Avant-propos
p. 7-9
Texte intégral
1« Y a-t-il quelque pertinence à appliquer la notion de Renaissance au domaine de la réflexion politique ? », pourrait-on se demander avec Thierry Wanegffelen, une « question [qui] pourra étonner dans sa simplicité même ». On ne saurait pourtant minimiser ni la pertinence de l’interrogation ni la difficulté de la réponse. Il serait vain de nier la fécondité en matière de réflexion politique de la Renaissance entendue comme période historique (Machiavel, More, Bodin). Mais est-il possible d’articuler ce type de réflexion dans le cadre de ce qui serait réellement une Renaissance politique, et non pas seulement la réduire à de simples pensées politiques élaborées à la Renaissance ? Accordons-nous à penser que l’importance des humanistes, à cet égard, serait peut-être moins d’avoir produit un système de pensée, qu’un « climat de pensée », selon la formule de James Henkins.
2De ce « climat de pensée » relève à l’évidence l’œuvre de Guillaume de La Perrière. Quand même l’intérêt qu’elle suscite, chez l’historien des idées politiques, ne devrait tenir qu’au mérite, incomparable, de recéler « le seul manuel de gouvernement qu’un humaniste français destina jamais à des magistrats municipaux », elle ne devrait pas moins être digne d’étude. Et c’est là une fort belle étude, située au cœur des problématiques centrales et de l’histoire politique et de l’histoire littéraire de la Renaissance, que nous propose Géraldine Cazals à propos de cet auteur à succès, qui naguère intéressa Michel Foucault comme le premier « anti-Machiavel », celui par qui les miroirs de prince devaient être brisés.
3Précisément, avec son Miroir Politicque, œuvre à la publication posthume en dépit de quinze années de travaux (1539-1553), Guillaume de La Perrière, historiographe officiel de la ville de Toulouse et fort de cette expérience, a délivré aux capitouls un véritable manuel de gouvernement. Ce Miroir figure d’abord un nouveau genre de « miroir », un miroir élargi, qui n’est plus seulement un « miroir de prince », mais un miroir tendu aux « administrateurs politiques », auquel La Perrière adresse, de son propre chef, son œuvre. Et ces administrateurs sont ceux de la république de Toulouse comme de la république de France.
4Le parcours intellectuel de La Perrière, dont Géraldine Cazals a su reconstituer minutieusement les étapes et l’atmosphère dans une autre partie de sa thèse, révèle la richesse et le prégnance du contexte. Né et mort à Toulouse, La Perrière présente la figure-type du juriste conquis par les belles-lettres, ici comme ailleurs. Mais cet ici n’est pas indifférent : « Toulouse la barbare » ou « Toulouse l’humaniste » ? La ville où l’humanisme fut interdit dès 1532 avec les condamnations de Boyssoné et de Dolet, « l’anti-Lyon » (J.-Cl. Margolin) ? Bien plutôt, la cité teintée d’une forte symbolique humaniste, où au Capitole, les magistrats municipaux et quelques écrivains, au premier rang desquels La Perrière, ont entretenu de concert une véritable mythologie citadine pour faire vivre un « humanisme civique » proche de celui des Républiques italiennes.
5La filiation d’avec les auteurs politiques toulousains de la période précédente est sans doute une recherche sans solution. La politique à Toulouse, entre 1440 et 1530, était portée par le droit canonique, et singulièrement par une défiance envers le conciliarisme, le véritable aliment idéologique du gallicanisme (ou de sa contestation). Le déclin des études canoniques, le triomphe du droit civil, à Toulouse comme ailleurs, allait tendre le porte-voix à d’autres polémistes. Autre époque ? Peut-être seulement en apparence. La forme encore une fois l’emporte sur le fond, et c’est d’abord la forme que l’on voit évoluer.
6La Perrière révèle dans son Miroir une impressionnante culture, essentiellement littéraire et assez peu juridique : preuve d’une adresse à un public qui n’est pas un public de juristes ? Certes, les compétences que l’on se propose d’enseigner aux hommes de pouvoir ne sont pas des compétences techniques, mais sans doute est-ce parce que leurs conseillers se les réservent. Là est sans doute la difficulté d’aborder la question de la culture littéraire des juristes, qui n’était déjà pas, à la période précédente, secondaire. Après tout, la culture des derniers « bartolistes » français, les Benoît, les d’Angleberme, les Chasseneuz, les Tiraqueau se voulait aussi brillante d’autres lueurs que celles des références aux deux Corpus. La formation des juristes est, dans les facultés de droit, par là-même politique, et elle le demeure, au-delà de la diversité des œuvres. Les auteurs politiques du second seizième siècle ont appris de l’humanisme appliqué à la science du droit que la vieille langue, la verbosité et la manie de l’allégation n’étaient plus de saison ; sans doute pas que le fond du droit « politique » l’était aussi.
7C’est là l’intérêt des auteurs dits « secondaires », qui ne sont pas seconds, dans le domaine du droit, de la littérature, comme de celui de la science politique. La Perrière en est le brillant représentant. L’œuvre l’est aussi. L’intérêt, pour la perception de l’air du temps, se lit mieux dans les abrégés, et l’on sait précisément ce que la « publicistique » nous enseigne sur la science politique quand elle est sortie des lectures et des répétitions des facultés. Et assurément le Miroir déborde de la richesse d’un compendium.
8Dans cet assemblage riche mais resserré, la nouvelle part de l’héritage antique que l’on goûte à la Renaissance, est bien là : Platon, Aristote, les stoïciens ; la considération aussi pour la nature et la substance de la respublica, prétexte à programme politique. Ainsi, tout semble pousser, au rebours apparent d’une pensée « absolutiste », du côté d’un « relativisme constitutionnel », qui est davantage un sentiment de la contingence de toute organisation politique plutôt qu’un nouvel attachement pour le vieux « régime mixte ». La société politique est déjà avant toute chose la « réunion de plusieurs ménages », comme plus tard chez Bodin.
9L’enseignement du Miroir est là et peut-être et surtout ailleurs. L’obsession de La Perrière – dont témoigne son application de quinze ans – est de fonder avant tout la pratique du gouvernement d’une cité, et pas n’importe laquelle, Palladia Tholosa, Libera Tholosa. L’une des démonstrations les plus éclatantes de la thèse de Géraldine Cazals est de désigner, par cet exemple, les lieux de politique, de culture et d’histoire que sont devenues ou qu’allaient devenir (le cas de Toulouse est bien précoce, les Annales manuscrites en témoignent avec éclat par ailleurs) les grandes cités du XVIe siècle. L’exemple vient d’outre-Alpes encore une fois. Mais encore les productions écrites sont-elles peu nombreuses de ce côté-ci. C’est bien de la rare influence de l’humanisme civique italien dont témoigne le Miroir Politicque, à Toulouse, en un temps qui est pourtant avant tout celui des princes, lesquels ont alors également pris le pouvoir en Italie.
10Par les lumières jetées sur un auteur, une œuvre, un lieu, le livre de Géraldine Cazals donne l’exemple réussi de la compréhension intime d’un milieu, d’une littérature et d’une géographie littéraire et politique, au mitan du XVIe siècle.
Auteur
Professeur à l’Ecole des chartes
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