Chapitre V. La Prudence du magistrat
p. 267-306
Texte intégral
1À la Renaissance, le lien entre prudence et politique était des plus communs1. Prudentia servabit, avaient écrit les magistrats lyonnais sur l’écu offert par la ville à François Ier en 15182. « Prudence », égrenait Blaise d’Auriol à Toulouse dans les oraisons déclamées au cortège royal en 15333. Pour Guillaume de La Perrière, le thème est primordial4. Placé sous le signe de Janus bifrons, le Theatre des Bons Engins assure que seule la prudence peut sauver l’homme des griffes d’une fortune aveugle5. Quand la Morosophie signale à nouveau l’importance de cette vertu6, le Miroir Politicque fait d’elle une condition indispensable à la conservation de la République7, et présente un condensé des vues de l’auteur sur la question.
2Aux thèses aristotéliciennes stigmatisant la prudence comme vertu spécifique du gouvernant8, La Perrière préfère Xénophon écrivant dans la Cyropédie que
nous ne pouvons avoir aucun usage de vertu sans prudence : car en l’administration tant des choses privées que publicques, nous ne pouvons parvenir au but de bonne fin sans la direction de prudence9.
3Quand Aristote considérait la prudence comme « la droicte raison des choses agibles » et Cicéron la principale partie de providence10, l’auteur en distingue deux sortes :
Prudence est divisée en prudence vraye & fause. Prudence vraye est celle vertu, par laquelle nous prenons conseil, jugeons & commandons toutes choses que appartiennent & conduysent à bonne fin toute la vie humaine, & ceste vertu est convenable aux seulz bons. Faulse prudence est disposition tendant à mauvaise fin : comme qui met son estude à prendre delactation de la chair, à piller, desrober & s’enrichir par fraude & astuce, dol & tromperie11.
4Fausse prudence tend à conduire l’homme vers les « mauvaises sociétés » définies dans l’ouvrage ; acquise au fil des ans par sagesse et expérience12, « vraie prudence » le guide vers les fins correspondant à sa nature, davantage que dans le choix des moyens susceptibles de le conduire13. Considérant l’importance des fins assignées à la République, elle est particulièrement requise dans l’administration des choses publiques. C’est « la plus occulée de toutes les vertus » qui doit guider des magistrats, lesquels
sont au corps politicq, comme les yeux au corps humain : & ainsi que le corps ne se peut conduyre sans yeux (qui sont instrumens organicques de la veüe) aussi un corps politicq ne se peut conduyre sans magistratz, lesquelz (s’ils sont telz qu’ilz doivent estre) font flourir leur cité : & à l’opposite (s’il sont meschans) la ruyne14.
5Présidant au choix du magistrat (section I), Prudence doit donc ensuite guider ses actions (II).
Section I. Le magistrat
6En nul endroit de ses œuvres La Perrière ne donne de définition claire du magistrat. Ses fonctions d’historiographe municipal le portent à une certaine exhubérance : il n’hésite guère à qualifier les capitouls, magistrats de la « République de Toulouse », de « gouverneurs de Républiques », de « décurions », voire même de « sénateurs »15. Cette substantielle imprécision terminologique se retrouve dans le Miroir Politicque. L’œuvre est destinée à tous
Monarques, Roys, Princes, Seigneurs, Magistrats, & autres surintendans & gouverneurs de Republicques16,
7ou, comme l’explicite le corps de l’ouvrage,
Monarche, Empereur, Roy, Prince, Seigneur, Magistrat, Prelat, Juges & semblables17.
8Ces extraits le révèlent : l’auteur ne distingue pas explicitement pouvoir constituant et pouvoir délégué ; ne relevant aucune différence entre pouvoir seigneurial et pouvoir souverain, il identifie le religieux au politique, gomme, aussi, la spécificité du judiciaire. La Perrière n’est pas Bodin18. À ses yeux, la transcendance de certains offices s’efface devant l’identité des techniques de gouvernement (I), et la diversité des charges devant l’unicité des principes devant régir leur attribution (II).
I. La « gouvernementalité »
a. Le gouvernement
9C’est à l’aide d’un vocabulaire particulièrement disparate que Le Miroir Politicque désigne les charges politiques19. Entre la nature de la tâche et le titre porté par l’agent chargé de l’accomplir, les correspondances sont difficiles à établir. Manifestement, les termes de « règne » ou de « présidence » sont réservés au gouvernement d’un seul, lequel peut aussi « administrer »20. Plus généralement, les formules aussi variées que suprême autorité21, principauté22, « prelation »23, « cure et surintendance » de la chose publique24, « occupation »25, domination26, administration27 et, le plus souvent, gouvernement28, sont employées indifféremment. Quand une telle pluralité pourrait suggérer l’hétérogénéité des pratiques gouvernementales, elle révèle le contraire : la similitude des techniques de gouvernement, par-delà la diversité des magistratures ou la dissemblance des contextes. « Pluralité des formes de gouvernement et immanence des pratiques de gouvernement par rapport à l’État », en aurait conclu Michel Foucault29. Pour La Perrière, il est évident qu’entre le gouvernement de la femme sur la maison, celui du père sur la famille et celui du magistrat sur les citoyens, il y a une continuité30. Cette continuité est descendante, car, dans un État bien gouverné, les pères savent bien gouverner leurs maisons, richesses et familles, mais elle est aussi ascendante, car celui qui gouverne l’État doit aussi, en premier lieu, savoir se gouverner lui-même31.
10Sur les compétences d’un magistrat ne sachant gouverner sa maison, l’humaniste se montre sceptique32. Suivant la distinction aristotélicienne de l’« œconomia » et de la politique, l’un de ses manuscrits en déduit une distinction entre l’« homme privé » et le « conducteur de republiques »33. Mais dans ses autres écrits, les parallèles entre le magistrat et le bon père de famille abondent, comme d’ailleurs ils abondaient dans les commentaires médiévaux d’Aristote. La fissure initiée dans la pensée politique médiévale par l’aristotélisme de saint Thomas entre le regimen privé et le regimen politique demeure chez lui ténue. À l’opposé des assertions d’un Machiavel ou d’un Patrizi, affirmant qu’« autres sont les vertus du roi, autres celles des particuliers »34, le Miroir Politicque enseigne que la responsabilité des magistrats est non pas différente, mais supérieure à celle qu’assume un homme privé, et que ses qualités doivent être seulement approfondies et consolidées. Comme Platon, comme Socrate assurant que « le maniement des affaires privées ne diffère que par le nombre de celui des affaires publiques », mais aussi comme Bodin, l’auteur établit l’unicité du principe de gouvernement35.
11Cette conception doit probablement beaucoup à ses vues religieuses. La définition qu’il donne du gouvernement, c’est en effet à saint Augustin qu’il l’emprunte :
Gouvernement est droite disposition des choses, desquelles l’on prent charge pour les conduyre jusques à fin convenable36.
12Dieu demeure le principe et la fin de la vie humaine comme de la communauté politique. Dans un système où chaque chose créée occupe une place déterminée et se trouve régie par des lois, le magistrat doit respecter la constitution, le droit et les lois établis en conformité avec les préceptes divins. Pour servir ces fins « convenables », le gouvernement des hommes se trouve enserré en un système rigide. Cette rigidité certes s’avère contraignante, mais elle est pour lui gage de survie, car :
Gouvernement presuppose ordre, d’autant que sans ordre l’on ne peut deüement gouverner37.
13Le magistrat se place donc en conservateur d’un ordre statique par essence. Avant toute chose, il s’occupe principalement d’éviter tout désordre38. Il n’en assume pas moins un rôle créateur. C’est lui en effet qui est chargé de veiller à la résolution des conflits, qu’ils soient familiaux ou qu’ils résultent d’inégalités criantes dans la répartition des richesses ; considérant la difficulté d’instaurer le règne de la justice, c’est lui qui est chargé de procéder à sa distribution, punissant les délinquants et « guerdonnant » les bons. Le gouvernement implique ainsi la prise en compte d’un vaste complexe, constitué par les hommes et les choses ; la charge principale du magistrat est d’assurer l’ordonnancement des hommes au sein de la société39. C’est là que se trouve la fin essentielle du gouvernement, et c’est à cela que songe La Perrière en écrivant que « gouvernement est droite disposition des choses »40.
14Élément positif de cette justice harmonique, l’attribution des charges politiques et des offices constitue à ses yeux la tâche la plus cruciale d’un magistrat dont on comprend mieux pourquoi il est indifféremment qualifié de juge ou de gouvernant. Garantissant le maintien de l’ordre, elle permet de suivre l’évolution de la République. Elle œuvre à la conservation du corps politique tout en assurant sa régénération. Cet élément-là de l’ordre global, particulièrement mouvant, s’avère des plus difficiles à atteindre. L’analogie entre le corps politique et la nef en péril de naufrage le suggère : gouverner un bateau nécessite la vigilance ininterrompue du capitaine, la prise en compte des données sans cesse évolutives du réel, une attention de tous les instants. Comme l’écrivait Michel Foucault, « c’est prendre en charge les marins, mais c’est prendre en charge en même temps le navire, la cargaison ; gouverner un bateau, c’est aussi tenir compte des vents, des écueils, des tempêtes, des intempéries ; et c’est cette mise en relation des marins qu’il faut sauver avec le navire qu’il faut sauvegarder, avec la cargaison qu’il faut porter au port, et leurs relations avec les événements que sont les vents, les écueils, les tempêtes »41. Pour l’auteur du Miroir Politicque, c’est un ensemble tout aussi complexe qui compose l’art de gouverner,
Comme le bon mesnager & pere de famille doit donner ordre à sa maison, le naucher à son navire, le bon magistrat doit donner ordre à sa cité & Republicque : car toute communité est confusion, si par ordre elle n’est reduite à unité42.
15Le magistrat ne peut mener à terme une telle tâche qu’en veillant à atteindre une certaine perfection, en imitant Dieu qui l’a fait magistrat :
L’exercice des jugemens & l’autorité des magistratz est une puissance de Dieu deleguée aux hommes, qui en ce monde tiennent le lieu d’iceluy, pour rendre & faire à chacun justice. Pour autant les magistrats en jugeant doivent imiter Dieu, en tant que l’imitation de Dieu peut tomber en humaine fragilité43.
16Il n’y peut parvenir qu’au prix de grandes difficultés : l’homme est faible, et l’exercice du pouvoir particulièrement périlleux, qui s’apparente à une forme de servitude.
b. La servitude du magistrat
17Reprenant avec éloquence une métaphore développée par Plutarque, la Chronique 216 des Annales manuscrites de Toulouse compare le gouvernement à un puits dans lequel ceux qui se risquent se mettent en grand danger, soit de n’en jamais sortir, soit de se blesser ou d’attraper quelque maladie :
car ung puys (comme il est notoire) est umbrageulx, obscur et profond. Semblablement les negoces d’une administration politicque sont umbrageulx et tristes, et (fors qu’à ceulx qui les ont essaiez) la pluspart incongneuz. Ung puys est obscur et ce pour raison que le soleil qui nous regarde oblicquement, ne le peult perpendiculairement illuminer jusques au fondz ; aussi les monopolles, collusions et fraudes des meschantz citoiens sont si obscures et palliées et secretes que les magistratz, pourtant qu’ilz soient vigilantz et occulez ont assés affaire à les descouvrir et faire apparentes. Les puys aussi sont profondz et comme dit Vitruve et Baptiste Leon en leurs livres d’architecture et art edificatoire, le puys et la fontaine ne sont differantz fors que l’ung, c’est la fontaine, gecte sa source jusques à la haulteur et superficie de la terre et le puys la gecte bas. Semblablement la congnoissance de civille institution est une chose profunde voire presque ung abisme44.
18Les difficultés inhérentes aux charges politiques préoccupent l’humaniste, qui les évoque dans la plupart de ses œuvres. Dans la Morosophie, c’est au nom d’un souverain imaginaire que l’emblématiste gémit, imaginant les douleurs sans pareilles ressenties par le prince45. Dans ses dernières chroniques, l’historiographe compare l’administration politique à un labyrinthe, plaisant à voir, mais dont l’issue est bien difficile à trouver46. Il ne faut donc guère s’étonner qu’il ait jugé utile de s’interroger sur l’opportunité pour tout un chacun de se mêler de politique :
L’estat et dignité des souverains, princes et administrateurs politicques ha en soy (entre plusieurs aultres) une grand infelicité, c’est (comme dict l’adage) qu’ilz ne dorment jamais que d’une aureilhe, d’aultant que sy l’une repose, l’autre fault que soit tousjours en guect, et ce pour raison qu’en grans royaulmes et grandes republicques surviennent journellement nouveaulx mouvemens, c’est ou guerres stranges ou seditions civilles qui font plus grant mal aux republicques que les assaulx des strangiers. Antigonus, roy grant en pouvoir et plus grand en conseil, soulloit dire que regner ou gouverner republicques estoit une espece de servitude combien que telle servitude soit glorieuse et honnorable47.
