Enseigner le droit Romain : pour quelle utilité et selon quelle méthode ?
La réponse lyonnaise sous la iiie république
p. 377-417
Texte intégral
1« Formons… dans nos écoles, par la large compréhension du développement historique des diverses sociétés en lesquelles l’humanité se partage, non seulement des magistrats, mais des citoyens qui possèdent au plus haut point cette intelligence et cette conscience sociale dont je viens de parler », réclamait le romaniste belge G. Cornil au début du XXe siècle1. Qui pourrait ne pas souscrire à un tel programme ? Encore convient-il d’en préciser les modalités. Or, au moment où Cornil écrit ces quelques lignes, la réflexion sur l’enseignement du droit et, plus particulièrement, du droit romain bat son plein. Certes, l’utilité du droit romain et de son enseignement a déjà été discutée à la veille de la Révolution par Garat dans un article paru au Mercure de France (1785), dont l’essentiel est d’ailleurs repris quarante ans plus tard par P. Bravard-Veyrières, professeur de droit commercial à Paris, dans De l’étude et de l’enseignement du droit romain et des résultats qu’on peut en attendre (Paris, 1837). Mais ces critiques n’ont pas empêché que la durée du cours de droit romain de licence, fixée à une année par la loi du 22 ventôse-2 germinal an XIII (13 mars 1804), soit étendue à deux années par l’arrêté (Fortoul) du 4 février 1853, certes au prix de la suppression du cours de Pandectes en doctorat2, mais au motif avoué qu’une place « trop restreinte » avait été faite au droit romain qui empêchait que « l’analyse raisonnée de la législation romaine servît réellement de base à l’étude de la nôtre »3.
2En revanche, la seconde moitié du XIXe siècle voir rejaillir la discussion de manière encore plus vive, sans doute du fait de la multiplication de cours nouveaux, répondant d’ailleurs à des besoins légitimes (cours de législation industrielle, de droit international public…) mais aussi de facteurs plus politiques : le droit romain serait un droit conservateur, un droit pour conservateurs et son enseignement se bornerait à dévoiler à l’élite en formation dans les Universités un modèle à imiter4. Le moment est donc propice à de telles réflexions, dans la mesure où des réformes successives viennent, de fait, de transformer le droit romain en matière de rang secondaire. Pour mémoire, il suffira de rappeler rapidement les étapes d’une telle relégation. Le décret du 24 juillet 1889, qui réorganise la deuxième année de licence et réduit le cours annuel de droit romain à un seul semestre pour permettre la création d’un cours de droit international public, constitue la première. Si certains romanistes comme C. Accarias, rapporteur du projet de décret devant le conseil de l’instruction publique, s’y résignent5, Ch. Appleton juge la réforme ainsi opérée inutile (estimant que l’introduction de cours nouveaux pouvait, par exemple, se réaliser au moyen de cours optionnels) et inopportune : n’est-il pas curieux que la part du droit romain dans les études juridiques se réduise en France alors qu’elle se stabilise ou augmente dans d’autres pays, par exemple l’Italie ou l’Allemagne6 ? Deuxième étape : le décret du 30 avril 1895, qui instaure désormais deux doctorats, l’un en sciences juridiques et l’autre en sciences politiques et économiques, lequel ne comporte aucun enseignement de droit romain7. Enfin, en 1905, la place du droit romain se réduit davantage encore au profit des cours censés mieux préparer les étudiants aux carrières administratives et des cours d’économie politique (contrecoup de la création du doctorat de sciences politiques et économiques). Certes Esmein, dans son rapport au Conseil supérieur de l’instruction publique8, reconnaît-il alors que « l’étude élémentaire du droit romain et de l’histoire du droit français donnera tout à la fois des notions et des habitudes d’esprit indispensables » aux étudiants de licence. Mais la formule est ambiguë : elle consacre son caractère indispensable, mais dans le cadre d’une étude simplement « élémentaire », non approfondie. Certes encore, en 1902, il écrit pour rappeler « l’utilité, la nécessité » des études de droit romain en licence contre ceux qui voudraient « se débarrasser de cette antiquaille »9. Mais si le cours d’histoire générale du droit français devient annuel en première année, le cours de droit romain de deuxième année est désormais optionnel, les étudiants pouvant choisir en lieu et place le cours de droit international public, ce qu’ils font effectivement semble-t-il10. L’arrêté du 2 août 1922, qui restaure le caractère obligatoire du cours de droit romain de deuxième année, supprimant du même coup le cours de droit international public, n’est que le chant du cygne : il ne cherche pas à réaffirmer le caractère primordial de cet enseignement mais simplement à remédier au système, jugé pernicieux, des options11.
3Sur cette évolution comme sur beaucoup d’autres points, les romanistes lyonnais12 ont apporté leur contribution tout au long de la IIIème République. C’est donc la réflexion sur leur métier et leur matière de ceux qui, à Lyon, ont enseigné le droit romain dans ce contexte de lente relégation que l’on voudrait interroger. Et comme le droit romain n’est enseigné à Lyon que de manière assez marginale au sein de la Faculté des lettres, en complément aux cours d’histoire romaine, c’est surtout sur l’enseignement dispensé au sein de la Faculté de droit que portera notre attention, d’autant plus que l’activité pédagogique de ces professeurs de droit romain peut être restituée grâce à plusieurs sources. Les Annuaires de l’Université de Lyon, créés en 1882, présentent ainsi les différents cours enseignés et contiennent parfois des plans ou programmes d’étude ainsi que des indications méthodologiques. Compte-tenu de la diversité de ces programmes, « chaque professeur présentant un programme qui est inséré tel quel », le conseil général des Facultés, lors de sa séance du 29 juillet 188613, proposera d’ailleurs d’en rendre la rédaction plus homogène14. À cette première source s’ajoutent d’autres : les rapports rédigés par le doyen de la Faculté de droit chaque année à l’attention du conseil académique et du conseil de l’Université, censés récapituler les événements de l’année passée mais dont la publication conjointe avec les rapports des autres Facultés cesse dès 1905 ; les discours prononcés lors de la rentrée solennelle de la Faculté ; les rapports relatant les concours annuels organisés, en vertu des arrêtés ministériels, dans toutes les Facultés. L’on sait ainsi qui, chaque année, assure les cours de première ou deuxième année et le cours de Pandectes en doctorat15 ; l’on sait aussi le contenu thématique des cours16 qui souvent, du moins dans le cas d’Appleton et Huvelin, coïncident avec la production scientifique de ces derniers, ce qui prouve le lien constant qu’ils établissent entre ces deux aspects de la profession17.
I - Les hommes
4Le décret du 29 octobre 1875, qui porte création de la Faculté de droit de Lyon, institue deux chaires de droit romain. Par un arrêté ministériel du même jour, la première est attribuée à Henri Michel18 ; quant à la seconde, elle est, provisoirement, confiée à Ch. Appleton. Pendant trois ans, tous deux enseignent ainsi le droit romain en première et deuxième année et en doctorat (cours de Pandectes qu’ils partagent avec Ch. Hanoteau19). Mais le départ de H. Michel en 1878 contraint à un choix entre deux prétendants : Octave Flurer et Charles Audibert20. Le premier est préféré et vite titularisé. Agrégé, il enseignait à Lyon depuis déjà deux ans le cours complémentaire de législation industrielle. Le second, qui avait enseigné le droit romain à Paris, se voit confier les cours complémentaires de législation industrielle, jusque-là assuré par Flurer, et de droit constitutionnel. Mais il obtient très rapidement le cours de droit civil en 1879. Comme ce cours intéressait également Flurer, celui-ci réclame, au motif habituel à l’époque qu’il a été agrégé trois ans plus tôt, une permutation, qu’il obtient sans doute à contrecœur de Caillemer. Audibert récupère donc la première chaire de droit romain, qu’il occupera jusqu’en 1899. La même année Ch. Appleton, qui occupait provisoirement la seconde chaire de droit romain, en devient finalement professeur titulaire (arrêté du 12 août 1878)21. Il la conservera jusqu’en 1922, date à laquelle il est remplacé par Eugène Lefèvre. Signalons enfin qu’un dernier changement important intervient en 1899 : Ch. Audibert quitte Lyon pour Paris (189922) et P. Huvelin le remplace alors, jusqu’à son décès en 192423.
5Ainsi, alors que cinq enseignants se succèdent les cinq premières années, l’attribution des cours de droit romain se fait plus pérenne à partir de 1880 : se succèdent alors Ch. Appleton, A. Audibert et P. Huvelin. Même si le départ de P. Huvelin en 1924 se traduit, comme lors des premières années de la Faculté, par une succession des enseignants à un rythme soutenu, c’est finalement un corps enseignant relativement stable24 qui, à Lyon, se voit confier le soin de dispenser les cours de droit romain.
6Il suffira ici de dire quelques mots d’Appleton et Huvelin. Ch. Appleton (1846-1935) avant d’intégrer la Faculté de droit de Lyon pour y enseigner le droit romain, a suivi ses études de droit à Dijon où il soutient, en 1871, une thèse portant sur la notion de possession et les actions possessoires25. Reçu au concours d’agrégation de 1875, il est d’abord nommé à Rennes mais Caillemer le convainc de s’installer à Lyon, où ses activités de recherches se concentrent désormais sur le droit romain26, après une brève incursion dans les temps modernes27. Le droit des contrats l’occupe beaucoup, qu’il s’agisse de la stipulation28, du contrat de vente29, du prêt à intérêt30, de la compensation31. Il n’est pas indifférent cependant au droit des personnes, comme le prouve son étude consacrée au fou et au prodigue32, ni au droit de la famille33 ou au droit des biens (son Histoire de la propriété prétorienne et de l’action publicienne34 suffirait à le montrer). Outre l’étude des institutions juridiques du droit privé des Romains, Appleton porte également son regard du côté des sources. Si son attachement à la loi des XII Tables est connu, notamment à travers la discussion qu’il entretient avec Éd. Lambert, il cherche aussi à restituer la forme originelle de l’édit publicien35, au moment où, en Allemagne, O. Lenel parvient à reconstituer l’édit perpétuel36. Il s’intéresse encore à la doctrine classique, notamment Julien37, ou au droit du Bas-Empire, spécialement dans Les Sources des Institutes de Justinien38.
7Malheureusement, le fruit de toutes ces recherches (qui lui valent une reconnaissance internationale véritable, notamment de la part des romanistes allemands ou italiens39) et de tous ces enseignements n’a pas fait, de sa part, l’objet d’une synthèse dans le cadre d’un manuel ou d’un traité. À son décès40 Appleton ne laisse de son enseignement à la Faculté de droit de Lyon qu’un Résumé du cours de droit romain41. On aura compris, cela dit, que l’on s’attachera ici surtout à la réflexion qu’il a pu conduire tout au long de sa carrière sur la question du statut et de la fonction du droit romain dans les études juridiques, ainsi que sur la méthode de son enseignement42.
8Quant à P.-L. Huvelin43, natif de la Côte-d’Or (11 avril 1873), il fait ses études de droit à Paris, où il soutient en 1897 une thèse consacrée au droit des marchés et des foires, puis est désigné chargé de cours à la Faculté d’Aix en 1898. Agrégé l’année suivante, il quitte Aix pour Lyon où, avant d’obtenir une chaire de droit romain, il est nommé chargé de cours. Très vite, il laboure le champ de l’ancien droit romain (La notion de l’injuria dans le très ancien droit romain, Lyon, Rey, 1903 ; Les tablettes magiques et le droit romain, Mâcon, 1901) auquel il applique la méthode sociologique. Si ces travaux ne marquent pas beaucoup le milieu des romanistes, sa périodisation de l’histoire des institutions romaines influence au contraire R. Monier, qui publiera son Cours élémentaire de droit romain à partir de 1927. Elle consiste à distinguer non pas seulement trois périodes (ancien droit, droit classique, droit byzantin ou du Bas-Empire, comme le fait E. Cuq) mais quatre : des origines à la fin de la deuxième guerre punique ; de la fin de la deuxième guerre punique à la mise en place de l’Empire ; le Haut-Empire ; le Bas-Empire (à partir de Dioclétien, même si le droit privé se transforme en réalité plus fortement à compter du règne de Constantin, jusqu’à la mort de Justinien).
9Enfin, à côté des titulaires de chaires de droit romain il conviendra, sur certains points, d’évoquer la réflexion ou les travaux de E. Caillemer44, le premier doyen de la Faculté, ou encore d’Éd. Lambert, nommé à Lyon à la faveur du concours de 1896 dont il fut le major et au jury duquel E. Caillemer appartenait45. Ceux-ci, d’ailleurs, ont siégé dans les jurys de soutenance de plusieurs thèses de droit romain ou d’histoire du droit46.
II - Les défauts de l’enseignement du droit romain
10Voilà donc le contexte, qui fournit aux Lyonnais l’occasion non seulement de critiquer le programme des cours imposé par l’arrêté du 4 février 1853, mais encore de s’élever contre la marginalisation progressive de l’enseignement du droit romain au sein de la licence. Celle-ci s’explique pour une part sans doute par ce que Appleton appelle « le préjugé moderniste »47 dont font preuve les « ennemis politiques » du droit romain. Ce préjugé fonctionne en effet en ces temps comme en d’autres à merveille contre la Tradition que ce dernier serait censé incarner avec, par exemple, les humanités (Appleton n’hésite pas, par exemple, à défendre les décrets Bérard imposant l’apprentissage du latin dans l’enseignement secondaire, quitte à passer pour un sympathisant des « partis conservateurs »48). Mais, pour une autre part, elle s’explique aussi par des facteurs propres à la discipline, ou plutôt à son enseignement. Partageant le constat déjà dressé par son ami G. Cornil, Appleton insiste ainsi sur le fait que « l’aversion courante pour le droit romain et en général pour l’histoire du droit procède sans doute d’un vice de l’enseignement »49. Si le droit romain a des « ennemis », le plus redoutable d’entre eux est certainement, à ses yeux, la manière si critiquable dont il est enseigné. Ne partageant sans doute pas l’optimisme prudent de P.-F. Girard50, ceux-ci s’expliquent aussi sur la méthode. Tout particulièrement, les articles d’Appleton à la Revue internationale de l’enseignement ou dans les Mélanges offerts à G. Cornil méritent une attention particulière dans la mesure où, semble-t-il, ils ont marqué les esprits, à tel point que R. Monier en fait cas encore dans les différentes éditions de son Manuel (1ère édition en 1934) où, au titre des notions préliminaires, il croit toujours utile de rappeler la nécessité d’une culture historique et juridique « suffisante » à l’effet de mieux saisir la relation du droit à son milieu social.
