Chapitre III. Famille et Propriété
p. 151-213
Texte intégral
1La nature inclinant l’individu à fonder famille et à se procurer les biens nécessaires à sa subsistance, les questions de la famille et de la propriété se trouvent au cœur de l’ordre nécessaire à l’État. Le règlement qui doit leur être donné constitue l’un des critères fondamentaux de la qualité de la République. Cela paraît s’imposer d’évidence à l’auteur du Miroir Politicque, qui en énonce les grands principes avec autant de clarté que de vigueur en une ferme « confutation » de l’ordre juridique instauré par Platon dans sa République1. Cette œuvre, qui venait d’être redécouverte, se trouvait mal comprise. Les humanistes n’avaient pas pris conscience que le philosophe avait entendu proposer là un modèle théorique, plus tard abandonné dans le livre des Lois2. À l’encontre de la communauté de femmes et de biens qui y était admise, la réprobation était unanime3. De Robert Breton à Jean Bodin, de Marguerite de Navarre à Pierre de Ronsard, chacun condamnait cette République inutile qui « s’escript et ne s’experimente poinct »4. Faisant en outre écho aux Italiens désireux de rejeter toute utopie pour se fonder sur la « verità effetuale delle cose »5, La Perrière dénonce son inapplicabilité,
car telle republicque (comme souz le nom de Socrates, Platon en son imagination forgea) ne fut jamais mise en effet, ains est plus imaginaire que Realle6.
2Estimant d’autant plus incroyable la fortune de ses théories communautaires qu’il constate qu’Aristote, au second de sa République, les a « non moins doctement que eloquement » réfutées7, il demeure stupéfait par l’erreur du « patriarche » Nicolas d’Antioche ayant « communiqué » sa femme à qui la voulait, « combien qu’elle fut jeune et belle ». S’étonnant de la perpétuation de cette erreur par la secte des nicolaïtes, il ne peut pas davantage entendre
par qu’elle instigation diabolicque (encore de nostre temps) aucuns ont faict leurs effortz de rescusciter l’erreur de Platon sur la communication des biens temporelz, femmes & enfans8.
3Les anabaptistes venaient de payer de leur sang leur rêve utopique9, leur exemple ne pouvait que l’inciter à croire que le communisme des biens et des femmes, excitant les « affections » des hommes, semait la discorde dans la République10. Considérant qu’il contredit en outre les préceptes laissés par Dieu aux hommes, La Perrière ne lui trouve aucune légitimité ; les « ordonnances de Dieu », dit-il en effet, ne se peuvent « muer par aucun humain conseil », et
Ceux qui cuydent que l’entretenement des polices soit ouvrage humain tant seulement, faillent grandement : car il faut necessairement croire, qu’il procede de divin conseil & providence, sans laquelle tant la machine ronde, que les cités ne pourroyent durer11.
4C’est donc en faveur d’un droit conforme à ses convictions théologiques qu’il se prononce. Un droit ordonné de temps immémoriaux, fondé sur le mariage (section I) comme sur la légitime division des biens (section II).
Section I. Le droit de la famille
5Faisant du mariage « le point de départ » de toute communauté, Platon n’avait pas manqué d’intégrer à sa réflexion sur le politique le traitement de lois matrimoniales dans lesquelles il voyait l’une des principales garanties du bon fonctionnement de la République12. Il avait sur ce point suscité l’unanimité. Qui ne voyait en effet dans le groupe familial la première des sociétés, la cellule faisant de l’organisme étatique une entité vivante pourvue d’avenir ? À la Renaissance, les humanistes abondaient en ce sens. Les Italiens s’étaient penché, avec ferveur, sur l’étude et l’analyse de la famille et du couple13 ; toute l’Europe suivit. Érasme consacra un traité entier à la promotion du mariage et, à la lueur des classiques, notamment des rééditions de Plutarque, les ouvrages spécifiquement dédiés à la question fleurirent14. Cet engouement n’allait pas sans refléter les profondes mutations que connaissait à la Renaissance l’institution familiale. Si, à l’ombre de la Querelle des femmes, le mariage apparaissait comme une institution fortement battue en brèche, l’importance des politiques familiales s’affichait au plus haut degré de l’État comme dans les classes sociales les plus modestes. Tout l’ordre matrimonial se trouvait pris dans les enjeux du pouvoir. Conçues comme des affaires publiques, les alliances intéressaient la gestion de l’État comme celle des plus modestes patrimoines privés. Tandis que le droit du mariage faisait l’objet de longues discussions au Concile de Trente, dans la société civile, une tension sourde allait bientôt aboutir à l’Édit de 1557 : la famille patriarcale s’organisait plus efficacement pour accroître son patrimoine, assurer son ascension sociale et perpétuer sa lignée15.
6Les œuvres de La Perrière font écho à ces débats16. Le Miroir politicque fait de la famille la première société historique jamais créée et le premier fondement de l’État. Au terme de famille est ici cependant préféré celui de maison, qualifiée de « souverain refuge » par le « jurisconsulte », et désignant non seulement le bâtiment abritant celle-ci, mais aussi bien sûr la
societé & communion de vie, du mary & de la femme : du maistre & du serviteur pour quotidienne utilité [… ]17.
7Une association réunie en vue de la recherche d’une utilité commune, c’est-à-dire d’un bien commun puisque pour La Perrière, l’utile ne saurait être détaché de l’honnête, sans qu’aucun de ses membres ne se voit explicitement attribuer d’autorité particulière sur les autres : cette maison est très éloignée du « mesnage » de Bodin18. Toutes deux cependant, conçues dans un schéma tout aristotélicien, se révèlent proches dans leur structure. La maison « simple » décrite par La Perrière, composée du couple, des serviteurs et du possessoire, se trouve « absolue et complete » par la venue d’enfants19. Elle peut être divisée en maison conjugale (mari et femme), paternelle (père, mère, enfants), seigneuriale (maître et maîtresse, serviteurs et servantes) et possessoire (biens meubles, biens immeubles, « biens par soy se mouvans »)20. Ces distinctions théoriques cependant intéressent peu notre auteur. Ayant évoqué leur existence, c’est exclusivement à l’analyse de la relation unissant homme et femme qu’il s’attache. Il s’accorde en cela à l’esprit du droit méridional, faisant prédominer le ménage sur le lignage21. Dans la maison, seul le couple l’intéresse. Le Miroir Politique contient en conséquence un véritable petit traité du mariage22. Et celui-ci, tout à la gloire de ce que l’auteur regarde encore comme un sacrement (I), donne à l’attention des mariés des conseils fort pratiques, destinés à faire régner dans la maison une belle harmonie (II).
I. Le sacrement de mariage
8Le mariage est, pour La Perrière, une institution divine, dont la nature sacramentelle n’est pas remise en cause (a). Pour autant, le prêtre ne l’ignore pas, qui avait eu manifestement lui-même quelque expérience des relations amoureuses23, cette institution n’est pas sans recouvrir, parfois, une fâcheuse réalité (b).
a. Une institution divine
9Union d’un seul homme et d’une seule femme que celle du mariage. L’auteur du Miroir politicque réprouve toutes relations qui pourraient s’éloigner de ce modèle idéal. Les Indiens avaient autrefois coutume de prendre plusieurs épouses, les unes destinées à satisfaire leur volupté, les autres assurant la propagation de leur lignée ; certains rois d’orient, n’ayant jamais été mariés, avaient le privilège de choisir les femmes de leurs vassaux pour en jouir à leur guise avant de les renvoyer à leurs maris. Ces anciennes et lointaines traditions sont toutes condamnées, telles
diverses meurs de plusieurs nations, desquelles chacune pense estre sage en son endroit, combien qu’il soit le contraire24.
10À la perspective d’un communisme des femmes et des enfants dont certains exemples ne sont éloignés ni dans le temps, ni dans l’espace, sa réprobation croît. Mû par le désir d’apporter une vigoureuse réfutation à cette institution prônée par Platon, La Perrière prétend qu’« en aucun auteur digne de foy, Hebreu, Grec, Latin ou Barbare », il n’a trouvé qu’un tel communisme ait jamais existé. Ne relevant pas que Platon a limité le communisme à la caste des gardiens, il oublie alors de rapporter comme il le signale plus loin que les familles des anciens Arabes et Troglodytes, voire certains anciens habitants de la Grande-Bretagne, ont eu autrefois des femmes communes25. Aristote l’a démontré, affirme-t-il, la multiplicité des liens charnels entre hommes et femmes aurait pour conséquence le manque d’amour filial ou paternel26, l’abandon des enfants dont aucun ne voudrait prendre soin, ni alimenter, vêtir ou éduquer en quelque discipline que ce soit, art libéral ou mécanique,
car chacun penseroit que telz enfans fussent engendrez d’autre que de soy, & l’amour paternel ne se peut asseurer en l’enfant incertain27.
11Avec l’incertitude des liens de parenté et l’impossibilité d’établir des filiations légitimes, les violences se multiplieraient, chacun désirerait obtenir les plus belles des femmes, et
veu que nature produit tant hommes que femmes, les uns plus beaux que les autres (comme recite Homere d’Achillés et Thersités) chacun tascheroit (pour satisfaire à sa volupté) de saysir des plus belles, par l’instinct de nature, qui à ce nous incline, dont ensuyvroyent seditions, batteries & meurtres, & se perturberoit la tranquillité publicque28.
12Au vrai, ces arguments sont de peu d’efficace. La République de Platon donne l’exemple le plus détaillé d’une communauté prenant en charge l’éducation de tous les enfants procréés en leur fournissant, en dépit de l’absence de liens de filiation précis, les éléments nécessaires à leur subsistance et à leur bonne éducation. La Perrière d’ailleurs, père d’une enfant naturelle sinon adultérine, paraît avoir éprouvé un profond amour filial à son égard29. Il ne pouvait en outre l’ignorer : l’institution du mariage n’a jamais empêché les hommes de préférer celles qu’ils considèrent comme les plus belles ni, parfois, de s’entre-tuer pour les avoir. Cependant, la proposition platonicienne d’un communisme des femmes et des enfants lui paraît tellement aberrante qu’il paraît juger suffisant son argumentaire, qu’il dit fondé en « raison naturelle ». À l’attention des lecteurs potentiellement sceptiques, il cite la Genèse (II, 24), assurant que « l’homme laissera son pere & sa mere et adherera à sa femme » pour former une seule chair30, et surtout, les préceptes du Décalogue et de l’Évangile prohibant l’adultère :
or en femmes communes ne se commet pas proprement adultere, car adultere est cognoistre charnellement la femme d’autruy : quand les femmes sont communes, elles ne sont plus à l’un qu’à l’autre31.
13La foi secondant ici encore la raison, sa démonstration se trouve parachevée : seule l’union d’un homme et d’une femme « droitement unis par mariage » selon l’ordonnance divine constitue un fondement viable et honnête pour la société. Toute tentative contraire doit être sévèrement sanctionnée32.
14Pour autant, l’ami de Gratien Du Pont le savait on ne peut mieux : en ce premier seizième siècle, la question de l’opportunité du mariage, longuement discutée, se trouvait encore non résolue33. Évitant de citer des noms contemporains, par trop connus, l’auteur du Miroir Politicque cite un ouvrage disparu de Théophraste, identifié comme un petit-fils d’Aristote et qualifié de souverain philosophe ayant jadis « profondement » disputé de la question dans son Livre des noces34. Puis, en trois pages qui condensent nombre d’idées reçues sur la perversité des femmes et les malheurs des hommes qui se frottent à elles, La Perrière évoque les innombrables imperfections de la nature féminine. Dévidant des lieux communs que n’aurait pas reniés Drusac, il allègue d’anciens adages, diverses citations tirées d’Homère, Hipponax, Socrate, Ménandre, Diphile, Philémon, Plutarque, Alezandreides, Choreomon, Hérode ou de l’Apôtre, enfin, différentes anecdotes puisées chez les « mesdisans des femmes » : la destruction de Troyes, la mort d’Hercule, la trahison de Dalila, l’abêtissement de Salomon, la ruine de Marc Antoine comme la déception de « nostre grand pere Adam ». La philosophie la plus ancienne vient dénoncer l’insolence et les multiples défauts des femmes : arrogance, insatiabilité, bavardise, témérité, malignité ou perfidie. Elle montre que riches, elles placent l’homme en servitude, quand belles, elles le font cocu. Le triste sort réservé à l’homme tient en ces deux allégations attribuées à Diphile et à Hipponax : selon le premier, n’est chose plus difficile à trouver en ce monde qu’une bonne femme, l’ancien proverbe disant « qu’une bonne femme, une bonne mule, & une bonne chievre, sont troys meschantes bestes » ; pour le second, l’homme ne peut avoir que deux bons jours de sa femme : celui du mariage, eu égard à « la bonne chère et la fraicheur » de l’épouse, et celui de sa mort, « pour raison, que morte la beste, mort est le venin »35.
15À lire cela, l’homme sage pourrait donc conclure : Non est nubendum. Et cependant, assure finalement La Perrière, de toutes ces « belles raisons » alléguées par des « médisants », la plupart sont frivoles. Constatant au passage que les hommes déçus des femmes doivent s’en prendre plus à eux-mêmes qu’à elles, car, considéré la perfection de leur sexe, ils auraient dû se montrer plus sages, il relate aux lecteurs qui s’en étaient réjouis la fable de la nonnain :
16laquelle (trouvant escrit au fond de la page d’un livre : Bonum est omnia scire) delibera & fut resolue de se hazarder à savoir quelle chose est la copule charnelle d’homme et de femme, mais quand elle eut tourné le fueillet dudit livre, au commencement duquel elle trouva escrit, Sed non uti, elle changea bien enuys de propos, & sa joye ne luy dura guere36.
17Suit dès lors un emphatique éloge du mariage. Celui-ci se fonde sur l’origine divine de l’institution. L’argument est irréfragable, car « Ce n’a pas esté Moyse, Abraham, Isaac, Licurgus, Solon, ne Platon ne Aristote : mais c’est Dieu duquel mariage ha esté estably, honnoré, loué & (que plus est) consacré […] ». C’est Dieu qui, immédiatement après avoir créé le premier homme, a voulu lui donner femme :
18Quant & quant que Dieu eut creé l’homme du limon de la terre, il cogneut que la vie d’icelluy fust esté miserable, ennuyeuse & mal plaisante, s’il ne luy eust baillé la femme pour fidelle compaigne, laquelle (comme dessus est dit) ne fut créée de semblable limon : mais des os de l’homme, pour demonstrer que icelluy n’auroit chose que luy fust plus adherente, plus conjointe, ne plus conglutinée, que la femme37.
19Le second chapitre de la Genèse révèle les causes d’une telle création : il s’agissait de donner à l’homme une aide semblable à lui, une « fidelle compaigne, & solageresse de sa vie ». Compagne, celle-ci n’est ni sa maîtresse, ni son esclave. Formée de sa propre côte, de sa propre chair, elle se trouve rivée à lui d’un amour identique à celui unissant Christ à l’Église38. Ayant commandé à l’homme de laisser ses parents pour « adherer » à sa femme, Dieu voulut qu’il croisse et se multiplie, non qu’il vive en continence39. Balayant toute argutie qu’un « cavillateur sophiste » pourrait entendre opposer à sa démonstration en relevant que le Créateur n’a point voulu se marier, La Perrière soutient péremptoirement que « Il estoit Dieu & homme, à humanité mariage est convenable, mais à déité il repugne »40. Suivant presque mot pour mot l’Encomium matrimonii d’Érasme mais évitant la délicate question du célibat des prêtres qui, pourtant, devait l’intéresser, il s’emporte :
20Est-il possible, que ce que Dieu tresbon & tresgrand ha institué, & par sa divine & ineffable providence estably, puisse estre autre que tresbon, tresgrand & tresexcellent ? Est-il possible que de la source & fontaine de toute bonté, puisse sortir chose qui ne soit bonne, voire en supreme degré de bonté ? Est-il possible que ce que les loix, divine & humaine ont estably, puisse estre autre que juste & digne d’observation ?41
21Le refus luthérien de qualifier le mariage de sacrement ne trouve aucun écho ici42. Créé de Dieu en l’état d’innocence, « pour la production universelle du genre humain, la légitime propagation de nature », le mariage incarne le « mystere » le plus grand et le plus excellent de la religion, le plus saint et le plus nécessaire43. L’auteur en appelle à l’ordre universel des choses :
22Est-il chose plus naturelle que la combination de masle & de femelle ? Si nous voulons eslever noz espritz à contempler ce grand chief d’œuvre de Dieu, que nous appellons Monde, nous trouverons combination de masle & de femelle, tant au monde celeste qu’en ce bas sensible [… ]44.
23Il en appelle à l’ordre naturel. L’observation des astres révèle en effet l’union du soleil et de la lune, celle du soleil et de la terre, donnant naissance aux végétaux45. Les œuvres des médecins et philosophes Théophraste, Dioscoride, Galien, Sérapion, Avicenne, Rāzī et Averroès montrent éloquemment la « naturelle amytié » éprouvée par certains végétaux dont « les branches du masle se hors gettent de leur naturel, pour se incliner vers sa femelle, comme s’ilz la vouloyent embrasser ». Et cette combinaison est plus apparente encore en la Palme, comme Aluredus, auteur « rare », l’a décrit46. C’est un platonisme proche de celui révélé par les Considérations des Quatre Mondes qui perce ici, faisant de chaque chose le témoignage de cette grande chaîne d’amour fondant l’univers en unissant jusqu’aux choses minérales, suivant les démonstrations des « affronteurs alquimystes »47. De savantes références aux Saintes Écritures et à l’histoire affluent. La main de Dieu a uni Adam et Eve. Les hommes ont continué de nouer des liens qui ne pouvaient trouver hors mariage aucune légitimité. Abraham, Ysaac, Jacob et ses sept fils, Moyse, Josué, les patriarches et les prophètes, Aaron, Eléanor, Hélie, Samuel, les prêtres de la loi Judaïque, les rois hébreux, les monarques babyloniens, assyriens, perses, mèdes, grecs et romains, Socrate, Platon, Aristote, Sénèque, Plutarque et tous philosophes à l’exception de quelques cyniques ont été mariés. Tous ont tenu mariage en grande vénération48. Comment, dès lors, s’opposer à cette institution préservée et approuvée par la plupart des peuples, même « ethniques »?49 Certaines nations ont adoré plusieurs dieux de l’enfantement et du mariage50. Toutes, pour barbares qu’elles soient, ont entouré sa célébration de festivités et de joie. Partout, les mariages réunissent famille et amis autour de banquets et de festins agrémentés de danses, chansons, bals et musiques. Partout, ils sont rehaussés de richesses (bagues, joyaux, anneaux et riches accoutrements) et de festivités théâtrales (masques, tragédies et comédies). Une preuve éclatante de cette honnêteté est constituée aux yeux de La Perrière par la pompe dont les anciens Romains entouraient leurs célébrations. Manifeste est le plaisir qu’il prend à relater ces traditions lues chez les historiographes latins, connues par certains Epithalames et aussi, peut-être, par le Digeste51. Quelques détails sont relevés avec soin : les fleurs et senteurs émanant de la jeune fiancée, sa chevelure épandue en liberté sur ses épaules ou le rameau de verveine destiné à lui apporter prospérité et bonheur. Fasciné par le symbolisme qui leur était inhérent, il s’attache à en restituer la polysémie parfois obscure, d’après les interprétations diverses qu’il en connaît, pour révéler quelles vertus le mariage doit susciter chez l’homme, chez la femme, dans quelle sujétion il place celle-ci ou enfin quelle responsabilité en découle pour celui-là52.
24S’associant au dogme convenu de la réprobation de toute copulation charnelle non enclose dans les chastes limites d’un mariage légitime, l’auteur du Miroir Politicque n’oublie pas que, d’un point de vue politique, il en va de la survie de la République :
25Mais ô bon Dieu ! Qui deffendra les Republicques sans armes ? Qui tiendra les armes si les gens faillent ? Si par generation n’est supply & subrogé ce que par mort prent necessairement fin, comment pourroit durer l’humain lignage ?53
26Le bon citoyen, insiste-t-il, doit se montrer « solliciteux de multiplier & augmenter (tant qu’est en luy) sa Republicque ». De nouveaux citoyens doivent être engendrés « pour subroger à ceux qui par vieillesse, maladie, guerre, peste, famine, ou autre accident meurent »54. Tel un agriculteur chargé de cultiver son champ avec sollicitude, l’homme se trouve tenu de propager son espèce. Aux lecteurs d’acquiescer :
27ne sera pas reprins l’homme qui par sa negligence laisser choumer le champ, ou se sement, naissent & croissent les hommes, qui remplissent, gouvernent & deffendent les republicques ? […]
28N’est-il pas (donc) choses plus agreable à l’homme, plus utille à la Republicque, semer des hommes que des fromens ?55
29Cette importance politique prend corps dans les législations favorables aux mariages ou désavantageuses pour ceux qui ne s’y veulent résoudre. La Perrière le rappelle comme l’a fait Platon56. Lycurgue interdit aux continents de se trouver aux jeux publics « qu’estoit pour lors une grande ignominie » ; l’hiver, il leur faisait faire tout nus le tour du marché et de la place publique. Les Romains, « qui à toutes nations ont esté formulaire de vertu », privilégiaient ceux qui se mariaient et procréaient tout en punissant les continents, exclus des dignités publiques57. L’impérieuse nécessité de peupler l’État paraît même légitimer le rapt des Sabines, ayant utilement, en un temps de crise, permis à la République romaine de se peupler58, même si, ici tout imprégné de droit romain et conforme à l’orthodoxie catholique, l’humaniste ne peut envisager de mariage sans le consentement des deux parties : « consensus facit nuptias »59. Imperméable aux querelles qui agitaient ses contemporains ou estimant que l’affaire concernait exclusivement les intéressés, il ne traite pas de la question du consentement parental. Il n’évoque pas davantage de condition d’âge pour le mariage, considérant peut-être avec les Carnariens (peuple habitant outre le mont du Taur), que nul ne se devrait marier avant d’avoir l’âge, le cœur et la force de défendre sa famille, sa République et assaillir ses ennemis60.
