Traduire le droit savant en français au XIIIe siècle
p. 131-150
Texte intégral
1La redécouverte des compilations justiniennes à partir de la fin du XIe siècle a, on le sait, entraîné des transformations majeures et durables dans les champs politiques, économiques, sociaux, culturels, de l’ensemble des territoires d’Europe continentale qui, à des degrés divers, avaient été intégrées à l’Empire romain. Certes, l’intensité, la profondeur, le rythme et même le résultat de ces mutations furent variables selon les zones. Elles n’en furent pas moins largement partagées.
2Considérée du seul point de vue du droit, la progressive émergence du corpus iuris civilis, sa patiente lecture, son analyse minutieuse, ses interprétations successives, constituèrent un fait de civilisation majeur qui renouvela totalement les structures de l’ordre juridique, bouleversa – en la majorant – la place qu’occupait le droit dans la constitution politico-sociale et vit l’apparition d’un nouveau corps de spécialistes : les professionnels du droit, aussi divers dans leur expertise qu’unis par la conscience d’appartenir à un monde à part qui leur conférait identité tangible et prestige social.
3La dynamique d’approfondissement qui accompagnait l’étude de ce corpus quasi sacré, conjointe à l’impérieuse nécessité d’assurer la transmission de ses découvertes entraînèrent la mise au point de méthodes d’enseignement fondées sur la lecture littérale puis le commentaire (glose) de chacun des fragments contenus dans les compilations byzantines1.
4A ce titre, la connaissance du droit romain, qui supposait apprentissage et « longue étude » se constituait pleinement en savoir et même en science, revendiquant une position théorique éminente2 et s’appropriant un champ de compétence spécifique, d’ailleurs en expansion rapide, constamment alimenté par le réservoir de concepts du corpus justinien et les progrès de la science canonique.
5Consacrant cette position de surplomb dans l’échelle des connaissances, le choix exclusif du latin pour dire et commenter les textes romains ne relevait pas seulement d’une logique du parallélisme des formes selon laquelle, écrite en latin, la loi romaine devait être expliquée en latin. Elle manifestait aussi l’existence d’un « droit savant » formellement revendiqué : langue habituelle des clercs, le latin était la langue de la science et de la liturgie et surtout l’un des trois idiomes sacrés, avec le grec et l’hébreu par lesquels les Saintes Ecritures avaient été transmises, participant à ce titre d’une sorte de mystère religieux ou de proximité ontologique avec la structure originelle du monde3. En plein XIVe siècle encore, alors que les langues vernaculaires gagnaient leurs lettres de noblesse et devenaient à leur tour le réceptacle possible des connaissances scientifiques, des créations littéraires et des spéculations théoriques4, le juriste Albericus de Rosate, reprenant cette vieille trinité linguistique, qualifiait seuls l’hébreu, le grec et le latin de langues « très excellentes »5.
6Conséquence logique de cette situation, le droit, redevenu une discipline d’enseignement à part entière, fondant une science à la fois autonome et soucieuse d’affirmer sa suprématie, fit l’objet d’une transmission académique réalisée en principe exclusivement en latin. Ainsi, « l’emploi de la langue vulgaire avait (…) été interdit dans les statuts de l’université de Toulouse donnés par le pape canoniste Innocent IV le 22 septembre 1245 (cap. 16), qui avaient été repris l’université d’Orléans »6. Même si au XVIe siècle, « les civilistes italiens, mais aussi un Montpelliérain au moins, Jean Faure ont reproché aux professeurs d’Orléans de faire leurs cours en français ou, à tout le moins, dans un idiome latino-français »7, il n’en demeurait pas moins qu’en principe les enseignements, les discussions et les gloses avaient lieu en latin8.
7Outre par son prestige de langue de culture et de célébration, ce monopole théorique du latin s’expliquait par un souci rationnel de congruence : les textes qui servaient de support à la réflexion, tant en droit canonique qu’en droit civil, étaient écrits en latin et comportaient un nombre important de termes techniques, sans équivalent dans les toute jeunes langues vernaculaires, alors en plein bouillonnement. Il était donc pertinent de les analyser dans le même idiome, de façon à réduire les écarts conceptuels et les risques d’impropriétés. Ceux-ci étaient d’autant plus élevés que la langue du Code justinien et surtout du Digeste était particulièrement technique, souvent elliptique et difficile à comprendre.
8Cette identification précoce entre l’objet de l’étude (le droit) et la langue qui servait de support à celui-ci s’est traduite par l’apparition concomitante de lexiques spécialisés, mêlant considérations grammaticales, définitions lexicales et éclaircissements juridiques9 destinés à débrouiller une matière fort ardue.
9La même considération a vraisemblablement inspiré une méfiance de principe à l’égard de toute entreprise de traduction, quelle qu’elle soit. Un bref examen du Dictionarium iuris d’Albericus de Rosate, déjà cité, permet de s’en convaincre. Non seulement l’auteur ne croit pas utile de consacrer à ce sujet une rubrique spécifique10, mais encore, sous le vocable « lingua », il affirme « que toutes les langues ont leurs propres genres de locutions qui, lorsqu’elles sont traduites, semblent absurdes »11. Ce passage est la reprise d’une palea du Décret de Gratien, fondée sur un extrait du traité De vera religione d’Augustin qui affirme : « La parole des saintes écritures doit être reçue selon la caractéristique de leur langue. En effet, chaque langue dispose de ses propres expressions qui, lorsqu’elles sont traduites, semblent absurdes »12.
10Toute traduction n’encourt donc pas seulement le risque d’une déformation marginale du sens des mots translatés. La trop grande fidélité à la forme peut aussi provoquer une distorsion du fond, voire une complète oblitération de ce qui est traduit. La dissolution de la rationalité dans la fidélité littérale rend dès lors impossible une communication entre des locuteurs que la traduction se proposait pourtant de rapprocher.