11L’enseignement du droit romain tel qu’il est dispensé en cette fin du XIXe siècle présente aux yeux de ses détracteurs d’innombrables défauts, on s’en doute. Inutile car obsolète, puisqu’il s’agit d’un droit mort, le droit romain serait également encombrant, puisqu’il prendrait la place d’autres cours jugés plus formateurs ou directement utiles. Inutile d’insister sur ces présupposés, toujours vivaces d’ailleurs… Il importe plus en revanche de réfléchir aux défauts que relèvent et contre lesquels s’élèvent ses propres défenseurs parce qu’ils lui font courir de grands risques. Les Lyonnais, avec d’autres, en identifient plusieurs.
12Le premier (sans qu’il faille chercher dans ce classement un ordre croissant de gravité) se résume à une idée simple : le risque d’isolement. À lire les manuels de droit romain, remarque Appleton peut-être de manière excessive, « on ne se serait pas douté vraiment qu’il existât un code civil français, dont la plupart des articles avaient été empruntés au droit romain, et qu’on ne pouvait bien comprendre sans lui. On n’y parlait point des transformations qu’avaient subies des institutions fameuses, on ne suivait pas leurs traces dans les législations étrangères »51. Or ce « défaut de contact avec les législations modernes » représente véritablement une « carence » et nuit gravement à la « popularité de notre enseignement », remarque Appleton52 : « cet isolement regrettable du droit romain est peut-être ce qui lui a fait le plus de tort dans l’opinion »53. L’enseignement du droit a en effet tout à perdre à se déconnecter, à s’isoler « systématiquement » de l’étude des ordres juridiques contemporains. Dès lors, pourquoi « laisser systématiquement de côté la manière dont les rédacteurs du code civil ont compris le droit romain » ? Serait-ce là la seule manière d’aborder scientifiquement le droit romain ?
13La réponse est assurément positive pour, par exemple, P.-F. Girard. Celui-ci en effet récuse « l’utilité professionnelle directe » qui pourrait être tirée de l’étude du droit romain dans ses rapports avec le droit français, c’est-à-dire dans sa très longue durée (droit romain médiéval, pratique du droit romain par les jurisconsultes de l’Ancien Régime), au motif qu’une telle démarche nous ferait connaître seulement la manière dont le droit romain était entendu par nos anciens auteurs, ce qui n’a à ses yeux « presque rien de commun avec l’étude scientifique de la législation romaine », c’est-à-dire non pas le droit romain « vrai »54. L’opinion des Lyonnais est tout autre. L’une (l’étude scientifique), écrit par exemple Appleton, n’empêche pas l’autre et la conjonction des deux approches assurerait au contraire à l’enseignement du droit romain l’utilité pratique « recherchée avant tout par les étudiants »55. Et même si contrairement à la pratique allemande le professeur de droit romain n’est pas en France aussi invité par son statut à dispenser des cours de droit positif56, déplore Appleton, de sorte que son enseignement finit par perdre une bonne partie de cette utilité et de son intérêt pour la compréhension du droit moderne, il aurait tort de méconnaître les droits positifs. L’omission est, en outre, « d’autant plus inexcusable qu’elle est volontaire »57.
14Le second défaut de l’enseignement du droit romain, dont les étudiants sont, d’après Appleton, « unanimes à se plaindre », tient à un excès d’érudition, que ce dernier juge à bien des égards stérile, voire dangereux lorsqu’il s’agit de la préhistoire du droit romain, qui ouvre un champ trop large à l’imagination58. Ce défaut est essentiellement induit par l’attitude des maîtres. Mais en sont-ils pleinement responsables ? N’est-ce pas là une conséquence mécanique de l’organisation même des études et des examens ? Pendant longtemps en effet les programmes ont été perçus par les professeurs comme un véritable carcan, une limitation intolérable de leur liberté de méthode de travail et d’exposition. Confirmé par une circulaire du 18 mai 1877, l’arrêté de 1853 n’imposait-il pas impérativement d’étudier les deux premiers livres des Institutes en première année puis les deux derniers en deuxième année de licence ? C. Accarias s’en plaignait déjà dans la préface à la première édition de son Précis de droit : « libre des gênes officielles d’un programme mal conçu » qui fait commencer l’enseignement du droit romain par le commentaire des Institutes de Justinien, il vaudrait mieux prendre pour « point de départ » les textes de la doctrine classique. Mais, comme elles forment « la base des examens de droit romain », il dit sacrifier « sans hésiter » ses préférences « à la nécessité »59. Après lui, Lyon-Caen remarque encore que les professeurs, « privés de toute liberté par des programmes surannés et étroits », sont contraints à « commenter les textes ». Il s’interroge : « quant obtiendront-ils cette liberté de méthode sans laquelle il n’y a pas d’enseignement supérieur vraiment digne de ce nom ? »60. À Lyon, ce découpage imposé par le ministère est critiqué notamment par Appleton, dans la mesure où il conduit à séparer l’étude des droits réels de celle des actions qui les garantissent alors pourtant que, dans l’esprit des juristes romains, le fond du droit est largement dominé par la procédure61. Si les méthodes d’enseignement du droit romain « ont besoin d’être rajeunies », il ne faut donc pas blâmer les « maîtres qui ont tout fait pour les transformer » mais se sont heurtés à « l’obstacle invincible » de la « réglementation stérilisante », note celui-ci62. C’est seulement par le décret du 24 juillet 1889, qui met fin à « l’abus de la réglementation, le fétichisme de l’uniformité et l’étroitesse des programmes »63, que la liberté totale de leurs programmes est concédée aux professeurs ; liberté en partie réduite le 30 avril 1895 par un décret qui contraint le professeur à consacrer le cours de première année à un exposé général du droit privé romain, même s’il le laisse libre de choisir le sujet du cours de deuxième année (le droit des obligations étant, le plus souvent semble-t-il, choisi). Désormais donc, il appartient à chaque professeur, se félicite Jobbé-Duval, de déterminer l’étendue des développements qu’il entend consacrer à telle ou telle institution juridique, notamment au regard de l’intérêt qu’elle représente « au point de vue de l’histoire des idées juridiques »64. Mais que de dégâts le programme officiel n’a-t-il pas causés, à commencer précisément par cet excès d’érudition ? Enfermé dans son programme, le professeur en effet avait-il d’autres choix pour se « distinguer » que d’accumuler les exégèses, « la richesse toujours croissante des solutions de détail »65 ? Choix pédagogique, mais aussi éditorial : rien ne garantit mieux le succès d’un manuel, que son adéquation au programme et au type d’examen, fût-elle porteuse d’un tel excès66.
15L’érudition est évidemment nécessaire au professeur67. Elle alimente sa réflexion et doit lui permettre (Appleton et Huvelin sont d’accord sur ce point) de ne pas limiter son regard au seul droit du Corpus de Justinien, donc d’abandonner la méthode qui avait notamment présidé à la confection, de la part des générations précédentes de romanistes, des divers ouvrages destinés à donner une Explication des Institutes (lesquels le plus souvent consistaient finalement à concevoir le droit romain comme un tout perçu dans sa forme terminale à travers le Corpus iuris civilis et, plus précisément encore, les Institutes de Justinien). Au contraire, comme G. Cornil68 l’explique aussi, les romanistes doivent s’évertuer à replacer les règles romaines dans leur contexte, c’est-à-dire dans l’histoire interne du droit romain, de la loi des XII Tables aux codifications du VIe siècle.
16Mais si l’érudition constitue les racines de son savoir, ce sont ses fruits, « beaucoup plus doux », que le professeur doit faire goûter aux étudiants. Après H. Lévy-Bruhl69, Appleton notamment forme le souhait que les études « archéologiques » soient « sévèrement proscrites de l’enseignement » sauf, convient-il, pour la préparation du concours d’agrégation ! La plupart des étudiants (« notre clientèle d’étudiants ») n’étant pas en effet destinés à l’enseignement ou à la recherche mais plutôt à devenir des « jurisconsultes », de tels exposés sont inutiles, voire dangereux car décourageants. Il incombe ainsi au professeur de s’adapter à son public et à la finalité professionnelle de l’enseignement dispensé dans les Facultés de droit70. Il ne faut d’ailleurs pas oublier que la réforme de l’enseignement secondaire qui venait d’être opérée autorisait désormais l’accès aux Facultés de droit d’un public qui n’a pas étudié le latin au lycée (les bacheliers de la filière langues vivantes-sciences) même si, du moins est-ce ainsi que Esmein tente de calmer la crainte suscitée par cette réforme chez les juristes, ces derniers seront peu nombreux71. C’est d’ailleurs pour ne pas décourager ces « auditeurs que l’Université n’a pas souhaités »72 qu’il convient, selon Appleton, de ne pas faire du droit romain un « épouvantail »73, donc d’abandonner l’exégèse rigoureuse des textes en licence. Le Rapport sur les concours de l’année scolaire 1904-1905 de la Faculté de droit74 ne précise-t-il pas d’ailleurs qu’il serait « opportun, nécessaire même, puisque la presse a été saisie récemment de la question »75 de « rassurer » ces bacheliers scientifiques « contre l’idée, aujourd’hui sans fondement, qu’il faudrait savoir le latin pour aborder l’étude du droit romain » dans les cours de licence ? La question est fondamentale76. Il ne s’agit pas de savoir si la maîtrise du latin est nécessaire à la formation des juristes. La réponse est, pour Appleton, évidemment positive. Mais quid des enseignements non proprement scientifiques, c’est-à-dire des cours dispensés dans le cadre de la licence ? Faut-il les rendre intelligibles aux non-latinistes ? Faut-il, pour cela, renoncer à « ne commenter que des textes dont on connaît la langue »77, alléger l’enseignement de « l’appareil rébarbatif des textes » et ne lui appliquer que la méthode historique ? Ainsi conçu, cet enseignement conserverait-il sa valeur formatrice ? Ces questions ont été l’occasion d’une vive polémique entre Appleton et J. Archer, dont rendent compte leurs contributions respectives à la Revue générale du droit co-dirigée, à l’époque, par Appleton78. Pourtant, les deux protagonistes semblent d’accord : l’enseignement historique suppose nécessairement, pour être qualifié scientifique, non seulement le maniement des sources mais leur critique, donc leur compréhension. Mais alors que le second voudrait appliquer cette méthode à tous les enseignements historiques des Facultés de droit, le second la limite aux seuls cours véritablement scientifiques à ses yeux : les cours de Pandectes.
17Stigmatiser l’excès d’érudition ne revient donc pas à abandonner le terrain de la recherche fondamentale, voire philologique, mais à réserver les résultats ainsi acquis aux publications, et beaucoup moins aux enseignements, surtout ceux des deux premières années de la licence. L’attitude d’Appleton à l’égard des sources du droit romain le prouve assez. D’une part, il s’inscrit dès sa thèse de doctorat en 1884 dans la nouvelle tendance historiographique, qui consiste à traquer les modifications apportées par les compilateurs de Justinien et à redonner aux textes classiques leur pureté (présumée). Appleton ne se désintéresse donc pas des sources, loin s’en faut, et sa thèse marque en France le début de la chasse aux interpolations, qu’il poursuit notamment dans ses cours de Pandectes pour les années universitaires 1889-1890 et 1905-1906. En contrepoint, et indépendamment du jugement qui peut être aujourd’hui porté sur cette tendance historiographique, le Manuel élémentaire de P.-F. Girard accuse à l’époque sur le plan de la méthode un certain retard, comme le remarque J.- Ph. Lévy79. D’autre part, loin de négliger les sources, Appleton reproche aux autres, y compris Huvelin, de céder trop facilement à la méthode hypercritique, à laquelle il consacre d’ailleurs une étude pour le moins critique80. La plupart des historiens et romanistes ont tort d’accorder si peu de crédit aux historiens ou annalistes romains, à l’épigraphie, ou aux témoignages littéraires qui sont pourtant le plus souvent, à ses yeux, dignes de foi, surtout s’il s’agit, en lieu et place, d’exploiter les « doctrines d’écrivains très modernes, doctrines hardies, parfois téméraires »81. Enfin, les cours d’épigraphie latine mis en place à la Faculté de droit sont pour lui, comme pour Huvelin, l’occasion de confronter les étudiants aux sources écrites, en privilégiant d’ailleurs celles qui viennent récemment d’être découvertes (par exemple, pour Appleton, le fragment d’Este, découvert en 1880 et auquel il consacre un article82).
18Au fond, il s’agit de dire, en stigmatisant l’excès d’érudition, que le juriste moderne n’a pas besoin de connaître dans le détail le travail minutieux de l’histoire du droit. Il suffit au développement de sa sagacité qu’il accède à ce que l’on pourrait appeler, en reprenant une expression de G. Cornil, « la synthèse de l’évolution juridique »83, laquelle peut sembler largement suffisante pour lui faire prendre conscience du fait que le droit est une force sociale dont il faut saisir les manifestations par l’observation du passé (pour l’historien) ou de la vie quotidienne.
19Troisième défaut : l’enseignement du droit romain manquerait « d’esprit pratique ». Ed. Cuq, dans ses Institutions84, avait déjà tenté de tordre le cou à un tel reproche. Appleton à son tour se charge de défendre sa discipline : les préteurs et les prudents romains n’étaient-ils pas autant que les magistrats du XXe siècle soucieux des besoins de la pratique ? Mieux : la distinction de l’École et du Palais était totalement étrangère aux Romains. D’où alors ce préjugé vient-il ? Sans doute des romanistes eux-mêmes, c’est-à-dire non pas de la matière mais de la manière dont on la traite. Éloignés de la pratique et de leurs collègues civilistes par l’effet de la spécialisation et de la division du concours d’agrégation, les romanistes finissent parfois, remarque Appleton, par soutenir des interprétations qui, confrontées au « sens commun », au « sens pratique », ne tiennent pas. Or non seulement les exercices d’histoire du droit doivent favoriser l’esprit pratique85, mais aussi et surtout l’historien lui-même ne peut concevoir clairement les règles anciennes que s’il possède « une mentalité pratique »86.
