La science Romaniste Bordelaise au xixe siècle
p. 419-444
Texte intégral
1L’enseignement du droit en France au XIXe siècle a fait l’objet, depuis longtemps, de nombreuses analyses. Tout ou presque a été dit sur ces études juridiques, enfermées dans l’exégèse des codes, dépourvues de portée scientifique, et exclusivement tournées vers un positivisme strict1. On sait également que c’est dans le dernier tiers de ce même XIXe siècle qu’une profonde évolution vient affecter l’enseignement du droit. Sous la poussée conjuguée de l’évolution sociale, de la défaite de 1870-1871 et du développement de la fonction publique, celui-ci s’adapte aux mutations de son temps. Avec l’avènement de la IIIe République, le droit civil se fait moins dominateur, et des matières nouvelles entrent dans le cursus des études : économie politique, histoire du droit, etc.2 Dans ce contexte, les enseignants juristes insistent sur le caractère scientifique du droit, et travaillent à dégager des normes rigoureuses, spécifiques à la science juridique3.
2Cependant, toutes ces innovations n’entraînent pas un bouleversement radical dans les méthodes d’enseignement du droit. Il s’agit plutôt d’une évolution, d’un changement dans la continuité. C’est ainsi que les matières traditionnellement fortes, comme le droit civil, demeurent fondamentales au sein des Facultés de droit. On peut en dire autant du droit romain, qui semblait pourtant très menacé par le positivisme ambiant. Les raisons de cette résistance du droit romain sont bien connues. A la fin du XIXe siècle, il est toujours considéré comme la ratio scripta, et, loin d’être obsolète, il renforce même l’étude du droit civil. On l’utilise pour démontrer les origines historiques du droit positif. La valeur des techniques juridiques romaines est jugée à la fois exceptionnelle et permanente4. Bref, le droit romain participe à l’élaboration de la science juridique. Dans un tel climat, l’explication des textes romains reste incontournable pour beaucoup de professeurs. Cette conception de l’enseignement du droit influence profondément les méthodes pédagogiques. Le respect des textes est érigé au rang d’un dogme, et le professeur ne jouit que de peu de liberté : dans la première partie de son cours il dicte à ses étudiants le texte qu’il expliquera dans la seconde. Cette rigueur formelle découle d’ailleurs de la loi elle-même. En effet, la loi du 22 ventôse an XII (13 mars 1804) l’oblige à enseigner le droit romain « dans ses rapports avec le droit français »5. Le droit romain, en dépit de son ancienneté, possède donc une utilité dans l’apprentissage du droit positif. Il s’agit d’aider à la formation d’un esprit juridique apte à interpréter le nouveau droit issu des codifications napoléoniennes, pour mieux l’appliquer6. En ce sens, l’instruction du 19 mars 1807 renforce la prescription de la loi de ventôse : les articles 41 et 42 imposent l’étude des Institutes de Justinien, à la condition que le professeur en expurge tout ce qui est inutile à l’étude de la législation en vigueur. On comprend donc qu’au XIXe siècle, le droit romain constitue un puissant outil d’appréhension du droit civil français, ce qui explique à la fois son maintien et son importance au sein des Facultés de droit7.
3Ainsi encadré et orienté, l’enseignement du droit romain constitue l’une des bases des études juridiques au XIXe siècle. A ce titre, les professeurs français deviennent les dépositaires d’une science romaniste qui se développe tout au long du siècle. Or, nous connaissons peu de choses du contenu des cours proposés aux étudiants. Quelles méthodes pédagogiques utilisaient les enseignants ? Quelle était la structure des cours ? Ces mêmes professeurs se livraient-ils à des activités de recherche ? En un mot, quel était l’état de la science romaniste ? Sans prétendre apporter une réponse exhaustive, ce qui nécessiterait une étude globale beaucoup plus ambitieuse, nous pouvons tenter une approche partielle de ces questions grâce à l’exemple de la Faculté de droit de Bordeaux. Cet établissement présente en effet quelques caractéristiques intéressantes pour nous offrir un cliché de ce que pouvait être la science romaniste dans une Faculté de province au XIXe siècle.
4Tout d’abord, la Faculté bordelaise est fondée en 18708, c’est-à-dire à un moment crucial, non seulement pour l’Histoire de France, mais pour les études juridiques. On remarque le caractère tardif de cette création, qui coïncide à la fois avec l’émergence de la IIIe République, mais aussi avec l’apparition d’une vague réformiste dans l’enseignement du droit. Traumatisés par la défaite, quelque peu hypnotisés par la science allemande9, les juristes réclament une refonte générale des études de droit, enclenchant ainsi un mouvement qui ne s’apaisera qu’à la fin du siècle10. En outre, et pour ce qui regarde la seule science romaniste, l’ouverture d’une Faculté de droit à Bordeaux intervient dans ce que l’on peut considérer comme une période d’apogée pour le droit romain11. Enfin, les archives disponibles sont conséquentes, quasiment intactes, et nous dévoilent à la fois le contenu des cours de droit romain et les travaux de recherche des romanistes bordelais. On doit cette abondance à l’existence de l’inspection générale des Facultés de droit, qui existera jusqu’en 188812. Chaque année, au mois de juillet, tous les professeurs devaient remettre au doyen de la Faculté leurs programmes de cours pour le millésime suivant. Le doyen envoyait tous ces projets au recteur, qui transmettait au ministère. Si bien que pour Bordeaux, nous possédons encore aujourd’hui dix-neuf cours ou plans de cours de droit romain, allant de 1874 à 1886. Ces cours ont été professés par cinq enseignants différents, en 1ère année de licence (huit cours), en 2ème année (sept cours) et en doctorat (quatre cours)13. Si l’on ajoute à ce matériel pédagogique la production scientifique des enseignants, nous aurons une idée assez précise de la science romaniste bordelaise à la fin du XIXe siècle. Nous constaterons ainsi, qu’en matière d’enseignement du droit romain, les romanistes bordelais naviguent entre contrainte et liberté. Quant aux activités de recherche, elles oscillent entre l’inertie complète et une orientation spécifiquement bordelaise assez originale.
I - L’enseignement : entre contrainte et liberté
5En autorisant la création d’une Faculté de droit à Bordeaux, le décret du 15 décembre 1870 jetait les bases de l’organisation du nouvel établissement. Dès l’article premier du texte fondateur, la répartition des chaires est envisagée : le droit civil est d’emblée doté de trois chaires, alors que le droit romain et les autres matières n’en obtiennent qu’une seule. Cette unique chaire de droit romain était confiée à Amédée Couraud, qui recevait en même temps la charge décanale. Cependant, dès la première année de fonctionnement (1871), le doyen Couraud14 voulut offrir aux futurs étudiants bordelais un cursus d’études complet. Il fallait donc trouver un autre enseignant de droit romain, puisque la discipline figurait non seulement au programme des deux premières années de licence, mais comptait aussi un cours de Pandectes en doctorat : ce fut Léopold Giresse. Mais comme il était seulement docteur en droit et non pas agrégé, on le nomma chargé de cours. Il ne devait rester qu’une seule année en poste. Après un échec à l’agrégation, sentant bien que le doyen souhaitait un maximum d’agrégés dans sa Faculté, il préféra démissionner et entrer dans l’administration15. Son départ était d’autant plus logique que la Faculté se vit octroyer une seconde chaire de droit romain, par décret du 23 avril 1871 : elle fut attribuée à Raymond Lanusse, agrégé de 1868, qui prit ses fonctions la même année16. On peut donc considérer que dès la création de la Faculté de droit de Bordeaux, le droit romain se situe en position de force dans les études avec ses deux chaires, juste derrière le droit civil. Les deux chaires étaient d’autant plus nécessaires au droit romain, qu’à l’instar du droit civil, les professeurs de droit romain suivaient les étudiants pendant la progression de leurs études. Par exemple, en 1874-1875, Amédée Couraud enseigne en première année, et en deuxième en 1875-1876. Pendant le même temps, Raymond Lanusse assure le cours de deuxième année en 1874-1875 : on le retrouve en première année de licence en 1875-1876, puis en deuxième année en 1876-1877, et ainsi de suite. Contrairement à une opinion trop répandue, il ne s’agit pas là d’une simple habitude, mais bel et bien d’une obligation réglementaire. Celle-ci découle de la circulaire ministérielle du 10 février 1853, prise sur l’arrêté du 4 février précédent, organisant l’enseignement du droit romain au sein des Facultés de droit (voir infra)17.
