Charles Ginoulhiac, docteur en droit à Aix en 1840
p. 475-488
Texte intégral
1Il y a des hommes qui ont marqué l’histoire du droit au XIXème siècle. Charles Ginoulhiac fait partie de ceux-là. Co-fondateur de la Revue historique de droit français et étranger en 1855, il est connu également pour ses multiples travaux, pour avoir occupé la première chaire d’Histoire du droit français à la Faculté de droit de Toulouse en 18591 et enfin pour avoir écrit un Cours élémentaire d’histoire générale du droit français public et privé, paru en 18842. La découverte de documents inédits aux Archives nationales permet aujourd’hui de mieux connaître une étape importante de sa carrière universitaire, celle de sa soutenance de thèse devant la Faculté de droit d’Aix en 1840. Élève au début de son cursus universitaire de civilistes de renom à la Faculté de droit de Toulouse tels François Malpel, Edouard Delpech ou Auguste Carles, Ginoulhiac a suivi pour la fin de ses études juridiques son frère aîné, Jacques-Marie-Achille, qui avait été nommé à l’époque vicaire général à Aix3. C’est dans cette ville chargée d’histoire qu’il soutint sa thèse.
2 Le carton F17 1966 renferme une correspondance entre le doyen et professeur de droit romain Jean-Baptiste Bernard4, le recteur et civiliste Paul de Fougères de Villandry5 et le ministre de l’Instruction publique Victor Cousin6. Ces échanges épistolaires concernaient le compte-rendu écrit de sa soutenance ainsi que la demande du diplôme délivré par le remplaçant de Cousin, Villemain, en fonction en novembre 18407. Ils ont été suscités par la circulaire du 11 août 1840 qui obligeait le doyen à rendre un rapport écrit sur toutes les soutenances de thèses afin que le ministre put délivrer ou non le doctorat en droit en connaissance de cause8. Ginoulhiac a soutenu sa thèse de doctorat en août 18409. Cette thèse a été imprimée à Aix et dédiée à son frère aîné. À la fin figure la mention : « Vu par nous professeur doyen, président de thèse, membre de la légion d’honneur. Bernard. Vu et permis d’imprimer. Le recteur de l’Académie, membre de la légion d’honneur. Defougères ». L’ouvrage comprend cinq parties inégales. Il y a tout d’abord treize pages de droit romain portant sur le régime dotal ; vingt-trois autres pages analysent la réserve et la quotité disponible dans le code civil, douze traitent de l’appel en procédure civile, dix portent sur les sociétés commerciales et enfin cinq sont consacrées aux recours pour abus en droit administratif. L’ensemble de la recherche fait 63 pages10. La tradition était de critiquer ce type de travail universitaire11. Ginoulhiac fut donc questionné pendant la soutenance et a manifestement bien répondu.
3Bernard signale tout d’abord que Ginoulhiac s’est vu reprocher d’avoir apparemment mal compris ce qu’était la donatio propter nuptias, d’avoir considéré qu’elle ne constituait qu’une « simple disposition de garantie pour assurer le remboursement de la dot » et d’avoir semblé l’assimiler à l’augment de dot. De fait, Ginoulhiac avait affirmé que cette donatio était faite à la femme in securitatem dotis et avait conclu le passage qu’il lui avait consacré en écrivant qu’elle était appelée chez nous (apud nos) augment de dot12. Mais Bernard ajoute que Ginoulhiac a su montrer au jury qu’il était loin de confondre ces deux institutions. Autre point des débats : le professeur de droit romain n’a pas été pleinement satisfait de la définition de la dot qu’a donnée l’impétrant, mais il n’explique pas pourquoi. Il écrit simplement que cette définition laisse à désirer, même pour ce qui a trait à l’ancien droit romain. En réalité, Ginoulhiac a donné successivement deux définitions de la dot dans sa thèse. Au début de son développement, se plaçant aux temps anciens de Rome, il a défini la dot comme étant ce qui est acquis au mari grâce à sa femme, plutôt que ce qui est donné au mari afin de subvenir aux charges du mariage13. Ensuite, parvenu au droit de Justinien, il a défini la dot comme ce qui est donné au mari, au nom de sa femme, pour subvenir aux charges du mariage14, et cette conception évolutive ne semble pas aussi contestable que Bernard le laissa entendre dans sa lettre à Victor Cousin15.