11Est‑ce donc à dire qu’au Moyen-Age toute entreprise de traduction juridique ait été conceptuellement impossible ou à tout le moins pratiquement inexistante ? Loin s’en faut. En premier lieu, l’idée de traduction se trouve dans les textes eux-mêmes. Ainsi, le même Décret qui insiste sur l’irréductibilité des idiotismes, rappelle aussi la légende décemvirale selon laquelle la loi des XII Tables, fondement archaïque du droit, résulterait d’une traduction des lois grecques de Solon13. Dans cette histoire, comme dans le récit des origines de la Septante, non seulement la traduction est porteuse de sens, mais elle est source de créativité, de renouveau et même d’inspiration.
12Surtout, les traductions juridiques ont abondé au Moyen Âge, tout particulièrement aux XIIe‑XIIIe, représentant une masse très importante de manuscrits, auxquels même les humanistes du XVIe siècle ne méprisèrent pas de se référer14.
13Selon un comptage effectué par G. Giordanengo15, ce ne sont pas moins de 90 manuscrits de traductions qui nous sont parvenus, portant massivement sur le corpus juris civilis (60 mss)16, sur des œuvres de doctrine (24 mss)17 et dans une mesure beaucoup plus modeste sur le corpus iuris canonici (7 mss)18. Pour le seul Digestum vetus (les 24 premiers livres et les plus anciennement étudiés du Digeste, la compilation la plus riche du corpus), F. Duval, qui est sans conteste le meilleur connaisseur français du sujet, dénombre 4 traditions traductives différentes comportant un total de 5 traductions distinctes (la 3èmetradition, la plus riche, contient deux familles de textes)19 réparties sur 10 manuscrits conservés20. À ceux‑ci il conviendrait en outre d’ajouter Le conseil à un ami, de Pierre de Fontaines, ainsi que Li Livres de jostice et de plet qui reproduisent de larges passages en français du Digeste Vieux et qui correspondent vraisemblablement à un stade ancien, sans doute inachevé lors de leur rédaction, de ces entreprises collectives de traduction.
14Malgré leur ampleur considérable, la trace manuscrite importante qu’elles ont laissée et le fait qu’elles ont aussi concerné des œuvres de doctrine comme la Summa Azonis21 celles‑ci n’ont, jusqu’à présent, guère suscité l’attention des historiens du droit, en dehors de Felix Olivier‑Martin22, de Pierre Petot23 et, plus récemment, de Gérard Giordanengo. Le projet Miroir des Classiques24, lancée par l’École des Chartes et soutenu par l’équipex Biblissima (« investissement d’avenir »), qui, sous l’égide de l’infatigable F. Duval, fait la part belle aux traductions en français du Corpus iuris civilis25, doit donc être salué, encouragé et prolongé par un travail pluridisciplinaire comprenant chartistes, mais aussi historiens du droit, iconographes, historiens.
15En attendant la mise sur pieds d’un tel chantier collectif, il est loisible, à ce stade de l’analyse, de formuler plusieurs observations. La première consiste à souligner l’amplitude vraiment exceptionnelle du travail de traduction réalisé par les médiévaux, amplitude qui peut être mesurée à l’aune des deux difficultés majeures qu’elle a dû surmonter. D’abord, une difficulté matérielle : la longueur des textes à traduire, soit des dizaines de milliers de fragments formant un volume équivalent à plusieurs Bibles. Leur traitement a donc dû supposer un effort continu, sur plusieurs années voire dizaines d’années, porté par une ou des équipes de traducteurs, ce qui représente un investissement majeur en temps, en argent, en compétences. Il n’a pu être mené à bien qu’en vertu d’un intérêt puissant – qu’il reste pour une bonne part à déterminer – et grâce à une organisation solide.
16Ensuite, les traductions ont dû lever de très importantes difficultés intellectuelles. Le passage du latin au français constitue en effet une véritable exportation, les vocables comme les réalités traduites n’existant pas dans la langue de réception. En d’autres termes, le processus classique de traduction/déplacement a dû s’accompagner d’un phénomène plus rare de traduction/création, non seulement pour acclimater des réalités « exotiques » et les rendre compréhensibles aux yeux d’un lecteur non savant, mais aussi et surtout pour équilibrer autant que possible la nouveauté du vocabulaire de la langue de traduction avec la richesse technique de la langue traduite.
17Par comparaison, cette difficulté intrinsèque, liée à des textes dont la complexité technique a accompagné le développement de la langue latine et dont la structuration s’est nourrie des caractères propres de cette langue, n’existait pas pour les coutumiers qui firent à la même époque l’objet d’une entreprise de mise par écrit26. Même si certains de ces textes, notamment ceux qui furent produits dans la région d’Orléans, ont subi une forte influence du droit savant27, il n’en demeure pas moins que les réalités qu’ils décrivent avaient des correspondants directs en français. Leur rédaction même porte témoignage de l’émergence d’un public nouveau et d’un travail inédit de formalisation du droit, parallèlement à l’entreprise académique d’élucidation portée par les commentateurs.
18En outre le déplacement d’une langue savante vers une langue vernaculaire, par delà ses écueils techniques, présente aussi une signification socio‑culturelle majeure, et pour tout dire assez subversive. Plus qu’une simple translation linguistique, il opère en effet un changement de registre (de savant à vulgaire) en même temps qu’un probable déplacement des publics visés (des clercs aux laïcs). Impossible, dès lors, de travailler sur ces textes sans rechercher le contexte social de leur production et de leur réception. Rappelons encore une fois qu’il ne s’agit pas d’une entreprise isolée, confinée au cabinet d’un savant. La portée sociale de ces traductions fait partie intégrante de leur projet.