6Amédée Couraud enseignera le droit romain pendant vingt ans (1871- 1891). Il sera remplacé en 1891 par Henri Monnier, qui professait déjà les Pandectes en doctorat depuis 1885-1886. Titularisé sur la chaire du doyen Couraud en 1892, Monnier la conservera jusqu’à sa mort en 192018. Ainsi, pendant près de cinquante ans (1871-1920), la première chaire bordelaise de droit romain ne connut que deux titulaires. La deuxième, en revanche, en accueillit bien davantage. Après l’éphémère Giresse, Raymond Lanusse ne l’occupera que peu de temps, puisqu’il décèdera en activité en 1879, après huit années d’exercice seulement. C’est Edouard Cuq qui lui succède. Pur produit de la Faculté de droit de Bordeaux, il y enseigne les Pandectes dès son agrégation, en 1876. Trois ans plus tard, il succède à Raymond Lanusse. Cuq se maintiendra sur sa chaire à Bordeaux pendant quatorze ans, jusqu’en 1893, année de sa nomination à la Faculté de droit de Paris19. C’est Charles De Boeck20 qui le remplace jusqu’en 1906, soit pendant treize ans. On trouve ensuite Pierre Maria21, qui conservera la seconde chaire jusqu’à sa retraite, en 1934.
7Si l’on se limite à la guerre de 1914-1918, on compte donc sept professeurs de droit romain à Bordeaux au cours des cinquante premières années d’existence de la Faculté de droit (deux sur la première chaire et cinq sur la deuxième). Nous n’avons retrouvé les cours que de cinq d’entre eux, concernant la période 1874-1886. Pour la commodité de l’analyse, nous pouvons étudier leurs programmes en distinguant, selon l’usage du temps, entre les cours de licence et ceux de doctorat.
A - Les cours de licence : une variation obligée sur les Institutes
8L’instruction du 19 mars 1807 précitée imposait l’étude des Institutes de Justinien dans le cadre de la licence en droit. Mais cet enseignement n’était pas réparti sur les trois années de licence. Il ne concernait que les deux premières (souvent appelées « baccalauréat en droit », à l’époque). Cette instruction du 19 mars 1807, sera reprise, précisée et complétée par l’arrêté du 4 février 1853, spécialement consacré au droit romain. C’est ainsi que l’article 2 de ce texte maintient l’obligation d’expliquer les Institutes de Justinien, mais impose aux professeurs de les développer à l’aide des textes du Digeste, du Codex et des Novelles. L’article 3 fixe à deux années le cours de droit romain dans les Facultés de droit avec l’alternance bisannuelle des professeurs, comme nous le savons22. L’enseignement des Institutes était donc un véritable pilier des études juridiques. A ce titre, il était très surveillé par les inspecteurs généraux des Facultés de droit, et faisait l’objet des soins les plus attentifs des professeurs, soucieux de se distinguer et d’obtenir les félicitations du ministère.
9Nous n’avons pas retrouvé l’unique cours de Léopold Giresse. Mais nous possédons les plans de six cours du doyen Couraud23, et nous pouvons suivre le cheminement de sa pensée à la fois en ce qui concerne la méthode et le contenu technique de ses enseignements. Dans son plan de cours de première année pour 1874-1875, Amédée Couraud expose ses scrupules méthodologiques. Selon lui, seul le cours de première année de licence est délicat, car il s’adresse à un public totalement néophyte. Il s’agit non seulement de former l’esprit des jeunes étudiants, mais de respecter le programme, qui impose une comparaison avec le droit positif. Mais, d’un autre côté, comment enseigner le droit romain sans donner une idée des institutions de l’Antiquité, ainsi que de la langue juridique en vigueur à cette époque ? En outre, le doyen bordelais était féru de philosophie, et tenait absolument à l’étude des principes juridiques sous l’angle philosophique. Dans ces conditions, Amédée Couraud consacrait de nombreuses séances en début d’année à des prolégomènes historiques. Il donnait un aperçu des institutions juridiques des Romains, et de leur évolution dans le temps. Il traitait aussi des sources du droit romain depuis les origines de Rome jusqu’à Justinien. Il parlait enfin des principales théories juridiques établies par les juristes romains24, et s’efforçait d’initier ses auditeurs à la langue juridique du temps. Ce n’est qu’au terme de cette introduction générale qu’il abordait la partie technique proprement dite du droit romain : les deux premiers livres des Institutes de Justinien. Mais en première année, il préférait sacrifier quelque peu la technicité juridique au profit de la culture générale. Au fil des ans, le professeur Couraud ne manquait pas d’enrichir ses leçons. C’est ainsi qu’en 1878-1879, il proposait une bibliographie sommaire à l’attention de ses étudiants. De la même manière, il introduira des remarques concernant l’épigraphie juridique, dont il était un bon spécialiste25, et fera même une incursion dans la numismatique. En 1882-1883, il abordait quelques notions de procédure, et se plaisait à expliquer quelques concepts obscurs, qui, selon lui, s’éclaircissaient plus facilement par le biais de la procédure. On devine que ces propos introductifs pouvaient devenir fort copieux. Aussi, le doyen Couraud n’utilisait-il que quelques thèmes chaque année, réservant les autres pour les millésimes postérieurs. Cette méthode, particulièrement soignée, recevait souvent l’approbation des inspecteurs généraux des Facultés de droit. Dans la marge du programme de 1874-1875, Charles Giraud écrit : « très bon programme, réfléchi, motivé, rédigé avec soin. Il y a lieu de l’approuver ». En 1878-1879, le même Giraud renouvelle sa satisfaction marginale.
10En dehors de ce travail méthodologique, l’enseignement proprement juridique du doyen Couraud était des plus classiques. Il suivait l’ordre des Institutes, en abordant successivement les personnes, les choses et les actions. Cette articulation était devenue si courante, qu’Amédée Couraud finit par ne plus détailler le plan de son cours de première année, préférant se consacrer à la méthode, qu’il jugeait plus importante pour un public de juristes débutants. En tête de son envoi au ministère pour l’année 1874-1875, il écrira : « Pour répondre au vœu de l’administration et aux prescriptions des circulaires, je crois plus utile d’indiquer en quelque sorte l’esprit général de mon enseignement et la voie que j’entend suivre, que de faire, comme souvent il arrive, une sorte de table des matières qui ne saurait avoir aucune valeur, ni comme science ni comme méthode ».
11Ces problèmes méthodologiques ne se retrouvaient pas en deuxième année de licence. Désormais confirmés, les étudiants poursuivaient l’étude des Institutes avec les obligations et les actions. Le programme était donc purement technique et quasiment immuable. Dans son plan de cours pour l’année 1883-1884, Amédée Couraud écrit : « Il y a plusieurs années que je procède ainsi », ce qui nous montre qu’il employait la même armature pour enseigner en deuxième année. Dégagé de toute préoccupation méthodologique, le programme était juridiquement très fouillé, et ne laissait rien ignorer des subtilités du droit romain. En outre, le souci de comparaison avec le droit positif français pouvait se donner libre cours.
12Pour sa part, Raymond Lanusse partageait largement les points de vue de son doyen. Dans l’unique cours de première année qui soit parvenu jusqu’à nous (1875-1876), il s’attache à présenter le droit romain comme un ensemble vivant, en constant mouvement, en perpétuelle évolution. Se réclamant ouvertement de la méthode historique, Lanusse rattache la construction du droit romain aux institutions publiques. Il montre la mutation incessante du droit, à la fois dans la langue juridique et dans les œuvres des jurisconsultes. Ce travail débouche sur le droit positif, et Lanusse en déduit que l’étude du droit romain est par conséquent d’une utilité immédiate26. Si l’on se penche sur la structure même du cours de Raymond Lanusse, elle nous offre deux parties inégales, de l’aveu même du professeur. La première partie, assez courte, traite de l’histoire externe du droit romain, et concerne surtout les sources. La seconde, beaucoup plus étoffée est entièrement technique. Lanusse la considère comme l’histoire interne du droit romain27. C’est là que l’on retrouve l’étude classique des premiers livres des Institutes. C’est ici également que l’enseignement de Lanusse rejoint celui de Couraud. Même constat en deuxième année de licence, où les livres III et IV des Institutes sont disséqués. Cependant, légère démarcation par rapport au doyen Couraud, Lanusse insiste sur les textes. Il part toujours du texte romain pour aboutir au texte français correspondant, remplissant ainsi l’obligation légale de mise en perspective des deux législations. Nous possédons deux plans des cours que Lanusse assurait en deuxième année, en alternance avec son doyen. Le schéma en est rigoureusement identique, abordant successivement les obligations et les actions, pour une analyse minutieuse.