19La composition du Miroir Politicque ayant nourri son goût des grands débats politiques, c’est avec un plaisir manifeste qu’il se penche sur le dilemme, irrésolu chez les Anciens comme chez les Modernes, entre vie active et vie contemplative. À l’attention des capitouls, il récapitule dans la Chronique 228 les principaux arguments à l’appui des deux thèses. La question de savoir s’il est expédient à l’homme de « prendre charge d’estat politicque », dit-il, « ha esté munye de si grandz raisons et par tant de bons autheurs deffendue qu’ilz en ont rendu la conclusion d’icelle doubteuse »48. Plutarque et Sénèque, résume-t-il, estimaient tous deux que l’homme public ne pourrait jamais vivre tranquille et qu’en outre, incapable de satisfaire l’ensemble de ses sujets, il se ferait des ennemis. Chrysippe refusa toujours les charges politiques, disant « que si j’administroys mal mon office, je desplairois aux dieux, et si je l’aministrois bien, je desplairois aux hommes […], car la nature de tout populaire est d’estimer bon ce que ne vault rien ». Cicéron abonda parfois dans ce sens49. Et Plutarque l’a assuré : transformant l’homme en juge, le gouvernement fait de lui le « serviteur de tous » ses sujets. L’histoire enfin l’atteste : quelle récompense en effet eurent de leurs bonnes et louables administrations Solon, Lycurgue, Aristide, Temistocles et « leurs semblables de la republicque romaine », Camillus, Rutilius, Metellus, ou même Hannibal ?50 Accumulant ces arguments, La Perrière cependant n’est guère convaincu par eux. Les balayant d’un trait, il l’affirme d’ailleurs avec le Philosophe : « toute chose necessairement est bonne de laquelle la fin est bonne »51. Suivant une nouvelle fois Aristote, c’est avec lui qu’il affirme la grandeur de la fin poursuivie par le gouvernement politique. Pour lui, il s’agit donc de la plus louable des choses, d’une chose nécessaire, instituée de Dieu et créée à son image. C’est en définitive avec Cicéron qu’il conclut :
Quel exercice dudict Cicero peult l’on trouver ne excogiter entre les mortelz plus louable, plus digne, plus excellent que de trouver homme en une republicque qui pourchasse l’utilité publicque plus que la sienne particuliere ? Et qui repute les choses communes comme syennes, et les syennes comme communes, qui vueille et sache deuement gouverner le bien publicque, decorer sa preminence, deffendre et observer les loix, guerdonner les bons, punir les meschantz et se monstrer à tous ses faictz irreprehensibles ?52
20Jugeant les raisons alléguées par les partisans de la vie contemplative tout aussi « caducques que les fueilles des arbres à la fin de l’autompne et commencement de l’hyver », il en assure ses lecteurs :
il est expedient à ung homme sage d’accepter estat politicque quand il luy est offert53.
21La République ne pouvant subsister sans magistrat, il convient que, malgré la difficulté de la tâche, certains s’engagent à en assumer les responsabilités.
22Consigné dans les Annales manuscrites de la ville de Toulouse, ce parti pris pour la vie active, qui reflétait sa vision positive du devoir citoyen, se trouvait des plus opportuns : il y avait alors un réel problème du recrutement dirigeant. Les charges capitulaires étaient coûteuses, et beaucoup rechignaient à s’engager dans l’aventure. Seuls quelques parlementaires ou bourgeois en quête de prestige et de noblesse en acceptaient les risques. Cette harangue pouvait conduire des vocations54. Sans doute, d’un point de vue personnel, l’humaniste avait-il plus de penchants pour la vie contemplative ; tandis que la plupart des lettrés aspiraient à conseiller les princes ou cherchaient à obtenir de leur bienveillance de prestigieux offices publics, c’est le repli qu’il paraît avoir choisi, partageant encore sur ce point l’opinion d’Hythlodée55. Mais il avait trouvé dans sa fonction d’historiographe et de penseur de la vie municipale une manière de concilier son goût pour « l’estude des letres », dont il écrivait dans le Miroir qu’elle était « par raison à tout négoce preferé »56, et l’engagement naturel de l’individu au service de la république ; il participait ainsi à sa manière à la formation des magistrats, dont il estimait qu’ils devaient être scrupuleusement choisis.
II. Le choix du magistrat
23Procédant de la « droite distribution d’honneurs », la nomination du magistrat participe de la réalisation de la justice. Elle permet aux vertueux et « nobles » citoyens de s’élever jusqu’aux positions dignes de leurs qualités57. L’hypothèse exclut aux yeux de La Perrière l’admission d’étrangers au gouvernement politique58. Certains humanistes italiens y étaient favorables, considérant que la magnanimité d’un juge citoyen laissait la plupart des crimes impunis, et qu’en outre, « quand un juge citoyen condamne à mort un citoyen, le despit & l’envie en sont plus grands que si un estrangier condamnoit un citoyen »59. L’auteur du Miroir Politicque ne l’ignore pas. Cependant, s’accordant une nouvelle fois avec Patrizi, c’est à la règle instituée par les Républiques lacédémonienne, athénienne, carthaginoise, romaine et vénitienne qu’il souscrit : ne jamais admettre des étrangers à de telles dignités. Ceux-ci, affirme-t-il, ne sont pas « sûrs »« aux conseils secrets concernants le fait de guerre »60. Parallèlement, bien qu’il reconnaisse la virilité avec laquelle Sémiramis « conduisoit les armées, faisoit frapper les tabourins, déployer les estendars, ordonner les batailles, bastir Babylonne, traverser les mers & regions, & finablement savoit triompher de ses ennemys », il refuse bien sûr aux femmes tout accès aux fonctions publiques61. C’est donc en définitive exclusivement aux citoyens mâles qu’il réserve celles-ci.
24Entre tous hommes, il conviendra naturellement d’exclure les vicieux et méchants. L’adage recensé par Érasme et repris par Bodin l’indique en effet avec éloquence :
Magistratus virum indicat. Denottant que qui veult faire preuve d’un homme s’il est vertueux ou vicieulx, bon ou meschant, sage ou fol, il ne le sauroit mieulx faire qu’en luy baillant charge d’administration politicque. Car s’il est bon, il sera meilleur ; s’il est fol, l’administration le fera du tout enragé62.
25En l’état de magistrats, les défauts des hommes sont immédiatement connus63. Ils peuvent avoir des conséquences dramatiques : le mauvais dirigeant étant à l’origine, « par son indiscrétion », « de la perdition des citoyens », voire de l’entière République. Aussi convient-il aux rois et monarques de suivre l’avertissement du Sage en ses Proverbes, pour
(sur tout) estre soigneux de ne constituer meschans gens, avaricieux, & de mauvaise conscience en dignitez & offices publicqs, s’ilz ne veulent faire des loupz bergiers64.
26Un rapport sain avec les richesses terrestres, une certaine intégrité morale sont donc exigés du magistrat. Devant le spectacle de ses contemporains partis en quête d’offices, l’humaniste se montre perplexe65 : ceux-ci, dit-il, se font courtisans et s’asservissent « pour vain honneur terrien »66 ; ceux-là, devenus praticiens, ont les mains « pleines d’yeux »67. Assurément critique face au système français de nomination aux offices, il constate que, poussés par leur avidité vers les charges publiques, les hommes qui les obtiennent les utilisent pour laisser libre cours à leurs vices, sans parvenir d’ailleurs à les satisfaire68. De spectaculaires condamnations, sanctionnant les malversations commises par certains d’entre eux, réservent heureusement à ces larrons le sort qu’ils méritent : le gibet69. Pour éviter de telles forfaitures, il préfèrerait sans doute que les charges publiques soient distribuées différemment, ou peut-être règlementées comme elles l’étaient par la loi De ambitu70. À défaut, il en appelle à la moralité des magistrats ou des politiques. Jugeant indignes, dans la Chronique 228, ceux qui recherchent les offices par dons ou faveurs71, il menace avec l’Apôtre dans le Miroir Politique :
ne vueillez souhaiter d’avoir maistrise sur les autres, car ceux qui president, prennent sur eux plus grand jugement72.
27Proscrivant toute avarice en l’administration des choses publiques, excluant des magistratures ceux qui en recherchent la gloire, La Perrière préconise le choix de magistrats montrant de l’amour pour le régime en place73. Il redoute que la République ne défaille, comme le lui fait craindre à nouveau l’histoire romaine. Élu dictateur, Sylla a rendu sa magistrature perpétuelle quand elle ne devait durer que six mois, causant la « boucherie et massacre des citoyens » que l’on sait. César, auquel le Sénat avait confié « indiscretement » l’autorité suprême pour entreprendre la guerre des Gaules, fit de la République romaine une monarchie, ou, « pour mieux dire », une tyrannie74. Les citoyens, assure l’humaniste, doivent veiller à ce que le gouvernement de la cité ne soit abandonné à ceux qui n’aiment pas « l’état » de la République, car ils pourraient s’enhardir de le vouloir changer75. Qu’il soit électif, héréditaire ou dévolu au sort, le mode d’accès aux charges politiques doit donc être scrupuleusement suivi, sous peine de faire courir de grands dangers à celle-ci. Toute tentative de passer outre mérite à ses yeux une très sévère punition, le bannissement :
Si cas advient qu’en une Republicque l’on cognoisse quelque citoyen, qui par voyes indeües & desraisonnables, vueille aspirer aux dignitez publicques, on le doit bannir de la cité, comme peste contagieuse, voire comme mortel poyson76.
Conclusion
28Ne s’interrogeant ni sur la spécificité de certaines charges gouvernementales, ni sur la durée de celles-ci, l’auteur du Miroir Politicque n’envisage pas concrètement la question du lien entre les honneurs publics et les profits, laquelle sous-tend cependant nombre des problèmes qu’il souligne concernant les offices. Une nouvelle fois, c’est en moraliste qu’il s’inquiète des vertus nécessaires au magistrat qu’il faudra choisir, suivant le conseil donné par Jetro à Moyse, parmi les gens approuvés et expérimentés77, et c’est en moraliste qu’il se penche sur « l’art de gouverner ».
Section II. L’art de gouverner
29L’auteur de la Chronique 218 s’interroge avec ses lecteurs : comment brosser le portrait du parfait magistrat ? Il répond par le biais de sa culture classique :
Or est-il (bening lecteur) que quant au temps present ung second Appelles vouldroyt paindre aprez le vif l’imaige d’ung bon capitol et administrateur de Republicque, quelz corps luy fauldroyt-il mectre au davant pour faire son pourtraict parfaict et consonant tant à sa dignité que charge ? Je te respondz qu’il seroyt besoing, s’ilz pouvoyent retorner en vie, luy mectre au devant troys personatges asçavoir est Argus le vachier, Ulisses roy d’Ithacque et Nestor roy de Pise, car pour paindre le bon capitol, il prendroyt les yeulx d’Argus, les oreilles d’Ulisses et la contenance et majesté de Nestor, et mectant ces troys ensemble en son ymage, il paindroyct parfaictement l’ymage du vray capitol78.
30Pour être des plus schématiques, cet extrait n’en permet pas moins d’identifier l’ensemble des vertus que l’humaniste, dans ses œuvres, exige du magistrat : les yeux d’Argus, symbolisant la vertu de prudence, garderont la République (I) ; les oreilles d’Ulysse se fermeront aux flatteries et autres murmures pour s’ouvrir aux conseils des sages (II) ; la contenance, la majesté et l’éloquence devront être dignes de Nestor (III)79.
I. Les yeux d’Argus
Quant au premier les yeulx d’Argus luy sont necessaires, car si Argus pour garder Yo convertie en vache avoyt besoing de cent yeulx, par plus forte raison pour garder une telle et si grande republicque que la nostre, le capitol en auroyt besoing de mille80.
31La Perrière jugeait manifestement nécessaire d’insister. Le thème est en effet repris dans l’Épître liminaire composée en 1544 au nom de Pierre Salamon :
En ung homme privé pour bien conduire son œconomie, c’est-à-dire le regime de sa particuliere maison, sont souffisans ses yeulx naturelz ; mais à conduire une republique, il seroit besoing s’il estoit possible, que l’homme fust plus occulé que ne fust oncques Argus, le bergier duquel Ovide poete ingenieulx escript la fable en sa Metamorphose81.
32On le retrouve encore dans le Miroir Politicque. La référence à Argus a disparu, mais l’importance des vertus « occulées » est à nouveau affirmée avec force. Condition indispensable à la conservation de la République, la prudence, « plus occulée » de toutes les vertus, se voit entre toutes reconnaître une place d’honneur : elle seule est représentée par une allégorie, disposée par l’emblématiste « de nostre invention, & declarée par un huytain »82. Gravée par la main experte de Georges Reverdy, celle-ci illustre le propos théorique sans oublier de « repaistre » le cœur et les yeux des lecteurs. Elle participe de l’exposition sentencieuse :
En ce pourtrait (lecteur) si tu prens garde,
Veoir tu pourras que Prudence ha troys yeux :
L’œil de derriere au temps passé regarde,
Auquel il faut viser pour faire mieux :
L’œil haut du front de veoir est curieux
Le temps futur (chose bien advisée)
Mais l’œil plus bas est tousjours studieux
Au temps present de dresser sa visée83.
33En 1505, le sculpteur Michel Colombe avait donné à la Prudence deux visages, l’un jeune, l’autre âgé84 ; en la représentant sous les traits d’une femme jeune, resplendissante, La Perrière choisit d’insister sur l’unité résultant des diverses formes de prudence : la sagesse procédant de la connaissance signifiée par ses trois yeux, l’intelligence reflétée par le miroir tenu en sa main droite, la mesure symbolisée par le compas ouvert en sa main gauche, la détermination enfin ressortant de l’ensemble85. Campant Dame Prudence en un palais dominant la plaine et la cité voisine, il met l’accent sur le caractère pratique d’une vertu destinée à guider les magistrats dans l’exercice de leurs charges, afin de
pourveoir aux choses futures, d’ordonner les presentes, & rememorer les passées86.
34Partant, la prudence ressemble fort à la sapience identifiée par Gilles de Rome87. Elle s’incarne en une sagesse nourrie par la mémoire et l’intelligence des choses passées (a). Elle exige diligence et justice dans le traitement des affaires présentes (b). Sans perdre de vue l’avenir, elle veille aussi à ne pas s’égarer dans des considérations par trop éthérées (c).
a. La sagesse
35« Si prenons-nous du temps passé la pluspart des raisons et argumens desquelz nous nous preparons au futur pour n’estre surprins d’icellui », note le Catalogue et Summaire88. Pour le magistrat plus encore que pour l’homme privé, la mémoire des choses passées, individuelles ou collectives, se révèle donc indispensable. La prudence politique s’incarne, en premier lieu, dans l’apprentissage des lettres et la connaissance de l’histoire89.
