La faculté de droit de Montpellier au xixe siècle
p. 107-126
Texte intégral
1L’histoire de la Faculté de droit de Montpellier est d’une façon générale assez bien connue. On peut se reporter sur cette question à l’orientation bibliographique suivante qui ne contient que les sources, ouvrages, articles et mémoires qui portent spécifiquement sur la Faculté de droit de Montpellier (les ouvrages généraux sur l’histoire des universités ne sont donc pas mentionnés).
2On peut en premier lieu consulter le Cartulaire de l’Université de Montpellier, réalisé par le conseil général des Facultés de Montpellier, t. 1, 1181-1400, Montpellier, éd. Maison Ricard Frères, 1890. Ce cartulaire traite de la Faculté de droit de Montpellier des origines à 1792 (p. 13-17, p. 30-51 et p. 83-106) ; voir également le tome 2, 1912, p. 851-869. Il faut aussi se reporter au catalogue très complet de l’ensemble des sources sur la Faculté de droit de Montpellier des origines jusqu’à la période révolutionnaire (1791- an III) présenté par A. Gouron : L’histoire de l’Université des droits de Montpellier, Exposition Montpellier 2-5 octobre 1963, Université de Montpellier, Faculté de droit et des sciences économiques. Voir également l’Annuaire de l’Université de Montpellier, éd. Serre et Roumégous, Montpellier, 1900.
3Les sources concernant la Faculté de droit de Montpellier au XIXème siècle sont conservées aux Archives départementales de l’Hérault dans la sous-série « 1 T » intitulée « Enseignement » et plus précisément dans le fonds du rectorat et dans celui de la préfecture. Ces documents qui représentent au total 9 cartons ou liasses ont été récemment classés, ce qui permet désormais leur exploitation de façon approfondie. Enfin, les archives de la Faculté de droit pour cette période, également classées très récemment dans le série « établissements publics » (E.T.P.), constituent une documentation de première importance, encore non exploitée, contenue dans plus de 160 registres, cartons ou liasses1.
4En deuxième lieu, plusieurs articles et ouvrages sont en rapport avec la Faculté de droit de Montpellier : F. Fabrège, Les fêtes du Sixième Centenaire de l’Université de Montpellier (1289-1890), Montpellier, 1890 ; H. Rouzaud, Les fêtes du Sixième centenaire de l’Université de Montpellier, éd. C. Coulet, Montpellier, 1891, p. 33-37 ; J.-M.-F. Faucillon, Le collège du Vergier ou de la Chapelle Neuve, Montpellier, 1863 ; Histoire de Montpellier (dir. G. Cholvy), Privat, Toulouse, 2ème éd., 1989 (p. 103-125, A. Gouron ; p. 143-147, A. Jouanna, et p. 347-350, G. Cholvy) ; L.J. Thomas, La vie universitaire à Montpellier au XVIIIème siècle. Les écoles, les maîtres, les étudiants. Conférences sur l’histoire de Montpellier, 1913.
5En troisième lieu, de nombreux articles sont consacrés à tel ou tel aspect spécifique de la Faculté de droit de Montpellier : Anonyme, Professeurs et agrégés de la Faculté de droit de Montpellier (1160-1791), Montpellier, 1877 ; C. Charle, « Enracinés et déracinés, les professeurs de la Faculté de droit de Montpellier (1880-1914) », Septième centenaire des Universités de l’Académie de Montpellier (1289-1989), Montpellier, 1992, p. 148-154 ; Comité de rédaction du Montpellier médical, L’installation nouvelle des Facultés et le nouvel hôpital Saint Eloi de Montpellier, Montpellier, 1879 ; L. Dulieu, « Bref aperçu sur l’Université des loix de Montpellier », Septième centenaire des Universités de l’Académie de Montpellier (1289-1989), Montpellier, 1992, p. 145-147 ; J.-M.-F. Faucillon, « Les professeurs de la Faculté de droit de Montpellier, 1681- 1791 », Mémoires de l’Académie des sciences et des lettres de Montpellier, t. III, 1862, p. 333 ; du même auteur, « Les professeurs de droit civil et de droit canonique à la Faculté de Montpellier 1510-1789 », ibid., 1863, p. 505 et « Les docteurs agrégés de la Faculté de droit de Montpellier 1681-1791 », ibid., 1862, p. 355 ; M. Fournier, « Une enquête dans un collège de droit de l’Université de Montpellier au XIVe siècle », Extrait de la Revue internationale de l’Enseignement du 15 mars 1889, Armand Colin et Cie, Paris, 1889 ; A.-C. Germain, « L’Ecole de droit de Montpellier (1160-1793) », Mémoires de l’Académie des Sciences et des Lettres de Montpellier, t. IV, 1ère série, 1862, p. 183 ; L. Guiraud, « Un registre inconnu de l’Université de droit de Montpellier (1536-1570) », Extrait du Bulletin philologique et historique jusqu’à 1715, Imprimerie nationale, Paris, 1914 et Julius Pacius en Languedoc, 1597- 1616, Mémoires de la Société Archéologique de Montpellier, 1911 ; Inauguration de la Faculté de droit dans la séance solennelle du 17 novembre 1880, Montpellier ; R. de Nesmes-Desmarets, « Les origines historiques de la Faculté de droit de Montpellier », Annales de l’Université de Montpellier et du Languedoc Roussillon, Montpellier, t. 1, n° 2 1943 ; C. Révillout, « Le jurisconsulte Jules Pacius de Berigo avant son établissement à Montpellier (1550-1602) », Mémoires de l’Académie des Sciences et des Lettres de Montpellier, t. VII, 1883-84 ; J. Valéry, Histoire d’une résurrection. Comment fut rétablie la Faculté de droit de Montpellier en 1880, Montpellier, 1933 ; H. Vidal, « Alfred Pierron et l’enseignement du droit romain à Montpellier de 1881 à 1895 », Mélanges Roger Aubenas, Recueil de Mémoires et Travaux publiés par la Société d’Histoire des anciens Pays de Droit écrit, Montpellier, 1974, p. 749-759 ; R. Villedieu, « Histoire de l’école de droit de Montpellier » (conférence), Bulletin du Syndicat d’initiative, Montpellier, n° 26, 2ème trimestre 1962.
