Chapitre préliminaire. Aux origines de la civile société
p. 55-76
Texte intégral
1Ce n’est que par bribes que Guillaume de La Perrière a livré ses vues sur la constitution historique de la République. Nulle part il n’a réuni ses considérations sur la question. Pour autant, ses réflexions théologiques et philosophiques lui ont donné une idée assez précise de la place de l’homme dans l’univers, consignée en 1540 dans l’un de ses travaux municipaux comme dans les plus tardives Considérations des Quatre Mondes (I). Et, entre les diverses opinions consacrées à l’origine de la cité, il en a élue une : soucieux qu’il est de définir la « civile société » à ses lecteurs, il en livre les clés dans le Miroir Politicque (II).
I. Le dogme créationniste et la nature de l’homme
2Dans son Catalogue et Summaire de la fundation, principalles coustumes, libertez, droictz, privilieges et aultres actes des cité, conté, capitoulz, citoyens et habitans de Tholoze1, en 1540, La Perrière, suivant saint Jean et Pic de La Mirandole, envisage trois « mondes ». Le premier, angélique, ou intellectuel, compte Dieu, les hiérarchies angéliques, les esprits et la cité divine ; le second, céleste, est formé des cieux, étoiles, planètes, pôles et cercles ; le troisième enfin, terrestre, comprend les corps élémentaires, raisonnables, sensibles, végétaux et minéraux. La continuelle étude de « divine et humaine philosophie » à laquelle il atteste s’être livré en préparant ses Considerations des Quatre Mondes élargit assurément ses horizons : comme l’indique le titre de cette dernière œuvre, en 1552, il différencie désormais « Quatre Mondes ». Distinguant le monde divin du monde intellectuel, il attribue ainsi à Dieu, grand ordonnateur de l’ensemble, un monde propre2. Au-delà de ces hésitations, il paraît manifeste que pour l’humaniste toulousain comme pour l’auteur de l’Institution de la Religion chrétienne, la question de la connaissance de Dieu est la plus importante et la plus impénétrable de toutes3. Pour tâcher d’y répondre, La Perrière n’hésite pas à faire appel aux lettres classiques. Là où Calvin se réfère aux seules Saintes Écritures, il allègue le De natura Deorum de Cicéron puis Aristote. Il n’en conclut pas moins à son tour à l’impossibilité de connaître Dieu. Repris à la fois dans la Morosophie4 et dans les Considérations des Quatre Mondes, le thème lui tient à cœur. Influencé par les théories platoniciennes sur la connaissance, l’humaniste veut croire que l’homme peut chercher et découvrir de manière parcellaire, par « symbolisation », les choses spirituelles, car, écrit-il,
les choses à noz yeux corporelz visibles, sont les images des invisibles, & les choses sensibles, sont les simulachres des intelligibles. Et de ce depent la raison, pourquoy nostre esprit englué en ceste charnelle masse, ne peut avoir cognoissance de createur que par maniere d’enigme, come dedans un miroir5.
3Au-delà du caractère limité de cette connaissance analogique, l’homme, croit-il, peut parvenir à un savoir pénétrant des choses, la foi venant suppléer la raison chancelante. Incapable lui-même d’envisager le vivant sans en référer à l’éternel, il ne peut qu’exprimer sa foi en une immanente justice divine6 : Redime me a calumniis hominum répète sa devise7.
4À ses yeux, le monde divin constitue le point d’ancrage vital des mondes inférieurs, le point de départ et d’arrivée de cette « merveilleuse chayne homericque » décrite par Marsile Ficin dans son commentaire sur le Banquet de Platon. Cette chaîne relie, par amour, l’ensemble des mondes8. Porteurs de « l’éternelle loy, & volunté de Dieu », les anges peuplant le monde angélique se font les exécuteurs des ordonnances divines auprès des mondes inférieurs9 ; témoignage de la sapience et de la puissance du Créateur, le monde céleste donne « mouvement vital » au monde terrestre, conformément à ce qu’affirment Aristote (Météores), Ptolémée et toute la « tourbe des astrologiens »10. Chacun d’entre ces mondes cependant s’éloigne davantage du divin. Le monde terrestre, « monde de tenebres », ne fait en définitive que refléter une pureté qu’il ne peut atteindre, d’autant que se trouve là « la maison de corruption et generation de vie et de mort »11. Pour avoir cru en l’éternité du monde, Aristote et Platon se sont trompés. La Perrière se montre formel : il y a eu un début, il y aura une fin. Les Considérations des Quatre mondes dénoncent à la fois les auteurs païens qui ont considéré avec Thalès que l’eau a constitué le principe originaire, ceux qui ont cru avec Diogène que c’était plutôt l’air et ceux qui ont suivi Épicure en pensant qu’il s’agissait des atomes. L’auteur lui-même suppose l’existence d’un chaos initial ayant abouti à la création des éléments, le sec et le chaud s’étant élevés jusqu’au plus haut du monde, l’humide et le chaud s’étant trouvés transformés en air, l’humide et le froid étant devenus liquide, le sec et le froid ayant formé la terre12. Il scrute un ciel dans lequel il observe le cours régulier et les révolutions cycliques des astres ainsi que certains phénomènes ponctuels comme les éclipses. Il y voit un monde parfaitement réglé, dont l’influence s’étend sur la terre et les hommes, la lune agissant sur les flots marins et sur les corps « tant brutaux comme humains »13, le soleil et la terre s’unissant dans une admirable combinaison naturelle pour produire les biens du monde terrestre,
La Terre conceoit comme femelle, & baille l’humidité nutritive aux arbres & plantes, comme mere. Le Soleil baille la chaleur vivificative, comme masle & pere14.
5La théorie copernicienne n’est pas parvenue jusqu’à lui15. C’est encore la terre qui constitue pour lui le centre d’un monde sensible tournant sur lui-même16.
6Union d’une créature suprême, l’âme divine et immortelle, et d’une autre infime, l’être corporel, l’homme occupe dans ce monde une place à part. Entre toutes choses élémentaires, raisonnables, végétales ou minérales, il est, assure La Perrière suivant Mercure Trismégiste, son « plus grand miracle, & plus grand chef d’œuvre »17. La possession d’une âme immortelle le rapproche de Dieu et des anges. L’âme, en effet, substance vivante et incorporelle, habite l’ensemble du corps humain sans pouvoir « transmigrer », comme l’a démontré Jean Damascène. Elle confère à l’homme raison et libre-arbitre, sens et croissance corporelle18. Plutarque et Cassiodore y voyaient cinq puissances différentes : sensualité, sens, imagination, raison et intellect. C’est grâce à elle que se trouve « meu & gouverné de toutes ses partz »19 un corps qui révèle à son tour la dignité et l’excellence de l’homme20, un corps dont « la figure, symmetrie & proportion […] est si excellente, & de tel artifice, que Dieu l’ha voulu monstrer en six choses : à savoir est, en choses myneralles, en plantes, en bestes, en poyssons, & en oyseaux, & en Astres »21. Tous individus témoignent de l’unicité de la nature humaine évoquée par Aristote, pour avoir été
engendrez de semblable semence et masse spramatique et pourtez au ventre maternel par semblable ennuy et peyne, et semblablement enfantez en semblable pleur et imbecillité22.
7Les femmes cependant présentent certaines caractéristiques particulières. Ayant cautionné les Controverses des sexes femenins et masculins de son ami d’enfance Gratien Du Pont de Drusac23, La Perrière véhicule dans ses œuvres, en particulier dans son Theatre des Bons Engins, une image assez gauloise de la femme et de l’amour24. Bien que sensible, en dépit de son statut clérical, à des charmes féminins qu’il célèbre dans ses Cent considérations d’Amour25, il demeure prisonnier des préjugés de son temps. Dans le Miroir Politicque, renvoyant aux théories des humeurs énoncées par Galien et diffusées par Arnaud de Villeneuve, il démontre l’infériorité de la femme par rapport à l’homme. Au symbole masculin du soleil, chaud et sec, il oppose la froide et humide lune symbolisant la femme. À la force et la constance qu’il attribue au premier, il compare l’impuissance et la débilité de cette dernière26. Contrairement à Drusac, il n’accable pas cependant la femme. Affirmant qu’elle fut créée pour être la compagne de l’homme, il ne mentionne pas la faute originelle d’Ève, jugeant sans doute que l’homme a cédé à la tentatrice quand il aurait dû résister27. C’est à excuser les imperfections des femmes qu’il exhorte ses lecteurs, notant que c’est « Nature » qui les a « produictes plus muables en vouloir & plus fragiles en conseil ». C’est à leurs contempteurs qu’il s’en prend désormais, jugeant qu’ayant dévié du sentier de raison, ils se trouvent indignes des femmes qui les ont conçus, allaités et nourris28. Il ne les place pas moins sous la vigilante autorité de leurs maris29.