III - Les remèdes
20Certains remèdes ne sont pas propres à l’enseignement du droit romain, dans la mesure où ils permettraient le perfectionnement de tous les enseignements juridiques. Par exemple, le professeur ne devrait pas perdre de vue que la formation de son public ne consiste pas tant dans l’accumulation de connaissances que dans l’acquisition d’une méthode de travail87. Encore faudrait-il rigoureusement distinguer ce qui, dans l’enseignement en général, relève des principes (et mérite donc sa place à l’Université) de ce qui, au fond, ne constitue que des applications (dont la maîtrise peut être acquise ailleurs)88, parce que cette distinction recouvre finalement celle qui sépare les méthodes des connaissances (dites encore : « spécialités » par Appleton). Car, au fond, la conviction qui court tout au long de cette réflexion, spécialement dans l’esprit de Ch. Appleton, et qui conduit aux remèdes proposés, n’est autre que la primauté de la méthode sur le fond. Appleton avait-il réellement tort lorsque, prenant à son compte les remarques d’A. France ou d’E. Lavisse89, il écrivait que « dans tout enseignement, et particulièrement dans l’enseignement supérieur, ce que l’on doit surtout s’efforcer d’inculquer, ce sont des méthodes plutôt que des connaissances » ? Sans doute non. Mais, au lieu de favoriser la maîtrise d’une bonne méthode, l’enseignement du droit se concentre trop souvent (aux yeux d’Appleton) sur l’acquisition des connaissances : « la mémoire, très vite surchargée, devient bientôt un vrai tonneau des Danaïdes à travers lequel coule, sans laisser de trace, tout ce qu’on prétend y loger »90. Autant dire que les Facultés de droit doivent rester des « établissements d’enseignement supérieur » et non pas se transformer en « écoles professionnelles… car, en fait de sciences, les méthodes sont tout »91.
21Outre cette réflexion générale, qui porte finalement sur la nature si particulière de l’enseignement supérieur, quelques romanistes proposent des pistes dont le défrichement serait propre, selon eux, à remédier aux vices observés plus haut. Ainsi, au risque d’isolement, les maîtres lyonnais92 répondent-ils par une pratique simple, quoiqu’elle suppose, elle aussi, une forme particulière d’érudition : étendre l’étude du droit romain après Rome, c’est-à-dire l’inscrire dans la très longue durée. Se posent alors la question, éminemment contemporaine93, de la permanence du droit romain au moyen-âge et aux temps modernes et celle, autant cruciale, de la spécificité de la méthodologie historique en droit au regard d’autres disciplines, comme par exemple le droit comparé.
Le droit romain dans la longue durée
22Alors que, selon P.-F. Girard, l’utilité de l’étude du droit romain n’est pas de faire « immédiatement connaître les lois actuelles » aux juristes mais de leur apprendre à raisonner, pour perfectionner leur « intelligence juridique » grâce à laquelle ils pourront mieux comprendre les lois actuelles (ce qui revient à considérer le droit romain comme une école de la dialectique, de l’art de la controverse juridique94), les maîtres lyonnais font le choix d’élargir le champ chronologique dans lequel l’étude du droit romain est souvent circonscrite, empreints qu’ils sont de l’idée qu’il constitue « la clef du droit moderne »95.
23Appleton notamment paraît répondre à Girard lorsqu’il explique, d’une part, que si nos anciens auteurs ont parfois méconnu le sens véritable de certaines règles romaines, les historiens modernes encourent le même risque et que, d’autre part et plus fondamentalement, l’étude scientifique, donc historique du droit romain n’est pas incompatible, bien au contraire, avec l’analyse de la manière dont les rédacteurs du Code civil, et avant eux notre ancienne doctrine, ont compris le droit romain. Il n’est pas inutile, et encore moins nuisible à la compréhension du droit romain, de s’intéresser par exemple à la remise en ordre du Digeste opérée par Pothier dans ses Pandectae, dans la mesure même où elle fait connaître ce qu’était sans doute l’interprétation commune du droit romain par la doctrine française du XVIIIe siècle96. De manière encore plus claire, dans ses Observations parues à la Revue internationale de l’enseignement, Appleton affirme que si l’enseignement du droit est utile « comme instrument indispensable d’éducation juridique », il l’est tout autant comme « connaissance nécessaire pour l’intelligence de notre droit des législations étrangères ». De la même manière qu’il existe un « lien » entre toutes les sciences (ce qui justifie la création des Universités), il y a une connexité évidente du droit romain au Code civil, au point, prophétise Appleton, qu’un jour « on pourra à peine croire que par une inintelligente application de la division du travail nous en soyons arrivés jadis à ce morcellement, à cet isolement où les deux enseignements ont tant à perdre »97. Il propose même de consacrer tout un semestre à l’enseignement des « origines romaines du code civil ». Même si cela serait encore insuffisant, il fait remarquer que l’on mettrait tout de même ainsi « en relief une utilité du droit romain que l’on perd trop de vue aujourd’hui »98.
24Sur ce point, Appleton est en parfait accord avec son collègue belge G. Cornil qui défend lui aussi l’utilité d’une étude des avatars, si l’on peut dire, du droit de Justinien au Moyen Age et jusqu’aux codifications modernes. Comment comprendre en effet que les codes civils français et allemand adoptent des conceptions opposées de la possession et de la protection possessoire par exemple, sinon par cette circonstance que, au moment où ils ont été rédigés, prévalaient en France et en Allemagne des interprétations divergentes des mêmes textes, ceux du droit romain ? Et Cornil de conclure : « l’étude du droit de Justinien, non seulement dans la forme originale du Corpus iuris, mais aussi dans les modifications successives que lui fit subir l’interprétation des romanistes, a donc conservé pour le jurisconsulte moderne une importance primordiale »99.
25Même s’il n’a pas occupé une chaire de droit romain100, l’attitude de Caillemer mérite, ici, quelque attention. Peut-être en effet ce risque d’isolement lui était-il d’autant plus facile à éviter que ses centres d’intérêts étaient nombreux (par exemple, son attachement à l’étude des droits grecs anciens). Si le premier doyen de la Faculté de droit de Lyon passe à juste titre pour l’un des « premiers hellénistes de France »101, comme le laisse à voir son étude consacrée au droit athénien des successions102, nourrie de la lecture méthodique et précautionneuse des plaidoyers et des orateurs, plusieurs de ses travaux illustrent parfaitement cette tendance des maîtres lyonnais à déborder des cadres chronologiques traditionnels de l’étude des droits anciens. Premier exemple : en 1883, il fait publier à Caen un ouvrage portant sur Le droit civil dans les provinces anglo-normandes au XIIème siècle, qu’il inscrit très clairement dans la lignée des recherches effectuées en Allemagne par Savigny et en France par Klimrath103, tout en affirmant regretter que la publication par Royer-Collard de l’Ordo iudiciarius soit, selon ses propres mots, passée « presque complètement inaperçue »104 ! De son point de vue, et c’est là encore un regret, les historiens du droit en France n’ont pas suffisamment pris le soin d’exhumer les manuscrits médiévaux dont l’analyse permettrait d’éclairer « cette période si délaissée », alors que les historiens étrangers, beaucoup « plus diligents », n’ont pas hésité à s’emparer de ce terrain d’investigation. C’est précisément pour combler au moins partiellement cette lacune de l’historiographie française que ce livre contient l’édition d’un texte qu’il identifie comme normand : la Pratica legum et decretorum de Maître Guillaume de Longchamp105 ; édition précédée d’une mise au point sur l’« état actuel des connaissances sur le droit civil dans les provinces anglo-normandes au XIIème siècle ». L’idée pourrait être résumée ainsi : l’étude du droit romain n’a jamais été interrompue, ni en Italie ni en Gaule où l’étude des lois romaines ne s’est pas cantonnée au seul Midi106. Invoquant les exemples d’un commentaire sur le Bréviaire d’Alaric, composé par un copiste normand vers 830-840, ou encore celui du Libellus de verbis legatibus publié par H. Fitting (mais que Caillemer ne croit pas d’origine normande, contrairement à Tardif107), prétextant le fait que de nombreux juristes ont été invités à enseigner le droit romain en Normandie au XIème siècle (Lamfranc, après des études en Lombardie ; Vital, fondateur de l’abbaye de Savigny (sic !)), Caillemer en arrive à la conclusion déjà formulée outre-Rhin par Savigny : celle de la permanence du droit romain en France au Moyen Âge, où « le droit romain ne manqua pas d’interprètes pendant les siècles qui s’écoulèrent depuis le départ des Romains jusqu’à l’arrivée de Vacarius »108. Il n’y a pas, à cette époque, jusqu’à l’Angleterre qui échappe à cette influence (avant même que Vacarius ne soit appelé à enseigner le droit romain à Oxford). Mais cette conviction, si forte soit-elle, est exprimée sur le ton de la modération : Caillemer reconnaît d’ailleurs que, du droit romain, on connaît à l’époque surtout le Bréviaire d’Alaric, bien plus que les compilations de Justinien dont la diffusion ne se généralise qu’à partir de la fin du XIe siècle.
26Deuxième exemple (auquel d’autres pourraient encore être ajoutés109) : en 1900 cette fois il compose pour l’Académie des sciences, des belles lettres et des arts de Lyon une Histoire de l’enseignement du droit à Lyon avant 1875, dans le cadre des célébrations du vingt-cinquième anniversaire de la fondation de la Faculté. Au fond, et si l’on néglige les développements consacrés à la période qui suit la Révolution, il s’agit là encore d’étudier l’enseignement, en pays de droit écrit, du droit romain au Moyen Âge et au cours de l’époque moderne, à travers l’école municipale de Lyon dès le IIIe siècle, la fondation mille ans plus tard d’un studium generale par Innocent IV, les « professeurs » de droit qui, dès le XIVe siècle, officie dans le Beaujolais et le Forez. Sont ensuite évoqués ceux qui, tout au long du XVIe siècle, séjourneront à Lyon pour y enseigner, comme Étienne le Maistre, Philippe Decius, E. Ferret, Jacques Cujas notamment, puis leurs successeurs des XVII et XVIIIèmes siècles : la famille Dantoine, Félix Faure, Rouveyre de Lestang, Pierre Perrichon, Jolyclerc et Rieussec.
27Enfin, la position de P. Huvelin semble, en regard, moins nette. R. Monier, qui publie son Cours élémentaire de droit romain dès 1927, paraît même sur cette question de l’élargissement chronologique, l’opposer à Appleton. Monier en effet plaide pour une étude du droit romain qui dépasserait le cadre chronologique de la République et de l’Empire, qui insisterait sur la permanence du droit romain au Moyen Âge après les « quelques siècles » pendant lesquels les institutions juridiques romaines se sont trouvées « partiellement submergées par les usages primitifs des peuples germaniques », et qui, enfin, s’étendrait jusqu’aux nombreux jurisconsultes de l’Ancien Régime qui étaient aussi des romanistes (Pothier), montrant ainsi combien elle serait précieuse à la compréhension du code civil, influencé comme l’on sait par la figure, notamment, de Pothier110. Or si Monier adhère ainsi au programme fixé par Appleton dans son article paru à la Revue générale du droit111, précisant que « l’esprit d’un cours de droit romain ne doit donc pas être purement historique » et qu’il faut non seulement « suivre la trace des institutions romaines jusqu’à nos jours » dans notre droit moderne, lorsque cela est possible et souhaitable, mais encore ne pas oublier que le droit évolue pour s’adapter aux besoins sociaux nouveaux et que cette évolution ne s’est pas arrêtée avec Justinien, il dit s’éloigner, du même coup, de Huvelin, auquel il prête l’idée de vouloir limiter l’enseignement du droit romain à un seul enseignement historique qui prendrait pour objets exclusifs l’étude de la naissance, du développement, de la maturité puis de la décadence des règles juridiques de la Royauté à la chute de l’Empire112. Le point de vue de Huvelin s’explique sans doute, cela dit, par le lien très étroit qui unit le cours de droit romain et le cours d’histoire du droit français. Si le premier révèle les « origines romaines » du système juridique français, le second en effet « nous apprendra les origines germanique, canonique, révolutionnaire, de ce même système », de sorte que ces deux cours « constituent ainsi deux chapitres d’une même initiation, et doivent se prêter un mutuel appui »113.
Faut-il croiser la méthode historique avec d’autres approches ?
28Qu’il soit important de comparer les institutions juridiques des Romains avec celles des autres peuples contemporains, cela ne fait guère de doute chez les romanistes. P.-F. Girard dans sa présentation de la bibliographie qui accompagne son Manuel élémentaire de droit romain souligne ainsi que l’étude du processus de formation et d’évolution que connaît le droit romain depuis la loi des XII Tables jusqu’à Justinien doit nécessairement reposer sur des mises en relation soit avec le droit « des autres peuples de pareille origine » soit, plus généralement, avec ce « droit universel » que nous fait connaître le droit comparé. Il entend donc établir, lorsque cela est possible ou pertinent, des points de comparaisons avec les autres peuples, y compris de souche non indo-européenne, en s’appuyant essentiellement sur les travaux de R. Dareste, A.-H. Post ou de Summer Maine.
29Allant un peu plus loin encore, G. Cornil insiste pour sa part sur le fait que l’histoire du droit en général, et plus particulièrement l’étude du droit romain, peuvent être considérées, d’une certaine manière, comme « la préparation indispensable à l’étude du droit civil comparé », dans la mesure même où le droit romain constitue « le fond commun de tous les codes civils modernes »114. Mais affirmer que « la connaissance des principes essentiels du droit romain est à la base de toute étude de droit comparé »115 précisément parce que la plupart des droits continentaux, y comprend le droit anglo-saxon « en apparence plus indépendant », renferment un nombre important de règles romaines, revient-il à soutenir que le romaniste doive, dans son travail sur sa propre matière, recourir à la méthode du droit comparé, telle qu’elle s’ébauche en cette fin du XIXe siècle ? Certains paraissent le penser, par exemple G. Cornil qui l’applique même à un cas particulier : la question de l’origine de l’obligation ou, plus précisément, la question de savoir pourquoi, dans plusieurs systèmes anciens (Babylone, Grèce) l’engagement contractuel d’un débiteur apparaît le plus souvent, à l’origine, comme un cautionnement de sa propre dette (après avoir pris la forme, dans les temps encore plus reculés, de l’engagement d’un otage). Pour Cornil, la réponse se trouve dans l’étude de l’ancien droit germanique, dont les leçons peuvent être transposées à celle d’autres systèmes juridiques anciens, et plus précisément dans la distinction Schuld / Haftung (dette / assujettissement) mise en évidence par les germanistes. Le constat, jusque-là énigmatique, d’après lequel l’obligation primitive a pris la forme d’un cautionnement s’expliquerait ainsi par le fait que les anciens donnaient à la dette et à sa sanction des causes différentes116. On le voit, il ne s’agit plus de comparer de l’existant, mais de présumer à partir de ce qui existe ailleurs.