6En quatrième lieu, on peut signaler trois mémoires de D.E.A. d’histoire de droit sur la Faculté de droit de Montpellier. Le premier mémoire est intitulé Les thèses soutenues devant la Faculté de droit de Montpellier de 1880 à 1960. Il a été rédigé par F. Barloy sous la direction de H. Vidal (non daté). Le deuxième mémoire rédigé en 1989 et intitulé L’installation de la Faculté de droit dans les locaux de l’ancien couvent des sœurs de la Visitation n’a apparemment pas été conservé (nom de l’auteur erroné et directeur non mentionné sur la fiche bibliographique). Le second mémoire intitulé La Faculté de droit de Montpellier au XIXème siècle. Histoire d’une résurrection a été rédigé par M.-P. Ader en 2000 sous la direction de E. de Mari. Ce mémoire est relativement complet mais il ne cite les sources que de façon très lacunaire et il a été rédigé alors que le nouveau classement des documents concernant la Faculté de droit de Montpellier conservés aux Archives départementales de l’Hérault n’avait pas encore été effectué.
7Enfin plus récemment, une plaquette intitulée La Faculté de droit de Montpellier. Liber memoriae a été réalisée par l’UMR 5815 « Dynamiques du droit », sous la direction de B. Durand, Faculté de droit, Université Montpellier I, 2006.
8Compte tenu de ces différentes sources et surtout du classement récent des documents conservés aux Archives départementales de l’Hérault, qui n’ont pas encore été exploités de façon complète et approfondie, l’histoire de la Faculté de droit de Montpellier au XIXème siècle est certes assez bien connue, mais de façon superficielle. Elle doit donc être complétée sur de nombreuses questions qui restent encore obscures.
9Cette histoire dont les grandes lignes doivent être brièvement rappelées, afin de préciser les futurs axes de la recherche, débute avec la loi du 10 mai 1806 qui institue l’Université impériale et surtout avec le décret du 17 mars 1808 qui pose « les bases de l’enseignement dans les écoles de l’Université » pour que les Ecoles de droit retrouvent leur titre de Facultés. Pour autant, l’influence de Cambacérès qui explique sans doute le choix de Montpellier comme siège de Cour d’appel n’a pas été suffisante pour que Napoléon décide de réintroduire l’enseignement du droit à Montpellier.
10Le 24 mai 1814, la Cour royale de Montpellier, rappelant que « la ville de Montpellier a été le berceau du droit en France » demande la réouverture d’une Ecole de droit2, mais la Faculté de droit de Montpellier ne sera rétablie, comme d’autres Facultés de droit, que sous la Troisième République.
11La renaissance de la Faculté de droit à Montpellier ne se fera cependant pas sans difficultés, mais l’institution va rapidement se développer dans le dernier quart du XIXème siècle.
I – La renaissance de la Faculté de droit de Montpellier
12La renaissance de la Faculté de droit de Montpellier est marquée par un rétablissement assez laborieux de l’institution en 1880, puis par son installation dans le nouveau Palais dix ans plus tard3.
A - Le rétablissement laborieux de la Faculté de droit de Montpellier en 1880
13Tous les acteurs locaux ont demandé tour à tour et avec plus ou moins de succès le rétablissement de la Faculté de droit de Montpellier. D’abord, en 1869, à l’audience solennelle de rentrée de la Cour d’appel, le premier avocat général Maxime de la Baume, dans la péroraison de la mercuriale qu’il est chargé de prononcer, exprime le souhait que la « Cour de Placentin » ou « l’Aula placentinea » soit rapidement reconstituée4. Ensuite en 1874, c’est le Comité catholique qui demande la création d’une Faculté libre.
14L’année suivante, le ministre et le Conseil supérieur de l’instruction publique doivent appliquer la loi Buffet du 12 juillet 1875 qui étend la liberté de l’enseignement à l’enseignement supérieur5 malgré le budget de l’Etat qui reste pénalisé par les dépenses du Second Empire. Les villes devront donc participer aux efforts financiers rendus nécessaires par cette réforme. Au même moment, une circulaire ministérielle est adressée aux doyens des différentes facultés pour les informer d’un projet visant à instituer un nombre restreint de centres universitaires, dont Montpellier ne fait pas partie.
15Immédiatement, le Conseil général de l’Hérault et le Conseil municipal de Montpellier vont protester. Dans sa séance du 26 août 1875, sur la proposition de son président Eugène Lisbonne, avocat et sénateur, le Conseil général de l’Hérault délègue une commission départementale pour étudier comment les différentes villes du département pourraient aider le gouvernement dans la création d’une nouvelle Faculté à Montpellier. En effet, on pense alors, que l’autorisation de l’administration centrale pour cette création pourrait être envisageable aux mêmes conditions que celles imposées à la ville de Lyon pour le rétablissement de sa Faculté le 29 octobre 18756, c’est-à-dire avec l’engagement de la ville pour tous les frais d’installation, de matériel et de personnel.
16Le 9 novembre de la même année, Bertin, professeur agrégé à la Faculté de médecine et conseiller municipal propose le rétablissement d’une Faculté de droit à Montpellier. Le Conseil municipal, partagé entre la volonté de voir renaître la Faculté de droit qui s’inscrit dans la tradition universitaire de la ville et le souci de maîtriser les dépenses de la municipalité, désigne une commission pour étudier cette question.
17Le 19 novembre, le Conseil municipal, sous la présidence du maire, F. de la Combe, adopte à l’unanimité le rapport de la commission et se prononce en faveur de l’institution d’une Faculté de droit à Montpellier7 « pour l’établissement et l’entretien de laquelle la ville offre à M. le ministre de l’Instruction publique de faire les sacrifices nécessaires »8. Le Conseil municipal fait remarquer d’une part, que ce rétablissement serait une juste réparation due à la ville et d’autre part, que si le but du régime est de développer les études supérieures dans le pays, il faut certes créer des facultés nouvelles mais aussi conserver les centres universitaires existants. De plus, on remarque que sur les quinze Académies que compte le pays, seules celles de Besançon, Clermont et Montpellier sont privées d’une Faculté de droit, tout en insistant sur l’importance de Montpellier en tant que centre universitaire. Enfin, à l’issue de ce cette séance, le Conseil municipal désigne deux de ses membres, E. Bertin et F. Henneguy, professeur à la Faculté des sciences et président du Conseil d’arrondissement, pour accompagner le maire à Paris afin de soumettre cette délibération au ministre de l’Instruction publique, des Cultes et des Beaux-Arts, H. Wallon.
