Les « sciences d’état » et la faculté de droit de Toulouse au début de la iiie république
p. 241-251
Texte intégral
1En 1881, dans son rapport sur l’organisation de l’enseignement des sciences politiques et administratives, le juriste Claude Bufnoir écrit qu’il est désormais urgent de regrouper, à côté du droit administratif, l’économie politique, le droit constitutionnel, le droit des gens, qu’il nomme « les sciences d’Etat » en « un faisceau formant un enseignement d’études spéciales (…), préparation efficace aux carrières politiques, administratives et diplomatiques »1.
2Pourquoi une formation spéciale est-elle nécessaire et pourquoi cette nécessité apparaît-elle comme impérieuse ? Deux raisons peuvent être évoquées.
3Tout d’abord, si l’on observe l’enseignement supérieur dans son ensemble, on ne peut que constater aussitôt sa totale inadéquation. La défaite de 1870 en a été le révélateur. Pour les intellectuels, le décalage entre les Universités allemandes, riches, brillantes, orientées vers le progrès mais également facteur de cohésion sociale et nos propres établissements explique en partie la défaite de la France. Déjà les statistiques de 1868 elles-mêmes étaient sévères et faisaient état d’un enseignement supérieur « insuffisant », voire « médiocre ». Il est vrai que, dans ce constat désolant, les Facultés de droit occupent une place à part : le rôle social des professeurs y est reconnu, leur enseignement est souvent de qualité, les élèves y sont plus nombreux qu’ailleurs, elles ne sont pas uniquement des lieux où l’on passe des examens. Mais elles ne sont pas exemptes de critiques : un enseignement encore trop tourné vers l’exégèse, une négligence de l’approche historique et surtout l’absence de prise en compte des « sciences d’Etat ».
4Car la croissance de la fonction publique fait émerger une nouvelle demande alors que la formation aux carrières administratives ou politiques est quasiment inexistante.
5Il faut donc réformer les études. Le contexte est favorable : les républicains sont au pouvoir ; les réformateurs prennent en main les postes-clés de l’administration de l’enseignement supérieur. Le mouvement est porté par de prestigieuses revues parmi lesquelles la Revue internationale de l’enseignement supérieur créée en 1881, par des sociétés savantes comme l’Académie de législation fondée à Toulouse en 1851. Les députés, dont près de la moitié à la Chambre en 1880 sont issus des Facultés de droit2, prennent conscience de la fonction sociale des Facultés et de leur poids dans la formation des élites. La réorientation de l’enseignement des Facultés de droit est prioritaire et, dans ce cadre, les « sciences d’Etat » représentent la voie d’accès à la haute fonction publique.
6Nous nous interrogerons sur l’attitude de Toulouse face à la volonté gouvernementale, sur son approche par rapport à ces nouvelles disciplines. A-t-elle redouté les changements, les a-t-elle accompagnés, précédés ? Fut-elle conservatrice ou pionnière ? Clairvoyante ou, tout simplement, pragmatique ? La lecture du Registre des délibérations de la Faculté nous livre une réponse qui s’articulera autour de deux axes. Il s’agira tout d’abord d’appréhender l’analyse critique du projet ministériel de création d’une Ecole d’administration par la Faculté de droit de Toulouse (I). Nous découvrirons ensuite l’apport de la Faculté toulousaine à la rénovation des études juridiques à travers la mise en place de cours complémentaires, prélude à la consécration des sciences nouvelles (II).
I - L’analyse critique du projet gouvernemental
7« Tandis que l’Etat tâtonnait »3, disait Bufnoir dans son rapport, l’initiative privée avait créé, dès 1871, à Paris, l’Ecole libre des sciences politiques. Avec à sa tête Emile Boutmy, brillant constitutionnaliste, l’Ecole propose des cours de sciences politiques destinés aux cadres de la fonction publique à travers deux sections : diplomatie et administration. Le tout organisé selon un système de conférences. D’éminents professeurs y ont enseigné tels Edouard Laboulaye, Edmond Dreyfus-Brisac, Boutmy lui-même.
8Face à l’initiative privée, le gouvernement va tenter, en 1876, de reprendre un ancien projet visant la création d’une Ecole d’administration (A). Mais en 1878, un contre projet lui sera opposé et soumis aux Facultés de droit. Nous feuilletterons ensemble le registre des délibérations de la Faculté de droit sur les traces de l’analyse de Toulouse (B).