30En somme, La Perrière ne paraît pas comprendre les vitupérateurs des noces. Ceux-ci, affirme-t-il aussi rapidement que péremptoirement, sont des païens « n’ayans encore la cognoissance de verité, laquelle Dieu nous ha despuis voulu reveller » ; ils ont failli en la connaissance du souverain bien. Le « tresdocte et treseloquent » Firmien Lactance a d’ailleurs réfuté leurs positions en ses Divines institutions61. Et même Platon, ici qualifié d’« aigle des docteurs ecclesiasticques » dont saint Augustin disait qu’il était l’« Ethnique » ayant le plus approché la vérité chrétienne, s’est rallié dans ses Lois au principe du mariage pour condamner les abstinents62. C’est avec Érasme que La Perrière conclut en définitive :
Qui voudra (doncq) blasmer ce que Dieu ha institué, nature commandé, raison persuadé : Les divines & humaines letres loué, les loix autorizé, & le consentement de tous humains approuvé ? & des le commencement du monde jusques à present pratiqué ? S’il faut aymer les choses honnestes, encores qu’elles soyent tristes, par plus fort, raison, ne devons nous plus aymer les choses honnestes, plaisantes & delectables ? Est-il chose plus honneste que mariage ? Plus delectable, que la copule charnelle ?63
31À croire que, s’il n’avait été prêtre, naturellement agité par une question qui se posait à tout homme et ayant, comme Panurge, « la pusse en l’aureille », il n’aurait sombré dans la même perplexité que ce dernier64. Sans être dupe pour autant : toutes associations entre hommes et femmes, en effet, ne sont guère enviables, bien souvent, il le sait, c’est une réalité fâcheuse que recouvre le mariage.
b. Une réalité parfois fâcheuse
32En réalité, il n’y a pas un mariage mais des mariages. Et entre tous, affirme La Perrière après Hugues de Saint-Victor, les mariages de douleur, « combinaison des meschans & reprouvez, desquelz dit le proverbe commun, qu’il vaut mieux qu’une mayson en soit empeschée que deux », et mariages de labeur, « entre mary & femme mal accordans », formés par avarice et espoir de pécune, sont en « nostre temps » pratiqués plus souvent que tous autres. La faute et les douleurs en sont partagées entre les femmes peu vertueuses et les hommes qui les épousent non pour leurs « vertuz, chasteté & bon bruit », mais pour leur argent et leurs dots65. Aussi les dots se voient-elles attribuer une part de responsabilité dans les mauvais mariages66. La Perrière n’ignore pas que leur institution, ancienne, fut admise par de multiples contrées, par les anciens Indiens et Cantabres d’Espagne, par les anciens Germains et même bien sûr par les Romains, qui percevaient là un moyen susceptible de favoriser les unions. Mais sa culture classique l’empêche d’y voir un moyen d’équilibre du mariage67. Il le constate : ces unions entraînent le rejet des femmes honnêtes mais pauvres au profit des riches quand, suivant le mot de Plaute vulgarisé par Érasme et recueilli par un emblème du Theatre des Bons Engins, l’homme doit « prendre sa femme par les oreilles, & non mye par les doitz », c’est-à-dire par sa réputation et non pour sa fortune68 ; elles constituent un moyen de domination de la femme sur l’homme, dépouillant ce dernier de sa liberté en le plaçant « en servitude intolerable », comme le montrent éloquemment les tragiques et comiques grecs69. Toute disparité de richesse entre l’homme et la femme rend un mariage « rioteux », impossible à pacifier, constate également le poète satirique. Sensible à ces lectures, l’humaniste estime donc que les dots, introduisant des considérations pécuniaires là où seules des considérations morales devraient prévaloir, pervertissent la pureté des mariages. C’est par « grand raison » que Lycurgue les interdit en sa République70.
33Le seul mariage enviable demeure à ses yeux celui dont le sage juif fait l’éloge dans son Ecclesiastique (V) : une union dans laquelle « le mary & la femme craignent Dieu, & gardent foy l’un à l’autre ». Constitué « entre mary & femme bien vivans », celui-ci permet la conservation de l’humain lignage et de la République dans un amour réciproque et dans l’unité. « Au vray dire », ce mariage d’amour constitue pour La Perrière l’un des plus grands biens, voire l’une des plus grandes félicités de ce monde71. Et cependant, même dans cette idyllique perspective, des difficultés ne manqueront pas de survenir. Le Miroir Politicque le répète comme la Morosophie : « n’est rys sans pleur ny playsir sans courroux »72. Avec le temps, les dissensions dans le couple se révèlent naturelles, « veu que dedans un mémes corps & ventre les boyaux bien souvent se mutinent entre eux ». Il n’en est pas moins nécessaire de les apaiser. La Perrière n’est pas More, qui admet la possibilité d’un remariage73. Rappelant les dispositions prises par Platon pour obvier à de tels troubles, il rappelle l’existence, à Sparte et Athènes, de magistrats spécifiques : les Harmosins, chargés de « corriger l’insolence des femmes & reprimer leur arrogance & superbité » ; les « reconciliateurs des maryez », devant s’enquérir de la bonne entente des couples, puis, le cas échéant, connaître « du tort & du droit & finalement » les réconcilier par accord ou par contrainte. Réunissant les parents des mariés en un temple consacré à la déesse Vihiplaca, un règlement familial des conflits avait également été instauré à Rome74.
34À défaut de conseiller explicitement à ses lecteurs l’établissement de magistratures ou de procédures similaires, l’auteur du Miroir politique juge utile de leur rappeler quels devoirs obligent l’homme et contraignent son épouse,
à fin que tant le mary que la femme sachent reciproquement comment ilz se doivent conduyre au gouvernement de leur famille75.
II. Les lois des mariés
35Impliquant en premier lieu l’obéissance de la femme (a), ces lois s’attachent à répartir dans le couple les offices domestiques (b) puis à réglementer les rapports des époux. Le train de vie du couple se trouvant modéré par des lois somptuaires (c), celui-ci se trouve classiquement astreint à l’amour et à la fidélité conjugale (d), sinon à la « copule charnelle » et à la procréation(e). Il ne faut pas l’oublier en effet : la fin naturelle du couple est l’éducation des enfants (d).
a. L’obéissance de la femme
36C’est une vision toute paulinienne du mariage que La Perrière conserve. Mais celle-ci, largement nourrie des satiriques grecs et des auteurs classiques, notamment d’Aristote et de Plutarque76, est mise avant tout au service de la République. L’ordre donné à la maison maritale constitue en effet une garantie première de l’ordre global donné à l’État. À l’affirmation selon laquelle, « le chef de l’homme c’est le christ, le chef de la femme, c’est l’homme […] », il préfère manifestement la citation de Socrate disant
que les hommes devoyent estre corrigez par les loix de la cité en laquelle ilz habitoyent, & les femmes par les loix des hommes auxquelz elles se maryoyent77.
37La soumission naturelle de la femme à son époux, qui n’apparaissait pas dans sa définition de la famille, se trouve ainsi défendue78. Fondée sur la faiblesse naturelle du sexe féminin, celle-ci s’appuie sur quelques traditions romaines et chrétiennes. Rebecca en a montré l’exemple et l’Apôtre exigé le principe. Quant à la jeune épousée romaine, avant d’entrer dans la maison de son mari, elle se couvrait le visage d’un voile, « pour demontrer que de franchise, elle entroit en subjection de son mary »79. Si l’auteur du Miroir Politicque n’en impose pas le rite, il en approuve le sens, comme le fait d’ailleurs Marguerite de Navarre écrivant que « l’homme gouverne notre chef »80. La sixième loi prescrite à l’épouse ordonne en effet qu’elle obéisse « totallement au mary » ; la septième qu’elle estime
que les meurs de son mary sont les loix de sa vie, lesquelles (si elles sont bonnes) doit totallement imiter. Et (au cas qu’elles soyent mauvaises) elle les doit patiemment supporter81.
38Cet impératif implique qu’un homme préfère épouser une vierge. Hésiode notait qu’il lui serait plus facile de la « mettre à son ply » qu’une veuve ayant connu d’autres hommes82. Plus sceptique encore, La Perrière évoque pour condamner les secondes noces la comparaison empruntée jadis par saint Ambroise à Philon (de l’homme et de l’intelligence et de la femme avec la sensibilité), signifiant la supériorité de l’homme sur la femme83 : croyant tout aussi difficile de soumettre les appétits sensuels à la raison que de conformer une femme, fut-elle vierge, aux mœurs d’un époux, il ne voit dans les secondes noces qu’un handicap supplémentaire pour ce dernier. son idéal demeure celui de la pensée chrétienne, un mariage cum unica et virgine84. Le droit naturel lui en donne l’exemple : après avoir perdu leurs « conjoints », les tourterelles ne restent-elles pas seules, à perpétuité ? Les hommes qui, libérés d’une première union, choisissent de retourner en servage, méritent, dit-il, d’être moqués comme ils le sont dans plusieurs pièces de Tibulle et de Beroaldo85. Gratien Du Pont, retombé entre les griffes d’une jeune femme après la publication de ses Controverses, pouvait ici se sentir visé86.
39Indéniablement, la culture classique de La Perrière le porte à dévaloriser la femme qu’il cherche aussi à défendre87. Il n’en est pas pour autant conduit à faire l’apologie de l’autorité maritale. Plutarque ne le persuade pas, en affirmant que celle-ci peut être fondée sur des rapports de force. À l’instar d’un roi recherchant l’affection de ses sujets, l’homme doit se faire obéir d’une femme libre et mue par l’amour88. Elle seule pourra vaquer efficacement aux offices qui lui sont assignés.
b. Les offices domestiques
40Suivant les observations des naturalistes, constatant l’existence d’une séparation « naturelle » des tâches entre les animaux mâles et femelles, La Perrière estime que
Les offices & negoces entre le mary & la femme doivent estre partiz, & ce à l’exemple des oyseaux, entre lesquelz la femelle garde & ha la cure du nid, couve les oeufz, nourrist les poulsins, le masle va dehors chercher pasture89.
41Chaque sexe se trouve ainsi investi d’un office particulier, d’autant que
nature ha fait le corps de la femme plus delicat, moins fort de beaucoup, & plus debile que l’homme d’autant qu’elle n’ha que faire des negoces auxquelz faut courir, & tracasser hors la maison.
Et ha fait le corps de l’homme plus robuste, puissant & fort, d’autant qu’il le faut tracasser aux champs, à la pluye & au vent, bien souvent en pays loingtain, tant pour gaigner sa vie que de sa famille90.
42L’utile n’étant point séparé de l’honnête, ces distinctions pratiques impliquent des obligations morales. Comme il serait « mal seant » ou non « honnorable » que le mari s’occupe des « menuz affaires & negoces de la maison », du linge de table ou du lit, il serait « mal seant » à la femme de s’occuper d’aucun négoce forain91. Il convient de ne point troubler une stricte répartition fonctionnelle à laquelle, suivant une anecdote lue dans la Polyhistoire de Solin, La Perrière donne des airs de contrat synallagmatique92. Les obligations respectives des époux n’en revêtent pas moins à ses yeux une importance déséquilibrée. Le mari se voit assigner en une phrase le devoir de subvenir aux charges financières de la maison. C’est avec force détails et précisions que les obligations pesant sur la femme, en revanche, sont décrites.
43Ainsi le premier devoir de celle-ci, devoir qui constitue, corrélativement, son premier droit, est-il constitué par la charge des affaires et négoces de la maison familiale, « l’œconomie ». « Gouverneresse et maistresse » de la maison, la femme prend en charge l’intendance, le gouvernement et l’administration des affaires domestiques, et ce même les jours solennels et jours de fête, si elle a obtenu pour cela l’autorisation de son mari93. Il s’agit de veiller à l’approvisionnement de la maison en prenant garde que le grenier ou la cave ne soient jamais vides, comme le signifie l’ancien rite romain selon lequel la nouvelle mariée portait un panier plein de farine, pain, chair, fromage et autres viandes94. Il faut aussi parer aux fraudes ou « finesses des serviteurs » et accroître les économies du ménage95. Ceci sera facile, semble croire l’auteur du Miroir Politicque : par nature, estime-t-il, la femme est plus avare que l’homme, ce qui aura d’ailleurs un autre avantage, celui d’éviter que le mari ne soit personnellement taxé de « chicheté », puisque c’est elle qui rechignera à la dépense96.
44Chargée des affaires domestiques, la femme doit également confectionner les vêtements nécessaires à l’homme, se montrer diligente à filer, coudre, travailler, ou s’occuper de la « lingerie », s’occupant en cela des choses considérées comme « les plus propres à son sexe ». L’auteur tente-t-il de convaincre d’éventuelles lectrices ? Il relate comment, de tout temps, ces travaux ont acquis aux femmes la reconnaissance de leurs maris et de l’entière société. Pour honorer celle qui avait fait le plus bel ouvrage, les anciens Ibères avaient coutume de les exposer en place publique. Bien des nobles romaines se sont ainsi illustrées, à l’instar de la princesse Sereyne ayant « porphilé » puis ouvré à l’aiguille les harnais et bardes d’un cheval, ou de la reine Tanaquil ayant tissé de ses mains la toge royale de Servius Tullius. Alexandre Le Grand et Octavian César Auguste ne portaient de robes que cousues par leurs femmes et filles97. De tels travaux honorent l’épouse, quel que soit son « état », estime l’humaniste. Il n’en est pas de même, en revanche, des activités domestiques touchant aux choses « desquelles le maniement est vil, comme de balayer la maison, laver les escuelles & potz & semblables, qui doivent estre exercez par les servantes ou souillardz de cuysine, non mye par les maistresses ». S’adressant à des responsables politiques, La Perrière ne pense guère aux petites gens. Il remémore une loi romaine établissant que nulle femme honnête ne devait moudre de farine, pétrir ou cuire de pain ni « souillarder » à la cuisine, pour ne point « trop infimer et vilipender l’estat d’une honneste mere de famille »98. Ces viles tâches mises à part, il le récapitule : toutes les affaires internes de la maison se trouvent réservées à l’épouse, chargée de les tenir secrètes sans les divulguer, ni sans les dissimuler à son époux99. Il lui appartient donc en somme de
coudre, filler, ouvrer à l’aiguille, faire buées, allaiter filz & filles, corriger & addresser les servantes, scavoir le compte du linge & des utensiles de la maison, tenir l’œil sur le grenier, la cave, et autres provisions de la maison. Et se doit tenir toute femme honneste mariée presque tousjours dans la maison de son mary, sans aller (comme dient les prescheurs) en peleriginage à sainct Trottin, & discourir par festins & banquets100.
45Ces nombreuses obligations induisent l’assignation à résidence de ces industrieuses101. Il ne faut pas s’en étonner. D’anciennes et universelles prescriptions convergeaient en ce sens102. Ignorant la « bonne et louable coustume » égyptienne racontée par Plutarque, laquelle voulait que les femmes « anciennement ne usoient de chausseures en pied ne en gembe », coutume qui devait de fait les inciter à rester à demeure, La Perrière relate que les Arabes, Grecs et Latins tenaient autrefois leurs femmes recluses en leurs maisons, la Nouvelle histoire de Turquie d’Antoine Geoffroy attestant de la persistante vitalité de cette coutume au XVIe siècle103. Constatant que les lois romaines ont abondé en ce sens, il rappelle que Romulus et Tatius obligeaient les Sabines à filer, coudre et tisser sans les autoriser à faire aucun autre travail, et que la loi païenne leur défendait de filer en cheminant par les rues et voies publiques104. La deductio uxoris in domum mariti imposait pour sa part au nouvel époux de prendre dans ses bras sa jeune femme sur le seuil de leur future maison, afin qu’elle ne touchât de ses pieds le seuil de la porte, et aussi,
pour faire souvenir à la mariée (par la douleur du coup qu’elle prenoit à la teste) de ne sortir guiere souvent hors la maison du mary, si elle vouloit avoir bruit & nom de femme honneste105.
46La témérité des romaines Amélie, Hortense et Affranie, ayant eu l’audace d’aller discourir par les prétoires de Rome, est regardée avec quelque étonnement ; l’impudence d’une Calphurnia ayant « postulé », condamnée comme toute intervention féminine dans la sphère publique106. Quant à ses contemporaines, que certains de leurs époux allemands et français laissaient aller à leur guise, La Perrière se refuse à les comparer aux anciennes Amazones comme l’avait fait Gilbert Grap en ses Commentaires œconomiques. Disant les avoir plus « fréquentées » que ce dernier, il estime qu’elles n’ont pas « plus de liberté qu’en autre pars » du monde et surtout, qu’elles doivent s’éloigner le moins possible de la demeure conjugale. Pourquoi d’ailleurs les honnêtes femmes le feraient-elles :
Pourquoy doit la femme honneste discourir par les rues, quand rien qui soit forain & hors sa maison, n’est en sa chargée ?107
47La bonne marche de l’institution matrimoniale impose certes que l’épouse remplisse ses obligations domestiques tout en restant à demeure. Mais ce ne sont pas seulement ces considérations utilitaristes qui conduisent La Perrière à exiger une stricte limitation de ses allées et venues. L’humaniste en effet a beau jeu de dénoncer les rumeurs et soupçons des médisants, « qui ne savent autre chanson que parler de l’incontinence des femmes ». Il partage encore nombre de leurs préventions. Si, comme Alciat, il leur interdit d’aller seules et sans autorisation maritale par les rues108, c’est, comme l’indique la Morosophie par l’une de ces métaphores dont il a le goût, parce que femme, dit-il, n’est pas « seure » au dehors de la maison :
Car tout ainsi qu’une barque fendue n’est pas seure pour la mettre au grand fondz de l’eau, mais elle peult bien servir à la rive & au port, sans guere s’esloigner d’iceluy109.
48Il juge les Anglais bien peu jaloux, qui permettent à leurs femmes d’aller banqueter sans aucun soupçon110.
49En un siècle où les femmes montraient une habileté politique faisant parfois défaut aux hommes, alors que leurs charmes s’affichaient en tous les lieux publics, l’auteur du Miroir Politicque s’inquiète des graves manquements à la moralité et à l’ordre public qu’il imagine là111. Il préconise de maintenir les femmes à la maison, et même d’interdire l’entrée de cette dernière à qui ne serait expressément autorisé à cela par le mari lui-même112.
50Pour tâcher de contenir d’inévitables tentations, encore faut-il aussi instaurer de strictes lois somptuaires.
c. Les lois somptuaires
51Nombreuses dans les villes italiennes et dans l’Empire dès la fin du Moyen Âge, les lois somptuaires se multiplient en France à partir de 1485, exprimant une volonté de réglementer les rapports entre les sexes sinon d’« étouffer l’une des rares libertés féminines »113. L’intérêt que leur porte La Perrière reflète ainsi l’image d’une femme éternelle tentatrice laquelle, délibérément ou à son insu, suscite le désir de l’homme. C’est pour protéger ce dernier et conserver l’ordre public qu’il préconise la réglementation de l’habillement et des parures.
52Le désir féminin d’ornements s’incarne en effet dans un extraordinaire mundus mulieris évoqué par les jurisconsultes. S’y amoncèlent bagues, joyaux, anneaux, miroirs, peignes, « calamistres » (fers à friser), aiguilles, épingles, ceintures, bracelets ou jarretières114. L’auteur du Miroir Politicque semble comprendre ces penchants : « nature ha plus orné les bestes masles que les femelles […] », affirme-t-il en évoquant chevaux, paons et coqs115. Mais il voudrait que les femmes usent de ces coquetteries pour montrer leur modestie et chasteté, ou, selon l’expression d’Alciat, leur extrême pudicité116. Or, le plus souvent, elles en profitent pour faire étalage de leurs charmes et faire « extravaguer » les hommes, les incitant à lubricité et les inclinant à l’adultère117. Abêtis par l’amour, les maris engagent et vendent leurs héritages pour parer leurs épaules et leurs têtes118. L’ordre des familles et celui de la République peuvent s’en trouver troublés. Sans doute les traditions des Parthes étaient-elles excessives, qui ne laissaient les femmes sortir de chez elles que le visage et la poitrine cachés, et, pour celles de grand état, en litières closes. Mais, pour contrer la curieuse « privauté » des Allemandes, allant aux bains nues au milieu des hommes119, ou la mode renaissante des décolletés généreux, il met en avant les traditions romaines qui imposaient lors des mariages le port de vêtements de pourpre ou d’autres riches étoffes cousues de manière à couvrir toutes les parties suggestives de l’anatomie féminine120. Ces traditions avaient en outre l’avantage de distinguer les femmes dissolues des honnêtes, car, à Rome, les premières étaient connues à leur chevelure blonde ou « jaune », tandis que les secondes portaient les cheveux noirs, éventuellement teints à l’aide de brou de noix. Au xvie siècle, cette dernière tradition se trouvait à la mode à la Cour de France. Songeant aux épouses de ses lecteurs sinon à d’éventuelles lectrices, La Perrière n’oublie pas de les renvoyer aux « bonnes recettes » décrites par Arnaud de Villeneuve, tant pour les cheveux, seins qu’autres « membres secrets » du sexe féminin121.
53Aux femmes cependant de bien comprendre la leçon : au-delà de leur beauté corporelle, passagère, et de leurs riches vêtements, secondaires, seule une modestie totale, incluant actes, paroles, contenance et accoutrements, peut les rendre véritablement admirables. En toute hypothèse, les plus beaux ornements féminins sont les vertus, et les enfants :
C’est un grand abus quand la femme veut estre plus agreable à son mary, par acoustremens, que par vertus : cas estre chaste, prudente, diligente & fidelle à son mary, est beaucoup plus à estimer, qu’estre bien acoustrée, cointe, pignée, parée & fardée122.
54Des avertissements similaires sont adressés aux hommes ; sans être cependant motivés par les mêmes raisons. La modestie vestimentaire exigée des femmes vise à contenir dans les limites de la moralité des exhibitions jugées dangereuses pour les familles et les Républiques ; celle qui est réclamée aux hommes tend à modérer la superbe et l’arrogance dont ils sont plus coutumiers. La Perrière bien sûr en est conscient : les exigences diffèrent en fonction du statut social. Si l’on en croit un passage de la Chronique 227 consacré à l’édit somptuaire de 1551, il semble qu’il distingue les vêtements des princes et ceux des infimes, conformément à la législation royale123. Le Miroir politicque le confirme en indiquant que les usages vestimentaires doivent refléter la hiérarchie sociale et s’accorder à « la loy ou coustume du pays »124 ; l’auteur loue donc les Athéniens et les Romains d’avoir institué des gynécomones et des censeurs pour prendre garde que les femmes ne soient en bagues ou vêtements « plus pompeuses que l’estat de leurs marys ne requeroit »125. Cette question du lien entre la hiérarchie sociale et la tenue vestimentaire n’est pas cependant approfondie. Louant les Vénitiens « gens oculez & de grand providence », d’avoir chargé certains officiers de réfréner la pompe des vêtements, bagues et dorures des femmes, ou les Français d’y avoir pourvu sous Charles VI et Henri II, l’auteur n’y revient pas126. Il demeure convaincu qu’à l’exception de celle qui est propre aux « battelleurs & recitateurs de Tragedies, Satyres ou Comedies, que nous appellons en nostre lengue Moralitez, Soties & Farces », toute pompe vestimentaire est excessive127 et tout luxe s’avère inutile :
la cortepointe de soye, le surciel du lit d’or frisé, le courtinage de veloux, satyn ou damas ne font pas plus soesvement dormir, qu’un courtinage de sarge ou toille sur une couverte de layne : si ton cœur est en sollicitude ou ton esprit en melencollie128.
55L’essentiel demeure la vertu. L’humilité d’un saint Louis l’a prouvé. Et chacun peut bien s’habiller comme un prince, si ses mœurs ne sont conformes à son habit, il sera « acoustré de pourpre & couronné : & par dessouz celle riche pareure il sera tousjours mecanique & infime personne », comme l’estimait Xénophon129.
56Ces préceptes le montrent : pour l’auteur du Miroir politicque, le mariage est affaire d’État. Il est donc nécessaire qu’un cadre législatif contraigne les époux à respecter des règles nécessaires au bon fonctionnement de la chose publique. L’homme ne l’oublie pas cependant : conditionné par des impératifs propres à la nature, le mariage n’en demeure pas moins la rencontre d’un homme et d’une femme lesquels, unis par un sentiment réciproque, assureront la propagation de l’espèce.
d. L’amour et la fidélité
57La première loi du mari envers son épouse, indique le Miroir Politicque, est de la « priser, honnorer & aymer »130. Cette obligation s’avère dans l’esprit de l’auteur essentiellement négative : il s’agit en effet pour le mari de se garder d’injurier sa femme, ni en fait, ni en dit car,
les femmes maryées sont, & doivent estre illustrées des rayons de leurs marys : & le mary doit estre celluy, qui doit monstrer exemple aux autres de honnorer sa femme131.