13Edouard Cuq enfin, successeur de Raymond Lanusse sur la deuxième chaire de droit romain, n’éprouvait pas autant de scrupules méthodologiques que le doyen Couraud. Les plans des quatre cours de première année de licence dont nous disposons, sont purement techniques, et ne contiennent aucune remarque à caractère philosophique. Ces plans sont en outre strictement identiques. Une année sur deux, Edouard Cuq répétait les mêmes leçons, dans le même ordre. On trouvait d’abord une longue introduction sur l’utilité et les divisions du droit romain, suivi d’un exposé sur les sources, envisagées chronologiquement depuis l’Ancien droit jusqu’à Justinien. Puis, l’enseignement du droit romain proprement dit opposait toujours les personnes aux choses. Cependant, si cette summa divisio était incontournable, le professeur pouvait parfois varier le contenu des deux grandes parties de son cours. C’est ainsi qu’en 1883-1884, on trouvera la puissance paternelle et la capitis deminutio dans l’étude des personnes, alors que deux ans plus tard elles laissent place à des considérations plus poussées sur le concubinat, la légitimation et l’adoption. Même remarque en ce qui concerne la seconde partie concernant les choses : tantôt on y trouve les donations, tantôt les testaments. Ces changements n’étaient guère gênants pour les étudiants, qui retrouvaient le même professeur en deuxième année de licence. Si tel pan du droit n’avait pu être étudié en première année, on pouvait toujours commencer par là en deuxième. Sur deux années consécutives, le programme était rempli de toutes manières. Par exemple, Edouard Cuq commencera son cours de deuxième année de licence en 1882-1883 par les successions ab intestat et la bonorum possessio, alors qu’en 1884-1885 il entamera directement son cours par les obligations, suivies des actions, etc. Les cours d’Edouard Cuq se caractérisaient donc avant tout par leur grande technicité, contenue dans un cadre général invariable. Mais à l’intérieur de cette structure rigide, une certaine souplesse existait, conséquence du suivi des étudiants sur les deux premières années de licence.
14Outre le contenu des cours de droit romain du programme de licence, nous pouvons exploiter également quelques informations concernant l’auditoire estudiantin de ces leçons. Les sources de cette nature sont rares. Or, pour les années 1875,1876 et 1877, le doyen Couraud avait dressé une statistique du nombre d’étudiants suivant les cours de chaque professeur de sa Faculté28. Comme nous connaissons par ailleurs le nombre total des inscrits année par année, et sachant que les cours de droit romain étaient obligatoires, nous pouvons nous faire une idée assez précise de l’assiduité des étudiants. De 1875 à 1877, les cours du doyen Couraud ont attiré entre 60 et 70 élèves. Ceux de Raymond Lanusse entre 35 et 45. Or, dans le dossier administratif de Raymond Lanusse29 figure encore une fiche, remontant sans doute à 1875, précisant que ses cours devraient être fréquentés par 122 étudiants et 32 auditeurs libres. Une autre fiche, de l’année suivante, estime à 144 étudiants et 48 auditeurs libres le public qui devrait suivre l’enseignement de Lanusse. Nous avons vu que la réalité était tout autre, puisque les cours de Lanusse ne rassemblaient qu’entre 30 et 35 % de cette estimation. On ne peut certes rien déduire concernant l’impact de ces cours et les qualités pédagogiques des enseignants. Mais nous avons là confirmation de l’extraordinaire absentéisme qui minait les Facultés de droit. Ce phénomène est bien connu, et semble général à l’époque. Tous les doyens le déplorent en gémissant. A Bordeaux, entre 1875 et 1877, le nombre moyen des étudiants inscrits à la Faculté de droit oscille entre 400 et 450, toutes années confondues30. La situation ne s’améliore pas après le tournant du XXe siècle, puisqu’en 1904-1905, le cours de droit romain de Charles De Boeck ne réunissait que 48 étudiants. En 1905-1906, pour sa dernière année de droit romain, le même Charles de Boeck n’intéressa que 70 élèves31. Or, de 1904 à 1906, le nombre des inscrits à la Faculté de droit de Bordeaux s’élevait à 900 étudiants environ… On mesure donc l’extraordinaire déperdition estudiantine et l’effondrement de l’assiduité. Il est vrai que l’on pouvait étudier le droit et subir les examens avec succès sans venir à la Faculté. Les programmes étant strictement définis par la loi, il suffisait de travailler un manuel. Pour le droit romain, l’étude des premiers livres des Institutes pouvait très bien s’accomplir sans l’aide d’un professeur.
15En résumé, les enseignants de droit romain bordelais ont su s’accommoder des obligations contraignantes imposées par les programmes officiels. Si la structure de leurs cours peut paraître à la fois rigide et sclérosée, le contenu de l’enseignement révèle une souplesse certaine. L’enseignant jouit d’une marge de liberté, favorisée par la fréquentation des mêmes étudiants sur deux années consécutives. Ces caractéristiques ne semblent d’ailleurs pas propres à la Faculté de droit de Bordeaux. La comparaison avec d’autres établissements peut même nous inciter à considérer qu’une certaine unité des études de droit romain existait en France à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. Rapprocher les romanistes toulousains et bordelais laisse apparaître les mêmes méthodes et les mêmes canevas pédagogiques. Selon Jean Dauvillier, Gustave Humbert et Joseph Paget étaient de fervents adeptes de la méthode historique, de même qu’Antonin Deloume et André Fliniaux, ce qui rapproche ces professeurs d’Amédée Couraud et de Raymond Lanusse32. La constatation reste identique si nous abordons les enseignements d’Osmin Benech et de son successeur Henri Massol33. Il n’est d’ailleurs pas exclu que les méthodes romanistes toulousaines aient profondément influencé les bordelaises : la renommée de Toulouse est à son zénith dans les dernières années du XIXe siècle, et le doyen Couraud a professé deux ans à Toulouse (1858 et 1859), avant de partir pour Grenoble et de terminer sa carrière à Bordeaux. Peut-être aussi en raison de ces mutations de personnel, la similitude constatée entre romanistes toulousains et bordelais peut-elle s’appliquer à Grenoble et à Montpellier, avec le cas d’Alfred Pierron, professeur de droit romain dans ces deux Universités entre 1878 et 1895. D’abord partisan de la méthode dogmatique, il se laisse gagner par la méthode historique, mais manifeste les mêmes inquiétudes méthodologiques que le doyen Couraud, ce qui se traduit par une profonde réflexion sur l’enseignement du droit romain34. A Lyon, on remarque qu’au début du XXe siècle, Paul Huvelin se signale par sa volonté « de présenter une étude parallèle du droit romain des obligations et du droit français, afin de bien comprendre notre droit français ou faire des études de droit comparé ». Il partage ce souci pédagogique avec son collègue Charles Appleton, ce qui apparente les préoccupations scientifiques lyonnaises et bordelaises35. On pourrait même étendre ce parallélisme jusqu’à Strasbourg36. On aura compris que l’encadrement législatif et réglementaire de l’enseignement du droit romain a fini par entraîner son uniformisation, mais sans toutefois que les romanistes déplorent d’avoir à supporter un carcan administratif. Il est vrai que ces contraintes étaient réservées aux deux premières années de licence. On ne les retrouvait pas au niveau du doctorat, où le cours de Pandectes bénéficiait d’une grande liberté, peu ou pas surveillée.
B - Le cours doctoral de Pandectes : une liberté peu surveillée
16Issu, lui aussi, de la législation impériale du début du XIXe siècle, le cours de Pandectes était propre au doctorat. Il s’opposait ainsi à ce que certains appelaient le « cours d’Institutes », réservé aux deux premières années de licence, ou « baccalauréat en droit ». On remarquera que la troisième année, celle de la licence en droit, était dépourvue de cours de droit romain. Parce qu’il ne concernait que les aspirants docteurs, le cours de Pandectes était beaucoup moins encadré et bien moins surveillé que les enseignements de licence, ce que déploraient quelques professeurs37. Il est vrai que la licence en droit débouchait sur des objectifs professionnels multiples, alors que le doctorat n’intéressait que les futurs enseignants universitaires. Le public estudiantin visé était donc beaucoup plus restreint qu’en licence, ce qui autorisait un relâchement de la surveillance. Ces considérations permettent sans doute d’expliquer l’absence quasi générale des plans de cours de Pandectes dans les archives de l’inspection générale des Facultés de droit. Les inspecteurs généraux s’attachaient surtout à contrôler le contenu des cours de licence. De leur côté, les professeurs de Pandectes étaient conscients du phénomène, et réduisaient au maximum les informations transmises au ministère. C’est ainsi qu’à Bordeaux, le programme de Charles Gide pour son cours de l’année 1875-1876 est réduit à trois lignes seulement, sans entraîner la moindre réaction de la part de l’inspection générale des Facultés. Plus tard, en 1881-1882, Frantz Despagnet se contentera de communiquer les huit titres de ses chapitres.