36Les lettres « sont en la cité comme les yeulx au corps humain » proclame la Chronique 216. L’auteur n’a pas totalement oublié le rêve platonicien d’une République où règnent des rois philosophes : allant au-delà des idées traditionnellement attachées au thème, il en déduit que les magistrats doivent faire construire écoles et librairies publiques. Les Égyptiens et le roi Ptolémée ont fondé des écoles et une magnifique bibliothèque en Alexandrie ; les Indiens ont eu leurs brahmanes et gymnosophistes ; les Romains ont su mettre à profit l’éloquence de leurs citoyens ; les Gaulois ont eu leurs druides, les Français, grâce à Charlemagne, leurs écoles, les Hébreux leurs kabbalistes et Toulouse une université qui attire des écoliers de toute l’Europe90. Aux capitouls, donc, de perpétuer ces traditions.
37L’intérêt que porte l’humaniste à une réflexion alliant histoire, philosophie et politique le guide dans ses travaux municipaux, de l’écriture des Annales manuscrites au Miroir Politicque. Nicolas Bertrand le lui a appris : « l’aage de l’homme ne peult souffire à nous monstrer ce que la diuturnité du temps a comprins sans Hystoire » ; le politique a besoin de l’histoire :
Or, entre les Myroirs des scavantz, qui sont de papier ou parchemyn, les plus assortables & condecentz aulx princes […] sont les myroirs des livres hystoriaulx. Car par le myroir historial (c’est-à-dire par ung bon fidelle & diligent hystoriographe) le Prince congnoistra les accidentz survenuz aulx Princes pieca decedez, pour avoir eu en leur courtz la frequentation & trouppe de Flateurs [… ]91.
38À défaut de parvenir à influencer les capitouls dans leur administration présente, ses travaux historiographiques demeureraient pour éclairer les magistrats à venir. Leur léguant la mémoire du passé, ils leur apprendraient la continuité de la magistrature municipale tout en leur fournissant quelques conseils pratiques. Les quelques préceptes philosophico-politiques qui s’y trouvaient instillés leur seraient utiles. Le Miroir Politique, condensant tout l’art de doctrine politique, plus encore :
Or est-il, que si l’escriture est utile à toute sorte de gens, elle est (plus qu’à tous autres) necessaire aux princes et administrateurs politicque. Comment pourroit l’on bien gouverner une cité sans magistratz ? Et comment peuvent estre les magistratz telz qu’il est requis sans l’usage des loix ? Et comment pourroit l’on user des loix sans l’usage des letres & consequemment d’escriture ? Comment auroyent Platon, Aristote, Xenophon, Plutarque, & autres seu parler des republicques des Lacedemoniens ou Spartes, Thebains, Atheniens, Boetiens, & autres nations, s’ilz n’eussent leuz les escritz de leurs legislateurs ?92
39Aidant le magistrat à faire face à ses responsabilités, les lois, l’histoire et la philosophie lui permettent d’« ordonner les choses presentes » et affronter celles à venir.
b. La diligence et la justice
40Quelles vertus pratiques pour le magistrat ? Patience et diligence, réclame le moraliste condamnant ceux qui recherchent les magistratures pour leur propre profit93. La diligence permet de surmonter avec efficacité les aléas de la Fortune94. Nécessaire à chacun, elle doit être « extrême » chez le magistrat, car elle seule peut lui permettre de sortir indemne du « puits » ou du « labyrinthe » dans lequel il s’est engagé :
si le bon pere de famille (pour estre dit bon econome, c’est-à-dire mesnagier) doit estre en sa privée maison le premier levé & le dernier couché, que doit faire le gouverneur de la cité, en laquelle ha plusieurs maisons ? & le Roy au Royaume duquel a plusieurs citez ?95
41Au magistrat comme à l’homme privé de ne pas se méprendre : diligence n’est pas précipitation ; elle implique « prudence en moderation »96, intelligence de l’occasion97. Le temps que dure sa charge, le magistrat doit délaisser ses propres affaires pour servir exclusivement la République98. Il en va pour La Perrière de la justice. Proche de Cicéron, pour qui il n’est de justice sans prudence ni de prudence sans justice, l’humaniste entremêle en effet les notions, faisant de la prudence la qualité propre à tout gouvernement, et de la justice le premier devoir du « vrai » magistrat99. Cependant, chez lui, les vertus du magistrat demeurent essentiellement pratiques. Il semble que le gouvernement n’ait que faire de la piété des dirigeants.
c. L’expérience et non la religion
42Comme saint Ambroise, La Perrière fait de la piété le premier devoir de l’homme100. Mais à l’exception d’une remarque de son Catalogue et Sommaire, où il signale que les charges capitulaires sont interdites aux gens « suspectz de la saincte foy catholique »101, il évite toute allusion à la religion du magistrat. Ce silence est d’autant plus surprenant que, tandis qu’il achevait son Miroir politicque, l’édit de Châteaubriant ordonnait à ces derniers de « traiter et mettre en avant les matières et affaires concernant nostre sainte foy et religion ». Dans un xvie siècle troublé par les querelles religieuses, les théoriciens accordaient à la dévotion une très large place dans la République, n’omettant pas de la compter parmi les devoirs du magistrat et du prince102. Lui ne lie pas les deux thèmes, sinon, naturellement, en ce qu’il soumet le magistrat aux devoirs religieux qu’il assigne à tout un chacun103. Au vrai, c’est avant tout l’appréhension des données concrètes du gouvernement qu’exige à ses yeux la prudence du dirigeant. Celle-ci doit être essentiellement fondée sur l’expérience. Appelée « maistresse des choses » par tous philosophes, « tant achademicques, peripateticques, stoicques, cynicques que epicuriens », celle-ci se définit ainsi :
Et est à proprement parler experiance : congnoissance trouvée par usaige continué sans instructeur ; et differe experience d’art d’aultant que art concerne les choses universelles et experience les particulieres104.
43N’ignorant pas que le poète et astrologue Manilius a démontré qu’expérience réitérée peut « trouver » les arts, il considère que l’homme doit demeurer libre d’adapter en permanence son comportement aux circonstances particulières de la vie ou du gouvernement. Comme Aristote, il ne croit pas que la Prudence soit un art, ou une science105.
44En définitive, ces vertus, symbolisées par la figure mythique d’Argus, La Perrière ne croit pas qu’elles puissent être réunies en un seul homme. Philippe de Macédoine, devenu monarque de toute la Grèce, apprit la prudence des conseils d’Epaminondas ; Alexandre Sévère, le plus « collaudé » de prudence de tous les princes romains, grâce au « conseil et institution » du jurisconsulte Ulpien106. Les conseillers sont nécessaires aux princes. Argus aux cent yeux est mort de s’être laissé endormir par Mercure : sans doute, pouvait penser La Perrière, les oreilles d’Ulysse lui avaient-elles fait défaut.
II. Les oreilles d’Ulysse
45Craignant à l’extrême les méfaits de flatterie et des mauvais conseils donnés aux princes, La Perrière ne manque pas d’exhorter les capitouls à fermer leurs oreilles aux critiques et murmures des « mauvais citoyens »107 :
si Ulisses (comme recite Homere en son Odissée) pour fouyr le pernicieulx et mortel chant de seraines estouppit ses oreilles à tout de la cyre, bien doybt tout capitol estoupper ses oreilles pour ne ouyr les murmures, reproches, injures et maledictions que luy disent journellement les maulvais citoyens108.
46Mais il n’en considère pas moins, au contraire, que les magistrats doivent avoir les oreilles bien exercées et grandes ouvertes aux conseils qui les guideront habilement dans le maniement des affaires publiques. Une année à peine après avoir composé les lignes précitées, sollicité pour composer l’épître liminaire destinée à introduire le second registre des délibérations du Conseil de ville, c’est un véritable petit traité de la nécessité (a), des vertus (b) et de la pratique du conseil (c) qu’il compose109.
a. La nécessité du conseil
47Pour l’humaniste, le conseil est en réalité le moyen le plus apte à fournir les trois éléments qu’il juge nécessaires au maniement des affaires humaines : raison, expérience et ancienne autorité. À plus forte raison souligne-t-il donc son importance en politique :
Or est-il que, à grand peine et difficulté peult venir l’homme politicque à l’acquisition desdicts troys regens et conducteurs sans avoir aulcun mediateur par le moyen duquel il y puysse parvenir. Mais qui sera ce mediateur par lequel nous puyssions parvenir à ce riche tresor oultrepassant toute richesse mondaine ? Ce sera, apres Dieu tresgrand et tresbon, par le moyen de conseil, lequel est de telle efficace que sans icelluy, nous ne pouvons parvenir à quelque beau faict, soit en temps de paix ou de guerre110.
48Aristote et Xénophon l’affirment dans leurs œuvres économiques : chacun est aveuglé dans la gestion de ses affaires propres. Platon l’assure : l’amour-propre gêne tout homme. Pline, Aolian, Esope, Perse et Plutarque l’ont aussi démontré :
en regardant les faultes et vices des aultres nous avons la veue plus ague et penetrante que les mylans, et en regardant noz faultes et vices propres, nous l’avons plus bousché et debile que la chouete111.
49Ces considérations trouvent naturellement une application particulière en politique :
par plus forte raison ne se peult seurement administrer la republique sans usaige de conseil, car de tout temps et en toutes monarchies et republiques, l’on a eu à faire de conseil. Et quant ilz n’en ont usé, ilz sont cheuz malheureusement en ruyne112.
50Aux magistrats cependant de prendre garde à la nature des conseils qui leur sont donnés. Car si certains conseils sont salutaires, d’autres s’avèrent néfastes. Les bons conseils, suggère l’auteur se référant aux Psaumes, ont profité même à Dieu, « glorifié au conseil des saints ». Les bienfaits en sont connus : suivant le conseil de Joseph, fils de Jacob, le roi d’Égypte Pharaon engrangea les blés en temps de fertilité pour pourvoir à la stérilité à venir ; ayant écouté le prophète Nathan, Bethsabée plaça Salomon sur le trône de David et obvia aux entreprises d’Adonias de s’emparer du royaume ; Daniel et Jetro recommandèrent à Nabuchodonosor et à Moyse l’institution de magistrats pour juger le peuple et ne se consumer « par fol travail »113. Mais à ces bons conseils s’opposent les « mauvais conseils », ayant eu des conséquences funestes. Ceux-ci résultent soit de la nature intrinsèquement mauvaise de ces conseils, soit du fait que de bons conseils n’ont point été écoutés. Malgré l’évidence de plusieurs miracles, Pharaon s’obstina contre la volonté de Dieu ; Absalon écouta à tort Achitosel et les sectes juives, et le Caïphe prit de mauvaises résolutions114.
51En fonction de la nature et du nombre des conseillers, La Perrière distingue en outre trois espèces de conseils. Une première espèce est placée sous le signe de la pleine responsabilité individuelle : il s’agit du conseil intérieur que chacun demande à sa propre raison pour résoudre les questions douteuses. Les deux autres permettent au contraire à la raison individuelle d’être secondée : ainsi le conseil d’un particulier, « que l’ung donne à l’aultre » lorsque ce dernier n’a su trouver seul les réponses qu’il recherchait, ou le conseil universel ou général, « assemblé pour les negoces et affaires des communitez et republiques »115. Jugée « plus que necessaire en toute administration politicque », cette dernière espèce retient particulièrement son attention : les fruits en provenant seraient consignés à la suite de son épître liminaire dans le grand registre des délibérations des Conseils généraux de la ville. Partant, les exemples bibliques et historiques affluent pour en démontrer les grandes utilités aux capitouls. Vient en premier lieu celui de Salomon, ayant entretenu à sa cour de nombreux savants « experimentez de bon conseil » ; suivent ceux de Nabuchodonosor et Assuerus, ayant convoqué leurs conseils, l’un avant d’entreprendre la guerre contre les juifs, le second avant de punir sa femme Vasthé ; puis ceux des Hébreux, Perses, Chaldéens, Babyloniens, Assiriens, Mèdes et bien d’autres ayant aussi « usé » de conseil. La Perrière n’insiste pas sur l’exemple donné par les Grecs : « Herodote, Tucidide et Plutarche sont tous plains des conseilz des princes et comunitez de Grece ». Il revient en revanche sur celui qui est à ses yeux le plus probant de la grandeur du conseil, et qui se trouve tiré de l’histoire des « derniers monarches du monde » : les Romains. Il suit en cela Salluste, Tite-Live, Tranquille, Tacite, Valère et d’autres historiographes, qui,
d’ung commun accord tiennent que les Romains ne aquirent jadis l’universalle machine du monde que par deliberation et maturité de conseil […]. Et par le moyen de leurdict conseil, ilz penetrarent la machine mondaine devers Oriant oultre le grans fleuve Euffrates ; devers Mydi jusques aux desertz de Libye ; devers Occident penetrarent oultre les promontoires d’Avila et Calpe que nous appellons à present les colonnes d’Hercules ; devers Septentrion jusques à la mer glacialle oultre le fleuve Ister aultrement nommé Danube. Et le tout par moderation et bon conseil116.
52En témoigne ici non l’analyse historique de l’histoire des conquêtes romaines, mais la description des multiples vertus du conseil.
b. Les vertus du conseil
53Tout conseil recèle, pour La Perrière, six utilités. Valable pour toute sorte de conseil, la première tient au détachement et à l’objectivité du conseiller. Les autres sont plus spécifiquement politiques. « Quand les affaires sont disputez et consultez par l’advis de plusieurs, l’on parvient plus facillement à la certitude du negoce pretendu, car est à presumer que plus veoit Argus que Tiresias », enseigne un nouvel adage. Ainsi, si le conseil s’avère profitable à la chose publique, tout le mérite en revient aux administrateurs politiques qui, écoutant le conseil de « plusieurs citoyens esleuz », ont su prendre la résolution la meilleure. S’il a des résultats néfastes, ce sont au contraire les mauvais conseillers qui se voient reprocher leur faute. Profitable en toute hypothèse aux gouvernants, l’usage du conseil leur donne plus de cœur et d’audace tout en leur évitant de craindre les reproches au point de tendre vers l’inaction. Il leur permet encore d’user d’un temps de réflexion nécessaire avant d’agir publiquement. Aussi n’a-ton jamais vu que bon effet n’ait suivi bon conseil, ni que précipitation ou témérité n’aient été accompagnées de repentance, conclut l’auteur, assurant qu’ainsi,
à cause de si grandes utillitez de conseil, les jurisconsultes en plusieurs lieux prennent la diction de conseil par necessité, voulans dire que conseil est plus que necessaire. Et finablement le plus grand reprouche que Moyse feist au peuple Hebraicque fut qu’ilz estoient gens sans conseil et prudence, comme appert en son excellent canticque inseré au Deuteronome117.