19La deuxième remarque consiste à prendre la mesure européenne de ce mouvement de traduction, tout en soulignant qu’en son sein, la prédominance du français fut écrasante. La raison en est simple. Comme le souligne Leena Löfstedt, parlé en France, en Angleterre, dans le Sud de l’Italie depuis Robert Guiscard, « langue officielle des royaumes de Jérusalem et de Chypre, le français était sans doute le vernaculaire européen le plus répandu » aux XIIe‑XIIIe siècles. « S’il était utile de traduire tel texte latin en vernaculaire, il était donc utile de le traduire en français »28.
20Enfin, un dernier élément de perplexité pour l’historien tient à l’arrêt brutal de ce processus, une fois passé le XIIIe siècle, alors même que les développements des langues vernaculaires rendaient les traductions sinon plus faciles, du moins plus légitimes à mettre en œuvre.
21Au total, l’importance de ce complexe textuel, la singularité de ces manuscrits, à l’interface d’espaces socio-culturels distincts, mais aussi la relative brièveté de la séquence temporelle dans laquelle ils s’inscrivent, posent à l’historien du droit une foule d’interrogations qu’il s’est jusqu’à présent peu empressé de traiter, abandonnant ces sources à une désespérante « mer d’incertitudes »29. La modestie de la présente étude ne fournira aucune réponse aux nombreuses énigmes posées par des textes que peu de personnes lisent encore. Elle entend simplement attirer l’attention sur ces sources magnifiques et proposer quelques hypothèses de lecture, en vue d’un travail qu’il devient plus que jamais nécessaire d’entreprendre.
22À ce stade, les propositions qui suivent ont donc un caractère provisoire, d’autant qu’elles se fondent sur des relevés quantitativement limités. L’étude a consisté à se plonger dans les premières pages de deux traductions empruntées à deux corpus différents. D’une part, la traduction du Décret de Gratien, dont Leena Loöfstedt a publié une édition récente30, à partir du ms Bruxelles BR 9084. D’autre part, la transcription des premiers titres de l’une des traductions du Digeste vieux conservée à la BNF (Fr. 20 118). Le premier de ces deux manuscrits daterait des années 117031 et correspondrait à une version relativement ancienne du Décret, dont le texte n’était pas encore complètement stabilisé, ce qui n’est pas sans conséquence pour la traduction, comme on le verra.
23Le second remonterait aux années 1250‑1275. Il se rattache à la 3e tradition traductive du Digestum vetus et constitue sans doute un remaniement de la traduction 2. Comme le souligne F. Duval, en effet, « Contrairement à la traduction 2, la traduction 3 est conçue pour une lecture autonome du latin. Sa syntaxe est bien moins calquée sur le latin, notamment en ce qui concerne l’ordre des mots et les structures participiales. Elle se rapproche nettement de la syntaxe d’un texte composé directement en français. La traduction 3 se caractérise également par la correction de faux‑sens et de contresens présents dans la traduction 2, par une cohésion textuelle renforcée au moyen d’explicitations (notamment des référents), de redondances et d’amplifications. Elle se signale par un discours plus compréhensible et plus interprétatif, exploitant les gloses latines et n’hésitant pas à faire l’économie de séquences d’interprétation difficile en latin et ne présentant aucune utilité à l’époque de la traduction »32.
24Quant à l’analyse de l’écriture, elle révèle l’intervention de quatre mains, et une copie réalisée vraisemblablement en Ile de France33.
25À noter également que cette production comporte un ensemble de miniatures remarquables. Selon R. Branner34, la décoration serait l’œuvre d’un atelier parisien réputé qu’il a baptisé « atelier de Bari ». Cet atelier a produit plusieurs manuscrits juridiques en français, dont celui du Décret de Gratien mentionné plus haut35. Il se singularise particulièrement par le traitement de ses initiales.
26La beauté de ce manuscrit lui a d’ailleurs valu d’appartenir à la Librairie de Charles V et de susciter la curiosité de Louis d’Anjou, frère de Charles VI, qui l’emprunta. Au XVIIe siècle, le cardinal de Richelieu en fit l’acquisition, avant qu’il ne fût versé dans le fonds de la bibliothèque de la Sorbonne, puis dans celui de la Bibliothèque Nationale, après 179136.
27Si l’on ajoute à ces éléments le fait que ce texte comporte aussi de « nombreuses corrections marginales en cursiva (…) du 14 ou 15e s., avec signes diacritiques interlinéaires »37, qui constituent autant de traces de lecture et d’étude, on conviendra que cette traduction française du Digeste vieil, loin d’être une curiosité ou une anomalie, fut prisée, étudiée, travaillée, bien au delà de l’époque de sa production.
28A partir de ces éléments de contexte et dans l’attente d’investigations complémentaires, nous nous bornerons à présenter quelques remarques sur le travail des traducteurs (§I) et quelques hypothèses sur la finalité de leurs traductions (§II).
I. Le travail des Traducteurs
29En l’état encore sommaire de la recherche et s’agissant des mécanismes propres de la traduction, deux phénomènes au moins peuvent être mis en lumière : les déplacements de sens (A) et les changements de perspective (B) ouverts par le passage du latin au français.
A. Des déplacements de sens
30La traduction, quelle qu’elle soit, suppose des choix, herméneutiques et esthétiques, puisque les façons de nommer et découper le réel varient considérablement d’un idiome à l’autre, tout comme les effets d’euphonie, de consonance ou d’allitération diffèrent selon la musicalité propre et l’accentuation des langues orales. En matière de droit ces choix sont particulièrement stratégiques, puisque la rigueur des désignations garantit à la fois la clarté de la compréhension et l’effectivité, voire la performativité de l’énoncé. La difficulté de la tâche n’en était que plus grande pour des traducteurs médiévaux, confrontés à la fois à deux langues, à deux espaces culturels, mais aussi à deux états linguistiques profondément hétérogènes : codifié, normé, complexe pour le latin, émergeant, instable, tâtonnant pour le français. Dès lors, l’amplitude des déplacements de sens pouvait être considérable si la traduction manquait un tant soit peu de rigueur.