58Honorant sa femme, l’homme incite celle-ci à l’honorer en retour. L’injuriant, il lui donnerait l’occasion d’intriguer contre son honneur. Ainsi Pénélope a-t-elle gardé fidélité à Ulysse malgré sa longue absence, en dépit des occasions qui se sont présentées. Ainsi Clytemnestre, pour répondre aux injures d’Agamemnon, a-t-elle commis l’adultère et tramé sa mort132. Divers proverbes et métaphores que n’aurait pas reniés Gratien Du Pont133, démontrent comment l’homme doit se garder de mettre sa femme en colère, car s’il ne s’en abstient, elle pourra penser « avoir juste occasion de rompre la foy à son mary, quand il la luy rompt »134. La règle vaut pour l’ensemble des habitants de la maison, notamment pour les serviteurs, mais elle est essentielle à l’égard de la femme « principalle personne de son lict, de sa table, de son fouyer, voire de toute sa maison »135. Elle seule est en effet susceptible de faire régner la paix dans le foyer, comme le suggèrent à nouveau les traditions romaines, puisque grâce aux anciens dieux Lares et à la déesse Vesta, la maison constituait à Rome un havre de paix favorable même aux ennemis136.
59Constituant la huitième loi de la femme envers son mari (les précédentes étant consacrées à ses obligations domestiques), l’équivalent féminin de la règle est motivé par des perspectives tout aussi utilitaires. Il vient illustrer un thème déjà évoqué : la soumission exigée de la femme, en toutes circonstances. C’est avec considération que celle-ci doit parler de son époux, qu’il se trouve en état de prospérité, en adversité, pauvre, indigent, malade, ou même « fourvoyé de raison ». Un mari pauvre peut en effet s’enrichir ; un malade être guéri. L’un comme l’autre pourraient lui reprocher ses insuffisances quand au contraire ils lui sauront gré de son dévouement. Alceste et Pénélope ont ainsi trouvé la gloire137.
60Ainsi, alors que les Cent considérations d’Amour envisageaient sous un jour romanesque le sentiment amoureux, sans faire allusion au mariage, le Miroir Politicque examine avec minutie le fonctionnement d’une union qui, enserrée dans les liens matrimoniaux, se met strictement au service de la paix conjugale et de l’utilité sociale. Au xvie siècle, l’amour et le mariage correspondaient à deux réalités distinctes que, pour certains, il eût été bien imprudent de vouloir mêler. Marguerite de Navarre fustige dans ses nouvelles les maladroits s’obstinant à contracter des mariages desservant leurs fortunes ; Montaigne affirme qu’un bon mariage s’il en est doit refuser la compagnie et les conditions de l’amour138. Chez La Perrière cependant, toute éventualité d’un mariage d’amour n’est pas écartée. L’amour mémorable de Tiberius Gracchus pour sa femme Cornélie comme celui d’Orphée pour Eurydice, d’autres encore, mentionnés dans le Livre des femmes renommées de Plutarque, sont célébrés avec transports, et l’auteur se réjouit d’imaginer que « l’amour de deux honnestes maryez est en tout temps indissoluble »139. Son manuel de gouvernement n’en véhicule pas moins l’image d’un mariage fondé non sur l’amour, mais sur l’absence de haine. La maison, cellule fondamentale de la société, y est présentée comme un lieu « d’assurance », presque sacré. Il semble que pour qu’elle le devienne et le demeure, il faut que les époux s’y conduisent avec raison, en parvenant à s’abstraire de leurs « affections » ou passions naturelles.
61C’est sous cet angle que se trouve partiellement justifiée la prohibition de l’adultère140. La Perrière met en avant les travaux de Pline et de Solin sur l’âne sauvage nommé « onager », qui montrent que les animaux se trouvent affectés par la jalousie. Il observe les manifestations plus ou moins intenses que ce même sentiment suscite chez divers peuples, chez les Parthes et les Italiens, qui y sont fort sujets, comme chez les Allemands, qui y sont moins sensibles. Il en est conduit à soutenir l’interdiction de tout commerce charnel entretenu par un homme avec toute autre femme que son épouse car,
s’il fait le contraire ( & que sa femme le sache) il se mettra en un plus inextricable laberinthe, que celluy du Roy Porsena ou de Dedalus, & n’aura jamays bon visage de sa femme, laquelle machinera de s’en venger & rendre la pareile, se pensant avoir juste occasion de rompre la foy à son mary, quand il la luy romp141.
62Inscrite dans le Décalogue, l’interdiction s’impose à chacun142. Aucune femme chaste, dit-il, « ne doit getter son regard (je dy lascif & amoureux) sur autre homme, que sur son mary ». La chose lui semble tellement évidente qu’il n’a pas pris la peine de formuler l’équivalent féminin de la loi précitée. En cela encore fidèle à la morale chrétienne, il jette sur les hommes et femmes adultères une même réprobation143.
63Les condamnations exemplaires subies par maints adultères lui sont bien connues. Le De otiis imperialibus de l’historien Gervaise et la Polyhistoire de Solin récemment ordonnée par Camers lui fournissent l’exemple d’une cigogne adultère qui, prétendument trouvée en état de concupiscence, fut mise en pièces par une troupe de ses semblables auprès desquelles le conjoint s’était plaint144. Le Deutéronome et l’Exode lui apprennent que la loi de Moïse punissait l’adultère de la lapidation145. Il sait que les Arabes, les Troglodytes et les anciens Britanniques, tout en admettant une certaine forme de communisme, le prohibaient et punissaient également. Il a lu que les Égyptiens avaient autrefois coutume de fouetter les hommes coupables de tant de coups qu’ils en avaient mille plaies, et de couper le nez aux femmes pour les rendre moins belles, « d’autant que la beauté de la face feminine est occasion de l’adultere commis ». Quant aux anciens Germains, plus sévères encore, ils punissaient les coupables de la peine capitale146. Voyant dans la guerre de Troie une punition légitimée par le ravissement d’Hélène et l’adultère de Pâris, l’humaniste se souvient encore de la lex Julia de adulteriis147. Curieux du passé, il ne prend la peine de regarder le présent que pour relever qu’une telle rigueur n’est plus envisageable, « car qui l’observeroit au temps au quel nous vivons, il ne se trouveroit pas assez de pierres pour ce faire »148.
64Un emblème du Theatre des Bons Engins le dit éloquemment : « Qui cuyde abatre abuz inveteré, est bien frustré de tout ce qu’il pourchasse »149. Jugeant impossible de réprimer des adultères par trop nombreux, l’auteur croit donc utile de préconiser une stricte observation de ce que saint Paul appelait déjà le « devoir conjugal » : la « copule charnelle », envisagée bien sûr dans la perspective de la procréation.
e. La « copule charnelle » et la procréation
65Confirmant qu’il fait de l’homme le seul maître des choses du sexe, La Perrière signifie clairement sa désapprobation à l’encontre des maris qui, sous des prétextes quelconques, dévotions, canicules, maladies ou frivolités, s’abstiennent de toute activité sexuelle conjugale. Ceux-ci, croient-ils, donnent ainsi occasion aux femmes
de chercher adventure ailleurs & s’emprunter de quelqu’un, qui ne craindra les jours caniculiers Aegyptiaux, ne le tour de la l’une, si la crainte de Dieu & son honneur ne l’en destourne150.
66Il n’éprouve pas plus de réticences que les Pères de l’Église ou les canonistes médiévaux à évoquer le cœur de la question : la « copule charnelle » nécessaire à la procréation151. Suivant Hésiode, son commentateur, et Pline, il affirme que les hommes se trouvent du fait de leur nature plus ardents à la copulation l’hiver et les femmes l’été ou lorsqu’elles se trouvent enceintes. Il estime que le temps le plus propice à l’acte est l’hiver et non l’été, le jour plutôt que la nuit, et signale une préférence pour le temps du lever, plus tempéré. Jugeant malsain de s’y prêter après les repas afin de ne pas corrompre la digestion, il doit reconnaître que certains aliments ou boissons portent à la chose et favorisent la semence. Citant Celse, il soutient encore que l’acte sexuel ne doit être ni trop continué, ni trop rapide, car « la rare & tarde commixtion excite le corps : la frequente, le rend lasche ». Aux époux donc d’user de « moderation » en l’affaire, s’habituant à ce que « tant absens que presens ilz soyent l’un de l’autre contens »152.
67Emporté par ces considérations pratiques, il oublie de rappeler que, suivant l’orthodoxie et les commentaires des théologiens, tout commerce charnel était alors à prohiber environ 120 à 140 jours par an, non comptant les jours d’impureté des femmes153. Mais il met en garde les hommes âgés et « decrepits » contre les dangers de telles pratiques, considérant d’ailleurs que c’est l’un des bienfaits de l’âge que de délivrer l’homme du joug de ses appétits sexuels154. Nul doute qu’il n’ait estimé en réalité les indéniables bienfaits que ceux-ci procuraient. Renvoyant ses lecteurs soucieux de connaître les « grands effets » de cette « corporelle communication » aux vers du De natura de Lucrèce récités par Marsile Ficin dans son commentaire sur le banquet de Platon, il les interroge en effet :
Pourroys-tu trouver plus grand soulagement en ce monde, que vivre avec celle, à laquelle tu es accouplé, non seulement par benivolence, mais par reciprocque communication de corps ?155
68Le soin pris à évoquer ces questions dans un manuel de gouvernement peut paraître saugrenu. Il est des moins étonnants. Suivant ses convictions théologiques sinon ses propres pratiques, l’auteur n’admet de procréation que légitime, scellée par les liens du mariage. Il l’atteste en rappelant les principes du droit romain : seule se verra reconnaître le « tres honnete et tres admirable » nom de mère celle qui pourra « attester le vray pere en mariage » et dont le fils sera légitime156. Et, selon l’image employée par Alciat, il faut que l’arbre donne des fruits157, c’est pourquoi de nombreux symboles signifiaient autrefois à Rome quelle fertilité était attendue du jeune couple158. Cet impératif citoyen sera d’ailleurs pour l’homme source de satisfactions. Père d’une petite Marguerite, Guillaume de La Perrière assure ses lecteurs que la naissance d’un enfant constitue la chose la plus heureuse et la plus désirable qui soit, permettant à l’homme d’atteindre ce que la nature lui a refusé en propre, l’immortalité, en lui donnant des joies qu’il célèbre avec transport :
Mais (ô bon Dieu) quel plaisir prent tout pere de veoir sa vive Medaille racourcie en la face de ses enfans, & icelle tant approchante au vif, que Lysippus, Mentor, Polycletus, Phidias, Praxitelés, Zeusis, Appelés, ne Parrhasius n’eussent seu tailler ou peindre si bien159.
69Les enfants, écrit-il, savent charmer les plus grands et les plus sages. Avec eux, Octavian César Auguste jouait « aux noyaux de pêches » et Socrate, réputé le plus sage de son temps d’après l’oracle d’Apollon, « chevauchoit un baston ». Devenus adultes, les enfants seront « le baston de ta vieillesse, l’appuy de ta debilité, le pilier de ta mayson »160. Et celui de l’État.
70La procréation étant considérée comme d’utilité publique, l’importance de laisser au jeune couple le loisir pour donner à l’État de nouveaux citoyens comme la nécessité de favoriser la natalité se trouvent ici soulignées161. La Bible et l’histoire en fournissent divers exemples. L’avènement d’un enfant, regardé comme un véritable don de Dieu, était autrefois considéré comme un témoignage de la vertu des parents. Ceux qui ne se livraient pas à ce devoir civique comme les stériles étaient repoussés des autels par les lois de Moïse ; la République refusait leurs inutiles offrandes162. Les lois hébraïques exemptaient le jeune époux d’aller à la guerre durant la première année de son mariage, pour qu’il puisse « aiséement & à son souhait vacquer à generation, & s’esjouyr avec sa femme sans aucune interruption »163. Les lois romaines allaient jusqu’à favoriser ceux qui avaient un grand nombre d’enfants en les allégeant de certaines charges et en leur confiant par préférence les magistratures. À Florence, à la naissance de son douzième enfant, tout citoyen était déclaré immune de tailles, emprunts et autres subsides publics164. Ainsi pouvait-il plus aisément subvenir à l’éducation de sa progéniture.
f. L’éducation des enfants
71La Renaissance vit naturellement éclore nombre d’ouvrages consacrés à l’éducation165. Aussi demeure-t-il étonnant que La Perrière, dont les ambitions didactiques étaient manifestes, n’ait que peu envisagé la question dans ses œuvres. Le Theatre des Bons Engins et la Morosophie ne contiennent que peu d’emblèmes qui fassent allusion à l’éducation166, et le Miroir Politicque, où il est fait tant de cas de la famille, ne l’évoque que très superficiellement. L’importance de l’éducation des enfants pour la conservation de l’État perce cependant en plusieurs endroits de l’ouvrage, lorsqu’il est dit que l’abandon de la jeunesse romaine à la volupté et à l’oubli de la vertu constitua l’une des causes de la chute de Rome167 ou que les nobles et magistrats de la République doivent être soigneux de ce que
les enfans de la cité soyent tant en particulier comme universel bien institués, & non moins en mœurs qu’en lettres. Et ce par bons et doctes precepteurs, non moins ornés de bonnes meurs que des lettres [… ]168.
72Indiscutablement, l’auteur participe du mouvement qui place l’éducation, au xvie siècle, entre les mains de l’autorité publique. Il n’ignore pas le renouveau littéraire du thème, puisqu’il évoque notamment la question de l’allaitement maternel, farouchement défendu par les humanistes169. Mais il se contente de renvoyer aux ouvrages spécifiques d’Aristote et de Xénophon (La Cyropédie et les Œuvres économiques), à ceux de Platon, aux Institutions oratoires de Quintilien, au traité composé expressément par Plutarque sur l’éducation des enfants (par « singuliere erudition »), à celui du docte Maphée Végien (dataire de Martin V) « qui ha si bien deduit le propos qu’il ha coupé le chemin aux posterieurs, & osté l’espoir d’en pouvoir dire mieux », enfin, à celui qu’Aeneas Sylvius avait composé peu de temps avant sa naissance170. Lui-même préfère se concentrer sur son propos plus spécifiquement politique.
Conclusion
73La femme est le début et la fin d’une famille constate Ulpien171. « Femina rara bona, sed quae bona digna corona » rappelle l’auteur médiéval du poème Femina, dulce malum172. Héritier d’une ambivalente vision de la femme, le xvie siècle, tout en réassurant la domination de l’homme, ne cesse de véhiculer l’image d’une femme omniprésente et audacieuse, symbole de vigueur et espérance de justice sociale173. On le constate dans le Miroir Politicque. Par principe, l’auteur reconnaît l’homme comme le maître de la maison matrimoniale. Il assure que ce sont ses lois qui doivent régir la femme et estime que l’habileté qu’il montrera à diriger la maison augurera de ses aptitudes au gouvernement de la République174. Mais il n’en fait pas moins de la femme le cœur et la clé de toute l’institution matrimoniale. C’est elle, en réalité, qui prend toute la place qu’il a voulu faire au couple. Ainsi conclut-il le long passage consacré au mariage par un « catalogue des femmes honnestes » dont il a pu trouver exemple chez Plutarque et Boccace comme chez Laurent de Premierfait, Symphorien Champier ou Jean Tixier de Ravisi175. S’y trouvent louées les bonnes épouses Evadné (femme de Capaneus), Alceste, Pénélope, Laodamie (femme de Protesilaus), Caia (femme de Tarquin), Lucrèce (femme de Collatin), Portia (femme de Brutus), Sulpitia (femme de Paterculus), Aemilia (femme de Scipion), Julie (femme de Pompée), Camille et Cassandre fille de Priam. Sont vantés le renom des Sybilles, la sobriété, la chasteté et la diligence des Sabines, l’amour d’Hypsicratée pour Mithridate et celui d’Artémise pour Mansolus. Aussi le critère premier de ce catalogue paraît-il proche de celui qu’avait indiqué Atheneus à une dénommée Theane, qui l’interrogeait pour savoir quelle femme méritait d’être louée,
Que celle-là qui ne se mesloit que de sa quenouille & fuseaux, qui aymoit le lict de son mari, & qui donnoit repos à sa langue176.
74Mais que dire alors de l’éloge des prouesses et de la chasteté des Amazones, de la virilité des femmes de Sparte, de la hardiesse de cœur de Thamyris reine des Scythes, de la sagesse des Corinne, Sapho, Aspasie, Arcté, Cléobule, Zénobie et Cléopâtre puis de celle de Pauline (femme de Sénèque) et de Polla (femme de Lucain), de l’éloquence d’Hortense et de Cornélie, dont était par ailleurs critiquée l’audace ? D’autant que l’évocation de la science d’une milanaise dénommée « Triulce », puisée chez Tixier de Ravisi, la célébration du savoir et de la dextérité d’esprit de la défunte Marguerite de Navarre, celle, enfin, de l’adresse guerrière de Marguerite, femme d’Henri VI d’Angleterre comme de celle de Jeanne d’Arc « qui chassa les Angloys de France & par armes remit en siege Royal Charles septiesme » révèlent encore d’autres modèles177. Les premières se trouvent louées pour s’être effacées devant leurs époux et s’être soumises le plus docilement à l’autorité maritale ou paternelle ; les secondes pour avoir, en quelque sorte, racheté leur souillure originelle par l’acquisition d’une exceptionnelle sagesse ou au prix du sacrifice de leur vie. L’éloge peut paraître bien maigre, proche d’un « féminisme d’Apocalypse »178, d’autant qu’à aucun moment La Perrière n’exhorte les femmes ni à s’adonner aux études savantes ni à se mêler d’affaires politiques ou militaires. Celui-ci n’en révèle pas moins une admiration certaine à l’endroit de celles qui avaient su faire exploser l’étroit cadre de vie que lui-même leur réservait.
75Son propos tout entier le révèle : c’est la femme qui, se conduisant conformément aux exigences de son sexe, viendra parachever le bonheur d’un couple craignant Dieu et se conservant foi l’un à l’autre. C’est elle qui fera du mariage la plus honnête des choses, et du mari le plus heureux des hommes :
Si nous prenons merveilleuse delectation de conferer noz secretz affaires avec noz amys & prochains, ne doit estre beaucoup plus excessive la delectation que nous prennons de descouvrir nostre pensée à celle, à laquelle nous parlons si asseuréement comme à nous mesmes : & comme à celle qui est participante de noz fortunes tant adverses que prosperes : & qui repute nostre mal ou bien estre le sien ? Avec noz autres amys, nous sommes seulement conjointz par benivolence de courage, mais avec nostre femme nous sommes conjointz par souveraine charité, commixtion corporelle, confederation sacrée, & par compaignie & société en toutes fortunes inseparable179.
76C’est elle qui fera la prospérité de l’entière maisonnée, et le bonheur de l’homme. Du moins si, comme dans le passage suivant, elle demeure toute entière attachée à la satisfaction des désirs d’un époux dont elle est en toute hypothèse, et jusqu’à la mort, la plus fidèle et dévouée compagne :
Si tu es abondant en biens temporelz, ta femme te les gardera fidellement, & de son industrie les augmentera. Si tu es paovre, & persecuté de fortune, elle te consolera : pourroys-tu (doncq) avoir plus amyable consolation, ne plus prochaine ? Est-il volupté qui se puisse comparer à la conjugalle ? Si tu es contraint, par crainte, maladie, ou autre cas de demourer reclus en ta maison, ta femme te ostera l’ennuy que tu auroys d’estre solitaire. Si tu vas dehors, tu seras joyeux d’avoir laissé en ta maison la personne, de qui tu te fies le plus. À ton despart ta femme t’accompaignera jusques à la rue, à force de baysers, & à ton retour te recueillira à forme d’accoullemens : elle sera triste de ton despart, & joyeuse de ton retour : & à la table & au lict (qui sont lieux) comme l’on dit communement (privilegiez) tu seras aussi bien venu, comme le clair Soleil après la fascheuse & longue pluye. Elle sera douce & amyable compaigne à ta jeunesse, & tresagreable soulas à ta vieillesse180.
77Pour avoir strictement limité les développements du Miroir Politicque consacrés à la famille à l’analyse de la maison conjugale, La Perrière n’accorde que quelques lignes à l’évocation de la maison seigneuriale, constituée du maître, de la maîtresse comme des serviteurs et servantes181, guère plus à celle de la maison paternelle formée par le père, la mère et les enfants182, et si l’on excepte ses considérations sur les lois somptuaires, aucune à celle de la maison possessoire comptant les biens meubles, immeubles ou ceux « par soy se mouvans »183. La primauté ici accordée au règlement des questions d’ordre matrimonial efface la division aristotélicienne de la maison premièrement établie184. L’importance, pour la République, de régler le rapport entre l’homme et les biens s’affiche cependant en toute hypothèse, notamment dans sa « Confutation de la Républicque de Platon ».
Section II. Le droit des biens
78La redécouverte de Platon posait aux humanistes la question du communisme. À la faveur du crédit accordé à Cicéron et à d’autres auteurs classiques, à l’heure du retour aux textes bibliques, les propositions de la République et les thèses platoniciennes sur l’amour incitaient certains à rêver d’une société dans laquelle les hommes, réunis par un amour commun, ne connaîtraient plus de « tien » ni de « mien »185. Avec le développement de la Réforme protestante et les crises sociales, l’utilisation politique de ces thèmes n’avait pas tardé, amenant sans tarder les penseurs à porter un regard moins utopique sur la question. La Perrière était de ceux-là. Le rapport entre l’homme et les choses constitue à ses yeux l’un des problèmes essentiels de la morale et du politique. Son premier opuscule, dénonçant les « monopoles » des marchands condamnés par le parlement de Toulouse, comme sa traduction en langue vulgaire d’une homélie de saint Jean Chrysostome « pour inciter les cueurs des riches aux œuvres de misericorde et de charité » en témoignaient certainement186. Son Miroir Politique recèle quant à lui une très explicite « Confutation de la république de Platon »187. L’auteur y démontre la nécessité d’une appropriation privative des biens (I). Sans défendre pour autant un usage immodéré de celle-ci : l’idéal du moraliste en effet demeure la « mediocrité des biens » (II).
I. La légitime division des biens
79Faisant l’impasse sur le droit naturel primitif188, La Perrière observe pragmatiquement que l’homme a nécessairement besoin d’aliments, de maisons, de vêtements, aussi d’armes et de harnais pour se défendre189. La domination de l’homme sur les choses exprime à ses yeux non un principe naturel reflétant à la fois l’ordre des choses et celui des hommes, mais un principe fondé sur la seule prise en considération des besoins de ce dernier. Préfigurant le jusnaturalisme moderne centré sur les droits de l’homme190, il n’en estime pas moins que le droit de propriété reflète aussi la volonté divine (a), laquelle s’oppose au communisme autrefois prôné par Platon (b).
a. La propriété privée, ordonnance divine
80Sans faire référence à la nature déchue de l’homme, l’auteur affirme que la « legitime » division des biens est, comme la forme des mariages, « ordonnance de Dieu »191. Les droits divin et humain commandent en effet « qu’en la sueur (c’est-à-dire travail de nostre corps) nous mangeons le pain », comme l’a proclamé le Prophète royal, et comme l’a prouvé le propre exemple de saint Paul. L’Évangile ordonne d’obéir aux magistrats qui approuvent eux-mêmes la propriété privée, et le Décalogue de se contenter du sien sans dérober son prochain. La définition donnée du vol par les textes sacrés le confirme par ailleurs à ses yeux, puisqu’elle suppose, explique-t-il, l’approbation divine de l’appropriation privative des biens :
car si les biens estoyent tant à l’un qu’à l’autre, il n’y auroit point de larrecin, quand chacun y auroit part, et l’on ne peust desrober ce qui est sien, car larrecin est contractation de chose d’autruy, contre le vouloir d’icelluy auquel la chose appartient192.
