Les facultés de droit de Douai et de Lille : acquis de la recherche
p. 83-95
Texte intégral
1La généalogie de la Faculté de droit depuis la fondation de l’Université de Douai au XVIe siècle est désormais établie dans ses grandes lignes autour des axes suivants :
I - Aux origines de l’Université de Douai : 1562
2L’Université de Douai fait partie des établissements d’enseignement qui, telles l’Université de Reims en 1547 ou celle de Pont-à-Mousson en 1572, voient le jour dans le sillage de la Réforme. Elle est fondée en 1562. Les Pays-Bas du Sud, alors sous domination espagnole, disposent déjà depuis 1425 d’une Université à Louvain. A la même époque, les villes de Tournai, Valenciennes et Mons sont dotées de leur propre collège1.
3Le choix de la cité de Douai obéit à des raisons précises.
4D’une part, la région est le berceau d’humanistes de renom tels Erasme de Rotterdam ou Christophe Plantin. D’autre part, Jésuites, Capucins et Récollets, y assurent déjà un rôle temporel et intellectuel important. Enfin, les Pays-Bas méridionaux éprouvent le besoin de former des clercs, des légistes, des officiers. Or, dès 1531, la cité de Douai, ville « en tous endroits (…) la plus sûre et convenable »2, qui constitue une étape essentielle dans le commerce des grains sur la Scarpe, formule le souhait de voir installer dans ses murs une Université. La demande est instruite par le Conseil privé de Charles-Quint et suscite la plus vive inquiétude de l’Université de Louvain qui craint de voir ses prérogatives écornées. Charles-Quint se range finalement aux arguments des représentants de l’Université de Louvain qui constitue alors un précieux réservoir de théologiens et d’inquisiteurs. Il exprime la crainte que l’établissement d’un centre d’enseignement universitaire à Douai ne favorise la propagation des « mauvaises doctrines » qui « procèdent surtout des lettrés en sciences et en lettres modernes »3. Charles-Quint se montre en outre réticent à la création d’un nouvel établissement car il s’inquiète d’une Université qui pourrait servir les ambitions du pouvoir communal en contribuant à le renforcer.
5Pourtant, les progrès de la Réforme, qui atteint Louvain en 1540, et le danger que représente la propagation des idées nouvelles auprès des étudiants vont contribuer à lever les réticences qui pesaient jusqu’alors sur la création d’une Université à Douai. Certes, Douai échappe encore à cette époque à la propagande réformiste et ce seul fait contribue à jouer en sa faveur. Néanmoins, d’autres villes sont en concurrence : tel est le cas de Valenciennes. Néanmoins, la « Genève du Nord » est le foyer de troubles qui disqualifient sa candidature. Quant à la cité de Tournai, elle est jugée encore trop francophile, tandis que Lille est considérée comme une ville trop peuplée pour constituer un foyer stable d’enseignement universitaire. Pourtant, l’installation de l’Université à Douai doit beaucoup à l’influence d’un Lillois, Jean Vendeville, formé au droit civil à l’Université de Louvain, qui siège au Grand Conseil de Malines. Il estime que Douai peut servir de centre destiné à former des prêtres capables de « diminuer l’hérésie » et de soutenir la dispute avec les docteurs calvinistes.4 Il faut également compter, parmi les plus actifs soutiens de la candidature de Douai, avec Antoine Perrenot de Granvelle, connu pour les hautes charges dont il a été investi : cardinal d’Arras, ministre de Charles-Quint puis de son fils Philippe II, négociateur des traités d’Augsbourg et du Cateau-Cambrésis.
6Les arguments de Jean Vendeville finissent par emporter l’adhésion de Philippe II qui sollicite le pape Paul IV en vue d’obtenir la création de l’Université de Douai. Ce dernier en accepte le principe en 1559 et signe à Madrid le 19 janvier 1562 les lettres patentes d’érection de l’Université « sur le modèle des célèbres Universités de Paris, Bologne et Padoue et autres lieux avec tous leurs privilèges »5. Cette décision s’inscrit dans le prolongement du concile de Trente qui définit la contre-réforme catholique face à l’expansion des thèses du protestantisme. C’est donc tout à fait logiquement que l’évêque d’Arras, François Richardot, expose, le jour de l’inauguration, que la nouvelle Université de Douai doit constituer un « exemple de vertu pour la chrétienté toute entière »6.