4Bernard a poursuivi son rapport indiquant que « l’attaque » du jury, à propos de la dot, avait permis à Ginoulhiac de « prouver qu’il connaissait les effets de la manus ». Mais il n’apporte aucune précision à cet égard. Toujours est-il que dans sa thèse, Ginoulhiac a traité de façon claire des effets de la conventio in manum. Il a écrit que celle-ci avait pour conséquence de transférer tous les biens de la femme au mari, à titre de dot. La femme n’a donc dans ce cas aucun droit sur sa dot durant le mariage. Elle prend part, le cas échéant, à la succession de son mari en qualité de fille, à parité avec chacun de ses enfants. Si le mariage est rompu par un divorce causé par la faute de son mari, elle bénéficie de la restitution de la dot. Si elle meurt avant son époux, celui-ci reste propriétaire de la dot. Tel était, précise Ginoulhiac, l’état du très ancien droit romain16. Cet exposé paraît exact, sous une réserve toutefois : il semble très contestable que la restitution de la dot en cas de divorce causé par la faute du mari ait été imposée dès l’époque archaïque17. En l’absence de conventio in manum, poursuit Ginoulhiac, la femme reste soumise à la patria potestas, ou, si elle est déjà sui juris, elle garde son autonomie. Son mari n’a alors aucun droit sur ses biens parce que, assure le futur docteur de façon aussi brève que catégorique, « le droit sur la dot est la conséquence de la puissance maritale »18.
5Bernard évoque ensuite les positions de la thèse sur l’obligation de doter. Il en dit simplement qu’elles ont permis à Ginoulhiac de développer devant le jury « les principes de cette loi Julia papia poppaea qui voulut ramener au mariage par la crainte et les récompenses ». De fait, dans sa thèse, le candidat avait parlé des lois du temps d’Auguste favorables au mariage19. Il avait indiqué la substance de la loi Julia de adulteriis relative au fonds dotal et les modifications que lui avait apportées Justinien20. Il n’avait pas cité, en revanche, la loi Papia Poppaea, elle aussi de l’époque augustéenne21. C’est peut-être parce qu’il ne l’avait pas mentionnée expressément que Ginoulhiac avait été interrogé sur elle et que Bernard tenait à préciser qu’il la connaissait.
6Par la suite, Ginoulhiac s’est vu reprocher ses écrits concernant l’attitude de l’héritier face à la réserve22. Cette question fut très controversée entre le XVIème et le XIXème siècle car pour certaines coutumes la réserve était une pars hereditatis23. Ginoulhiac prit donc à ce sujet une position visiblement trop tranchée en reconnaissant que l’action en réduction étendait la réserve aux donations. Dans le même domaine, Bernard écrit qu’il aurait pu « mettre plus de précision » entre « la réserve coutumière fondée sur un but politique (… et) la légitime fondée sur un principe d’humanité ». Même si effectivement Ginoulhiac passe relativement vite sur cette distinction dans sa thèse, sûrement parce que ces deux actions s’opposent dans son esprit en pays de coutume quant à leurs caractères et à leurs soubassements juridiques et idéologiques24, il a quand même montré qu’il faisait la différence entre les deux institutions. Plus spécifiquement, il indique que la réserve est « de droit naturel »25. Ce jusnaturalisme moderne, grâce à des auteurs comme Grotius, Pufendorf ou Domat, doit selon lui s’accommoder d’une propriété répandue qui est le fondement de toute société civilisée26. L’appetitus socialis de Grotius est mis en lumière, l’instinct de sociabilité de Pufendorf est confirmé, pour conclure enfin en référence à Montesquieu que « la succession est de droit social ou naturel »27. En fait, Ginoulhiac ne fait que reprendre une littérature juridique conservatrice, littérature combattant l’idée de la propriété comme simple création sociale, avec comme chef de file Charles Comte en 1834 ou Jean-Baptiste Proudhon en 183928. En ce qui concerne plus précisément la légitime, celle-ci ne posa pas de problèmes car l’intérêt des enfants avait été relevé à juste titre29. Ainsi, la nette démarcation entre la réserve et la légitime fit dire à Bernard que Ginoulhiac « avait une assez exacte connaissance du droit coutumier, ce qui n’est pas sans quelque mérite dans nos contrées ».
7 Bernard continue son rapport en signalant les précisions utilement apportées par Ginoulhiac sur les sociétés contractées « ayant un objet non commercial ». Dans sa thèse, le futur docteur mentionne en ce sens la vente d’immeubles comme « n’étant point un acte de commerce »30. Il n’a pas été dupe des nombreuses confusions faites à l’époque entre par exemple les sociétés anonymes et les sociétés civiles car il distingue parfaitement l’objet des sociétés civiles à forme commerciale, dont les constructions immobilières font partie, des sociétés commerciales31.