81Ainsi Dieu a-t-il commandé que soit procédé au partage de la terre promise aux enfants d’Israël, prescrit l’assignation d’une portion limitée de terre à chaque tribu, et enjoint à chacune d’entre elles de se contenter « de ses bornes et limites »193.
82Sûr de son fait, La Perrière fait preuve dans sa démonstration d’une éloquence certaine. Mais il n’en demeure pas moins superficiel. Car si les Saintes Écritures peuvent en effet faire croire à l’origine divine de la propriété privative, notamment dans les extraits cités, elles peuvent tout aussi bien démontrer au contraire que le communisme a eu la préférence de Dieu. Certains passages du Lévitique expriment l’idée que les hommes ont simplement reçu l’usage des biens, de leur vivant. À ceux qui veulent atteindre la béatitude éternelle, les Évangiles enjoignent une vie de pauvreté, et la logique du christianisme entraîne d’elle-même l’idée d’une communion. Au vrai, l’Écriture se trouve fort ambiguë quant à la nature du rapport précis qui unit l’homme et les choses. C’est en vain que, pendant plus d’un millénaire, de savantes querelles ont tenté d’en résoudre les contradictions194. Évitant au fond de rentrer dans un si complexe débat, l’auteur du Miroir Politicque résumait donc sur la question l’opinion commune qui était aussi la sienne. La majorité de ses contemporains jugeait la communauté des biens tout aussi contre-nature que celle des femmes et enfants. La démonstration établie sur ce point par Aristote faisait figure d’autorité. Il s’y rallie sans ambages. Le Stagirite en effet l’a démontré, dit-il, la communauté des biens est inacceptable et s’avère de fait inacceptée. Elle ne saurait engendrer que maux et séditions populaires, considérant que
si les biens estoyent communs, s’ensuyvroit grans inconvenientz entre plusieurs autres, c’est qu’une infinie multitude de maraux, oysifz & negligens, nayz en ce monde tant seulement (comme dit Horace) pour devorer et consumer les biens de la terre sans vouloir travailler, se nourriroyent & vestiroyent du bien de ceux qui à grand sueur de leurs corps & vexation de leurs espritz gaignent journellement leur vie [… ]195.
83Cette thèse avait été au Moyen Âge largement diffusée par les œuvres de saint Thomas d’Aquin comme par le Décret de Gratien. Au xvie siècle, les théologiens de la seconde scolastique ne l’estimaient plus à même de constituer une argumentation irréfutable en faveur d’une division des domaines fondée directement sur le droit naturel et divin196. Et Thomas More avait montré sa vanité dans son Utopia197. La Perrière cependant ne prend ni la peine d’en approfondir les idées, ni celle de résoudre les contradictions résultant de leur confrontation avec ses propres dénonciations des méfaits engendrés par la propriété privée198. Privilégiant ici encore sa foi, et un certain pragmatisme, aux débats théoriques, il lui suffit pour clore la discussion de constater que la communauté des biens autrefois décrite par Platon, plus imaginaire que réelle, n’a jamais été mise en pratique,
comme par similitude nous pouvons dire de la Republicque sainte, que Thomas Morus descrit en son Utopie199.
b. « Confutation » de la propriété collective
84Comme les humanistes italiens et comme Bodin, l’auteur du Miroir Politicque se refuse à accorder quelque crédit à des systèmes philosophiques purement théoriques. Dans une même condamnation, il rejette les « resveries » de Platon et de More200. Ces œuvres certes n’étaient pas seules à mettre en avant la propriété collective. Plusieurs écrits d’Érasme notamment contenaient de fervents passages en faveur d’un communisme auquel conduisait, selon le maître, l’amitié entre les hommes201. Mais Platon et More avaient été les seuls à rêver aussi concrètement à la réalisation d’une organisation communautaire, et tant que les lecteurs n’appréciaient pas la portée utopique de leurs œuvres, ces dernières se trouvaient unanimement condamnées202.
85L’Utopia avait très rapidement fait parler d’elle. En France, son succès avait déjà justifié l’existence de plusieurs impressions lorsque Charles L’Angelier donna la première édition française de 1550, avant même la première traduction anglaise. Le texte cependant était pris à la lettre : pour les lecteurs, le chancelier anglais proposait un modèle à suivre203. Certains se montraient donc prêts à en discuter les enseignements. Dans l’ancienne lettre adressée à Thomas Lupset qui introduit l’édition L’Angelier, Budé considérait ainsi que cette histoire devait être « de nostre aage et à noz sucesseurs, comme une pepiniere d’elegantes institutions desquelles ilz pourront tyrer meurs pour retenir et accorder chascun en sa cité ». Assimilant Utopie à la cité sainte mentionnée dans l’Apocalypse (Hagnopolis) et suggérant que l’île était hors du temps et du monde des hommes, il faisait l’éloge du mépris de l’or et de l’argent, du constant amour de la paix et surtout de « l’équalité de biens » y régnant204. Ces thèmes étaient chers à More. Le chancelier avait conclu son œuvre par un constat qui lui coûtait : celui de l’impossibilité d’abolir la propriété privée dans le monde contemporain, en raison de l’attachement de ses pairs aux distinctions sociales liées à la noblesse et à la « splendeur ». Contraint par la nécessité de respecter sur ces points la « commune opinion », il renonçait à regret à un communisme dans lequel il voyait, en réalité, le seul moyen de parvenir à la communauté idéale205.
86La Perrière ne partageait pas ces vues. S’il avait pris conscience du caractère délibérément utopique de l’œuvre et des raisons qui amenaient l’auteur à une telle conclusion, il se refusait par principe à considérer que la communauté de biens pouvait être bénéfique à l’homme et que d’aucuns avaient pu croire légitimement en sa valeur. Dans sa volonté d’en faire la démonstration, il fait fi de tous les arguments contraires. Fustigeant à deux reprises l’erreur des Nicolaïtes206, il ne fait point référence aux premières communautés chrétiennes qui, s’efforçant de suivre l’idéal de pauvreté inscrit dans les Saintes Écritures, avaient mis en pratique certains préceptes communautaires207. L’allusion voilée au drame de Munster suggère que la malheureuse expérience anabaptiste n’était pas pour peu dans le traitement sec et emporté qu’il fait de la question. Avait-il vu un risque potentiel dans les utopies de Platon ou de More ? L’Utopia avait été traduite en allemand dès 1524208 et peut-être un lien de cause à effet avait-il été relevé entre l’œuvre et les troubles contemporains. Cette hypothèse pourrait ainsi justifier la présence dans le Miroir Politicque de la très explicite Confutation des thèses communautaristes :
D’autant (lecteur) que la plus pernicieuse peste, que puisse onq survenir à un corps Politicq, est sedition et mutination entre les cytadins (pour eviter lesquelles avons estendu les nerfz de nostre debile et foyble engin à commenter les Arbres precedens) et que la Republicque Platonicque (laquelle Platon attribue à Socratés) donnoit occasion d’esmouvoir sedition pour la communité des biens, femmes et enfans, plus que toute autre, avons icy inséré ce que s’ensuit209.
87Son développement se conclut en effet par la condamnation très nette de ceux qui avaient tenté de mettre en pratique cette erreur, lesquels
perturbateurs de la tranquillité publicque doivent estre exterminés (comme membres pourris) du corps politicque, car en voulant changer la façon de vivre par tant de siecles observée, ne taschent qu’à esmouvoir sedition aux cités, et faire revolter les vassaux contre les princes, et le rude et mutin populaire contre les magistrats, et n’est autre le but de leur visée210.
88Absolument convaincu de la nécessité de l’appropriation privative des biens, La Perrière pour autant ne se montre guère certain de ses vertus. À l’accumulation néfaste des richesses, c’est une juste « médiocrité des biens » qu’il préfère.
II. La « médiocrité des biens »
89S’il ne considère pas la propriété comme une nécessité introduite dans le monde « per iniquitatem », selon la formule du pape Clément reprise par les Pères de l’Église, l’humaniste n’ignore pas quelles conséquences injustes et dangereuses elle peut avoir. La propriété en effet s’accompagne de richesse ; son absence est synonyme de pauvreté. Il y a là deux extrémités dangereuses contre lesquelles la République doit se prémunir (a). Favorable pour cela à la charité et même semble-t-il à l’ostracisme, l’auteur du Miroir Politicque met en avant la nécessaire « médiocrité » des biens (b).
a. Pauvreté et richesse : deux extrémités dangereuses
90Comme les chroniques des Annales manuscrites de Toulouse, le Miroir Politicque fait l’éloge de pauvreté. Lecteur de Diogène Laërce, La Perrière y note que pauvreté a été « suivie » par les grands philosophes grecs Démocrite, Cratès, Épicure, Zénon ou Diogène. Les histoires romaines lui fournissent en outre les mémorables exemples des illustres Serenus, Attilius ou Cincinnatus vivant de labourage, de l’empereur Fabrice mangeant en des écuelles de terre, du sénateur Aemilius Scaurus, de Paulus triomphant de Persée, de Gneus Scipion, Menenius Agrippa ou Publicola. Stigmatisant les comportements scandaleux des Vitellius, Lucullus, Caligula, Héliogabale, Marc Antoine ou Cléopâtre, ayant cédé au luxe, à la voracité et aux festins, il donne à cette pauvreté qu’il tend à confondre avec l’humilité, indéniablement, des airs de vertu211.
91Mais autour de lui, à Toulouse comme ailleurs, le problème de la pauvreté se posait avec acuité. Le paupérisme des classes paysannes s’était accru au xvie siècle, rendu plus aigu encore par de nombreuses épidémies et sécheresses212. La municipalité toulousaine prenait en charge ses pauvres ; employant ceux qui étaient valides, donnant aux autres des aumônes en nature ou en espèces, elle autorisait les invalides à mendier. Mais en 1533, les pauvres malades étaient si nombreux dans la ville qu’il devint difficile de les nourrir. Les capitouls ordonnèrent que ceux qui n’y vivaient pas depuis trois ans ou plus n’y pourraient rester. Ces mesures s’avérèrent inefficaces. Espérant trouver secours dans la cité, les miséreux continuèrent de s’amasser dans ses faubourgs, et l’an 1539-1540, les capitouls réitérèrent sans succès les mesures prises en 1534213. Achevée à l’issue de l’année capitulaire, la Chronique 216 se fait l’écho de cette terrible actualité. La Perrière y dénonce les stratagèmes dont usent alors certains valides, aptes au travail, pour soutirer aux chalands l’argent nécessaire aux véritables indigents identifiés aux pauvres, vieux, malades ou impotents214. Contrairement à Platon et à certains de ses contemporains, notamment protestants, il ne condamne pas la mendicité en soi, sachant que d’aucuns y sont réduits par la Fortune215. Mais à l’instar des promoteurs du programme lyonnais d’assistance aux pauvres Jean de Vauzelles et Symphorien Champier, il n’ignore pas que la pauvreté engendre de graves séditions, car comme il l’indique à ses lecteurs :
une communité famelicque ne peult durer et que n’est chose que plustost incite les citoyens à sedition et tumulte que fait famine. Car quant le peuple d’une cité est affamé, il se desespere et se hazarde de destruire les plus riches et plus opulentz citoiens pour avoir des vivres. Pour aultant fust dict par le commung adage des anciens que le ventre n’a point d’oreilles […]. Est-il chose plus perilleuse qu’ung peuple affamé lequel par droitz divins ou humains, par magistratz, armes, loix ou par honte ne peult estre refrené ?216
92Il invite donc les pauvres à supporter avec constance les infortunes de la vie. La vraie richesse, écrit-il, est celle de la vertu. Chacun doit espérer en un sort qui peut lui être bientôt plus favorable. Pauvreté n’est pas calamité, enseigne justement saint Augustin :
Ne te desplaise pas de ta pauvreté, d’aultant que tu ne pourrois en ce monde posseder chose plus riche. N’est elle pas bien riche quand pour icelle l’on achapte les cieulx ?217
93Parallèlement, il exhorte les riches à ne point mépriser les pauvres ou infimes. Eux-mêmes ne sont pas à l’abri d’un revers de fortune. L’image employée par Démosthène, d’un homme qui, se croyant assuré de fortune, banquette alors que sa maison disparaît dans les flammes, l’expose avec clarté. Un « emblème » inventé et expliqué de vers latins par l’auteur vient en outre illustrer l’idée dans le Miroir Politicque. Un homme y tient « Fortune prospère » en une main, un serpent aquatique en l’autre, signifiant que l’un et l’autre s’échappent quand on croit les serrer au plus près218. Aux riches donc de ne point trop s’enorgueillir de richesses qui pourraient s’avérer passagères.
94Gardant par ailleurs à l’esprit une citation de saint Grégoire, assurant que « nous pouvons vrayement appeler richesses celles qui nous enrichissent de vertu et non autrement », La Perrière estime qu’il faut distinguer avec Aristote deux types de richesses, les naturelles et les artificielles :
Natureles sont possessoire de champs, vignes, fourestz, prez, & semblables. Les artificielles sont pecune or & argent, tapisseries & autres meubles & utensilles de maison219.
95Les richesses naturelles, convient-il, n’ont pas à être réprouvées. Abraham, Loth, Job et Jacob ont su se montrer à la fois riches, saints et justes ; Platon et Aristote abondants sans que leur réputation n’en soit jamais flétrie220. Les richesses artificielles en revanche sont plus dangereuses. Un emblème de la Morosophie évoque les grands hasards engendrés par la possession d’or pour ceux qui ne sont ni braves ni courageux221. Le Miroir Politicque mentionne une épigramme de Pallades disant que l’or est « fils de douleur & de cure. Et qui ne la veit en grosse misere, & qui là le garde & possede en grosse crainte & sollicitude »222. Virgile, Tibulle, Properce, Horace, Juvénal « et toute la tourbe poëticque » ont aussi stigmatisé l’or comme étant la source et fontaine de tous maux. Ovide l’appelait
irritement de tous maulx […]. Et sy est-ce que on les acquiert à grand labeur, l’on les garde en grand crainte et l’on les pert en grand desespoir223.
96Perpétuel mécontent, l’homme sombre bien souvent dans le désir inassouvissable de l’accumulation des biens, des voluptés et des honneurs. Il se laisse entraîner dans de damnables tentations : la poursuite des richesses et l’avarice224. L’entière société civile peut s’en trouver déstabilisée, tant par voie externe, car les richesses des Républiques excitent la convoitise des voisins225, que par voie interne, car,
c’est convoytise qui commet les sacrileges et larrecins, qui exerce les rapines, qui dresse les batailles, qui perpetre les homicides, qui vend les benefices, qui fait les scismes, qui retarde le concile, qui dissimule les abuz, qui iniquement demande et deshonnestement reçoit, qui injustement tracasse, qui dissout les pactes, qui viole les juremens, qui corromp tous tesmoignages, qui pervertist les jugemens, et qui finalement confond tous droitz tant divins comme humains. Ô feu inextinguible ? Ô cupidité insatiable ? Ô gouffre qui ne se peut combler ? Se trouveroit-il homme en ceste valée de misère, qui fust content à son souhait ? Quand nous avons ce que nous souhaitons nous en desirons d’advantage : nous ne constituons jamais la fin en ce que nous avons, ains en ce que nous pretendons avoir, car (comme dit le poëte), tant comme croist la pecune, tant croist l’amour & convoytise d’ycelle226.
97Au-delà de cet apocalyptique portrait des méfaits potentiellement engendrés par la convoitise humaine, La Perrière sait bien que la nature humaine comme les exigences de la vie politique sont contraires à un idéal purement contemplatif, possible seulement « si nostre Esprit est ravy en la consideration des choses celestes »227. Aussi n’hésite-t-il pas à mettre en avant le rôle joué par ces richesses sur la scène politique. Bien que « plus artificiel que naturel », l’usage de pécune peut en effet se révéler non seulement utile, mais aussi nécessaire à la « communication politicque ». Il peut constituer le seul moyen pour défendre la liberté. Constatant le grand nombre de fraudes concernant la monnaie, la Chronique 225 prône ainsi le respect des espèces monétaires en circulation dans la République. Révélant que les goûts personnels de l’emblématiste pour la numismatique avaient peut-être plus à voir avec les questions juridiques que l’on aurait pu le supposer, le texte rappelle avec Cassiodore et Oresme l’histoire des monnaies228. L’auteur sait leur utilité manifeste. Le Miroir politicque le certifie quant à lui en s’appuyant sur un passage de saint Jean Chrysostome à salvie :
tout ainsi que pauvreté ne fait le pauvre plus meritoire s’il ne la prend patiemment, semblablement les richesses ne nuisent pas aux riches, s’ilz n’abusent d’icelles […]. Saint Ambroise dit sur ce propos que les richesses sont dites injustes. Non mye que l’or et l’argent soyent injustes : mais c’est pour autant que c’est chose injuste d’appeler richesse celle qui n’oste la pauvreté d’avarice. Ô bon Dieu ! Quelle sentence ? Digne (comme dit Job) d’estre exarée à poincte de fer ou lamine de plomb229.
98Jugeant comme Platon que richesse et pauvreté constituent « les anciennes pestes des Républiques », mais ayant rejeté toute possibilité de mise en commun comme toute éventuelle répartition des biens230, La Perrière n’en a pas moins à faire face aux problèmes posés par leur inégale répartition231. Aux riches comme aux pauvres, il prêche donc une forme de détachement. L’essentiel demeure à ses yeux la vertu individuelle, l’absence d’avarice et la pratique de la charité. Sous peine de remettre en question la présence du riche avare au sein de la société.
b. La charité et l’ostracisme
99Chacun se doit comporter à l’égard des richesses en fonction de sa fortune, au regard « de la qualité de son estat » enseigne le Miroir Politicque232. Chez un « paovre mesnager pour sa tenuité », ou chez des gens de moyen et bas état « riches d’enfans & paovres de biens temporelz, ce que advient le plus souvent », la vertu de parcimonie ou d’épargne est « supportable », car elle seule permet quelque enrichissement. Avec la fortune financière ou la position sociale de l’individu, se développe un impérieux devoir de charité dont la loi divine, les exemples donnés par Abraham, Loth et Thobie, le témoignage de l’oracle d’Apollon, la mythologie avec Ulysse, Hercule, Saturne et Enée, comme enfin les Pères de l’Église donnent maints exemples233. S’en référant à Platon et Aristote, l’auteur du Miroir Politicque en appelle à ses lecteurs :
Si avarice est reprouvée (comme damnable) en toute condition de gens, ne sera elle pas en tout Prince Roy ou gouverneur politicque meritoirement execrable ?234
100Saint Jean Chrysostome avait eu sous les yeux, à Antioche comme à Constantinople, le contraste d’une insolente richesse et d’une extrême misère. À des auditeurs circonspects, il avait prêché le devoir de l’aumône avec une ferveur inégalée235. Dans un contexte similaire, au xvie siècle, La Perrière faisait la leçon aux marchands toulousains ayant usé de monopoles pour s’enrichir au détriment des miséreux236. S’accordant en cela avec le rôle joué par le Parlement en matière de police économique237, il usait de sa tribune d’historiographe pour remontrer aux capitouls quel devoir fondamental constituait la charité. Reprenant un thème cher à Cicéron comme à More238, ses chroniques répétent à l’envi combien les magistrats doivent s’assurer que la cité soit abondante en biens, et combien il relève de leur devoir de pourvoir à l’alimentation des pauvres239. Quelques-unes le montrent satisfait des réalisations capitulaires. Ainsi la Chronique 216, faisant suite aux difficultés de 1539240, félicite-t-elle les magistrats d’avoir pourvu à l’urgence de la situation en toute humanité, en nourrissant les pauvres tout en prenant les mesures nécessaires pour éviter une amplification du problème241. Mais cette satisfaction semble-t-il fut de courte durée. Dans les chroniques suivantes, une comparaison aussi flatteuse qu’habile remémore aux seigneurs du Capitole, représentant « l’ymaige du Senat romain », l’annone publique grâce à laquelle leurs prédécesseurs pourvoyaient aux mêmes troubles242. S’appuyant sur Varron, Cicéron, Tite-Live et sur les « jurisconsultes », l’humaniste explique le fonctionnement de l’institution aux capitouls : les « prefectz » de l’annone étaient chargés de pourvoir la cité en victuailles comme de surveiller que les prix demeurent raisonnables afin que les vivandiers et vendeurs ne fissent rançonner les acheteurs. Il ajoute qu’il convient en outre à des magistrats de donner bon ordre aux hôpitaux destinés aux pauvres. Son insistance le suggère : le programme d’assistance mis en place à Toulouse n’était guère efficace. Beaucoup restait à faire. Satisfait en 1540 d’un règlement dont il affirmait avec flagornerie qu’il ouvrirait le chemin de la vie éternelle aux capitouls, La Perrière ne pouvait que constater l’augmentation du nombre de pauvres dans la cité, l’inadaptation du traitement proposé au cas par cas par les capitouls comme les réticences des citoyens à faire montre de générosité. En 1551, « pour inciter les cueurs des riches aux œuvres de misericorde et de charité », il publie en « vulgaire françois » une homélie de saint Jean Chrysostome243, mais il n’est pas certain que cela fut d’une grande efficacité. Quelques temps plus tard, en effet, ayant grossi les rangs de ces pauvres qu’il exhortait à la constance, lui-même et son frère Jean, malades « vergohans », étaient contraints de faire appel aux aumônes particulières des capitouls244.
101C’est donc un auteur particulièrement conscient des problèmes politiques posés par le paupérisme que révèle le Miroir Politicque. Jugeant fort dangereux le creusement d’un fossé entre les riches et les pauvres, celui-ci craint la superbe des uns et la révolte des autres. Des plus méfiants face à l’accumulation des biens, il condamne ses conséquences, l’arrogance et l’insatiabilité des possédants, l’admiration des miséreux. Il voit là le processus avant-coureur du phénomène de clientélisme aboutissant à l’oppression des infimes par les riches. Incités à « occuper la tyrannie sur la cité », ces derniers peuvent en effet parvenir à « suffoquer la liberté populaire »,
car opulence & richesse sont tousjours accompaignées de faveur, & mesmement du populaire, qui estime possession de richesses estre souverain bien, combien que la verité soit au contraire245.
102À l’inverse, il n’est pas exclu que les pauvres ne se révoltent pour modifier l’« estat » de la cité :
Quand l’on verroit un homme qui eust le néz plus grand que le pied, l’on le reputeroit monstrueux, & mal proportionné. Semblablement, quand les uns citoyens excedent les autres en richesses, outre deüe proportion, le corps politique se rend monstrueux et ne peut longuement durer sans dangier de sedition, & consequemment de changement ou ruyne. Pour eviter la sedition qui pourroit advenir par la inequalité des citoyens & y remedier [...]246.
103Pour remédier à ces deux extrémités, l’unique médecine convenable à ses yeux paraît être celle jadis prescrite dans les anciennes cités grecques, notamment à Athènes : l’ostracisme, relégation ou exil des citoyens « plus riches & favoriz ». La règle était sévère : décrété par le suffrage du peuple, l’ostracisme pouvait avoir lieu contre ceux qui n’étaient coupables d’aucun forfait, ni public, ni privé ; le seul soupçon d’avoir pu, potentiellement, instaurer une tyrannie légitimait l’exil247. La Perrière trouve le système efficace. Ignorant ses imperfections, dénoncées par Machiavel et Bodin248, il estime que celui-ci a permis d’instaurer la médiocrité des biens et de maintenir l’équilibre politique en Grèce. Une fable l’illustre. Tirée de la Politique d’Aristote ou des Vies de Plutarque sinon du récit original d’Hérodote249, elle relate comment le roi d’Athènes Thrasybule, inquiet d’observer la montée en puissance de certains citoyens, prit conseil auprès du philosophe Périandre, l’un des sept sages de Grèce, lequel répondit au messager du roi par un « signe enigmatique », l’ayant amené
en un champ de bled prest à moyssonner, & devant icelluy couppa tous les espitz qui estoyent plus eminens & qui levoyent plus la teste que les autres250.