A - Le projet ministériel de création d’une Ecole d’administration
9La croissance de la fonction publique, l’essor de la justice administrative à travers notamment l’œuvre du Conseil d’Etat, rendent les « sciences d’Etat » incontournables dans la formation des élites républicaines. En 1876, un projet parlementaire prévoit leur regroupement et leur enseignement dans un établissement spécial, à Paris.
10Déjà 1848 avait vu la création éphémère d’une Ecole d’administration qui devait ouvrir la porte des emplois publics à tous, après des études politiques et administratives. Pour la première fois, l’économie politique était intégrée dans la formation. Mais le gouvernement suivant estima que les Facultés existantes pouvaient fort bien remplir ce rôle et l’Ecole fut fermée, ce qui ne déplut pas aux Facultés qui y voyaient une critique implicite de leur enseignement des matières administratives et craignaient la concurrence dans la formation des fonctionnaires.
11En 1876, si l’Etat tâtonne, il ne demeure pas inactif et va reprendre le projet. Hyppolite Carnot dépose une proposition de loi visant au rétablissement de l’Ecole d’administration de 1848. Son projet se résume à la création à Paris d’une école professionnelle nationale fermée avec un concours d’entrée, un nombre d’élèves limité et un classement de sortie. Une commission sénatoriale réunie pour examiner le texte approuve l’idée mais désapprouve le moyen, préférant que l’enseignement soit confié aux Facultés de droit. En 1878, un contre projet est rédigé et soumis par le ministre aux Facultés de droit. A Toulouse, une commission est réunie. Elle rend son rapport le 29 juin 18784. Chaque point du projet a été minutieusement analysé et commenté ; le registre des délibérations en garde la trace.
B - L’analyse critique du projet par la Faculté de droit de Toulouse
12Toulouse établit immédiatement un constat : à travers ce projet, il s’agit de faciliter, par de nouveaux enseignements, la préparation aux carrières d’Etat. A l’étranger des expériences ont été tentées et en France des revues savantes abondent dans ce sens. Par ailleurs, un enseignement spécial existe déjà dans d’autres domaines. Seule la carrière administrative n’en possède pas. Il faut y remédier. Le projet emporte dès lors sa complète adhésion.
13Mais si le but est acquis, son désaccord est total quant au moyen. Elle rejoint ici le contre projet : elle s’oppose fermement à l’internat : les élèves seront appelés à diriger la société, ils ne doivent pas s’en isoler ! Elle s’oppose au classement par concours avec droit acquis à une fonction à la sortie. L’Etat doit pouvoir choisir ses hauts fonctionnaires ! Enfin, elle s’oppose à un établissement spécial à Paris qui ferait double emploi, pour l’enseignement élémentaire, avec les chaires de droit public existantes dans les Facultés de droit ! Pour elle, les Facultés de droit doivent être naturellement choisies pour cet enseignement spécial. A Emile Boutmy qui craint que, dans les établissements d’Etat, ces enseignements ne soient « qu’une savante exégèse » négligeant la dimension historique, elle réplique que, désormais, l’enseignement exégétique est en régression. Et pour ce qui est de l’histoire, ici, à Toulouse, on l’enseigne depuis longtemps, à travers une chaire spécifique et en introduction de nombreux cours !
14Le projet prévoyait, après la licence, une section « sciences administratives », la fin des études étant sanctionnée par « un diplôme de docteur es sciences politiques et administratives »5, une véritable division du doctorat. Toulouse s’y oppose au nom de l’unité du droit. Ce serait une erreur, cela aboutirait à la création d’une barrière infranchissable entre justice administrative et ordre judiciaire. Elle privilégie une quatrième année de spécialisation après la licence. Cette vision, à l’époque, est unanimement partagée par divers intellectuels.
15Quant à l’enseignement, il serait confié à de simples docteurs. Mais pour Toulouse, le recrutement par concours est essentiel. Le supprimer affecterait l’autorité de ces enseignants. Dès lors, elle suggère la modification de l’agrégation avec la création d’un concours spécial : une « agrégation section des sciences administratives et politiques ». Toulouse réaffirme que le temps presse. Le projet doit être rapidement introduit : dans les Facultés de droit existantes ; en priorité dans les grands centres universitaires. Songe-t-elle à elle-même en affirmant cela ? Tout nous porte à le croire.