8Bernard reconnaît ensuite qu’en procédure, l’appel a été parcouru sérieusement, mais « sans considérer nos lois du point de vue qui permettrait de signaler les innovations ». En effet, Ginoulhiac a recours à l’histoire et stigmatise dans sa thèse le droit révolutionnaire et son appel circulaire, procédure en contradiction avec les efforts lointains de saint Louis en faveur de l’abolition du duel judiciaire32. Louis IX a effectivement prohibé en 1258 ce duel ayant pour origine la prise à partie coutumière. Dans cette éventualité, un nouveau procès était instruit par le parlement entre « l’appelant » et le juge de première instance33. En ne remplaçant pas les parlements par des Cours d’appel, la loi du 24 août 1790 faisait selon Ginoulhiac que « l’appel des tribunaux de district était porté des uns aux autres ; l’on détruisit par cette égalité une de ses bases »34. Le code de procédure civile a permis finalement de rééquilibrer ce système « plus conforme [aux] mœurs »35.
9Enfin, Bernard valide les arguments du candidat concernant les « libertés de l’Eglise gallicane » et l’appel comme d’abus à chaque « fois qu’il y a violation des canons sur la discipline ecclésiastique ». Dans sa thèse, l’impétrant, citant à plusieurs reprises le bonapartiste et auditeur au Conseil d’Etat Louis-Marie de Cormenin36, analyse cette procédure en deux temps : celui du déclenchement de l’appel et celui des compétences. Selon Ginoulhiac, le Conseil d’Etat exerce des fonctions importantes notamment dans la juste délimitation entre le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel. Ceci est d’autant plus flagrant que « l’Eglise et l’Etat ont des rapports nécessaires, et de leur bonne harmonie dépend (sic) la tranquillité publique et le repos des citoyens »37. Dès lors, la nécessité de la vérification préalable en Conseil d’Etat de toutes les bulles du pape ne fait pas de doute puisque « le pouvoir séculier a la police du culte »38. En réalité, on confia à la plus haute autorité administrative la compétence en matière d’abus en raison de la grande méfiance du gouvernement vis-à-vis des tribunaux judiciaires, lesquels pouvaient remettre en cause, par leurs décisions, la politique initiée dans ce domaine par le pouvoir39. Le rapport de soutenance finit par reconnaître les mérites du candidat quant à ses connaissances « vraies » et « durables ».
10Un extrait du registre du procès-verbal d’examen mentionne l’obtention des cinq boules blanches. La lettre du doyen Bernard du 12 septembre 1840 envoyée au ministre indique que c’est un excellent travail et que Ginoulhiac a bien traité les thèmes qui lui étaient imposés. Désireux de mettre à profit les indications qui lui ont été données par ses contradicteurs ou aspirant à démontrer scientifiquement a posteriori ses qualités de compréhension en ce qui concerne ces sujets, il publiera deux ans après un ouvrage sur le régime dotal, livre couronné par la Faculté de droit d’Aix40 ; six ans après il publie un article sur la légitime41 et enfin dix-neuf ans plus tard une recherche sur le droit coutumier42. Le 15 septembre 1840, le recteur envoya le rapport de soutenance en annexe d’une lettre adressée au ministre en indiquant que ledit rapport était cependant peu explicite. Cette remarque n’était sans doute pas anodine : Fougères de Villandry avait émis l’année précédente l’idée que les recteurs devraient pouvoir « assister aux actes des Facultés pour y maintenir une juste sévérité »43.
11Dans cette première moitié du XIXème siècle, la baisse des exigences universitaires en ce qui concernait la délivrance des diplômes était souvent déplorée. Les Facultés, pas seulement de droit d’ailleurs, craignaient par leur sévérité de décourager les étudiants qui pouvaient alors se retourner vers d’autres établissements réputés plus indulgents44. Les épreuves du doctorat faisaient par conséquent l’objet d’une attention particulière du ministère. Il était important de s’assurer que les épreuves aient été menées d’une manière sérieuse afin de confirmer les connaissances réelles des candidats45. Le recteur de Fougères pensait qu’en l’espèce « le Conseil royal [ne serait pas] à même de constater et d’apprécier la force relative des épreuves afin qu’il puisse maintenir partout à la hauteur convenable le niveau des études ». Un rapport spécifique de soutenance de deux feuilles n’était visiblement pas suffisant pour y parvenir. Toutefois, une minute du ministère de l’Instruction publique du 23 octobre suivant relate que les épreuves du doctorat de Ginoulhiac ont quand même été soutenues « avec assez de distinction ». Le 21 novembre 1840, Villemain répond au recteur que, malgré effectivement le texte peu explicite relatant la soutenance, il approuve le jugement de la Faculté de droit d’Aix et décide que le diplôme de docteur sera accordé à l’intéressé. Le jeune docteur aixois rendra un hommage appuyé à Villemain dans la courte préface de son ouvrage sur le régime dotal.