104« Comme prudent et sage », le roi sut interpréter le symbole ; La Perrière également, qui l’explicite à ses lecteurs, considérant
que par les espitz surpassans les autres, Periander vouloit entendre les citoyens qui surpassoyent les autres en richesses ou faveur, & par ce qu’il les avoit couppeé & applané le bled, il entendoit qu’il devoit oster de sa Republicque les plus riches citoyens, & reduire sa cité en equalité251.
105L’humaniste entendait-il prôner l’instauration de telles pratiques ? Difficile à dire. Sans doute espérait-il que les lecteurs du Miroir Politicque sauraient tirer profit de cette leçon. Inspiré d’une tragédie d’Aristophane, il les invite à veiller préventivement à ce qu’aucun excès ou surcroissance ne vienne troubler la tranquillité de la République. Puis, faisant intervenir des considérations sociales là où jusqu’alors il n’a parlé que finances, il les avertit avec Périclès des dangers qu’il y aurait à « nourrir le lion en leurs cités », assurant
qu’il faut corriger les jeunes enfans des nobles & riches maisons de la cité de leurs insolences, ce pendant qu’ilz sont petis lyons (c’est à dire qu’ilz sont en adolescence) autrement il seront intollerables en leur virilité, & leur faudra obeir par force, comme au lyon quand l’on l’aura nourry jusques à ce qu’il soit devenu grand, duquel necessairement faudra souffrir252.
106L’idéal horacien et aristotélicien de la « médiocrité de biens » constitue à ses yeux la seule solution permettant de satisfaire les besoins personnels des hommes tout en leur évitant de sombrer dans le désir inassouvissable de l’accumulation des richesses. Seul moyen d’obvier aux perturbations politiques multiples que ce délicat rapport de l’homme aux biens pose à la République, il constitue le cinquième remède pour éviter les séditions, vu que
Mediocrité ha esté tant estimée, que le docte poëte Horace l’appelle dorée, pour raison que comme l’or surpasse toutes choses terrestres en richesse, semblablement mediocrité surmonte toutes en asseurance, comme excez est à l’opposite mal asseuré & dangereux à desbranler253.
107Aux deux types de citoyens distingués par le droit romain et la législation canonique s’ajoute alors une troisième catégorie, les médiocres, intermédiaires entre les « divites personae » et les « miserabiles personae » ou « pauperes »254. Revenant mentalement à la métaphore organique du corps politique et invoquant le commun consentement de tous médecins grecs, arabes et latins sur la question, c’est à un éloge de la médiocrité en médecine que se livre l’auteur. Et c’est par une allusion comminatoire au destin connu par Phaéton et Icare, n’ayant voulu observer « médiocrité », qu’il conclut255, avant de se livrer à un éloge de la timocratie, ainsi qu’à celui du modèle vénitien fondé notamment sur la « médiocrité » des citoyens de la Sérénissime256.
Conclusion
108Paradoxalement mais très classiquement, La Perrière voit dans la propriété privée à la fois une institution divine légitime et la cause même des malheurs de l’homme257. La difficulté de glisser de la croyance en un communisme primitif d’avant la Chute à celle de la division des propriétés avait opposé deux traditions. L’une faisait dériver la propriété d’un ordre naturel des choses. L’autre la faisait dériver de l’autorité politique. Toutes deux s’accordaient à voir dans le jus gentium la source même de la distribution de la propriété privée. Les auteurs en déduisaient que c’était l’autorité politique suprême qui était le fondement réel de cette dernière258. Pour faire du roi le titulaire de ce droit, il n’y avait qu’un pas, franchi aisément par ceux qui s’intéressaient à la question de la féodalité259 ou se penchaient sur le droit romain260. La Perrière reste en deçà. Prônant un interventionnisme marqué dans la sphère de la propriété privée, il ne reconnaît pas à la République ou à son gouvernement d’autre titre pour cela que l’utilité publique. Inquiet de l’inflation des impositions royales261, conscient des risques subséquents de révolte, il omet d’indiquer quelles limites doivent être fixées à cette immixtion.
109Il lui est aisé de rappeler que le droit de propriété est naturel, nécessaire à l’homme comme à la République et qu’il le faut respecter, que les pauvres doivent accepter leur misère, les riches éviter toute arrogance ou velléité de puissance tyrannique pour élargir aux plus démunis le cornet d’abondance qui leur a été ouvert. Il lui est tout aussi aisé d’insister auprès des magistrats sur la nécessité de pourvoir à l’alimentation de tous et sur celle de couper court à tout risque de déviation du régime de la République. Mais il eut été utile de définir pour tout cela des règles précises. Quelles mesures pour contraindre les riches à un devoir de charité qu’ils n’observent pas d’eux-mêmes ? Quel impôt pour subvenir à la nourriture des pauvres ?262 Quelles limitations à la fortune de ceux dont la richesse se fait par trop ostentatoire ou aux abus de ceux qui utilisent leur position favorisée pour menacer l’équilibre même de la République ? L’auteur du Miroir Politicque n’apporte hélas aucune réponse concrète. Il choisit d’étayer ses raisonnements non à l’aide d’un droit savant qui eût pu lui fournir des techniques précises, mais à l’aide de fables morales. L’évocation de la loi de l’annone, bien que fréquente sous sa plume, demeure l’une des rares concessions faite ici au jus civile. Évoquant la question du droit de propriété, La Perrière paraît avoir oublié tout son droit romain. Ce sont les grands principes moraux guidant le droit de propriété qu’il s’attache à révéler, en suivant les préceptes qu’il lit dans les Saintes Écritures.
Conclusion du chapitre III
110C’est dans la Bible que La Perrière trouve les justifications de principe légitimant sa vision du droit matrimonial et sa conception du droit des biens. C’est dans la Bible qu’il découvre les lois régissant le couple et la propriété263. Faisant écho au retour en force de l’augustinisme politique le plus intransigeant comme aux thèses développées par les juristes réformés, il nie toute indépendance à un droit positif dont il fait le pâle reflet des préceptes divins264. Dans une sorte de naïveté, il entend donner à la société politique un fondement juridique minimal, tiré de l’Évangile, et se cantonne à donner à ses lecteurs une vision du droit limitée à quelques principes généraux. Il s’attache à découvrir un droit sacralisé, qui permet, sinon d’apporter un règlement précis aux problèmes rencontrés, du moins de guider les magistrats vers une solution correspondant à l’éthique.
111Ce droit qu’il déduit des Saintes Écritures se trouve illustré dans ses œuvres par de nombreuses histoires et fables tirées de ses lectures. Tandis que l’histoire romaine éclaire sa vision du mariage, l’histoire grecque et les fables corroborent sa conception du droit de propriété. Le droit romain, en revanche, n’est que peu allégué. Bien sûr, correspondant aux prescriptions naturelles et divines prohibant l’adultère, la lex julia de adulteriis se trouve ici ou là mentionnée. Pour avoir institutionnalisé un impérieux devoir de charité, l’annone romaine est donnée en exemple. Allégeance est aussi faite aux lois romaines ayant su mettre bon ordre à la superbe vestimentaire des époux. Mais les lois somptuaires athéniennes ou vénitiennes sont elles aussi mises en avant. L’humaniste semble avoir pris acte du relativisme attaché au droit positif. Comme Aristote, comme Oresme et s’accordant en cela avec Bodin, il constate de grandes différences dans la façon de vivre des peuples265. Reconnaissant que les Romains « à toutes nations ont esté formulaire de vertu », il place son propos dans le passé266. Pour lui comme pour Du Moulin, le droit romain n’est déjà plus le jus commune applicable267. Ne reconnaît-il au droit en vigueur en France qu’une même relativité ? Car il faut le constater : il fait de ce dernier si peu de cas qu’il semble que celui-ci ne possède à ses yeux aucune lettre de noblesse, ni sous sa forme coutumière, ni sous sa forme législative. Il ne prête aucune attention à la jurisprudence des parlements268. À ses yeux, le droit doit avant tout refléter la nature de l’homme. Et celle-ci, née et façonnée par la volonté divine, est une. Tout à fait incapable d’envisager le mariage hors de la vision qu’en donnait saint Paul aux premiers siècles du christianisme, il ne peut imaginer que la question de la propriété reçoive une autre solution que celle qu’il lit dans les Saintes Écritures. Au-delà de la nécessaire adaptation des hommes dans un milieu naturel spécifique, nécessitant certains aménagements, le droit constitue pour lui une réalité universelle et intemporelle.
112Premier critère fondamental de la bonne République, le droit se présente comme le reflet de l’ordonnancement conféré par Dieu au monde269. Prenant acte de la maxime aristotélicienne selon laquelle « l’art imite la nature », le droit romain en avait déduit que le droit était un ars. Suivant la formule du jurisconsulte Paul, les médiévaux avaient considéré le droit comme une « notion souple et adjectivale, juste, dikaion, l’id quod justum est », un produit doctrinal, jurisprudentiel. Saint Thomas y voyait une valeur à poursuivre inlassablement, la solution que nous cherchons, inconnue d’avance, résultant de « la nature des choses changeantes »270. Se positionnant au rebours des positions des Prudents et des Bartolistes, La Perrière en fait un savoir immuable, ne relevant pas des affaires humaines.
113Inspiré d’un stoïcisme rénové, qui, via Cicéron puis Érasme, entendait débarrasser le droit de sa technicité et de ses obscurités, il s’attache à révéler les grands principes moraux conformes à la nature de l’homme raisonnable271. Préfigurant ainsi certains penseurs systématiques de la seconde moitié du siècle, il se trouve, déjà, sur la voie des droits subjectifs et peut-être, du rationalisme juridique. Pour lui, le droit ne prend plus naissance dans les faits (jus ex facto oritur), ni ne réside plus dans la solution juste (jus, id quod justum est), mais dans une certaine conception de la loi et de la justice272.
Notes de bas de page
1 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 93-97.
2 Platon, La République, V, 464 b sq., dans Œuvres complètes, I, 1950, p. 1039 sq.
3 Au Moyen Âge, Platon était connu seulement pour certains de ses topoï, comme l’image du vaisseau de l’État laissé sans pilote dans la tempête. C’est Marsile Ficin qui permit de redécouvrir véritablement ses œuvres. R. Lebegue, « La Politique de Platon et la Renaissance » ; Id., « Le platonisme en France au xvie siècle », dans Actes du congrès de Tours et Poitiers, 1953, p. 343-351 ; J. Poujol, L’évolution et l’influence, p. 23-25 ; C. B. Schmitt, « Platon dans les universités du xvie siècle » et J. Ceard, « Le modèle de la République de Platon et la pensée politique au xvie siècle », dans Platon et Aristote à la Renaissance, p. 175-190.
4 Robert Breton (Optimo Statu Reipublicae liber, Paris, 1543, p. 9) est cité par J. Poujol, ibidem, p. 269 ; Pierre de Ronsard, Marguerite de Navarre ou Barthélemy Aneau sont évoqués par J. Ceard, ibidem, p. 179 et 187 ; Id., « La fortune de l’Utopie », p. 53 ; Voir également M.-F. Renoux-Zagame, Origines théologiques du concept moderne de propriété, Genève, 1986, p. 265 ; L. Le Roy, De l’origine, p. 31-32 ; J. Bodin, Les six livres, I, 1, p. 31 : « nous ne voulons pas aussi figurer une Republique en Idée sans effect, telle que Platon, et Thomas Le More chancelier d’Angleterre ont imaginé, mais nous contenterons de suyvre les reigles Politiques au plus pres qu’il sera possible ».
5 Aux alentours de 1530, la pensée politique florentine s’élèva contre les Républiques imaginaires et les considérations politiques dénuées de pragmatisme. Guichardin, Antonio Brucioli, Donato Giannotti partageaient les mêmes sentiments que Machiavel, dont la profession de foi est en l’espèce la plus célèbre : « Mais, mon intention étant d’écrire des choses utiles à qui les écoute, il m’a semblé plus pertinent de suivre la vérité effective des choses que l’idée que l’on s’en fait. Nombreux sont ceux qui se sont imaginé des républiques et des monarchies dont l’on n’a jamais vu ni su qu’elles aient vraiment existé. Car il y a si loin entre la manière dont on vit et la manière dont on devrait vivre [...] ». N. Machiavel, Le prince, xv, dans Œuvres, p. 148 ; Histoire de la pensée politique moderne, p. 58.
6 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 94. L’auteur n’ignore cependant pas les Lois, auxquelles il se réfère en évoquant les magistrats raccommodant les couples (Lois, xi, 930), ou les condamnations prononcées contre ceux qui ne se voulaient marier (VI, 784), ibidem, p. 141, 124.
7 Aristote, La Politique, II, 1-5, p. 83-106 ; G. de La Perriere, ibidem, p. 93.
8 G. de La Perriere, ibidem, p. 96 et 93.
9 Plusieurs réformateurs et anabaptistes prônaient le communisme. Müntzer, nommé pasteur à Allstoedt, avait prêché qu’aussitôt le droit divin restauré, toutes choses seraient communes, « le travail comme les biens », répartis à chacun selon ses besoins et selon les circonstances. Après sa mort, Denk et Sattler avait fait renaître l’anabaptisme à Zurich, prônant l’amour fraternel et la loi divine en constituant une communauté de mécontents. Aux Pays-Bas, dans toute la basse vallée du Rhin, Melchior Hoffman avait fondé des communautés pratiquant une forme de communisme (Liège, Maëstricht, Aix-la-Chapelle). Après son emprisonnement, Jean Mathis puis Jean de Leyde l’avaient relayé. Dans les villes de Lubeck, Soest, Osnabruck, Lungo, Minden, Brême et Dantzig, des mouvements analogues se développaient, et Münster devint le refuge de tous les anabaptistes. Leyde soumit la ville au gouvernement de douze « apôtres », et « tout ce que l’Écriture ordonnait ou défendait devait être la règle absolue pour le ressortissant de la nouvelle Jérusalem ». Une étonnante expérience de communisme se réalisa là. Tous les biens avaient été réunis. Tous portaient les mêmes vêtements et prenaient leurs repas en commun. L’expérience dura un an, jusqu’à ce que les troupes de l’évêque s’emparent de la ville. Elle était condamnée par Luther comme par Calvin dont le premier livre, en 1534, condamne les anabaptistes. G. de LAGARDE, Recherches sur l’esprit politique, p. 109-113 ; Anabaptismes. De l’exclusion à la reconnaissance. Journée d’étude du 17 mars 2001 à l’Institut protestant de théologie, dir. C. Dejeumont, B. Roussel, BSHPF, 148 (janvier-mars 2002) ; Bèze les condamnait encore en 1575. T. de Beze, Du droit des magistrats, p. 12.
10 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 93.
11 Ibidem, p. 94. Ceci implique la soumission des citoyens à l’ordre politique et social, comme chez Luther, J. Ride, « Guerre juste et guerre injuste selon Martin Luther », dans Le juste et l’injuste à la Renaissance et à l’âge classique. Actes du colloque international tenu à Saint-Étienne du 21 au 23 avril 1983, dir. C. Lauvergnat et B. Yon, Saint-Étienne, 1986, p. 55 note 35. Voir infra, p. 307 sq.
12 Platon, Les Lois, IV, 720 a, dans Œuvres complètes, II, p. 770.
13 En témoignent les œuvres de Barbaro (dont le De re uxoria est publié à Paris par les soins de Tiraqueau), Bruni, Alberti, Campano, Barzizza, et même Patrizi (Livre tres fructueux, IV, iii-iv) ; C. Bruschi, « Essai sur un jeu de miroir : Famille/État dans l’histoire des idées politiques », dans L’État, la Révolution française et l’Italie. Actes du colloque de Milan, 14- 16 septembre 1989, Aix-Marseille, 1990, p. 49-65 ; Histoire de la pensée politique moderne, p. 19-20.
14 Citons entre toutes les contributions de Tiraqueau (De legibus connubialibus, 1513, rééd. augm. en 1515, 1524 – avec des vers de Rabelais – et 1546), Érasme (Encomium matrimonii, 1518 ; De conscribendis epistolis, 1522, ch. 48, traduit notamment en 1525 par Louis de Berquin), Nevizzano (Sylvae nuptialis libri sex, Paris, 1521, 1526 et 1572), Vives (De institutione foeminae christianae, 1524 ; De ratione studii puerilis, 1529 et De officio mariti, 1529), Nettesheim (De Sacramento matrimonii, 1526), Érasme (Institutio matrimonii christiani, 1526), également Guevara (Libro llamado relox de principes […], livre II, 1529). Sur les publications germaniques, M. Stolleis, Histoire du droit public en Allemagne, p. 510. Sur les rééditions Du gouvernement en mariage de Plutarque, R. Aulotte, Amyot et Plutarque, p. 55 sq.
15 En témoignent les œuvres de Marguerite de Navarre et de Madame de Lafayette comme les études modernes. A. Lefranc, « Le Tiers Livre du Pantagruel et la Querelle des femmes », RER, 2 (1904), p. 1-10, 78-109 ; N. Zemon-Davis, Les cultures du peuple. Rituels, savoirs et résistances au xvie siècle, Paris, 1979, p. 212 ; J. Dupaquier, Histoire de la population française de la Renaissance à 1789, Paris, 1988, p. 294 sq. ; S. Hanley, « Engendering the State : Family Formation and State Building in Early Modern France », French Historical Studies, 16 (1989), p. 4-27 ; R. Descimon, « La haute noblesse parlementaire parisienne : la reproduction d’une aristocratie d’État au xvie et xviie siècles », dans L’État et les aristocraties, p. 357-385 ; Id., « Les fonctions de la métaphore du mariage politique du roi et de la république (France xve-xviiie siècles) », Annales ESC, 6 (1992), p. 1130 ; A. Burguiere, « L’État monarchique et la famille (xvie-xviiie siècle) », Annales HSS, 2001- 2, p. 313-335 ; C. Biet, Droit et littérature sous l’Ancien Régime. Le jeu de la valeur et de la loi, Paris, 2002, p. 176-224 ; sur l’interventionnisme royal en matière familiale, A. Rousselet-Pimont, Le chancelier et la loi, p. 322 sq.
16 D’autant qu’à Toulouse, la « Querelle des femmes » initiée par la publication des Controverses de Gratien Du Pont perdurait. En 1549, y fut publié un ouvrage au titre fort intrigant : Anonymus Utopiensis […]. Position de thèses fantaisistes sur le mariage en droit canonique, terminées par la formule « disputabuntur Hilaribus proximis quando et quandiu videbitur », Guyon Boudeville, placard, In-fol. R. Gadave, Université de Toulouse. Faculté de droit. Les documents sur l’histoire de l’université de Toulouse et spécialement sa faculté de droit civil et canonique (1229-1789), thèse Droit, Toulouse, n. 394. Le document, localisé aux archives hospitalières (H 2), a semble-t-il disparu.
17 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 106, et p. 187, qualifiant la maison de « tresasseuré refuge » ; également la « Chronique 228 (1551-1552) », p. 135.
18 « Mesnage est un droit gouvernement de plusieurs subjects, sous l’obeïssance d’un chef de famille, et de ce qui luy est propre ». J. Bodin, Les six livres, I, 2, p. 39.
19 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 106, définissant ici la maison comme la famille dans la « Chronique 226 (1549-1550) », p. 113.
20 Ibidem, p. 99, arbre des maisons et p. 107 ; Aristote, La Politique, I, 3, 1253 b, p. 32 ; J. Bodin, Les six livres, I, ch. 2-5, p. 39 sq., bien que ce dernier ait porté son attention sur les formes d’autorité exercées par le chef du ménage, non sur les composantes de ces sous-ensembles.
21 P. Ourliac, « L’esprit du droit méridional », dans Droit privé et institutions régionales. Études historiques offertes à Jean Yver, Paris, 1976, p. 589.
22 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 98-160, après la « Confutation de la Republicque de Platon » p. 93-97.
23 Voir supra, p. 44.
24 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 116-118. La coutume selon laquelle les jeunes filles perdaient leur virginité avant le mariage, citée comme venant d’Arménie, se retrouve chez F. Patrizi, Livre tres fructueux, fol. xlv.
25 G. de La Perriere, ibidem, p. 94 et 116 ; Platon, La République, IV, 423 et surtout V, 457 c-460 b, dans Œuvres complètes, I, p. 985 et 1029-1033 ; M.-F. Renoux-Zagame, Origines théologiques, p. 276.
26 Aristote, La Politique, II, 3, 1262 a, p. 90 ; De la génération et de la corruption, I, 10, 328 a, dans lequel l’auteur affirme que la philia se diluerait comme une goutte dans beaucoup d’eau ; J. Lombard, Aristote. Politique et éducation, Paris, 1994, p. 40.
27 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 95.
28 « le jurisconsulte dit, que celluy doit estre reputé vray filz, qui est demonstré de l’estre par les noces & legitime mariage ». Ibidem, p. 116. Les dangers dénoncés p. 95 sont signalés par Aristote, La Politique, p. 92-93.
29 Légitimée par Charles IX dès le 2 février 1565, deux jours après l’arrivée du souverain dans la bonne ville de Toulouse, Marguerite de La Perrière épousa le lettré Antoine Noguier. Ayant à plusieurs occasions, dans diverses poésies liminaires, témoigné de l’admiration qu’il éprouvait pour les œuvres de Guillaume de La Perrière, Noguier lui succéda dans l’écriture de l’histoire toulousaine, composant après le décès de l’emblématiste diverses chroniques des Annales manuscrites de Toulouse. E. Roschach, « Les douze livres » ; Id., « Un voyage princier ». Les noces eurent lieu dans l’église de Saint-Etienne, le 15 août 1564. AMT, GG 20, Registre des mariages de la paroisse de Saint Etienne, fol. 137 v.
30 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 136.
31 Ibidem, p. 95. Le caractère unilatéral de cette assertion est confirmé par les « Lois » instaurées entre époux (p. 143), précisant explicitement que le mari ne doit tromper sa femme, mais n’envisageant pas même la possibilité inverse.
32 Ibidem, p. 97.
33 La question avait été controversée dès les premiers siècles du christianisme. Jovinien, suivant les mouvements ascétiques, avait prôné la continence absolue. Jérôme avait pris vigoureusement la défense du mariage, mais son œuvre elle-même, dénonçant l’infortune des mariés, n’avait pas manqué de fournir de savoureux contre-exemples à ses propres adversaires, inspirant jusqu’à Héloïse et Jean de Salisbury (saint Jérôme, Adversus Jovinianum, I, 1). M.-T. d’Alverny, « Comment les théologiens », p. 20-21, 26, 36.
34 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 124.
35 Ibidem, p. 126-127.
36 Ibidem, p. 128.
37 Ibidem, p. 129.
38 Sur les diverses interprétations de ce passage biblique, M.-T. d’Alverny, « Comment les théologiens », p. 16 sq.
39 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 114 et 129-130 : « Pourroit-il estre plus grande inconsideration, que de vouloir fuir (comme chose profane) ce que Dieu ha tenu pour sacré ? Pour mauvais, ce qu’il ha reputé bon ? Pour detestable, ce qu’il ha tenu pour saint ? Est-il chose plus inhumaine, que reprouver la source d’humanité ? ».