31Qu’en a‑t‑il donc été dans nos textes ? Pour simplifier, on peut y repérer au moins trois types de déplacements.
32En premier lieu, certains glissements apparaissent involontaires et sont dus à une mauvaise compréhension du texte latin ou à un problème de transmission dans la chaîne des manuscrits. On n’en citera que deux exemples, tirés de la traduction française du Décret. D’abord, le canon 6 de la distinction 1 énonce, d’après Isidore de Séville : « Le droit est soit naturel, soit civil, soit des gens »38, ce qui est très improprement traduit par « Li droit naturex est ou droiz citeains, ou li droiz as genz »39. À la vérité, il peut s’agir là d’une erreur du manuscrit qui a servi de support à la traduction ou d’une lecture trop rapide du traducteur lui-même, mais quelle que soit l’hypothèse, elle aboutit à une faute logique consistant en la confusion de l’espèce (droit naturel) et du genre (droit). Une confusion d’autant plus fâcheuse qu’elle surplombe et conditionne en quelque sorte l’ensemble des développements relatifs à la consistance du droit.
33Un autre exemple de ces glissements involontaires peut être signalé, toujours dans la première distinction, au canon 9. Alors que le texte d’origine, évoque, à propos du droit des gens « les traités de paix, les trêves, le respect sacré des ambassadeurs (légats) »40, le traducteur, mélangeant les différents termes de la phrase, écrit : « alliances de pes, li terms que li légat donnent, comme cil doivent estre puni qui bruissent la franchise à l’iglise de Rome »41.
34Dans d’autres hypothèses, le traducteur s’attache à jouer sur la valeur des termes qu’il traduit, leur apportant une connotation particulière, qui n’était pas présente dans le texte d’origine. Ainsi, toujours dans la traduction du Décret, l’adjectif descriptif « ecclesiasticus » ou « ecclesiastica » est systématiquement rendu par le respectueux syntagme « de sainte église »42.
35Pour autant, le cas de déplacement le plus fréquent concerne des transpositions délibérées de significations, qui témoignent de l’effort produit par le traducteur pour adapter des réalités romaines, ou des contenus juridiques spécifiques à un vocabulaire français qui n’en offre aucune correspondance et dont les contours sémantiques sont moins précis. À ce titre, plus qu’à une simple traduction, c’est parfois à une véritable reformulation que nous assistons, l’œuvre de créativité linguistique empruntant certains de ses mécanismes au processus d’auctorialité, entendu comme « ce qui autorise le texte, l’accroit ou le garantit »43.
36Dans cette perspective, les interventions des traducteurs/auteurs sont extrêmement variées et mériteraient de faire l’objet d’une typologie précise. D’abord, certaines institutions, typiques du droit romain, n’ont aucun équivalent en français et sont rendues tant bien que mal. Ainsi en va‑t‑il de fas, traduit par « licence »44, du postliminium qui devient « revenues de chetivoison »45 dans le Décret, de la sponsio transformée en simple « pramesse » dans la transcription du Digeste vieux46 ou des alieni iuris rendus par « cele qui sont en autrui poeste » ou « celes qui sont soumis a autrui droiture »47.
37C’est la même logique qui préside à la dénomination d’autres réalités ou situations, qui, elles, ont reçu des équivalents en français postérieurement à ces entreprises de traduction, ce qui permet par contrecoup de mieux mesurer les décalages introduits. Dans quelques cas, la substitution s’opère mot pour mot. Ainsi, « magistrat » devient « mestre », « esclavage » « servage », « consul » « conseiller » dans la traduction du Décret comme dans celle du Digeste vieux, tandis que « curateurs » et « tuteurs » se transforment en « gardes et procureeurs »48, ou « militaire » en « chevalerie »49 dans le Décret, ce qui renvoie à chaque fois à des champs sémantiques proches mais différents. Dans d’autres hypothèses, le mot latin n’est pas traduit directement, mais fait l’objet d’un bref syntagme sensé en définir le contenu : l’usucapion est ainsi une « longue tenue »50 et les plébiscites des « establissemenz au pueple ».
38Enfin, dans quelques cas, où des équivalents français semblent avoir existé à l’époque où les traductions ont été composées (sous réserve de vérifications), le choix des termes finalement retenus ne peut manquer d’interroger l’historien du droit, car il semble induire, plus qu’un simple déplacement de sens, un véritable changement de paradigme.
B. Un changement de paradigme ?
39La question mérite d’être posée, car certaines transpositions paraissent à première vue dépasser le registre relativement neutre de la traduction et s’apparentent plutôt à de véritables réinterprétations. On en donne ici deux exemples, empruntés tous deux au plus tardif de nos textes : la traduction du Digeste vieux.
40La première illustration renvoie à la définition bien connue donnée du droit par Celse : ius est ars boni et aequi, le droit est l’art du bon et du juste (ou de l’équitable). Elle devient, dans notre manuscrit : « droiz est art de bon et bien et de loiauté ». Et plus loin Cuius merito quis nos sacerdotes appellet : iustitiam namque colimus et boni et aequi notitiam profitemur 51 est rendu par « Par quoi aucuns nos apele par droit provoires, qar nos cultivons justice et avons la connoissance de bien et de loiauté ».
41Le juste, l’équitable, qui, au moment où le traducteur travaille, ont déjà fait l’objet d’intenses réflexions doctrinales, voire de débats passionnés, sont identifiés avec la loyauté, ce qui renvoie à l’éthique de la probité chevaleresque plus qu’au vocabulaire habituel des clercs. Faut‑il y voir une indication sur le public visé par cette traduction ou du moins sur la coloration sociale de son projet ? À ce stade de l’enquête, il est prématuré de l’affirmer, même si une telle référence ne peut être le fruit du hasard, compte tenu du soin apporté à cette œuvre.