16Le projet n’aboutit pas mais il eut le mérite d’engager le débat sur deux points : la création d’un doctorat spécial et le recrutement par un concours d’agrégation spécial. Et si Toulouse paraît si déterminée lorsqu’elle proclame que ces enseignements indispensables pourraient trouver place dans les Facultés de droit existantes, c’est qu’ici, depuis de nombreuses années, ces nouvelles matières ont été accueillies et encouragées.
II - La rénovation des études juridiques : l’apport de la Faculté de droit toulousaine
17Les étudiants sont nombreux, témoignage du rayonnement et de la vitalité toulousaine. Les réflexions engagées au plan national ont trouvé ici une application pratique : dans de nombreuses disciplines, des cours complémentaires ont été mis en place à l’initiative du professeur Henri Rozy, particulièrement pénétré de l’opportunité de l’enseignement des « sciences d’Etat » (A). Ils seront le prélude à la consécration de ces nouvelles matières (B).
A - Les cours complémentaires, auxiliaires de l’enseignement traditionnel
18Depuis longtemps, Toulouse souhaitait introduire ces nouvelles matières dans l’enseignement rituel mais l’Etat s’y opposait. Lasse de réclamer en vain, elle aura recours à un autre procédé que l’Etat approuvera en 1840, les cours complémentaires : cours d’Etat, subventionnés par des fonds publics lorsque la matière est obligatoire ou cours municipaux, facultatifs. Dès 1878, la municipalité républicaine, désireuse de maintenir la prospérité de la Faculté face à ses nouvelles rivales, consent à allouer6 4 500 francs pour assurer trois cours complémentaires. L’Etat doublera cette somme7 portant le nombre de cours à six8. Mais écoutons à ce propos le doyen Dufour9 en 1878 : « stimulés par l’exemple donné par la Faculté de droit de Paris et par nos jeunes Facultés si jalouses de faire preuve de zèle et d’ardeur, nous n’avons pas pu négliger d’établir des cours complémentaires. (…) Ici encore nous aurions à vous faire part de nos premières inquiétudes, de nos tâtonnements… ». Ainsi, Toulouse a-t-elle parfois hésité, tiraillée entre conservatisme et volonté réformatrice (il faut rappeler que, ces années-là, les Facultés de droit de Bordeaux puis de Montpellier ont été créées, pour ne citer que les plus proches, celles dont la concurrence est la plus âpre).
19Ces cours étaient assurés par des agrégés ainsi que par des professeurs titulaires. Henri Baudrillart de l’Institut de France leur rendra hommage : « plusieurs professeurs des Facultés de droit faisaient des cours volontairement. Nous pouvons en citer qui eurent une notoriété véritable tels par exemple ceux de (…) M. Rozy à Toulouse »10. Nous ne pouvons pas, ici, ne pas nous associer à cet hommage. Ancien étudiant à Toulouse, disciple d’Adolphe Chauveau, un des fondateurs du droit administratif contemporain dont il reprendra la chaire en 1869, Henri Rozy est également avocat, fidèle à une tradition de maintien d’un lien naturel entre l’Ecole et le Palais. Il est une figure très attachante de la Faculté. Pour lui l’enseignement revêt les traits d’une véritable mission et les « sciences d’Etat » y sont tout naturellement associées. Ainsi, il aura recours, gracieusement souvent, aux cours complémentaires mais aussi, plus simplement, il enseignera la matière en introduction de son cours de droit administratif. Quelle que soit l’option privilégiée, son impulsion fut souvent à l’origine de nouvelles chaires toulousaines.
B - La consécration de l’essor des sciences nouvelles
20Le processus est simple : les matières enseignées en introduction des cours officiels vont gagner en autonomie et évoluer vers des cours complémentaires. A leur tour, ces derniers vont être institutionnalisés par des chaires. L’évolution de la richesse s’accompagne d’une législation nouvelle. Le cours d’économie politique est désormais indispensable. Les économistes le réclament mais on reproche à la discipline son absence de caractère scientifique et de fondement textuel.