8Hommes ou femmes subissent en toute hypothèse un sort identique, scindé dans la Morosophie en sept temps. De la naissance jusqu’à sept ans, l’enfance est placée sous le signe de la Lune, de l’inconstance et de l’humidité. Succède une période transitoire au cours de laquelle Mercure dirige l’apprentissage des arts, puis l’adolescence au cours de laquelle Vénus fait croître le sang et la semence. Vient ensuite la jeunesse, illuminée par le soleil, puis la virilité, lorsque Mars favorise la subtilité de l’esprit et que, déjà, le corps va sur son déclin. Avec la vieillesse, Jupiter inspire la sagesse du sens, mais la vigueur corporelle diminue. Saturne accompagne enfin la décrépitude de l’homme30. Immuable, cette loi de nature s’applique à tous, indépendamment de toute richesse ou statut social. Pour tous, elle s’achève dans la mort31.
9Contrairement à nombre de ses contemporains, de Machiavel à Bodin en passant par les Réformateurs, La Perrière ne considère pas l’être humain comme un être foncièrement mauvais ou plein de concupiscence32. Mais il observe que l’homme, malhabile, s’avère incapable de surmonter les grandes difficultés de l’existence. Mi-bête mi-homme, il ne possède ni le sens ni la sagesse qui lui permettraient de franchir sereinement les différentes étapes de la vie. Ses emblèmes le relatent : « Mal instruict et rude » par nature, il se peut « polir » par doctrine33, mais, asservi par son corps, il doit lutter continuellement contre la mort et les multiples attraits de « charnelle volupté »34. Ses bonnes intentions n’y résistent guère : comme Diogène l’a constaté, il est quasiment impossible de trouver un seul homme de sens35. La vie se présente à chacun comme un parcours difficile, un « pelerinaige » semé d’embûches qui ne se parcourt guère dans l’allégresse. Celle de La Perrière n’y fit pas exception ; à la fin de sa vie, fatigué et peut-être malade36, c’est la persévérance qu’il considère comme la plus essentielle des vertus37. Ici, il cite un dit attribué à Silenus par Cicéron, disant qu’il eût mieux valu mourir tout de suite que vivre, et Socrate disant
que ceste mortelle vie consistoit en cure et sollicitude continuelle. Ce qu’est apparent tant à l’entrée, discours, comme l’issue d’icelle. Il est notoire que l’entrée de la vie humaine est flebile, le discours debille, et l’issue horrible. Et bien souvent issue est sy pres de l’entrée & le discours si court, que à peyne peult-il estre apperceu38.
10Là, suivant les philosophes platoniciens, comme avait pu le faire Budé au commencement de son Institution39, il indique que les hommes,
voulans passer le pelerinaige de ceste mortelle vie s’ilz ne veullent cheoir au labirinte inextricable de confusion fault necessairement estre conduitz par troys principaulx regens et conducteurs assavoir est Raison, experience et ancienne auctorité40.
11Vantant les qualités de la raison, la Perrière y voit une caractéristique propre au genre humain sinon la caractéristique justifiant la domination des hommes sur les bêtes. Proche en cela de Budé, il ne paraît pas suivre les Réformateurs qui jugeaient la raison corrompue et « en partie débilitée »41. Raison permet de conduire son propre corps comme un « capitaine de gendarmerie », répète-t-il après Aristote. Bien qu’inhabile à percer les mystères divins, elle aide l’individu à comprendre le monde qui l’entoure pour « parfectement entendre les secretz de nature, comme la simbolisation des elemens, le movement et l’armonie des cieulx et choses semblables ». Raison, a justement conclu Cicéron dans ses Questions tusculanes, « est la dame et royne de toutes choses »42. Sans doute n’a-t-elle pas été distribuée à tous de manière identique. Héritier de Platon, l’humaniste s’accorde avec ses contemporains pour voir dans cette disparité la justification naturelle des inégalités sociales et politiques43. S’il considère que, suivant « la loi de naissance », tous les hommes auraient dû être égaux, il juge que la plus ou moins grande profondeur de raison conférée à chacun légitime les différences qui les opposent « en domination et autorité » :
Et l’ung ne debvroit estre subject à l’aultre si ce n’est que les ung ayent plus de raison que les aultres. Et ceulx qui sont munys et pourveuz d’icelle doibvent meritoirement estre superieurs sur les aultres d’aultant que par la raison qu’ilz ont en eulx, ilz sont plus prouchains à la divinité. Et ceulx qui sont depourveuz de raison sont meritoirement inferieurs et subjects d’aultant que par default d’icelle ilz approuchent à brutallité44.
12Cette inégalité innée se trouve accrue par l’acquis, l’expérience ou l’« ancienne autorité » venant seconder la raison pour guider l’homme vers sa fin. Expérience, « congnoissance trouvée par usaige continué sans instructeur », permet à l’homme de s’adapter aux circonstances. Nouvelle « maîtresse des choses », elle s’incarne pour La Perrière dans les exemples mythiques d’Ulysse et d’Enée ayant traversé de nombreux climats et contrées pour expérimenter les mœurs de plusieurs nations. Contrairement à la raison, donnée à la naissance, elle présuppose d’avoir vécu longuement ; par définition, elle ne peut donc se trouver chez les jeunes gens par nature étourdis et indiscrets45, comme d’ailleurs l’« ancienne autorité » qui permet à l’homme naturellement « rude » d’être « poli » par doctrine pourvu qu’il consacre de longues heures à l’étude46. Aussi s’avère-t-il difficile de réunir les qualités nécessaires pour mener à bien son existence. Seul celui qui, de nature raisonnable, a su s’assagir par son expérience et se nourrir du savoir immémorial procuré par ses lectures sera à même d’y parvenir.
13En homme de la Renaissance, La Perrière a pris conscience de l’évolution des civilisations. Il se félicite tout particulièrement de l’invention, « plustost divine que humaine », de l’imprimerie47. Il est conscient que ses contemporains se trouvent de ce fait nantis d’une sagesse aussi universelle qu’atemporelle, et que, munis d’une vision sans cesse plus pénétrante du monde, ils sont semblables au nain juché sur des épaules de géants dont parlait déjà Bernard de Chartres48. Aussi, quand certains de ses contemporains véhiculent une vision idyllique des premiers âges du monde, l’humaniste se révèle étranger au mythe de l’âge d’or49. Il se réjouit, en réalité, de ce que ce temps, innocent mais sauvage, ait laissé place à la civilisation comme la barbarie médiévale s’est effacée devant la Renaissance, même si c’est avec considération qu’il envisage la sagesse ancestrale qui en est issue50, laquelle, justement, permet seule à l’homme d’atteindre un degré de savoir et de civilité jamais égalé,
Qu’il soit ainsi, il est notoire à tout homme de bon scavoir, que tous les ruysseaulx desquelz les doctes latins ont esté abreuvez ont prins leur source de la fontayne grecque. Or lecteur, nous pouvons dire que non seullement les Grecz ont esté l’idée des Latins, ains l’ont aussy esté des Francoys51.
14À ses yeux, l’homme se doit avant toute chose de conserver une grande humilité. Ne représentant que bien peu de chose à l’échelle de l’univers, il ne possède à tout prendre que des capacités bien limitées au regard de celles du Créateur52. Par une utilisation à bon escient de son libre-arbitre, par l’acquisition et l’éventuelle maîtrise des trois « régents » de la vie humaine, il parviendra à une certaine sagesse, jamais à maîtriser une vie irrémédiablement placée sous le signe de divine Providence ou de Fortune. Aussi l’homme doit-il demeurer tendu vers la réalisation de la seule fin qui lui est certaine, et qui se trouve au ciel. Des trois biens que, selon la théorie aristotélicienne, La Perrière reconnaît à l’homme (l’âme, le corps et la possession de choses extérieures), l’âme est la plus essentielle53. À ses lecteurs de ne point se méprendre sur ce point : Qu’ils se contentent de répondre aux exigences de leur nature sans se laisser corrompre par les jouissances futiles et coupables de la vie terrestre ! Qu’ils ne préfèrent les choses mortelles aux célestes ! Seules la vertu et l’entretien d’une foi exprimée dans une relation intime à Dieu leur ouvriront les portes du ciel54. L’âme seule sera éternelle quand le corps et les biens extérieurs auront disparu.
15Dans la satisfaction des contraintes naturelles que sa nature fait peser sur lui, l’homme se doit donc de faire preuve de modération. Naturellement, il lui faut satisfaire les nécessités premières qui s’imposent à lui55. Comme les bêtes, il ne peut se passer d’aliments et de nourriture car « la chaleur naturele consume continuelement nostre humide radical, comme la lumiere consume l’huyle en la lampe ». « Toute l’eschole des souverains et excellens physiciens & medecins tant grecs, Arabes que Latins » l’a par ailleurs démontré : pour assurer la survie de son corps, il doit substituer à l’« humide radical » l’« humide nutrimental » fourni par la consommation de pain, vin, chair et autres aliments56. Pour protéger son propre corps, sa famille et ses biens des intempéries, chaleurs excessives, vents, pluies, grêles et autres froidures comme des injures des méchants, il doit encore construire des maisons et tisser des vêtements57. Puis il lui faut des armes, des harnais et des chevaux pour défendre sa liberté, laquelle, estime l’auteur du Miroir Politicque, « outrepasse en valeur toute richesse »58. Il serait vain de poursuivre au-delà une quête effrénée, et inextinguible, de l’accumulation des richesses59.