18Trois ans plus tard, le 3 août 1878, le ministre de l’Instruction publique, B. Bardoux consulte le Conseil municipal sur la persistance des intentions quant à la création d’une Faculté de droit à Montpellier. Le Conseil municipal profite alors de cette occasion pour répondre au ministre par une délibération motivée dont l’article 5 énonce : « Le Conseil municipal s’engage à voter ultérieurement, lorsque toutes les formalités à cet égard auront pu être remplies, un emprunt de deux millions destiné à l’établissement des divers services de son centre universitaire, d’après le projet déjà soumis à l’approbation de M. le ministre ou tel autre qui aurait son agrément. En contractant cette obligation, la ville espère que l’Etat lui prêtera son concours dans une mesure correspondant à son sacrifice »9.
19Le 28 novembre, le ministre répond à cette détermination par un décret dont l’article 1er institue la Faculté de droit de Montpellier mais dont l’article 2 subordonne son organisation et son fonctionnement à l’exécution des engagements du Conseil municipal10. La ville de Montpellier doit donc faire agréer par le ministère un projet de reconstitution des édifices universitaires puisque le rétablissement de la Faculté de droit s’inscrit dans le cadre plus large de la rénovation de l’ensemble de l’enseignement supérieur à Montpellier.
20Cependant, l’article 5 de la délibération du Conseil municipal du 3 août 1878 rappelle qu’un projet qui prévoyait la construction d’un bâtiment commun à la Faculté de droit, à la Faculté des sciences et à la Faculté des lettres ainsi qu’à l’hôtel de l’Académie, sur l’emplacement de l’ancien cimetière en face de l’hôpital général, avait déjà été soumis à l’approbation du pouvoir central lors de la visite à Montpellier de W. Waddington, ministre des Affaires étrangères11.
21Sur la base de ce projet, le recteur Giraud propose une solution plus économique consistant à installer de façon définitive la Faculté de droit dans la maison Jaumes, un hôtel du XVIIIème siècle appartenant à la ville, qu’elle ne devait occuper à l’origine que provisoirement. Cette solution est alors immédiatement étudié par le maire, A. Laissac et le Conseil municipal de Montpellier, mais une autre proposition est présentée par les quatre Facultés de la ville. Celles-ci constituent une commission centrale composée pour la Faculté de médecine des professeurs Dubrueil, Estor et Bertin, pour la Faculté des sciences par les professeurs Chancel, de Rouville et Roche, pour la Faculté des lettres par les professeurs Germain, Revillout et Boucherie et pour l’Ecole supérieure de pharmacie par les professeurs Planchon, Jeanjean et Diacon.
22La commission centrale des Facultés se met rapidement d’accord sur un projet unique présenté dans un mémoire qui doit être adressé au ministère par l’intermédiaire du nouveau recteur, A. Dumont, aussi favorable que son prédécesseur aux projets universitaires de la ville de Montpellier. Le projet de la commission consiste à loger la Faculté de droit, la Faculté des lettres et celle des sciences dans les bâtiments de l’hôpital Saint-Eloi, celui-ci devant être transféré hors de la ville. Cette solution présenterait des avantages à la fois urbains, hygiéniques, universitaires et financiers12.
23Le projet de la commission prévoit également l’installation provisoire de la Faculté de droit dans la maison Jaumes, ceci pendant la construction du nouveau bâtiment de l’hôpital Saint-Eloi, c’est-à-dire, pendant environ trois ans.
24Après avoir présenté comme prévu son projet au ministère de l’Instruction publique, la commission le soumet à l’avis du maire de Montpellier, A. Laissac, qui promet d’étudier les trois projets qui existent désormais. Sa préférence va à celui de la commission centrale des Facultés mais il veut l’avis du Conseil municipal avant de le présenter au ministère. Celui-ci se prononce en faveur du même projet dans une délibération de 12 avril 1879.
25Il reste alors une dernière condition à remplir : le transfert de l’hôpital Saint-Eloi dans un nouveau bâtiment qui nécessite l’accord de la Commission administrative des hospices. Celle-ci ne voit dans cette solution que des avantages. Fort de ces approbations, le recteur prend officiellement la conduite de ce projet. Le ministère de l’Instruction publique envoie alors à Montpellier un inspecteur de l’enseignement supérieur pour étudier sur place les propositions de la ville. Après huit jours de travail, celui-ci quitte Montpellier en assurant qu’il fera un rapport absolument favorable au ministre.
26Le recteur se rend à son tour à Paris et par son intermédiaire, la ville de Montpellier signe le 25 juin 1879 un contrat avec le ministère de l’Instruction publique, qui stipule notamment que la ville s’engage à emprunter la somme de deux millions de francs, à construire un nouveau bâtiment d’un montant de 1,5 million de francs pour l’hôpital Saint-Eloi et à réaliser tous les aménagements nécessaires à l’installation de l’administration académique et des Facultés de droit, des lettres et des sciences dans l’ancien édifice de l’hôpital Saint-Eloi.
27Ce contrat prévoit également que la ville doit acquérir sans délai la maison Jaumes, que le ministère de l’Intérieur doit donner son accord pour le transfert de l’hôpital et que le nouvel hôpital Saint-Eloi devra être livré en état de fonctionnement dans un délai de quatre ans à compter de la signature dudit contrat. Il est également prévu que l’Etat verse à la ville de Montpellier la somme de 400 000 francs en cinq annuités de 80 000 francs, afin d’aménager les futurs locaux universitaires.
28Le lendemain, dans sa séance extraordinaire du 26 juin 1879, le Conseil municipal autorise le maire à signer ce contrat par un vote favorable de 20 voix sur 25 et 5 abstentions. Celui-ci forme aussitôt une commission spéciale qu’il préside, pour élaborer le projet du futur hôpital. Cette commission travaille rapidement et le 2 août de la même année, la ville et la Commission administrative des hospices signent une convention aux termes de laquelle la ville s’assure la possession du bâtiment de l’hôpital Saint-Eloi moyennant le versement aux hospices de la somme de 1 500 000 francs pour la construction du nouvel hôpital.
29Enfin, le 15 septembre 1879, le contrat avec le ministère de l’Instruction publique est signé. Il met à la charge de la ville l’obligation d’affecter à perpétuité les anciens bâtiments de l’hôpital Saint-Eloi au service de l’Université13, mais l’évacuation de ces bâtiments par l’administration des hospices sera beaucoup plus tardive que ce qui avait été prévu.