21A Toulouse, dès 1838, Adolphe Chauveau avait pris l’engagement d’étudier les rapports du « droit administratif avec la science des Turgot et des Quesnay »11 et, en 1848, Aimé Rodière avait tenu quelques leçons sur les théories de la propriété et du droit de travailler. Mais c’est surtout Henri Rozy qui introduit la matière dans les programmes toulousains. Il lui voue un « un culte passionné12 ». Pour lui, la liberté individuelle, la propriété, la liberté du contrat sont sacrées. Ces notions doivent être associées à celle de responsabilité : il ne faut compter que sur soi ; ni sur les autres, ni sur l’Etat. Républicain convaincu, il est préoccupé par la poussée des idées socialistes et en 1865 il convainc ses collègues : il inaugure, gratuitement, un cours complémentaire de doctorat, prenant ainsi en compte les souhaits des étudiants toulousains qui réclamaient ce cours et avaient adressé une pétition au Sénat afin d’en solliciter l’admission dans les programmes.
22Dans son cours13, Rozy s’attache, quasiment à chaque paragraphe, à associer systématiquement à la notion d’économie politique le qualificatif de science, sans doute pour affirmer, face aux détracteurs de la matière, que l’économie politique a bel et bien tous les caractères d’une science et est digne de cette appellation. Fidèle à ses convictions, il préfère évoquer la circulation des richesses et non leur distribution car si la circulation s’effectue librement, par l’échange, la distribution porte en elle l’idée de répartition par le pouvoir supérieur14. Il reprend à son compte les paroles du ministre de l’Instruction publique : l’économie politique « se donne pour mission de mettre les intérêts d’accord avec la morale » et d’« accroître le sentiment chrétien de la fraternité universelle tout autant que notre bien-être »15. Le rôle de l’Etat est d’assurer l’ordre, la sécurité, la justice et s’il dépasse ces missions fondamentales, ce ne peut être qu’en faveur des plus faibles.
23Rozy est d’ailleurs préoccupé par le sort des ouvriers et publie en 1871 un ouvrage au titre évocateur : Le travail, le capital et leur accord »16. Cet ouvrage lui permet d’affirmer son opposition aux idées socialistes car il ne faut pas assimiler social et socialisme. Pour les socialistes, le travail manuel est supérieur au travail intellectuel. C’est faux. Le contraire l’est également. De même qu’établir une hiérarchie entre le travail humain et le capital est une erreur. Il importe de concilier ces différents intérêts. Si pour lui la rémunération du capital est juste, il réfléchit aux moyens d’améliorer la situation des travailleurs et se fait l’écho de leurs protestations. Pour lutter contre les bas salaires, il envisage l’organisation, dans chaque industrie, de chambres syndicales chargées d’examiner les différends entre patrons et ouvriers. Il préconise la participation des ouvriers aux profits du capital et la constitution de Sociétés coopératives où chacun est à la fois patron et salarié. Par ailleurs, à travers l’application du principe de mutualité - « le mot n’a rien d’effrayant »17 nous affirme-t-il- il encourage la multiplication des Sociétés de secours mutuel comme les assurances mutuelles, l’institution de caisses de retraite pour la vieillesse.
24Ses idées dérangèrent-elles ? En 1871, Louis Arnault, plus conservateur, lui succède. Mais Rozy « ne pouvait se résigner à se taire18 » : il ouvre à l’Ecole normale primaire de Toulouse un cours gratuit ; tient des conférences dans la région ; publie un Traité d’économie politique. La chaire que Toulouse obtiendra enfin en 1876 fera d’elle la première Faculté de province à en être pourvue19. Louis Arnault en sera le premier titulaire. En 1877, le gouvernement rendra l’enseignement obligatoire en deuxième année de licence20. Il choisira, après de vifs débats, d’en charger les enseignants des Facultés de droit et non des économistes non universitaires comme le souhaitaient les économistes libéraux.