40 Ibidem, p. 130.
41 Ibidem, p. 113 ; Érasme, dans la traduction de Berquin : « Quelle est chose plus honneste que mariage lequel Jesuschrit a si grandement honoré, et n’a point faict seulement cest honneur a mariage dy adsister mais davantage consacra le convive nuptial des primices et commencement de ses miracles. Est-il chose plus saincte que celle laquelle le createur de toute choses a instituée et sanctifiée ? […] Est-il chose plus juste que de rendre à noz posteres et successeurs ce que nous avons eu de noz ancestres ? », D. Érasme, Déclamation des louenges de mariage, fol. [A iii-A iii v.], et, sur le célibat des prêtres et moines, fol. [B iii v. sq.], ainsi que T. More, L’Utopie, II, p. 140-141.
42 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 113, 128, 130, 141. Saint Paul le premier employa le mot de sacramentum pour qualifier le mariage (Saint Paul, Éphésiens, V, 22 sq. et surtout 32) ; P. Ourliac, J. Malafosse, Histoire du droit privé, III : Le droit matrimonial, Paris, 1968, p. 188 sq. ; A. Castaldo, J.-P. Levy, Histoire du droit civil, Paris, 2002, p. 83-84.
43 G. de La Perriere, ibidem, p. 114.
44 Ibidem, p. 133.
45 Cette bigamie n’est pas relevée.
46 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 134. L’idée n’est pas unanimement partagée. Cardan constate dans son De subtilitate que chaque espèce se trouve « enfermée dans sa différence ostinée » : « Il est assez connu […] que les plantes ont haine entre elles |…]. On dit que l’olive et la vigne haient le chou ; le concombre fuit l’olive […]. Le rat d’inde est pernicieux au crocodile […] », cité par J.-C. Margolin, « Tribut d’un antihumaniste aux études d’Humanisme et de Renaissance. Notes sur l’œuvre de Michel Foucault », BHR, 29 (1967), p. 707.
47 Cette quête ne lui semble guère fructueuse. Il affirme avec Jean XXII que les alchimistes « mourans de fain promettent faire riches les autres ». Sur la masculinité ou féminité des pierres, il renvoie à Barthélemy l’Anglais, Evax, Pline, Marbode, Albert Le Grand et Matthieu Sylvatique. G. de La Perriere, ibidem, p. 134-135.
48 Ibidem, p. 141.
49 Ibidem, p. 113.
50 Ibidem, p. 135.
51 Ibidem, p. 115, 118, citant Catulle, Claudian, Papinius, une épigramme de Galien (fort rare), et Beroaldo, renvoyant à un épithalame « de grande eloquence ». Voir le Digeste, 23.2, « De ritu nuptiarum ». Rien n’est dit des cérémonies toulousaines entourant les mariages, relatées par A. Du Mege, Histoire des institutions religieuses, politiques, judiciaires et littéraires de la ville de Toulouse, Toulouse, 1844-1846, I, p. 140-141.
52 La blancheur des chevaux traînant le chariot de la jeune fille symbolise sa pureté. Le parcours effectué par le cortège nuptial à travers les rues larges de la ville (non par les « carrefours ») préfigure le caractère ostensible que devra revêtir son comportement. Les noix signifient à l’homme qu’il doit désormais délaisser toutes puérilités et jeux infantiles. G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 119-122.
53 Ibidem, p. 131 et p. 129.
54 Ibidem, p. 136.
55 Ibidem, p. 135 : « Si tu vouloys alleguer inconvenient, & dire, de quoy vivroyent hommes & femmes sans fromens ? Aussi je te puis demander : Qui laboureroit les champs, semeroit, faucheroit, battroit, & finallement recueilliroit les fruitz, si la generation des hommes & femmes cessoit ou failloit ? Il est bon de faire l’un, & de ne laisser l’autre : mais de la propagation des hommes & femmes depend tout le reste ».
56 Platon, Les Lois, VI, 773-774, dans Œuvres complètes, II, p. 843.
57 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 133, 131. À Rome, le droit de la famille tendait à pallier le déficit de la natalité. Dès 131 av. J.-C., Caecilius Metellus Macedonicus avait fait du mariage et de la paternité un devoir patriotique. La législation d’Auguste (Lex Julia, 18 av. J.- C. et Pappia Poppaea, 9 ap. J.-C.) avait poursuivi les mêmes objectifs. En vertu des lois caducaires, tout homme de 25 à 60 ans et toute femme de 25 à 50 ans devaient être mariés, avoir des enfants légitimes sous peine de sanctions, notamment de privation du droit de recueillir des successions. La Perrière signale que ces lois rigoureuses ont été adoucies par Constantin le Grand. Elles furent abrogées en 410. A. Castaldo, J.-P. Levy, Histoire du droit civil, p. 84.
58 G. de La Perriere, ibidem, p. 121.
59 Ibidem, p. 118. Ulpien, D. 35.1.15 et 50.17.30. Les médiévaux s’accordaient sur l’importance du consentement sans cependant s’entendre sur le point de savoir s’il rendait le mariage définitif avant l’union charnelle. Duns Scot, suivi par certains prélats au concile de Trente, avait assimilé le mariage à un contrat. P. Ourliac, J. Malafosse, Histoire du droit privé, III, p. 165 sq. ; A. Castaldo, J.-P. Levy, ibidem, p. 109 note 1 et p. 111.
60 La question du consentement parental était controversée. Le décret de Gratien (32 q. 2, c. 12) l’exigeait quand Pierre Lombard l’estimait utile, non nécessaire. Cette dernière opinion l’avait emporté. Mais au xvie siècle, elle contrariait la protection matérielle et sociale des grandes lignées. Les mariages clandestins étaient assez nombreux en effet. A. Lefebvre-Teillard, Les Officialités à la veille du Concile de Trente, Paris, 1973, p. 164 sq. Le mariage secret d’un fils du connétable de Montmorency avec une fille d’honneur de la reine précipita l’intervention royale sur la question. Anne, voulant marier son fils à Diane de France, souhaitait que le mariage précédent soit annulé. Paul IV ayant refusé, le roi légiféra dans l’urgence par l’édit de février 1557. Punissant les « mariages clandestins », il exigeait le consentement des parents jusqu’à 25 ans pour les jeunes filles, 30 ans pour les jeunes hommes ; l’enfant marié malgré le refus familial se trouvait déchu de tout droit de succession. Au concile de Trente, les prélats français tentèrent de rendre le consentement des parents nécessaire jusqu’à 16 ou 18 ans, voire jusqu’à 20 ans. En vain. Le décret Tametsi du 11 novembre 1563 affirmait que l’Église détestait et prohibait les mariages contractés par les fils de famille sans le consentement de leurs parents, mais frappait d’anathème ceux qui soutenaient leur nullité. Le décret De clandestinis du même jour renforçait la solennité du contrat, exigeant à peine de nullité que le mariage, précédé de trois bans dans la paroisse des futurs conjoints, soit célébré par le proprius parochius de l’un des conjoints en présence de deux ou trois témoins. L’ordonnance de Blois de 1579 reprit les dispositions de l’édit royal de 1556. A. Jouanna, « Des ‘‘gros et gras’’ aux ‘‘gens d’honneur’’ », p. 76-77 ; J. Gaudemet, Église et cité, p. 664 ; H. Morel, « Le mariage clandestin de Jeanne de Piennes et de François de Montmorency », dans Mélanges Henri Morel, Aix-en-Provence, 1989, p. 352-375 ; A. CAstaldo, J.-P. Levy, ibidem, p. 100.
61 G. de LA Perriere, Miroir Politicque, p. 141.
62 Platon, Les Lois, VI, 784 dans Œuvres complètes, II, p. 858-860.
63 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 136. Érasme, dans la Déclamation des louenges de mariage traduite par Berquin, loue le mariage, « que Dieu a institué, que nature a ordonné, que raison conseille, que l’escripture tant divine que humaine loue, que les loix commendent, que ung consentement commun de toutes nations appreuve, et à quoy l’exemple de tant de gens vertueux vous exortent ».
64 F. Rabelais, Tiers Livre, et pour commencer le chapitre vii : « Comment Panurge avoit la pusse en l’aureille, et desista porter sa magnificque braguette », dans Les Cinq livres, p. 591 sq. ; G. Jeanneau, « Rabelais et le mariage », dans Études seizièmistes offertes à Monsieur le professeur V.-L. Saulnier par plusieurs de ses anciens doctorants, Genève, 1980, p. 111-135 ; s. Geonget, La notion de perplexité à la Renaissance, Genève, 2006.
65 G. de LA Perriere, Miroir Politicque, p. 108, 111-113.
66 Comme chez Platon, Les Lois, VI, 773-774, dans Œuvres complètes, II, p. 843 sq.
67 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 116 et 132, se référant à Ulpien. D.23.3, « De jure dotium » mais aussi D.37.7, « De dotis collatione » ; A. Lemaire, « Origine de la règle Nullum sine dote fiat conjugium », dans Mélanges Paul Fournier, Paris, 1929, p. 415-424 ; Plutarque, Du gouvernement en mariage, Paris, Denis Janot, 1536, précepte XLII.
68 G. de La Perriere, ibidem, p. 113, citant en exemple la veuve romaine Martia n’ayant voulu se remarier « pource que je ne puis trouver homme qui n’ayme plus mon bien que ma personne ». Sur l’adage « Oculis magis habenda fides quam auribus », inspiré de Plaute (Asinaria, 202), D. Érasme, Opera Omnia, II, t. 1, I.I.100. p. 210 sq. ; A. Alciat, Toutes les emblemes, p. 252-253 ; G. de LA Perriere, Theatre des Bons Engins, e. XCIII : « Bandé doibt estre homme qui se marie : / Car qui prend femme au souhait de ses yeulx, / Pour la beaulté, de son sens, trop varie / Dont à la fin est melancolieux. / Les poingz liez doibt avoir pour le mieulx : / Car ne la doibt prendre pour son douaire / L’homme est bien fol, et plus que temeraire, / Qui par les mains ou les yeulx prendra femme. / Prendre on la doibt par l’aureille, à bien faire, / C’est par bon bruict, par bon renom de fame ».
69 À Athènes, la valeur de la dot était hypothéquée sur les biens du mari. Au cas de divorce, elle devait être restituée de préférence à tout autre créance. « On ne jouit pas des richesses qu’une femme apporte dans le ménage, elles ne servent qu’à rendre le divorce difficile », dit un fragment d’Euripide. Les auteurs comiques raillaient les maris qui, sous le coup d’une action dotale, devenaient dépendants de leurs épouses. Un personnage de Plaute dit d’un mari ayant accepté l’argent de la dot qu’il a vendu son autorité. À Rome, Martial atteste que certaines riches matrones refusaient de remettre leur dot à leurs maris pour les confier à des intendants. L’adultère de la femme entraînait le droit de divorce et la restitution de la dot, mais plutôt que d’arriver à ces douloureuses extrêmités, les maris préféraient fermer les yeux sur les fredaines de leurs épouses. Les magistrats athéniens et romains les rappelaient parfois à l’autorité maritale. La Perrière se fait l’écho de ces antiques lamentations : « Si tu la prens riche, & ayant grand douaire, de maistre tu deviendras valet : mais quel valet ? Plus infime qu’un souillard de cuysine. De franc & libre, tu deviendras esclave, & pensant espouser compagnie esgalle, tu espouseras une insupportable maistresse (je ne say si je doiz dire diablesse) ». Il rapporte que le Romain Metellus refusait la belle, éloquente, riche, noble et sage fille du noble Marius, « pource que j’ayme mieux estre mien que sien ». G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 125 et 113.
70 Ibidem, p. 111-113, citant le poète satirique : « il n’est chose plus intollerable qu’une femme riche » ; « Le lict, auquel couchent mary & femme, / (Combien qu’il soit ordonné pour repos) / Ne fut jamais sans reproche & sans blasme, / Courroux, discord, & noyse à tout propos ».
71 Ibidem, p. 108-109, 111.
72 Ibidem, p. 123 et 153 ; également Morosophie, e. 93 . La Perrière, voyant là une illustration du principe universel démontré par Homère et par le philosophe Cébès en sa Table de la misère de la vie humaine, selon lequel nul bonheur terrestre ne peut être dénué de douleur, le déduit notamment de la tradition romaine selon laquelle, lors du mariage, l’un des époux (la femme ou l’homme selon les sources consultées) porte à son conjoint « de l’eau en l’une main, & du feu en l’autre », bien qu’il n’ignore pas les interprétations divergentes du rite, auxquelles il se réfère également pour montrer que, tout ainsi que le feu purge et l’eau lave, la femme doit arriver pure et chaste à son mariage.
73 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 124 ; T. More, L’utopie, II, p. 112.
74 G. de La Perriere, ibidem, p. 124.
75 Ibidem, p. 142.
76 La plupart des « lois » établies par La Perrière sont issues des LXIII préceptes envisagés par Plutarque dans son Du gouvernement en mariage.
77 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 127. Sur la célèbre phrase de saint Paul (Première épître aux Corinthiens, 11 : 3), répétée par tous les théologiens médiévaux, M.- T. d’Alverny, « Comment les théologiens », p. 15-38.
78 L’obéissance, enseignaient les moralistes, est la première vertu de la femme. Les coutumiers allaient jusqu’à autoriser les maris à blesser et punir physiquement leurs épouses insoumises. P. Ourliac et J. Malafosse, Histoire du droit privé, III, p. 132-133.
79 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 119-120. La prescription était impérative pour saint Paul qui voyait là la marque de la dépendance de l’homme à l’égard de la femme (Saint Paul, Première épître aux Corinthiens, 11 : 6, 9-10).
80 R. Metz, « Le statut de la femme en droit canonique médiéval », dans La Femme, II, RSJB, Bruxelles, 1962, p. 59-113 ; Marguerite de Navarre est citée par P. Darmon, Mythologie de la femme dans l’Ancienne France, Paris, 1983, p. 63.
81 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 156.
82 Ibidem, p. 148. Mais l’auteur relève que les filles n’arrivaient pas vierges au mariage à Babylone, Chypre, en Sicile et, selon ce qu’on lui avait rapporté, peut-être même en Ecosse au xvie siècle, p. 117-118.
83 Alors qu’elle pouvait également signifier l’étroite union des deux : intelligence et sensibilité étant indispensables l’une à l’autre. M.-T. d’Alverny, « Comment les théologiens », p. 19.
84 A. Lefebvre-Teillard, « Cum unica et virgine », dans Excerptiones juris : Studies in Honor of André Gouron, éd. B. Durand et L. Mayali, Berkeley, 2000, p. 367-383.
85 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 149.
86 Gratien Du Pont épousa en 1540 Antoinette de Vignes, qui fut sa veuve après sa disparition, en 1544 ou 1545. A. Navelle, Familles et notables, IV, p. 126.
87 Suivant Alciat, il écrit que la bonne épouse ne doit s’avancer à parler sans l’autorisation de son époux. G. de La Perriere, Theatre des Bons Engins, e. XVIII : « En tel estat que voyez, noz ancestre, / Dame Venus, jadis voulurent paindre. / Bien congnoist-on, que les souverains maistres / En la faisant, ne se voulurent faindre. / Et pour l’effet du sens mistique attaindre, / Par la Tortue, entendre est de besoing, / Que femme honneste aller ne doibt pas loing / Le doigt levé, qu’à parler ne s’avance. / La clef en mains, denote qu’avoir soing / Doibt sur les biens du mary, par prudence ». Cette idée vient des tragiques grecs qui, stigmatisant les vices des femmes, répétaient avec Sophocle (Ajax, 293) qu’« à une femme le silence est un facteur de beauté », et répercutaient dans leurs œuvres les interdictions de la société athénienne prohibant à la femme tout accès à la parole publique de l’agora. M. Jufresa, « Savoir féminin et sectes pythagoriciennes », dans Femmes et religions. Histoires, femmes et Sociétés, CLIO, 2 (1995), p. 19 ; Voir Aristote, La Politique, I, 13, 1260 a, p. 79 ; aussi saint Paul, Première épître aux Corinthiens, 14, 34-35 : « Mulieres in ecclesiis taceant […]. Si quid autem volunt discere, domi viros suos interrogent » cité par M.-T. d’Alverny, « Comment les théologiens », p. 17 n. 17. L’humaniste, qui ne pouvait ignorer la lecture politique qu’il convenait historiquement d’en faire, contribue ainsi à diffuser une interprétation bien plus large auprès de lecteurs parfois moins avisés.
88 Plutarque admet qu’en général, l’homme doit conduire la femme par « amiables persuasions », mais affirme que ceux qui épousent de nobles et riches femmes doivent les humilier comme un seigneur son cheval. Il oblige la femme à assumer les charges de la maison sans lui en reconnaître le gouvernement exclusif. Plutarque, Du gouvernement en mariage, notamment préceptes XII, XIIII, XV.
89 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 110.
90 Ibidem, p. 155.
91 Ibidem, p. 154 et 155 ; Id., Theatre des Bons Engins, e. XVIII.
92 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 153, évoquant Solin relatant comment la reine Isis avait autrefois ordonné que, le jour des noces, chaque époux ferait serment solennel entre les mains de son conjoint de ne point s’entremêler des affaires respectivement assignées à l’autre, affaires domestiques pour la femme, négoces forains pour l’homme.
93 Ibidem, p. 152, 154-155.
94 Ibidem, p. 120.
95 Ibidem, p. 154, renvoyant à Térence et Aeneas Sylvius.
96 Ibidem, tierce loy de la femme envers le mary, p. 154.
97 Ibidem, p. 139-140, renvoyant à une épigramme de Claudian.
98 Ibidem, p. 152.
99 Ibidem, p. 154 et 121.
100 Ibidem, p. 110.
101 Faut-il rappeler les rôles joués par Anne de Bretagne, Marguerite d’Autriche, Louise de Savoie, Renée de France, Marguerite de Navarre, Diane de Poitiers, Catherine de Médicis, Jeanne d’Albret, Marie Stuart, Élisabeth d’Angleterre ? Sur la saturation érotique du xvie siècle, P. Darmon, Mythologie de la femme, p. 74-90.
102 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 153.
103 Ibidem, p. 153 ; Plutarque, Du gouvernement en mariage, précepte XXXVII.
104 G. de La Perriere, ibidem, p. 139-140. L’auteur y voit l’origine de cette « rêverie » du xvie siècle selon laquelle croiser une femme filant porte malheur si elle ne change la quenouille de côté.
105 Ibidem, p. 120 ; A. Castaldo, J.-P. Levy, Histoire du droit civil, p. 109.
106 G. de La Perriere, ibidem, p. 156.
107 Ibidem, p. 153.
108 A. Alciat, « Mulieris famam non formam vulgatam esse oportere », 1531, n. 99 ; « Publiée soit de la femme, non la beaulté, mais bonne fame », dans Toutes les emblemes, p. 252-253. Selon Alciat, le titre est tiré d’Euripide (Commentaria de verborum ignificatione, Lyon, 1546, p. 142). M. A. de Angelis, Gli Emblemi di Andrea Aciato, p. 315. Voir également Plutarque, Conjugalia praecepta, XXXII ; De Iside et Osiride, LXXV.
109 G. de La Perriere, Morosophie, e. 96 cité dans le Miroir Politicque, p. 110-111. La pièce est probablement inspirée par un emblème du Theatre des Bons Engins, e. LXXVIII : « Femmes et nefz ne sont jamais complies, / C’est une chose que l’on doibt bien peser : / Quand on les cuyde avoir du tout remplies, / C’est lors le temps, qu’il fault recommencer. / Vous les pourrier cent fois mieulx agencer, / Qu’a la parfin vous serez à refaire : / C’est grosse charge, & trop peneux affaire, / Voyre plus grand encores, qu’on estime. / Heureux seroit qui s’en pourroit deffaire, / Ou se garder d’entrer en tel abysme ».
110 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 144.
111 B. Beckerman Davis, « Poverty and Poor Relief in Sixteenth-Century Toulouse », Historical Reflections, 17/3 (1991), p. 285.
112 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 153.
113 M. Fogel, « Modèle d’Etat et modèle social de dépenses : les lois somptuaires en France de 1485 à 1660 », dans Genèse de l’État moderne. Prélèvement et redistribution, J.-P. Genet et M. Le Mené dir., Paris, 1987, p. 227-235 ; N. Bulst, « Zum Problem städtischer und territorialer Kleider – Aufwands – und Luxusgesetzgebung in Deutschland (13 – mitte 16 jahrhundert) », dans Renaissance du pouvoir législatif, p. 29-57 ; A. Rigaudiere, « Les ordonnances de police » ; récemment A. Bellavitis, « La gouvernance du luxe. Venise et ses pompes », dans Gouverner la ville en Europe. Du Moyen Âge au xxe siècle, B. Dumons, O. Zeller dir., Paris, 2006, p. 29-36.
114 Ibidem, p. 119.
115 Ibidem, p. 149-150.
116 Ibidem, p. 119 ; A. Alciat, « Sur la statue de pudicité », dans Toutes les emblemes, p. 254- 255.
117 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 155 : « Le tetin descouvert, la poictrine desnuée, le poil frisé, & sur tout l’œil volage & l’aspect lascif & impudicque, sont les avant coureurs signes d’adultère : qui ne m’en voudra croyre, lira Tibulle, Properce, & Ovide, et trouvera qu’il est ainsi ».
118 Ibidem, p. 151.
119 Ibidem, p. 144, suivant Aeneas Sylvius. L’auteur relate que les Taxilles amenaient leurs pucelles au marché pour les montrer nues aux hommes, afin que ceux-ci choisissent leurs épouses à leur gré. Cette coutume avait pu inspirer More, qui, pragmatique, avait bilatéralisé la pratique en Utopie, où tous hommes et femmes entendant se marier devaient se montrer nus l’un à l’autre, car, « les hommes ne sont pas si raisonnables qu’en leur conjoint ils considèrent uniquement le caractère » (p. 117) ; T. More, L’utopie, II, p. 111. De telles perspectives devaient heurter les conceptions médicales en vigueur en France, où la peur des maladies induisait celle des bains et de la nudité, la peau et les pores dilatés pouvant engendrer une perte de la force vitable. S. F. Matthews Grieco, « Corps, apparence et sexualité », dans Histoire des femmes en Occident, p. 61, 76.
120 G. de La Perriere, ibidem, p. 120.
121 Ibidem, p. 150.
122 Ibidem, p. 150, également p. 155.
123 G. de La Perriere, « Chronique 227 (1550-1551) », p. 128. Henri II s’élève dès 1547 contre les pompes qui détournent les gentilshommes de leur devoir, « au lieu qu’ils devroient employer (leurs biens et subsistance) au service de nous et de la chouse publique ». En 1549, il avait dénoncé le mélange des conditions résultant de « telles excessives et superfluitez d’habillemens et accoutremens entre gentilzhommes, dames et damoiselles, gens d’eglise et de justice, et autres homes et femmes de tous estats : les quels par ce moyen l’on ne peut discerner les uns d’avec les autres ». Il avait alors interdit à tous artisans, mécaniques, paysans et gens de labeur mais aussi aux bourgeoises l’usage de la soie. M. Fogel, « Modèle d’Etat », p. 231. Les capitouls avaient cherché à conserver l’usage de la soie. Ils avaient obtenu satisfaction en 1551.
124 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 154-155.