30À Lyon, une telle démarche est également adoptée par Édouard Lambert, spécialement à propos de l’étude des origines du testament romain (étude qui le conduit, plus généralement, à s’interroger aussi sur l’authenticité de la loi des XII Tables), et plus modestement par P. Huvelin117. Pour Lambert en effet la préhistoire du droit romain, les temps du droit romain archaïque, se montrent particulièrement propices à la mise en œuvre de la méthode comparative. Il n’est plus alors question de comparer entre elles des institutions ou des règles juridiques connues par ailleurs, mais de combler les lacunes, de restituer (tenter de restituer) les institutions du droit romain sous leurs traits originaires ; bref, aller du connu à l’inconnu par la comparaison dans l’espace et dans le temps, quitte à s’écarter de la tradition classique, notamment des sources littéraires118. Dans cette démarche, deux postulats sont mobilisés : les mêmes institutions se retrouvent, peu ou prou, chez tous les peuples parvenus au même degré de civilisation ou de développement juridique et ces institutions suivent, dans chacun de ces peuples, une évolution à peu près similaire. À quoi l’on peut ajouter, même si cet élément de réflexion n’est pas à proprement parler induit par la méthode comparative, que dans tous les peuples le souvenir des formes symboliques, rituelles se perpétuent plus longtemps que celui des effets attachés à leur accomplissement, la procédure et les symboles variant, explique Lambert, beaucoup moins vite que le fond du droit. En conséquence, il est permis d’affirmer que les concepts juridiques romains de l’époque ancienne « n’étaient pas sensiblement plus complexes que ceux de nos ancêtres Germains à la veille de leur établissement dans les Gaules »119. Il est également permis de rechercher à quelle technique germanique les plus anciens actes romains appelés à tort selon lui « testaments » se rattachent. Et Lambert de conclure que le concept d’acte à cause de mort ne se serait dégagé, en droit romain, que bien après la loi des XII Tables, à travers le testament per aes et libram, alors que le testament comitial ou le testament militaire (in procinctu), qui ne sont pas à ses yeux de véritables testaments, appartiennent plutôt à un groupe d’actes, présents aussi chez les Germains (affatomie de la loi salique), qu’il range sous la catégorie : adoptio in hereditatem120.
31Mais cette démarche ne suscite pas l’unanimité à Lyon. Appleton spécialement se charge d’en faire la critique, notamment dans l’une de ses contributions à la Revue générale du droit121. Ces temps reculés où tout (ou presque) n’est que conjecture parce que les renseignements fiables sont peu nombreux122 devraient inciter, martèle Appleton, à l’ars nesciendi, au repli de l’imagination, même si celui-ci reconnaissant volontiers l’« esprit très indépendant, mais très averti » de Lambert, ainsi que son originalité « de bon aloi » et sa « vaste érudition ». Certes, la méthode comparatiste peut être appliquée à l’histoire et à la compréhension du droit romain, encore faut-il réduire sa part à une « juste mesure ». D’une part, le romaniste peut utiliser la méthode comparative afin de soumettre à un « contrôle » encore plus poussé les sources existantes, notamment les récits tenus pour traditionnels (dont il a été vu plus haut qu’Appleton souhaitait la réhabilitation). D’autre part, la méthode comparative possède une « vertu suggestive » : elle permet de penser légitimement qu’une société donnée suit, dans le cours de son histoire, les mêmes phases d’évolution que celles qui lui sont comparables, notamment parce qu’elles sont assez proches, encore que, insiste Appleton, l’on aurait tort d’assimiler les Romains de l’époque de la loi des XII Tables aux Germains par exemple123 ou de penser que les sociétés ainsi confrontées ont nécessairement connu une évolution uniforme. Voilà qui ruine les deux postulats sur lesquels roule la méthode comparative appliquée à l’histoire du droit, spécialement le second contre lequel Appleton (il s’y réfère explicitement) invoque l’autorité de Montesquieu. Il vaut mieux admettre l’existence de « races »124, dont les traits particuliers (les « caractères spécifiques »125) sont au contraire « capables de modifier sensiblement la marche de leur évolution » ; de même qu’il convient de tenir compte de l’influence des « climats, des incidences géographiques et de circonstances contingentes extrêmement variées »126.
32Surtout, suggestion n’est pas, serait-on tenté de dire, raison : même soumise aux vérifications qui s’imposent, cette force suggestive ne saurait fonder à elle seule une conclusion nécessaire, faute de quoi « la méthode perdrait tout caractère scientifique… ce serait la méthode de Procuste »127. C’est cette position médiane que, depuis la Faculté de droit de Paris, E. Jobbé-Duval choisit lui aussi de défendre, tout en précisant qu’il parle en son nom personnel : malgré les « dangers » qu’elle peut receler, la méthode comparative ne doit pas être selon lui négligée, par exemple parce que l’étude des coutumes françaises qui se fixent au Moyen Âge peut parfaitement servir à mieux comprendre l’ancien droit romain, dès lors que (et Jobbé-Duval cite Appleton) cette méthode comparative se limite à suggérer et contrôler les hypothèses de travail128.
33Outre la méthode du droit comparé, les romanistes doivent-ils également se laisser tenter par les méthodes des sciences sociales ? La réponse à cette question mérite peut-être qu’on la considère à un double point de vue : d’abord, celui de la prise de conscience de l’inscription du droit, donc du droit romain, dans le champ des sciences sociales, favorisée par le recours à la méthode historique ; ensuite, de manière plus précise mais aussi beaucoup plus limitée, celui de l’adoption par certains des méthodes propres à la sociologie.
34À un premier point de vue, donc, il n’est pas inutile de rappeler que l’enseignement du droit romain contribue puissamment à former ce qu’Appleton appelle l’esprit juridique, c’est-à-dire une méthode de raisonnement alliant la déduction à l’induction, la connaissance des principes à l’observation de la réalité sociale, car la science juridique n’est pas purement logico-déductive, c’est-à-dire comparable à « celle des géomètres »129. Tout est affaire, en effet, de mesure : loin de tirer mécaniquement les conséquences logiques que pourraient produire les prémisses du raisonnement (« point de départ nécessairement imparfait, incomplet, loin de constituer une vérité absolue », remarque d’ailleurs Appleton), le juriste doit vérifier qu’elles ne contreviennent pas à un autre principe ou qu’elles ne soient pas inconciliables « avec les nécessités pratiques de la vie ou avec une évidente équité »130. Or la méthode historique n’est-elle pas la plus idoine à procurer ce sens de la mesure, lié à l’observation de l’institution en cause (qui permet d’en dégager la « tendance générale ») ? Elle consiste en effet à traiter le droit romain non pas comme l’incarnation idéale de la raison juridique mais comme un organisme vivant, en s’efforçant de restituer les différentes phases de son évolution. Elle doit être, selon Appleton, « largement » appliquée afin de perfectionner cet « instrument d’éducation » qu’est le droit romain131. Il est presque permis de dire que, aux yeux d’Appleton, l’étude du droit romain doit être promue moins pour elle-même (même s’il ne néglige pas une certaine forme d’érudition) que parce qu’elle offre un vaste champ d’observation de la manière dont les « lois naturelles qui président à la naissance, au développement et aux transformations du droit » agissent dans la société132. Le droit romain est à l’historien juriste ce que la société est au sociologue : il doit lui servir à dégager des lois (lois d’évolution) permettant de mieux comprendre le fonctionnement des sociétés anciennes et, pourquoi pas, modernes133, précisément parce que l’expérience juridique romaine a été sans doute la plus ample et la plus longue, offrant à l’observateur un champ le plus « complet » possible134. Au même moment, Cuq ou Jobbé-Duval tiennent le même discours. Pour le premier, la méthode historique permet seule de rétablir les règles ou les institutions dans « le milieu pour lequel elles ont été faites ». Dans un article à la Revue internationale de l’enseignement135, Cuq remarque ainsi que « depuis quelques années » s’est produite en France une « évolution » dans l’étude du droit romain consistant à ne plus la considérer uniquement comme une « gymnastique intellectuelle » destinée à « former l’art du raisonnement », mais à voir en elle le moyen de mettre en relief « les motifs généraux humains, qui ont agi sur tous les peuples », grâce à un intérêt renouvelé pour les progrès continus de la jurisprudence classique et les évolutions multiples du droit romain tout au long de son histoire. Il convient de considérer le droit romain comme un « phénomène historique »136, explique encore le second, c’est-à-dire au fond comme n’importe quel fait social, historiquement et économiquement déterminé, donc de dégager les lois de son évolution, d’identifier les causes des modifications parfois profondes qu’il a subies de la loi des XII Tables jusqu’à Justinien. Le métier de l’historien du droit n’est donc pas de juger abstraitement la valeur des règles juridiques dégagées par les préteurs, les prudents ou les empereurs, mais de faire connaître le processus historique (les causes sociales, économiques, politiques et morales) qui a permis leur éclosion et leur éventuelle évolution. Accarias déjà, même si son Explication des Institutes ne le laisse pas vraiment percevoir, avait senti la nécessité d’une telle méthode, appliquée au droit romain. Dans la notice nécrologique qu’il a consacrée au président Bonjean, il l’envisageait comme permettant de mieux faire saisir le « perpétuel et progressif enfantement » des règles et des institutions : grâce à elle, « au lieu de critiquer le droit romain parce qu’il a été tel ou tel, on recherche, ce qui est beaucoup plus philosophique, comment il est devenu tel »137.
35Bref, le recours à la méthode historique jette une lumière crue sur une évidence : le juriste n’est pas un simple « dialecticien exercé ». Il doit allier le point de vue pratique au point de vue théorique pour, le cas échéant, « s’arrêter à temps dans les déductions logiques à tirer d’un principe » et éviter « des désastres »138. Appleton considère donc que les procédés employés par le juriste, loin d’être antagoniques avec ceux qui sont mis en œuvre par les sciences politiques « proprement dites » (qu’il appelle aussi « sciences sociales »), sont au contraire « communs », de sorte que chacun, dans son domaine de compétences propre, peut apprendre des autres. Le juriste, au contact des sciences sociales, a tout intérêt à découvrir les vertus de l’observation, c’est-à-dire pour Appleton de la méthode historique, seule capable de corriger les excès toujours possibles de la déduction logique ; quant aux sciences sociales, elles peuvent emprunter à la science juridique l’art de la déduction bien entendu, donc appliqué avec précautions, qu’elles appliqueront aux lois sociales révélées par l’observation.
36Or parmi tous les enseignements juridiques, celui du droit romain lui paraît le plus apte à habituer le juriste à l’alliance de ces deux types de raisonnement. Si pendant longtemps celui-ci n’a été considéré que comme un exposé dogmatique, propre à habituer l’esprit des étudiants aux constructions rationnelles, la méthode historique qui doit lui être désormais appliquée ne les éclairera-t-elle pas cette fois sur les lois qui président à la formation et à l’évolution des droits ; lois qui ne peuvent être découvertes que par l’observation et qui, par-delà le droit romain entendu comme fait historique, concourent à donner « une intelligence plus complète de notre législation actuelle »139 ? Cela dit, la question du lien qu’il convient de nouer entre l’enseignement du droit romain (et plus généralement la science juridique) et les sciences sociales nouvelles comme la sociologie engage un débat sur l’identité même de la discipline et sur ses méthodes proprement constitutives. Car aux yeux d’Appleton, il ne s’agit pas pour le juriste de renoncer à son identité en se fondant dans le « groupe des sciences sociales », mais simplement d’adoucir la rigueur de la méthode déductive, dont les mérites ne doivent pas être négligés même si « il est de mode d’en médire aujourd’hui », remarque-t-il. N’est-ce pas grâce à elle que la propriété, la liberté, « la vie même des citoyens » sont protégées contre l’arbitraire ? Mieux : le raisonnement logico-déductif, par sa rationalité, n’est-il pas un facteur de civilisation, tandis que le risque d’un rejet total de la déduction au profit de l’induction-observation serait d’abandonner l’application du droit « à l’arbitraire où le juge, cette pierre angulaire de l’édifice social, est toujours porté à tomber »140 ?
37Il n’est donc pas question de renoncer à considérer le droit romain comme un « instrument d’éducation », « d’abandonner le point de vue dogmatique pour le point de vue historique » mais seulement « d’éclairer l’un par l’autre »141. Mais dans leur effort de conciliation des points de vue, Appleton ou Cuq par exemple se laissent enfermer dans une contradiction : contradiction entre la méthode historique, qui postule le caractère essentiellement muable des règles juridiques, et la méthode dogmatique qui, considérant le droit romain comme une science, un produit de la rationalité humaine, conduit au contraire à affirmer la permanence non pas du fond du droit mais de son alphabet, de ses corps simples identifiés par les juristes romains et mis en évidence, à l’époque moderne, par Jhéring notamment. Autrement dit, comment tirer tout le parti possible de la méthode historique lorsque, dans le même moment, est affirmée une « nature même des choses »142, intangible et expliquant la continuité par exemple du vocabulaire romain ? Poussant le raisonnement à son terme, l’on pourrait même dire que, plutôt que de fondre l’histoire et l’histoire du droit dans la sociologie, Appleton propose finalement l’inverse, c’est-à-dire l’absorption de la sociologie dans l’histoire : « l’histoire est la science des faits sociaux, c’est-à-dire la sociologie même. (…) Ainsi donc l’histoire, c’est la sociologie même, et l’histoire du droit constitue la branche principale de cette étude »143 !
38À un deuxième point de vue, plus limité, l’attrait des sciences sociales et spécialement de la sociologie conduit à une adhésion plus franche non seulement à l’esprit mais aussi aux méthodes. Une telle adhésion se rencontre, à Lyon, essentiellement dans l’œuvre de P. Huvelin, dont la collaboration à L’Année sociologique atteste, sur sa manière d’appréhender le métier de romaniste, l’influence forte de la sociologie durkheimienne144. C’est dans cette revue qu’il publie son étude sur les rapports de la magie et du droit individuel, dans laquelle il cherche à mettre en évidence la fonction individualisante de la magie et la part selon lui fondamentale que tient l’articulation des croyances individuelles avec les représentations collectives dans le fonctionnement du droit145. On pourrait aussi expliquer par cet attrait le fait que son Cours élémentaire s’ouvre sur un exposé des « faits capitaux de l’histoire de Rome », tant sur le plan institutionnel et politique que sur les plans intellectuels, économiques, sociaux, « qui ont influé sur la vie du droit privé »146. Même s’il est relativement sommaire, cet exposé montre le souci permanent de relier l’évolution du droit à la vie matérielle, concrète (par exemple, l’origine et la distribution des richesses).