17Malgré cette aridité des sources, l’étude détaillée des dossiers individuels des professeurs nous permet de glaner quelques indications précieuses. On remarque tout d’abord, en particulier à Bordeaux, que le cours de Pandectes est souvent confié à un jeune agrégé débutant dans la carrière ou arrivant en Aquitaine. Tel est le cas de Charles Gide, agrégé de 1874, chargé des Pandectes l’année suivante. Agrégé en octobre 1876, Edouard Cuq succède à Charles Gide en inaugurant son enseignement bordelais par le même cours. Constatation identique avec Frantz Despagnet, agrégé à la fin du mois de mai 1881, qui commence la même année à Bordeaux avec la même matière. Sans pouvoir être qualifiée de coutume, cette réalité est vérifiable dans d’autres établissements : ainsi, Henri Monnier, agrégé en 1882, débute-il à Caen par le cours de Pandectes. Cependant, cet enseignement pouvait ne retenir que fort peu de temps certains professeurs. L’absence de spécialisation de l’agrégation de droit jusqu’à l’arrêté du 23 juillet 1896, autorisait une rotation rapide. Peu intéressés par le droit romain, bien des enseignants ne conservaient les Pandectes que jusqu’à l’obtention de la chaire qu’ils convoitaient. Charles Gide délaissera les Pandectes pour l’économie politique, puis partira pour Montpellier. Despagnet se consacrera au droit international après une seule année de Pandectes : le droit romain ne lui convenait pas. Toutefois, à Bordeaux, le cours de Pandectes se trouvera rapidement attribué à de véritables romanistes. Notons que le doyen Couraud n’enseignera jamais en doctorat, absorbé par les deux années d’Institutes, l’économie politique, et surtout par sa charge décanale. En revanche, Edouard Cuq remplace Charles Gide en 1876. En 1881, il cède le cours à Despagnet, mais le reprend au bout d’un an : en 1885, il professait toujours en doctorat. Mais c’est Henri Monnier qui totalise la plus longue présence sur ce cours : il prend le relais de Cuq en 1886 et conserve les Pandectes jusqu’à sa retraite en 1919, soit pendant trente-quatre ans. Pierre Noailles lui succèdera.
18En dépit de ces mutations et du manque de plans de cours, nous connaissons les programmes de ce cours de Pandectes bordelais pour quelques millésimes ponctuels. Ici, le choix du professeur s’exprime librement. Dans la plupart des cas, l’enseignant développe un aspect particulier du cours d’Institutes de première et deuxième années de licence. En 1875-1876, Charles Gide traitera des modes d’acquisition et de transfert de la propriété. En 1881-1882, Frantz Despagnet proposera à ses étudiants une analyse des gains légaux et conventionnels de survie entre époux. Le cours de Pandectes insistait surtout sur les textes. Ceux-ci étaient disséqués, analysés, critiqués et commentés de la manière la plus minutieuse. Le cours consistait donc surtout en une exégèse totale des sources textuelles sur un sujet particulier, choisi par le professeur. Titulaire de cet enseignement pendant plus de trente ans, Henri Monnier a laissé de nombreuses traces de son passage en doctorat. Il avait délibérément choisi une fois pour toutes d’explorer le droit byzantin, et ses leçons ont toujours porté sur cet objet. Le cours était systématiquement divisé en trois parties : une introduction générale incluant les définitions indispensables et les intérêts de la matière, une première partie exclusivement dédiée aux sources, et une troisième, variable selon le thème retenu. Entre 1887 et 1892, le futur doyen abordera successivement le mariage, les biens des époux, les obligations naturelles, le régime des biens en Orient du VIe au XIIe siècle et les donations, le tout en droit byzantin. Cette passion pour les études byzantines était connue de tous, même en haut lieu. L’inspecteur Lyon-Caen en relevait surtout les inconvénients : « Monnier parle grec tout le temps, ce que les étudiants ne comprennent pas. Il présente et expose des textes grecs, que les étudiants lisent et assimilent fort mal, en dépit de la traduction. Pour l’examen, ils apprennent la matière par cœur »38. De son côté, Henri Monnier prétendait qu’il lui semblait que « ses étudiants préféraient être interrogés sur le droit byzantin ». Quoi qu’il en soit, le futur doyen bordelais avait une haute idée de l’importance du cours de Pandectes : « Un cours de Pandectes doit avoir, dans mon opinion, un double effet : 1-) Faire voir aux élèves quelques uns des textes sur lesquels sont établies les théories qu’on leur a enseignées dans les cours de licence. 2-) Montrer aux étudiants comment on cherche du nouveau dans des textes nouveaux, comment on critique les textes, comment on les contrôle. Il faut apprendre, au moins aux étudiants de doctorat, à travailler directement sur les sources, sinon les meilleurs ne donneront jamais que des compilations laborieuses et creuses »39. Pour Monnier, les Pandectes approfondissaient non seulement les études de licence, mais débouchaient sur la recherche40. Grâce à son immense connaissance du droit romain, son cours atteignait un niveau scientifique très élevé, ce qui n’était pas forcément le cas pour certains de ses collègues. Nous savons que l’unique cours de Pandectes de Frantz Despagnet en 1881-1882 fut pour le moins médiocre. Nous en possédons le plan en neuf chapitres41. Mais il n’y a pas de chapitre VIII… et, dans cet enseignement consacré aux gains de survie entre époux en droit romain, on rencontre la dot (chapitre IV)… et les coutumes françaises (chapitre VII)… Malheureusement pour lui, Despagnet, pour son premier cours universitaire, subit l’inspection du sévère Calixte Accarias, considéré comme le « Baudry-Lacantinerie du droit romain »42, et dont le Précis avait valeur de Bible auprès de tous les romanistes. L’inspecteur général éprouva un certain étonnement… vite dissipé losque Despagnet abandonna rapidement le droit romain pour se consacrer au droit international, discipline dans laquelle il deviendra un savant reconnu43. Mais il s’agit là d’un exemple isolé. Lorsqu’il était assuré par un véritable spécialiste du droit romain, le cours de Pandectes drainait en réalité un public beaucoup plus vaste que les seuls futurs professeurs de droit. En 1876-1877, Edouard Cuq parlait devant vingt-cinq personnes environ. En effet, quelques étudiants de la Faculté des lettres suivaient le cours de Pandectes, complétant ainsi leurs études d’histoire44. Nous savons aussi que l’enseignement d’Henri Monnier jouissait d’un prestige international, au point que certains anciens étudiants étrangers (grecs en particulier) envoyaient leurs enfants étudier à Bordeaux pour qu’ils bénéficient des cours du doyen byzantiniste45.
19Le bilan de l’enseignement du droit romain à Bordeaux met donc en lumière l’activité de trois professeurs véritablement spécialistes de cette discipline : Amédée Couraud, Edouard Cuq et Henri Monnier. Pierre Maria n’a laissé aucun plan de cours. Les autres maîtres n’ont pratiqué le droit romain qu’épisodiquement : Giresse, Gide et Despagnet une seule année, et Lanusse huit ans. Quant à Charles De Boeck, il passera de la législation financière à Toulouse au droit romain à Bordeaux pour terminer sa carrière dans le droit international. D’une manière générale et sauf très rares exceptions, la matière fait l’objet des soins les plus attentifs de la part des professeurs. La méthodologie est un souci permanent, la pédagogie aussi, avec la volonté constante d’établir une comparaison avec le droit positif. Enfin, la fréquentation assidue des sources originales confère aux études romanistes bordelaises une homogénéité et une veine scientifique indéniables. Ces qualités n’ont pas souffert de la rigidité du cadre réglementaire imposé par la législation, ni des contrôles du ministère. Peut-on en dire autant de la recherche ? Il semble qu’en ce domaine, l’état de la science romaniste bordelaise soit beaucoup plus contrasté.
II – La recherche : entre inertie et orientation spécifique
20L’importance du droit romain dans les études juridiques ne doit pas occulter le fait que cette position dominante est très critiquée au XIXe siècle. Les attaques commencent très tôt, dès le premier tiers du siècle46. S’ouvre alors une controverse entre partisans et adversaires du droit romain. La querelle débordera largement le cadre du seul XIXe siècle, et se poursuivra jusqu’à la seconde guerre mondiale. On sait également que la méthode exégétique commence à reculer devant les exigences des représentants du courant scientifique47. Dans cette ambiance, les enseignants romanistes ont à cœur de démontrer l’intérêt scientifique de leur discipline. En outre, l’introduction de nouvelles matières incite les professeurs de droit romain à publier les résultats de leurs recherches. C’est ainsi qu’à Lyon, Paul Huvelin et Charles Appleton se distinguent par le nombre et la qualité de leurs travaux48. A Toulouse, où la place du droit romain est traditionnellement importante, un grand nombre de professeurs s’illustrent dans le domaine de la recherche scientifique49, etc. Qu’en est-il à Bordeaux ? les romanistes bordelais s’inscrivent-ils dans ce courant qui veut qu’à la fin du XIXe siècle, presque tous les professeurs produisent des travaux scientifiques, soucieux qu’ils sont de répondre aux nouveaux critères scientifiques en vigueur ?50 L’examen de la recherche romaniste bordelaise conduit à nuancer la réponse : on peut estimer que le labeur est pour le moins inégal. En revanche, on remarque que les travaux bordelais portent de préférence sur le droit oriental : s’agirait-il d’une spécialité locale ?