54Le conseil fonctionne ainsi comme un écran protégeant la chose publique. Permettant une meilleure identification du bien commun recherché par le gouvernement, il préserve les magistrats du jugement des gouvernés. Quelle que soit son issue et quel que soit le conseil, il sert donc aussi bien les premiers que les seconds118.
c. La prise de conseil
55Du fait, sans doute, du contexte d’écriture particulier de l’épître liminaire du second registre des délibérations du Conseil de ville, le portrait du bon conseiller demeure absent du tableau. La Perrière n’indique pas aux capitouls quels conseillers choisir : les modalités de constitution du Grand conseil étaient d’ores et déjà établies. Pour autant, faisant appel à un principe que l’humanisme avait parfois ébranlé, mais aussi grandement renforcé, il invite les magistrats à faire appel à « l’autorité des anciens ». En premier lieu, il s’agit bien sûr de prendre conseil par l’histoire, car, comme l’a écrit Cicéron,
si nous n’avions instructions de noz ancestres reduictes en hystoires, nous demourerions tousjours en la age d’enfance. Et pour au vray dire, nous serions comme aveugles sans guyde et sans baston119.
56Il s’agit bien sûr aussi de prendre conseil des vivants. Comme le suggèrent ses considérations, mieux vaut préférer le conseil des hommes âgés et expérimentés. En passant outre les conseils proférés par les anciens de sa Cour pour suivre ceux des plus jeunes, Roboam a commis une erreur lourde de conséquences : des douze lignées dont son père lui avait transmis la garde, il en a perdu dix120. Seuls l’expérience et l’âge peuvent garantir la sagesse ; il convient donc de suivre l’avertissement de Thobie, « Cherche curieusement conseil de l’homme saige »121.
57Cet homme sage qui fera le bon conseiller n’est cependant pas aisé à identifier. Érasme l’a démontré avec talent : le sage n’est pas forcément celui qui a réputation de l’être, ni, comme le sous-entend La Perrière, une personne de « haut état ». Jétro, ainsi, a pu donner à Moïse un conseil bon et salutaire,
car aulcuneffoys gens de mynce et petit estat qui n’ont aulcune reputation de saigesse donnent de bons conseilz122.
58L’idée se retrouve dans la Morosophie, laquelle, fortement inspirée par les thématiques érasmiennes, explore les problèmes posés par la question du langage. L’exemple de Diogène y démontre en effet que
bien souvent l’on ha veu sortir d’une bouche estimée fole, mainte parolle sage : car ceste espece de fureur, que les vulgaires & ydiotz appellent folie, symbolize bien souvent à vaticination123.
59Mais La Perrière n’est pas univoque sur la question. Un autre emblème suggère que c’est auprès des gens doctes que le roi doit prendre conseil124, et celui-ci se trouve conforté par divers passages des Annales manuscrites. La Chronique 227 prise la valeur des conseils prodigués par les lettrés, dénigrant ceux qui proviennent des « ydiots et despourveus de bon savoir »125 ; les bons conseils et la protection de Jean Bertrand et d’Anne de Montmorency s’avérant bénéfiques pour la municipalité toulousaine, la Chronique 227 compare ce dernier à Nestor126 ; la Chronique 229 enfin célèbre une magistrature que « bon conseil et prudent advis, prudence et longue experience » a guidé,
comme Theleus par le ploton de fil que la belle Ariane luy bailla sortit ayseement du labirinthe127.
60L’absence de développements conséquents sur ce thème dans le Miroir Politicque, qui ne laisse de surprendre, ne permet guère de connaître avec précision la pensée de l’auteur sur ce point. L’ouvrage ne renferme que de rares allusions à la nécessité du conseil dans la République. On y trouve un nouvel adage, disant que le magistrat ne doit dormir « que de l’une oreille, pour n’estre surprins au desporveu »128, puis cette citation du Sage, disant que
Où il n’y ha gouverneur, le peuple cherra en ruyne, & le salut sera à ceux qui seront prouveuz de conseil129.
61Les rôles joués par les conseillers Ulpien et Epaminondas dans la réussite des prudents Alexandre Sévère et Philippe de Macédoine y sont cependant soulignés130. Mention y est aussi faite du devoir des magistrats d’entretenir des lettrés par libéralité, et de l’utilité du conseil donné par le sage Périandre à Thrasibule131. Aussi semble-t-il qu’en fin de cause, La Perrière ait entendu privilégier, traditionnellement, les conseils des doctes132.
62Tout magistrat, écrit-il en 1542, doit fermer ses oreilles aux critiques des mauvais citoyens ; certains, pense-t-il sans doute en 1553, les ont fermées même aux bons conseillers. Il le regrette. À ses yeux, seul le magistrat sachant écouter les conseils des sages et demeurer imperméable aux rumeurs malveillantes saura bien gouverner. À l’instar d’Ulysse, seul celui-ci saura faire preuve de l’humilité nécessaire pour contenir la majesté et l’éloquence également nécessaires à l’exercice de sa charge.
III. La contenance et la majesté de Nestor
a. La contenance et l’amour
63La contenance de Nestor, La Perrière l’évoque brièvement dans sa Chronique 218, mentionnant
une venerable contenance et majesté de conseil, avec merveilleuse eloquence133.
64Le Miroir Politicque heureusement donne plus de précisions, expliquant que tout magistrat idéal doit se montrer
en maintien constant, en marchant grave, en regard debonnaire, envers les meschans severe, envers les bons benin & gracieux134.
65Ainsi définie, la contenance comprend des qualités que le magistrat partage encore avec le bon père de famille. Le premier doit gouverner la République comme le second dirige la maisonnée, avec fermeté, mais en toute amitié. À l’instar du roi, il doit s’efforcer d’obtenir l’amour des gouvernés. Nulle République en laquelle les gouvernants, « par trop d’insolence ou superbité font injure, oppression ou outrage aux subjetz » ne pourra durer. Les Saintes Écritures et la Cyropédie le confirment à l’auteur, qui voit là la troisième cause de mutation des Républiques135 : nul ne saurait être bien défendu par des citoyens oppressés ou craintifs136. Pour l’avoir bien compris, les capitouls de 1552-1553 se voient félicités,
congnoissant lesdictz seigneurs que nul Roy, nul magistrat, pourtant qu’il soit craingt, ne peult durer s’il n’est aymé de ses subjectz, ilz ont par leur providence tenu les citoyens, habitants de la vile non seulement en crainte de mal faire, mais aussi en amour et desir de bien faire ; qui a esté cause qu’ilz ont esté obeys d’obeissance voluntaire et non contraincte, filiale et non servile137.
66L’humaniste préfère au temps de guerre le temps de paix. Il croit avec Aristote en la nécessité des armes pour la République et sait que les murailles servent tant à l’ornement qu’à la défense de la cité. Considérant comme « resveries » et « foles oppinions » les idées de ceux qui pensent au contraire138, il estime cependant que l’amour des sujets constitue pour les magistrats un rempart bien plus efficace139. Inspiré par les philosophes grecs ayant exprimé un net rejet de la stratégie péricléenne basée sur les fortifications, fidèle à la philosophie érasmienne, il se montre convaincu de l’imperfection, voire de l’inutilité de ces dernières. Rejoignant ici le scepticisme d’un Machiavel ou d’un Bodin140, il affirme que les remparts de Sparte s’identifiaient à la valeur de ses habitants. Les fortifications sont inefficaces, croit-il, si les princes négligent de prendre conseil141 ; elles sont inutiles si les citoyens se fient trop en elles ou manquent à leurs devoirs, assure-t-il142.
67Au magistrat donc, de parvenir par son bon gouvernement à convaincre les citoyens de concourir à la réalisation des objectifs de la République définis par bon conseil. S’ils se montrent réticents, à lui de les convaincre par « bonne amour et douceur de parole »143.
b. L’éloquence : sobre et sincère
68C’est une grande efficacité politique que les humanistes prêtaient à l’éloquence. Sur fonds de querelle franco-italienne, le mythe de l’Hercule gaulois s’épanouissait au sein des lettres françaises de la Renaissance, cristallisé dans le Projet d’éloquence royale composé par Amyot pour Henri III144. La Perrière n’y est pas étranger. Sa Chronique 216 assure ainsi que
non moyns augmenta les limites de la monarchie rommaine la melliflue eloquence de leurs orateurs que les glaives tranchentz de leurs chevaliers, ains trop plus dilata la renommée de leur empire, la plume de Cicéro trempée en encre, que la lance de Julle César trempée en sang humain145.
69Tandis que la Morosophie enseigne que le magistrat doit « conduire » le peuple par raison et l’apaiser par « parolle affable »146, le Miroir Politicque vante l’éloquence de Menenius persuadant le peuple séditieux de réintégrer la République de Rome147. L’auteur s’y interroge cependant sur la faconde d’un Gorgias, exhortant les Grecs à la concorde mais incapable de pacifier sa propre maison. Plutôt qu’à Cicéron vantant les talents du sophiste, il s’accorde avec Mélanthus stigmatisant sa témérité148. Le magistrat, affirme-t-il, doit faire plus de cas de ses actes que de ses paroles. C’est instruire le peuple par l’exemple qui sera bénéfique149.
70L’humaniste se montre en somme assez réservé sur la question de l’éloquence, comme l’étaient les médiévaux150. Très prévenu contre les faussetés de langage et l’hypocrisie de ses contemporains, il attend le jour où celles-ci seront mises à bas, le jour où « vaine jactance et menace frivole n’esbahiront jamais les cœurs hardiz »151. La parole lui évoque le trouble potentiel, le mensonge, le péché152. Incapable d’exalter le pouvoir rédempteur du verbe, il fonde sa vision de l’éloquence sur l’exigence traditionnelle de brevitas. C’est un langage aussi sobre qu’efficace, utile en même temps qu’honnête153, et en toute hypothèse sincère qu’il entend privilégier. Rejetant tout mensonge, c’est la tradition des Pères maintenue par l’humanisme italien qu’il perpétue154. Quoi qu’aient pu en penser Platon ou certains de ses successeurs155, la grandeur de l’État demeure à ses yeux fondée sur la moralité d’un magistrat qui doit être « veritable en parole »156.
71La possibilité de recourir à la ruse n’est donc pas admise. De l’épisode homérique du Cheval de Troie, La Perrière retient non la feinte employée par Ulysse, mais le résultat auquel il est parvenu : la ruine de la ville157. La fourberie d’un Vespasien ayant décerné les plus hautes dignités de Rome à de grands larrons avant de confisquer leurs biens et de les faire pendre l’indigne :
car Vespasian mémes estoit le larron de sa Republicque, & luy procedoit de lasche cœur & servile, de vouloir enrichir son fisc & ses finances par le larrecin de ses officiers158.
72Peu lui importe, contrairement à Machiavel, que les princes rusés aient davantage prospéré que les loyaux. Reconnaissant que le prince doit se montrer lion et renard à la fois, il voit là la nécessité de tempérer la force par l’usage du conseil, et surtout, par l’absence de mépris à l’endroit des sujets159.
73Se refusant à prendre la pente sur laquelle se risqueraient bientôt Bodin et les théoriciens de la raison d’État160, il n’interdit pas pour autant explicitement au magistrat de recourir au silence. Les auteurs des Miroirs médiévaux avaient su furtivement laisser comprendre au prince que feindre et dissimuler secrètement n’était pas mentir161. Critique sur les aptitudes politiques du peuple, lui concède au magistrat un domaine de compétences propres. Cela pouvait impliquer la possibilité de passer certains faits sous silence. En ce sens seulement, il lui reconnaît la possibilité de « dissimuler ». Car à ses yeux, le magistrat doit faire montre de la même vertu que les autres citoyens ; croyant en un système politique prévenant le creusement d’un fossé séparant gouvernants et gouvernés, il croit avant tout en la sincérité et en la simplicité du prince. Et prône une magnificence tempérée de modestie.
c. La modestie du magistrat. La magnificence de la République
74Sans consacrer à la question du train de vie du magistrat un développement spécifique, l’humaniste voit dans l’observation d’une vie modeste un premier indice de la vertu politique162. En témoigne son approbation des princes ayant porté de sobres vêtements, tels certains comtes de Foix ou le grand saint Louis répondant à l’appel lancé par le Concile de Lyon en 1245 et conservant un habit fruste. Le Miroir Politicque célèbre les illustres philosophes et grands princes ayant su s’accommoder de pauvreté. Aux yeux de l’auteur, la pompe vestimentaire excite l’orgueil et la vanité des hommes163 ; en matière de vêtement comme en matière de langage, l’idéal demeure celui d’une efficace sobriété. Pour les magistrats comme pour les femmes, les plus belles parures sont celles de la vertu. À moins que la République ne soit misérable, toute « chicheté » du magistrat est cependant réprouvée. Celle-ci révèle en effet l’avarice du prince. La parcimonie d’un Fabrice se peut comprendre, car en son temps, « tout magnificence était des Romains inconnue » ; celle d’un Julian se nourrissant de fèves et de choux, celle d’un Pertinax conservant les reliefs de laitues et d’artichaut de son déjeuner pour son dîner sont condamnables. Il est excessif, et
grande infamie à tout Prince semblable d’obtenir si large territoire, & avoir le cœur si estroit, & vouloir vivre en paovreté pour mourir en richesse164.