125 Ibidem, p. 151, se référant à la lex Oppia que les tribuns M. Oppius et T. Romuleius avaient fait voter du temps du consulat de Q. Fabius et de T. Sempronius. L’humaniste considère que celle-ci a réduit la République romaine en grand félicité avant que les tribuns M. Fundanius et L. Valerius ne s’efforcent de l’abolir. Il mentionne aussi la très élégante oraison de Caton, lisible en Tite-Live, Décade IV.
126 Ibidem, p. 151-152. Concernant la république de Venise, il évoque le De magistratibus Atheniensium liber de Guillaume Postel (Paris, Michel Vascosan et Galiot Du Pré, 1541, déjà maintes fois réédité). Sur les lois somptuaires vénitiennes, A. Bellavitis, « La gouvernance du luxe », p. 29-36.
127 G. de La Perriere, ibidem, p. 149-150.
128 Ibidem, p. 145.
129 Ibidem.
130 Ibidem, première loi du mari envers la femme, p. 142.
131 Ibidem, p. 142.
132 Ibidem, p. 142.
133 Ibidem, p. 142 : « L’on dit par commun proverbe, que l’on se fait triste pour un despit. Or n’est au monde chose plus despiteuse que la femme, mesmement, quand elle se cognoist estre injuriée & mal traictée de son mary à tort. D’abondant, le commun proverbe dit : Que bien souvent pour trop irriter son chien, l’on se fait mordre à icelluy. Doit estre (doncq) tout sage mary adverty, de ne traicter mal, ne injurier sa femme, & que souvent l’on perd l’anguille, pour la trop estraindre ».
134 Ibidem, p. 142.
135 Les serviteurs « ne doivent estre injuriez de leurs maistres », car ils sont aussi créatures de Dieu et doivent être en assurance en la maison du maître, ibidem, p. 142-143.
136 Ces traditions avaient sauvé la vie au prince athénien Thémistoclès qui, banni d’Athènes, s’était retiré au foyer de son principal ennemi, lequel n’avait osé ni l’injurier ni le frapper, ibidem, p. 143.
137 Ibidem, p. 157.
138 M. de Navarre, Heptaméron, voir notamment la nouvelle XV ; M. de Montaigne, Essais, III, v, notamment p. 65 sq. ; L. Febvre, Amour Sacré, Amour profane, p. 292-325.
139 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 137.
140 Ibidem, p. 143.
141 Ibidem, p. 143, et le dizain inédit p. 145 : « Qui cuyderoit que l’amoureux desduit / Peust engendrer tant horrible mastine / Que jalouzie ? & que tant amer fruit / Fust engendré de si douce racine ? / Le jeu d’amour est vraye medecine / Au cœur, lequel tristesse fait douloir, / Mays nous voyons, qu’en ce mondain terroir / N’est rys sans pleurs, & trouvons par coustume, / Qu’en icelluy nous ne pouvons avoir / Myel de douceur, sans le fiel d’amertume ».
142 « Ce que Dieu ha commencé, la seule mort finist. Ce que Dieu ha conjoint, la seule mort separe. Ce que Dieu ha asseuré, homme ne peut desbranler. Ce qu’il ha estably, homme ne peut abolir », ibidem, p. 130.
143 Ibidem, p. 121, renvoyant à saint Jérôme (Epist., 77, 3). La pratique toulousaine se montrait indulgente pour l’époux adultère, H. Gilles, « Le statut de la femme dans le droit toulousain », dans La femme dans la vie religieuse du Languedoc (xiiie-xive siècle), Toulouse, 1988, p. 85 sq. ; J.-M. Carbasse, « La condition de la femme mariée en Languedoc », p. 105 sq.
144 G. de La Perriere, ibidem, p. 109-110.
145 Ibidem, p. 110, 133.
146 Ibidem, p. 116-117, 133.
147 Ibidem, p. 133. Quintilien témoigne de ce que les maris outragés pouvaient infliger la mort aux coupables pris en flagrant délit. Voir ses Déclamations (n. 347, 277, 279) ainsi que les œuvres de Valère Maxime (6.1.13), Marcial (3.83 et 3.85), Apulée (Mét., 7.22.24), Juvénal (10.311-317). La Perrière présente la lex Julia de adulteriis coercendis (an 18 av. J.-C.) comme un exemple de sévérité alors qu’elle avait en réalité adouci les peines sanctionnant l’adultère. Ne permettant pas explicitement de tuer la femme adultère, elle contenait une excuse absolutoire pour le père ou le mari tuant celle-ci et son complice surpris en flagrant délit. Elle prohibait en outre les compositions pécuniaires pour dédommager le mari et prévoyait la relégation du mari et la perte, pour la coupable, de la moitié de sa dot et d’un tiers de ses biens. Elle ne paraît pas avoir été sérieusement appliquée. Alors qu’elle était en cours de préparation, Horace se demandait « Quid leges sine moribus ? » (Odes, III, 24, 35). Un siècle plus tard, Juvénal s’écriait « Ubi nunc lex Julia ? Dormis ! » (Satires, II, 37). Constantin rétablit la peine de mort en cas d’adultère. La législation fut à nouveau adoucie par Justinien, limitant la peine de mort aux hommes et ordonnant la fustigation ou l’enfermement dans un couvent pour les femmes. Code, 9.9 ; Digeste, 48.5.23 et 22 ; Novelles, 134, c. X ; A. Castaldo, J.-P. Levy, Histoire du droit civil, p. 116.
148 G. de LA Perriere, ibidem, p. 110 et 133. Le droit français ne condamnait plus à mort que l’adultère aggravé par faux témoignage, violence, homicide, prostitution, stupre, rapt ou inceste. Les adultères simples étaient passibles de l’enfermement des femmes et (ou) de la confiscation de leurs biens, de l’exil des hommes pauvres ou d’amendes pour les nobles. Les charivaris imposaient par ailleurs des humiliations assez traumatisantes pour les couples adultérins. Voir les recueils d’arrêts, par exemple celui de B. de La Roche-Flavin, Arrests notables du parlement de Toulouse, donnez et prononcez sur diverses matieres, civiles, criminelles, beneficiales, et feodales, Toulouse, Guillaume-Louis Colomiès et Jerôme Posuel, 1682, « Adultères et fornications », p. 12-20 ; « Incestes », p. 187-188, 211-sq. ; « Rapt », p. 292-294 ; A.-M. Dartiailh, Un ouvrage de droit criminel : Josse de Damhoudère Praxis rerum criminalium (Anvers, 1553), maîtrise Histoire, Toulouse-Le Mirail, octobre 1973, p. 90-92 ; P. Darmon, Mythologie de la femme, p. 140-144 ; J.-M. Carbasse, Introduction historique au droit pénal, Paris, 1990 ; Id., Histoire de la justice criminelle, Paris, 2000.
149 G. de La Perriere, Theatre des Bons Engins, e. XXXVI. Cité infra, p. 347, note 188.
150 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 146, mentionnant saint Paul (Première épître aux Corinthiens, VII, 3).
151 Le droit canonique considérait que chaque époux possédait un droit réel sur le corps de l’autre. A. Castaldo, J.-P. Levy, Histoire du droit civil, p. 115.
152 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 146-147, renvoyant à Plutarque (Livre des choses naturelles, Problèmes romains, Livre de conservation de la santé, Livre de la fortune d’Alexandre), Celius (Lections antiques, XV, 30), Pline (Histoire naturelle, XIV, 5), citant le commun proverbe « de la pance vient la dance », et encore Plutarque disant que l’homme famélique n’est pas idoine à l’acte charnel. Suivant Aristote, il met en garde contre l’ivrognerie, rendant la semence non prolifique et causant de multiples méfaits, tels ceux d’Alexandre.
153 S. F. Matthews Grieco, « Corps, apparence et sexualité », dans Histoire des femmes en Occident, p. 82.
154 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 148.
155 Ibidem, p. 136.
156 Ibidem, p. 115-116.
157 Alciat symbolise le mariage par un couple s’aimant avec fidélité (un chien à ses pieds), l’amour entretenu par conjonction charnelle par un pommier et des fruits. A. Alciat, « Sur la foy de Mariage », dans Toutes les emblemes, p. 246-247.
158 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 122. Ainsi une truie était-elle tuée au festin nuptial, et des noix jetées devant la porte de la maison (Pline, Histoire naturelle, VIII ; Virgile, « Pharmaceutrie », « Noces de Mopsus et Nisa »).
159 G. de La Perriere, ibidem, p. 132 et 139.
160 Ibidem, p. 139 ; voir également l’épître liminaire de la Morosophie.
161 Platon, Les Lois, VI, 779 d-e, dans Œuvres complètes, II, p. 852.
162 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 130. Ceux qui refusaient délibérément de l’être encouraient alors les plus graves peines. Un édit de février 1557, qualifiant l’avortement et l’infanticide de « crime très énorme et exécrable, fréquent en notre royaume », obligeait désormais à déclarer grossesses et accouchements. A. Castaldo, J.-P. Levy, Histoire du droit civil, p. 148.
163 G. de La Perriere, ibidem, p. 129 sq.
164 Ibidem, p. 132, citant la Philologie de Raffaele Maffei sur les lois florentines. À Rome, le père de trois enfants ne pouvait être contraint d’aller en légation ou ambassade politique. Celui qui en avait cinq était immune de charge personnelle, et Julien l’Apostat avait en outre déclaré que celui qui en avait treize serait immune de toute charge.
165 Mentionnons les multiples rééditions du De liberis educandis de Plutarque, les œuvres de Filelfo (De educatione libelorum, en 1500 et 1508), Érasme (De Pueris, 1529), Ursin (Ethologus sive de moribus ad puerorum educationem, Lyon, 1532), Sadolet (De liberis reste ac liberaliter instituendis, Lyon, 1533), Nausea (De puero litteris instituendo, 1536), la traduction du traité d’Érasme par Pierre Saliat (Declamation contenant la maniere de bien instruire les enfans, 1537), l’Oratio de instituenda in Republica juventute de Jean Bodin (Toulouse, 1559), encore les contributions de Vallambert (La maniere de nourrir et gouverner les enfants, 1565), Muret (Institutio puerilis, Paris, 1585) ou enfin Montaigne (Essais, I, xxvi, p. 193 sq.). Voir J. de Viguerie, L’Institution des enfants. L’éducation en France, xvie-xviiie siècles, Paris, 1978.
166 G. de La Perriere, Theatre des Bons Engins, e. xxxxvii : « Si fort le singe embrasse ses petitz, / Qu’en embrassant il leur donne la mort. / Maints peres ont de si sotz appetitz. / À leurs enfants, que grand malheur en sort. / Par les cheui de fole amour, trop fort / Dissimulant, souffrent leur insolence : / Et quand ilz sont sortiz d’aage d’enfance, / Et venuz grandz, ils sont incorrigibles : / Lors n’est pas temps qu’on l’on leur crie, & tence / Quand ils sont cheuz en accidens terribles » ; Morosophie, e. 41 : « Laisser ne faut la Vigne en son ramage, / Sans la couper quand est temps & saison : / Semblablement, tout engin trop volage / Faut reprimer, & soumetre à raison » (l’illustration montre à l’arrière plan de la coupe de la vigne un maître enseignant) ; e. 85. « Le laboureur perdra temps & semence, / S’il ne cognoist le port de son terroir : / Le precepteur aux enfans rien n’avance / De leur engin, s’il ne fait le pouvoir ».
167 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 26-27.
168 Ibidem, p. 159, 181. Sur l’évolution de l’éducation, J. Lelievre, « L’éducation en France du xvie au xviiie siècle », dans L’enfant, V : Le droit à l’éducation, Bruxelles, 1975, p. 179- 235.
169 G. de La Perriere, ibidem, p. 110. La question de l’allaitement maternel avait été farouchement défendue par Érasme renvoyant aux conseils de Cicéron, Plutarque, Quintilien, Vegius Galien et Hippocrate. Pour L’Hospital, l’allaitement par une nourrice constituait le début de la dénaturation et de l’avilissement du sang du petit enfant noble. L. Petris, La plume et la tribune, p. 84.
170 Platon, Les Lois, I, 643, II 653, VII dans Œuvres complètes, II ; Aristote, La Politique, VII, 15 sq. et VIII 1-7, p. 532-587. G. de La Perriere, ibidem, p. 159.
171 Ulpien, D., 50.16.195.5. P. Ourliac, J. Malafosse, Histoire du droit privé, III, p. 219.
172 M.-T. d’Alverny, « Comment les théologiens », p. 38.
173 N. zemon-Davis, « La chevauchée des femmes », dans Les cultures du peuple, p. 210- 250.
174 Voir également en ce sens Billon, affirmant que « finablement, celluy qui est sans femme, semble aucunement estre incapable de charges publiques, en consideration que l’Homme à peine peult-il estre digne de regir une cité, qui n’a prins à gouverner une maison : et celluy se sent inhabile (generalement parlant) de tout autre administration de chose publique, qui n’a congnu que poise l’administration de la privée ». F. de Billon, Le fort inexpugnable de l’honneur du sexe Feminin, Paris, Jean d’Allyer, 1555 ; éd. M. A. Screech, 1970, fol. [2 r.].
175 Voir les De claris mulieribus de Boccace (Ulma, 1473) et de Plutarque (Brescia, 1485), Le livre de la louange des nobles dames de Laurent de Premierfait (Paris, 1493), La nef des dames vertueuse où toute vertu est enclose de Symphorien Champier (Lyon, 1503), le De memorabilibus et claris mulieribus diversorum scriptorum opera de Jean Tixier de Ravisi (Paris, 1521), ou également H. C. AGRIPPA, De nobilitate et praecellentia foeminei sexus, p. 113 sq.
176 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 158.
177 Ibidem, p. 158-159.
178 L’expression est de P. Darmon, Mythologie de la femme, p. 59-62.
179 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 129, 136-137.
180 Ibidem, p. 138.
181 Ibidem, p. 142, première loi du mari envers la femme, imposant à l’homme de ne pas maltraiter son épouse.
182 Ibidem, notamment p. 159-160.
183 Une référence cependant au plaisir de laisser ses biens à ses enfants, ibidem.
184 Aristote intègre les questions de propriété ou celle de l’acquisition des richesses dans l’économie domestique. Aristote, La Politique, I, 3, 1253 b sq. ; I, 8, 1256 a sq., p. 32-34, 49 sq.
185 Pour Cicéron, la propriété privée n’est pas de droit naturel, car en droit naturel tout est commun : « Natura nulla privata » (De officiis, I, 7, 21) ; reconnaissant le droit du premier occupant (ibidem), il conteste donc les lois agraires. César indique par ailleurs l’existence d’une sorte de communautarisme agraire en Gaule (De bello gallico, VI, 22) ; A. Castaldo, J.-P. Levy, Histoire du droit civil, p. 311, 371-371 ; J.-P. Levy, Histoire de la propriété, Paris, 1972 ; A. M. Patault, Introduction historique au droit des biens, Paris, 1989 ; Destins du droit de propriété, Droits, 1 (1985).
186 Supra, p. 45.
187 G. Cazals, « From Law to Literature », p. 145-160.
188 Alors même que pour les chrétiens, la croyance à l’existence d’un communisme d’avant la chute avait prit la force d’un véritable mythe. M.-F. Renoux-Zagame, Origines théologiques, p. 255-308, notamment p. 261.
189 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 186, 188. Voir supra, p. 67.
190 M.-F. Renoux-Zagame, Origines théologiques, p. 98-106 ; sur le jusnaturalisme, J.- L. Thireau, « Cicéron et le droit naturel », p. 55-85 et, du même, Introduction historique au droit, Paris, 2001, p. 232 sq.
191 Le reconnaissait également Platon, La République, VIII, 547 b, dans Œuvres complètes, I, 1950, p. 1144.
192 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 94-96. Bodin use d’un raisonnement similaire pour contrer la proposition platonicienne, estimant que le communisme s’oppose à la République, « car il n’y a point de chose publique, s’il n’y a quelque chose de propre », J. Bodin, Les six livres, I, 2, p. 44.
193 G. de La Perriere, ibidem, p. 96.
194 Genèse, 4, 17 ; 10-11 ; Lévitique, XXV, 23 ; Psaumes, XXIV, 1 ; Nombres, 33 : 53-54. Saint Augustin affirme « Que rien ne vous appartienne en propre, mais que tout soit commun entre vous » (Patrologie latine, xxxiii, 960 et 965) ; saint Ambroise : « Ce n’est pas de ton bien que tu distribues aux pauvres, c’est seulement le sien que tu lui rends car tu est seul à usurper ce qui est donné à tous pour l’usage de tous » (Patrologie latine, XIV, 747). Saint Jean Chrysostome fut tenté d’aller jusqu’à supprimer le « tien » et le « mien » (Patrologie grecque, LXII, 564). Saint Thomas d’Aquin, quant à lui, envisageait la mise du superflu à disposition des pauvres comme de droit naturel, la charité comme une dette de justice légale (Summa theologica, IIa, IIae, Q. 66, V ; aussi q. 118, art 4). P. Buc, L’ambiguïté du Livre, p. 237 ; M.-F. Renoux-Zagame, Origines théologiques, p. 68, 74, 217 ; A. Castaldo, J.- P. Levy, Histoire du droit civil, p. 402-404.
195 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 94 ; Aristote, La Politique, I, 8, 1256 b, p. 52 sq. Bien des auteurs s’accordaient à la Renaissance sur cette démonstration. M.- F. Renoux-Zagame, ibidem, p. 276. Sur les critiques de La Perrière à l’encontre des oisifs, la Morosophie, e. 77 : « La mousche à myel travaille à diligence, / Et le bourdon en vit sans faire rien : / Maint un méschant oysif par negligence / D’autruy devore, & consume le bien ».
196 Saint Thomas d’Aquin, Summa theologica, IIa IIae, Q. 66, art. 2 ; Décret de Gratien, Ia pars, dist. I, c. VII ; dans M.-F. Renoux-Zagame, Origines théologiques.
197 Dans le livre I de l’Utopia, Hythlodée dénonce longuement les méfaits engendrés par la propriété privée dans son pays, où le mouvement des enclosures était à son apogée : l’accaparement des richesses par des nobles oisifs, celui des communaux par les lords, la paupérisation des masses, la fin du système de l’« openfield » et la disparition des tenures roturières, la rapacité seigneuriale et l’éviction des petits cultivateurs. Il atteste que la propriété privée ne permet pas d’éviter les dangers de la pauvreté et du désordre. Dans le Livre II, More montre en outre que son abolition permet d’atteindre une certaine égalité sociale tout en unissant les hommes par la solidarité et l’épanouissement. Il répond aux arguments classiques repris ici par La Perrière. Voyant dans la communauté de biens la condition de l’égalité des citoyens, il se fait l’écho de l’opinion publique mécontente. Les tribunaux tentaient alors en vain de contenir le mouvement des enclosures. Des commissions royales furent nommées pour enquêter et, entre 1489 et 1552, des lois tentèrent de limiter leurs excès. A. Castaldo, J.-P. Lévy, Histoire du droit civil, p. 427 ; M. Fleisher, Radical Reform and Political Persuasion in the Life and Writings of Thomas More, Genève, 1973, p. 37 sq.
198 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 99, 103, 104, 106.
199 Ibidem, p. 94.
200 Platon avait abandonné dans Les lois le modèle d’un communisme qu’il estimait incompatible avec la société des hommes, tout en continuant de définir la cité modèle comme une communauté de tous les biens « sans exception », conformément à l’ancienne maxime selon laquelle « toutes choses sont réellement communes, qui intéressent les amis ». Platon, Les Lois, V, 736 sq., 739 c, XI, 913 sq., dans Œuvres complètes, II, p. 792-796, 1044 sq.
201 Érasme, Phaedrus ; Convivium religiosum ; adage I.i.1. « Amicorum communia omnia », inspiré d’Aristote (Éthique à Nicomaque, VIII, 1159 b 31 et IX, 1168 b 8 ; Politique, II, 1261 a 9-1264 b 25, bes 1263 a 25-30), Cicéron (Offices, I, 51), Martial (II, 43, 1-2), Platon (Lois, V, 739 b-c.), Plutarque (Moralia, 140 d), Euripide (Oreste et Andromaque), Térence (Adelphe), Ménandre, Diogène Laerce et Aulu-Gelle. D. Érasme, Opera Omnia, II, t. 1, p. 84-86. L’idée est commentée avec éloquence dans les Prolegomena de l’édition aldine des adages : « Que fait Platon en tant de volumes, sinon défendre la communauté et ce qui la fonde, l’amitié ? […] Qu’a fait d’autre le chef de notre religion, le Christ ? Assurément, il n’a transmis au monde que l’unique précepte de la charité, enseignant que d’elle seule procède l’ensemble de la loi et des prophètes. Or à quoi nous exhorte la charité sinon à ce que tout soit commun à tous ? De telle sorte que, unis au Christ par l’amitié du même lien qui le lie au Père, imitant, autant que faire se peut, cette communion parfaite par laquelle Lui et son Père ne font qu’un, nous ne soyons qu’un avec Lui, et comme le dit saint Paul, nous ne formions avec Dieu qu’un seul esprit et une seule chair et, qu’en vertu de cette amitié, nous ayons part à tout ce qui est à lui et qu’il ait part à tout ce qui est à nous. Enfin puissions-nous, par les liens égaux de l’amitié, être unis les uns aux autres comme les membres dépendants d’une même tête, et être, comme un seul et même corps, animés d’un même esprit, souffrant les mêmes peines et partageant les mêmes joies. C’est ce que nous enseigne ce pain mystique où de multiples grains sont réunis pour faire une seule farine et ce vin où de multiples grappes se fondent pour faire une seule boisson. Enfin, comme la totalité de la création est en Dieu, Dieu en retour est en toutes choses, la totalité des êtres est comme ramenée à l’unité. Tu vois quel Océan de philosophie, et même de théologie, nous a découvert ce petit aphorisme ». Voir Érasme, humanisme et langage, p. 119-120 ; K. Eden, « Between Friends all is Common » : The Erasmian Adage and Tradition », Journal of the History of Ideas, p. 405-419.
202 Supra, p. 151. « Utopie » du reste, ne signifie-t-il pas nulle part ? Comme la cité Amaurote est une ville fantôme, le fleuve Anydris un fleuve sans eau, le roi Ademus un prince sans peuple, les Alaopolites des citoyens sans cité, enfin les Achoriens des habitants sans pays. Le tout étant découvert par Hythlodée : un « colporteur de sornettes ». P. Mesnard, L’essor de la philosophie politique, p. 159.
203 La seconde édition de l’Utopia parut à Paris en 1517, chez Gilles de Gourmont, à la suggestion d’Érasme qui avait recommandé l’ouvrage à Guillaume Budé et à Pierre Gilles. Elle fut rapidement critiquée. Dès 1520, Germain de Brie publiait un Antimorus. Mais elle se diffusait, comme en témoignent les allusions présentes dans un pamphlet dirigé contre les théologiens de la Sorbonne en 1526, le Champ Fleury de Geoffroy Tory (1529) et les Controverses de Gratien Du Pont (1535). En 1533, l’anglais Thomas Elyot proposait une nouvelle réfutation technique, inspirée de la philologie (Elyot écrivait que res publica est public weal, non commun weal -M. Fleisher, Radical reform, p. 160) tandis que Rabelais, qui y faisait de nombreuses allusions dans son Pantagruel (ch. 2, 8, 9, 29 et 31) était l’un des premiers à avoir saisi son sens fictionnel. La première traduction française due à Jean Le Blond fut publiée à Paris, par Charles l’Angelier en 1550. Une édition lyonnaise attribuée à Barthélemy Aneau parut ensuite chez Jean Saugrain, en 1559. J. Ceard, « La fortune de l’Utopie », p. 43-73, avec en appendice, la lettre adressée par Budé à Lupset ; La fortuna dell’Utopia di Thomas More nel dibattito politico europeo del’500, Florence, 1996.