16Multiplication morbide des besoins de l’homme, désir de luxe et de superflu que ce processus aboutissant à celui d’agrandir le territoire primitif de la société et à la nécessité des armes, avait jugé Platon60. Justification naturelle de la création des sociétés, civiles ou politiques, estime La Perrière.
II. Des sociétés, civiles sociétés et républiques
17Seule la mise en commun des aptitudes personnelles permet de satisfaire les exigences de tous, considère l’auteur du Miroir Politicque :
faut presupposer que comme ainsi soit que ne se puisse trouver homme de si grande industrie, engin ou prudence qui de luy mesme sans ayde d’autruy se puisse passer de societé & se puisse ministrer toutes choses à soy necessaires, la societé de plusieurs a esté inventée à fin qu’en donnant, prenant, changeant & communicquant de l’un à l’autre l’un secourust à l’autre de ce qu’il auroit besoing61.
18Conjecturant comme Platon une certaine « spécialisation » des compétences propres à chaque individu, il relève avec une longue tradition aristotélicienne le caractère fondamentalement naturel de la société62. Quand bon nombre de ses contemporains, tels Machiavel ou Bodin, considèrent celle-ci comme une création rendue nécessaire par la violence pour répondre au péché originel ou à la corruption radicale de l’homme63, lui y voit une invention propre à satisfaire ses besoins naturels par l’échange de savoir-faire et de biens, une invention délibérée et volontaire, mue par l’espérance d’un quelconque profit :
Societé est assemblée et consentement de plusieurs en un, tendans d’acquerir aucun bien utile, delectable, honneste ou ayant apparence de l’estre, ou tendans de fuyr ou eviter aucun mal64.
19Selon ce schéma tout aristotélicien, la société est envisagée à la fois comme une création naturelle, dont la genèse suit un cheminement analogue à celui d’une maturation biologique, et comme une création volontaire de l’homme, résultant d’une convention ou d’un contrat, dont l’auteur du Miroir politicque comme plus tard Bodin ou les monarchomaques relève l’importance dans toute « civile société »65. Elle a pour fin la recherche d’un bien commun qui, défini positivement comme l’acquisition d’une chose ou négativement comme son élimination, est susceptible de revêtir bien des aspects, car,
tout ainsi que nous avons bien en plusieurs sortes, à scavoir est bien utile, bien delectable, & bien honneste : semblablement nous avons plusieurs & diverses sortes de societés66.
20C’est donc une vision plurielle, toute aristotélicienne, du Bien, qui implique la pluralité des sociétés humaines. Ainsi, explique La Perrière, les sociétés de marchands sont-elles mues par la recherche d’utilité, tant publique que privée. Celles de certains jeunes gens, comme « les chevaliers de la Table Ronde », visent la jouissance de plaisirs charnels, délectation et volupté. Celles d’hommes studieux, tels ces philosophes voyageurs ayant suivi Appollonius de Thiane en Inde pour voir les Brahmanes et les Gymnosophistes, ou le grand Hiarcas voir la table du soleil, poursuivent l’acquisition de la science en illustrant la quête éminemment louable de l’honnêteté. D’autres sociétés, s’étant fixé pour objectif l’obtention d’un bien déterminé, peuvent se tromper d’objet, car souvent, « aucun bien ayant similitude de bien »« n’est pas à la verité bien : ains ha la seule apparence »67. Aussi, à côté des sociétés précitées poursuivant des biens « authentiques », celles-ci recherchent-elles volontairement ou involontairement de « faux biens », à l’instar des sociétés de « volleurs, brigandz, ruffiens, faux monoyeurs & semblables », qui briguent l’acquisition déshonnête des richesses, ou à l’instar de celles de gens « lubricques et epicuriens » en quête des fausses délectations et des voluptés de la chair hors mariage. L’humaniste semble les excuser. Leurs membres se trouvent dans l’erreur, les premiers croyant « que leur façon de vivre est bonne, & qu’il est chose utile de desrober autruy, combien que larrecin soit mauvais, & tant par droit divin que humain reprouvé », les seconds également, auxquels semble être bon « de paillarder, boire, manger que dormir […] combien qu’elle ayt en soy plus de fiel que de myel, & d’aloes que de sucre ». Les sociétés de praticiens, notaires et solliciteurs, qui dérobent « sous couleur des frais de justice » et masquent leurs vices sous quelque ombrage de vertu, s’associant « souz pretexte d’honnesteté apparente, & non existente », sont jugées plus sévèrement. Quel que soit leur degré de malhonnêteté, toutes cependant sont dangereuses : susceptibles de « ruiner » les Républiques68, elles doivent être éliminées du corps politique.
21Alléguant le vigoureux discours prononcé par Carnéade à Rome mais se refusant à suivre la pente sur laquelle s’est hasardé Machiavel, l’auteur récuse toute dissociation entre honnêteté et utilité69. L’exemple le plus probant de cette vertueuse union est à ses yeux constitué par la famille. Première des sociétés, la plus commune de toutes, créée dans un but d’honnêteté, celle-ci est définie une nouvelle fois avec Aristote :
La communion et assemblement de la famille, est une societé tendant à fin du bien & prouffit domesticque70.
22Sous-divisée en trois sociétés inférieures, la famille constitue la cellule fondamentale de la cité71. Aussi ne sera-t-il pas inutile d’en expliciter le fonctionnement dans un manuel de gouvernement. La Perrière s’en justifie. La grammaire prend son commencement des lettres, la logique du nom et du verbe, la géométrie du point, l’arithmétique d’unité (monade en grec), la musique du demi-ton,
Pourquoy donc parlant de civile société & de la cité, ne commencerons nous pas à ses plus petites partie, à scavoir est, aux parties de la maison desquelles les cités viennent en nature ?72
23Corroborées par de nombreux parallèles établis dans le Miroir Politicque entre la plus grande société (la République) et la plus petite (la maison), ces réflexions le démontrent : pour l’auteur, tout inspiré d’Aristote, l’État n’est en réalité qu’une des formes du fait social. Ainsi :
Societé est genre envers la Republicque & la comprent en soy, d’autant que toute Republicque est Societé : mais toute société n’est pas Republique73.
24En définitive, toutes les sociétés humaines sont les manifestations d’un genre unique ; elles dérivent d’une « forme » commune, l’« universitas ». Pas davantage que chez les juristes médiévaux la spécificité de l’État n’est ici pensée74. La République se trouve d’ailleurs ainsi définie :
Republicque, ou (comme disoyent les anciens auteurs Françoys) chose publicque est l’ordonnance d’une cité, de laquelle depend le bien ou le mal d’icelle : comme le bien ou le mal de la maison, depend du pere de famille : de la navire, du pilote ou naucher : de l’armée, du chief ou conducteur d’icelle75.
25Gouvernement et République tendent là à se confondre. Celle-ci porte une dimension politique intrinsèque qu’on semblait jusque-là lui refuser, l’organisation du pouvoir, dont la fonction principale est d’ordonner la communauté pour la rendre viable et en assurer la conservation76 ; elle n’est pas l’État. À l’instar de toute société, elle englobe des réalités diverses, revêt des formes différentes pour atteindre des fins éventuellement opposées, satisfaire les besoins de l’homme en toute honnêteté ou, au contraire le conduire vers le vice, selon les choix effectués par les fondateurs originaires. La société politique en effet tire également son origine d’une création délibérée de l’homme,
Car tous ceux qui entre eux font aliance & confederation de societez, ilz font le tout pour l’amour de parvenir à ce que leur semble bon, utile, joyeux ou honeste. Faut donc necessairement conclure que toutes citez & civiles societez sont pour aucun bien constituées, & pensent toutes que pour leur assemblement puissent parvenir à quelque bien77.
26Le mouvement poussant l’homme vers la société politique n’est pas ici le résultat d’une force aveugle, à l’instar de celle qui guide les oiseaux migrateurs, mais celui d’une adhésion volontaire et intéressée. Il est le fruit d’un naturalisme aristotélicien trouvant son aboutissement dans le conventionnalisme stoïcien. La théorie conventionnelle de l’origine du pouvoir politique, propagée par les nombreux penseurs du Moyen Âge dont l’aristotélisme s’était frotté au droit romain78, l’était à la Renaissance par les auteurs dont les idées constitutionnalistes étaient ravivées par les considérations cicéroniennes79. La Perrière y adhère sans réserves, évoquant d’ailleurs, incidemment, une création de société par « mutation » de République, celle de la Ligue des cantons suisses née sous le règne de saint Louis, par « confederation & alliance (qu’ilz appellerent fraternelle) »80.
27L’exemple reflète à la fois la diversité politique et institutionnelle du genre de société qualifié de « République », et la variété terminologique dont il use à son endroit. Civile société, République, cité, confédération, se confondent en effet sous sa plume avec de nouveaux synonymes, puisque
Police est une diction dérivée de ϖολιτεια diction grecque, que nous pouvons interpreter en nostre langue civilité. Et que les Grecz appellent gouvernement politicque, les Latins appellent gouvernement de Republicque ou civile société81.