25Le droit constitutionnel est enseigné à Paris, depuis 1879, en doctorat, même s’il « serait bien mieux placé au commencement »21, une ordonnance en ayant, paradoxalement, décidé ainsi suite aux incidents qui émaillèrent le tout premier cours en 1834. A Toulouse, Henri Rozy enseigne la matière depuis 1869 dans le cadre de son cours de droit administratif. Laissons-lui la parole : « Messieurs, le titre du cours auquel vous assistez aujourd’hui pour la première fois est trop restreint. On l’appelle uniquement cours de droit administratif mais il embrasse aussi forcément quelques études sur le droit constitutionnel. Le droit administratif n’étant pas autre chose que l’application détaillée des principes du droit constitutionnel, il est impossible d’étudier les conséquences et les applications de ce dernier sans interroger les fondements de notre organisation politique »22. Il l’enseignera ainsi pendant plus de dix ans. En 1881, il est fatigué et c’est Victor Molinier qui prend le relais avec un cours complémentaire.
26Le gouvernement rendra la matière obligatoire en doctorat en 188223. Elle sera alors érigée en chaire. Lors de la présentation des candidats au ministre, la Faculté, unanime, affirmera que « nul mieux que M. Rozy qui depuis plusieurs années explique avec une incontestable autorité les lois constitutionnelles à titre d’introduction au cours de droit administratif »24 peut prétendre à cette chaire. Mais son décès survenu un mois plus tard empêchera cette consécration. Victor Molinier sera le titulaire25 de la chaire jusqu’en 1886. Par le décret du 24 juillet 1889, le droit constitutionnel prendra enfin place en première année.
27Quant au droit des gens, après une première et vaine demande de création de chaire en 1865, c’est Henri Rozy, toujours lui, en 1870, qui décide d’assurer ce nouveau cours, gratuitement26. Il finira par le rattacher à son cours de droit administratif, lui consacrant une heure par semaine. Rozy, encore une fois, se pose en précurseur, mais la véritable impulsion viendra cette fois en 1873 d’Henry Bonfils, l’un des fondateurs du droit international public. Chargé d’un cours complémentaire de deux leçons hebdomadaires, obligatoire en doctorat, son enseignement est remarquable et sa notoriété telle que son Manuel de droit international public sera traduit en allemand, « en un temps où la science allemande était peu portée à reconnaître les mérites des travaux français »27.
28Le gouvernement érigera la discipline en chaire à Toulouse en 1878. Mais dix ans plus tard, l’enseignement du droit des gens que l’on nomme désormais droit international public est encore loin d’être la norme : « (il) se réfère à un ordre de question que les tribunaux n’ont presque jamais à examiner et qui doivent se résoudre par voie diplomatique. Peut être est-ce cette considération qui a fait méconnaître jusqu’ici la nécessité d’enseigner cette science aux étudiants en droit ? »28. Le cours sera finalement inscrit au programme de la deuxième année de licence par le décret du 24 juillet 188929. Vingt ans se seront écoulés après les premières leçons du professeur Henri Rozy !
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29Dans la dernière décennie du XIXe siècle, la mise en place systématique de ces nouveaux enseignements va entraîner une réorganisation des études au plan national : en 1895 le doctorat instituera deux filières : droit privé (sciences juridiques), droit public (sciences politiques et administratives) mettant fin au débat qui dure depuis les premières années de la IIIe République ! Quant à l’agrégation, la réforme de 189630 distinguera quatre spécialités (droit privé et criminel, droit public, histoire du droit, sciences économiques), consacrant ainsi la diversification des programmes.
30Au plan local, il ne s’agit pas de minimiser l’importance des circonstances qui ont certainement rendu Toulouse plus réceptive à l’idée de réformes : le traumatisme de la défaite de 1870 et son cortège de réflexions ; un contexte concurrentiel plus dynamique à la faveur de la loi de 1875 qui a favorisé la création des Ecoles libres, des Universités catholiques (celle de Toulouse date de 1877) ; la naissance des nouvelles Facultés de droit de Bordeaux et de Montpellier (pour ne citer que les plus proches) ; la crainte de voir diminuer ses effectifs. Toutefois, le contexte n’explique pas tout. Ce rapide survol de l’enseignement des « sciences d’Etat », à Toulouse, au début de la IIIe République, nous aura permis de saisir, je l’espère, combien la volonté et l’acuité de ses professeurs, la qualité de leur enseignement ont joué un rôle décisif dans le renouveau des études toulousaines et le rayonnement de la Faculté et combien nous sommes redevables à ces professeurs qui ont fait œuvre de pionniers en accompagnant, en anticipant même, l’évolution des temps. Reprenant le flambeau, d’autres leur succèderont, au premier rang desquels le maître toulousain, Maurice Hauriou qui a rejoint la Faculté de droit de Toulouse en 1883 et dont l’œuvre marquera profondément la pensée juridique des années qui vont suivre.