42Le second exemple concerne la classification du droit. Là encore, il convient de comparer soigneusement le texte latin d’origine et le texte du Digeste vieux en français. Voici ce que l’on peut lire au 2e paragraphe de la compilation justinienne :
Huius studii duae sunt positiones, publicum et privatum. Publicum ius est quod ad statum rei Romanae spectat, privatum quod ad singulorum utilitatem: sunt enim quaedam publice utilia, quaedam privatim. Publicum ius in sacris, in sacerdotibus, in magistratibus constitit. Privatum ius tripertitum est: collectum etenim est ex naturalibus praeceptis aut gentium aut civilibus52
43Et voici ce qu’en dit notre traduction :
« De ceste estuide sont ii parties la commune et la privée. La commune droiz est en saintes choses, en provoires, en mestres et lu privez droiz est partis en iii parties quar il est concueilliz ou de naturels commandemens ou des celi al genz ou des citeains. »
44À ce stade de l’analyse, nous pouvons formuler deux observations. D’abord, le syntagme ius publicum, droit public, est rendu par « commune droiz ». La distinction privé/public recouvre donc une dialectique du singulier et du commun qui évacue la dimension politique propre au public. Ensuite, et cette observation corrobore la précédente, les contenus généraux assignés à la distinction topique du droit privé et du droit public sont omis par le traducteur, qui ne s’attache qu’à leurs déclinaisons analytiques, comme si le droit résidait moins dans son tout que dans ses parties et qu’une définition générale était moins pertinente pour en saisir la nature que la déclinaison de ses catégories. En l’occurrence ce qui semble être un choix délibéré, plus qu’une omission involontaire53 est d’autant plus regrettable que la traduction de « Status rei Romanae » était attendue avec un certain intérêt.
45Encore une fois, à ce point du travail, il est bien trop tôt pour conclure à une orientation idéologique préférentielle suivie par les traducteurs ou par un positionnement particulier dans les débats doctrinaux de l’époque. Ce qu’il convient plutôt de souligner, en revanche, c’est que de ces entreprises de traduction sont pleinement des œuvres juridiques et qu’elles expriment, à ce titre, une vision du droit qui leur est propre.
46Il est possible d’en fournir un nouvel aperçu, au travers d’un procédé qui est trop récurrent pour être anodin ou involontaire. Il consiste à « désubstantialiser » les catégories juridiques pour leur substituer une description concrète de leur mise en œuvre. Cette tendance semble nettement plus présente dans la traduction du Décret, que dans celle du Digeste vieux, même si elle n’y en est pas totalement absente.
47Quelques exemples : dans le canon 7 de la première distinction, à propos du droit naturel, un extrait tiré d’Isidore de Séville explique que le droit naturel concerne notamment « la succession des enfants et leur éducation »54, ce que l’auteur de la traduction rend de la manière suivante : « que li enfant soient oir leur pères, et que li pères norrissent leurs enfanz »55. Un peu plus loin, au début de la distinction 4, alors que le texte latin porte Causa vero constitutionis legum est humanam cohercere audaciam et nocendi facultatem refrenare (…). Factae sunt autem leges ut earum metu humana coerceatur audacia, tutaque sit inter improbos innocentia…56, la version française dit : « La cause par coi les lois furent establies fu pour refraindre hardement d’ome et por tolir poeste de nuire (…). Les lois furent faites que por la poor d’ome soit hardement refrenez et que li innocent soient seur entre les mauves »57. Une phrase remplace un complément de nom (causa constitutionis legum), tandis que la référence à des personnes (les innocents) se substitue à un concept abstrait (l’innocence).
48Cette tendance qui vise à gommer une certaine abstraction du discours, caractéristique de la langue latine, au profit de la narrativité des développements se retrouve aussi dans la traduction du Digeste, mais à un degré bien moins marqué, sans qu’on puisse dire à ce stade si cela tient à l’évolution de la langue ou à un choix propre au traducteur.
49Donnons‑en donc là aussi quelques illustrations. D’abord, les différents auteurs dont les œuvres composent le Digeste sont clairement présentés comme des locuteurs, puisque la mention de leur nom est systématiquement suivie du verbe « dire » : Ulpians dit, Hermogenians dit. Ainsi, la compilation apparaît moins comme un recueil de textes structuré par la référence à des œuvres écrites que comme un espace de paroles centré sur des auteurs « vivants ».
50D’ailleurs, comme le souligne F. Duval, « les traductions médiévales du corpus tiennent un moyen terme entre l’assimilation et l’acculturation des institutions romaines et un traitement historique distancié. Plus encore que les manuscrits latins dont elles dérivent, ces traductions présentent des inscriptions et souscriptions volontiers réduites voire absentes, alors que ces mentions constituent un élément clef pour reconstituer le droit romain pré‑justinien. Les traductions véhiculent enfin une conception homogène du Code et du Digeste »58.
51Après le prologue, les tout premiers mots de la traduction témoignent également d’un décentrage de la perspective par rapport à l’original. Le texte latin indique en effet Iuri operam daturum prius nosse oportet, unde nomen iuris descendat59. Ce qui est rendu en français par « il covient que tuit cil qui vuelent doner entente a savoir droit sachent premièrement dout la nessance de nostre droit descent ». La « naissance de notre droit » a remplacé « le nom du droit ». C’est un récit généalogique qui est présenté, et qui plus est un récit identitaire (« notre droit »), plutôt qu’une réflexion étymologique.
52Par delà ces quelques remarques, très ponctuelles, peut‑on essayer d’aller plus loin et d’apporter des éclaircissements sur le sens de ces projets éditoriaux ?
II. Les finalités de la traduction
53On touche ici aux limites de l’activité historienne, d’abord parce que les développements qui suivent ne reposent que sur des dépouillements partiels. Ensuite, parce que, faute d’explication directe émanant des auteurs eux-mêmes et précisant le sens et les ambitions de leur propos, il n’est pas possible de raisonner autrement que par tâtonnement et par supposition.