La mise en place d’exercices pratiques ?
39Alors que l’apprentissage du droit romain est accusé de manquer de sens pratique, Appleton tout spécialement s’intéresse à la possible mise en place, dans le cursus universitaire, d’exercices pratiques propres à tempérer l’approche théorique en insistant sur les « conséquences usuelles » du raisonnement ou des institutions juridiques, en suivant « dans toutes leurs conséquences concrètes les solutions proposées »147. Il profite, sur ce point, de l’expérience vécue par Rouast lorsqu’il était étudiant à Bonn et dont il rend compte à la Revue internationale de l’enseignement où il explique que l’exercice pratique fournit les clés indispensables à la compréhension du droit148. Il s’agit, dans un premier temps, de traduire le texte qui fournit la règle étudiée (traduction dont il est de tradition, en Allemagne, qu’elle soit laissée aux soins des étudiants mais dont l’enseignant, pense Appleton, peut se charger) puis, dans un second temps, d’exposer le cas, ce qui contraint à reclasser, dans l’ordre, tous les éléments de l’affaire (les parties, les faits…) et permet de comprendre le cheminement intellectuel qui a conduit à la solution adoptée.
40L’objectif de ces exercices qui ressemblent fort à la technique du casus des glossateurs, concède Appleton, est d’apprécier, à travers leur mise en œuvre pratique, la valeur des théories émises, étant entendu que cette valeur dépend précisément du caractère plus ou moins opérationnel de ces théories. Conçus comme des cas d’espèce imaginaires, ces exercices pratiques auraient alors une vertu rectificatrice. Ils montreraient par exemple que l’interprétation qui consiste à voir dans le membrum ruptum de la loi des XII Tables l’amputation d’un membre « se heurte à une impossibilité pratique », de même que celle qui consiste, comme l’avait enseigné Niebuhr, à soutenir que la loi des XII Tables aurait limité le taux de l’intérêt au douzième du capital par an et que ce taux aurait été diminué par la suite, parce que d’une telle affirmation il faudrait conclure que l’argent était moins cher à Rome aux temps des XII Tables qu’à la fin de la République alors qu’il était, à l’époque des XII Tables, plus rare149 !
41Encore faut-il, pour ne pas commettre de contresens, que le caractère opérationnel des interprétations proposées soit apprécié non pas au regard de la société moderne mais du milieu social duquel sont tirées les règles ou institutions en cause. C’est précisément ce dont Huvelin doute. Il ne lui semble pas possible à l’interprète de s’extraire à ce point de son propre milieu pour se pénétrer d’un autre de sorte que, finalement, il les appréciera toujours à la lumière de l’esprit pratique tel qu’il se présente à son époque150. Appleton lui en tiendra rigueur et, après son décès, n’hésitera pas à affirmer que le dédain affecté pour une telle méthode par Huvelin a sans doute « nui à la sûreté des doctrines de notre éminent et très regretté collègue »151. Quoi qu’il en soit, sa proposition de mise en place des exercices pratiques en deuxième année ne sera pas suivie, sauf à Lyon et de manière partielle dans la mesure où ils n’interviennent que dans le cadre des conférences de droit romain152.
IV - Les leçons
42Au fond ce que réclament, avec d’autres évidemment, les Lyonnais, c’est l’application au droit romain d’une méthode historique bien comprise153. Appleton échafaude même sur cette hypothèse un programme d’enseignement du droit romain (imité de la pratique allemande) qui consisterait, dans un premier cours, à étudier l’évolution historique du droit romain et son alphabet (les corps simples) et, dans un second cours, à approfondir un certain nombre d’institutions dont l’étude, parce qu’elles seraient choisies parmi celles qui sont dans un étroit rapport avec le code civil, donnerait lieu à « des rapprochements instructifs ». Un tel cours, sans insister sur les « difficultés exégétiques », aurait pour vocation de former l’esprit juridique en démontant les mécanismes de raisonnement des prudents et en montrant l’équité et le « caractère pratique » des solutions admises par eux154.
43De manière plus générale, deux bénéfices pourront en être tirés de la mise en œuvre de la méthode historique. D’une part, la mise en perspective du droit romain dans la longue durée permettra une meilleure intelligence du droit romain lui-même mais aussi des législations modernes. Ainsi peut-être comprendra-t-on mieux que le droit romain est « le lien suprême qui réunit les législations des peuples d’Europe et d’Amérique, la base sur laquelle se construira le droit commun de l’avenir »155, les législations modernes pouvant (devant) s’inspirer de ce trait de caractère propre aux Romains, garantie en son temps de leur « grandeur » : « allier l’esprit de tradition à un esprit de progrès toujours en éveil »156. D’autre part, la mise en œuvre exclusive (Jobbé-Duval) ou large (Appleton) d’une telle méthode n’intéresse pas que l’historien et son objet de travail. Elle a une portée bien plus large : elle révèle à tous le caractère muable des institutions juridiques. D’un côté, elle introduit une distanciation plus grande du temps présent (et de ses enjeux) vis-à-vis du droit romain, rejeté dans un passé clairement circonscrit et déterminé, qui se traduit par une forme de désengagement. Le romaniste n’a pas pour mission « d’améliorer d’une façon indirecte la législation de notre pays », mais de restituer le plus fidèlement possible le contenu de ce droit ancien et la pensée de ceux qui l’ont mis en œuvre, sans chercher dans les conceptions modernes des arguments en quelque sens que ce soit. Mais, d’un autre côté, la méthode historique peut aussi receler une charge d’engagement, puisqu’elle interdit de penser comme définitif l’état du droit à un moment donné. On imagine à quelles conséquences politiques et sociales une telle prise de conscience peut conduire. E. Jobbé-Duval par exemple, convaincu de « l’étroite connexité de toutes les institutions du droit privé à une époque déterminée », ruine complètement l’idée d’un droit romain perçu comme modèle transposable car historiquement indéterminé (en tant qu’incarnation de la raison) et établit parfaitement ce lien en affirmant précisément que l’une des principales utilités de l’enseignement du droit romain consiste « à montrer comment naît le droit et comment il se développe par suite des transformations incessantes des sociétés humaines, son but ne saurait être d’arrêter les discussions législatives, ni d’empêcher les réformes… »157. Et de manière ironique tout autant que subversive, Appleton ajoute que la meilleure manière « d’échapper aux influences de la tradition », c’est encore de connaître (donc d’enseigner) et non pas d’ignorer : « il faut donc étudier le droit romain, ne serait-ce que pour nous en débarrasser ! ». La boutade ne vaut pas seulement pour le droit romain déformé légué par les commentateurs médiévaux. Elle s’applique également au « vrai » droit romain. Les nations ne sont pas vouées à une « perpétuelle minorité sur le terrain du droit », les obligeant à « copier l’antique ». Elles ont leurs besoins spécifiques et c’est à leur propre imagination, à leur « originalité », qu’il revient de trouver les réponses les plus idoines. Loin d’ôter toute utilité à l’enseignement du droit romain, une telle affirmation lui donne la place qui doit lui revenir. Celui-ci n’a pas pour mission en effet de révéler des solutions qu’il suffirait de transposer, mais de former l’imagination des juristes. Il est donc la « condition préalable » des progrès de la science juridique mais ne constitue pas son horizon indépassable : par le droit romain, mais au-delà du droit romain, écrit Appleton en s’inspirant de Jhéring158.
44Par cet usage généralisé de la méthode historique, l’enseignement du droit romain est apte à remplir le même office que tout enseignement historique : élargir l’horizon des idées, développer le sens critique. Il prépare même utilement et pratiquement, quoiqu’en disent ses détracteurs, les juristes à leurs métiers. Un administrateur colonial « élevé à l’école du droit romain » ne comprendrait-il pas « plus aisément et avec plus de sympathie159 les civilisations de l’Extrême-Orient ? »160. Mais les questions de méthode ne peuvent être disjointes des questions de fond : toute méthode est tributaire de l’objectif qu’elle doit permettre d’atteindre. Or quel est l’objectif, sinon la formation d’esprits justes ? N’est-ce pas cet objectif que Accarias et Girard, par exemple, ces « deux choryphées de l’enseignement du droit romain chez nous »161 trahiraient en négligeant le fait essentiel que les prudents romains n’ont jamais tenté de séparer la règle de droit des règles de la morale sociale ? Appleton en est convaincu. Ce reproche est considéré par certains, notamment P. Collinet, comme « injuste »162. Il explique cependant aux yeux d’Appleton la fausse interprétation donnée à la maxime non omne quod licet honestum est (D. 50, 17, 44) qu’il faudrait comprendre, indique Appleton, dans le sens que lui donnait Pothier déjà : un fait contraire à l’honestas ne saurait être admis, même s’il n’est pas formellement interdit. Et il produit des effets (séparation du droit et de la morale) d’autant plus désastreux qu’il s’alimente, depuis la fin du XVIIIe siècle, à la philosophie kantienne. La plupart des romanistes ont donc tort d’enseigner la nécessaire séparation du droit et de la morale. Ils se placent, ce faisant, en totale contradiction avec la lettre et l’esprit du droit romain. Consacrant un cours à la notion d’abus des droits, Appleton affirme ainsi, au contraire, qu’elle est aussi ancienne que le droit lui-même, malgré les objections spécieuses qui lui sont adressées163 et qu’elle exprime, concrètement, la mission du prudent telle que la pensée classique, notamment Ulpien, l’a définie : prêtre du droit, sa fonction dans la cité est d’enseigner la connaissance de la morale et de l’équité, la distinction de l’équitable et de l’injuste, du licite et de l’illicite, montrant ainsi, conclut Appleton, que « le progrès des Romains a donc consisté, non pas du tout à distinguer le droit de la morale, mais au contraire à montrer que le droit ne doit être que la morale en action »164. C’est dire si l’enseignement du droit romain « vise à faire des hommes justes » auxquels il apprend le respect de la propriété privée et de la parole donnée mais aussi l’équité : « or l’équité c’est l’égalité ; l’égalité notamment entre les prestations réciproques »165.
Notes de bas de page
1 G. Cornil, « Les codes modernes et le droit romain », Bulletins de la classe des lettres et des sciences morales et politiques et de la classe des beaux-arts, Académie royale de Belgique, 1912, p. 326. L’auteur vient d’évoquer la quête d’une « intelligence de plus en plus lucide de ce qu’est et de ce que doit être la société humaine, une conscience de plus en plus parfaite des devoirs de l’individu envers elle, comme des devoirs de la collectivité envers l’individu, en poursuivant enfin un idéal de plus en plus élevé de culture intellectuelle et de fraternité humaine ».
2 A. Beauchamp, Recueil des lois, règlements sur l’enseignement supérieur…, Paris, 1880-1915, I, p. 268. Le cours de Pandectes pouvait être suivi à la Faculté de droit de Paris en troisième année de licence, au choix de l’étudiant en vertu d’un arrêté du 1er octobre 1822 et, à Toulouse, une ordonnance du 22 septembre de la même année créait une chaire de droit commercial et une chaire de Pandectes tout en laissant aux étudiants le choix de suivre l’un ou l’autre cours (cf. E. Jobbe-Duval, « L’enseignement du droit romain, son utilité, son état actuel », Revue internationale de l’enseignement, 1904, p. 209, qui signale que, à Paris, la chaire de Pandectes a été occupée par C.-A. Pellat à partir de 1829 et que ce dernier a exercé « une influence décisive sur la formation des professeurs de droit romain et des professeurs de droit civil français de la seconde moitié du XIXe siècle »).
3 Circulaire du 10 février 1853 expliquant l’arrêté du 4 février. La circulaire fait remarquer que, dans les Facultés de province, l’enseignement du droit romain se déroulait sur une seule année, alors que l’on sait que, à Paris, il existait un cours de droit romain et histoire du droit (première année) en plus du cours de droit romain (deuxième année).
4 À quoi E. Jobbé-Duval (« L’enseignement du droit romain… », art. précit., p. 196) répond justement : « que certains catholiques d’une part, que certains collectivistes de l’autre cessent donc d’attaquer le droit romain au nom de leur idéal ; qu’ils défendent des solutions meilleures que les siennes, le champ leur est ouvert ; mais il importe encore ici de ne pas confondre une question avec une autre ».
5 Dans son Rapport au Conseil supérieur de l’Instruction publique (A. Beauchamp, Recueil des lois…, op. cit., V, p. 12), Accarias dit regretter cette amputation, mais précise que les défenseurs du droit romain « se sont inclinés… devant la nécessité qui oblige à retrancher d’un côté autant qu’on ajoute de l’autre » (au profit du droit international public). Mais, même réduit à un semestre, le cours de droit romain de deuxième année demeure obligatoire alors que le projet de réforme (circulaire du 12 janvier 1889, A. Beauchamp, Recueil des lois…, op. cit., IV, p. 237) prévoyait de le rendre optionnel. Le décret du 24 juillet peut donc être considéré comme un « moyen terme » (L. Liard, « La réforme de la licence en droit », Revue internationale de l’enseignement, 1889, p. 125).
6 Dans De la méthode dans l’enseignement du droit, en particulier dans celui du droit romain et des réformes adoptées en 1889 (A. Colin, 1891, extrait de la Revue internationale de l’enseignement du 15 mars 1891, p. 39), Appleton remarque que, en Allemagne, les cours de droit romain représentent au moins un tiers des cours totaux, oubliant de signaler (nous sommes en 1891) que le droit romain constitue alors en Allemagne un droit positif.
7 Seul la mention juridique du doctorat comporte donc un cours de droit romain, tout de même doublé, à Lyon, d’un cours d’épigraphie latine de 1897 à 1930.
8 Séance du 22 juillet 1905 (A. Beauchamp, Recueil des lois…, op. cit., VI, p. 753).
9 A. Esmein, « La licence en droit et le droit romain », Revue internationale de l’enseignement, 1902, p. 296. Cf. encore p. 298 : « je suis fermement convaincu que, sans le droit romain, il ne peut y avoir un enseignement scientifique du droit » et p. 303 : « il paraît donc impossible en France d’exclure le droit romain de la licence en droit, sans enlever à celle-ci son caractère scientifique et tout caractère d’enseignement supérieur. Les connaissances économiques, qu’on propose d’y introduire à sa place, ne sauraient, quelles qu’elles soient, combler la lacune énorme que laisserait sa disparition ».