A - Un labeur inégal
21Entre 1870 et 1914, sept professeurs enseignent durablement le droit romain à Bordeaux. N’ayant professé qu’une seule année, Léopold Giresse n’a laissé aucune étude concernant le droit romain, ce qui ne saurait surprendre. Chargés très brièvement du cours de Pandectes, Charles Gide et Frantz Despagnet n’ont rien écrit non plus en droit romain. Il nous faut donc étudier la production scientifique du doyen Couraud, de Raymond Lanusse, d’Edouard Cuq, d’Henri Monnier, de Charles De Boeck et de Pierre Maria pour avoir une idée du volume de la recherche romaniste bordelaise dans les cinquante premières années d’existence de la Faculté de droit. Or, le résultat est très étonnant. Sur cet ensemble de six professeurs, deux seulement ont développé une activité de recherche.
22Bien qu’ayant enseigné les Institutes pendant vingt ans, Amédée Couraud n’a strictement rien écrit en droit romain. Absorbé qu’il était par sa charge décanale, promoteur de l’économie politique dans sa Faculté, le temps lui a sans doute manqué pour la recherche. Pourtant, le redoutable Calixte Accarias se montrait peu indulgent à son égard. Ses appréciations sur le doyen bordelais étaient pour le moins sévères : « …M. Couraud n’est pas un romaniste et n’a pas l’esprit scientifique »51. Pour sa part, Raymond Lanusse n’a exercé que pendant huit ans, avant son décès prématuré en 1879 : on ne trouve aucun écrit de sa main en dehors de sa thèse de doctorat, publiée en 1865. Cette absence totale de recherche se poursuit avec Charles De Boeck, qui professe le droit romain à Bordeaux entre 1893 et 1906, pendant treize ans. Charles De Boeck est pourtant l’auteur de très nombreux travaux, mais aucun en droit romain, exceptée sa thèse de 1882 sur le préteur pérégrin. Lorsqu’il professait à Toulouse avant 1892, il avait signé plusieurs notes critiques de droit civil, et une étude sur le rapatriement des nationaux et des étrangers52. Arrivé à Bordeaux en 1892, il est chargé pour une année d’un cours de législation financière et commerciale : il aura le temps de publier un essai sur la neutralité maritime. Après 1906, il est nommé professeur de droit international, succédant ainsi à son ami Despagnet décédé en cette même année : il deviendra un savant reconnu, auteur de beaux ouvrages en la matière. Mais pendant les treize années où il occupe la chaire d’Edouard Cuq, transféré à Paris, Charles De Boeck n’écrira pas un seul mot sur le droit romain. Enfin, que dire des activités scientifiques de Pierre Maria, professeur d’histoire du droit à Toulouse de 1898 à 1906, puis de droit romain jusqu’en 1909 ? Arrivé à Bordeaux en 1909, il poursuit dans l’enseignement du droit romain pendant vingt-cinq ans, jusqu’à sa retraite, en 1934. Or, on ne découvre qu’un seul article tout au long de sa carrière, publié en 1913, dix-huit ans après sa thèse53.
23A Bordeaux, seuls deux professeurs se livrent à des activités de recherche : Edouard Cuq et Henri Monnier. L’œuvre scientifique du premier est absolument considérable, et fait de son auteur un véritable « prince du droit romain ». Possédant une puissance de travail hors du commun, expert en papyrologie, grand connaisseur du droit grec, maîtrisant plusieurs langues, Edouard Cuq était un immense savant. Connue et appréciée de tous, son œuvre majeure reste Les institutions juridiques des Romains, envisagées dans leurs rapports avec l’état social et avec les progrès de la jurisprudence, publiée en deux tomes entre 1891 et 1902. Cet ouvrage monumental sera refondu en un seul volume en 1917, sous le titre de Manuel des institutions juridiques des Romains, réédité en 1928. Ces deux publications ont quelque peu tendance à éclipser les autres. Or, la bibliographie d’Edouard Cuq comprend soixante-seize titres, auxquels il convient d’ajouter plus d’une soixantaine de notices pour le Dictionnaire des Antiquités grecques et romaines de Daremberg et Saglio54. Dans cette masse, il faut toutefois isoler la production proprement bordelaise d’Edouard Cuq, parue entre 1876 et 1893, pendant ses dix-sept années de présence à la Faculté de la place Pey-Berland. En omettant la thèse de doctorat, on compte dix titres pour la période bordelaise d’Edouard Cuq, incluant le tome premier des Institutions juridiques des Romains…55
24Henri Monnier était moins prolifique que son collègue Cuq : il n’était pas moins savant, bien au contraire. Tel un Pic de la Mirandole, il était non seulement juriste et historien, mais aussi mathématicien, musicien et poète. Internationalement réputé pour son goût et sa connaissance du droit byzantin, il fréquentait également le droit constitutionnel56 et le droit civil, puisqu’il participait à la mise à jour des Codes Tripier. Accomplie presqu’exclusivement à Bordeaux, la carrière d’Henri Monnier est ponctuée d’une quinzaine de publications, ce qui peut paraître peu par rapport à Edouard Cuq. Mais Henri Monnier sera doyen de sa Faculté pendant les seize dernières années de son activité, entre 1903 et 1919, ce qui paralysa le rythme de sa production.
25Signalons enfin qu’Edouard Cuq et Henri Monnier n’étaient pas les deux seuls professeurs bordelais à s’intéresser à la recherche en droit romain. Très étrangement, Paul-Emile Vigneaux, professeur d’histoire du droit, a surtout publié des études de droit romain et aucune d’histoire de droit… En trente-neuf ans de carrière, il est l’auteur de huit publications, dont cinq consacrées au droit romain57. Comment expliquer ce paradoxe ? Sans doute un séjour d’un an à l’Ecole française de Rome (1880-1881), a-t-il suffi à orienter l’activité scientifique de ce professeur d’histoire du droit ? A l’instar de Charles De Boeck, qui enseigna quatre matières durant son parcours professionnel, Paul-Emile Vigneaux avait-il du mal à fixer son choix ? Il est vrai qu’avant 1896 l’agrégation de droit n’était pas divisée en différentes sections, et Paul-Emile Vigneaux, comme son collègue De Boeck, possédait une formation juridique et une culture générale suffisantes pour aborder plusieurs disciplines.
26Le bilan global de la recherche scientifique bordelaise est donc très contrasté en ce qui concerne le droit romain : quatre professeurs improductifs, deux particulièrement féconds, et un historien du droit féru de droit romain. On doit cependant dépasser cette approche quantitative pour examiner le fond de la production des trois enseignants bordelais laborieux. Dans cette perspective, il semble que l’on puisse discerner une certaine originalité, dans la mesure où l’essentiel des travaux bordelais concerne surtout le droit oriental.
B - Le droit oriental : une spécialité bordelaise ?
27On ne sait comment justifier l’attrait d’Edouard Cuq et d’Henri Monnier pour les droits de l’Orient antique. En ce qui concerne Monnier, ses contemporains s’interrogeaient déjà sur ce goût particulier58. Quoi qu’il en soit, Cuq et Monnier ont commencé par travailler le droit romain classique. Pendant sa période bordelaise, Edouard Cuq étudie l’édit Publicien (1877- 1878), quelques inscriptions relatives à l’administration du temps de Dioclétien, le Conseil des empereurs d’Auguste à Dioclétien, les juges plébéiens de la colonie de Narbonne (1881), le mariage de Vespasien d’après Suétone (1884), la nature des crimes imputés aux chrétiens d’après Tacite (1886), et même l’Ancien droit romain, avec un travail sur le testament per aes et libram (1886). Peut-être faut-il dater de 1893 le début de son intérêt pour l’Orient ? Cette année-là, au moment de son départ pour Paris, il s’attache à l’examinatio per Aegyptum. En 1897, il tourne sa curiosité vers l’Afrique romanisée, avec une analyse sur le colonat partiaire. Par la suite, sans négliger pour autant les recherches sur le droit romain occidental, il est de plus en plus attiré par le droit oriental. Au début du XXe siècle, il travaille essentiellement sur le droit byzantin (Novelles), le droit babylonien (le mariage d’après les lois d’Hammourabi), et le droit assyrien (organisation judiciaire de la Chaldée). On dénombre ainsi plus d’une trentaine d’études orientalistes rédigées par Edouard Cuq. En 1932, deux ans avant sa mort, il publiait encore un essai sur le droit élamite d’après les actes juridiques de Suse. Le savoir encyclopédique d’Edouard Cuq attira sur lui une renommée scientifique considérable. Reconnu très tôt par ses pairs, il jouissait du respect dû aux grands savants. En 1888, sous le décanat de Gabriel Baudry-Lacantinerie, la Faculté de droit de Bordeaux tenta de fonder un cours d’histoire du droit romain, à l’attention spéciale d’Edouard Cuq. En dépit de quatre années d’insistance, le projet échoua59. Ce que la Faculté bordelaise n’avait pu obtenir se réalisera à Paris, où cet enseignement sera offert à Edouard Cuq peu de temps après son transfert : en effet, un décret du 1er mars 1898 ajoute une chaire d’histoire du droit public romain à toutes celles déjà fondées dans la capitale, à l’attention de l’auteur des Institutions juridiques des Romains60. A trente-cinq ans à peine, en 1885, Edouard Cuq était membre de l’Académie des sciences, belles lettres et arts de Bordeaux. En 1911, il entrera à l’Académie des inscriptions et belles lettres. Il sera également membre de l’Académie de Bologne et de l’Institut oriental de Prague.