12Ginoulhiac sera nommé le 12 octobre 1846 professeur suppléant provisoire dans cette Faculté. Une lettre de l’inspecteur Charles Giraud au ministre Narcisse-Achille de Salvandy du 25 septembre 1846 indique qu’il était déjà « l’auteur de divers ouvrages estimés et recommandés plusieurs fois à l’attention du grand maître par les jurys des concours »46. Après avoir fait un cours d’Introduction générale au droit pendant deux ans, contenant de larges passages historiques comme le faisait à la même époque un autre professeur suppléant à Poitiers, Pierre-Jules Minier47, il démissionnera le 14 novembre 184848.
Annexe
Annexe Archives Nationales F17 1966,
Lettre du doyen [Jean-Baptiste Bernard] au ministre [Victor Cousin] du 12 septembre 1840, 2 folios.
« Faculté de droit d’Aix
Cabinet du Doyen
Aix, le 12 septembre 1840
Monsieur le Ministre,
J’ai l’honneur de transmettre à votre excellence la thèse soutenue devant la Faculté par le Sieur Ginoulhiac. Ce jeune homme a subi les épreuves avec distinction, il sait les matières qu’il a traitées, il les connaît à la hauteur de vue qu’il a su prendre dans son travail écrit. Si la discussion orale n’a rien ajouté aux preuves que sa thèse donnait de ses connaissances, il n’est pas resté en dessous de ce qu’elle promettait.
Attaqué sur le droit romain à cause de la manière dont il paraissait avoir compris la législation relative à la donation propter nuptias, et sur l’assimilation qu’il paraissait en faire à l’augment de dot, passé du droit de Constantinople dans notre ancien pays de droit écrit, il a démontré [fol. 1 v°] que tout en embrassant l’idée erronée de considérer cette donation comme une simple disposition de garantie pour assurer le remboursement de la dot, il était loin de la confondre avec l’augment : si la définition de la dot laissait à désirer sous le point de vue de l’exactitude, même dans l’ancien droit, l’attaque lui a fourni l’occasion de prouver qu’il connaissait les effets de la manus ; comme les propositions sur l’obligation de doter lui ont permis de développer les principes de cette loi julia pappia poppaea qui voulut ramener au mariage par la crainte et les récompenses.
L’origine de la réserve en droit français était une question trop importante pour qu’on put ne pas contredire celle-là des propositions qu’il émettait, que l’héritier appelé qui réserve à cette qualité peut retenir jusqu’à concurrence de cette réserve les dons entre vifs qui lui ont été faits, le candidat a précisé sa défense dans le droit coutumier et quoi qu’il eut pu mettre plus de précision dans la distinction que paraissait lui fournir la différence de la réserve coutumière, fondée sur un but [fol. 2] politique, la conservation des biens dans la famille, d’avec la légitime fondée sur un principe d’humanité et accordée à la qualité d’enfant, il a prouvé qu’il avait une assez exacte connaissance du droit coutumier, ce qui n’est pas sans quelque mérite dans nos contrées.
L’appel en procédure, les sociétés en droit commercial, l’appel comme d’abus un des objets essentiels de nos lois administratives, ont été successivement parcourus, en laissant toujours démontré que sans considérer nos lois du point de vue qui permettrait de signaler les innovations, le candidat a traité en juriste les difficultés qui lui ont été présentées. Par exemple sur l’effet des sociétés contractées dans les formes que le code de commerce a établies, mais ayant un objet non commercial, ou sur l’appel comme d’abus souvent trop difficile à émettre, il a fait preuve qu’il connaît bien la loi commerciale ; qu’il est aussi des libertés de l’église gallicane, et il a nettement fixé les règles sur l’abus, en démontrant qu’il existe [fol. 2 v°] toutes les fois qu’il y a violation des canons sur la discipline ecclésiastique.
Ainsi les connaissances de ce candidat sont vraies ; elles sont durables parce qu’elles sont le résultat de profonds travaux et d’un jugement sain.
Je suis avec respect de votre Excellence
Monsieur le Ministre
le très humble
et très obéissant serviteur
le Doyen
Bernard ».
Lettre du recteur [Paul de Fougères de Villandry] au ministre de l’Instruction publique [Victor Cousin] du 15 septembre 1840, 2 folios.