28L’humaniste manie ces concepts sans trop s’embarrasser, en faisant peu de cas des scrupules éprouvés par certains juristes pour employer le terme de cité dans le sens de République82. Il est vrai que le témoignage le plus ancien de l’emploi du terme de « République » pour une ville médiévale française est toulousain : Arnaud Arpadelle admet la qualification de la maison consulaire comme chose publique et parle de la res publica toulousaine dès le xiiie siècle83. Tout aussi peu enclin que ce dernier à voir dans les villes de simples personnes privées dénuées de majestas, l’historiographe qu’est La Perrière ne fait en définitive que poursuivre ses réflexions. Symbole terrestre de la cité divine évoquée par saint Jean et saint Augustin84, la « République » de Toulouse, écrit-il, peut être comparée à la Rome républicaine :
Je consentz qu’il n’y a poinct de proportion entre la republicque des Romains, jadis florissante, et celle des Tolosains, ains y a grand disparité quant à l’extendue, richesse et puissance, mays ayant esgard à ce que la republicque des Tolosains contient, elle n’est pas moins provueue de bons Magistratz au temps present que la republicque des Romains au temps passé85.
29Pline l’a démontré : quelles que soient les différences opposant une abeille et un éléphant, une fourmi et un taureau, autant d’artifice caractérisent les uns et les autres. La Perrière en conclut à l’identité de principe rapprochant Rome de Toulouse, au-delà des différences de puissance, de richesse, ou d’étendue les séparant. Classant les communautés selon leur importance, les médiévaux ne faisaient pas de différences de genre ou d’espèce entre elles ; lui-même met sur un même plan l’immense et souveraine république romaine et l’orgueilleuse cité de Toulouse. Il lui suffit pour cela de considérer l’existence de gouvernements dotés de prérogatives importantes de puissance publique, conduisant respectivement l’une et l’autre86, ou de constater que le gouvernement de la cité toulousaine de la Renaissance se trouve aussi bien réglé qu’autrefois celui de Rome, tout en étant « beaucoup moindre en aucunes qualitez »87.
30La confusion entre République et gouvernement perce encore ici. Ce dernier s’affirme comme critère fondamental d’un État dont est envisagée en premier lieu la composante humaine, comme le révèle une nouvelle définition de la société politique, ou Cité, inspirée cette fois probablement par Cicéron ou Isidore de Séville, et établie comme
la congregation des hommes droictement et unicquement assemblée. Lesquelles assemblées ont esté commencement et fondement des citez, car cité par la ethimologie de la diction n’est autre chose que unité des citoyens88.
31Cette insistance a un corollaire de taille : la République a bien du mal à apparaître comme une personne morale distincte de ses membres. Aucun droit propre ne lui est reconnu. La Perrière n’évoque pas la personne juridique supposée par la notion de civitas89. Peu regardant sur la question de la souveraineté, il ne fait pas explicitement de celle-ci un élément fondamental de la République90.
32De cette dernière, en fin de compte, il exige deux choses d’importance : la « droicture » et l’unicité. La droiture dépend en premier lieu de la fin que se sera donnée la République, laquelle se doit idéalement de poursuivre le bien commun réalisant les besoins premiers de l’homme : nutrition, logement, habillement, défense et ornement de la Cité91. Ayant présidé à la création de la République, ce bien commun est la cause même du rapport politique et doit constituer sa fin. Comme chez saint Thomas, il constitue le premier et le dernier mot de la théorie de l’État, l’origine, le fondement, la matière et la limite de la puissance publique :
Or est-il que si toute societé pretend de parvenir à quelque bien, la meilleure & plus grande societé pretent de parvenir à meilleur & plus grand bien. Comme doncq ainsi soit que la cité (c’est à dire unité de citoyens) soit la plus parfaicte societé de toutes autres (pour raison quelle clost & contient en soy par parties toutes les autres societeés). S’ensuit (doncq) que la cité entre toutes societés, pretend de parvenir à plus grand & plus principal bien. D’advantage, consideré que tout bien de tant plus il est commun, à tous patent & universel, de tant plus il est meilleur, & le bien particulier & moins commun est moindre. Sensuyt que disposer une cité par bonne institution politicque, est plus meritoire que disposer une maison par bonne economie92.
33Ainsi la « droicture » de la République dépend-elle à la fois de la « bonne institution politicque » qui lui sera donnée et de la « disposition » qui en sera faite. Reposant sur l’existence d’un bon régime (partie I) et sur celle d’un ordre précis (partie II), elle s’incarne dans l’unité à laquelle sera réduite la multiplicité des citoyens (partie III)93.
Notes de bas de page
1 AMT, AA 5, fol. xxii-xxxix ; également BB 268, incomplet de la fin mais ayant conservé le titre du manuscrit fol. [1], le AA 5 ayant été amputé de la partie supérieure du fol. xxii ; G. Cazals, « Une contribution inédite ».
2 G. de La Perriere, « Catalogue et Summaire », AMT, AA 5, fol. xxiii-xxiii v. ; Id., Considerations des Quatre Mondes, première centurie, fol. [B 4-E 7 v.].
3 J. Calvin, Institution de la religion chrestienne, texte de la première édition française (1541) réimpr. dir. par A. Lefranc, H. Châtelain et J. Pannier, Paris, 1911, I, « De la congnoissance de Dieu » ; G. de La Perriere, « Catalogue et Summaire », fol. xxii.
4 G. de La Perriere, Morosophie, emblème (e.) 35.
5 G. de La Perriere, Considerations des Quatre Mondes, fol. [B 5 v.].
6 Ibidem, « Seconde Preface » ; quatrains 15 et 16 puis considérations XXXVI-XXXVIII : « As-tu douleur ? Dieu seul te guerira. / As-tu grand’ soif ? Dieu te fera fontaine. / As-tu grand faim ? Son pain te saysira. / Es-tu lassé ? Cesser fera ta peyne » ; « T’a fait l’on tort ? Dieu te fera justice. / Te fait l’on mal ? Luy seul te defendra. / Es-tu pecheur ? Il remettra ton vice. / Te chasse l’on ? Luy seul te retiendra » ; « Crains-tu la mort ? Il te donnera vie. / Esaveuglé ? Dieu t’illuminera. / Es-tu hay ? Cesser fera l’envie. As-tu grand deuil ? Joye te donnera ».
7 Cette devise figure dans la quasi-totalité des œuvres de La Perrière, y compris à la fin des chroniques qu’il compose pour les Annales manuscrites de la ville de Toulouse, dont les pièces sont jusque-là anonymes. On la retrouve également, à partir de 1543, mais sous sa formulation française, dans la grande majorité des éditions de Dolet. Voir le catalogue des œuvres imprimées par Dolet dans R. Copley-Christie, Étienne Dolet, p. 491-540.
8 M. Ficin, Le commentaire de Marsille Ficin, Florentin : sur le banquet d’Amour de Platon : faict françois par Symon Sylvius, dit J. De La Haye, Valet de Chambre de treschrestienne Princesse Marguerite de France, Royne de Navarre, Poitiers, À l’enseigne du Pelican, 1546, notamment fol. xxii-xxii v. : « Par ce nous voyons, que Dieu regit et gouverne les anges, & les anges avec Dieu ensemble, les ames : les ames avec Dieu & les anges, par ne scay quelle benevolence regissent & gouvernent les corps. En quoy apertement on voit la dilection qu’ont les choses superieures avec les inferieures » ; G. de La Perriere, « Catalogue et Summaire », fol. xxxiii v. Ces considérations reflétaient les visions hiérarchiques, vivaces au Moyen Âge, de la doctrine néo-platonicienne du Pseudo-Denys. B. Tierney, Religion et droit dans le développement de la pensée constitutionnelle (1150-1650), Paris, 1993, p. 62.
9 G. de La Perriere, Considerations des Quatre mondes, préface de la seconde centurie, notamment fol. [F 5 v.-F 6 r.].
10 G. de La Perriere, « Catalogue et Summaire », fol. xxxiii v.
11 Ibidem, fol. xxxiii.
12 G. de La Perriere, Considerations des Quatre Mondes, quatrième centurie, q. VIII-XVI.
13 Ibidem, troisième centurie, q. XCV.
14 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 134.
15 La thèse héliocentrique défendue par Aristarque de Samos et ravivée par Nicolas de Cusa connaissait un nouveau souffle à la faveur des rééditions de Plutarque, Cicéron et d’autres pythagoriciens, sans pouvoir cependant concurrencer le système géocentrique de Ptolémée. Le De revolutionibus orbium coelestium de Copernic, publié en 1543, ne fut guère mentionné avant que Pierre de Mesmes ne le condamne dans ses Institutions astronomiques (Paris, 1567). Montaigne fut le premier à accorder à la théorie l’attention qu’elle méritait. J. Plattard, « Le système de Copernic dans la littérature française du xvie siècle », RSS, 1 (1913), p. 220-237.