75Mais en réalité, la majesté propre et nécessaire à la magistrature gît ailleurs que dans la magnificence du train de vie et des vêtements du prince. Elle s’incarne, ne cesse de répéter l’historiographe aux magistrats du Capitole de Toulouse, dans les somptueux bâtiments et édifices de la République,
et mesmement en œuvres que concernent la magnificence publicque, comme sont edifications de temples, theatres, thermes, collisées, pyramydes, pontz, conduyctz de fontaines, pavementz de rues et chemyns, tours, murailles, fossez, rampartz et semblables165.
76Invités à regarder du côté de Rome, Florence et Venise, les capitouls, successeurs des Romains, se trouvent incités à suivre les enseignements du De magnificientia de Giovanni Pontano166 pour œuvrer à l’édification de lieux consacrés à la religion et au service divin, comme à celle de bâtiments publics comptant, outre les bâtiments précités, des moulins, obélisques et cirques !167 Il ne leur faut pas pour autant céder à la « resverie » des Égyptiens ayant élevé pour des défunts des pyramides « surpassant en despence tous les ediffices du monde ». Magnificence, distincte de prodigalité, doit être mise au service de l’utilité publique. C’est dans des bâtiments utiles qu’elle s’incarne, tel le portail d’audience de la porte du Capitole dont La Perrière avait inventé les inscriptions168, ou divers exemples tirés de Pontano et Platina pour illustrer la libéralité des familles italiennes du xve siècle. C’est seulement ainsi qu’elle se révèle être une « vertu propre et convenable à princes ou administrateurs de republicques ».
77Naturellement, les Annales de Toulouse reflètent la préoccupation du gouvernement municipal pour l’aménagement de la ville. Il y est question de la création et de la construction du Pont-Neuf sur la rivière de Garonne169, de l’assainissement de la cité, de la lutte contre la peste170 ou contre les incendies171. Le Miroir Politicque prolonge ces réflexions, en révélant les implications politiques de ces considérations urbanistiques. L’auteur y félicite les capitouls d’avoir procédé à une répartition homogène des édifices publics dans la cité concernant la distribution géographique des magistratures qui, avant le transfert des sièges du Sénéchal et du juge d’appeaux en la rue de Mirabel, révélaient un déséquilibre patent entre le quartier parlementaire et ceux du Taur et de Saint-Sernin172. Il voit là, manifestement, un élément révélateur de l’équilibre global de la cité.
78Peu prolixe sur la magnificence, La Perrière se plaît à rapporter dans le Miroir politicque d’éclatants précédents de la libéralité des princes173. Ayant refusé une drachme à un pauvre parce qu’il jugeait la somme excessive et refusé un talent parce qu’il la trouvait trop insignifiante, Antigonus est condamné174. Il en est de même, semble-t-il, d’Alexandre, ayant offert une opulente cité à un pauvre, gratification jugée excessive par Sénèque dans son Livre des Bénéfices175. Mais Titus est loué, car, comme le relatait Érasme,
Tous les soirs en ce mettant au lict il rememoroit apart soy, ce qu’il avoit fait le jour precedant : & une nuyt, estant recors qu’au jour passé, il n’avoit fait aucune liberalité ne don gratuit à aucun, getta du profond de sa poytrine, un grand souspir, disant aux asistans : mes amys, j’ay perdu ce jour, voulant dire, le jour auquel il n’avoit monstré sa liberalité estre perdu. Ô bon Dieu ! Quel souspir de Prince ? Quel Royal vouloir ? Quelle benignité de nature ?176
79L’anecdote suscite l’enthousiasme de La Perrière, qui accumule les autorités pour démontrer l’importance d’une libéralité favorisant doctes et lettrés. Les tyrans Phalaris et Denys, Lysandre, Alexandre le Grand, Ptolémée, Antonin et Marc Aurèle sont cités en exemple pour avoir été libéraux envers toute sorte de gens doctes ; les œuvres de Platina, Giovanni Pontano ou Marsile Ficin convoquées pour établir sur ce point la grandeur de la Renaissance italienne. Les mécènes Nicolas V, Alphonse, Innocent VIII, Aeneas Sylvius ou Cosme de Médicis sont mis en avant, de même que les œuvres composées par leurs protégés, Antonio Beccadelli (Panormitanus), Poggio Bracciolini, Giannantonio Campano, Marsile Ficin et l’Académie florentine, l’Arétin, Ermolao Barbaro, Cristoforo Landino, Francesco Filelfo, Calderini, Angelo Poliziano, « des deux Mirandules », les Stroza et bien d’autres encore, « de merveilleuse doctrine »177. La Perrière regrette que leurs exemples n’inspirent guère les princes contemporains. La plupart, juge-t-il, « sont plus froids que glace envers les letres & zelateurs d’icelles ». Se remémorant que François Ier a « surpassé tous ses predecesseurs Roys de France en ce party », il espère, comme il l’estime « vraysemblable », que le « treschrestien et trespuissant » Henri II en fera autant178. Il demeure muet, ici, sur la générosité des capitouls à son endroit.
Conclusion
80Pour La Perrière, la vie de l’entière République se calque sur celle de ses dirigeants :
Tout Roy, Prince, Monarche, ou gouverneur de Republicque ne peult nyer, qu’il ne soit envers les autres comme le blanc à la Flesche, comme la Guyde aux Aveugles, comme les potences aux Paraliticques179.
81Le magistrat idéal demeure proche de celui que les auteurs des Miroirs imaginaient au Moyen Âge, un formulaire parfait des vertus de l’homme :
tout magistrat doit estre veritable en parolle, en jugement juste, en conseil oculé, en tout office fidele, en maintien constant, en marchant grave, en regard debonnaire, envers les meschans severe, envers les bons benin & gracieux, & bref, doit estre l’exemplaire & miroir de toute vertu180.
82Pour conserver et accroître la République, la vertu de Prudence lui est indispensable181. À aucun moment cependant celle-ci n’implique que l’honnête soit sacrifié à l’utile. Le magistrat ne peut ni recourir à la fraude, ni dévier de la vertu182. Quelles que soient les circonstances. Les règles de la conduite de la chose publique ne varient pas. Aucun temps spécifique, aucune nécessité ne viennent autoriser les gouvernants à faire montre d’actions exceptionnelles. Il n’y a pas place ici pour la raison d’État183.
Conclusion du chapitre V
83Le Prince de Machiavel a-t-il brisé les Miroirs des princes ?184 Les œuvres de Guillaume de La Perrière attestent que vers 1550, les filtres théologiques et le contenu éthique au travers desquels était pensé l’art de gouverner au Moyen Âge demeurent intacts. Reprenant une image déjà développée par Patrizi185, l’humaniste considère avec attention la hardiesse de ce que l’on appelle aujourd’hui la « gouvernementalité ». « N’est corps tant soyt beau qu’il n’aye en soy quelque imperfection », dit-il. Tout ainsi qu’Appelles avait sélectionné diverses parties des corps de plusieurs femmes pour peindre l’image de la déesse Venus, il choisit différentes vertus pour brosser le portrait du parfait magistrat186. L’analyse des vertus complémentaires d’Argus, Nestor et Ulysse le montre : un magistrat ne peut atteindre seul la perfection qu’exige la conduite de la République. Il ne saurait se passer notamment du conseil des sages. Seul un tel gouvernement, intégrant les plus sages et vertueux, parviendra à conduire la chose publique prudemment, obligeant corrélativement les citoyens à « bien & promptement obeyr »187.
Notes de bas de page
1 A.-M. Lecoq, François Ier imaginaire, p. 69 sq.
2 Athéna avait été choisie comme symbole de prudence, D. Crouzet, La genèse de la Réforme française, p. 118.
3 Auriol y clame que la prudence est la première vertu appropriée à l’âge viril (avec hardiesse et prouesse), qu’elle est propre au gouverneur de Languedoc, donnant au pays « paix et felicité en joye et prosperité », qu’elle doit être associée à doctrine dans le gouvernement d’un royaume. Il donne l’exemple d’Alcibiade ayant par son prudent conseil préservé son oncle d’une captivité préparée. B. d’Auriol, Oraisons, SCDT1, manuscrit 1, fol. 169, 170, 171.
4 Sur ce thème, voir les belles pages de J. Krynen, L’empire du roi, p. 217 sq. ; Q. Skinner, L’artiste en philosophie politique. Ambrogio Lorenzetti et le Bon Gouvernement, Paris, 2003, p. 45 sq. ; T. Berns, Violence de la loi, 2000 ; G. Bude, De L’institution du Prince, p. 65 ; A. Alciat, Toutes les emblemes, p. 35-48 et 118-119, notamment « Les sages », représentant Janus.
5 G. de La Perriere, Theatre des Bons Engins, e. 1 ; e. LXXXIII, proche de l’emblème « Ex literarum studii immortalitatem acquiri », « Par les estudes des lettres immortalité est acquise », A. Alciat, ibidem, p. 163.
6 G. de La Perriere, Morosophie, e. 98 : « Pallas usa de telle providence / Vers Ulysses, qu’il evita tous maux : / Pour demontrer que Vertu de Prudence / Nous garantit de tous cruelz assaux ».
7 G. de La Perriere, Miroir politicque, p. 53-56.
8 Aristote, La Politique, III, 4, 1277 a-b, p. 182-187.
9 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 54.
10 Aristote, Éthique à Nicomaque, VI, 5, 1139 a sq., p. 284 sq. ; aussi saint Thomas d’Aquin, IIa, IIae, Q. 47, a. 2 : « Prudentia est recta ratio agibilium », cité par L. Scordia, ‘‘Le roi doit vivre du sien’’, p. 190.
11 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 53-54.
12 G. de La Perriere, ibidem, p. 54, suivant saint Paul, Épître aux Romains, VIII ; voir également le Theatre des Bons Engins, e. XII, LXVIII et LXXII.
13 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 56 : « Tout le discours de l’Odissée d’Homere […] ne tend à autre but que à nous demonstrer que prudence […] doit tousjours conduire l’homme pour parvenir à fin de son emprinse » ; Aristote, VI, 5, 1140 b, p. 285.
14 G. de La Perriere, ibidem, p. 87.
15 Relatant l’élection des capitouls de 1552-1553, il s’exclame : « Furent esleuz lesdicts sieurs en plus grand joie et exultation du peuple que ne furent jadis à Rome Junius Brutus et Tarquinius Colatinus ». G. de La Perriere, « Chronique 229 (1552-1553) », p. 146. L’assimilation des officiers modernes aux anciens romains était ancienne, G. Dupont-Ferrier, « Les institutions françaises du Moyen Âge vues à travers les institutions de l’Antiquité romaine », RH, 171 (1933), p. 281-298 ; P. Michaud-Quantin, « Ordo et ordines », p. 99 ; J.-L. Mestre, Introduction historique au droit administratif, Paris, 1985, p. 110 sq.
16 G. de La Perriere, Miroir Politicque, fol. [α 1].
17 Ibidem, p. 46.
18 Pour Bodin, l’officier ayant « puissance de commander » ne saurait être rapproché du prince, « d’autant que le souverain n’a rien plus grand ni egal à soy, voyant tous les subjects sous sa puissance : le particulier n’a point de subjects sur lesquels il ait puissance publique de commander ». J. Bodin, Les six livres, III, 3, 4, p. 71, 91.
19 Cette variété était alors commune, comme en témoigne la déclaration par laquelle le roi confiait à la régente, le 15 juillet 1515, « le régime, gouvernement et totalle administration des affaires du royaume », citée par F. Olivier-Martin, L’absolutisme français, p. 129.
20 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 16, 34, 37 : en l’espèce de monarchie, le roi « préside », « domine », « règne », « régit ». Sur la manière dont la pensée politique moderne pense la fonction royale, voir notamment R. Descimon, « La royauté française entre féodalité et sacerdoce. Roi seigneur ou roi magistrat ? », Revue de synthèse, 3-4 (1991), p. 455-473.
21 G. de La Perriere, ibidem, p. 65, plusieurs peuvent « tenir la suprême autorité ». L’idée d’une autorité souveraine est sous-entendue p. 23, relativement au roi de France « bridant » les parlements, p. 23-24.
22 Ibidem, p. 21, Dieu a « principauté » sur le monde : il préside seul.
23 Ibidem, p. 16, en royauté, le monarque a « prélation ».
24 Ibidem, fol. [α 3], Jean Bertrand, ayant « l’administration, cure & surintendance sur l’universelle police de France », est « le blanc à la flesche de tous administrateurs politicques ».
25 Ibidem, p. 39, en oligarchie, peu de gens « occupent l’administration politique ».
26 Ibidem, p. 16-17, 18, 66, le monarque, ou plusieurs, « dominent ».
27 Ibidem, princes et administrateurs politiques p. 6 ; capitouls p. 10 ; Trajan p. 12.
28 Ibidem, les capitouls sont « gouverneurs politiques » p. 7, le magistrat gouverne p. 6.
29 M. Foucault, « La gouvernementalité », dans Dits et Ecrits (1954-1988), III, p. 640.
30 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 16, citant Aristote (République, III, 11e).
31 M. Foucault, « La gouvernementalité », dans Dits et Ecrits (1954-1988), III, p. 641.
32 G. de La Perriere, Morosophie, e. 36 : « C’est bien en vain, quand d’accorder poursuys / Mon Luc, voyant que je suys frenetique : / Si sot et fol en ma mayson je suys, / Seray-je sage au fait du bien publicque ? ». L’idée est illustrée par l’image d’une hirondelle nidifiant au giron d’une statue de Médée, par A. Alciat, Toutes les emblemes, p. 79, « L’aultruy ne fault commettre à qui ha mal traicté le sien ».