B – L’installation de la Faculté de droit de Montpellier
30La nouvelle Faculté de droit a été installée en 1878 dans la maison Jaumes, rue du Dauphiné, puis rue Lisbonne, à l’ombre du clocher Sainte-Anne, mais ce n’est finalement qu’en 1880 que la ville de Montpellier procède à son inauguration14. La séance solennelle d’ouverture de la Faculté de droit a lieu le 17 novembre à 13 heures dans la salle des concerts du théâtre qui se remplit très tôt d’invités et d’étudiants en droit et d’étudiants en médecine.
31Dans la salle où une estrade a été élevée pour accueillir le corps académique, l’affluence est considérable. Le recteur Chancel se trouve au premier rang. Il est entouré des autorités civiles et militaires. L’inspecteur d’Académie et les doyens se trouvent à sa droite, le maire et ses adjoints sont à sa gauche. Les professeurs des Facultés de droit, de médecine, des sciences et des lettres, de l’Ecole supérieure de pharmacie ainsi que le proviseur et les professeurs du lycée, tous en costumes officiels, ont également pris place sur l’estrade.
32Le préfet de l’Hérault et toutes les autorités civiles, comme diverses personnalités de la magistrature, du barreau et des administrations sont invitées à cette séance d’inauguration. Mais d’autres sont cependant absents en raison du contexte politique national. D’abord, le cardinal de Cabrières est absent en raison de l’application des décrets de 1880 de Jules Ferry sur l’enseignement qui rendent à ce moment les relations entre les autorités religieuses et civiles très difficiles. L’évêque de Montpellier a d’ailleurs été jusqu’à excommunier solennellement le préfet. Ensuite, les députés et les sénateurs de l’Hérault sont aussi absents car les événements du moment requièrent leur présence à Paris, que Jules Ferry, ministre de l’Instruction publique, n’a pas pu quitter pour se rendre comme cela avait pourtant été annoncé, à Montpellier. Enfin, les anciens recteurs Dumont et Giraud sont absents pour des raisons de santé.
33Le recteur Chancel ouvre la séance qu’il préside en tant que représentant du ministre de l’Instruction publique. Après avoir présenté les excuses des personnalités absentes, il rappelle les principales étapes du rétablissement de la Faculté et il fait la lecture des arrêtés des 4 avril et 21 juillet 1880 ainsi que des décrets du 5 avril, du 21 juillet et du 7 août de la même année, relatifs à la nomination du doyen Vigié, des professeurs Valabrègue, Brémond, Gide et Laurens et des agrégés, chargés de cours, Pierron, Massigli, Girard, Glaize et Chabrand. Il annonce également la nomination de Giraud en tant que secrétaire agent-comptable. Puis il conclut en déclarant : « … en conséquence des décrets et arrêtés précités, la Faculté de droit de Montpellier est constituée… »15.
34Ensuite, le maire intervient et se félicite du succès des démarches qu’il a entrepris en vue du rétablissement de la Faculté et assure que la ville continuera à « encourager le développement de la Faculté par tous les moyens en son pouvoir »16.
35Le dernier à prendre la parole est le doyen de la Faculté de droit, A. Vigié, pour le discours le plus remarqué. Après s’être réjoui du rétablissement de la Faculté, il rappelle les souvenirs de l’ancienne Ecole de droit puis il expose rapidement le nouveau tableau des cours. Dans ce nouveau programme, le droit romain occupe une place importante à côté du droit civil. En parallèle les étudiants qui le désirent peuvent aussi suivre des cours d’étude du code de commerce, du code de procédure civile, d’économie politique et d’histoire du droit. En revanche, l’enseignement du droit canonique a, quant à lui, disparu17. La séance est levée à la fin du discours du doyen Vigié, à 14 heures 15.
36Dès le lendemain, en présence de nombreuses personnalités de la ville, les premiers cours débutent à la Faculté de droit, logée à la maison Jaumes, en attendant la construction du nouvel hôpital Saint-Eloi. Celle-ci durera finalement dix ans au lieu des quatre années prévues initialement, mais enfin, en juillet 1889, l’administration des hospices évacue l’hôpital Saint-Eloi et met ses bâtiments à la disposition de la ville. Il reste alors à réaliser les travaux nécessaires à l’installation de la Faculté de droit dans le futur palais universitaire18. Les bâtiments à aménager ont une surface de 5 200 mètres carrés qui se situent sur un terrain de 7 680 mètres carrés. Les travaux qui débutent en septembre 1889 sont exécutés sous la direction de Krüger, architecte de la ville de Montpellier19.
37L’aménagement et la construction du nouveau palais universitaire ne laissent finalement subsister que les murs extérieurs de l’ancien hôpital Saint-Eloi et sont achevés en un an seulement, en octobre 1890. Quelques mois auparavant, le 24 mai, la salle des fêtes du palais universitaire avait été inaugurée par le président de la République Sadi Carnot, lors du sixième centenaire de l’Université. La même année, l’unique Université de France est scindée en Universités réparties par villes. Ce projet coïncide donc à Montpellier avec l’installation dans le tout nouveau palais universitaire des Facultés de droit, des lettres et des sciences (ainsi que de certains services académiques et de la seconde section de la bibliothèque universitaire). C’est donc dans ce nouveau palais que la Faculté de droit va se développer.
II – Le développement de la Faculté de droit de Montpellier dans le dernier quart du XIXème siècle
38Le développement de la Faculté de droit de Montpellier dans le dernier quart du XIXème siècle se mesure par le nombre et la réputation des professeurs qui y enseignent mais aussi et surtout par l’effectif estudiantin en très rapide expansion.
A - Les professeurs et l’enseignement
39Si la Faculté est organisée conformément aux textes législatifs en vigueur, avec à sa tête un doyen secondé par les organes collégiaux qui sont l’assemblée et le conseil de faculté et assisté par un personnel administratif ainsi que des agents de service, le choix des professeurs et le développement des cours sont les deux préoccupations majeures de la Faculté dès son ouverture.
