif local. Et enfin l’absence de plainte contre la conduite générale de chaque étudiant.
31Dans cette procédure de contrôle, les professeurs de la Faculté sont plutôt absents. Dès les premiers jours, ils refusent de délivrer les certificats d’assiduité au prétexte qu’ils n’ont plus qualité pour rendre des actes attachés à une Faculté qui n’existe plus. Puis, concevant le préjudice qu’en peuvent subir les étudiants, trois d’entre eux consentent à remettre les attestations37. En revanche, aucun ne rédige de recommandation particulière. Signe, sans doute, d’une certaine répugnance à collaborer à l’opération de contrôle qui s’organise au sujet de chaque étudiant. Signe, aussi, du faible crédit que pourraient avoir leurs appréciations personnelles.
32Car les professeurs de la Faculté de droit subissent la même prévention que les étudiants. Et figurent, après eux, et malgré le silence de l’ordonnance du 2 avril 1821, comme un second objet de contrôle.
B - Le contrôle des professeurs : l’épuration du corps professoral
33La circonstance de la suppression a d’abord conduit les professeurs à se justifier. Défense collégiale, dans un premier temps, sous la direction du doyen Planel et du conseil de Faculté, pour rappeler l’incompétence de la Faculté en matière de troubles extérieurs aux Facultés38. Et défenses individuelles ensuite, où chacun expose sa conduite et ses principes. Cinq des sept professeurs de la Faculté se sont adressés directement au Conseil royal de l’Instruction publique et quatre d’entre eux -Burdet, Planel, Bolland et Pellat-sans être mis en cause personnellement, plaidaient déjà leur réintégration en cas de rétablissement de la Faculté, ou demandaient, sans pouvoir l’obtenir, une translation auprès de la Faculté de droit de Paris où une chaire venait de se libérer39.
34Le professeur suppléant Quinon, en revanche, dut se défendre davantage. Mis en cause devant le conseil académique et par le Conseil royal de l’Instruction publique dès le 31 mars 1821, on lui reprocha aussi bien son attitude lors des troubles étudiants de 1820 -à l’occasion du passage chahuté du duc d’Angoulême-que son implication supposée dans ceux du 20 mars 1821. Et si la rumeur l’accusait d’avoir incité les étudiants à l’émeute contre les Bourbons, le préfet d’Haussez lui tenait particulièrement rigueur de ne livrer aucun nom d’élèves séditieux et d’avoir opportunément négligé de procéder à l’appel nominatif des étudiants l’après-midi même du 20 mars, couvrant ainsi leur absence coupable. Illégale car déclenchée sur simple rumeur, interrompue par le recteur assez tôt, la procédure continua devant le Conseil royal de l’Instruction publique jusqu’au mois d’août 1821, pour s’achever par un arrêté qui devait le mettre hors de cause40. En définitive, aucune sanction disciplinaire ni criminelle n’est venue frapper les professeurs, en dépit de recherches particulières. La cessation de leur fonction -sans indemnité- fut la seule conséquence de la suppression de la Faculté de droit de Grenoble.
35Mais qu’on ne s’y trompe pas : l’absence de sanctions contre les professeurs ne témoigne pas de la confiance du gouvernement. Et si la suppression collective de la Faculté évite d’organiser une épuration individuelle en 1821, la question du rétablissement offre une voie plus sûre et plus discrète à la reprise en main souhaitée. Cette perspective éclaire tout d’abord d’une lumière particulière la procédure du recrutement des professeurs. Où l’on voit se multiplier les lettres de candidatures spontanées, appuyées de recommandations de notables et motivées davantage par l’exposé des principes politiques et religieux des candidats que par celui du goût du droit ou de l’enseignement41. Mais elle offre aussi une seconde face : celle d’une opportunité, pour les professeurs dont les fonctions ont été supprimées avec la Faculté, de se voir confirmés dans leurs postes et donc blanchis de toute suspicion. Tel est le sens d’une lettre de Berriat Saint-Prix, à la fin du mois d’avril 1821 en faveur de son ancien collègue grenoblois le doyen Planel : occupé à repousser la calomnie qui environne ce dernier, Berriat se console en effet de ce que le rétablissement de la Faculté sera forcément précédé d’enquêtes poussées propres à rétablir honneurs et vérité42.