16 G. de La Perriere, Considerations des Quatre mondes, troisième Centurie, q. xxix : « Comme l’on voit sur les gons une porte / Tourner, ouvrant, ou bien la fermant, / L’on dit le Ciel tourner de mesme sorte / Sur chaque Pole irréfragablement » ; quatrième centurie, q. XCVII : « Son tremblement n’est present qu’en certains lieux / Non mie en tous, car de soy n’est mobile : / Elle est petite ayant esgard aux Cieux, / À se mouvoir elle n’est pas habile » ; XCV : « La terre est corps, fait en forme sphérique, / Centre du monde, & plus bas element, / Sa seicheresse ha froidure complique, / Quant à son tout fixe sans mouvement ».
17 Ibidem, fol. [F 1 v.].
18 « l’âme est une substance vivante, simple, non corporelle, aux yeux corporelz invisible, segond sa Nature immortelle, raisonnable intellectuelle, que ne reçoit pourtaict ne figure, usant de corps organique, & icelluy regissant, & habitant, & toute en chacun membre se diffundant, baillant audict corps augmentation, sens, & generation, ayant en soy franc arbitre, & en soy l’image de Dieu tousjours representant, tout ce que dessus ha receu l’âme par la grace de celluy qui la faicte », ibidem, fol. [M 4 r.].
19 « Sensualité est puissance, par laquelle l’âme sensifie le corps, meut & appete ce que luy est delectable : fuit & evite ce que luy est nuysible. Le sens est la force de l’âme, par laquelle l’homme cognoist les choses présentes. Imagination est la force, par laquelle il cognoist les choses absentes. Raison est celle, par laquelle l’homme sait discerner le bon du mauvais, & le vray du faux, dessouz soy. Intellect est la force de l’âme, par laquelle elle peut apprehender les choses immaterielles, & intelligibles : comme l’âme, les Anges & Dieu », ibidem, fol. [M 5 r-v.]. Voir également fol. [N 2 v.-3] dans lequel il reprend une image platonicienne du Timée comparant l’âme à une araignée.
20 La thématique, cristallisée dans la célèbre oraison de Pic de la Mirandole (1484), trouvait son aboutissement, en Italie, dans un vibrant plaidoyer en faveur de la virtù républicaine. Q. Skinner, Les fondements, p. 145-146. En France, Ronsard et Boiastuau lui avaient consacré des opuscules spécifiques. P. de Ronsard, « Excellence de l’esprit de l’homme », en tête d’une traduction de Tite-Live par Jean Amelin, privilège du 20 octobre 1558 ; P. Boaistuau, Bref discours de l’excellence et dignité de l’homme, Paris, Vincent Sertenas, 1558 ; éd. M. Simonin, Genève, 1982.
21 G. de La Perriere, Considerations des Quatre Mondes, fol. [M 6 v.]
22 G. de La Perriere, « À tres honnorez », fol. 1 v. Fait-il référence à La Politique, I, 5, dans lequel Aristote affirme que c’est après la naissance que les séparations s’établissent ? Aristote, La Politique, introduction, notes et index par J. Tricot, Paris, 1989, p. 37.
23 Voir G. Du Pont, seigneur de Drusac, Les Controverses des Sexes Masculin et Femenin, Toulouse, Jacques Colomiès, janvier 1534, et notamment l’amicale préface composée par Guillaume de La Perrière, qui révèle avoir été l’ami d’enfance de l’auteur, fils du juge ordinaire de Toulouse. L’œuvre, témoignage du renouveau connu par la Querelle des femmes, se révèle être l’une des plus cinglantes jamais écrites contre la femme. Faisant écho à de nombreux fabliaux et libelles médiévaux auxquels l’imprimé donnait un nouveau souffle, elle dénonce avec force la perversité et les innombrables défauts de la femme. Expert en l’art de rhétorique, l’auteur s’y livre aux prouesses rythmiques les plus compliquées et les moins connues pour laisser cours à une vindicte toute personnelle et à une agressivité sans nuances. Même si, au xvie siècle, les contempteurs du sexe féminin se comptaient en nombre plus important que leurs champions, il avait manifestement par trop forcé la note. Malgré la ténacité des tendances gauloises, l’Humanisme et le renouveau platonicien invitaient en effet les lettrés à reconsidérer plus amicalement la position du beau sexe. En témoigne le succès des œuvres de Corneille Agrippa (De nobilitate et praecellentia foeminei sexus, Anvers, 1529 ; Cologne, 1532 ; éd. crit. Genève, 1990) et de Jean Bouchet (Les Triumphes de la noble dame amoureuse et l’art d’honnestement aimer, 1530). Son « cri d’alarme contre les panégyristes du beau sexe », œuvre de circonstance destinée à apaiser la colère d’un vieil homme jaloux, sans doute trompé, suscita les moqueries de nombre de lettrés. A. Campaux, La querelle des femmes au xve siècle, 1865 ; A. Lefranc, « Le Tiers Livre du Pantagruel et la querelle des femmes », RER, 2 (1904), p. 1-10, 78-109 ; C. Oulmont, « Gratian du Pont, sieur de Drusac, et les femmes », RER, 4 (1906), p. 1-28, 135-153 ; J. Brejon, André Tiraqueau, 1488-1558, Paris, 1937, p. 41 sq., 110 sq. ; M. Angenot, Les champions des femmes. Examen du discours et de la supériorité des femmes, 1400-1800, Presses univ. Québec, 1977 ; G. Matthieu-Castellani, La quenouille et la lyre, Paris, 1998 ; et récemment, C. Marcy, « Gratien Du Pont, un grand rhétoriqueur humaniste », dans L’Humanisme à Toulouse, p. 375-389.
24 Quel sens faut-il donner à cet emblème : « L’on a, jadis, veu monstres bien horribles : / Comme Chimere en forme espouventable, / Sagittaire, & Centaures fort terribles, / Et Gerion en trois corps admirable. / Phiton, serpents, fut crainct, & redoubtable, / Meduse fut en son poil trop hideuse, / Hydra difforme en Lerne dangereuse, / Et Cerberus (à veoir) horrible beste : / Mais bien seroit chose plusmerveilleuse, / Qui pourroit veoir une femme sans teste ». G. de La Perriere, Theatre des Bons Engins, e. XVI. Voir également sur la femme et l’amour les emblèmes XXXVII, LXII (« Amour apprends les asnes à danser […] »), LXXVIII (« Femmes et nefz ne sont jamais complies […] »), LXXIX, LXXX (« Le fruict d’amour est dur, mol, sec & vert […] »), LXXXI, LXXXVIII (« Si tost se perd, (en amours), foy de femme, comme l’anguille eschappe de la main […] ») ; « Femmes font prendre souris pour chats », XCIII, ou « Bandé doibt estre homme qui se marie […] », LCVI.
25 Notamment quand il évoque la laideur de celle qui devient vieille, G. de La Perriere, Morosophie, e. 84.
26 Ces discours étaient unanimement admis, même si l’idée d’une égalité entre hommes et femmes commençait de se répandre à la faveur des thèses féministes. É. Berriot-Salvadore, « Le discours de la médecine et de la science », dans Histoire des femmes en Occident, dir. N. Zemon-Davis et A. Farge, Paris, 1991, p. 363 sq. Il convient de ne pas exagérer le féminisme de certains auteurs. More, considéré comme un précurseur, n’en a pas moins composé une vingtaine d’épigrammes ironisant sur les défauts des femmes. A. Prevost, Thomas More (1477-1535) et la crise de la pensée européenne, Lille, 1969, p. 71 ; L. Firpo, « Centoventi epigrammi di Thomas More », Il pensiero politico, 11/2 (1978), p. 232 sq. ; également A. Jouanna, L’idée de race, I, p. 316 sq.
27 G. de La Perriere, Miroir Politicque. Sur l’interprétation médiévale de ce passage, M.- T. d’ALVERNY, « Comment les théologiens et les philosophes voient la femme », dans La femme dans les civilisations des xe-xiiie siècles. Actes du colloque tenu à Poitiers les 23-25 septembre 1976, Poitiers, 1977, p. 20 sq.
28 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 128.
29 Voir infra, p. 168 sq.
30 G. de La Perriere, Morosophie, e. I-VIII.
31 Ibidem, e. 99.
32 Pour Machiavel, l’homme est un individualiste, un égoïste ; l’humanité est incapable de progrès. P. Mesnard, L’essor de la philosophie politique, p. 20. Pour Luther, il n’y a, au fond de la conscience humaine, qu’un infime sentiment inné nommé « syndérèse », lequel pousse l’homme à accomplir le bien. G. de Lagarde, Recherches sur l’esprit politique, p. 169-170. Pour Calvin, l’homme, souillé par le pêché, est irrémédiablement corrompu. J. Calvin, Institution de la religion chrestienne, p. 34 sq.
33 G. de La Perriere, Theatre des Bons Engins, e. XCVIII : « Qui veult apprendre à dur entendement, / De desespoir ne se voyse faschant : / Mais veoys l’ourse, & regarde comment, / À ses faons donne forme en leschant. / Tout bon scavoir se treuve en le cherchant : / Par artifice on ha civilité : / L’esprit humain par imbecilité, / De sa naissance est mal instruict, & rude : / Mais l’on polit telle brutalité, / En luy baillant doctrine par estude ».