40Concernant les enseignants, comme nous le savons, lors de la séance d’inauguration du 17 novembre 1880, le recteur Chancel a installé officiellement cinq professeurs, trois agrégés et deux chargés de cours à la Faculté : Jean Albert Vigié et Joseph Henri Laurens sont professeurs de droit civil, Mossé Valabrègue est professeur de droit commercial, Jules Xavier Brémond est professeur de droit administratif et Charles Gide est professeur d’économie. Les chargés de cours sont Massigli en droit civil, Lucien Pierron et Paul Frédéric Girard en droit romain, Antonin Glaize en procédure civile et Chabrand en droit criminel.
41On peut d’abord remarquer que dans ces nominations, pour lesquelles l’ancien recteur A. Dumont a joué un rôle prépondérant en tant qu’artisan du rétablissement de la Faculté, les avocats occupent une place prépondérante puisque Vigié, Valabrègue, Brémond, Laurens et Pierron, soit la moitié des enseignants, ont exercé cette profession. Ensuite, Glaize, qui était juge suppléant au tribunal de première instance de Montpellier, est le seul natif de la ville. En effet, les professeurs nommés en 1880 viennent de cinq facultés différentes : Aix-en-Provence, Lyon, Bordeaux, Toulouse et Grenoble où quatre d’entre eux ont enseigné.
42Le doyen Jean Albert Vigié, né en Dordogne, a d’abord enseigné à Aix-en Provence puis à Grenoble où il a été nommé professeur de droit civil. Il a été choisi par le recteur A. Dumont pour ses qualités pédagogiques et ses compétences administratives. Mossé Valabrègues, né à Carpentras dans le Vaucluse, a été professeur de procédure civile à Grenoble puis il a suivi son ami Vigié à Montpellier pour y enseigner, comme nous le savons, le droit commercial.
43Jules Xavier Brémond est d’origine marseillaise. Il est aussi professeur de procédure civile, à Lyon, puis il vient enseigner le droit administratif à Montpellier. Charles Gide est lui originaire de la région, puisqu’il est né à Uzès. Avant son recrutement à Montpellier, il a enseigné l’économie politique à Grenoble puis à Bordeaux.
44Joseph Henri Laurens, né à Castelsarrasin dans le Tarn-et-Garonne, a enseigné à Aix-en-Provence et à Toulouse, en tant qu’attaché, chargé des cours de droit des gens. Son départ pour Montpellier est motivé par la promotion que lui offre la chaire de droit civil de la Faculté20. Enfin, Lucien Pierron est natif de Civray dans la Vienne et il a enseigné à Poitiers puis à Grenoble.
45Si les méthodes exactes du recrutement des professeurs ne sont pas connues avec précision, un certain nombre de critères sont logiquement déterminants, afin d’attacher à la Faculté de droit de Montpellier les services des maîtres les plus éminents, comme les résultats au concours d’agrégation. Ainsi, lors de leur recrutement en 1880, Massigli et Paul Frédéric Girard viennent d’être reçus respectivement premier et second. Mais pour les agrégés, la nomination à Montpellier n’était « ni une sanction infamante et irrémédiable, ni la faveur initiale pour les brillants sujets qui rêvent de Paris, ni l’idéal définitif de méridionaux voulant concilier la proximité de leurs origines et un théâtre oratoire à la mesure de leur talent »21. Autrement dit, la position moyenne et honorable de la Faculté de droit de Montpellier au sein des universités françaises laissait toute liberté quant à l’évolution de la carrière de ses professeurs.
46Après quelques années de fonctionnement, le recrutement des enseignants à Montpellier est principalement local22, puisque seule la moitié des professeurs quittent leur Faculté pour celle d’une autre ville. On constate aussi que si certains enseignants arrivent de Facultés de moindre importance au regard du nombre des étudiants, comme celles d’Alger où débuta Léon Charmont, ou encore celles d’Aix-en-Provence ou de Grenoble, dans l’optique d’une promotion universitaire, d’autres professeurs viennent quant à eux de Facultés plus importantes dans la hiérarchie universitaire, comme celles de Lyon, Bordeaux, Lille ou Toulouse. Ce dernier cas de figure ne concerne cependant que les professeurs qui ont participé à la renaissance de leur Faculté et dont la présence constitue un gage de succès pour l’avenir de l’institution, comme Charles Gide et Jules Xavier Brémond qui ont ainsi pu retrouver leur sud-est natal. On peut encore constater que les professeurs de Montpellier ont majoritairement fait leurs études dans les facultés de droit du sud de la France, principalement à Toulouse, à Bordeaux et à Aix-en-Provence. Seulement un tiers d’entre eux ont effectué leur cursus universitaire à Paris23.
47On peut également remarquer que Montpellier ne représente qu’une étape pour beaucoup de professeurs, qui ont pour objectif d’enseigner dans des Facultés de droit plus prestigieuses, comme celle de Toulouse et surtout celle de Paris, où seront rapidement nommés les brillants agrégés Massigli et Girard. Charles Gide attendra quant à lui dix-huit ans avant de quitter Montpellier pour Paris. Une autre stratégie pouvait consister à quitter Montpellier pour certaines petites Facultés du nord de la Loire qui ne constituaient en réalité qu’une étape vers la capitale. Mais d’une façon générale, seuls les professeurs qui sont nés dans des villes plus importantes que Montpellier aspireront à des Facultés plus prestigieuses. En revanche, ceux qui sont issus de villes petites ou moyennes se contenteront de l’accès à un poste dans une capitale régionale qui constitue pour eux une promotion suffisante24.
48L’origine sociale des enseignants influe donc sur leurs choix de carrière. Sur ce point, on constate que les professeurs montpelliérains sont issus des mêmes milieux que leurs collègues des autres Facultés de droit de France, c’est-à-dire qu’ils appartiennent principalement à des familles de juristes, de fonctionnaires ou à la bourgeoisie25. Plus précisément, les Montpelliérains d’adoption proviennent pour les deux tiers de la petite bourgeoisie et des professions juridiques26 parmi lesquelles les notaires des petites villes de province représentent l’immense majorité. Pour les enfants de ces derniers, l’accès à une chaire de droit dans une ville comme Montpellier leur confère un statut social supérieur à leur milieu d’origine, quant aux enfants de fonctionnaires, leur habitude de la mobilité géographique les prédispose à entrevoir des promotions à travers des déplacements dans les différentes Facultés du pays.