10 Ch. Appleton indique ainsi que, à Paris, près de 80 % des élèves de deuxième année désertent le cours de droit romain pour celui de droit international public, jugé plus facile (Ch. Appleton, « Les exercices pratiques dans l’enseignement du droit romain », Revue internationale de l’enseignement, 1924, t. LXXVIII, p. 155). Pour P.-F. Girard, cette réforme place le droit romain dans une situation d’« infériorité… réelle » qu’il « présentera sans doute toujours désormais par rapport à la plupart des autres branches de l’enseignement du Droit » (P.-F. Girard, « L’enseignement du droit romain en 1912 », Nouvelle revue historique de droit français et étranger, 1912, p. 558
11 Cette étude s’arrêtera avec les années 1922-1925, qui voient le départ d’Appleton, le décès de Huvelin et la réforme du doctorat de sciences juridiques qui supprime le cours obligatoire de Pandectes (le cours de droit romain étant désormais laissé au choix de l’étudiant, en option avec le cours d’histoire du droit français). Enfin, le coup de grâce sera porté par le décret du 27 mars 1954 réformant la licence, qui crée en première année un cours d’histoire des institutions et des faits sociaux en lieu et place du cours de droit romain, relégué en troisième année.
12 D’autres, de Paris ou d’ailleurs, ont évidemment fait également entendre leur voix. Ainsi E. Jobbé-Duval, à propos du débat (toujours vif !) relatif à la réception du droit romain dans le royaume de France au Moyen Âge, indique-t-il que « la seule chose qui importe à notre point de vue, c’est du reste que, sans le droit romain, Beaumanoir n’aurait pas écrit au XIIIe siècle les Coutumes de Beauvaisis, que le droit commun coutumier ne se fût pas fondé au seizième, que l’œuvre de Pothier enfin n’existerait pas » (« L’enseignement du droit romain… », art. précit., p. 195, à la note ; l’article renvoie aux contributions, sur la question de l’enseignement, d’Appleton). Il ne s’agit pas de dire que le fond du droit romain (droit romain matériel) a irrigué les coutumes qui se fixent à l’époque (i.e. savoir si telle règle coutumière procède de la réception d’une règle similaire du droit romain ou représente une création originale), mais que le droit coutumier (qu’il faut distinguer des coutumes) est en grande partie redevable au droit romain et à sa méthode (rédaction, mise en ordre, alphabet).
13 A.D.Rhône, 1 t. 262.
14 Dans leur forme initiale ces annuaires disparaissent à compter de 1893, date à laquelle ils sont remplacés par des livrets distribués aux étudiants dans lesquels ne figurent plus les programmes des cours, mais seulement les noms de ceux qui sont chargés de les dispenser.
15 À la différence des deux premiers, le cours de Pandectes est, de 1880 à 1892, assuré exclusivement par Appleton, puis par Appleton en alternance, une année sur deux, avec Audibert jusqu’en 1899. À partir de cette date et jusqu’en 1923, le cours est dispensé, une année sur deux, soit par Huvelin soit par Appleton.
16 Les cours de licence sont consacrés aux Institutes, donc essentiellement au droit privé romain, mais Appleton comme Audibert ne s’interdisent pas une présentation des notions de droit public romain et, plus généralement, de l’histoire externe du droit romain (cf. S. Rondel, L’enseignement du droit romain à Lyon, Mémoire pour le M 2 Histoire du droit, Université Lyon, dir. D. Deroussin, p. 63).
17 Parmi les travaux de P. Huvelin consacrés notamment à la période de l’ancien droit, nombreux sont ceux qui ont fait l’objet d’un enseignement : les Études sur le furtum dans le très ancien droit romain (t. 1, les sources), 1915 et La notion de l’iniuria dans le très ancien droit romain, Lyon : Rey, 1903 correspondent aux thèmes des cours de 1900-1901 et 1902-1903. Son Essai historique sur le droit des marchés et des foires, Paris, 1897 et ses Études de droit commercial romain (histoire externe, droit maritime), Paris, 1927 sont en résonance avec le cours de 1908-1909 sur les institutions commerciales romaines. On citera encore, sans lien direct apparent avec un enseignement précis : Les tablettes magiques et le droit romain, Macon, 1901 ; Le procès de Shylock dans le "Marchand de Venise" de Shakespeare, Lyon, 1902 ; La deuxième guerre punique : une guerre d’usure, Paris, 1917. Son Cours élémentaire de droit romain, publié aux éditions Sirey par les soins de R. Monier, en 1927 pour le premier tome (procédure, personnes, droits réels, successions et donations) puis en 1929 pour le second tome (obligations), fait la synthèse de ses enseignements et recherches. Huvelin participe par ailleurs au Congrès français de la Syrie qui se tient à Marseille les 3, 4 et 5 janvier 1919 (publication à Paris par les éditions Champion en 1919), il rédige une Note sur la Palestine et la Syrie (Paris : Desfossés) et s’intéresse au rôle de l’Allemagne en Orient (L’Allemagne en Orient, Trévoux : Jeannin, 1916).
18 Lequel consacre son cours de Pandectes au cautionnement (1876) puis au dol et à la violence dans les actes juridiques (1877).
19 Après un passage à Grenoble, Hanoteau est affecté à Lyon en juin 1878. Dès 1880 il abandonne les cours de droit romain pour la procédure civile.
20 Formé à Grenoble, Audibert suit Caillemer à Lyon et y soutient sa thèse de doctorat (la première à Lyon, cf. N. Dockes-Lallement, « La fondation de la Faculté de droit de Lyon », La Faculté de droit de Lyon, 130 ans d’histoire, Lyon, 2006, p. 53). Il est major du concours d’agrégation de 1878.
21 On rappellera pour mémoire que, de 1878 à 1880, le cours de Pandectes est confié à Ch. Hanoteau, avant sa désignation définitive sur la chaire de procédure civile. Ce cours est alors exclusivement assuré par Appleton, qui ne le partagera (une année sur deux) avec Audibert qu’à partir de 1892.
22 Grâce à E. Jobbé-Duval (« L’enseignement du droit romain… », art. précit., p. 210), l’on sait que Ch. Audibert est chargé, pour l’année universitaire 1904, d’un séminaire de droit romain et de la conférence destinée à la préparation des candidats à l’agrégation d’histoire du droit.
23 Pour l’anecdote : Huvelin n’assure pas ses cours à Lyon en 1905-1906, année universitaire pendant laquelle il donne à Aix-Marseille un cours complémentaire d’histoire du droit français. Il est alors remplacé par Olivier-Martin, ce qui explique peut-être pourquoi ce dernier se chargera de sa nécrologie (« P. Huvelin », Revue historique de droit français et étranger, 1924-4, p. 351-352).
24 Appleton enseigne 47 ans, Huvelin 35 ans… On trouvera plus de renseignements dans : S. Rondel, op. cit.
25 De la Possession et des actions possessoires, Thèse Droit, Dijon : J. Marchand, 1871.
26 Même s’il s’intéresse à des questions plus politiques et actuelles, notamment à la situation sociale et politique des femmes dans le droit moderne lors d’un discours prononcé à la séance de rentrée des Facultés de Lyon, le 3 novembre 1892 (publication : Lyon, A. Storck, 1892).
27 Coup d’œil biographique sur quelques jurisconsultes français du XVIe siècle. Dumoulin, son rôle en Suisse. Cujas. Conférence faite dans la salle du Grand-Conseil, le 15 décembre 1874, Berne : impr. de Staempfli, 1875.
28 Étude sur les "Sponsores fidepromissores et fidejussores". Épisode des luttes entre la plèbe et le patriciat au VIIe siècle de Rome, Paris : E. Thorin, 1876 ; De la Condition résolutoire dans les stipulations, et de la stipulation prépostère, Paris : L. Larose, 1879, extrait de la Nouvelle Revue historique de droit français et étranger.
29 Par exemple : « l’obligation de transférer la propriété dans la vente romaine, Fr. 16 D. ’De cond. causa data’, XII, 4 », Nouvelle Revue historique de droit français et étranger, novembre-décembre 1906 qui a été imprimé à Paris chez L. Larose et L. Tenin en 1906 ; ou encore « des Droits du vendeur à livrer dans la faillite de l’acheteur » (Paris, A. Rousseau, 1887, extrait des Annales de droit commercial.
30 Contribution à l’histoire du prêt à intérêt à Rome. Le taux du ’fenus anciarium’, Paris : L. Tephin, 1919, extrait de la Nouvelle Revue historique du droit français et étranger.
31 Histoire de la compensation en droit romain, Paris : G. Masson, 1895.
32 Paris : E. Thorin, 1893, extrait de la Revue générale du droit.
33 De quelques problèmes relatifs à l’histoire du mariage, promiscuité primitive, couvade, capture, etc., Paris : Fontemoing, 1916 ; De quelques problèmes relatifs à l’histoire du mariage romain, Lyon : Rey, 1917 ; La longévité et l’avortement volontaire aux premiers siècles de notre ère, avec un tableau de statistique comparée, Lyon : Rey, 1920.
34 Paris : E. Thorin, 1889, 2 vol. in-8°, qui a fait l’objet d’une réimpression par Aalen : Scientia Verl., 1974.
35 Essai de restitution de l’édit Publicien et du commentaire d’Ulpien sur cet édit, Paris : E. Thorin, 1886, extrait de la Revue générale du droit.
36 O. Lenel, Essai de reconstitution de l’Edit perpétuel, Paris, 1901, trad. F. Peltier, dont Audibert a rédigé le compte-rendu à la Nouvelle revue historique du droit, t. XXV, 1901.
37 La Date des Digesta de Julien, Paris : L. Larose et L. Tenin, 1911, extrait de la Nouvelle Revue historique de droit français et étranger, t. XXXIV. À quoi il faut ajouter : Les Pouvoirs du fils de famille sur son pécule ’castrans’ et la date des ’Digesta’ de Julien, Paris : L. Larose et L. Tenin, 1911 extrait de la Nouvelle Revue historique de droit français et étranger, 4ème série, t. I.
38 Paris : E. Thorin, 1891, extrait de la Revue générale du droit 1891.
39 Le compte-rendu d’Erman sur l’Histoire de la propriété prétorienne le conduit par exemple à soutenir que la Faculté de droit de Lyon n’a « plus rien à faire pour mériter d’être la première Université régionale française » (cité par N. Dockes-Lallement, « La fondation… », art. précit., p. 53).
40 Sa nécrologie est rédigée, en 1935, par P. Collinet (P. Collinet, « Charles Appleton », Revue historique de droit français et étranger, 1935-4, p. 609-622).
41 Paris : L. Larose et Forcel, 1884. Outre la matière juridique, son regard s’est aussi porté, surtout à la fin de sa carrière, sur l’histoire politique et sociale de Rome : Trois épisodes de l’histoire ancienne de Rome. Les Sabines, Lucrèce, Virginie, Paris, Sirey, 1924.
42 Observations sur la méthode dans l’enseignement du droit en général, du droit romain en particulier, et sur les réformes adoptées en 1889, Paris : A. Colin et Cie, 1891 ; Le testament romain, la méthode du droit comparé et l’authenticité des XII Tables (extrait de la Revue générale du droit, 1902-1903), Paris : A. Fontemoing, 1903 ; « L’enseignement du droit romain », Revue générale du droit, de la législation et de la jurisprudence, 1921, t. XLV, p. 211-217 ; « Les exercices pratiques dans l’enseignement du droit romain », Revue internationale de l’enseignement, 1924, t. LXXVIII, p. 142-158 ; « Notre enseignement du droit romain, ses ennemis et ses défauts », Mélanges de droit romain dédiés à G. Cornil, Paris, Sirey, 1926.
43 Sur Huvelin, voir : Fr. Audren, « Paul Huvelin (1873-1924) : juriste et durkheimien », Revue d’histoire des sciences humaines, 2004-1, p. 117-130 et, en dernier lieu, la notice au Dictionnaire historique des juristes français, Paris, PUF, 2007, dir. P. Arabeyre, J.-L. Halperin et J. Krynen.
44 Né à Saint-Lô le 23 avril 1837, Caillemer accomplit de brillantes études de droit à Caen, où il suit les cours de Demolombe et soutient le 22 août 1861 une thèse intitulée : Des Intérêts (Caen : A. Hardel, 1861, 275 p.). Il s’inscrit ensuite au Barreau et devient avocat à la Cour d’appel de Caen (contre la tradition familiale qui le destinait plutôt au notariat). Mais il choisit finalement l’Université, qu’il intègre à la faveur du concours d’agrégation de droit, section droit civil et criminel, de 1862 (dont il est le major de promotion). Chargé de cours puis professeur titulaire de la chaire de droit civil (en 1864, à la faveur d’une dispense d’âge) à la Faculté de droit de Grenoble, il est désigné juge au concours d’agrégation en 1867 puis en 1878 (avant de présider lui-même un jury). Lors de la création de la Faculté de droit de Lyon, il est désigné en même temps professeur et doyen (fonction qu’il occupe jusqu’en 1908). Tout au long de sa carrière il aura bénéficié de l’amitié et du soutien d’un autre helléniste : Ch. Giraud. C’est à ce dernier en effet qu’il doit son élection comme membre correspondant de l’Institut et, vraisemblablement, sa désignation à Lyon. Pour plus de renseignements, cf. D. Deroussin, « Exupère Caillemer (1837- 1913) », La Faculté de droit de Lyon…, op. cit., p. 91-95 et v° Caillemer in Dictionnaire historique des juristes français, op. cit. ; N. Dockes-Lallement, « La fondation… », art. précit., p. 27-59.
45 À son arrivée à Lyon Huvelin est chargé des cours d’histoire générale du droit français (1ère année) et d’histoire du droit (doctorat) avant d’obtenir la chaire d’histoire du droit en 1900, après le départ de Barthélémy. Il enseigne à la Faculté (sur une chaire de droit comparé créée à son attention en 1920) jusqu’à l’âge de la retraite, en 1936. Ses recherches mais aussi la création de l’Institut de droit comparé lui valent une reconnaissance internationale dont témoigne la multitude des contributeurs aux trois volumes de mélanges qui lui sont dédiés et publiés sous le titre : Introduction à l’étude du droit comparé, Recueil d’études en l’honneur d’Ed. Lambert, Paris, L.G.D.J., 1938.