« J’ai l’honneur de vous transmettre deux certificats d’aptitude au grade de docteur en droit délivrés par la Faculté d’Aix à MM. Rollet et Ginoulhiac. J’y joins : 1° deux exemplaires de la thèse soutenue par chacun de ces candidats ; 2° une note indiquant que le résultat du scrutin a été, pour le 1er, de 2 boules blanches et 3 rouges, et pour le 2ème, de 5 boules blanches ; 3° enfin un rapport spécial de M. le Doyen sur la manière dont les épreuves ont été soutenues.
Ce rapport, en ce qui concerne M. Rollet, n’entre dans aucun détail qui permette d’asseoir une opinion raisonnée sur le mérite de ce candidat. Il paraît seulement [fol 1 v°] que l’indulgence de la Faculté a été grande à en juger par ce passage : « la Faculté aurait pu se montrer plus sévère, si elle n’avait pas cru devoir encourager en la personne de celui qui se présentait le premier, les aspirants assez nombreux au grade de docteur.
Les explications, en ce qui concerne M. Ginoulhiac sont un peu plus explicites. Mais elles n’ont pas toute la clarté et toute la précision désirables, et je doute qu’elles concourent efficacement au but que vous vous êtes proposé, qui est de mettre le Conseil royal à même de constater et d’apprécier la force relative des épreuves, afin qu’il puisse maintenir partout à la hauteur convenable le niveau des études.
Au reste, ces rapports sont les premiers qui vous sont adressés en exécution des prescriptions de votre lettre du 11 août dernier. Cette circonstance est l’excuse de leur imperfection. Lorsque les remarques auxquelles ils doivent donner lieu auront bien fait comprendre vos intentions à la Faculté, elle vous soumettra, je l’espère, des comptes-rendus moins vagues et plus complets. La nécessité où elle sera de justifier sa décision aux yeux du Conseil [fol. 2] royal, lui fera, s’il est possible, prêter plus d’attention aux épreuves, attacher plus d’importance à l’appréciation exacte de leurs résultats ; et c’est ainsi que l’excellente mesure que nous exécutons aujourd’hui pour la première fois portera tous ses fruits, en rendant les examens plus sérieux, les études préalables plus réelles et plus soutenues, et l’instruction plus solide.
Je suis avec respect,
Monsieur le Ministre
Votre très-humble et très-obéissant serviteur, le Recteur Defougères ».
Minute du ministère de l’Instruction publique du 23 octobre 1840, 2 folios.
« Monsieur le Recteur de l’Académie d’Aix transmet avec les diverses pièces exigées les certificats d’aptitude au grade de docteur accordés à MM. Rollet et Ginoulhiac par la Faculté de droit d’Aix.
D’après le rapport du Doyen, M. Ginoulhiac a soutenu les épreuves du doctorat avec assez de distinction ; il a fait preuve de connaissances vraies qui prouvent de profonds travaux et un jugement sain.
Quant à M. Rollet, le jugement de M. le Doyen n’a pu lui être favorable. Ce candidat n’a pas été plus fort dans l’épreuve orale que dans l’épreuve écrite ; il paraît n’avoir pas retiré de son assiduité aux cours et d’un travail consciencieux tous les fruits que l’on devait en attendre. M. le Doyen déclare que la Faculté aurait pu se montrer plus sévère à l’égard de M. Rollet, mais qu’elle a voulu encourager en la personne de celui qui se présentait le premier, les candidats assez nombreux cette [fol. 1 v°] année, au grade de docteur ; il termine en exprimant le désir qu’il soit fait un nouveau programme pour les sujets de thèse, et développe les motifs de sa demande.
M. le Recteur trouve difficile d’asseoir une opinion sur le mérite des deux candidats d’après le rapport du Doyen ; mais il fait observer que ce rapport est le premier qui ait lieu en vertu des prescriptions de la circulaire du 11 août, et qu’il y a lieu de penser qu’ils seront dorénavant plus explicites ».
Lettre du ministre [Pierre-Abel-François Villemain] au recteur [Paul de Fougères de Villandry] du 21 novembre 1840, 1 folio.
« Monsieur le Recteur, j’ai examiné en Conseil royal le rapport de M. le Doyen de la Faculté de droit d’Aix, sur les épreuves soutenues devant cette Faculté par MM. Rollet et Ginoulhiac pour le grade de docteur en droit.
J’ai reconnu, M. le Recteur, ainsi que vous en faites l’observation, que ce rapport était peu explicite, et qu’il permettait difficilement d’apprécier la force relative des candidats. Toutefois, le jugement de la Faculté m’a paru devoir être approuvé ; et j’ai décidé que le diplôme de docteur en droit serait accordé aux deux candidats pour lesquels il est demandé.