54Pour autant, il n’est pas non plus envisageable de faire l’économie de cette réflexion, tant une démarche concertée de traductions en langue vernaculaire intrigue par sa singularité, son amplitude et sa brièveté, dans le contexte intellectuel et académique du droit savant.
55On présentera donc quelques indications sur l’horizon social d’une telle entreprise (A), ainsi que sur ses causes possibles (B).
A. Traduire par qui ? Traduire pour qui ?
56Les manuscrits de traduction du corpus iuris civilis ne peuvent se comprendre sans une étude globale qui couvrirait les champs de la codicologie et de l’iconographie, les textes étant souvent mis en relation avec les miniatures qui les ornent60. En outre, il est nécessaire de faire droit à leur projet d’écriture en les étudiant dans leur intégralité et en s’attachant aux particularités de leur structure.
57De ce point de vue, une piste intéressante pourrait consister à faire un relevé systématique des passages omis ou ignorés par les traductions, cette remarque valant surtout pour la compilation justinienne dont le texte apparaît mieux établi61. Une telle étude fournirait une cartographie en creux des choix opérés par le traducteur. Nous en avons donné plus haut quelques exemples, auxquels il convient d’ajouter une remarque complémentaire : les passages en grec semblent systématiquement omis62. Pourquoi ? S’agit‑il de lacunes sur le manuscrit de travail ? D’une ignorance (probable) du grec par le traducteur ? Du peu d’intérêt qu’auraient des passages en grec pour le lecteur de la traduction en français ? Même remarque pour le choix d’un seul prologue du Digeste (la 2ème, avec la constitution Omnem), alors que pas moins de trois étaient possibles.
58Dès lors qu’une traduction n’est pas intégrale, le fait d’écarter certains passages peut ne pas être anodin, si l’on parvient du moins à établir qu’il s’agit là d’un propos délibéré du traducteur, non la conséquence des lacunes des manuscrits sur lesquels il travaille. De même, la sélection de la matière à traduire, l’option préférentielle pour certaines parties des compilations justiniennes plutôt que telles autres peuvent donner des indications sur le ou les public(s) visé(s).
59Il convient enfin d’évoquer, même de façon généraliste et superficielle, la grande qualité des traductions proposées. Les textes à traduire, particulièrement ceux du Digeste, sont difficiles à comprendre d’un point de vue formel (il s’agit d’un latin très ramassé, souvent elliptique et abstrait) ainsi que sur le fond du droit, extrêmement technique. Or, l’auteur de la traduction française du Digeste vieil surmonte avec aisance ces difficultés, et trouve presque toujours de pertinentes solutions de transcription. Autant sans doute qu’un travail de traduction, il faut voir là une véritable œuvre juridique, écrite par un juriste, ou au moins avec le concours actif d’un ou de plusieurs juristes. Compte tenu de la date du manuscrit (la deuxième moitié du XIIIe siècle) et de la langue utilisée, la connexion avec l’école de droit d’Orléans est une hypothèse plausible.
60Reste à savoir pour qui une telle traduction a pu être réalisée. Ici, il importe de distinguer le manuscrit BNF lat. 20118 de l’entreprise de traduction elle-même dont il est un témoin, certes privilégié, mais pas nécessairement significatif. L’aspect général de ce manuscrit, sa qualité, le soin mis dans les rubrications, les couleurs utilisées excluent formellement qu’il se soit agi d’un exemplaire de travail. La présence de miniatures atteste également de la réalisation d’un exemplaire de prestige, pointant vers un public lettré et riche de laïcs sans doute, peut être de juristes de haut niveau (professeurs de droit, conseillers au parlement63, conseillers du roi).
61À côté de cet exemplaire luxueux, ont vraisemblablement circulé d’autres supports manuscrits moins riches, fabriqués pour l’étude et l’enseignement, mais que la banalité de leur facture n’a pas protégé contre les aléas de la conservation et qui par conséquent n’ont pas subsisté jusqu’à nous, en raison des destructions, des oublis et des pertes.
B. Pourquoi traduire ?
62Demeure bien sûr l’ultime question, celle à laquelle il n’est jamais facile de répondre mais qu’il est toujours nécessaire de poser : celle du pourquoi. Comme cela a déjà été souligné, la complexité de l’entreprise, sa durée, son coût, la multiplicité des collaborateurs qu’elle a dû impliquer, leurs compétences remarquables, surtout s’agissant des textes du corpus, ne suggèrent pas une initiative isolée, mais plutôt une démarche concertée, appuyée sur une institution durable.
63En outre, il n’est pas de bonne méthode de séparer les traductions françaises du Digeste des autres tentatives, nombreuses, réalisées pour transcrire le droit en langue vernaculaire64. Il s’agit là incontestablement d’un phénomène de grande portée, alors qu’au tournant des XIIe‑XIIIe siècles, la norme juridique s’exprime de plus en plus dans des idiomes nationaux : que l’on considère la common law et le law french, le castillan des Siete partidas d’Alphonse le Sage ou le français, qui bénéficie de la bienveillance, voire du soutien actif d’une monarchie capétienne qui commence elle aussi à faire rédiger ses textes normatifs dans la langue du peuple.
64Ce rapport entre la discipline juridique et les parlers « vulgaires » mérite incontestablement d’être repensé, même s’il n’a pas, au XIIIe siècle, le caractère réflexif qu’il aura au XIVe et que l’on trouve bien exprimé sous la plume de d’un Nicole Oresme, par exemple. Pour autant, l’ampleur du processus de traductions juridiques en français au XIIIe et son abandon soudain au siècle suivant suggèrent que le phénomène ne fut pas un mouvement spontané, dû à la seule maturité linguistique du français et à l’émergence d’un public lettré, avide de se former. Ces conditions ont en effet perduré bien après le XIIIe siècle et se sont même amplifiées sans produire les mêmes effets.