46 Caillemer et Huvelin prennent part, à côté d’Appleton, au jury réuni pour une thèse intitulée : Le droit romain et le droit grec dans le théâtre de Plaute et de Térence (Lyon : Rey, 1900). Quant à la thèse intitulée : Essai historique sur le développement de la notion de droit naturel dans l’antiquité grecque (Trévoux : J. Jeannin, 1908), elle est soutenue devant Caillemer, Huvelin et Lévy.
47 Ch. Appleton, « Notre enseignement du droit romain… », art. précit., p. 43 : « craignons que nos dédains de l’antiquité n’éveillent un jour les sourires de la postérité ». Préjugé qui s’ajoute aux présupposés « étranges » et « nombreux » que l’enseignement du droit en général suscite, y compris « chez des personnes fort instruites » (lorsqu’elles confondent, par exemple, le droit et la chicane ou nient le caractère scientifique du droit, cf. Ch. Appleton, « Observations sur la méthode dans l’enseignement du droit en général, du droit romain en particulier et sur les réformes adoptées en 1889 », Revue internationale de l’enseignement, 1891, p. 236).
48 La latin ne fait pas partie des langues « mortes, mais immortelles ». Appleton refuse l’idée d’après laquelle l’apprentissage du latin et du droit romain n’est propre qu’à former dans les provinces « une basoche confortablement nourrie de droit romain et d’humanités classiques », appui des gouvernements conservateurs, tandis que l’enseignement du droit international ou de la législation ouvrière serait propre à former « des esprits hardis, novateurs, et pour tout dire, avancés » (L’œuvre, 3 décembre 1924, cité par Appleton, « Notre enseignement du droit romain… », art. précit., p. 45).
49 Ch. Appleton, « Notre enseignement du droit romain… », art. précit.
50 Peut-être en réponse aux inquiétudes exprimées par certains, P.-F. Girard explique en effet au même moment que le succès de son Manuel élémentaire auprès des étudiants devrait rassurer ceux qui craignent que « les études sérieuses de droit romain soient si délaissées ni en France ni ailleurs » (préf.).
51 Ch. Appleton, « Observations… », art. précit., p. 264.
52 Ch. Appleton, « Notre enseignement du droit romain… », art. précit., p. 47.
53 Ch. Appleton, « Observations… », art. précit., p. 265.
54 GIrard, Manuel, p. 5 : « il est certain par exemple que, quand Pothier a mal compris une théorie romaine, ce n’est pas la théorie véritable de Rome, mais le contre-sens de Pothier qui a passé dans le code ». Le droit romain « vrai » n’est autre, dans l’esprit de Girard, que celui que « la critique moderne » parvient à « dégager de l’ensemble des documents qui nous sont parvenus ».
55 Ch. Appleton, « Notre enseignement du droit romain… », art. précit., p. 49.
56 Déjà dans un article plus ancien à la Revue internationale de l’enseignement (1891, t. XXI, p. 261-265) Appleton avait eu l’occasion de plaider contre ce système de cloisonnement traitant le droit romain et le droit positif comme des « compartiments étanches » alors même que nombre d’articles du code civil « ne s’expliquent complètement que par lui [le droit romain] ». Appleton a d’ailleurs mis cette idée en pratique, puisqu’il a enseigné le droit constitutionnel.
57 Ch. Appleton, « Notre enseignement du droit romain… », art. précit., p. 49.
58 Ch. Appleton, « Notre enseignement du droit romain… », art. précit., p. 47.
59 C. Accarias, Précis de droit romain contenant avec l’exposé des principes généraux le texte, la traduction et l’explication des Institutes de Justinien, Paris, 1882, 3ème éd.
60 Annales des Facultés de Lyon, 1889, p. 11.
61 Annuaire de l’Université, 1885-1886, p. 11.
62 Ch. Appleton, « Observations… », art. précit., p. 250.
63 Ch. Appleton, « Observations… », art. précit., p. 238. La position d’Appleton est assez radicale. L’Université est, pour lui, synonyme de liberté absolue et, dirions-nous aujourd’hui, d’autonomie (pédagogique) : « quelle nécessité y a-t-il à ce qu’on enseigne les mêmes choses dans la même année, avec la même méthode, sur le même programme, à Paris, à Lyon, à Bordeaux, etc.?… Créer des Universités ne sera qu’une réforme sur le papier tant qu’on ne leur aura pas accordé l’essentiel, la liberté des programmes et des méthodes » (id., p. 251), étant entendu que la liberté des Universités doit reposer sur celle des Facultés, elle-même tributaire de celle des professeurs.
64 E. Jobbe-Duval, « L’enseignement du droit romain », art. précit., p. 197.
65 Ch. Appleton, « Observations… », art. précit., p. 249.
66 Appleton fustige au passage ce « laminoir destructeur de tout relief » qu’est l’édition des manuels (Ch. Appleton, « De la méthode », art. précit., p. 19).
67 Appleton se défend d’ailleurs contre ceux qui assimileraient ce rejet relatif de l’érudition à un désintérêt pour les sources (« L’enseignement du droit en France néglige-t-il les sources ? », Revue générale du droit, de la législation et de la jurisprudence, 1909, t. XXXIII, p. 511-520).
68 « Car la puissance éducatrice du droit romain réside surtout dans le tableau merveilleux d’une évolution plus que millénaire du droit : ce qui est le plus hautement instructif pour nous, c’est la remarquable stratification de sédiments juridiques… nous avons là un vaste champ d’observation », art. précit., p. 311.
69 Revue internationale de l’enseignement, 15 mars et 15 avril 1925, p. 96.
70 Ce qui ne conduira pas nécessairement à une baisse du niveau des études. Nullement nostalgique, Appleton remarque d’ailleurs que, à l’heure où il écrit, les étudiants sont « plus sérieux, les examens plus difficiles », de sorte que « il n’y a pas d’hésitation possible, les études sont aujourd’hui plus fortes qu’autrefois », même s’il « semblerait à quelques-uns que reconnaître l’infériorité de l’enseignement qu’on a reçu, ce serait se dénigrer soi-même ! » (« Observations… », art. précit., p. 277).
71 A. Esmein, « La licence en droit et le droit romain », Revue générale de l’enseignement, XLIV, 1902, p. 289 et s. Les fils qui, mal guidés par leurs pères, s’aventureraient à la Faculté de droit après des études scientifiques seraient des « égarés… qui auront d’abord visé une autre carrière… et qui ont manqué leur premier but : le plus souvent d’anciens candidats à l’Ecole polytechnique, à Saint-Cyr, à l’Ecole centrale » (p. 293). Pour Esmein, cette réforme du secondaire n’emporte donc pas la nécessité de celle des études en droit, d’autant plus que si l’étude du droit exige une certaine connaissance de la langue latine afin d’accéder aux textes, « ceux-ci apparaissent fort discrètement dans le cours de certains professeurs » (Esmein cite, à l’appui de cette assertion, les rapports de H. Monnier de la Faculté de Bordeaux et de Ed. Lambert).
72 Ch. Appleton, « L’enseignement du droit en France néglige-t-il les sources », art. précit., p. 511 et s.
73 Le mot est employé dans un article anonyme, qui pourrait fort bien avoir été rédigé par Appleton, paru dans Le Temps le 18 août 1905. Quoi qu’il en soit, Appleton le prend à son compte dans sa polémique contre J. Archer.
74 P. 76 à 79.
75 Allusion aux articles parus dans Le Temps (19 juillet 1905), dans lesquels le droit romain est rangé au nombre des « études archaïques », avec l’histoire du droit.
76 Et elle se pose aujourd’hui avec une acuité plus forte encore.
77 J. Archer, « Réponse à M. Ch. Appleton », Revue générale du droit, 1909. Archer reproche à l’enseignement du droit de négliger l’étude des sources dans la mesure où, en licence, les cours obligatoires s’en éloignent (il prend pour preuve ce qu’il a vu, à Paris, de l’enseignement du droit romain ainsi que le rapport précité de la Faculté de droit de Lyon) et que le titre de docteur peut être obtenu, grâce au doctorat ès sciences politiques et économiques, sans avoir suivi un seul cours de Pandectes (cours auxquels, précisément, Appleton réserve l’étude critique des textes). Il évoque également le fait que, lors d’un jury d’agrégation réunissant notamment Esmein, Girard, Fournier et Monnier, un candidat a commenté une novelle non pas à partir du texte grec, mais d’une traduction…
78 Dans sa réponse à Appleton, J. Archer annonce même mettre un terme à sa collaboration à la revue. Les expressions et jugement sont parfois vifs : Appleton évoque la jeunesse d’Archer, qui expliquerait son emportement à défaut de l’excuser et Archer se soucie ironiquement de la « véhémence du langage chez un critique à qui son âge avancé interdit de se mettre en colère sans raison grave ».
79 Cf. sa préface à la réédition du Manuel de Girard.
80 Ch. Appleton, « L’hypercritique », Revue générale du Droit, 1921, p. 1 : « la méthode hypercritique ne se fait aucun scrupule de jeter par dessus bord le témoignage des écrivains anciens ». Appleton veut au contraire les réhabiliter. Il comprend d’autant moins, on s’en doute, les critiques précitées de J. Archer.
81 La critique vise directement Huvelin : Ch. Appleton, « Huvelin romaniste », R.H.D. 1924, p. 697.
82 Ch. Appleton, « Le fragment d’Este, étude d’épigraphie juridique », Revue générale du droit, de la législation et de la jurisprudence…, 1900, p. 193-248.
83 G. Cornil, art. précit., p. 325.
84 Institutions…, Paris, 1ère éd., p. 594.
85 Cf. Ch. Appleton, « Les exercices pratiques dans l’enseignement du droit romain », Revue internationale de l’enseignement, 15 mai et 15 juin 1924, p. 142- 158.
86 Ce qu’il n’hésite pas à reprocher à Huvelin. S’il était sans doute un « grand artiste », un « romaniste éminent… à qui personne de sa génération n’aurait, croyons-nous, disputé le premier rang sous le rapport de l’érudition et du talent », celui-ci en effet représente bien la tendance trop répandue en France qui consiste à préférer l’imagination à l’esprit pratique, au risque d’affirmer (Huvelin, Furtum, p. 406 et s.) par exemple que l’impubère était considéré capable d’être l’auteur principal d’un vol, mais pas complice : or « quand une législation frappe le complice, le sens commun le plus élémentaire montre qu’elle ne peut pas ne pas reconnaître la capacité d’être complice, à tout individu capable d’être auteur principal » (« Notre enseignement du droit romain », art. précit., p. 66). Mais la référence au sens commun, au bon sens n’est ni aisée, ni anodine…
87 « Les professeurs ne sont point des dictionnaires, mais des éducateurs et des guides, faits pour enseigner les méthodes et semer les idées fécondes dont les connaissances seront le fruit » (Ch. Appleton, « Observations… », art. précit., p. 238).
88 Par exemple, un cours de notariat n’a pas à être dispensé par la Faculté, mais plutôt par l’école de notariat (Ch. Appleton, « Observations… », art. précit., p. 239). C’est toute la différence, explique Appleton, entre les Facultés de droit et les Facultés de médecine, chargées de former directement à l’exercice d’une profession.
89 À propos de la réforme des études secondaires, A. France constatait en effet que « dans notre zèle étourdi, nous avons voulu leur apprendre tout et nous avons oublié de leur apprendre à penser. Nous nous sommes efforcés de leur donner toutes les connaissances qui ne sont rien, sans leur donner la méthode qui est tout », Le Temps du 30 mars 1890. C’est dans un article au même journal du 29 juin 1890 que A. France cite Lavisse : « l’enseignement supérieur, c’est, en fin de compte, une méthode » qui doit élever les esprits au-dessus des détails.
90 Ch. Appleton, « Observations… », art. précit., p. 238.
91 Ibid., p. 277.
92 Appleton paraît seul à réclamer, comme en Allemagne, que le professeur de droit romain soit aussi chargé d’un cours de droit positif. Ch. Audibert, de son côté, récuse l’idée dans un article à la Nouvelle revue historique du droit (t. XXVII, 1903, p. 878) et craint même, pour l’Allemagne, que cette double mission ne conduise à un appauvrissement de la science romanistique. Selon lui en effet, l’étude du droit romain et l’étude de la législation nouvelle issue du B.G.B. constituent des champs distincts qui méritent d’être labourés par des spécialistes distincts. Jobbé-Duval est du même avis, même s’il est contraint de reconnaître (en 1904 donc) que « jusqu’à présent rien ne révèle un affaiblissement des études d’histoire du droit romain, bien au contraire » en Allemagne (art. précit., p. 206-207). Un tel constat ne vaudrait-il pas encore aujourd’hui, donnant ainsi raison à Appleton ?
93 Même si, de l’autre côté du Rhin, mais pour des raisons historiques particulières, l’étude du droit romain médiéval et moderne a déjà fait la gloire de Savigny et de sa Geschichte des Römischen Rechts.
94 Girard, Manuel, p. 6 : « or aucun droit n’est plus propice à un pareil travail d’entraînement intellectuel que le droit romain qui… se trouve être, au point de vue de la pure technique, le monument le plus parfait de dialectique juridique qu’on puisse rencontrer ».
95 Selon l’expression d’A. Esmein (« La licence en droit et le droit romain », art. précit., p. 299).
96 Appleton ne comprend d’ailleurs pas les raisons du mépris exprimé notamment par Girard et d’autres après lui à l’endroit de Pothier et même de Domat, qualifiés de « civilistes » (P.-F. Girard, Manuel…, 6ème éd., p. 91).
97 Ch. Appleton, « Observations… », art. précit., p. 264.
98 Ibid., p. 252 et 263.
99 G. Cornil, « Les codes modernes et le droit romain », Bulletins de la classe des lettres et des sciences morales et politiques et de la classe des beaux-arts, Académie royale de Belgique, 1912, p. 310.
100 Caillemer s’est néanmoins intéressé au droit romain au tout début de carrière dans des Notes pour la biographie du jurisconsulte Gaius, Paris, 1865 et dans un article : « Un commissaire priseur à Pompéi, au temps de Néron », Nouvelle revue historique, 1877. Il a également assuré en doctorat un cours d’histoire du droit jusqu’en 1884 (date à laquelle il le cède à H. Berthélémy, qui quitte Lyon en 1896 pour succéder à Paris à H. Michel, un autre ancien lyonnais, sur la chaire de droit administratif, avant de devenir doyen de la Faculté de droit de Paris).