34 « Pour aultant que (comme dict Aristote), vueillons nous ou non, nous sommes contrainctz de aspirer et respirer sans intermission, car sy la vehemence de chaleur du cueur n’estoit temperée par l’atraction de l’air fray et eviction d’iceluy quand il est chauffé (qui est le propre office du poulmon), l’humidité radicalle seroit tost consumée et consequemment la mort advancée ». G. de La Perriere, « Chronique 226 (1549-1550) », p. 116 ; voir également « Chronique 229 (1552-1553) », p. 147.
35 « Diogenés jadis chercheoit un homme, / Parmy de gens plus de mil & cinq centz : / Mais entre tous il n’apperceut en somme / Qu’hommes de peau, & n’en veit un de sens ». G. de La Perriere, Morosophie, e. 31.
36 François Bérenger de La Tour d’Albenas évoque dans ses poèmes une grave maladie ayant touché l’humaniste aux alentours de 1550. F. B. de La Tour D’ALBENAS, Le siecle d’or, « À Monsieur de La Perriere Tholosan, reconvalu de maladie », p. 168, reproduit également dans la Choreide, p. 52. Peut-être s’agit-il de la peste, qui affligea la ville en 1548-1549.
37 G. de La Perriere, « Chronique 227 (1550-1551) », p. 125-126 : « Ce n’est pas sans grand raison (bening et amyable lecteur) sy tant les Theologiens que Philosophes moraulx ont voulu louer (voyre jusques aux Astres exaulcer) la vertu de perseverance, car à la verité, elle est le but de toutes vertus. Sy perseverance est la fin et periode de vertu et la fin est celle qui couronne, s’ensuit que Perseverance à sa couronne de tous actes vertueux. Aulcun bon acte, aulcun bon fruict ne peult estre parfaictement sans perseverance, qui seulle luy donne son acompliment et le reduict à perfection. Peu proffiteroit l’arbre en croissant, extendant ses branches, produisant feuilles, fleurs et fruict, s’il ne perseveroit jusques à la maturité d’icelluy. Perseverance est envers les autres vertus, comme est l’ame raisonnable envers le corps humain et sy tu veulx dire (lecteur) comme quoy et comment se peult adapter et verifier telle comparaison, je responds que c’est d’aultant que combien que l’ame raisonnable soit la derniere en infusion, sy est-elle touteffois des ames et autres vertuz precedentes le accompliment et perfection. Car tant l’ame vegetative que sensitive sont de nature imparfaictes et d’icelles seulles ce beau chef d’œuvre de nature (que nous appellons l’homme), et les Grecz myneur munde ne pourroit estre parfaict sy sa derniere perfection ne luy venoit de l’ame raisonnable, laquelle joincte aux autres deux rend le chef d’œuvre parfaict et acomply. semblablement, combien que plusieurs vertuz soient assemblées pour faire et rendre l’homme bienheureux, sy sont-elles imparfaictes, tant qu’elles demeureront sans perseverance, laquelle est derniere en lieu et premiere en efficace. S’il fault ou convient user de termes dialectiques, toutes autres vertuz tiennent lieu de premisses, et Perseverance tient le lieu de conclusion. Comme le sillogisme avecques ses premisses seroit vain et imparfaict sans la conclusion semblablement toutes vertuz sont vaynes sans Perseverance, laquelle donne fin et conclusion. Que me fault-il en cest endroit pour confirmation de mon dire alleguer autre autheur que Jesus Christ, nostre redempteur, disant en son Evangille : ‘‘qui perseverera à la fin il sera saulvé’’ ? ».
38 G. de La Perriere, « Chronique 226 (1549-1550) », p. 113.
39 G. Bude, De L’institution du Prince, L’Arrivour, Nicole Paris, 1547, p. 15, affirme que la nature humaine, « demorée par forfaicture si imparfaite et débilitée […] : ne peut suffisamment conduire et prendre la tutelle de soy-mesme sans ayde exterieure : et sans les bons enseignemens des saiges, et authorité de doctrine […] ».
40 G. de La Perriere, « À tres honnorez », fol. 1. Pour Le Roy, les trois choses nécessaires « à acquerir perfection en tous arts » sont : « Nature, doctrine & experience ». L. Le Roy, De l’origine, antiquité, progres, excellence, et utilité de l’art politique. Ensemble des Legislateurs plus renommez qui l’ont prattiquée, & des Autheurs illustres qui en ont escrit, specialement de Platon & Aristote, avec le sommaire & conference de leur Politiques, traduittes de Grec en François, & éclaircies d’expositions pour les accomoder aux mœurs & affaires de ce temps, Lyon, Benoît Rigaud, p. 33.
41 Budé définit la raison comme la « faculté de discerner le bien et le mal, le vray et le faulx, les choses salutaires et les damnables et pernicieuses, et eslire le meilleur ». G. Bude, De L’institution du Prince, p. 92. Mais les Réformateurs ne l’envisageaient pas sans réserves. Zwingli, recherchant quelle règle de justice peut suivre le magistrat, s’écrit : « sa raison ? Que non pas, elle est esclave des passions sauvages, elle n’agit que par haine ou passion, joie ou douleur, frivolité ou suggestion […] ». Calvin affirme : « certes en la nature de l’homme quelque perverse et abastardie qu’elle soit, il y estincelle encore quelque flammettes pour démontrer qu’il est un animal raisonnable, et qu’il diffère d’avec ces bestes brutes en tant qu’il est doué d’intelligence, et toutesfois que ceste clarté est estoufée par telle et si expresse obscureté d’ignorance qu’elle ne peut sortir en effet. Semblablement la volonté pour ce qu’elle est inséparable de la nature de l’homme, n’est point du tout périe : mais elle est tellement captive et comme garottée sous méchantes convoitises qu’elle ne peut rien appeter de bon […]. Puis donc que la raison par laquelle l’homme discerne d’entre le bien et le mal, par laquelle il entend et juge, est un don naturel, elle n’a peu estre du tout esteinte, mais a esté en partie débilitée et en partie corrompue, tellement qu’il n’apparoist que ruine deffigurée ». G. de Lagarde, Recherches sur l’esprit politique, p. 170-171.
42 G. de La Perriere, « Catalogue et Summaire », fol. 22 ; Theatre des Bons Engins, LIX ; « À tres honnorez », fol. 1-1 v. ; Considerations des Quatre Mondes, IV, q. xlv. Sur l’importance du thème de la raison chez Cicéron, Érasme, et, partant, les jurisconsultes de la Renaissance, J.-L. Thireau, « Cicéron et le droit naturel au xvie siècle », RHFD, 4 (1987), p. 64 sq.
43 Platon, La République, 590 c-d ; J. ANNAS, Introduction à la République de Platon, Paris, 1994, p. 221. Saint Thomas écrivait dans sa Summa contra Gentiles, « celui qui se démarque par l’intellect dirige naturellement », note B. Tierney, Religion et droit, p. 63. Les humanistes avaient suivi, Bodin y compris. A. Jouanna, L’idée de race, I, p. 24 sq. ; S. Suppa, « La théorie de la souveraineté dans le devenir de la raison. Réflexions sur Machiavel et Bodin », dans Politique, droit et théologie chez Bodin, Grotius et Hobbes, dir. L. Foisneau, Paris, 1997, p. 45.
44 G. de La Perriere, « À tres honnorez », fol. 1 v.
45 Ibidem, fol. 1 v.
46 G. de La Perriere, Theatre des Bons Engins, e. XCVIII. En nul endroit de ses œuvres l’humaniste ne précise quelles sont les lectures utiles à l’éducation. Sa propre curiosité lui a appris qu’il y a à méditer en chacune. À une exception près, la lecture des romans de chevalerie et autres fables de la Table ronde, rejetées comme « resveries, car en ycelles n’avoit aucune bonne invention, ne disposition : ce non obstant, plusieurs nobles hommes & dames ont jadis follement employé le temps (voire perdu) à la lecture d’icelles ». G. de La Perriere, Miroir politicque, p. 101.
47 La Perrière se plait à relater comment a été découvert en la cité de Magence, par deux frères allemands, cet « artifice merveilleux ». Évoquant le transfert de cette invention à Rome, en 1465, il poursuit : « ceste invention fut plustost divine que humaine, car comme dict le preallegué Campanus, l’on imprimera plus en ung jour qu’on ne scauroit escripre en ung an. Entre toutz imprimeurs, le bruict et louenge tant de bons caracteres que de bonnes correction, a esté meritoirement attribuée à Alde Manuce, Rommain imprimeur de Venise ce que ne fut sans cause, car il estoit homme tresdocte tant en lettres Grecques que Latines. De notre temps Frobene, alemand de Basle a eu merveilleulx & grand bruit de son impression. À present en France Colinet, & Robert Estienne à Paris & Sebastien Griffe à Lyon, journellement s’estudient à imprimer divers et plusieurs bons livres tant Grecz que Latins & ont le bruict entre toutz les aultres », G. de La Perriere, Annalles de Foix, fol. lxix v.-lxx.