28Bien que sa production scientifique soit beaucoup moins abondante, le doyen Monnier était, lui aussi, un savant romaniste dont le renom était tout à fait comparable à celui de son collègue Edouard Cuq. On devrait plutôt écrire que Monnier était un savant byzantiniste, tant il est vrai que l’essentiel de ses travaux est consacré au droit byzantin. C’est une dizaine d’années après son agrégation qu’il se tournera définitivement vers le droit romain oriental. En 1892, il publie une remarquable étude sur l’Epibolé, qui assoit sa réputation61. Peut-être inspiré par l’exemple d’Edouard Cuq62, il persévère dans cette direction en abordant la constitution Ekatéroï (1900), les Novelles de Justinien (1907), puis celles de Léon le Sage (1908 et 1912). En collaboration avec Georges Platon, le savant bibliothécaire de la Faculté de droit de Bordeaux, Henri Monnier travaille aussi sur la Meditatio de nudis pactis (1913-1914)63. Disparu en 1920, le doyen bordelais n’aura pas le temps d’éditer la traduction française des constitutions des empereurs byzantins sur laquelle il travaillait en compagnie de son bibliothécaire. L’œuvre romaniste d’Henri Monnier est donc quantitativement moins importante, et qualitativement moins vaste que celle d’Edouard Cuq. Doué pour beaucoup de disciplines, Monnier travaillait aussi le droit civil et le droit constitutionnel. Il ne découvrit le droit byzantin que tardivement, à l’âge de quarante ans, alors qu’il publiait des notes de droit positif depuis dix ans. En dépit de ces caractéristiques, l’unité des travaux byzantins d’Henri Monnier est bien réelle, et c’est dans ce domaine qu’il connut la gloire. Sa science du droit romain oriental était si réputée que l’Université d’Athènes lui conféra le grade de docteur honoris causa en 1912.
29Au regard du labeur scientifique des deux illustres savants que furent Cuq et Monnier, les travaux de droit romain signés par Paul-Emile Vigneaux nous semblent de faible envergure. Ne les repoussons pas pour autant, car ce professeur d’histoire du droit connaissait bien le droit romain. Pensionnaire de l’Ecole française de Rome en 1880-1881, deux ans après Edouard Cuq, il en ramène un livre sur la préfecture urbaine à Rome, qui lui vaudra l’estime de ses pairs. Par la suite, il publiera un commentaire analytique et critique du Manuel des antiquités romaines de Mommsen et Marquardt. Enfin, on relève une « Notice sur trois manuscrits inédits de la Vaticane »64, qui se propose d’analyser des fragments de consultations de jurisconsultes italiens du XIVe siècle, parmi lesquels Bartole. Peu de publications par conséquent, mais toujours érudites, voire savantes. Malgré tout, on ne peut considérer Paul-Emile Vigneaux que comme un passionné de droit romain. Il n’a consacré son existence professionnelle ni à l’enseignement ni à la recherche en droit romain, à la différence de ses collègues Cuq et Monnier.
30Le bilan de l’état de la science romaniste bordelaise au XIXe siècle est donc mitigé. En ce qui concerne la pédagogie, il est certain que les professeurs travaillent leurs cours, surtout en ce qui concerne l’aspect méthodologique. A Bordeaux comme ailleurs, la méthode historique triomphe à la fin du XIXe siècle65. Les enseignants romanistes intègrent des notions philosophiques et sociologiques dans leurs leçons. Tous ressentent le besoin d’élargir la matière aux institutions politiques et sociales de l’Antiquité66. Le cours magistral reste donc le principal souci des romanistes bordelais. Ceux-ci ne vont pas jusqu’à considérer, avec Ferdinand Larnaude, qu’il est humiliant de répéter le même cours d’année en année67, car les variantes et nouveautés sont relativement rares dans leurs plans de cours, sans être cependant inexistantes. Malgré tout, aux yeux des Bordelais, le cours demeure la vitrine de la discipline, ce qui ne sera discuté par personne au moins jusqu’au milieu du XXe siècle68.
31On ne peut en dire autant de la recherche. Seuls Monnier et Cuq se hissent au rang d’authentiques savants. Leur envergure dépasse largement le cadre de la Faculté bordelaise. A ses activités scientifiques, Edouard Cuq en ajoutait une autre : il s’était fait le champion de la défense du droit romain. En 1886, il se déclare favorable au rapprochement des études littéraires et juridiques, pour une sorte de formation commune des historiens des lettres et du droit. Selon lui, le droit romain est la matière idéale pour réaliser les vœux du décret du 28 décembre 188569. Mais la gloire des deux savants romanistes bordelais a du mal à masquer l’absence de toute recherche scientifique de la part de leurs cinq autres collègues. Le ministère de l’Instruction publique lui-même était conscient de la différence de niveau existant entre les professeurs. En 1888, Calixte Accarias inspecte la Faculté de droit de Bordeaux pour la troisième fois en six ans. Sachant qu’il connaît parfaitement cet établissement, le ministre lui pose cette question : « L’enseignement de la Faculté de droit de Bordeaux est-il strictement professionnel ou s’inspire-t-il de l’esprit scientifique ? » Embarrassé, conscient des disparités, l’inspecteur général se réfugie dans une appréciation globale : « Les professeurs de la Faculté de droit de Bordeaux ne se bornent pas à interpréter des textes et à les illustrer par des exemples : ils s’appliquent à coordonner les règles du droit, remontent, pour en dégager le sens et l’esprit, à leurs origines historiques, les rapprochent, s’il y a lieu, des législations étrangères, et n’oublient jamais de se demander quelle en est la valeur au point de vue philosophique et économique. C’est bien là, si je ne me trompe, l’esprit de la science. Dirais-je maintenant que cet esprit anime au même degré tous les professeurs ? Reconnaîtrais-je à tous le même sentiment de la méthode, la même aptitude à tirer parti de l’histoire, la même puissance et la même sûreté de critique ? Cela revient à demander si tous ont même savoir et même valeur, et ici, la réponse ne peut être que négative. Ce que je suis heureux de constater, c’est qu’aucun n’est en dessous de sa tâche, et que l’ensemble est tout à fait distingué ».70 Dans le style elliptique ou évasif, on ne saurait mieux écrire…
Notes de bas de page
1 Jacqueline Gatti-Montain, Le système d’enseignement du droit en France, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1987, p. 32 et s.
2 Histoire des universités en France (dir. J. Verger), Paris, Privat, 1986, p. 340- 344.
3 André-Jean Arnaud, Les juristes face à la société, du XIXe siècle à nos jours, Paris, P.U.F., 1975, p. 19-20.
4 Pierre Legendre, « L’administration sans Histoire : les courants traditionnels de recherche dans les Facultés de droit », dans Revue administrative, 1968, p. 429, et Michel Villey, « Sur une maladie de la section historique du droit », dans Religion, société et politique, mélanges en hommage à Jacques Ellul, Paris, P.U.F., 1983, p. 403.
5 A. de Beauchamps, Recueil des lois et règlements sur l’enseignement supérieur, t. 1, Paris, Delalain, 1880, p. 137. Sur l’importance de cette loi du 22 ventôse pour les études juridiques, voir Pierre Legendre, Histoire de l’administration, de 1750 à nos jours, Paris, P.U.F., 1968, p. 15.
6 Jacques Poumarede, « Pavane pour une Histoire du droit défunte (sur un centenaire oublié) », dans PROCES, Cahiers d’analyse politique et juridique, 6, 1980, p. 93 : l’enseignement du droit romain est conçu « non comme une initiation historique, mais comme une sorte de méthodologie, un « ensemble conceptuel » indispensable pour devenir un bon exégète ».
7 Voir le texte de l’instruction du 19 mars 1807 dans Daniel de Folleville, Recueil des règlements des Facultés de droit, Paris-Lille, 1880, p. 71 à 78, plus particulièrement p. 76 pour les art. 41 et 42 .
8 Sur la création de la Faculté de droit de Bordeaux en particulier et son histoire en général : Marc Malherbe, La Faculté de droit de Bordeaux (1870-1970), Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, 1996.
9 Sur ce problème : Marc Malberbe, « L’influence germanique dans l’enseignement économique et juridique à Bordeaux (XIXe-XXe siècle) », dans Annales Aquitaines d’Histoire du droit, t. 1, Bordeaux, 1997, p. 89-104.
10 Philippe Nelidoff, « Histoire et méthodes de l’enseignement à la Faculté de droit de Toulouse au XIXe siècle », dans Histoire de l’enseignement du droit à Toulouse (dir. Olivier Devaux), Etudes d’Histoire du droit et des idées politiques, n° 11, Toulouse, 2007, p. 380.