7L’Université de Douai est conçue comme l’un des instruments de la contre-réforme doté de cinq Facultés : la théologie, le droit canon, le droit civil, la médecine et les arts libéraux. Au XVIIIe siècle, le traité d’Utrecht contribue au rayonnement de la Faculté de droit en raison du transfert du Parlement de Flandre à Douai7.
II - De Douai à Lille : les conditions du transfert de la Faculté de droit
8En 1791, nombre de professeurs de l’Université de Douai refusent de prêter serment à la constitution civile du clergé8. Par ailleurs, les étudiants désertent l’Université qui disparaît en 1793. Le souvenir du prestige tiré de l’existence d’une Faculté de droit reste néanmoins bien vivant et la ville ne tarde pas à formuler des vœux en faveur de son rétablissement. Le Conseil municipal de Lille se montre tout aussi intéressé et souhaite également tirer parti de l’installation d’une Faculté de droit au cœur de la cité. La ville formule donc une demande en ce sens qui s’appuie, en particulier, sur la nécessité d’y développer des enseignements de droit commercial. Saisi de la question au cours de l’année 1861, le ministre de l’Instruction publique oppose un refus qu’il fonde sur des raisons d’ordre administratif et financier et remarque : « Serait-il opportun d’ailleurs, de multiplier les Facultés de droit lorsqu’une longue expérience a démontré que celles qui existent déjà suppléent complètement aux besoins du pays et des familles. Il y aurait lieu d’examiner s’il est bien utile de créer des Facultés nouvelles dans des centres si rapprochés de Paris par les voies de fer. J’ai fait les objections au Conseil municipal de Douai lorsqu’en 1857, il m’a exprimé le même vœu pour son compte en le fondant sur la situation spéciale de la vile de Douai qui possède déjà une Faculté des lettres et qui est à la fois le chef-lieu d’une académie et d’une cour impériale. La situation n’a pas changé depuis cette époque »9.
9Malgré ce refus, quatre ans plus tard, la Faculté de droit est rétablie à Douai par un décret impérial du 28 avril 1865. Pour autant, la situation dans le département est loin d’être clarifiée. Bien au contraire. A cette date, en effet, les Facultés des sciences, de médecine et pharmacie sont installées à Lille, alors que Douai est le siège de l’Académie et des Facultés de lettres et de droit. Cette dispersion géographique milite en faveur du regroupement des enseignements universitaires à Lille. Une telle décision implique le transfert de la Faculté de Droit de Douai vers la préfecture du département du Nord. Cette perspective suscite naturellement des crispations politiques locales très fortes sur fond de rivalité entre les deux cités.
10La question du regroupement des Facultés et du transfert de la Faculté de droit à Lille revient à l’ordre du jour avec la reconnaissance de la liberté de l’enseignement supérieur et la création de l’Université catholique de Lille dont la première pierre est posée en 1879. Avant même l’achèvement de la construction de l’édifice, la Faculté de droit de l’Université catholique de Lille voit le jour et ouvre ses portes dès 1874.
11Dès lors, l’enjeu du déplacement de la Faculté de droit de Douai à Lille change de nature et acquiert une dimension politique nationale d’importance. En effet, pour les républicains, il est impératif de doter les départements septentrionaux d’une Université laïque, ce qui suppose le regroupement de toutes les Facultés. En concertation avec l’Etat, les maires de Lille, — en particulier, le très républicain Géry-Legrand — engagent alors un vaste programme de construction d’instituts et d’édifices universitaires. En 1880, au moment où Jules Ferry pose la première pierre de la Faculté de médecine, on lui remet une pétition demandant la réunion à Lille des Facultés et donc le rapatriement de celles de lettres et de droit. Le transfert de l’Académie et des Facultés de droit et de lettres est finalement décrété le 12 mars 1887. Le ministre de l’Instruction publique, Eugène Spuller, inaugure la réunification des quatre Facultés de Lille en novembre de la même année. A Douai, il faut protéger les voies ferrées lors du passage du train de Spuller, tant on craint une émeute devant ce risque de « décapitation de la ville »10.