Notes de bas de page
1 Claude Bufnoir, « Rapports sur l’organisation de l’enseignement des sciences politiques et administratives », Revue internationale de l’enseignement, 1881, tome 1, p. 381.
2 Yves Gaudemet, Les juristes et la vie politique de la IIIe République, Paris, Presses universitaires de France, 1970.
3 Claude Bufnoir, op. cit., p. 381.
4 Archives de l’Université des sciences sociales de Toulouse, série 2 Z 2-9, Registre des délibérations de la Faculté de droit de Toulouse, séance du 29 juin 1878, fol. 113.
5 Arthur de Beauchamp, Recueil des lois et règlements sur l’enseignement supérieur, Paris, Delalain, 1880-1889, tome 5, p. 465.
6 Archives de l’Université des sciences sociales de Toulouse, série 2 Z 2-9, Registre des délibérations de la Faculté de droit de Toulouse, séance du 1er mars 1878, fol. 107.
7 Ibid., séance du 13 août 1878, fol. 124.
8 Archives de l’Université des sciences sociales de Toulouse, série 2 P-1, Fonctionnement : création de cours, nominations, traitement, arrêtés, arrêté du ministre de l’Instruction publique, 12 juillet 1878.
9 Archives de l’Université des sciences sociales de Toulouse, série 1 P 19, Comptes rendus des travaux des Facultés, séance du 7 décembre 1878, p. 18.
10 Henri Baudrillart, « Le nouvel enseignement de l’économie politique dans les Facultés de droit », Revue des Deux Mondes, 1885, n° 69, p. 158-185.
11 Henry Rozy, Cours d’économie politique professé à la Faculté de droit de Toulouse par M. Rozy, leçon d’ouverture 3 mars 1865, Toulouse, 1865, p. 11
12 Georges Vidal, « Notice sur Henri Rozy », Recueil de l’Académie de Législation, Toulouse, 1882-1883
13 Henry Rozy, op. cit.
14 Henry Rozy, op. cit, p. 16
15 Henry Rozy, op. cit, p. 18
16 Henry Rozy, Le travail, le capital et leur accord, Paris, 1871
17 Henry Rozy, Le travail…, p. 153
18 Georges Vidal, op. cit.
19 Archives de l’Université des sciences sociales de Toulouse, série 2 Z 2-9, Registre des délibérations de la Faculté de droit de Toulouse, séance du 1er février 1876, fol. 84.
20 Arthur de Beauchamp, décret du 26 mars 1877, op. cit., tome 3, p. 149.
21 Edouard Laboulaye, De l’enseignement du droit et des réformes dont il a besoin, Paris, A. Durand, 1839.
22 Vaisse-Cibier, « Eloge de M. Rozy », Mémoires de l‘Académie des sciences, inscriptions et belles-lettres de Toulouse, 2e semestre 1883, Arch. dép. de Haute-Garonne, BH, fol. 8.
23 Arthur de Beauchamp, décret du 20 juillet 1882, op. cit., tome 3, p. 634.
24 Archives de l’Université des sciences sociales de Toulouse, série 2 Z 2-9, Registre des délibérations de la Faculté de droit de Toulouse, séance du 7 août 1882, fol. 221.
25 Ibid.
26 Archives de l’Université des sciences sociales de Toulouse, série 2 Z 2-9, Registre des délibérations de la Faculté de droit de Toulouse, séance du 25 janvier 1870, fol. 12.
27 Jean Dauvillier, « Le rôle de la Faculté de droit de Toulouse dans la rénovation des études juridiques et historiques aux XIXe et XXe siècles », Annales de l’Université des sciences sociales de Toulouse, 1976.
28 Franz Despagnet, « L’enseignement du droit international public en France », Revue internationale de l’enseignement, 1889, tome 17, p. 147.
29 Arthur de Beauchamp, décret du 24 juillet 1889, op. cit., tome 5, p. 10.
30 Arthur de Beauchamp, arrêté du 23 juillet 1896, op. cit., tome 5, p. 607.
Auteur
Doctorante à l’Université Toulouse 1 Capitole
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