11 Pierre Jaubert, « L’enseignement du droit romain en France dans les Facultés de droit de province : état actuel et perspectives d’avenir », dans Revue juridique et économique du Sud-Ouest, Annales de la Faculté de droit et des sciences économiques de Bordeaux, 15e année, n° 1-2, 1964, p. 4 à 7.
12 Alain Laquieze, « L’Inspection générale des Facultés de droit dans la seconde moitié du XIXe siècle (1852-1888) », dans Revue d’histoire des Facultés de droit et de la science juridique, n° 9, 1989, p. 7-43.
13 Une partie de ces précieux documents est conservée aux Archives nationales, carton F17 13162 (14 cours), alors qu’une autre figure encore aux Archives départementales de la Gironde, fonds du rectorat, liasse T 93 (5 cours).
14 Sur le doyen Couraud, voir Marc Malherbe, La Faculté de droit de Bordeaux…, op. cit., passim, et « L’Histoire du droit à la Faculté de Bordeaux au XIXe siècle », dans Histoire de l’Histoire du droit, Toulouse, Centre toulousain d’Histoire du droit et des Idées politiques, Toulouse, 2006, p. 163 à 192, mais aussi Jacques Bouineau, « Un doyen en politique : Amédée Couraud (1827-1892) » dans Pensée politique et droit, actes du XIIIe colloque de Strasbourg (11-12 septembre 1997), Presses universitaires d’Aix-Marseille, 1998, et, du même, « Racines universitaires de Romuald Szramkiewicz (début XIXe-1900) », dans Hommage à Romuald Szramkiewicz, Paris, Litec, 1998, p. 394-395.
15 Né à Barie (Gironde), le 13 avril 1838, Giresse avait étudié le droit à Paris, où il fut reçu licencié en 1859. Conseiller de préfecture, il sera docteur en 1871, toujours à Paris, à l’âge de 33 ans : dossier administratif de Léopold Giresse, Archives départementales de la Gironde, VT 111, liasse n° 32.
16 Raymond Camille Joseph Lanusse était né le 1er mai 1842 à Nogaro (Gers). Après son agrégation en 1868, il est affecté à la Faculté de droit de Strasbourg, et chargé d’un cours de droit romain. Transféré en 1871 à Bordeaux, il y continue ses enseignements de droit romain jusqu’à sa mort, survenue prématurément le 24 mars 1879, à l’âge de 37 ans. Outre son dossier administratif conservé aux Archives départementales de la Gironde, VT 111 liasse n° 42, on peut consulter sur Raymond Lanusse un livre d’hommage rédigé par ses collègues bordelais : Raymond Lanusse, professeur à la Faculté de droit de Bordeaux, Bordeaux, Cadoret, 1879.
17 A. de Beauchamps, op. cit., t. 2, 1882, p. 268-269.
18 Il faut se garder de confondre Henri (ou Henry) Monnier (1851-1920), professeur et doyen de la Faculté de droit de Bordeaux avec Raymond Monier professeur à Lille et à Paris, auteur d’un célèbre Manuel élémentaire de droit romain en deux volumes qui connut cinq éditions entre 1934 et 1945. Sur Henri Monnier : Pierre Noailles, « Henri Monnier » (notice nécrologique), dans Nouvelle Revue historique de droit français et étranger, 1920, p. 603-611, et son dossier administratif aux Archives départementales de la Gironde, VT 111, liasse n° 207.
19 Edouard Ulysse François Léonce Cuq est né le 14 décembre 1850 à Saint-Flour (Cantal). Fils aîné d’un professeur de mathématiques au collège de Saintes, il étudie le droit à Bordeaux dès les débuts de la Faculté. Pour subvenir à ses besoins, il occupe un poste de bibliothécaire à la Faculté. Docteur en droit en 1874, il est agrégé au concours de 1876 et affecté dans sa Faculté d’origine. Membre de l’Ecole française de Rome en 1878-1879, il enseigne à Bordeaux entre 1876 et 1893. Il est ensuite nommé à la Faculté de droit de Paris, où il achèvera sa carrière. Elu en 1911 à l’Académie des sciences morales et politiques, il s’éteint à Paris en 1934. Sur Edouard Cuq, voir Paul Collinet, « M. Edouard Cuq (1850-1934) », notice nécrologique avec bibliographie des travaux, dans Revue historique de droit français et étranger, 1935, p. 153 et s., Jean et Bernard Guerin, Des hommes et des activités autour d’un demi siècle (1889-1957), Bordeaux, éd. B.E.B., 1957, p. 197, et dossier administratif d’Edouard Cuq, Archives départementales de la Gironde, VT 111, liasse n° 17.
20 Jean Barthélémy Charles De Boeck est né à Bergerac (Dordogne) le 29 mars 1856. Il accomplit toutes ses études à Paris. Bachelier en 1874, il est licencié en droit en 1877, puis docteur en 1882. Agrégé en 1885, il enseigne d’abord à Toulouse de 1885 à 1892. Il rejoint Bordeaux cette année. Il y enseignera tout d’abord la législation économique et financière pendant un an (1892-1893), puis passe au droit romain, qu’il professe pendant 13 ans (1893-1906). La fin de sa carrière est consacrée au droit international. En 1906, à la mort de Frantz Despagnet dont il était le grand ami, il souhaite lui succéder, et termine sa carrière en 1926 en devenant un éminent spécialiste de droit international. Il meurt dans sa ville natale de Bergerac en 1939.
21 Né le 6 avril 1867 à Rochefort (Charente Inférieure). Il étudie le droit à Poitiers, et y obtient une licence en 1889. Mais c’est à Paris qu’il sera docteur en 1895. Agrégé d’histoire du droit en 1898, il est envoyé à Toulouse, où il reste jusqu’en 1909. Il terminera sa carrière à la Faculté de droit de Bordeaux où il prendra sa retraite en 1934, après 25 ans d’enseignement du droit romain. Il meurt à Saint-Jean d’Angély, le 1er mars 1937. Sur Pierre Maria, voir l’éloge funèbre du doyen André Ferradou, dans Rapport de l’Université de Bordeaux ; comptes-rendus des travaux des Facultés de droit, de Médecine et de Pharmacie et des Lettres, Bordeaux, Delmas, 1936-1937, Bibliothèque municipale de Bordeaux, Coll. 322. Curieusement, il n’existe aucun dossier administratif au nom de Pierre Maria, ni aux Archives départementales de la Gironde, ni aux Archives nationales.
22 A. de Beauchamps, op. cit., t. 2, Paris, Delalain, 1882, p. 267-268.
23 Sur ces six cours, cinq se trouvent aux Archives nationales, carton F1713162, et un aux Archives départementales de la Gironde, T 93, fonds du rectorat.
24 Amédée Couraud rendait ainsi service à ses collègues civilistes, qui n’avaient guère le temps d’exposer ces théories dans leurs cours. Cette manière de procéder était, semble-t-il, assez répandue : Raymond Saleilles, « L’enseignement du droit », dans Revue internationale de l’enseignement, t. 56, 1908, p. 289 à 294.
25 Amédée Couraud publiera un essai sur l’épigraphie juridique en 1877 : il avait été l’élève de Paul-Frédéric Girard.
26 Cette conception du droit romain de Raymond Lanusse correspond en tous points au portrait du professeur idéal dressé par Saleilles lorsqu’il décrit l’enseignement de Charles Gide : Raymond Saleilles, « Quelques notes sur le rôle de la méthode historique dans l’enseignement du droit », dans Revue internationale de l’enseignement, t. 19, 1890, p. 484 à 487.
27 Cette distinction entre histoire externe et interne dénote l’influence de l’Ecole historique allemande sur Raymond Lanusse : Jean-Louis Halperin, « L’Histoire du droit constituée en discipline : consécration ou repli identitaire ? » dans Revue d’histoire des sciences humaines, 4, Paris, Presses universitaires du Septentrion, 2001, p. 10-12.
28 Archives départementales de la Gironde, T 93, fonds du rectorat.
29 Ibid., VT 111, liasse n° 42.
30 Marc Malherbe, La Faculté de droit de Bordeaux…, op. cit., p. 168. Sur l’absentéisme, ibid., p. 189 et s.
31 Dossier administratif de Charles De Boeck, Archives départementales de la Gironde, VT 111, liasse n° 95.
32 Jean Dauvillier, « Le rôle de la Faculté de droit de Toulouse dans la rénovation des études juridiques et historiques aux XIXe et XXe siècles », dans Annales de l’Université des Sciences sociales de Toulouse, t. XXIV, 1976, p. 365- 366 et 373-374.
33 Philippe Nelidoff, art. cit., p. 381, 390, et 399-400. Sur l’influence novatrice d’Osmin Benech en matière d’enseignement du droit romain, voir John M. Burney, Toulouse et son Université. Facultés et étudiants dans la France provinciale du XIXe siècle, Paris-Toulouse, éd. du C.N.R.S. et du Mirail, 1988, p. 119.