III - La Faculté de droit et l’Université catholique de Lille
12« Les Facultés de l’Etat seront bon gré mal gré obligées de nous suivre »11. A l’origine, cinq Facultés sont pressenties. Au sommet, la théologie, la reine des sciences, puis le droit, « enseigné dans toute son ampleur et non pas mutilé, abaissé, comme il l’est en un pays où l’on forme des procureurs, non des jurisconsultes », la médecine, ainsi que les lettres et les sciences. Très rapidement, de nombreuses questions sont soulevées au sein de la Commission mise en place pour donner corps au projet.
A - Quelle ville choisir comme siège de l’Université catholique dans le Nord : Lille ou Douai ?
13Arras est écartée. Pourtant, la ville occupe une position plus centrale et certains commissaires souhaiteraient former autour de l’Université un district plus vaste que celui de deux départements.
14La commission hésite entre Douai, ville de tradition universitaire, et Lille cité d’une importance de bien loin supérieure. Pour le rapporteur, le choix de Lille paraît plus judicieux en raison de l’existence de nombreux hôpitaux et d’une Faculté des sciences. La métropole du Nord emporte effectivement les suffrages, bien que la commission reconnaisse les services signalés rendus pendant trois siècles à l’Eglise et à la cause catholique par l’Université de Douai. Ainsi, dès le 23 février 1874, l’ancien hôtel de la préfecture fait l’objet d’une acquisition grâce au concours deux industriels, Philibert Vrau et Camille Féron-Vrau.
B - Quand faut-il ouvrir les premiers enseignements à la Faculté de droit ?
15Faut-il attendre encore une année dans la mesure où la loi sur la liberté de l’enseignement supérieur n’est pas encore votée et compte tenu du fait que le personnel enseignant n’est pas encore au complet ? La commission décide d’ouvrir le plus tôt possible.
C - Obtenir l’autorisation du ministre
16Les archives de l’ICL recèlent, de ce point de vue, des sources intéressantes : des interventions de personnalités régionales, essentiellement des industriels (Vrau, Dennel, Henri Bernard…) et des lettres individuelles des trois enseignants pressentis dans le projet : Emile Vanlaer, membre du barreau de Lille, docteur en droit, enseignerait le droit français. Un « jeune savant lyonnais », Claude Arthaud, acceptait de venir à Lille enseigner le droit romain. Un membre de la Compagnie de Jésus, le Père Cochard, se chargerait du droit naturel, du droit des gens, et joindrait à cet enseignement un cours approfondi de religion.
17Une lettre de recommandation signée des promoteurs et des cautions de l’entreprise expose notamment : « Cet enseignement désiré par un grand nombre de familles ne consistera point en des conférences où l’on peut craindre de trouver parfois des doctrines hasardées ou de fâcheux écarts de parole, mais en des cours véritables, donnés plusieurs fois par semaine, sous une forme didactique, à des étudiants assidus à les suivre… ».
18Quelques principes sont adoptés sans difficulté par le comité chargé de l’organisation de la Faculté : accepter de faire « les sacrifices nécessaires pour avoir un personnel enseignant qui soit véritablement à la hauteur de sa mission » ; exiger des étudiants « non seulement une complète assiduité aux cours, mais un travail effectif contrôlé par des répétitions, des examens, des conférences qui seront un stimulant et un exercice utile » ; justifier d’une conduite régulière et d’habitudes chrétiennes pour être inscrit au nombre des étudiants de l’Institut catholique ; mettre en place un régime des études prévoyant la rédaction, tous les trois mois, d’un bulletin détaillé sur la conduite, le travail et les progrès de chaque étudiant qui sera adressé aux parents ou tuteurs ; enfin présenter le programme des cours pour l’année 1874-1875, qui est articulé comme suit : droit romain : M. Arthaud, docteur en droit, trois leçons d’une heure par semaine et une conférence ; droit français : M. Vanlaer, docteur en droit, trois leçons d’une heure par semaine et une conférence ; droit naturel et droit des gens, le R.P Cochard, de la Compagnie de Jésus, deux leçons d’une heure par semaine – cours approfondi de religion, par le même, une heure chaque semaine.