204 T. More, L’utopie, I, p. 52 sq. ; F. Lessay, « Le Prince d’Utopie », p. 64 et 69.
205 Q. Skinner, « Thomas More’s Utopia and the Virtue of True Nobility », dans Visions of Politics, II, p. 213-244.
206 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 93 et 96.
207 Ce mouvement communautaire a trouvé à l’intérieur de l’Église son expression dans le monachisme. Actes des apôtres, II, 44-46 et IV, 32 ; Décret de Gratien, Ia pars, dist. VIII et IIa pars, causa XI, 1 ; A. Castaldo, J.-P. Levy, Histoire du droit civil, p. 402-403.
208 F. Seibt, « Tommaso Moro nel dibattito utopico tedesco del cinquecento », dans La fortuna dell’Utopia, p. 25-42.
209 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 93.
210 Ibidem, p. 93.
211 G. de La Perriere, « Chronique 228 (1551-1552) », p. 140 ; Miroir Politicque, p. 27 et 111. Lecteur de Pline, Plutarque ou Valère, l’auteur se montre certain que la vertu de pauvreté conserva en paix la République romaine : « tant que le nom de paoureté fut à Rome honnorable (ce que fut depuis la fondation jusques à quatre cens ans aprés) volupté n’y peut mettre les piedz, ne prendre aucun fondement : mais depuis que paoureté fut reputée abominable, & les estatz & dignitez distribuez aux riches seulement, lors volupté commença d’occuper les cœurs de la jeunesse Romaine, voire tellement occuper, que vertu les abandonna du tout, et icelle perdue fut leur monarchie ruynée ».
212 Exemple en 1539-1540, G. de La Perriere, « Chronique 216 (1539-1540) », p. 43.
213 G. de La Perriere, ibidem, p. 39-40. Les pauvres toulousains étaient parfois enchaînés pour travailler, et les capitouls les faisaient parquer la nuit pour éviter tout désordre. Le règlement pris en 1534 commença en 1536. Son coût fut réparti sur les gens aisés de la ville, mais son inadaptation apparut dès 1539. Les capitouls privilégièrent ensuite un système ad hoc. AMT, BB 9, fol. 158, 169 v., 219, 254 ; BB 10, fol. 333 v. ; G. de La Perrière, « Chronique 216 (1539-1540) », « Chronique 229 (1552-1553) », p. 39, 150 ; B. Beckerman Davis, « Poverty and Poor Relief », p. 267-296 ; Id., « Reconstructing the Poor in Early Sixteenth-Century Toulouse », French History, 7/3 (1993), p. 249-285. Toulouse comptait environ 35 000 habitants en 1500, 50 000 en 1550. En 1533, l’hôpital Saint-Jacques comptait entre 800 et 1000 pauvres malades. Le nombre de pauvres était de 8000 environ en 1557. M. Taillefer, Vivre à Toulouse, p. 105.
214 Au xve siècle, les magistrats de Bâle avaient dénombré vingt-cinq catégories de faux mendiants. N. Zemon-Davis, « Assistance, humanisme et hérésie : le cas de Lyon », dans Les cultures du peuple, p. 49.
215 Platon entendait soit mettre au travail tous les mendiants, soit les bannir de la cité. Platon, Les Lois, 936 c, dans Œuvres complètes, II, p. 1082.
216 G. de LA Perriere, « Chronique 216 (1539-1540) », p. 38 ; Érasme, Adages, II, 8, 84, « Venter auribus caret », inspiré de Plutarque, Aulu-Gelle et Caton ; également sur l’adage, Rabelais, Pantagruel, III, 15 ; iv, 5 ; iv, 63 ; ix ; Quart livre, lxiii ; W.-F. Smith, « Rabelais et Érasme », RER, 6 (1908), p. 224 et 255 ; aussi Vauzelles et Champier, auteurs de la réforme lyonnaise inspirée par Vives, M. Bataillon, « J.-L. Vivès, réformateur de la bienfaisance », dans Mélanges Augustin Renaudet, BHR, 14 (1952), p. 141-158 ; N. Zemon-Davis, « Assistance, humanisme et hérésie : le cas de Lyon », dans Les cultures du peuple, p. 53 et 94 sq.
217 Saint Augustin, Épître canonique de saint Jacques ; G. de La Perriere, « Chronique 228 (1551-1552) », p. 140.
218 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 184.
219 Ibidem, p. 183. Sur la distinction entre l’économique et la chrématistique, Aristote, La Politique, I, 8 et 9, 1256 a-1258 a.
220 Bien que Platon estime que la richesse engendre nécessairement mollesse, fainéantise et goût du changement, Platon, La République, IV, 422 a, dans Œuvres complètes, I, p. 982.
221 G. de La Perriere, Morosophie, e. 69 : « De bien petit servent aux Cerf grandz cornes, / D’autant qu’il sont trop craintifz & couhars, / Or, & Richesse entre mains de gens mornes, / Et trop craintifz, endurent grandz hazardz ».
222 G. de LA Perriere, Miroir Politicque, p. 183.
223 Ibidem, p. 183 ; également « Chronique 229 (1552-1553) », p. 149. Sur les injonctions bibliques défavorables à la thésaurisation, qui trouvent ici écho (Mathieu, 6, 19 : « Nolite thesaurizare »), voir L. Scordia, ‘‘Le roi doit vivre du sien’’.
224 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 79 et 80 ; aussi Annalles de Foix, fol. [B ii-B ii v.] : « Car en ceste vie mortelle (en laquelle plus que jamays les voluptez sont courtes, et les douleurs longues), sans ouvrir noz yeulx à regarder nostre misere, et exciter noz cueurs, à contempler nostre calamité, nous ruynons journellement noz Ames, pour ediffier noz corps, et pour trop vouloir heriter en terre, nous faisons hexereder du Ciel. Faisans ung semblable et aussy peu proffitable eschange, que feist jadis Esau, qui pour la gloutonnerie du potaige fraternel, perdist la benediction paternelle. […] Les mortelz demandent journellement biens à Dieu, mays ilz ne luy demandent pas, qu’il leur donne grace de bien en user. Ilz desirent incessamment que fortune soit favorable à leurs affections, et ne s’estudient aulcunement que leurs voulentez soyent conformes à rayson. Ilz prennent grand peyne à embellir leurs corps, mayson, et domicille, et ne travaillent pas à decorer leur esperit. Ilz cherchent curieusement et achaptent à gros pris les medecines des maladies corporelles, et des maladies de l’ame n’en font aulcun compte ».
225 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 43 et 76.
226 Ibidem, p. 79.
227 G. de La Perriere, Considerations des Quatre Mondes, fol. I3 v.-15.
228 Mesures déterminées par quantité et poids, celles-ci sont devenues des pièces ornées sur lesquelles on a représenté des images susceptibles de faire peur aux contrefacteurs, celles des dieux, puis celles des princes. G. de La Perriere, « Chronique 225 (1548-1549) », p. 101 ; Miroir Politicque, p. 182 ; voir la traduction d’Oresme, Le Livre de Politiques d’Aristote. Published from the Text of the Avranches Manuscript 223, éd. A. D. Menut, novembre 1970, I, 10, fol. 21 bc, p. 64-65 ; son commentaire sur le Livre des Éthiques, V, 11, fol. 100 abcd. Du Moulin consacre de longs développements à ces questions. J.-L. Thireau, Charles Du Moulin, p. 401 sq. Bodin insiste également sur l’importance des questions financières dans la République. J. Bodin, Les six livres, VI, 3, p. 117 sq.
229 G. de LA Perriere, Miroir Politicque, p. 183.
230 A. de Guevara, Histoire de Marc Aurèle, empereur romain, vray miroir et horloge des Princes, Paris, Pierre et Galiot du Pré, 1565, ch. XXVIII, fol. 41 v. : « car la varieté des estats, est fondement des dissenssions du commun : et semble à l’advis des hommes qu’il seroit meilleur que chacun fut conforme aux vestemens, egal aux viandes, pareil aux biens aussi que l’on se contentast d’une viande, postposans les comandements et obeyssances que les uns ont sur les autres. Car ostant toute la misere des uns, et leur baillat la moytié de la prospérité de autres, dés maintenant je proteste qu’il n’y auroit plus d’envie au monde ».
231 Comme J. Bodin, Les six livres, V, 2, p. 60.
232 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 60.
233 G. de La Perriere, « Chronique 216 (1539-1540) », p. 40.
234 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 60 ; Platon, La République, III, 390 d-e, Œuvres complètes, I, p. 941.
235 DS, 8 (1974), p. 331-355 (« Saint Jean Chrysostome »).
236 Voir supra, p. 45.
237 J.-L. Gazzaniga, « Le parlement de Toulouse et l’administration en Languedoc aux xve et xvie siècles », dans Histoire comparée de l’administration, p. 434.
238 Sur Cicéron (en particulier sur le De officiis, II, 21, puis II, 22), P. Mesnard, L’essor de la philosophie politique, p. 165 ; Sur More, Q. Skinner, « Thomas More’s Utopia and the Virtue of True Nobility », dans Visions of Politics, II, p. 227-228.
239 Les capitouls veillaient à l’équilibre des marchés et à la diversité des produits, au voiturage des aliments. En 1551-1552, comme les Toulousains tuaient trop d’agneaux et qu’aucun mouton ne se pouvait trouver dans la ville, ils prohibèrent l’abattage de jeunes agneaux. L’année suivante, ils prirent diverses dispositions pour l’acheminement des denrées, rendu difficile par les innondations de l’été et de l’automne. G. de La Perriere, « Chronique 228 (1551-1552) », « Chronique 229 (1552-1553) », p. 138, 140 et 148.
240 Le prix du blé était passé de 28 doubles en 1538 à 76 en 1539. SEule l’année 1546, où le blé avait atteint le sommet de 83 doubles, avait été plus chère. G. et G. Freche, Les prix des grains, p. 42-43.
241 Levée d’un impôt sur tous les citoyens, distributions d’argent tous les dimanches, alimentation des nouveaux arrivants n’ayant résidé trois ans à Toulouse pendant trois jours, et renvoi des valides au besoin munis de l’argent nécessaire à leur retour, à moins qu’un Toulousain n’accepte de les héberger, à charge pour lui de les entretenir ou de quelque autre arbitraire, enfin, ouverture des hôpitaux publics aux impotents. G. de La Perriere, « Chronique 216 (1539-1540) », p. 39-40.
242 G. de La Perriere, ibidem, p. 37 ; « Chronique 218 (1541-1542) », p. 53 ; « Chronique 225 (1548-1549) », p. 104. Sur l’annone, à laquelle se réfère aussi F. Patrizi (Livre tres fructueux et utile, fol. xl-xl v.), voir le Code (1.44, 1.52, 10.16, 11.25) et le Digeste (48.12). La Perrière préfère ici le droit romain à la philosophie, omettant de mentionner les « agoranomes » institués par Platon, Les Lois, VI, 764 b ou VIII, 849 a, dans Œuvres complètes, II, p. 829, 951.
243 G. de La Perriere, Le petit courtisan avec la maison parlante, et le moyen de parvenir de pauvreté à richesse, et comment le riche devient pauvre, Lyon, Pierre de Tournes, 1551, petit In-16° ; voir supra, p. 45.
244 Voir supra, p. 46.
245 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 66 et 70. Aristote dénonce les risques de voir les dirigeants privilégier leur richesse à l’intérêt public, Aristote, La Politique, II, 7, 1267 b, III, 13, 1284 a, III, 15 1286 b, p. 122, 231, 244.
246 G. de La Perriere, ibidem, p. 69.
247 L’ostracisme était décidé par le suffrage du peuple écrivant sur une coquille ou un morceau de terre cuite le nom de ceux contre qui il votait. À Athènes, ceux-là étaient bannis de leur cité pendant dix ans. À moins d’un bannissement pour crime, ils conservaient la propriété de leurs biens et pouvaient jouir de leurs revenus à l’étranger. Le temps légal de leur éloignement expiré, ils pouvaient revenir et retrouver tous leurs droits de citoyens. Alcibiade l’Ancien, Xanthippe, Aristide (483), Thémistoclè (472), Cimon et Thucydide (443) en furent frappés. À Argos, Mégare, Milet et Syracuse, l’ostracisme existait sous le nom de pétalisme (les noms étaient inscrits sur des feuilles d’olivier, non des coquilles), et durait trois ans. M. I. Finley, L’invention de la politique. Démocratie et politique en Grèce et dans la Rome républicaine, Paris, 1985, p. 91-92.
248 L’exil de Cosme de Médicis n’avait fait que renforcer sa popularité et accroître sa force politique. N. Machiavel, Histoire de Florence, IV, xvi-vii, v dans Œuvres, notamment p. 821, 922-925 ; J. Bodin, Les six livres, IV, 1, p. 47.
249 G. de LA Perriere, Miroir Politicque, p. 70-71, p. 83, renvoyant aux Vies d’Alcibiade, Périclès, Nycias et Aristide de Plutarque, à Hérodote (V, 92). Aristote attribue à Thrasybule le rôle de Périandre, et La Perrière, qui restitue aux deux héros leurs rôles respectifs selon Hérodote, renvoie de manière incorrecte au Stagirite, situant en III, 9, ce qui figure en III, 13, 1284 a, ou est mentionné en V, 10, 1302 b et 1311 a, Aristote, La Politique, notamment p. 232.
250 G. de La Perriere, ibidem, p. 70.
251 Ibidem, p. 70-71.
252 Ibidem, p. 84.
253 Ibidem, p. 83-84 : « Que tant plus une chose s’esloigne du myllieu, de tant plus elle est pire : & tant plus s’en approche, plus elle est bonne » ? ; médiocrité est nécessaire en toutes choses, et notamment à la bonne santé du corps humain lequel « consiste en mediocrité, harmonie & temperament d’humeurs & qualitez, & maladie procede d’excez ».
254 Ibidem, p. 182 ; Aristote, La Politique, IV, 11, 1295 b, p. 301 ; P. Michaud-Quantin, « Les catégories sociales dans le vocabulaire des canonistes et moralistes au xiiie siècle », dans Études sur le vocabulaire philosophique, p. 174-176.
255 G. de La Perriere, ibidem, p. 84.
256 V. Conti, « Forme di stato e forme di governo », p. 20.
257 J. Ceard, « Le modèle de la République », p. 184.
258 M.-F. Renoux-Zagame, Origines théologiques, p. 269 sq. ; Histoire de la pensée politique moderne, p. 128 sq.
259 W. F. Church, Constitutional Thought, p. 181-187 ; J.-L. Thireau, Charles Du Moulin, 1980.
260 Les juristes romains ont peu évoqué les origines du droit de propriété, mais le Digeste exprime l’idée qu’un tel droit ne peut exister sans l’État, faisant du droit des gens le lieu de naissance des souverainetés et de la propriété (voir D. 13, 6, 5, 15 ; Ulpien, XLIII, 26, 1) ; R. W. Carlyle, A. J. Carlyle, A History of Mediaeval Political Theory in the West, Édimbourg-Londres, 1903, I, p. 50 sq. ; J. Coleman, « La propriété et le droit romain », dans Histoire de la pensée politique médiévale, p. 578-582 ; M.-F. Renoux-Zagame, Origines théologiques, p. 54, 231.
261 Comme bon nombre de ses contemporains, qui estimaient que les impositions devaient être concédées par les États Généraux. Même pour Bodin, la propriété privée représentait le corps des immunités populaires, une sphère de droits traditionnellement indépendante de l’autorité royale, constituant ainsi la plus importante des limitations à l’autorité royale : « aux rois appartiennent l’autorité sur tout, aux personnes privées, la propriété ». W. F. Church, Constitutional Thought, p. 165-167, 174-175, 225-226, 234-235, 254-260 ; sur l’administration financière du royaume, R. Doucet, Les institutions de la France, I, ch. XII et XIII, p. 284-312 ; L. Scordia, ‘‘Le roi doit vivre du sien’’. Alciat se préoccupait également du problème dans « Quod non capit christus rapit fiscus », inspiré du droit pontifical (« hoc tolli fiscus, quod non capit Christus »), de Suétone (Vita divi Vespasiani, 16) ; Alciat, 1531, 63, dans Toutes les emblemes, 1558 ; M. A. de Angelis, Gli Emblemi di Andrea Alciato, p. 228- 229.
262 Même s’il se réjouit dans une chronique du nouveau système permettant d’imposer les citoyens avec équité, le département des deniers devant être fait désormais pour deux tiers sur les tailles et deniers ordinaires, pour un tiers sur les tenanciers des immeubles roturiers et ruraux, malgré l’opposition formée par les marchands navigants et autres : « La chose que plus tient une Republicque en paix et tranquilité (comme dict Aristote en ses politicques) est de ne grever les citoyens par tailles empruntz et aultres succides oultre leur possibilité, car qui leur impose charge à leurs forces insuportable, ilz les mect en voye de sedition et de se mutiner ». G. de La Perriere, « Chronique 226 (1549-1550) » et « Chronique 227 (1550- 1551) », p. 121, 126-128, invoquant le contre-exemple de Roboam (1 Rois 12, 1-24 et 2 Chroniques 10, 1-19).
263 Alors même que la Bible ne propose aucun concept spécifiquement juridique. P. I. Andre-Vincent, « Le langage du droit dans la Bible », dans Le langage et le droit, APD, n. s., 19 (1974), p. 89-101.
264 Sur l’augustinisme politique, « absence d’une distinction formelle entre le domaine de la philosophie et de la théologie, c’est-à-dire entre l’ordre des vérités rationnelles et celui des vérités révélées », H.-X. Arquilliere, L’augustinisme politique. Essai sur la formation des théories politiques au Moyen Âge, Paris, 1933 ; 2e éd. 1972. La volonté de soumettre le droit à la morale et à l’éthique chrétienne sous-tend les écrits de Du Moulin et la pensée de nombreux réformés. Elle est paradoxalement l’une des caractéristiques fortes des conceptions relatives au droit au moment de l’émergence de l’esprit laïque. J.-L. Thireau, Charles Du Moulin, p. 62-73 ; Id., « Préceptes divins et normes juridiques dans la doctrine française du xvie siècle », dans Le droit entre laïcisation et néo-sacralisation, p. 109-141 ; dans le même opus, M.-F. Renoux-Zagame, « Du juge-prêtre au roi-idole », p. 143-186.
265 Sur Oresme, J. Krynen, L’empire du roi, p. 115 ; sur Bodin et les sources ayant inspiré sa Methodus, notamment P. Mesnard, « Jean Bodin à Toulouse », p. 31-59 ; J.H. Franklin, Jean Bodin, p. 44.
266 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 131.
267 En 1554, Du Moulin rejette l’identification du droit romain comme jus commune et refuse l’assimilation des coutumes françaises aux statuts italiens en estimant qu’elles forment un droit propre, « jus peculiarum et commune Francorum et Gallorum », et que le droit romain ne peut être utile qu’à titre facultatif, lorsqu’il apparaît conforme à la raison et aux usages de la France. J.-L. Thireau, Charles Du Moulin, 1980 ; Id., « Le comparatisme et la naissance du droit français », RHFD, 10-11 (1990), p. 160 sq. Plus généralement, du même auteur, « La doctrine civiliste avant le code civil », dans La Doctrine juridique, Paris, 1993, p. 41 ; Id., « Alliance des lois romaines avec le droit français », dans Droit romain, ‘‘Jus Civile’’ et Droit français, p. 349-374.
268 Laquelle faisait cependant l’objet de recueils de plus en plus nombreux, comme en témoignent les travaux de G. D. Guyon, « Un arrêtiste bordelais : Nicolas Boerius », Annales de la faculté de droit, des sciences sociales et politiques de la faculté des sciences économiques, Université de Bordeaux I, 1 (1976), p. 17-44 ; Id., « Recherches sur la méthode jurisprudentielle criminelle du parlement de Bordeaux au xvie siècle », dans Les parlements de Province, p. 285-309 ; Id., « Bernard Automne juriste bordelais (1574-1666) », RHFD, 20 (1999), p. 197-224 ; Id., « Les annotations de la coutume de Bordeaux et la romanisation du droit pénal », dans Droit romain, ‘‘Jus Civile’’ et Droit français, p. 297-328 et, dans ce même opus, J. Poumarede, « Droit romain et rédaction des coutumes dans le ressort du parlement de Bordeaux », p. 329-345 ; également Les recueils d’arrêts et dictionnaires de jurisprudence, xvie-xviiie siècles, dir. S. Dauchy et V. Demars-Sion, Paris, 2005, dont G. D. Guyon, « Les décisionnaires bordelais, praticiens des deux droits (xve-xviiie siècles) », p. 105-138 et J. Poumarede, « Les arrestographes toulousains », p. 25-41.
269 « Dieu distribue au genre humain les droitz humains par les empereurs & recteurs du siècle ». G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 96.
270 Gaïus fondait son exposé sur l’étude des res. Les juristes romains pratiquaient par prédilection une méthode casuistique partant de l’observation de la cause, cherchant la solution dans la réalité de l’être plus que dans une norme, suivant la maxime romaine souvent glosée, « l’art imite la nature » (Institutes, I, II, 14). Sur la conception médiévale du droit naturel, voir les mises en garde de Michel Villey : « ce qu’on entendait autrefois par droit naturel n’était pas un ensemble de règles, c’était le juste, non un système rigide et fixé une fois pour toutes, mais un droit au-delà de ces règles, adapté à chaque circonstance, non un « corps de préceptes immuables, formant dualisme, superposé aux lois positives ». M. Villey, « Une définition du droit », APD, 1959 ; Id., « La nature des choses » (Toulouse, septembre 1964), réédité dans Seize essais, p. 15-37, 50-52 ; Voir encore E. Kantorowicz, « The Sovereignty of the Artist. A Note on Legal Maxims and Renaissance Theories of Art », dans De artibus opuscula XL Essays in honor or E. Panofsky, éd. M. Meiss, New York, 1961, p. 267-279, repris dans Mourir pour la patrie, Paris, 1984 ; M. Villey, « Le droit naturel et l’histoire » (Historicité et relativisme, colloque de Bolzano, novembre 1968) ; rééditée dans Seize essais, p. 84 ; aussi « L’humanisme et le droit » (conférence de Salzbourg, 1966), et « La nature des choses » (colloque de Toulouse, septembre 1964) ; aussi réédités dans Seize essais, p. 60-72 ; J.-L. Thireau, « L’enseignement du droit », p. 27-36 ; enfin, Id., « La doctrine civiliste », p. 27-36.
271 J.-L. Thireau, « Cicéron et le droit naturel », p. 60 sq. ; Id., « Préceptes divins et normes juridiques », p. 122 sq. ; Id., « Hugues Doneau et les fondements de la codification moderne », La Codification, II, Droits, 26 (1997), p. 81-100. Sur l’effort de synthèse des auteurs de la fin du xvie siècle, voir J. Bodin, Exposé du droit universel. Juris universi distributio (1580), éd. L. Jerphagnon, S. Goyard-Fabre, R. Rampelberg, Paris, 1985 et aussi, outre les articles précités, M. Reulos, « L’importance des praticiens dans l’humanisme juridique », dans Pédagogues et juristes. Congrès du CESR de Tours, été 1960, Paris, 1963, p. 119-133.
272 Maximes citées par J.-L. Thireau, « La doctrine civiliste », p. 23.
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