49La Faculté de droit de Montpellier a donc été fondée avec dix chaires en 1880 (cinq professeurs, trois agrégés et deux chargés de cours). Elle en comptera sept de plus en 190027, en histoire du droit, en droit constitutionnel, en droit international public, en économie politique et histoire des doctrines économiques, en droit civil approfondi, en droit civil et en économie politique (douze professeurs, quatre agrégés et un chargé de cours).
50En ce qui concerne l’enseignement, on distingue traditionnellement à Montpellier les cours proprement dits, des cours complémentaires et des conférences.
51D’abord, les cours proprement dits sont assurés par les professeurs titulaires, lesquels jusqu’à l’arrêté du 23 juillet 189628, peuvent enseigner indifféremment les matières de leur choix. On peut remarquer à ce sujet qu’il existe à Montpellier une grande stabilité quant aux cours puisqu’il n’y a pas eu de changement entre 1880 et 1896 quant aux matières enseignées. Cependant, certains professeurs ont utilisé cette liberté avant leur arrivée à Montpellier comme Jules Xavier Brémond qui a enseigné la procédure civile puis le droit administratif ou Mossé Valabrègue qui est passé de la procédure civile au droit commercial. Il faut encore préciser que ces cours sont rétribués par l’Etat et que le doyen perçoit aussi une rémunération supplémentaire pour ses fonctions administratives29.
52Ensuite, les cours complémentaires sont semblables aux cours magistraux rétribués par l’Etat. Ils sont assurés par des enseignants nommés par le ministère de l’Instruction publique mais leur rémunération est à la charge de leur fondateur, qui peut être par exemple une collectivité locale ou une institution. Ainsi, il existe huit cours complémentaires en 1894 sur les matières suivantes : enregistrement, législation commerciale comparée, droit administratif (pour les étudiants de troisième année), économie politique populaire, législation notariale, législation financière, législation industrielle et droit civil dans ses rapports avec le notariat30.
53Ces cours sont rémunérés annuellement 1 000 à 1 500 francs entre 1894 et 1900. Outre l’intérêt financier pour les enseignants, les cours complémentaires représentent aussi l’espoir de voir de nouvelles chaires se créer à la Faculté. Le déroulement des cours, complémentaires ou non, est peu connu. On sait seulement qu’en 1900, les premiers cours à la Faculté de droit de Montpellier commencent à 8 heures 30 et les derniers à 17 heures, l’après-midi étant réservé aux cours de doctorat, aux cours complémentaires et aux conférences. La durée des enseignements est habituellement de une ou deux heures, selon les matières, avec une pause de quinze minutes entre deux cours imposée par l’usage31.
54Enfin, les conférences, créées par un décret du 22 août 185432 complété par un arrêté du 10 janvier 1855 sont considérées comme les compléments des cours. Elles sont facultatives et rémunérées par la perception d’un droit sur les auditeurs, qui est de cinquante francs par semestre en 1900. L’ensemble des sommes ainsi perçues est réparti entre les enseignants au prorata de leurs charges. Les conférences ont pour but la révision des cours et l’apprentissage de la jurisprudence. Elles sont « particulièrement utiles pour mettre l’élève en rapport avec le maître, par des interrogations bien faites, des résumés et des devoirs, il se rend compte des théories que le professeur peut laisser flotter dans son esprit »33. Les conférences sont généralement assurées par les jeunes agrégés. Elles ont lieu en fin d’après-midi, deux fois par semaine, pour les premières, deuxièmes et troisièmes années ainsi que pour les doctorants. On peut encore préciser que le cycle des conférences débute généralement au mois de janvier, ceci afin de permettre aux étudiants de travailler sur la base d’un cours suffisamment avancé. Mais ce type d’enseignement, qui préfigure les travaux dirigés actuels, n’a guère eu de succès auprès des étudiants en raison du droit dont ceux-ci devaient s’acquitter pour y participer.
B - Les étudiants
55Comme on le sait, une fois le décret de création de la Faculté de droit signé, l’ouverture se fait le 17 novembre 1880 dans la maison Jaumes située rue E. Lisbonne. A partir de cet instant, le nombre des étudiants ne va plus cesser de croître.
56D’abord, pour être admis à la Faculté de droit, il faut être titulaire d’un baccalauréat littéraire du second degré car des connaissances en latin et en grec sont indispensables pour suivre les cours qui sont à forte dominance historique mais l’assemblée de la Faculté pouvait cependant accorder des dérogations aux étudiants bacheliers ès sciences et admettre l’équivalence de certains diplômes au baccalauréat littéraire.
57Ensuite, l’inscription est indispensable pour se présenter aux examens. Celle-ci peut être faite quatre fois par an, quelle que soit l’année d’étude (sauf pour le doctorat) et elle donne lieu à la délivrance de la carte d’étudiant. Jusqu’au décret du 28 décembre 188034, l’inscription est indéfiniment valable, c’est-à-dire qu’un étudiant inscrit dans une année peut se présenter aux examens correspondants plusieurs années après son inscription. En revanche, après 1880, les inscriptions ne sont désormais valables que deux ans. Précisons encore que, concernant cette formalité, que les inscriptions sont gratuites depuis la loi du 18 mars 188035 mais cette gratuité entraînant trop d’abus, la loi du 27 février 188736 a rendu à nouveau les inscriptions payantes. Ainsi, en 1900, les droits d’inscription et les droits de bibliothèque s’élèvent à 32 fr. 50 par trimestre37.
58Les chiffres et les informations sur le nombre des étudiants sont plus nombreux mais souvent divergents. A la fin de la première année universitaire de la Faculté, lors de la distribution des prix du concours de 1880-1881, le doyen Vigié annonce que le registre d’inscriptions a été clôturé au 21 novembre avec 245 inscrits mais regrette le faible nombre des étudiants en troisième année, heureusement compensé par celui des étudiants de première et de deuxième année. Une autre source indique que, dès la deuxième année universitaire de la Faculté, le nombre des inscrits est supérieur à 20038. Mais il faut bien souligner ici qu’il ne faut pas confondre le nombre des inscriptions et celui des étudiants.
59En effet, une pratique bien assez générale et bien connue consistait pour les doyens des Facultés de droit à exagérer le chiffre des inscriptions dans les rapports annuels qu’ils adressaient au recteur à l’attention du ministre, ceci afin de donner plus d’importance à leur établissement. Il ne semble pas que la Faculté de droit de Montpellier ait échappé à cette tentation. Quoi qu’il en soit, le ministère conscient de ces pratiques publiait ses propres estimations sur le nombre des étudiants, soit annuellement dans le Bulletin administratif du ministère de l’Instruction publique, soit dans une statistique décennale récapitulative. Mais ces données officielles sont très difficilement utilisables car le ministère fondait ses estimations sur la base de l’année civile, alors que les doyens des Facultés de droit se basaient quant à eux sur l’année universitaire. De plus, le système des inscriptions multiples compliquait encore le décompte du nombre réel des étudiants.