48 Bernard de Chartres : « nous sommes comme des nains juchés sur des épaules de géants. Nous voyons plus de choses que les anciens, et plus lointaines, non parce que notre vue est plus perçante que la leur, mais parce qu’ils nous élèvent et ajoutent à notre taille leur stature gigantesque », cité par F. Joukovsky, La gloire dans la poésie française et néolatine du xvie siècle (Des rhétoriqueurs à Agrippa d’Aubigné), Genève, 1969, p. 41.
49 La fixation du mythe de l’âge d’or remonterait à l’époque de la civilisation summérienne (5000-2000 av. J.-C.). De nombreuses œuvres en témoignent, celles de Platon, Virgile (Géorgiques, I, v. 125-128) ou Ovide (Métamorphoses, I, v. 89-112), comme celles des auteurs médiévaux, Jean de Salisbury, Pierre de Jean Olivi ou Jean de Meung, L. Scordia, ‘‘Le roi doit vivre du sien’’. La théorie de l’impôt en France au Moyen Âge (xiiie-xve siècle), Paris, 2005, p. 281 sq. ; on le trouve à la Renaissance chez Budé, Érasme, Dolet (Commentarii linguae latinae, « litterae », I, col. 1158), Guevara (Marco Aurelio, ch. XXXI-XXXII ; Relox de principes, liv. III, ch. III-V), Le Caron (Dialogues, I), Pasquier (Pourparlers, éd. 1995, p. 164-165) ou Cervantes, C. Bottin-Fourchotte, « Le mythe de l’âge d’or dans le Don Quijote de Cervantes », dans Hommage à Claude Faisant (1932-1988), Paris, 1991, p. 97-113.
50 Bodin, ridiculisant ceux qui rêvaient d’un âge d’or, critiquait vertement les penseurs antiques, y compris Platon et Aristote : « Et voilà donc ces fameux siècles d’or et d’argent ! Les hommes y vivaient dispersés dans les champs et les bois comme de vraies bêtes sauvages, et ne possédaient en propre que ce qu’ils pouvaient conserver par la force et le crime : il a fallu bien du temps pour les ramener peu à peu de cette vie sauvage et barbare à des mœurs civilisées et à une société bien réglée telle que nous les trouvons partout à présent ». J. Bodin, La méthode de l’histoire, éd. P. Mesnard, Paris-Alger, 1941, p. 295 ; voir également Les six livres, p. 11 : « Car Platon et Aristote ont tranché si court leurs discours Politiques, qu’ils ont plustost laissé en appetit, que rassasié ceux qui les ont leus : joinct aussi que l’experience depuis deux mil ans ou environ qu’ils ont escrit, nous a faict cognoistre au doigt et à l’œil que la science Politique estoit encores de ce temps là cachée en tenebres fort espesses […] ».
51 G. de La Perriere, « Chronique 227 », p. 129.
52 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 114 : « Car à Dieu excogiter, est faire & faire est excogiter : vouloir & pouvoir, envers les humains sont fort differans : mais envers Dieu, vouloir est pouvoir, & pouvoir est vouloir ».
53 Aristote, La Politique, VII, 1, 1223 a sq., p. 466 sq. ; G. Bude, De L’institution du Prince, VIII, p. 37 ; G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 167.
54 « Est-il au monde plus grande brutallité que preferer les choses terrestres, aulx celestes ? Les petites aulx grandes ? Les temporelles aulx eternelles ? Les caducques aulx permanentes ? Est-il au monde plus grande insolence, que appeter de dominer pour recheoir en servitude, et s’efforcer d’acquerir Royaulmes et dominations, avant que se faire digne de les obtenir ? ». G. de La Perriere, Annalles de Foix, fol. [B III-III v] ; voir également le Miroir Politicque, p. 167, 197.
55 Platon, La République, II, 369 d, dans Œuvres complètes, I, p. 914-915 ; Aristote, Éthique à Nicomaque, I, 8, 1098 b, éd. Paris, 1990, p. 63.
56 La Perrière renvoie aux grecs Hippocrate, Galien et Paul Éginète, aux arabes Avicenne, Rasis, Averroès, Sérapion, aux latins Pline, Celse. G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 186-187. Quelques pages plus loin, il reprend l’adage « le ventre ne peut endurer dilatation, et n’ha point d’oreilles », p. 189.
57 L’humaniste s’inspire des « jurisconsultes » pour sa définition des vêtements, identifiés à tous accoutrements de soie, laine, lin, coton ou autres utiles « pour se vestir & affeubler tant veillant comme dormant : & pour conserver la chaleur naturele de froidure extérieure », ibidem, p. 187.
58 Platon, La République, II, 373 d, dans Œuvres complètes, I, p. 920 ; G. de La Perriere, ibidem, p. 188.
59 Voir infra, p. 198 sq.
60 Platon, ibidem, 373 b 5 ; J.-F. Pradeau, Platon et la cité, Paris, 1997, p. 39.
61 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 186.
62 Voir le « principe de spécialisation » développé par Platon dans La République, II, 369 b-c, dans Œuvres complètes, p. 914 ; J. ANNAS, Introduction à la République, p. 95.
63 Ferrault, Chasseneuz et Grassaille considèrent que la société a été rendue nécessaire par la nature déchue de l’homme. P. Buc, L’ambiguïté du Livre. Prince, pouvoir et peuple dans les commentaires de la Bible au Moyen Âge, Paris, 1994, p. 71 sq. Sur Machiavel, voir notamment T. Berns, Violence de la loi à la Renaissance : l’originaire du politique chez Machiavel et Montaigne, Paris, 2000. Sur Bodin, J. Bodin, Les six livres, I, p. 112-113 ; IV, p. 7 sq. Pour Louis Le Roy, c’est « en s’augmentant », communiquant les uns avec les autres, que les hommes « commencerent faire assemblées, dont s’ensuivirent les hameaux, villages, & bourgs, puis les villes ». Mais « du commencement ils vivoient en une sincerité naturelle, non encore pervertis par ambition et par avarice, ny corrompus de faulses opinions […] & se gouvernant simplement par meurs & coustumes. Consequemment la malice croissant, il fut besoin faire loix, & pour l’obeissance d’icelles, créer Magistrats avec puissance, à fin de reprimer l’insolence & audace des meschans ». L. Le Roy, De l’origine, p. 12-13.
64 Aristote, La Politique, I, 1, 1252 a, p. 23 ; S. Vergnieres, Éthique et politique chez Aristote, Paris, 1995, p. 152 sq. ; C. Vasoli, « La ‘‘naturalezza’’ dello Stato e la sua ‘‘patologia’’ nella tradizione politica aristotelica », Il pensiero politico, 26/1 (1993), p. 3-13 ; G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 98.
65 Parmi « les contractz (sans lesquelz civile société ne peut consister) » figurent les testaments, codicilles, et les legs authentiques, G. de La Perriere, ibidem, p. 6. Bodin, faisant de la loi le fondement des Républiques, écrit : « la foy gist aux promesses des conventions legitimes ». J. Bodin, Les six livres, V, 2, p. 62 ; voir également J. de Coras, Question politique : s’il est licite aux subjects de capituler avec leur prince, éd. R. M. Kingdon, Genève, 1989, notamment p. 2-4 ; É. Gasparini, « À l’orée de la pensée monarchomaque : la Question politique de Jean de Coras (1570) », RRJ, 1995-2, p. 671-676.
66 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 100. Aristote croyait qu’il y avait autant de sens du bien que de catégories dans l’être. P. Aubenque, La prudence chez Aristote, Paris, 1963 ; 1993, p. 100.
67 G. de La Perriere, ibidem, p. 103.
68 Ibidem, p. 105-106.
69 Ibidem, p. 52 : « toute chose qui est honneste est necessairement utile, & n’est chose qui puisse estre utile, si elle n’est honneste ». L’identification du juste et de l’utile se trouve chez de nombreux penseurs antiques comme Aristote (Rhétorique, I, 4, 1359 a sq.) ou Thrasymaque (République, 338 c ; Calliclès, Gorgias, 483 b) ; elle constitue le thème principal du discours prononcé par Carnéade en 155 av. J.-C., dont Lactance nous a transmis le contenu (Inst., 5, 14, 3, 5), et une idée essentielle de la pensée de Cicéron (De inventione, II, 169 ; De officiis, II ; De respublica, livre III). A. Bill, La morale et la loi dans la philosophie antique, Paris, s.d., p. 217. On la retrouve à la Renaissance chez J. Bodin, Oratio de instituenda in repub. juventute ad senatum populumque Tolosatem, Tolosae, Petri Putei, 1559, In-8° ; éd. et trad. P. Mesnard, Paris, 1951, p. 46, col. 1.
70 Ou « société quotidianne », G. de La Perriere, ibidem, p. 99-100, 187 ; Aristote, La Politique, I, 2, 1252 b, p. 26 : « Ainsi la communauté constituée par la nature pour la satisfaction des besoins de chaque jour est la famille ».