36Et de fait, l’acte ultime du contrôle politique tombe en 1824, au moment du rétablissement de la Faculté. Conformément à un plan élaboré dès 1821, trois professeurs ne sont pas réintégrés : le doyen Planel, le professeur Pal (un des rares à ne s’être pas défendu) et le suppléant Quinon, qui devra attendre la monarchie de Juillet pour obtenir la chaire de droit romain en remplacement de Burdet. En plus de ces trois évictions, prévues de longue date43, deux autres professeurs devaient être écartés : Bally, titulaire la seconde chaire de code civil et Pellat, suppléant, qui allait réaliser à Paris sa carrière de romaniste. La nouvelle Faculté, rétablie par Charles X, vit entrer en son sein trois nouveaux professeurs titulaires, tous notoirement attachés aux Bourbons : l’avocat Gautier et les magistrats Bazille et Monseignat. Comme l’écrivait Balleydier en 1906, « la passion politique avait dicté la plupart de ces changements ».
37En soi, ce caractère politique ne faisait pas mystère. Mais derrière le coup politique, l’affaire de Grenoble livre un double enseignement où le droit prend toute sa part. La suppression illustre d’abord la vie des Facultés de droit à ce moment particulier de leur histoire où il leur reste encore à partir à la « conquête d’un statut44 », qui pose l’indépendance des professeurs d’université comme une condition nécessaire de l’exercice de leur métier. S’agissant des étudiants, l’histoire d’une telle conquête n’est même pas encore balbutiante, à l’heure où les Facultés, occupées seulement de formation professionnelle, ne cherchent pas encore à les conduire à devenir des « hommes et des citoyens », pour reprendre les mots de Klimrath. De ce point de vue, malgré la force de frappe, on a tout de même le sentiment que la suppression de la Faculté de droit appartient, en 1821, à une histoire condamnée. La disproportion même de la mesure souligne davantage un aveu de faiblesse qu’un coup de force. Le second enseignement concerne les variantes de la répression politique. Bien souvent celle-ci n’attire l’attention que dans sa dimension judiciaire et pénale, où l’on guette les atteintes procédurales et les peines imméritées. La suppression de la Faculté de droit de Grenoble illustre une autre voie, administrative, plus discrète mais plus riche en termes de contrôle politique.
Notes de bas de page
1 Adresse du baron d’Haussez, préfet de l’Isère, aux habitants du département, 21.03.1821, Archives départementales de l’Isère, 52M24.
2 Paul WEISBUCH, La Faculté de droit de Grenoble (an XII-1896), th. droit, dact., Grenoble, 1974, p. 129 et suivantes.
3 « Ordonnance portant suppression de la Faculté de droit de Grenoble », 02.04.1821, Arthur Marais de BEAUCHAMP, Recueil des lois et règlements sur l’enseignement supérieur, Paris, Delalain frères, 1885, t. I, p. 472. Bulletin des lois du royaume de France, 7e série, t. XII, p. 239-240
4 En 1906, le centenaire de la Faculté conduit le professeur Balleydier à présenter la suppression de la Faculté sous l’angle de ses enjeux politiques nationaux, BALLEYDIER (Paul), « La Faculté de droit (1805-1905) », in Livre du centenaire de la Faculté de droit de Grenoble. Discours, études et documents, Université de Grenoble, Typographie et Lithographie Allier frères, 1906, p. 70-114. En 1974, Paul Weisbuch complète ce tableau national par d’utiles éléments locaux, politiques eux aussi, WEISBUCH (Paul), op. cit., p. 129-147.
5 Lettre de Jules-Claude Masse, étudiant à l’ex-Faculté de droit de Grenoble, adressée au comte de Corbière, ministre- président du Conseil royal de l’Instruction publique, avril 1821, AN, F17 2106, pièce 181.
6 Voir l’étude de M. Cyrille Marconi dans le présent ouvrage.
7 Celles de médecine sont également concernées. On observera que Facultés de droit et de médecine comptabilisent alors le plus grand nombre d’étudiants.
8 Lettre du Conseil de l’instruction publique au recteur de l’Académie de Rennes, 11.07.1816, AN, F17 2105.
9 Pour l’ensemble de la correspondance et des procédures relatives à ces affaires, AN, F17 2105.
10 Pierre MOULINIER, « Genèse d’une jeunesse au XIXe siècle. Quand les étudiants devaient rendre des comptes », in Ludivine BANTIGNY et Ivan JABLONK, Jeunesse oblige. Histoire des jeunes en France (XIXe-XXe siècle), Paris, PUF, p. 37-50.