19L’autorité académique fait néanmoins savoir qu’elle souhaite exercer un contrôle sur les enseignements, notamment sur « les changements de jours comme d’heures qui pourraient subvenir dans les cours » ou encore sur « les nouveaux cours qui devaient recevoir une autorisation officielle » ainsi que sur les enseignants qui devront s’engager « à ne plus employer dans l’état actuel de notre législation, aucun titre que celui de cours libres de Lille, et ne plus faire paraître aucun imprimé sans en avoir soumis le projet cinq jours d’avance à M. l’inspecteur d’académie, à qui trois exemplaires seront ensuite adressés, avant toute publicité. » Les trois professeurs désignés par la Faculté acceptent de se plier à ces exigences et le font savoir au ministre. Les cours libres sont alors ouverts à Lille le 23 novembre 1874.
D - La mise en œuvre du projet se heurte à un certain nombre de difficultés
20Le projet est coûteux : une grande souscription est ouverte, une société civile est créée : elle obtient l’adhésion de plusieurs industriels et banquiers de la région. Le projet est mûri dans l’urgence car il s’agit notamment d’organiser « un enseignement libre de tendances hostiles à l’Eglise » avant que la loi sur l’enseignement supérieur ne soit votée.
21La question du recrutement est toujours en suspens. Une enquête est alors ouverte dans toutes les régions de France auprès de différents comités catholiques existants pour signaler « les hommes de grand savoir et de doctrine sûre » susceptibles d’occuper une chaire dans la future Université.
22De nombreux déplacements sont effectués sur tout le territoire (Nancy, Lyon, Chambéry, Valognes, La Rochelle, Poitiers, Châtellerault). Il s’agit de convaincre les candidats d’accepter de quitter leur région « pour se dévouer à la grande œuvre ». Féron-Vrau se rend notamment à Poitiers et parvient à convaincre trois hommes : le vicomte Gabriel de Vareilles-Sommières, agrégé de droit, qui occupera la première chaire de droit civil et remplira les charges de pro-doyen à l’âge de 29 ans. Deux de ses amis acceptent de se joindre à lui, l’un est substitut à Châtellerault, l’autre à La Rochelle : tous deux sont d’anciens étudiants de la Faculté de Poitiers admissibles au précédent concours d’agrégation : Groussau est en charge de l’enseignement du droit administratif, Trolley de Prévaux, du droit commercial.
23Trois autres personnes les rejoignent : Ory, en provenance de Nancy (droit romain), Eugène Delachenal, du barreau de Chambéry (droit civil), Tancrède Rothe (droit naturel), lauréat de la Faculté de Caen, inscrit au barreau de Valognes, 23 ans qui « se recommande surtout pour l’esprit chrétien qui l’anime » (seconde chaire de droit civil). Avec Emile Vanlaer, qui donne déjà depuis un an des cours libres de droit (droit criminel), Claude Arthaud, jeune avocat lyonnais, Louis Selosse (droit administratif), ils sont neuf à former le corps professoral de la Faculté de droit. Le plus âgé d’entre eux n’a pas encore trente ans.
24Enfin, le Père Cochard, se charge du droit naturel, du droit des gens, et joint à cet enseignement un cours approfondi de religion.
IV - Perspectives pour une étude de la Faculté de droit de Lille
25Dans la seconde décennie du XIXe siècle, la question de l’enseignement du droit dans le département du Nord semble s’ordonner autour du triptyque suivant :
A - Le rétablissement des enseignements à Douai après une longue interruption (1865)
26Un certain nombre de questions restent dans l’ombre, notamment celle-ci : quels sont les éléments qui commandent le choix de Douai qui certes, dispose de l’antériorité historique, mais dont la candidature supporte aisément la comparaison a avec celle de Lille ?
B - La question du transfert de la Faculté de droit de Douai à Lille (1887)
27Les enjeux sont nombreux : enjeux d’ordre symbolique : Douai est le siège de la Cour d’appel, mais Lille est la capitale administrative d’un département stratégique ; enjeu économique : les deux villes sont des centres d’activité extrêmement vivants : Lille est orientée vers l’activité textile, Douai tire profit de l’industrie minière et métallurgique ; enjeu culturel : chacune des deux cités ambitionne de constituer un foyer culturel attractif au rayonnement duquel la Faculté de droit doit contribuer. Du point de vue des professeurs de droit, le déménagement pose incidemment la question des représentations culturelles. Le préfet du Nord, observe en effet qu’à Douai, « vieille ville parlementaire qui se plaît à se donner elle-même le titre d’Athènes du Nord (…) les professeurs jouissent d’une situation et d’une autorité qu’ils n’auront peut-être pas auprès des industriels »12.