33 G. de La Perriere, « À tres honnorez », fol. 1 v. ; Aristote, La Politique, VII, 14, 1333 a, p. 526.
34 M. Senellart, Les arts de gouverner, p. 31, 222.
35 F. Wolff, Aristote et la politique, Paris, 1991, p. 37 ; J. Bodin, Les six livres, I, 2, p. 40 : « Tout ainsi donc que la famille bien conduite, est la vraye image de la Republique, et la puissance domestique semble à la puissance souveraine : aussi est le droit gouvernement de la maison, le vray modelle du gouvernement de la Republique ».
36 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 46 ; sur saint Augustin (Cité de Dieu, XIX, 13) et Jacques de Viterbe, voir M.-F. Renoux-Zagame, Origines théologiques, p. 48.
37 G. de La Perriere, ibidem, p. 46.
38 Sur saint Augustin (Epist., 153, 6, 16 ; De gen. ad litt., IX, 5, 9), voir l’Histoire de la pensée politique médiévale, p. 105.
39 Michel Foucault y voit le témoignage du passage du gouvernement des âmes au gouvernement des choses, considérant que La Perrière assigne au gouvernement une pluralité de buts spécifiques, dont la production de plus de richesses et la multiplication de la population. Mais si l’on considère que ces finalités, tendant à assumer le bien-être de l’ensemble des citoyens et la survie de l’État, servent en même temps le concept de justice tel que l’entend l’humaniste, il semble excessif de croire que cette définition constitue une rupture importante de la pensée politique (comme l’indique Foucault, interprétant « qu’il ne s’agit pas d’imposer une loi aux hommes, il s’agit de disposer les choses, c’est-à-dire d’utiliser des tactiques plutôt que des lois, ou, à la limite, d’utiliser au maximum des lois comme des tactiques ; faire en sorte que, par un certain nombre de moyens, telle ou telle fin puisse être atteinte »). M. Foucault, « La gouvernementalité », dans Dits et Ecrits (1954- 1988), III, p. 643 sq.
40 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 46.
41 M. Foucault, « La gouvernementalité », dans Dits et Ecrits (1954-1988), III, p. 644.
42 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 44.
43 Ibidem, p. 171.
44 G. de La Perriere, « Chronique 216 (1539-1540) », p. 37.
45 G. de La Perriere, Morosophie, e. 29.
46 G. de La Perriere, « Chronique 229 (1552-1553) », p. 145.
47 G. de La Perriere, « Chronique 225 (1548-1549) », p. 109-110.
48 G. de La Perriere, « Chronique 228 (1551-1552) », p. 135-137.
49 Ibidem, p. 135.
50 Ibidem, p. 136.
51 Ibidem, p. 136.
52 Ibidem, p. 137.
53 Ibidem, p. 137.
54 Les anciennes familles s’étaient trouvé écartées du gouvernement municipal. Les Mauran ne comptèrent plus de capitoul après 1453, les Vinhes après 1513, les Ysalguier après 1530. P. Wolff, Commerces et marchands de Toulouse (vers 1350, vers 1450), Paris, 1954, p. 619. Nicolas Bertrand le regrettait : « Dans la glorieuse ville de Toulouse, il ne manque ni de très savants docteurs en droit, ni d’avocats très diserts, de licenciés rompus à la pratique, ni de chevaliers, barons, nobles et autres magnanimes personnes curiales, et cependant, contre tout droit et justice, on voit aujourd’hui (ô honte !) l’élection capitulaire choisir parfois des hommes de métier ou de tout jeunes gens. C’est la chair et le sang qui dicte de pareilles résolutions et non pas l’esprit sain et la sagesse […]. Ces jeunes capitouls, nommés sans autre mérite que leurs influences de famille, par leur aveuglement et leurs méfaits, ne produisent que désordre et confusion ». N. Bertrand, Gesta Tholosanorum, fol. xiii v, traduit par E. Roschach, Inventaire des archives, p. xxxvi.
55 Voir supra, p. 100.
56 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 29, et 192-193 : « Finablement, comme dict Cicero en ses offices, & son excellent livre de viellesse, jamais n’ha esté homme de bon engin qui n’aye preferé (tant sur la santé du corps humain que pour la recreation & tranquilité de l’esperit) les champs aux cités & villes & l’agriculture, à la civile societé ».
57 Ibidem, p. 86.
58 Ibidem, p. 194.
59 Ibidem, p. 195-196.
60 Ibidem, p. 195 sq., évoquant une loi athénienne réservant aux seuls citoyens le droit de danser et « faillir » au théâtre public, l’interdisant aux étrangers à la peine de mille drachmes, lue dans la Vie de Phocion de Plutarque ; F. Patrizi, Livre tres fructueux, II, fol. xxxii-v. : « La cité est à distribuer à l’election des magistraulx et comment plus seurement les citoyens dominent et commandent que les estranges et pelerins ».
61 G. de La Perriere, ibidem, p. 52. Le droit romain excluait les femmes des affaires publiques (Digeste, 50.17.2 pr.). Les interdits catholiques dépassaient largement les domaines sacerdotaux et sacramentaux (notamment le Canon 11 du concile de Laodicée, Nomocanon en XIV titres, 1.37). Les théoriciens s’accordaient à lui refuser toute participation au gouvernement. Dans la décennie 1550, Georges Buchanan, Christopher Goodman et John Knox affirmaient qu’un gouvernement féminin était par essence tyrannique. C. Ferradou, Traduction et commentaire, II, p. 476. Cependant, le règne d’Isabelle de Castille donnait lieu à réflexion. Le Jardin de las nobles doncellas, manuel de gouvernement présenté à la souveraine par le moine Martin de Cordobà, mettait ainsi en scène les bonnes qualités de la femme, opposées à la décadence et à l’immoralité d’Henrique. E. A. Lehfeldt, « Ruling Sexuality : the Political Legitimacy of Isabel de Castille », Renaissance Quarterly, 53/1 (spring 2000), p. 31-56. Très originalement, le Promptuaire des medailles de Guillaume Rouillé, présentant des portraits de fameux poètes ou jurisconsultes, fait place à certaines femmes, la reine Libuse, fille de Cracus ayant gouverné seule la Bohème, et la reine des Amazones. J. Dubu, « Le Promptuaire des medailles par Guillaume Rouillé », dans Il Rinascimento a Lione, I, p. 194.
62 G. de La Perriere, « Chronique 228 (1551-1552) », p. 142 ; D. Érasme, Opera Omnia, II, 2, 1998, centurie X, I.x.76, « Magistratus virum indicat », p. 476 ; J. Bodin, Les six livres, III, 4, p. 92.
63 G. de La Perriere, Theatre des bons engins, e. LIII : « Petite tache ou macule en la face, / On void plustost, que grande sur le corps : / Le visaige est ouvert en toute place, / Le corps caché n’est veu que par dehors. / Par ceste embleme estre pouvons recordz, / Qu’un petit vice on note plus au prince, / Que l’on ne fait un grand en homme mince. / En bas estat, vices sont incogneuz. / Roys et seigneurs, en tout regne ou province, / S’ilz sont meschans, sont promptement cogneuz » ; Miroir Politicque, p. 83.
64 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 86, aussi p. 46, 72 et 87.
65 Sur l’avarice, voir supra, p. 198 sq. ; sur la procédure de nomination aux offices, R. Doucet, Les institutions de la France, p. 176 sq., 403-421.
66 G. de LA Perriere, Theatre des Bons Engins, e. LVIII, LXX, peut-être aussi e. LXXVII. Le statut des offices faisait l’objet de récriminations. Les États de Languedoc se plaignaient dans leurs doléances du fonctionnement du Parlement. Les parlementaires toulousains protestèrent eux-mêmes en 1519 et en 1547, lors de la création d’une nouvelle chambre. H. Gilles, Les États de Languedoc au xve siècle, Toulouse, 1965, p. 258 sq. ; Documents sur l’histoire du Languedoc, p. 206 ; puis contre les lettres royales données à Saint-Germain en Laye le 17 avril 1547 sur la nécessité de créer un office de second avocat en la Cour, ADHG, B 40, fol. 391.
67 G. de La Perriere, ibidem, e. LXVI : « Practiciens ont les mains pleines d’yeulx, / Et voyent cler, quand on leur fait largesse. / Aureilles n’ont, car sont si vicieux, / Que de fier ne veulent en promesses. / Qui vouldra doncq’ eviter leur oppresse, / Convient qu’aux dons il ayt touts ses refuges. / Quand on leur donne, ilz font que subterfuges / Du droict le tort, tant de raison fourvoyent. / Au temps present maintz advocatz & juges, / N’escoutent rien, mais prennent ce qu’ilz voyent ». Cette critique s’inscrit dans l’antagonisme entre la pratique et le droit, présente aussi sous les plumes de Charondas Le Caron, Jean Imbert ou Claude de Ferrière, et ravivée, sans doute, par la philosophie aristotélicienne, J. Hilaire, J. Turlan et M. Villey, « Les mots et la vie. La ‘‘Pratique’’ depuis la fin du Moyen Âge », dans Droit privé et institutions régionales, p. 269-387.
68 G. de La Perriere, ibidem, e. V et IX : « Qui prend le bond, & laisse la volée : / Ne fut jamais tenu pour bon joueur. / Qui prend le mont, & laisse la vallée : / Ne fut jamais tenu pour bon coureur. / C’est grand abuz de laisser son bon heur, / Pour un espoir de promesse incertaine : / Car mespriser une chose certaine, / N’est pas le faict d’un saige entendement. / Folle entreprinse, & gloire trop haultaine, / Font tomber l’homme en maint encombrement » et « Ce mesme auteur [Pythagore], dit en un aultre endroit / Que c’est à l’homme une grande folie, / Mettre en son doigt un anneau trop estroict : / Car ce faisant trop sottement folie. / Le plus souvent le fol soy mesme lye, / Et pour trouver heur & beatitude, / Laissant franchise, il entre en servitude. / Ce que ne fait, ne feit oncq homme saige : / Ains, en usant tousjours de fortitude, / Fuyt tant qu’il peult de se mettre en servaige » ; aussi les emblèmes LVIII et LXX, fustigeant plus généralement la servitude des courtisans.
69 Ibidem, e. XL : « Le grand larron tasche d’avoir office, / À celle fin que grands & petits ronge : / Tandis qu’il prend, soubz couleur de justice, / De le punir, le prince pense, & songe. / Puis tout soubdain, vient à serrer l’esponge, / En lui ostant le bien qu’il ha pillé. / Le larron est du pays exillé, / Decapité, ou peult estre, pendu, / Trop peu seroit qu’il fut essorillé : / Car sur la roue, il doibt estre estendu » ; aussi l’emblème XXVII et A. Alciat, Toutes les emblemes, p. 181 : « Ce que ne prend l’Église, le Fisc ravit » (1531, n. 63 ; 1548, p. 191).
70 Lex julia de ambitu, Code, 9.26 ; Digeste, 48.14.
71 G. de La Perriere, « Chronique 228 (1551-1552) », p. 137.
72 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 88.
73 F. Patrizi, Livre tres fructueux, fol. xxi v.
74 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 88, 64 et 81.
75 Ibidem, p. 73, 81, 87-88, évoquant notamment la responsabilité des citoyens dans l’élection des magistrats.
76 Ibidem, p. 81.
77 Ibidem, p. 87.
78 G. de Perriere, « Chronique 218 (1541-1542) », p. 51.
79 L’ensemble étant à ses yeux nécessaire au « capitol qui a tant de gens à conduyre par sa discretion et gouvernement d’ung capitolle faict à l’imitation du capitolle rommain », ibidem, p. 51.
80 Ibidem, p. 51.
81 G. de La Perriere, « À Treshonnorez », fol. 1 v.
82 G. de La Perriere, Miroir Politicque, arbre p. 41 et définition de la prudence p. 55.
83 Ibidem, p. 55.
84 G. Marc’hadour, Thomas More ou la sage folie. Présentation, choix de textes biographie, bibliographie, Paris, 1971, p. 117 sq.
85 Les Italiens la représentaient avec un livre, un compas, parfois un serpent ou une lampe, Q. Skinner, L’artiste en philosophie politique, p. 102-103.
86 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 54 ; « Catalogue et Summaire », fol. xxxii, expliquant que « les eages passés se representent à noz yeulx par recordation, les presens par occulaire experiance, les futurs par presumée providence, laquelle prent fondement des experiances tant passées que presentes ».
87 Gilles de Rome, Le mirouer exemplaire, « Sapience t’apprent que ton couraige doibt estre dispensé par trois temps. C’est assavoir en mettre en bonne ordonnance le temps present, pourveoir le futur et recorder le preterit », fol. LXXXVIII v.
88 G. de La Perriere, « Catalogue et Summaire », fol. xxxii ; sur ce thème J. Krynen, L’empire du roi, p. 204 sq.
89 La Perrière reprend là une idée classique, stigmatisée dans la condamnation médiévale d’un roi sans instruction, « âne couronné », J. Krynen, « Le droit : une exception aux savoirs du prince », p. 51 sq. Le thème était cher à Bertrand et à Budé, G. Bude, De L’institution du Prince, ch. IX, p. 42-43 et ch. X. Ce lien entre prudence et savoir se retrouve dans la compilation de dits moraux des sept sages de Grèce établie par G. Haudent, Le Miroir de Prudence, contenant plusieurs sentences, apophthegmes, & dictz moraulx, des sages Anciens, Paris, Jean Ruelle, 1547.
90 G. de La Perriere, « Chronique 216 », p. 40-41.
91 G. de La Perriere, Annalles de Foix, fol. [C iv v.], citant Hérodote, Thucydide, Plutarque, Xénophon, Pausanias, Josèphe, Hérodien, Diogène Laërce, Salluste, Tite-Live, Lampride, Valère, Justin, Capitolin, d’« autres », Sabellico et Raffaele Maffei ; épître à François Bertrand dans N. Bertrand, Les gestes des Tolosains, fol. [A iij v.].