11 A l’instar de Peyronnet, ministre de la Justice, d’après Paul WEISBUCH, op. cit., p. 137.
12 Arrêté du Conseil de l’Instruction publique (maintien du « bon esprit »), 30.11.1819, BEAUCHAMP, op. cit., t. I, p. 439 ; arrêté du Conseil royal de l’instruction publique (police intérieure des Facultés), 07.05.1820, ibid., p. 436-437 ; arrêtés du même (attroupements illicites et voies de fait), 05.06.1820 et 11.06.1820, ibid., p. 439 ; ordonnance royale (Facultés de droit et de médecine), 05.07.1820, ibid. ; arrêtés du Conseil royal de l’instruction publique (écoles secondaires et Faculté de médecine de Paris), 07.11.1820, ibid., p. 454-458 ; instruction du même (juridiction de l’Université envers ses membres), 19.01.1821, ibid., p. 461.
13 Pour la Faculté de droit de Grenoble en 1821 : Planel (doyen), Pal, Bally, Burdet père, Bolland, professeurs ; Quinon et Pellat, professeurs suppléants ; Cheminade, secrétaire de la Faculté.
14 Pour le conseil académique de l’Isère jusqu’en juin 1821 : Sordes, recteur de l’académie de Grenoble, Trémisot, inspecteur de l’académie, Planel, doyen de la Faculté de droit, Chabert, doyen de la Faculté des sciences, Besson, secrétaire général de la préfecture de l’Isère, Faure, conseiller à la Cour royale, Burdet, professeur de droit, Darjou, proviseur du Collège royal, Cheminade, secrétaire général de l’académie. A compter de la suppression de la Faculté de droit, les professeurs Planel et Burdet cessent de siéger, considérant qu’ils ont perdu la qualité nécessaire pour participer au conseil académique. Renvoyé, le recteur Sordes est remplacé provisoirement par l’inspecteur d’académie Morin, chargé de l’administration de l’Académie ; l’influent négociant grenoblois Perrier entre également au conseil. Registres de délibérations du conseil académique de l’Isère, AD Isère, 21 T 16.
15 Les textes les plus importants sont l’arrêté du 7 mai 1820, l’ordonnance royale du 5 juillet 1820 et la circulaire du 19 juillet suivant. Dans cette dernière, Cuvier indique clairement comme un effet de la bonté du roi cette dernière marque de confiance pour l’autorité académique, face à celle des préfets : « Le roi aurait pu appesantir sur ces jeunes gens la surveillance de l’autorité civile ; il a mieux aimé les traiter conformément à leur âge et les soumettre à l’autorité paternelle de leurs professeurs ». En réalité, l’autorité des recteurs sort bien plus renforcée que celle des professeurs des dispositions de l’ordonnance du 5 juillet 1820.
16 Circulaire aux recteurs, 19.07.1820, Beauchamp, I, 377 et s.
17 Ordonnance du 5 juillet 1820, article 7.
18 Ibidem.
19 Ibid.
20 Ibid., article 18.
21 Sur les variations de chiffres, voir Paul WEISBUCH, op. cit., p. 131-132 et Baron CUVIER, Rapport du baron Cuvier, président du conseil royal de l’Instruction publique par interim, sur la réorganisation de la Faculté de droit de Grenoble, s. d., AN, F17 1977, pièce 275. Face aux huit noms livrés par les professeurs, le préfet d’Haussez et le Conseil royal de l’Instruction publique en la personne de l’abbé Eligaçaray, l’un de ses membres, répandent la conviction que les étudiants séditieux sont une centaine.
22 Arrêt de la Cour de cassation portant renvoi des accusés devant la Cour d’assises du Doubs, 11.01.1822, AD Isère, U 7.
23 Marc Colombat fils. Les sept autres étudiants désignés par les professeurs ont tous réussi à se réfugier en Savoie.
24 Caractère particulièrement mis en avant dans les études de Louis Balleydier et de Paul Weisbuch.
25 Arrêt de la chambre des mises en accusation de la Cour d’assises de l’Isère, 05.05.1821, AD Isère, U 7.
26 Arrêt de la Cour d’assises du Doubs, 20.04.1822, AD Isère, U 7. Colombat fils est alors condamné à un an de prison et 1 000 francs d’amende, reconnu coupable d’avoir préparé l’installation du drapeau tricolore sur la citadelle qui surplombe la ville, de l’y avoir hissé et d’avoir porté la cocarde tricolore.