101 Revue lyonnaise illustrée du 14 juin 1891, p. 2. L’Association pour l’encouragement des études grecques lui décerne son prix annuel en 1880. Les droits grecs anciens, beaucoup plus que la procédure civile (intitulé de la chaire qui lui est confiée à Lyon dès 1875), l’intéressent au premier chef. Caillemer écrit plusieurs notices dans le Dictionnaire des antiquités grecques et romaines, Paris, 1873-1899 de Daremberg et Saglio. Il rédige également de nombreuses études : Le contrat de prêt, Paris, 1870 ; « Le contrat de vente à Athènes », Revue de législation, 1870-73 ; Rapport à l’Académie de législation de Toulouse sur les études de droit athénien, Toulouse, 1871. Il participe, aussi, à L’Essai sur le droit privé athénien de H. Rozy.
102 E. Caillemer, Le droit de succession légitime à Athènes, études sur les antiquités juridiques d’Athènes, Paris, Caen, 1879. L’année suivante, ses Études sur les antiquités juridiques d’Athènes s’enrichissent d’un nouveau volume consacré à La naturalisation à Athènes, Paris, 1880 (publication du discours prononcé devant l’Académie nationale des sciences, arts et belles-lettres de Caen). Jusque-là, seul son ami Ch. Giraud avait tenté d’étudier en juriste cette partie des droits grecs anciens, notamment dans un article à la Revue de législation (t. XVI, p. 97 et s.) intitulé : « Du droit de succession chez les Athéniens ».
103 Travaux sur l’histoire du droit français, Paris, 1843.
104 E. Caillemer, Le droit civil dans les provinces anglo-normandes au XIIème siècle, Caen, 1883, p. 4.
105 Guillaume de Longchamp (sur lequel : Histoire littéraire de la France, t. XV, p. 267 à 274) a été le chancelier de Richard Cœur de Lyon, puis évêque d’Ely en 1189, Grand justicier et légat du Pape. Pendant l’absence de Richard pour la Croisade, il est mis en accusation par Jean sans Terre et s’enfuit en France, où il meurt à Poitiers en 1197.
106 E. Caillemer, Le droit civil…, op. cit., p. 5. Le compte-rendu de l’ouvrage de H. Fitting consacré au Brachylogus (cherchant à montrer l’origine française du texte et la date de sa confection, à la fin du XIe siècle ou au tout début du XIIe siècle), qu’il avait rédigé quelques années plus tôt dans la Revue critique d’histoire et de littérature (t. IX, 1880, p. 67 et s.) laissait déjà apparaître cette conviction.
107 Litiscontestation, Paris, 1881, p. 260.
108 E. Caillemer, Le droit civil…, op. cit., p. 9.
109 L’étude des droits savants en effet le conduit à consacrer le discours qu’il prononce lors de la séance de rentrée solennelle des cinq Facultés de l’Académie de Lyon aux rapports du droit romain et de la papauté (Le Pape Honorius III et le droit civil, Lyon : impr. de Mougin-Rusand, 1881). En 1903 il publie encore un ouvrage sur Jean de Blanot à Lyon, chez A. Rey, 1903. Enfin, il n’est pas illégitime d’imaginer qu’il n’est pas complètement étranger à l’analyse des rapports du droit social et du droit individuel conforme aux idées, présentes aussi chez d’autres Lyonnais (Josserand) de A. Fouillée (Le mouvement idéaliste), que l’on trouve dans l’une des thèses qu’il fait soutenir à Lyon (Essai historique sur le développement de la notion de droit naturel dans l’antiquité grecque, Trévoux : J. Jeannin, 1908). Le compte-rendu qu’il fait à l’Académie de Lyon de l’ouvrage de M. Ferraz sur le socialisme, le naturalisme et le positivisme en France au XIXe siècle, publié à Lyon (impr. de C. Riotor, 1877) montre également cet intérêt pour l’histoire récente des idées.
110 R. Monier, Manuel élémentaire de droit romain, Paris : Domat, 1947, 6e éd., t. I, p. 2.
111 Ch. Appleton, « L’enseignement du droit romain… », art. précit., p. 211-217.
112 R. Monier, op. cit., I, p. 3.
113 P. Huvelin, Cours élémentaire, op. cit., I, p. 6.
114 G. Cornil, art. précit., p. 310. L’idée d’une étude du droit romain comme prolégomènes à celle du droit comparé est notamment défendue par G. Cornil dans son Traité de la possession dans le droit romain, pour service de base à une étude comparative des législations modernes, Paris, 1905.
115 Manuel, op. cit., p. 3.
116 G. Cornil, art. précit., p. 324.
117 P. Huvelin, « La solidarité de la famille en Grèce et la méthode du droit comparé », Nouvelle Revue historique de droit français et étranger, 1907, XXXI, p. 177-205.
118 Lambert, cela dit, est plus mesuré. Le rôle du droit comparé, remarque-t-il, ne doit pas être exagéré car il vise non pas à remplacer la tradition mais à l’éclairer : « le seul fait qu’une des affirmations de l’historiographie nationale est en contradiction flagrante avec les données même les plus concordantes et les plus précises de l’histoire comparative, ne démontre pas par lui-même l’inexactitude de cette affirmation ». Il y a là, simplement, « motif décisif de montrer quelque défiance à l’égard de la tradition » (cité par Ch. Appleton, Le testament romain, op. cit., p. 34).
119 Ed. Lambert, Une réforme nécessaire des études de droit civil (extrait de la Revue internationale de l’enseignement), Paris, 1900, p. 2.
120 Voir not. Éd. Lambert, La tradition romaine sur la succession des formes du testament devant l’histoire comparative, Paris, 1901, p. 27.
121 Ch. Appleton, « Le droit comparé appliqué à la reconstruction du droit romain ancien – Le testament », Revue générale du droit, de la législation et de la jurisprudence, 1902, t. XXVI, p. 50-69 et p. 506-569 et 1903, t. XXVII, p. 37-81 et p. 103-118. Appleton revient sur la question de la « nature et antiquité des ’leges XII tabularum’ » lors d’une communication à Rome à l’Accademia dei Lincei en 1904.
122 Huvelin de son côté soulignait également le manque de fiabilité des sources du très ancien droit romain, comme par exemple les leges regiae qu’il considère comme des « édits religieux » (P. Huvelin, Cours élémentaire, op. cit. I, p. 40).
123 Appleton cite Von Ehrenberg et Girard pour affirmer que les Germains d’avant l’installation en Gaule se trouvaient dans un état de développement inférieur aux Romains de l’époque ancienne, « à plusieurs degrés au-dessous » (Ch. Appleton, Le testament romain…, op. cit., p. 27).
124 Appleton utilise plusieurs fois le terme, cf. par exemple Le testament romain, op. cit., p. 32 : « le principal danger de la méthode [comparative] c’est donc de créer une tendance à vouloir retrouver partout la même évolution et les mêmes institutions, sans tenir compte des particularités de race ou de milieu ».
125 S’agissant des Romains, Appleton met en avant, au titre des « aptitudes spéciales » que l’on peut reconnaître à un « peuple » (glissement race / peuple), leur « intelligence » toute particulière pour le droit.
126 Ch. Appleton, Le testament romain…, op. cit., p. 31.
127 Ch. Appleton, « Le testament… », art. précit., p. 147.
128 E. Jobbe-Duval, « L’enseignement du droit romain », art. précit., p. 198.
129 Ch. Appleton, « Observations… », art. précit., p. 241.
130 Ibid., p. 242.
131 Ch. Appleton, « Observations… », Revue internationale de l’enseignement, t. XXI, 1891
132 Ch. Appleton, « Observations… », p. 248.
133 Au même moment, à Lyon, le civiliste L. Josserand n’affirme-t-il pas lui aussi que la grande loi de l’évolution « domine le monde social au même titre et dans la même mesure que le monde physique » (De l’esprit des droits et de leur relativité, Paris, Dalloz, 1927, rééd. Dalloz 2006, préf. D. Deroussin, p. 396) ?
134 P. Huvelin, Cours élémentaire, op. cit., I, p. 4. Comme l’expérience juridique romaine a un commencement et une fin, de sorte qu’il est toujours possible de savoir ce qu’il advient des institutions étudiées, elle s’offre vraiment comme un « instrument d’éducation historique », écrit Huvelin.
135 T. XI, 1886, p. 477.
136 E. Jobbe-Duval, « L’enseignement du droit romain », art. précit., p. 196. H. Lévy-Bruhl est du même avis et critique ceux qui considèrent que le droit romain forme un tout, un « bloc homogène » dont toutes les parties doivent a priori « s’accorder les unes avec les autres ». Une telle conception contraint en effet à des contorsions ou des infidélités, notamment parce qu’elle implique de régler impérativement les contradictions entre les textes au nom d’une prétendue nécessaire cohérence : lorsque deux prudents se disputaient sur un point, « on arrivait par quelque raisonnement subtil à démontrer qu’ils étaient cependant d’accord », note-t-il ironiquement (H. Levy-Bruhl, « Pour le droit romain », Revue internationale de l’enseignement, 1925, p. 95).
137 Cité par E. Jobbe-Duval, « L’enseignement du droit romain… », art. précit., p. 197, note 1. Il faudrait évoquer également P. Gide, dont Esmein notait, dans sa notice sur la seconde édition de l’Étude sur la condition privée de la femme parue en 1885, le souci permanent de raccrocher les règles juridiques aux conceptions sociales qui les sous-tendent.
138 Ch. Appleton, « Observations… », art. précit., p. 244.
139 Ibid., p. 247.
140 Ibid., p. 244.
141 Ibid., p. 254.
142 Ibid., p. 257 : « ces corps simples du droit, ce sont les Romains qui les ont exactement définis ; leur nomenclature durera toujours, parce qu’elle repose sur la nature même des choses ».
143 Ibid., p. 252.
144 Fr. Audren, « P. Huvelin », La Faculté de droit de Lyon…, op. cit., p. 121.
145 P. Huvelin, « Magie et droit individuel », L’Année sociologique, 1905-1906, p. 1-47. Huvelin y rend hommage à son collègue lyonnais E. Lévy pour avoir le premier dégagé l’idée « que c’est la croyance de la victime d’un tort qui met en mouvement la responsabilité, pourvu que cette croyance soit légitime, c’est-à-dire qu’elle trouve un écho dans la croyance sociale » (art. précit., p. 40).
146 P. Huvelin, Cours élémentaire, op. cit., I, p. 13.
147 Ch. Appleton, « La méthode des applications pratiques. Une rectification », Nouvelle revue historique de droit français et étranger, 1907, p. 697.
148 A. Rouast, « La méthode allemande des exercices pratiques dans l’enseignement du droit », Revue internationale de l’enseignement, 1909, p. 37-45.
149 Ch. Appleton, « L’hypercritique », art. précit., p. 2 : « les lois économiques les mieux établies seraient renversées ». Et l’auteur de conclure : « rejeter est plus court… on peut alors inventer des systèmes dont l’ingéniosité flatte leur auteur et séduit le public. La critique est précieuse, l’hypercritique pernicieuse : corruptio optimi pessima ».
150 P. Huvelin, « La solidarité de la famille… », art. précit., p. 201. Huvelin remarque d’ailleurs qu’Appleton a peu utilisé cette méthode des exercices pratiques.
151 Ch. Appleton, « Notre enseignement… », art. précit., p. 56.
152 C. Husson, « La méthode des exercices pratiques dans l’enseignement du droit romain », Revue internationale de l’enseignement, 1933, p. 193-154.
153 Réclamée également par R. Saleilles (« Quelques mots sur le rôle de la méthode historique dans l’enseignement du droit », Revue internationale de l’enseignement, 1890, p. 482 et s.). À Lyon, Audibert adopte cette méthode et croit, pendant un temps, devoir diviser en conséquence son cours en trois périodes chronologiques : l’ancien droit, l’époque classique, l’ère byzantine (Annuaire de l’Université 1891- 1892, cf. S. Rondel, op. cit., p. 84) ; conception synchronique critiquée par Appleton, dans la mesure où elle ne permet pas à l’étudiant de saisir une institution de manière immédiate et cohérente dans tout son développement. Quant à Huvelin, il inscrit son Cours élémentaire dans un esprit « purement historique » (Cours, op. cit., I, p. 6).
154 Ch. Appleton, « Observations… », art. précit., p. 266. Appleton reconnaît qu’il s’agit finalement d’importer en France la méthode allemande : cours d’Institutes (historique) et cours de Pandectes (dogmatique). Méthode que la Faculté de droit de Paris pratiquait déjà, malgré les programmes officiels. Les Annuaires de l’Université, dans lesquels les enseignants expliquent brièvement le programme des cours, rendent compte de cette pratique : « la marche historique de l’institution étant connue, on fait appel à la méthode dogmatique pour en exposer les principes… Enfin, sans empiéter sur l’enseignement du droit actuel, on montre brièvement les liens de filiation qui rattachent les dispositions de nos codes à la loi romaine » (Annuaire 1883-1884, p. 15, cité par S. Rondel, op. cit., p. 82). Pour son cours de deuxième année, Audibert annonce aussi aux étudiants vouloir exposer « certaines théories du droit privé, particulièrement importantes à cause des rapports qu’elles présentent avec le droit français » (Annuaire 1890-1891, p. 14).
155 Ch. Appleton, « Observations… », art. précit., p. 264.
156 E. Jobbe-Duval, « L’enseignement du droit romain… », art. précit., p. 196.
157 E. Jobbe-Duval, art. précit., p. 196.
158 Ch. Appleton, « Observations… », art. précit., p. 265-266.
159 Dans une sorte d’abolition de la distance qui rend l’autre presque semblable à soi-même.
160 E. Jobbe-Duval, « L’enseignement du droit romain… », art. précit., p. 199.
161 Ch. Appleton, « Les rapports traditionnels… », art. précit., p. 10.
162 Cours de droit romain des obligations. Collinet n’était d’ailleurs sans doute pas visé par Appleton, lui dont les Répétitions écrites de droit romain des obligations (Paris, Les cours de droit, 1927-1928, p. 4) renvoient à Ripert et insistent sur le « lien étroit entre la morale et la matière des obligations ».
163 Ch. Appleton, « Les rapports traditionnels… », art. précit., p. 9. La remarque vise Esmein (Sirey 1898, I, p. 17 et 81).
164 Ch. Appleton, « Les rapports traditionnels… », art. précit., p. 14.
165 Ch. Appleton, « Notre enseignement du droit romain… », art. précit., p. 45.
Auteur
Professeur à l’Université Jean Lumière Lyon III
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