Je vous transmettrai prochainement les diplômes de MM. Rollet et Ginoulhiac. Je vous prie de remercier M. le Doyen de son rapport.
M. le Ministre ».
Notes de bas de page
1 P. Nelidoff, « La création de la chaire toulousaine d’histoire du droit (1859) », Histoire de l’histoire du droit, colloque des 1-4 juin 2005, (J. Poumarede dir.), Presses de l’Université des sciences sociales de Toulouse, 2006, p. 145-161.
2 866 pages. Une seconde édition de cet ouvrage paraîtra en 1890 (760 pages).
3 J. Dauvillier, « Le rôle de la Faculté de droit de Toulouse dans la rénovation des études juridiques et historiques aux XIXème et XXème siècles », dans Annales de l’Université des sciences sociales de Toulouse, tome 24, 1976, p. 366 ; P. Nelidoff, v° « Ginoulhiac », Dictionnaire historique des juristes français, (P. Arabeyre, J.-L. Halperin, J. Krynen dir.), PUF, 2007, p. 369.
4 Jean-Baptiste Bernard est né le 6 juillet 1784. Avocat, professeur suppléant à la Faculté d’Aix en 1808 et recteur du Mont de Piété d’Aix en 1810, il devient professeur de droit romain le 1er octobre 1816 et doyen de 1832 au 2 octobre 1842, date de son décès (Arch. nat., F17 20146). Il n’a pratiquement pas écrit durant sa carrière mais sa correspondance révèle quand même une nette inclination pour la promotion du droit romain (O. Motte, Lettres inédites de juristes français du XIXème siècle, t. 1, Bouvier-Verlag, 1989, p. 306 et s.).
5 Paul de Fougères de Villandry est né à Bourges le 15 décembre 1794. Bachelier ès lettres, docteur en droit, avocat à la Cour royale et enfin professeur suppléant, il est institué professeur de la première chaire de code civil le 3 février 1829. Chaire « qu’il a méritée d’après le concours qui a eu lieu le 2 février précédent » (Registre manuscrit du personnel de la Faculté de droit d’Aix). Ces informations nous ont été aimablement transmises par M. J.-L. Mestre que je remercie. Nommé recteur de l’académie d’Aix en 1838, il est suspendu le 22 avril 1848 et révoqué le 31 juillet. Une lettre du 22 avril 1848 d’Emile Ollivier, commissaire du gouvernement provisoire du département des Bouches-du-Rhône, indique que « la suspension du citoyen Defougères a été une nécessité politique. Les opinions du recteur de l’académie d’Aix étaient trop hostiles à la République ». Nommé recteur de l’académie de Lyon le 22 février 1849, il décède le 9 octobre suivant dans la même ville (Arch. nat., F17 20538). Paul de Fougères était proche du camp orléaniste (J.-F. Condette, Les recteurs d’Académie en France de 1808 à 1940, t. 1, INRP, 2006, p. 70). Voir en dernier lieu, M. Gontard, « Un aspect de la lutte entre l’Eglise et l’Etat autour de l’école sous la Monarchie de Juillet : les relations entre Mgr. De Mazenod, évêque de Marseille, et Paul Defougères, recteur de l’Académie d’Aix (1838-1848) », dans Provence historique, octobre-décembre 1977, p. 365-411.
6 Victor Cousin est né le 23 septembre 1792 à Paris. Membre du Conseil royal de l’instruction publique, conseiller d’Etat, directeur de l’Ecole normale et académicien français, il est ministre de l’Instruction publique dans le cabinet Thiers du 1er mars 1840 au 29 octobre 1840 (C. Nique, C. Lelievre, Histoire biographique de l’enseignement en France, Retz, 1990, p. 187-188).
7 Pierre-Abel-François Villemain est né le 9 juin 1790 à Paris. Maître de conférences à l’Ecole normale en 1811, professeur d’éloquence française à la Faculté des lettres de Paris en 1815 et conseiller d’Etat en 1826, il devient vice-président du Conseil royal de l’Instruction publique en 1830 avant d’occuper le poste de ministre de l’Instruction publique, avec des interruptions, entre le 12 mai 1839 et le 24 février 1848. Il décéda le 8 mai 1870 à Paris (Arch. nat., F17 218641).