60Malgré ces incertitudes, les chiffres avancés pour la Faculté de droit de Montpellier ne laissent aucun doute sur le développement de l’institution. En effet, les chiffres officiels du rectorat annoncent 285 inscrits pour l’année universitaire 1883-84, 306 en 1884-85, 328 en 1885-86 et en 188639, 300 étudiants seulement sont inscrits mais d’après les statistiques du ministère, en 1888-89, la Faculté de droit ne compte que 216 étudiants et 165 inscrits réguliers.
61Toutefois, malgré ces effectifs sensiblement moins importants, la Faculté de droit de Montpellier est la troisième faculté de France par le nombre de ses étudiants (216)40 et la sixième pour le nombre de ses inscrits réguliers (165)41. Les statistiques ministérielles montrent ensuite une stagnation des effectifs et positionnent Montpellier à la dixième place des Facultés de droit françaises en 1897-98 avec 240 étudiants et à la septième place avec 397 inscrits. Pourtant, le registre des inscriptions de la Faculté ne fait état que de 308 inscrits pour la même année. Pour d’autres, cette stagnation n’est pas évidente et en 1894, les effectifs ont doublé et le nombre des étudiants passe à 42542. Enfin, en 1900, la Faculté de droit compte 374 inscrits réguliers et 922 étudiants. Les chiffres donnés par le doyen Vigié sont encore différents. En 1882-1883, la Faculté compte 309 étudiants dont 258 inscrits, en 1883-1884, 314 étudiants dont 282 inscrits, etc. Le nombre des étudiants va se maintenir aux alentours de 300 pendant une dizaine d’années sauf pendant l’année universitaire 1888-1889 où le doyen Vigié fait état d’un fléchissement des effectifs avec 257 étudiants dont 207 inscrits43.
62Au-delà des écarts entre les données des différentes sources, on peut tout de même constater une évolution assez nette de la Faculté de droit de Montpellier. Pendant les premières années de sa création, ses effectifs se sont rapidement développés pour atteindre environ 300 étudiants. Ce chiffre se maintient ensuite pendant à peu près une décennie, puis à nouveau, le nombre des étudiants augmente dans les dernières années du XIXème siècle pour atteindre environ 900 en 1900. L’effectif des étudiants à la Faculté de droit de Montpellier a donc triplé en vingt ans, c’est-à-dire entre la date de sa création et le début du XXème siècle et l’institution s’est positionnée entre le troisième et le sixième rang des Facultés de droit françaises pendant ce même temps.
63Ces précisions étant données sur le nombre des étudiants, on doit à présent s’interroger sur la question de leur mobilité, sur laquelle les bordereaux des dossiers scolaires des étudiants qui transitent par le rectorat nous renseignent. Comme nous l’avons signalé pour les professeurs, certains étudiants peuvent être amenés à quitter la Faculté de droit de Montpellier pour achever leur cursus dans une faculté plus prestigieuse.
64Ainsi, il apparaît très clairement que de 1883 à 1886, la majorité (un peu plus de la moitié) des étudiants qui quittent Montpellier le font pour Paris44. Les autres partent pour Toulouse et Aix-en-Provence, puis pour Lyon et Bordeaux. En 1883, on compte ainsi un total de 23 départs d’étudiants de la Faculté de droit de Montpellier et de 28 en 1886, ce qui compte tenu des effectifs de la Faculté dans ces années, démontre une grande stabilité de la population étudiante. En effet, ces chiffres signifient que plus de 90 % des étudiants accomplissent l’intégralité de leur cursus à Montpellier.
65A l’inverse, d’autres étudiants qui ont commencé leurs études dans une autre faculté viennent à Montpellier pour poursuivre et achever leur cursus. Ceux-ci, une quinzaine par an, de 1883 à 1886, viennent alors principalement de Toulouse, de Paris et d’Aix-en-Provence. Cette mobilité peut s’expliquer ici davantage par des raisons familiales. Ces tendances se vérifient encore en 1895 et en 1899, années pendant lesquelles la très grande majorité des étudiants qui quittent Montpellier vont poursuivre leur scolarité à Paris, et pour certains à Toulouse, à Bordeaux, à Lyon, à Grenoble ou encore à Aix-en-Provence45.
66On le voit, même si la Faculté de droit de Montpellier perd plus d’étudiants qu’elle n’en gagne, elle semble finalement satisfaire l’immense majorité de ses étudiants.
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67Pour conclure, on peut se référer une nouvelle fois à G. Cholvy qui écrit qu’« illustré par l’enseignement de Ch. Gide en économie, la Faculté allait remplir à la fois son rôle de reproduction et de promotion sociale en un pays où faire son droit n’entraînait pas nécessairement l’entrée dans une carrière »46, en rappelant que la Faculté de droit de Montpellier a accueilli parmi ses étudiants Paul Valéry, qui débuta ses études en 1888, en même temps que son frère Jules Valéry était professeur et doyen de la Faculté47.
Notes de bas de page
1 Les archives de la Faculté de droit ont été classées aux Archives départementales de l’Hérault seulement en 2005. Auparavant, celles-ci ont été présentées comme étant inexistantes. Voir H. Vidal, « Alfred Pierron et l’enseignement du droit romain à Montpellier de 1881 à 1895 », Mélanges Roger Aubenas, Recueil de Mémoires et Tavaux publiés par la Société d’Histoire des anciens Pays de Droit écrit, Montpellier, 1974, p. 749.
2 Histoire de Montpellier (dir. G. Cholvy), op. cit., p. 349.
3 Les sources concernant la création et l’installation de la Faculté de droit de Montpellier sont conservées aux Archives départementales de l’Hérault, dans le fonds de la préfecture, dans deux liasses (sans numérotation interne) cotées 1 T 5360 (création) et 1 T 3493 (projet de création (1875) ; installation dans l’immeuble Jaumes (1880-1882) ; contentieux avec le ministère des Finances). Voir également le fonds de la Faculté de droit, Archives départementales de l’Hérault, cote 8 E.T.P.