92 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 7.
93 Ibidem, p. 46.
94 G. de La Perriere, Theatre des Bons Engins, e. C : « En ce pourtraict on peult veoir diligence, / Tenant en main le cornet de copie. / Elle triumphe en grand magnificence : / Car de paresse oncq’ ne fut assoupie. / Dessoubz ses piedz tient famine accroupie, / Et attachée en grand captivité : / Puis les formis par leurs hastiveté, / Diligemment tirent le tout ensemble : / Pour demonstrer qu’avecq oysiveté, / Impossible est que grandz biens l’on assemble ». La pièce aurait inspiré à La Fontaine la fable de la cigale et de la fourmi. Son enthousiasme, contrastant avec le pessimisme de l’e. XXIX dénonçant que fortune mette désormais « biens et honneurs au filet des dormantes », fait écho au thème renaissant s’il en est de la grandeur de la puissance de l’homme.
95 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 47 ; « Chronique 227 (1550-1551) », « Chronique 228 (1551-1552) », p. 126 et 138, remémorant l’adage selon lequel les Phrigiens eussent été sages de s’aviser de bonne heure.
96 G. de La Perriere, Theatre des Bons Engins, e. LV : « À un cheval, soubdain et tout d’un coup, / Qui veult le poil de sa queue arracher / Est temeraire, & n’avance beaucoup. / Car ne parvient à ce qu’il veult tascher. / À l’homme fol l’on fait son frein mascher, / Et ne parvient à son intention. / L’homme prudent en moderation, / Ce qu’il pretend, fait successivement : / À l’homme fol precipitation, / Donne travail, et peu d’avancement ».
97 Ibidem, e. LIX et surtout LXIII : « Quel est le nom de la presente imaige ? / Occasion se nomme pour certain. / Qui fut l’autheur ? Lysipus feit l’ouvraige. / Et que tient-elle ? Un rasoir en sa main. / Pourquoy ? Pourtant que tout tranche soubdain. / Elle ha cheveulx devant, & non derriere. / C’est pour monstrer qu’elle tourne en arriere / Son fault le coup, quand on la doibt tenir. / Aux talons ha des aesles : / Car barriere quelle que soit, ne la peult retenir » ; inspiré d’A. Alciat, « In occasionem », Toutes les emblemes, p. 148 (1531, n. 17 ; 1548, p. 149 ; 1551, p. 132).
98 G. de La Perriere, « Chronique 218 (1541-1542) », p. 52.
99 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 172. La définition de la justice empruntée à saint Ambroise stigmatise l’entrelacs des deux notions, considérant que l’office de « tout bon & vray magistrat » consiste à n’occuper rien d’aultruy, rendre à chascun ce qu’est sien, depriser sa propre utilité et conserver l’utilité publique ; Ciceron, De officiis, I, 19 ; II, 35 ; Saint Ambroise, Les devoirs, éd. M. Testard, Paris, 1984, p. 149.
100 G. de La Perriere, « Catalogue et Summaire », fol. xxiv, arbre de justice : « Vraye justice est de rendre adoration à Dieu, révérence aux superieurs, concorde aux pareilz, discipline aux mineurs, pacience aux ennemis, misericorde aux paouvres, integrité de vie à soymesme ».
101 Ibidem, fol. xxix v.
102 N. Machiavel, Discours, I, ix ; I, xii ; I, xiii dans Œuvres, p. 213 sq., 216, 218 ; F. Patrizi, Livre tres fructueux, IIII, fol. xxxiiii ; Guevara, Histoire de Marc Aurèle, fol. 17 v., transformant l’adage platonicien « car il n’est plus heureuse Republique que celle qui est administrée et regie par le prince de bonne conscience » ; J. Bodin, Les six livres, IV, 7, p. 206 sq. La question de la religion du magistrat occupait les humanistes comme les théoriciens médiévaux. Voir notamment Gilles de Rome, Le mirouer exemplaire, chapitre X : « Comme le roy ou prince doibt estre fondé en la verité de la foy » ; ou T. de Beze, Du droit des magistrats, p. 115 sq. ; C. Collot, L’école doctrinale, p. 313 sq. ; F. Dumont, « La royauté française », p. 67-71 ; Q. Skinner, Les fondements, p. 189, 325 sq. ; J. Krynen, Idéal du Prince, p. 78-84 ; C. Delprat, « Magistrat idéal », p. 709-710 ; L. Petris, La plume et la tribune, p. 89-91, 94 sq. La catholicité du roi serait bientôt intégrée au corpus des normes fondamentales du royaume, J.-M. Carbasse, G. Leyte, L’État royal, p. 88 sq.
103 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 173, et infra p. 335.
104 G. de La Perriere, « À Trez honnorez », fol. 1 v.
105 P. Aubenque, La prudence chez Aristote, notamment p. 34 et 185.
106 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 58.
107 Sur la flatterie, voir supra notamment p. 97 sq. ; l’assimilation des flatteurs aux sirènes se trouve également dans les Annalles de Foix, fol. [B iii v.] : « Ulysses Prince grec pour esviter le mortel chant des Seraines, se feist attacher & estoupper à ses gens les Oreilles à tout de la cire. Que represente Ulysses fors que le pourtraict & la vraye ymage d’ung bon prince ? Que represente le chant des Seraines que la voix des flateurs ? Laquelle pour une goutte d’apparente doulceur à une mer de latente amertume […] ».
108 G. de La Perriere, « Chronique 218 (1541-1542) », p. 51.
109 G. de La Perriere, « À Trez honnorez », fol. 1-3. Les médiévaux martelaient aux rois la nécessité d’être bien conseillés, mais n’accordaient que peu d’intérêt aux mécanismes du conseil. J. Krynen, L’empire du roi, p. 117. Chez les théoriciens de Pont-à-Mousson, au contraire, les exhortations de principe s’accompagnaient de considérations pratiques proches de celles de La Perrière, C. Collot, L’École doctrinale, notamment p. 217-218.
110 G. de La Perriere, ibidem, fol. 1 v.
111 Ibidem, fol. 3.
112 Ibidem, fol. 2 v.
113 Comme l’indiquait déjà Gilles de Rome, Le mirouer exemplaire, fol. xi.
114 G. de La Perriere, « À Trez honnorez », fol. 2.
115 Ibidem, fol. 2-2 v.
116 Ibidem, fol. 2 v ; « Chronique 216 (1539-1540) », p. 37 v.-38.
117 G. de La Perriere, « À Trez honnorez », fol. 3 v.
118 Les pratiques municipales toulousaines avaient évolué en la matière. Au début du xvie siècle, les délibérations municipales étaient consignées ouvertements dans les registres, puis les capitouls avaient décidé de conserver leurs délibérations secrètes. Ils étaient tenus de ne pas traiter des affaires en dehors du Capitole et, afin de protéger les magistrats de la vindicte des Toulousains, ne notaient plus leurs opinions individuelles sur les registres des délibérations. Au Parlement, les délibérations judiciaires étaient également secrètes pour protéger les juges des sollicitations et pressions des plaideurs. Depuis 1505, l’entrée des salles d’audience était interdite à quiconque, même aux gens du roi. « Les magistrats comme les pontifes gardent secrètement le secret des formules », J. Poumarede, « Les arrêtistes toulousains », dans Les parlements de Province, p. 371.
119 G. de La Perriere, « À Trez honnorez », fol. 2, cf. développements précédents.
120 Ibidem, fol. 2 v.
121 Ibidem, fol. 2.
122 Ibidem, fol. 2.
123 G. de La Perriere, Morosophie, fol. [A 5-A 5 v.] ; D. Érasme, Ad., I, 6, i, et surtout l’Éloge de la folie ; F. Rabelais, Tiers livre, xxxvii, « Comment Pantagruel persuade à Panurge prendre conseil de quelque fol » : « J’ay souvent ouy en proverbe vulguaire qu’ung fol enseigne bien un saige », dans Œuvres, p. 779.
124 G. de La Perriere, ibidem, e. 89 : « Comme Phoebus près de soy ha Mercure, / Lequel le suyt, ou qu’il face son cours : / Tous Roys aussi doivent avoit la cure / D’entretenir gens doctes à leurs courz ».
125 G. de La Perriere, « Chronique 227 (1550-1551) », p. 131 : « Ô bon Dieu ! D’où procede le bon conseil et prudent advis, que de ceuls qui sont tresoriers des lectres ? Quel conseil peult donner ung homme ydiot, et despourveu de bon scavoir ? »
126 Ibidem, p. 129-130. Le parallèle entre Montmorency et Nestor figure également chez Joachim Du Bellay. N. Le Roux, La Faveur du roi, p. 41.
127 G. de La Perriere, « Chronique 229 (1552-1553) », p. 145.
128 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 26.
129 Ibidem, p. 46.
130 Ibidem, p. 54-56.
131 Ibidem, p. 62-64, 70, aussi une mention du conseil donné par Jétro à Moise p. 81.
132 Position qui était notamment celle de Gilles de Rome, Le Mirouer exemplaire, chapitre XXVII : « Des conseillers qui doibvent estre saiges et bien lettrez et qu’ilz soient droicturiers en jugemens ».
133 G. de La Perriere, « Chronique 218 (1541-1542) », p. 51.
134 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 88. Toutes qualités abondamment commentées par les médiévaux, voir Gilles de Rome, Le mirouer exemplaire, chapitre XIX sq.
135 Ibidem, p. 65. Cicéron rappelle la fragilité d’un régime basé sur la terreur, Ciceron, De officiis, II, 7, 24-26 ; Bodin en déduit l’importance de la justice, J. Bodin, Les six livres, IV, 6, p. 150, 168 sq.
136 G. de La Perriere, Theatre des Bons Engins, e. XXVI et XXXIX.
137 G. de La Perriere, « Chronique 229 (1552-1553) », p. 147.
138 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 187 ; « Chronique 228 (1551-1552) », p. 140 ; Aristote, La Politique, VII, 11, 1331 a, p. 512-513.
139 D. Érasme, Apoph., I, 30 et 54 (renvoyant à Plutarque, Apophthegma laconica). Considérant les murailles de Paris, Pantagruel s’exclame avec ironie : « Voyez ci ces belles murailles : O ! Que fortes sont et bien en poinct pour garder les oysons en mue ! Par ma barbe, elles sont compétentement méchantes pour une telle ville comme est cette-ci : car une vache avec un pet en abattrait plus de six brasses. – O mon ami, dit Pantagruel, sais-tu bien ce que dit Agesilaé, quand on lui demanda : Pourquoi la grande cité de Lacedemone n’était ceinte de murailles ? Car, montrant les habitants et citoyens de la ville tant bien experts en discipline militaire, et tant forts et bien armés : Voici, dit-il, les murailles de la cité. Signifiant qu’il n’est muraille que de os, et que les villes ne sauraient avoir muraille plus sûre et plus forte que de la vertu des habitants ». F. Rabelais, Pantagruel, xiv, dans Œuvres, p. 397.
140 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 174-175, renvoyant à Plutarque, rapportant une citation de Philippe de Macédoine et une d’Horace affirmant que « l’or abbat le fer & passe par le milieu des satellites bien armés ». Des idées similaires se retrouvent chez Isocrate, Antisthène, Xénophon, Eschyle (Perses), Plutarque (Vie de Périclès, et Vie de lycurgue -41, Apophthegmata laconica -29-30) et Platon (Les lois, VI, 778 e – 779 a 1), considérant que les fortifications donnent aux habitants une « habitude de mollesse » et les incitent à ne pas combattre l’ennemi. G. Romeyer Dherbey, « Aristote et la poliorcétique (Politique, VII, II, 1330 b 32- 1331 a 18) », dans Aristote-politique, p. 119-132. À la Renaissance, Machiavel et Bodin partagent un scepticisme identique, même si Machiavel, ayant démontré l’inutilité des murailles, explicite les règles devant présider à leur édification, et fait leur éloge dans l’Histoire de Florence. N. Machiavel, Le prince, xx ; Les discours, II, xxiv ; L’art de la guerre, VII, I ; Histoire de Florence, II, ii, dans Œuvres, p. 165-166, 348 sq., 594 sq., p. 700 ; J. Bodin, Les six livres, V, 5, p. 127-164.
141 G. de La Perriere, Morosophie, e. 40 : « Si tost l’on prend la cité sans muraille, / Comme le Roy despourveu de conseil : / Tant l’un que l’autre (au cas qu’on les assaille) / Sont desconfitz à bien peu d’appareil ». Pierre Grégoire semble d’accord, affirmant que « les princes ont moins besoin de forces armées et de ressources financières que de prudence et de bon conseil », C. Collot, L’école doctrinale, p. 321.
142 G. de La Perriere, « Chronique 228 (1551-1552) », p. 140, notamment s’ils négligent de faire bon guet en temps de guerre.
143 G. de La Perriere, Theatre des Bons Engins, e. VII : « Le feu de glaive attiser ne convient, / Comme l’on ligt au dict Pitagorique : / Lequel, ainsi que le propos advient, / Sera reduict en sens allegorique. / Ce beau pourtraict clairement nous explique / Que genz irez ne devons irriter : / Ains, que plustost, les devons inviter / À bonne amour, par doulceur de parole : / Car, aultrement, l’on les fait conciter, / Et enflammer plus fort, leur chaulde cole » ; aussi D. Érasme, Adagia, I.i.60, « Irritare crabones » ou I.iv.55, « Ignem dissecare », 1993, p. 450 ; F. Rabelais, Cinquiesme Livre, xxi, dans Œuvres, p. 1401.