8 A. de Beauchamp, Recueil des lois et règlements sur l’enseignement supérieur, t. 1, Delalain, 1880, p. 872.
9 La place destinée à mettre le jour est restée blanche sur la thèse. J.-B. Brissaud affirme que Ginoulhiac a obtenu le grade de docteur le 24 août 1840 (« Notice biographique sur M. Charles Ginoulhiac », Recueil de l’Académie de législation de Toulouse, tome 45, 1896-1897, p. 363). Cependant, la liste générale des docteurs admis par les Facultés de droit de l’Empire du 20 novembre 1806 au 1er janvier 1857, établie par A. de Fontaine de Resbecq, mentionne la date du 22 août 1840 (Notice sur le doctorat en droit, A. Durand, 1857, p. 63).
10 C. Ginoulhiac, Thèse de doctorat, F. Vitalis, 1840.
11 J. Imbert, « Passé, présent et avenir du doctorat en droit en France », dans Annales d’histoire des Facultés de droit, n° 1, 1984, p. 22.
12 C. Ginoulhiac, Thèse, op. cit., p. 5.
13 « … Ab antiquis Romae temporibus… dos… non definienda erit, quod marito datur ad onera matrimonii sustinenda, sed potius quod marito per uxorem acquiritur » (ibid., p. 3).
14 « Dotem, nunc ex jure Pandectarum, definiamus quod marito datur, mulieris nomine, ad onera matrimonii sustinenda » (ibid., p. 4).
15 Elle s’harmonise avec l’évolution qu’ont décrite P. Ourliac et J. de Malafosse : « Dans l’ancien droit romain, comme le relève l’étymologie, la dot est une donation. Son affectation aux besoins du ménage résulte seulement des usages. Au cours de l’époque classique, les juristes préciseront les caractères de l’institution. La fréquence des divorces et les transformations économiques qui influent sur l’importance et la composition des dots modifient les données du problème. La dot apparaît comme la contrepartie des charges assurées par le mari du fait du mariage » (Histoire du droit privé, t. 3, le droit familial, PUF, 1968, p. 223- 224).
16 C. Ginoulhiac, Thèse, op. cit., p. 3-4.
17 P.-F. Girard, Manuel élémentaire de droit romain, 8ème édition, par F. Senn, Rousseau, 1929, p. 1010-1011 ; A. Lefebvre-Teillard, Introduction historique au droit des personnes et de la famille, PUF, 1996, p. 109.
18 « Cum jus in dotem maritalis potestatis sit consequentia » (C. Ginoulhiac, Thèse, op. cit., p. 4).
19 Ibid., p. 5-6.
20 Ibid., p. 8-10. Comme on le faisait communément à l’époque, Ginoulhiac parle tantôt de la loi « Julia de adulteriis », tantôt de la loi « Julia de fundo dotali », dont celle-ci constituait une partie, celle relative au fonds dotal.
21 Cette loi caducaire date de l’an 9 après J.-C.
22 Ginoulhiac indique que « les donations forment un droit acquis, droit irrévocable envers tous autres que les réservataires ; sans cela, on porterait atteinte à la maxime : donner et retenir ne vaut. L’action en réduction est dans ce cas nécessaire (…) sans elle, les droits des réservataires seraient souvent inutiles (…) [les donations] ne sont à l’abri qu’autant qu’elles ne dépassent pas la quotité disponible » (ibid., p. 34-35).
23 J. Brissaud, Manuel d’histoire du droit privé, A. Fontemoing, 1908, p. 1630- 1631.
24 P.-C. Timbal, Droit romain et ancien droit français. Régimes matrimoniaux, successions, libéralités, Dalloz, 1960, p. 183.
25 C. Ginoulhiac, Thèse, op. cit., p. 15.
26 Ibid.
27 Ibid., p. 16. Montesquieu écrit que « nourrir ses enfants est une obligation du droit naturel ; leur donner sa succession est une obligation du droit civil ou politique » (De l’esprit des lois, liv. XXVI, chap. VI, éd. par L. Versini, t. 2, Gallimard, 1995, p. 861).
28 J.-P. Levy, A. Castaldo, Histoire du droit civil, Dalloz, 2002, p. 454. « L’absolutisme » de l’article 544 du Code civil semble produire ici tous ses effets (J.-M. Augustin, « L’histoire de la propriété entre droit et devoirs », Mélanges en hommage à Y. Madiot, Bruylant, 2000, p. 144). L’article 544 dispose que « la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements ».