4 Registre des délibérations du Conseil municipal de la ville de Montpellier, séance du 19 novembre 1875, Montpellier, 1875, Archives départementales de l’Hérault, cote 1 T 5360. Voir aussi J. Valery, Histoire d’une résurrection. Comment fut rétablie la Faculté de droit de Montpellier en 1880, op. cit., p. 3, Bibliothèque municipale de Montpellier, cote 19 998.
5 J.-B. Duvergier, Collection complète des lois, décrets, ordonnances, règlements et avis du Conseil d’Etat (de 1788 à 1944), Paris, t. 75, 1875, p. 274-294.
6 J.-B. Duvergier, op. cit., t. 75, 1875, p. 597-598.
7 Registre des délibérations du Conseil municipal de la ville de Montpellier, séance du 19 novembre 1875, Montpellier, 1875, Archives départementales de l’Hérault, cote 1 T 5360.
8 Ibid. Voir également : La Faculté de droit de Montpellier. Liber memoriae (dir. B. Durand), op. cit., p. 44.
9 Comité de rédaction du Montpellier médical, L’installation nouvelle des Facultés et le nouvel hôpital Saint Eloi de Montpellier, op. cit, p. 4-5, Bibliothèque municipale de Montpellier, cote LE 0765.
10 J.-B. Duvergier, op. cit., t. 79, 1879, p. 16.
11 Comité de rédaction du Montpellier médical, L’installation nouvelle des Facultés et le nouvel hôpital Saint Eloi de Montpellier, op. cit, p. 5.
12 Sur le détail de cette répartition géographique, voir M.-P. Ader, La Faculté de droit de Montpellier au XIXème siècle. Histoire d’une résurrection, op. cit., p. 11-12 et J. Grasset-Morel, Montpellier, ses sixains, ses îles et ses rues, ses faubourgs, Montpellier, 1908.
13 M.-P. ader, La Faculté de droit de Montpellier au XIXème siècle. Histoire d’une résurrection, op. cit., p. 16.
14 La Faculté de droit de Montpellier. Liber memoriae (dir. B. Durand), op. cit., p. 41.
15 Inauguration de la Faculté de droit dans la séance solennelle du 17 novembre 1880, op. cit. p. 3, Bibliothèque municipale de Montpellier, cote 11 367. Voir aussi le fonds de la Faculté de droit, Archives départementales de l’Hérault, cote 8 E.T.P. 1 (Administration générale. Conseils et assemblées).
16 J. Valery, Histoire d’une résurrection. Comment fut rétablie la Faculté de droit de Montpellier en 1880, op. cit., p. 10, Bibliothèque municipale de Montpellier, cote 19 998.
17 La Faculté de droit de Montpellier. Liber memoriae (dir. B. Durand), op. cit., p. 41.
18 Le palais universitaire est aujourd’hui occupé par le rectorat de l’Académie de Montpellier, rue de l’Université.
19 M.-P. Ader, La Faculté de droit de Montpellier au XIXème siècle. Histoire d’une résurrection, op. cit., p. 20-21.
20 C. Charle, « Enracinés et déracinés, les professeurs de la Faculté de droit de Montpellier (1880-1914) », Septième Centenaire des Universités de l’Académie de Montpellier (1289-1989), Montpellier, 1992, p. 148-154. Archives départementales de l’Hérault, cote CRC 187.
21 C. Charle, « Enracinés et déracinés, les professeurs de la Faculté de droit de Montpellier (1880-1914) », op. cit., p. 149.
22 Ibid., p. 150.
23 M.-P. Ader, La Faculté de droit de Montpellier au XIXème siècle. Histoire d’une résurrection, op. cit., p. 29.
24 Ibid., p. 30-31.
25 C. Charle, Les élites de la République, Fayard, Paris, 1987, p. 85.
26 C. Charle, « Enracinés et déracinés, les professeurs de la Faculté de droit de Montpellier (1880-1914) », op. cit., p. 150-151.
27 Annuaire de l’Université de Montpellier, Montpellier, 1900, p. 23, Archives départementales de l’Hérault, cote CRC 1043.
28 Cet arrêté remplace l’agrégé de droit par les agrégés de droit privé, de droit public et d’histoire du droit et des sciences économiques.
29 Cette rémunération supplémentaire s’élevait à 1 000 francs par an pour le doyen Vigié.
30 Archives départementales de l’Hérault, cote 1 T 1900 (1895-1939 ; circulaires 1895 ; transmission des dossiers scolaires 1899-1909).
31 Annuaire de l’Université de Montpellier, op. cit., p. 106-108. Archives départementales de l’Hérault, cote CRC 1043.
32 J.-B. Duvergier, op. cit., t. 54, 1854, p. 486-488.
33 Annuaire de l’Université de Montpellier, Montpellier, op. cit., p. 129. Archives départementales de l’Hérault, cote CRC 1043.
34 J.-B. Duvergier, op. cit., t. 81, 1881, p. 486.
35 Ibid., t. 80, 1880, p. 83- 101.
36 Ibid., t. 87, 1887, p. 162-190.
37 Annuaire de l’Université de Montpellier, Montpellier, op. cit., p. 129. Archives départementales de l’Hérault, cote CRC 1043.
38 Histoire de Montpellier (dir. G. Cholvy), op. cit., p. 349.
39 Archives départementales de l’Hérault, cote 1 T 800 (1883-1896 ; Etat nominatif des étudiants qui ont obtenu un prix en 1883-1884 ; transferts de dossiers ; certificats d’instruction ; diplômes de bacheliers ; thèses ; licences).
40 La Faculté de droit de Montpellier. Liber memoriae (dir. B. Durand), op. cit., p. 41.
41 C. Charle, « Enracinés et déracinés, les professeurs de la Faculté de droit de Montpellier (1880-1914) », op. cit., p. 149.
42 Histoire de Montpellier (dir. G. Cholvy), op. cit., p. 349.
43 Archives départementales de l’Hérault, cote 1 T 800.
44 Archives départementales de l’Hérault, cote 1 T 1900.
45 Ibid.
46 Histoire de Montpellier (dir. G. Cholvy), op. cit., p. 349.
47 La Faculté de droit de Montpellier. Liber memoriae (dir. B. Durand), op. cit., p. 42.
Auteur
Maître de conférences à l’Université Montpellier I
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