71 Sur le thème, A. Du Crest, Modèle familial, 2002.
72 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 107. L’idée était classique. On la retrouve chez Thomas More : « une cité est donc composée de familles ». T. More, Le traité de la meilleure forme de gouvernement ou L’Utopie, II, éd. M. Delcourt, Bruxelles, 1966, p. 73. Bodin en a laissé des formulations célèbres, affirmant que la famille est la « vrai source et origine de toute Republique et membre principal d’icelle », la « vraie image », ses « pilliers ». J. Bodin, Les six livres, I, 2 ; I, 4 ; p. 39-40, 69.
73 G. de La Perriere, ibidem, p. 98 ; Aristote, Éthique à Nicomaque, VIII, 11, 1159 b 25 sq ; La Politique, I, 1, 1252 a, p. 21.
74 Voir P. Michaud-Quantin, Universitas. Expressions du mouvement communautaire dans le Moyen Âge latin, Paris, 1970 ; également sur le même thème A. Rigaudiere, « Universitas, communitas et consulatus dans les chartes des villes et bourgs d’Auvergne du xiie au xve siècle », dans Gouverner la ville au Moyen Âge, Paris, 1993, p. 21-51. Au cours de la première moitié du xvie siècle, dans les nombreux « miroirs » et « institutions » des princes ou dans les ouvrages qui, tels ceux de Rebuffi et de Seyssel, étudient la monarchie de France, le mot estat continue de posséder le sens de « groupe » ou « d’ordre social ». Les auteurs continuent à se servir des termes de res publica ou de civitas pour traiter de l’organisation institutionnelle du royaume. S. Goyard-Fabre, L’État. Figure moderne de la politique, Paris, 1999, p. 9.
75 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 15.
76 Seyssel parle des « trois sortes et manière de regime politique » ; Chasseneuz des trois modes de gouvernement de la République ; Robert Breton du status reipublicae. Il semble remarquable que La Perrière se soit alors attaché expressément aux « espèces de république », É. Gojosso, Le concept de République, p. 92-93.
77 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 11-12.
78 Ainsi Jean de Meung, Beaumanoir, Balde, Trémaugon ou Guillaume Benoît. B. Tierney, Religion et droit ; A. Boureau, « Pierre de Jean Olivi et l’émergence d’une théorie contractuelle de la royauté au xiiie siècle », dans Représentation, pouvoir et royauté, dir. J. Blanchard, Paris, 1995, p. 165-175.
79 Ainsi sous la plume de Budé : « Quand la multitude d’hommes et de cités assemblées par commun accord s’est premierement demise et dessaisie de sa liberté, et a cedé ces droicts communs & actions populaires, pour les mettre en la main et puissance d’un homme, comme pere d’un famille populeuse et inumérable. Pource qu’ilz estimoient autant ou plus avoir de bien, d’honneurs, de sens, et de vertus en un seul homme, qu’il y a en tout le conseil universel du païs. Et à ceste cause, par presumption de droict civil et canon, les souverains dominateurs ont faict les loix et constitutions tant civiles, que canonicques enregistrées au greffe de leur pensée et encloses en leur interieure volonté, qui est comme une source vive d’ordonnances et edicts provenus de ceste charité susdicte ». G. Bude, De L’institution du Prince, p. 30. Sur la fortune de ces théories, J. Poujol, L’évolution et l’influence, p. 51 ; H. Morel, « La théorie du contrat chez les monarchomaques », dans Études offertes à P. Kayser, Aix-en-Provence, 1979 ; S. Goyard-Fabre, Philosophie politique, p. 125 sq. ; Histoire de la pensée politique moderne (1450-1700), p. 234 sq.
80 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 60 ; G. Cazals, « Genève et les cantons suisses vus de France au xvie siècle : un modèle exemplaire de la constitution des Républiques ? », dans Genève et la Suisse dans la pensée politique, Actes du colloque de Genève (14-15 septembre 2005), Aix-Marseille, 2007, p. 71-87.
81 G. de La Perriere, ibidem, p. 11.
82 Le Code assimilant la Respublica au fisc, certains juristes, considérant que la seule à pouvoir s’identifier au fisc était Rome, avaient rejeté l’utilisation du terme pour désigner les villes, cités ou municipes. Ils reconnaissaient à ces dernières le droit fondamental « naturel et inaliénable » d’élire leurs propres gouvernants, mais, constatant que ceux-ci devaient être investis par l’autorité royale, leur refusaient le titre de respublica à l’exception des villes de Lombardie et de Toscane, véritables cités-états auxquelles la paix de Constance avait reconnu des prérogatives exceptionnelles, comme le montraient les regalia dont bénéficiaient Venise ou Gênes. L. Carolus-Barre, « Le gouvernement communal d’après le Livre de Jostice et de Plet », RHD, 4e s., 19 (1940), p. 136-156 ; A. Viala, Le parlement de Toulouse, I, p. 542 ; A. Rigaudiere, « Regnum et civitas chez les décretistes et les premiers décrétalistes (1150 env.-1250 env.) », dans Théologie et droit dans la science politique de l’État moderne, Rome, 1991, notamment p. 145 sq. ; G. Leyte, Domaine et domanialité publique dans la France médiévale (xiie–xve siècles), Strasbourg, 1996, p. 221 sq. ; É. Gojosso, Le concept de République, p. 57. Les prélats et chroniqueurs médiévaux ne s’embarrassaient pas de tels scrupules, É. Rucquoi, « Les villes d’Espagne : de l’histoire à la généalogie », dans Memoria, communitas, civitas. Mémoire et conscience urbaine en Occident à la fin du Moyen Âge, dir. H. Brand, P. Monet et M. Staub, Ostfildern, 2003, p. 155.
83 H. Gilles, Les Coutumes de Toulouse, p. 183 ; le passage a également été relevé par G. Leyte, Domaine et domanialité, p. 230.
84 « Or est-il de bon cognoistre que si jamais cité a esté fondée tant en Asie, Aphricque comme Europe, que aye esté symbolisante et approchante à la cité superceleste, nostre florissante et populeuse cité de Tholoze y approche en tant que nature humaine peult approcher à divinité, autant et plus que toute autre ». G. de La Perriere, « Catalogue et Summaire », fol. xxiv.
85 G. de Perriere, « Chronique 226 (1549-1550) », p. 114.
86 « En dépit d’un politique constante de centralisation, la France de la fin du Moyen Âge demeure une mosaïque de pouvoirs dont chacun revendique, sur l’activité ou le territoire qu’il contrôle, capacité à édicter toute mesure qu’impose l’exercice d’un pouvoir de police aussi ouvert que possible. Seigneurs, villes et corps de métiers s’affirment, en ce domaine, comme les plus vigoureux concurrents du pouvoir royal et de ses agents ». A. Rigaudiere, « Les ordonnances de police en France à la fin du Moyen Âge », Policey im Europa er Frühen Neuzeit. Herausgegeben von Michael Stolleis unter Mitarbeit von Karl Härter und Lothar Schilling, IC, 83 (1996), p. 117. Au début du xvie siècle, les communautés et corporations disposaient de pouvoirs étendus : une « superioritas » traduite par le droit de légiférer et de restreindre la liberté de leurs membres, l’obligation de les protéger, le droit de réunion, le droit d’élire leurs représentants et officiers publics, la juridiction sur leurs membres pour les affaires concernant la corporation, un droit d’imposition voire d’expropriation. G. de Lagarde, Recherches sur l’esprit politique, p. 70.
87 G. de La Perriere, « Chronique 226 (1549-1550) », p. 114.
88 G. de La Perriere, « Catalogue et Summaire », fol. xxiv ; Isidore de Séville, Etym., XV, 2.1 : « civitas est hominum multitudo societatis vinculo adunata, dicta a civibus, id est ab ipsis incolis urbis […] », cité par A. Imelde Galletti, « Modelli urbani nell’eta communale : Gerusalemme », dans Modelli nella storia del pensiero politico, p. 96.
89 Paul de Castro, « universitas etiam standibus personis dicitur persona ficta », cité par G. Leyte, Domaine et domanialité, p. 225 note 39.
90 Car, si Bodin, s’en référant à Cicéron et Aristote, définit aussi la République comme « une société d’hommes assemblés, pour bien et heureusement vivre », il n’en considère pas moins que « Republique est un droit gouvernement de plusieurs mesnages, et de ce qui leur est commun avec puissance souveraine ». J. Bodin, Les six livres, I, 1, p. 30, 27.
91 G. de La Perriere, Miroir Politicque, p. 187.
92 Ibidem, p. 11-12, aussi p. 53, 100, et « Chronique 228 (1551-1552) », p. 137. L’auteur suit ici encore la tradition aristotélicienne faisant de la politique une science architectonique embrassant toutes les autres sciences. Aristote, Éthique à Nicomaque, I, 1, 1094 a-b, p. 34-
93 Saint Thomas, « le bien commun est plus divin que celui d’un seul individu », IIa, IIae, qu. 99, art. 1 ; cité par G. de Lagarde, La naissance de l’Esprit laïque, II, p. 73.
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