29 « Quant à la légitime, elle était une portion attribuée à chaque enfant, de la part qu’il aurait eue dans la succession de son père, si celui-ci n’avait pas testé » (ibid., p. 19). Selon P. Ourliac et J.-L. Gazzaniga « la réserve porte sur les propres et elle profite à tous les lignagers qui ont sur elle un droit absolu ; la légitime est, au contraire, une action en retranchement des legs excessifs ; elle porte sur tous les biens compris dans la succession, mais ne peut être demandée que par les enfants et exceptionnellement par les frères et sœurs s’ils sont écartés par une turpis persona » (Histoire du droit privé français de l’an mil au Code civil, A. Michel, 1985, p. 336).
30 C. Ginoulhiac, Thèse, op. cit., p. 50.
31 J. Hilaire, Introduction historique au droit commercial, PUF, 1986, p. 208- 209 ; R. Szramkiewicz, Histoire du droit des affaires, Montchrestien, 1989, p. 309 ; E. Richard, Droit des affaires. Questions actuelles et perspectives historiques, Presses universitaires de Rennes, 2005, p. 320-321.
32 C. Ginoulhiac, Thèse, op. cit., p. 38.
33 J.-M. Carbasse, Histoire du droit pénal et de la justice criminelle, 2ème édition, PUF, 2006, p. 204.
34 C. Ginoulhiac, Thèse, op. cit., p. 39.
35 Ibid., p. 39-40.
36 Ibid., p. 60, 62, 63.
37 Ibid., p. 60. En effet, le Conseil d’Etat connaissait des recours contre les décisions abusives des autorités laïques ou ecclésiastiques qui remettaient en cause l’équilibre des pouvoirs institués par le Concordat (F. Burdeau, Histoire de l’administration française du 18ème au 20ème siècle, 2ème édition, Montchrestien, 1994, p. 91). L’opinion commune de conseillers d’Etat « incroyants » a récemment été remise en cause par M. Bouvet qui relève plutôt une absence d’homogénéité religieuse (Le Conseil d’Etat sous la Monarchie de Juillet, LGDJ, 2001, p. 43).
38 C. Ginoulhiac, Thèse, op. cit., p. 61.
39 B. Basdevant-Gaudemet, Le jeu concordataire dans la France du XIXème siècle, PUF, 1988, p. 22.
40 Histoire du régime dotal et de la communauté en France, Joubert, 1842.
41 « Etudes historiques sur le droit civil. Sur la nature de la légitime ou réserve d’après Dumoulin et la jurisprudence », Extrait de la Revue de droit français et étranger, t. 3, Joubert, 1846. Dans sa préface, il indique : « En composant cet opuscule, mon but n’a jamais été d’écrire une monographie historique de la légitime ; j’ai voulu seulement, en étudiant avec soin quelques points douteux de l’ancien droit sur cette matière difficile, en éclairer ou en débarrasser notre droit moderne ».
42 Il publiera sa leçon d’ouverture du cours d’Histoire du droit à Toulouse pour les années 1858-1859 avec pour titre « Cours de droit coutumier français dans ses rapports avec notre droit actuel ». Il écrira que ce droit est une partie, « partie encore vivante dans notre droit actuel » (Revue historique de droit français et étranger, janvier-février 1859, p. 68).
43 « J’ai toujours pensé qu’il serait utile que le recteur de chaque académie pût assister aux actes des Facultés pour y maintenir une juste sévérité (…) mes fonctions de professeur m’autorisent naturellement à prendre part à ceux de la Faculté d’Aix ; je crois que mon concours n’y est pas inutile » (lettre de Fougères au ministre de l’Instruction publique Villemain du 26 juin 1839). Le ministre rejettera cette demande le 31 août 1839 (Arch. nat., F17 20538).
44 G. Caplat, B. Lebedeff-Choppin, L’inspection générale de l’enseignement supérieur au XIXème siècle, INRP, 2002, p. 139-140.
45 Cette volonté ministérielle a par exemple été parfaitement intégrée par le doyen Foucart à la Faculté de droit de Poitiers (M. Touzeil-Divina, Eléments d’histoire de l’enseignement du droit public : la contribution du doyen Foucart (1799-1860), LGDJ, 2007, p. 67).
46 Arch. nat., F17 20838.
47 A. Slimani, « Pierre-Jules Minier, un promoteur méconnu de l’histoire du droit en France au milieu du XIXème siècle », Coutumes, doctrine et droit savant, colloque des 20-21 octobre 2006 (V. Gazeau et J.-M. Augustin dir.), LGDJ, 2007, p. 279-306.
48 Cf. notre article sur « Les débuts de l’histoire juridique moderne à la Faculté de droit d’Aix (1879-1918) » à paraître dans la Revue d’histoire des facultés de droit et de la science juridique.
Auteur
Maître de conférences à l’Université de Picardie-Jules Verne
CURAPP UMR 6054
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