65Plus qu’une coïncidence, une mode ou une aubaine contextuelle, ces traductions ont sans doute dépendu d’une volonté, d’un projet, d’une ambition qu’il est difficile de ne pas relier au remuant studium orléanais et derrière lui à un pouvoir capétien soucieux d’étayer le développement de son autorité avec les matériaux tirés du droit romain. Un droit romain de moins en moins impérial et de mieux en mieux acclimaté aux réalités françaises, grâce au patient travail d’exégèse mené dans les universités du royaume, et notamment au sein de l’École de droit d’Orléans. Cette hypothèse est d’autant plus tentante que les Orléanais ont vraisemblablement donné une partie au moins de leurs enseignements en français (au grand scandale des Italiens) et qu’ils n’ont eu de cesse de réaliser un travail d’actualisation de la source romaine en fonction des besoins de leur époque.
66Un indice de ce phénomène de digestion, voire d’appropriation du droit romain est fourni au tout début de la traduction du Digeste vieil. Dans un passage très célèbre de son œuvre, le jurisconsulte Ulpien cherche à fonder son approche analytique du droit sur une référence topique à l’étymologie : Iuri operam daturum prius nosse oportet, unde nomen iuris descendat. est autem a iustitia appellatum: nam, ut eleganter celsus definit, ius est ars boni et aequi65. Ce que notre traducteur rend de la manière suivante : « il covient que tuit cil qui vuelent doner entente à savoir droit sachent premièrement dout la nessance de nostre droit descent. Droiz est diz de justice quar si comme Celsus dist, droiz est art de bon et bien et de loiauté ».
67L’enjeu de l’ouvrage n’est pas de s’interroger sur le droit en général et de façon abstraite. Il consiste à expliquer « notre » droit, à montrer « d’où il descend », bref à inscrire son identité dans une communauté naturelle (« nous ») et dans une généalogie impeccable. Le jus commune chanté par Bartole au siècle suivant n’est pas compris comme l’universalité d’un principe désincarné, mais comme l’appropriation d’un matériau rationnel disponible, désormais assigné à un territoire déterminé. La traduction est bien plus qu’une opération linguistique. C’est possiblement un acte politique, surtout dans l’hypothèse (qui reste à démontrer) où le roi s’en serait mêlé pour donner corps à son rêve d’impérialité. C’est, incontestablement, un mécanisme juridique et même un mécanisme puissamment juridique. La traduction en effet n’opère pas seulement par déplacement d’une forme, d’une langue dans une autre. Elle agit à la manière d’une authentique réception, l’évolution morphologique du texte assurant la nationalisation de son contenu, au prix d’une mystérieuse transsubstantiation juridique66.
Notes de bas de page
1 Très importante bibliographie. Voy. Par exemple S. Kuttner, « The revival of jurisprudence » Renaissance and renewal in the 12th century, s. d. R. L. Benson & G. Constable, Oxford, Clerendon Press, 1982, p. 318‑323.
2 En concurrence directe avec la théologie, la « reine des sciences » incontestée jusqu’à l’arrivée tonitruante des juristes et de leurs prétentions à la suprématie intellectuelle.
3 M. Foucault, Les mots et les choses. Une archéologie des sciences humaines, Paris, Gallimard,1966, chapitre 2 sur « l’epistémé » du Moyen Âge et de la Renaissance.
4 Cf. S. Lusignan Parler vulgairement. Les intellectuels et la langue française aux XIIIe et XIVe siècles, Paris, 1986 ; « La topique de la translatio studii et les traductions françaises de textes savants au XIVe siècle », Traductions et traducteurs au Moyen‑Âge. Actes du colloque international du CNRS organisé à Paris, Institut de recherche et d’histoire des textes, les 26‑28 mai 1986. Textes réunis par G. Contamine, Paris, 1989, p. 303‑315.
5 Dictionarium iuris tam civilis quam canonici (éd. Fr. Decinaus), Venise, 1581, v° Lingua : Inter omnes linguas tres dicuntur excellentissime, scilicet, hebraica, graeca et latina.
6 G. Giordanengo, Le Studium et l’université de Droit d’Orléans du XIIIe au XVe s, cours d’histoire du droit civil et du droit canonique, École nationale des chartes, Paris, multigr. 2004, p. 13.
7 Ibid.
8 Cf. M. Bassano, “Dominus domini mei dixit…” Enseignement du droit et construction d’une identité des juristes et de la science juridique. Le studium d’Orléans (c. 1230‑c. 1320), thèse soutenue à l’université Paris II en 2008, s. d. C. Leveleux‑Teixeira.
9 Sur ce sujet voy. par exemple J‑M. Carbasse, « De verborum significatione. Quelques jalons pour une histoire des vocabulaires juridiques », Droits, 39, 2004, p. 3‑16, et notamment p. 6‑13.
10 On ne trouve rien dans le Dictionarium, ni à traductio, ni à translatio.
11 Lingua qualibet habet propria genera locutionum que cum in alia transferuntur videntur absurda.
12 D. 38, c. 14 : Locutio divinarum scripturarum secundum cujusque linguae proprietatem accipienda est. Habet enim omnis lingua sua quedam propria genera locutionum, que cum in aliam linguam transferuntur, videntur absurda.
13 D. 7, c. 1 : Deinde cum populus seditiosos magistratus ferre non posset, decemviros legibus scribendis creavit, qui leges ex libris Solonis in latinum sermonem transalatas XII tabulis exposuerunt.
14 Cf. l’excellent article de F. Duval, « D’une renaissance à l’autre. Les traductions françaises du Corpus iuris civilis », La traduction entre Moyen Âge et Renaissance. Médiations, auto-traductions et traductions secondes, Bibliothèque de Transmédie, vol. 4, s. d. C. Galderisi et P. Nobel, Turnhout, Brepols, 2017, p. 33‑68.
15 Le Studium, op. cit. p. 16.
16 Ibid. Code : 18 ms, Digeste vieux : 10 mss, Infortiat : 2 mss, Digeste neuf : aucun ms ; Institutes 22 mss, Tres libri : 3 mss, Authentiques : 4 mss, Libri feudorum : 1 ms perdu.