28Il y a enfin un enjeu politique local et national : le transfert de la Faculté de droit inquiète le préfet qui souhaite retarder un projet risquant, selon lui, de mettre en difficulté la municipalité de Douai et donc de nature à compromettre la victoire des républicains aux élections sénatoriales. Selon le préfet du Nord, le risque est « la démission de la municipalité et du Conseil municipal qui seront remplacés par des réactionnaires, c’est tout cet arrondissement de perdu ; en premier lieu, la majorité du Conseil général sera déplacée entièrement elle passera à droite, en second lieu, les élections sénatoriales seront plus que compromises… Au point de vue politique, le transfert des Facultés à Lille ne nous fait pas gagner un seul républicain, il nous les fait tous perdre dans l’arrondissement de Douai… ». Il y a, selon ses vues, un tel intérêt à retarder le projet qui « paraît dépasser de beaucoup celui qu’il peut y avoir à réunir en face des Facultés catholiques, toutes les Facultés de l’Etat »13 .
C - Les relations entre la Faculté de droit de Lille et la Faculté libre de droit appellent sans doute des investigations complémentaires
29Avant même le déménagement de la Faculté de droit de Douai à Lille, les tensions ne manquent pas et les enseignements dispensés au sein de la Faculté libre de droit sont immédiatement frappés de suspicion de la part des professeurs de droit exerçant à Douai14. Après le déménagement, l’existence d’une Université catholique dans la ville sert d’argument à la municipalité républicaine de Lille pour justifier le transfert des Facultés de lettres et de droit dans le chef-lieu du département : il s’agit notamment de répondre à « l’empressement qu’a mis le parti catholique »15.
30La rivalité entre les deux institutions est certes établie : elle procède pour partie de la concurrence entre leur Université de rattachement. Cette rivalité présente un caractère multiforme et ne se réduit pas au clivage politique entre les républicains et le « parti catholique ». En effet, comme le note le professeur Lacour (1894), « la clientèle de nos voisins se recrute parmi une élite de jeunes gens très fortement préparés sur les bancs du lycée, et qui n’ont plus qu’à poursuivre et à approfondir des études depuis longtemps commencées. Nos étudiants nous arrivent, au contraire, absolument ignorants des notions les plus élémentaires du droit »16.
31La place des deux Facultés de droit dans ce champ d’affrontement mérite examen en raison de l’évolution des programmes des Facultés de droit dans le dernier quart du XIXe siècle. Un certain nombre d’enseignements paraissent à même de mieux évaluer la portée de cette rivalité (en particulier des enseignements tels que le droit administratif, l’économie politique, la législation industrielle, la législation coloniale ou encore le droit civil à travers les questions liées à la famille).
32Plus généralement, pourrait faire l’objet d’une étude comparative l’offre de formation de chaque établissement, en particulier le régime des cours libres. Une attention particulière pourrait être également portée aux cours publics de la Faculté de droit financés pour partie par le Conseil de l’Université et la ville de Lille. La question incidente pourrait être celle de la constitution éventuelle de réseaux d’alliance (Faculté libre de droit – industriels catholiques ; Faculté de droit de l’Etat – municipalité républicaine ?). Comme le rapporte Jean-Claude Matthys17, les conférences populaires d’enseignement supérieur subventionnées par le Conseil municipal de Lille à la fin du XIXe siècle font intervenir les professeurs de la Faculté de droit de l’Etat et constituent sans doute un indice de l’amorce d’une réponse républicaine face à la diversification de l’offre d’enseignement depuis l’installation des Facultés catholiques.