34 Henri Vidal, « Alfred Pierron et l’enseignement du droit romain à Montpellier de 1881 à 1895 », dans Recueil de mémoires et travaux publié par la Société d’Histoire du droit et des institutions des anciens pays de droit écrit, fascicule IX, Mélanges Roger Aubenas, Montpellier, 1974, p. 749 à 759. La similitude avec Bordeaux concerne même l’absentéisme en cours (p. 752-753).
35 David Deroussin, « Le renouvellement des sciences sociales et juridiques sous la IIIe République : la Faculté de droit de Lyon », dans Actes du colloque des 4 et 5 février 2004 : La Faculté de droit de Lyon et le renouveau de la science juridique sous la Troisième République, Lyon, Centre lyonnais d’Histoire du droit et de la Pensée politique, 2007, p. XXIII à XXVII.
36 C. Pfister, « L’enseignement du droit romain à l’ancienne Faculté de droit de Strasbourg (1806-1870) », dans Mélanges Carré de Malberg, Paris, Sirey, 1933, p. 419-432.
37 En 1892, le professeur Lyon-Caen, en mission spéciale d’inspection à Bordeaux, regrette qu’en doctorat « chaque enseignant peut choisir son programme, qui est aussi celui de l’examen. Ce choix se fait sans contrôle de l’administration supérieure » : Archives nationales, F17 13072, rapport d’inspection de la Faculté de droit de Bordeaux, juin 1892, p. 3.
38 Ibid., p. 4.
39 Archives départementales de la Gironde, VT 111, liasse n° 207, dossier administratif d’Henri Monnier, note manuscrite du 1er avril 1892. Par cette note, peut-être le professeur répondait-il aux critiques que l’inspecteur Lyon-Caen avait pu lui adresser lors de son inspection de cette même année ?
40 On retrouve la même conception à la Faculté de droit de Lyon, avec Charles Appleton : David Deroussin, art. cit. p. XXIII.
41 Archives nationales, F1713162.
42 André-Jean Arnaud, Les juristes face à la société, du XIXe siècle à nos jours, Paris, P.U.F., 1975, p. 114.
43 De retour à Bordeaux en 1886, Accarias, soulagé, écrira dans son rapport : « … il (Despagnet) a beaucoup gagné depuis 1882. Il était alors chargé du cours de Pandectes, qui, je le crois, ne lui convenait guère, car il paraît plus porté à étudier le monde actuel que l’Antiquité. Je n’ai donc pas été étonné de le trouver beaucoup meilleur dans le cours de droit international privé » : Archives nationales, F1713072, février-mars 1886. En réalité, agrégé depuis seulement quelques semaines, en mai 1881, Despagnet n’avait pas eu le temps de préparer ce qui restera son premier cours universitaire : il s’était contenté de reprendre quelques passages de sa thèse, elle aussi soutenue en cette même année 1881, le 8 janvier, et qui portait sur l’Histoire de la succession ab intestat et des gains de survie entre époux (droit romain et droit français).
44 Rapport d’inspection de la Faculté de droit de Bordeaux, par Calixte Accarias, juin 1888, Archives nationales, F1713072. Ce rapprochement entre étudiants littéraires et juristes était sans doute l’une des conséquences du décret du 28 décembre 1885, dont l’art. 6 imposait aux différentes Facultés une coordination de leurs cours permettant aux étudiants de fréquenter plusieurs établissements pour mieux compléter leurs études : voir le texte de ce décret dans A. de Beauchamps, op. cit., t. 4, Paris, Delalain, 1889, p. 205.
45 Eloge du doyen Monnier à l’occasion de sa disparition, par Théocaris N. Vegleris, docteur en droit, avocat à Istanbul, ancien élève à la Faculté de droit de Bordeaux, Archives de la Faculté, dossier personnel d’Henri Monnier, 15 juin 1920.
46 C’est ainsi que la Thémis publie, en 1826, un article anonyme : « Observations sur l’enseignement du droit romain » (p. 22-33), suivi d’une réponse de la Rédaction (p. 109-115) : Thémis, ou Bibliothèque du jurisconsulte, t. 8, Paris, 1826.
47 J.J. Gleizal, « La formation des juristes dans l’Etat français », Procès, n° 3, 1979, p. 54.
48 David Deroussin, art. cit., p. XXIII-XXVII.
49 Philippe Nelidoff, art. cit., p. 387 et s. : sur la Faculté de droit de Toulouse, on consultera l’importante bibliographie des p. 377-378.
50 Histoire des universités en France (dir. J. Verger), Paris, Privat, 1986, p. 345.
51 Archives nationales, F1720482, dossier personnel d’Amédée Couraud.
52 Philippe Nélidoff, art. cit., p. 388-389.
53 Thèse de Pierre Maria : Le vindex, dans la legis actio per manus injectionem et dans l’in jus vocatio, Paris, 1895. Article : « Observations sur la possession du défendeur à la rei vindicatio », dans Mélanges P.F. Girard, t. II, 1913, p. 223-275.
54 Paul Collinet a dressé la liste exhaustive des travaux d’Edouard Cuq dans la notice nécrologique qu’il a consacrée à son collègue, dans la Revue historique de droit français et étranger, 1935, p. 153 à 167.
55 Rédigée à la veille de son départ pour Paris, la liste des travaux d’Edouard Cuq entre 1878 et 1893 figure dans son dossier administratif, Archives départementales de la Gironde, VT 111, liasse n° 17.
56 En 1906, en compagnie de Léon Duguit, Monnier fait paraître Les constitutions et les principales lois politiques de la France depuis 1789, ouvrage continué par Roger Bonnard.
57 Sur Paul-Emile Vigneaux en général et son attirance pour le droit romain en particulier : Marc Malherbe, « L’Histoire du droit à la Faculté de Bordeaux au XIXe siècle », art. cit., p. 186-188.
58 Dans la « Notice nécrologique » qu’il consacre à Henri Monnier, Pierre Noailles avoue ignorer « … l’accident qui précipita sa vocation byzantine ; peut-être les hasards d’une lecture… » : Nouvelle Revue historique de droit français et étranger, 1920, p. 605-606.
59 Archives de la Faculté de droit de Bordeaux, registre des délibérations de l’Assemblée de la Faculté, n° 2 (22 juin 1888), et n° 3 (délibérations des 12 juin 1889, 27 juillet 1890 et 16 mai 1892).
60 A. de Beauchamps, Recueil des lois et règlements… op. cit., t. 5, p. 825. Cuq terminera sa carrière sur une chaire de droit romain approfondi.
61 Nouvelle Revue historique de droit français et étranger, t. XVII (1892), XVIII (1894) et XIX (1895). L’ensemble des livraisons sur l’Epibolé atteint un total de 240 pages.
62 En 1898, dans le t. XXII de la Nouvelle Revue historique de droit français et étranger, Henri Monnier reprend l’article d’Edouard Cuq sur le colonat partiaire en Afrique romaine, paru l’année précédente (p. 397 et s.).
63 Ce travail en collaboration provoqua une controverse scientifique entre le bibliothécaire et son doyen. Le premier dut s’incliner, mais publia sa propre vision des choses sous le pseudonyme de G. Paturini dans la Revue générale du droit, de la Législation et de la Jurisprudence (1913, 1914, 1915 et 1916). Cette anecdote est rapportée par Pierre Noailles dans sa « Notice nécrologique » précitée (p. 610).
64 Mélanges d’archéologie et d’Histoire de l’Ecole française de Rome, II, 1882, p. 309-355.
65 Edouard Cuq le constate lui-même, dans son compte-rendu du livre d’Ortolan, Histoire de la législation romaine : voir Revue critique d’Histoire et de Littérature, 1885, n° 3, p. 42.
66 Jacques Poumarede, « Pavane pour une Histoire du droit défunte », op. cit., PROCES, n° 6, 1980, p. 97.
67 Ferdinand Larnaude, « Les formes de l’enseignement dans les Facultés de droit et des sciences politiques », Revue internationale de l’enseignement, t. 41, 1901, p. 231-232 : « Lorsque le professeur se borne à reproduire vingt ou trente ans de suite les mêmes leçons sur la même matière, on peut sans aucun doute lui infliger la corvée du cours annuel à 80 et même à 100 leçons : on peut même lui en demander davantage ! ». Sur ce sujet, voir aussi Jacques-Henri Robert, « Le cours magistral », Annales d’Histoire des Facultés de droit et de la science juridique, n° 2, 1985, p. 141-142.
68 M. Miaille, « Sur l’enseignement des Facultés de droit en France (les réformes de 1905, 1922 et 1954) », dans PROCES, n° 3, 1979, p. 92 et 94.
69 Edouard CUQ, « L’enseignement historique du droit romain », dans Revue internationale de l’enseignement, t. 11, 1886, p. 474-478.
70 Archives nationales, F17 13072, lettre de Calixte Accarias au Ministre, 15 août 1888.
Auteur
Maître de conférences à l’Université Montesquieu-Bordeaux IV,
Centre aquitain d’histoire du droit
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