144 Les auteurs médiévaux soulignaient l’importance de l’éloquence dans la maîtrise des réunions publiques ou dans « l’opinion » des sujets, J. Krynen, Idéal du Prince, p. 131. À la Renaissance, le thème avait la faveur des humanistes. Budé exhorte le roi à s’entourer d’éloquents conseillers ; Amyot lui démontre la grand nécessité qu’il a d’une éloquence habile mais sobre, opposée au langage fleuri et italianisé ayant cours dans son entourage, G. Bude, De L’institution du Prince, XIII-XV ; J. Amyot, Projet d’éloquence royale, Paris, 1805 ; éd. P.-J. Salazar, Paris, 1992, p. 44-45. Sur l’éloquence parlementaire, C. E. Holmes, L’éloquence judiciaire de 1620 à 1660. Reflet des problèmes sociaux, religieux et problèmes de l’époque, Paris, 1967 ; M. Fumaroli, L’âge de l’éloquence. Rhétorique et res literaria de la Renaissance au seuil de l’époque classique, Genève, 1980 ; Paris, 1994 ; M.-F. Renoux-Zagame, « Du juge-prêtre au roi-idole », p. 167.
145 G. de La Perriere, « Chronique 216 (15391540) », p. 40.
146 G. de La Perriere, Morosophie, e. 20 et 21 : « Au fort cheval de rien ne sert le frain, / Si par la main du maistre n’est conduit : / Semblablement le peuple presse en vain, / Qui par raison à soy ne le reduit » ; « Ainsi qu’un Luc amollist plus le cœur / Par sa douceur, qu’un son éspouventable : / Appaiser faut d’un peuple la fureur, / Non par menace ains par parolle affable » ; également A. Alciat, « Eloquence est plus excellente que force », dans Toutes les emblemes, p. 229-230.
147 Voir supra, p. 252.
148 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 112, et sur ce point Plutarque, Du gouvernement en mariage, précepte LII : « Comment est requis que cestuy la prealablement ait concorde et pacifique maison qui se entrement de accorder et pacifier aultruy » ; ou Gilles De Rome, Le mirouer exemplaire, Seconde partie : « laquelle traicte du fait et de l’usaige de la presidence royalle de la puissance d’icelle », « Comment le roy se doibt gouverner », chapitre I ; « Comment le roi doibt gouverner la maison et sa famille », chapitre II ; « Comment le roy doibt sa femme ordonner », chapitre III ; « Comment le roy doibt ses enfans gouverner et faire endoctriner des leur jeune enfance en la foy catholicque et de Dieu aymer et à toutes choses qui appartiennent à la foy », chapitre IIII.
149 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 88.
150 Gilles de Rome, Le mirouer exemplaire, « Comment le roy ou prince doibt estre honneste en conversation », chapitre XX ; « Comment le roy ou prince doit estre moderé en sermens et faictz », chapitre XXI ; « Comment le roy doibt estre discret en parler », chapitre XXIII.
151 G. de La Perriere, Theatre des Bons Engins, e. VI : « Masques seront, cy apres, de requeste, / Autant, ou plus qu’elles furent jamais. / Quand l’on souloit faire banquet, ou feste, / L’on en usoit par forme d’entremetz. / Car, à present, n’est homme qui n’en use, / Chascun veult faindre & colorer sa ruze, / Trahyson gist soubz beau & doulx languaige. / Merveille n’est si tout le monde abuze : / Car chascun tend à faulcer son visaige » ; aussi e. LX, XXXXVIII, XC et XXI : « Qui porte espée, estant oingte de miel, / Monstre qu’il est du rang des hipocrites / Qui soubz douceur tiennent caché leur fiel / En evidance, un jour, seront reduictes / Leurs faulsetez, & cautelles mauldictes / Car tel verra, qui oncques n’a eu veue […] ». Corrozet utilise la même image pour évoquer les dangers provoqués par les Saintes Écritures en tombant entre les mains de ceux qui ne sont pas préparés à la recevoir, l’épée représentant pour lui la Bible, D. S. Russel, Emblematic Structures in Renaissance French Culture, Toronto-Buffalo-London, 1995, p. 177.
152 Pontano voit dans le langage un mode d’urbanité et de farce qui pousse jusqu’à la flatterie, la chicane et le bavardage. P. Nespoulos, « Giovanni Pontano, théoricien de l’art de plaisanter. Le De sermone », langage figure dans B. Des Periers, Le Cymbalum Mundi, éd. Y. Delègue, Paris, 1995. Sur les réticences de Buchanan et de Montaigne, C. Ferradou, Traduction et commentaire, I, p. 368, II, p. 490 ; T. Berns, Violence de la loi, p. 354.
153 G. de La Perriere, Morosophie, e. 86 et 97 : « En tout temps est le Buys verd en ramage, / Mais son grain est mauvais toute saison : / Il est louable avoir orné langage, / Pourveu qu’en luy n’ait latente poyson » ; « Regarde & voy, que l’arbre de sagesse / (Duquel convient que l’homme soit instruit) / Prent racine au cœur, & tant se dresse, / Que par la bouche il fait sortir le fruit ».
154 Q. Skinner, Les fondements, p. 191 sq.
155 Platon reconnaît aux magistrats la possibilité de recourir à la fausseté en vue de l’intérêt de l’État, Platon, La République, III 389 b, dans Œuvres complètes, t. 1, p. 939.
156 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 88.
157 G. de La Perriere, Morosophie, e. 12 : « Ce grand cheval tant bien fait par dehors / Portoit en soy des Troyens la ruyne. / Caux bien souvent sont pires dans le corps, / Qui par dehors nous font plus sainte myne ».
158 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 86.
159 G. de La Perriere, Theatre des Bons Engins, e. XXII : « Le Lyon est de cœur, & de stature, / Fort, puissant, noble, vaillant, & preux. / Le Regnard est, de sa propre nature, / En tous endroictz, subtil, & cauteleux. / Le prince doibt ressembler à tous deux, / Se triumpher veult par mer, & par terre : / En ce faisant, il peult grand bruyt acquerre, / Et meriter un honneur non pareil : / Monstrer se doibt (comme vray chef de guerre) / Lyon en force, & Regnard en conseil » ; voir également la condamnation de Louis XI ayant méprisé les nobles de son royaume, Miroir Politicque, p. 69. Pour Machiavel il s’agit au contraire d’être « renard pour connaître les pièges et lion pour effrayer les loups », N. Machiavel, Le Prince, xviii ; Les Discours, II, xiii, dans Œuvres, p. 153-155, 320-321. Sur la métaphore, M. Stolleis, « Löwe und Fuchs. Eine Politische Maxime im Frühabsolutismus », dans Staat und Staatsräson in der frühen NeuzeIT, SUhrkamp, 1990, p. 21-36.
160 Pour Bodin, la prudence implique une totale liberté du souverain, J. Bodin, Les six livres, II, 4 ; III, 1, 4, 7 ; IV, 4, et V, 1 ; G. Borrelli, « Obligation juridique et obéissance politique : les temps de la discipline moderne pour Jean Bodin, Giovanni Botero et Thomas Hobbes », dans Politique, droit et théologie, p. 11-25. Grotius, considérant que la tromperie négative n’était pas contraire au droit, ne savait que penser de la tromperie supposant une feinte (action) ou un mensonge (parole). H. Bouchilloux, « Grotius et la question du droit de mentir », dans le même opus, p. 131-154 ; M. Senellart, Les arts de gouverner, p. 122 note 1.
161 J. Krynen, Idéal du Prince, p. 124-126.
162 Au contraire, Joinville regrettait le manque d’ostentation des vêtements de saint Louis ; Philippe de Mézières appelait les princes à se distinguer par un vêtement particulier. J. Krynen, ibidem, p. 131 sq. ; L. Scordia, ‘‘Le roi doit vivre du sien’’, p. 351.
163 Voir supra, p. 176 sq.
164 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 60 et 61.
165 G.de La Perriere, « Chronique 218 (1541-1542) », p. 53.
166 G. Pontano, « De Magnificentia liber unus », dans Opera Ioannis Ioviani Pontani, Lugduni, Bartholomei Throt., 1514 ; G. de La Perriere, « Chronique 216 (1539-1540) », p. 42.
167 G. de La Perriere, « Chronique 225 (1548-1549) », p. 104-105, suivant Aristote (Éthiques, IV), Plutarque (Vie d’Alexandre Le Grand), Sénèque (Livre des bénéfices), Pontano (Livre de libéralité) et Platina ; Miroir Politicque, p. 60-64.
168 G. de La Perriere, « Chronique 228 (1551-1552) », p. 139.
169 G. de La Perriere, « Chronique 218 (1541-1542) », « Chronique 229 (1552-1553) », p. 54, 151.
170 Nettoyage des rues, purge des égoûts, purification des maisons et « rectification de l’air », afin d’éviter toute contagion de peste (aussi appelée « antrax », « carbunculus », « charbonnele » ou « andrac » en langage vulgaire toulousain), risques de « putrefaction » et de maladie, auxquels Toulouse est fort sujette du fait de son vent austral, chaud et humide, comme le montrent l’Histoire naturelle de Pline, le Commentaire sur le songe de Scipion de Macrobe, Ovide, Horace, Boèce Severin et saint Jérôme. G. de La Perriere, « Chronique 225 (1548-1549) », « Chronique 226 (1549-1550) » et « Chronique 227 (1550-1551) », p. 106, 116 et 126.
171 Les feux n’étaient pas rares à Toulouse. En 1540, après l’incendie des Écoles, un feu brûla plusieurs maisons de la rue des Filatiers. Des mesures strictes furent édictées, interdisant de louer des maisons non pourvues de cheminées et « retraictz » ; G. de La Perriere, « Chronique 216 (1539-1540) », « Chronique 228 (1551-1552) », p. 43, 143.
172 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 71. Le coût du terrain était probablement moins élevé dans ces quartiers. Les capitouls ayant obtenu des lettres du roi autorisant la mutation, Jean Coignard fut nommé commissaire à leur exécution. La première réunion y eut lieu le 26 octobre 1551.
173 Ibidem, p. 60 sq.
174 Ibidem, p. 62, renvoyant au De Asse de Budé pour l’analyse des sommes. L’anecdote, relatée par Sénèque, avait été reprise au Moyen Âge par Jacques de Cessoles et Gilles de Rome. J. de Cessoles, Le livre du jeu d’échecs, p. 126 ; Gilles de Rome, Le Mirouer exemplaire, fol. xxix.
175 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 62 : « Si si riche don n’appartient estre receu de toi, il appartient estre donné de moy ».
176 Ibidem, p. 62 ; D. Érasme : « et hoc animo erit, ut eum diem sibi perisse putet, quo non beneficio suo juverit aliquem », cité par L. Petris, La plume et la tribune, p. 86 note 103.
177 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 61 et 66. Le commentaire de Ficin sur le Banquet débute par une mise en scène de Laurent de Médicis, lequel, ayant entendu renouveler le banquet sur l’Amour de Platon, ordonne à son maître d’hôtel de recevoir neuf platoniciens, M. Ficin, Le commentaire de Marsille Ficin, Florentin : sur le banquet d’Amour de Platon, 1546. La Perrière emprunte également à Giovanni Pontano, « De Liberalitate liber unus » dans Opera. Sur le thème chez les penseurs italiens, Q. Skinner, Les fondements, p. 189 sq.
178 G. de La Perriere, ibidem, p. 64.
179 G. de La Perriere, épître à François Bertrand, dans N. Bertrand, Les gestes des Tolosains, fol. [A ij r]. Idée centrale chez Guevara : « toute la Republique se reigle et maintient selon la vie du prince ». A. de Guevara, Histoire de Marc Aurèle, fol. [A iiii v.].
180 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 88. Voir par exemple Gilles de Rome, Le mirouer exemplaire, I, fol. i-xlii.
181 M. Stolleis relève qu’au xvie siècle, les miroirs des princes reflétaient l’idéal chrétien du Moyen Âge tout en dispensant progressivement au prince un enseignement pratique sur l’art de bien gouverner, M. Stolleis, « L’idée de la raison d’État de Friedrich Meinecke et la recherche actuelle », dans Raison et déraison d’État, p. 29.
182 G. Ernst, « La mauvaise raison d’État : Campanella contre Machival et le politique », dans Raison et déraison d’État, p. 157 sq.
183 L’expression était apparue sous la plume de Guichardin vers 1523 et on la retrouvait sous celle de Giovanni Della Casa en 1547, voir Raison et déraison d’État.
184 Telle est l’opinion de Michel Senellart et d’Yves-Charles Zarka ; M. Senellart, Machiavélisme et raison d’État, XIIe-XVIIIe siècle, Paris, 1989 ; Id., Les arts de gouverner ; Y.- C. Zarka, « Raison d’État et figure du prince chez Botero », dans Raison et déraison d’État, p. 115 sq.
185 F. Patrizi, Livre tres fructueux, fol. ii-ii v.
186 G. de La Perriere, « Chronique 218 (1541-1542) », p. 51. L’ensemble est nécessaire au « capitol qui a tant de gens à conduyre par sa discretion et gouvernement d’ung capitolle faict à l’imitation du Capitolle rommain ».
187 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 54.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Les Facultés de droit de province au xixe siècle. Tome 1
Bilan et perspectives de la recherche
Philippe Nélidoff (dir.)
2009
Les Facultés de droit de province au xixe siècle. Tome 2
Bilan et perspectives de la recherche
Philippe Nélidoff (dir.)
2011
Les désunions de la magistrature
(xixe-xxe siècles)
Jacques Krynen et Jean-Christophe Gaven (dir.)
2012
La justice dans les cités épiscopales
Du Moyen Âge à la fin de l’Ancien Régime
Béatrice Fourniel (dir.)
2014
Des patrimoines et des normes
(Formation, pratique et perspectives)
Florent Garnier et Philippe Delvit (dir.)
2015
La mystique déracinée. Drame (moderne) de la théologie et de la philosophie chrétiennes (xiiie-xxe siècle)
Jean Krynen
2016
Les décisionnaires et la coutume
Contribution à la fabrique de la norme
Géraldine Cazals et Florent Garnier (dir.)
2017
Ceux de la Faculté
Des juristes toulousains dans la Grande Guerre
Olivier Devaux et Florent Garnier (dir.)
2017