33Pourrait être également sondée l’insertion dans la cité des professeurs de droit en fonction de leur établissement de rattachement. Existe-t-il des modes d’intégration spécifiques dans le tissu socio-économique local ? Mérite enfin examen la question de la spécificité éventuelle des méthodes pédagogiques. La Faculté libre de droit revendique, dès sa création, la mise en œuvre d’une alternative pédagogique aux enseignements dispensés dans le cadre des Facultés de l’Etat. Certaines de ses modalités ont déjà été inventoriées et analysées par Jean-Claude Matthys aussi bien dans le cadre plus général de la Faculté libre de droit que dans celui, plus particulier, de la section des sciences sociales et politiques créée à la rentrée académique de novembre 189418. Ces méthodes pédagogiques sont-elles constitutives d’une identité propre ? La Faculté de droit réagit-elle à ces innovations ? Le cas échéant, suivant quelles modalités avec quels moyens et quel retentissement éventuel ? Peut-on en évaluer les retombées sur le destin professionnel des étudiants ?
V - État des sources
34Les archives de la Faculté libre de droit ont été conservées à l’ICL et sont accessibles, celles de la Faculté de droit ont été versées aux Archives départementales du Nord et n’ont pas encore fait l’objet d’un classement. Les ADN conservent néanmoins le dossier relatif au transfert de la Faculté de droit (1886) ainsi que celui relatif au programme des cours (1890-1895). Sont également disponibles la liste des professeurs et l’intitulé des cours professés depuis la création de la Faculté de droit de Douai.
35Les archives municipales de Lille conservent certaines consultations juridiques de professeurs de la Faculté de droit.
Bibliographie
Aperçu sur l’état de la littérature
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Notes de bas de page
1 L. Trenard, De Douai à Lille… Une Université et son histoire, Lille, Université de Lille III, 1978, p. 11.
2 Cité par L. Trenard, op. cit., p. 12.
3 Idem, p. 13.
4 Idem, p. 14.
5 Idem, p. 16.
6 Ibid.
7 Sur l’organisation ultérieure de l’Université : G. Dehon, L’Université de Douai dans la tourmente (1635-1765). Heurts et malheurs de la Faculté des Arts, Presses universitaires du Septentrion, 1998.
8 R. Martinage, « Les professeurs de la Faculté de droit de Douai pendant la Révolution » dans Les Episodiques, n° 9, novembre 2004, p. 15-29.
9 Le ministre de l’Instruction publique et des Cultes au préfet 12 juillet 1861 : Archives départementales du Nord, (ci-après ADN), 1 T 20- 7.
10 L’Indépendant de Douai, 25 octobre 1887 : cité par J.-F. Condette, La Faculté des Lettres de Lille de 1887 à 1945, Presses universitaires du Septentrion, 1999, p. 25.
11 Gabriel de Vareilles-Sommieres, Extrait du discours d’inauguration de la Faculté catholique de droit de Lille le 18 novembre 1875 : Inauguration de l’Institut Catholique de Lille, Imp. Ducoulombier, 1875, p. 36.
12 ADN : 1 T 16- 19 juin 1886 : Rapport du préfet du Nord.
13 Idem.
14 En ce sens J.-C. Matthys, « Les débuts de la Faculté catholique de droit à Lille (1874-1894) » dans Revue d’histoire des facultés de droit et de la science juridique, 1987, n° 5, p. 73-99.
15 ADN 1 T 16- 3 : Le maire de Lille au préfet du département du Nord, le 26 juin 1996.
16 Enquêtes et documents relatifs à l’enseignement supérieur, Doctorat en droit. Réforme, LV, Imprimerie nationale, 1894, p. 74.
17 J.-C. Matthys, « Un juriste lillois contre-révolutionnaire : Tancrède Rothe et la politique » dans Revue d’histoire des facultés de droit et de la science juridique, 1988, n° 7, p. 125-161.
18 J.-C. Matthys, « Les débuts de la Faculté catholique de droit à Lille (1874- 1894) » dans Revue d’histoire des facultés de droit et de la science juridique, 1987, n° 5, p. 73-99 ; « L’École des sciences sociales et politiques de la Faculté catholique de droit de Lille (1894-1925) » dans Revue d’histoire des facultés de droit et de la science juridique, n° 10-11, 1990, p. 99-129.
Auteurs
Maître de conférences à l’Institut catholique de Lille (ICL-CHJ-Lille, UMR 8025)
Maître de conférences à l’Université Lille II (Lille 2-CHJ, UMR 8025)
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