27 Paul WEISBUCH, op. cit., p. 134 et s.
28 « L’ordonnance qui supprime la Faculté de droit de Grenoble fait ici le meilleur et le plus grand effet. Le roi et les ministres que j’ai vus hier au soir, à une petite fête, m’en ont parlé avec des éloges non suspects. Cela honore l’administration de M. de Corbière », Lettre de Chateaubriand au baron Pasquier, 15.04.1821, citée par Paul WEISBUCH, op. cit., p. 135.
29 Ordonnance royale du 2 avril 1821, article 2.
30 Les inscriptions sont en effet trimestrielles. Les étudiants doivent donc s’inscrire pour les cours des mois d’avril, mai et juin 1821.
31 Dès le 22 mars, Sordes écrit au doyen Planel pour l’inviter « à prendre des notes de chaque professeur sur les étudiants qui sont les moins assidus et les moins appliqués » afin de se livrer à une première « désignation » aux autorités. AN, F7 2106, pièce 255.
32 Paul WEISBUCH, op. cit., p. 132.
33 Pétition de M. J. Michel, 01.07.1821, AN, F17 2106, pièce 36.
34 Pétition de François Joachim Massot, 04.04.1821, AN, F17 2106, pièce 179.
35 Certificat délivré par le préfet de l’Isère à Jules Claude Masse, 09.04.1821, AN, F17 2106, pièce 182.
36 Dossier Reynier, AN, F17 2106, pièces 57 et 58. Ici, le CRIP a préparé l’arrêté autorisant l’inscription dans une nouvelle Faculté, mais en suspend l’application le temps que le jeune Reynier fournisse un certificat d’assiduité aux cours de Grenoble, manquant au dossier.
37 Les étudiants, ou leurs parents, se plaignent au ministre président du CRIP de l’impossibilité de disposer des certificats d’assiduité et bonne conduite exigés par la loi et le préfet. Voir par exemple la lettre du sieur Faulcon adressée le 25 mai 1821 au comte de Corbière, AN, F17 2106, pièce 64. Une sous-chemise intitulée « Demandes faites par les étudiants de la Faculté de droi - Sans certificat » réunit une partie des plaintes similaires et des dossiers incomplets, AN, F17 2106, pièces 66 et s.
38 Ordonnance royale du 5 juillet 1820, op. cit., art. 17 et 18. Registre de délibérations de la Faculté de droit, 20.03.1821, AD Isère, 20 T 3.
39 En dépit d’une lettre de recommandation très appuyée de Mounier, transmise par Corbière, Pellat n’obtient pas la translation souhaitée. Le doyen de la Faculté de Paris devait au contraire montrer une très forte irritation face à cette tentative de dérogation à la voie du concours et signifier au ministre que « la Faculté de Paris s’opposera toujours avec la plus grande force à l’admission d’un pareil système, dont le résultat nécessaire serait de la priver du droit que la loi du concours assure à toutes les Facultés du royaume : celui de se donner des collègues, ou du moins d’entrer pour quelque chose dans le choix de ses membres », AN, F17 2106, pièces 287 à 289.
40 Dossier Quinon, AN, F17 2106.
41 AN, F17 2106, pièces 245 à 295. Voir en particulier la correspondance de Bazille, conseiller à la Cour royale de Grenoble, qui souhaite être « appelé à une chaire avec le titre de doyen » en cas de rétablissement de la Faculté de droit, ou celles de Garric, appuyée par Berryer fils et de Vionnois, soutenu par Bellart et Sirey.
42 Lettre de Berriat Saint-Prix au ministre président du Conseil royal de l’Instruction publique, 29.04.1821, AN, F17 2106, pièce 286.
43 Sur ce point, voir Paul WEISBUCH, op. cit., et Louis BALLEYDIER, op. cit.
44 Martial MATHIEU, « Facultés de droit et réforme universitaire au XIXe siècle : la conquête d’un statut », RDP, n° 124/2008, 4, p. 999 et s.
Notes de fin
1 Cet article est repris d’une publication dans les Annales de l’Université Toulouse 1 Capitole, 2009, p. 35 à 51.
Auteur
Professeur d’histoire du droit à l’Université Pierre Mendès France, Grenoble 2
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