17 Somme au Code de Geraud le Provençal : 11 mss (dont 5 en provençal et 2 en castillan), Somme au Code d’Azon : 3 mss ; Ordo judiciarius de Tancrède de Bologne : 10 mss
18 Décret : 1 ms ; Décrétales de Grégoire IX : 6 mss (dont 2 en castillan).
19 Ces indications sont fournies sur le site Miroir des classiques (dernière consultation le 3/08/2018). http://elec.enc.sorbonne.fr/miroir_des_classiques/xml/manuscrits_juridiques/digestum_vetus.xml#presentation
20 Paris, BNF. fr. 2844 ; BNF. fr. 197 ; Bruxelles, Bibl. royale de Belgique, 9234 ; Leiden, Universiteitsbibliotheek, Meijers fr. 3 ; Paris, BNF. fr. 495 ; Paris, BNF. fr. 20118 ; Paris, BNF. fr. 5245 ; Montpellier, bibl. interuniversitaire, section Médecine, H 47 ; Bruxelles, Bibl. royale de Belgique, 9234 (de D. 3.1 à D. 4.6) ; Bruxelles, Bibl. royale de Belgique, 9234 (de D. 2.8 à la fin de D. 2).
21 Cf. H. Biu, « Dire le droit en français. La traduction française de la Summa Azonis », Sciences et langues au Moyen Age, s. d. J. Ducos, Heidelberg, Winter Verlag, 2012, p. 377‑390.
22 Les institutes de Justinien en français : une traduction anonyme du XIIIe siècle, Paris, Sirey, 1935.
23 « Pierre de Fontaines et le droit romain », dans Études d’histoire du droit canonique dédiées à Gabriel Le Bras, t. II, Paris, 1965, p. 955‑964.
24 « Le Miroir des classiques est un répertoire des traductions de classiques latins et grecs faites en français et en occitan au Moyen Âge. Sont présentées, sous le titre de chaque ouvrage traduit, les différentes traductions dans leur ordre chronologique ainsi que leurs remaniements éventuels. Pour chaque traduction, caractérisée rapidement, est fournie une analyse précise des manuscrits et des éditions (incunables et éditions du XVIe siècle) qui la conservent ». Site internet : http://elec.enc.sorbonne.fr/miroir_des_classiques/index.html (Dernière consultation : 3/08/2018).
25 « Les traductions gallo-romanes du Corpus juris civilis, largement méconnues, ont fait l’objet d’un traitement particulièrement détaillé et constituent un sous-corpus largement autonome ». Ibid. A noter qu’aucun des manuscrits français conservés ne portent sur le Digeste neuf.
26 Citons notamment les coutumiers normands, la très ancienne coutume de Bretagne, l’ancien coutumier de Bourgogne, l’ancien coutumier de Champagne, ou, hors du royaume de France, le livre des assises de Jérusalem.
27 On songe en particulier aux Poines de la duché d’Orliens (1235‑1255), aux Etablissements de Saint Louis (1271) ou dans une moindre mesure aux Coutumes de Beauvaisis de Philippe de Beaumanoir, rédigé pour ce dernier ouvrage hors de l’orbite orléanaise. Les cas du Conseil à un ami de Pierre de Fontaines (v. 1250) et de Li Livres de jostice et de plet (v. 1260), doivent être considérés à part puisqu’ils ont bénéficié de l’apport de ces traductions savantes.
28 L. Löfstedt, Gratiani Decretum vol. 5, Observations et explications, Societas scientiarum fennica, Commentationes humanarum Litterarum, 117, 2001, p. 32 suiv.
29 G. Giordanengo, op. cit. p. 14.
30 Gratiani Decretum : la traduction en ancien français du Décret de Gratien. 5 vol. édition critique par Leena Löfstedt., Commentationes Humanarum Litterarum, 110, Helsinki, Societas Scientiarum Fennicae, 1992‑2001.
31 L. Löfstedt attribue cette traduction à Thomas Becket ou à son entourage, la langue du texte dénotant l’empire Plantagenêt au XIIe s., même si le ms. (Bruxelles, BR 9084) est postérieur d’un siècle et écrit en Francien. Ces attributions ont toutefois été contestées dans différents CR. Pour notre part, nous ne rentrerons pas dans cette discussion, nous contentant de reprendre les conclusions de L. Löfstedt sur la datation de la traduction, ainsi que sur l’état probable du manuscrit du Décret qui lui a servi de support.
32 http://elec.enc.sorbonne.fr/miroir_des_classiques/xml/manuscrits_juridiques/digestum_vetus.xml#traduction_3
33 http://elec.enc.sorbonne.fr/miroir_des_classiques/xml/manuscrits_juridiques/digestum_vetus.xml - fr_20118 Notice codicologique de F. Duval
34 Manuscript Painting in Paris During the Reign of Saint Louis, Berkeley-Los Angeles-Londres, 1977, p. 106.
35 Outre le ms Bruxelles, Bibl. royale de Belgique, 9084, cet atelier aurait également produit un manuscrit des Décrétales, ms Paris, BNF, nouv. acq. fr. 5120, ainsi qu’un du Code, ms Giessen, Universitätsbibliothek, 945.
36 http://elec.enc.sorbonne.fr/miroir_des_classiques/xml/manuscrits_juridiques/digestum_vetus.xml#fr_20118F
37 F. Duval, ibid.
38 D. 1, c. 6 : Ius aut naturale est, aut civile, aut gentium.
39 Op. cit. p. 5.
40 D. 1, c. 9 Federa pacis, induciae, legatorum non violandum religio.
41 Op. cit. p. 6.
42 Voy. entre autres D3, Grat. Omnes he species secularium legum partes sunt. Sed quia constitutio alia est civilis, alia ecclesiastica : civilis vero forense vel civile ius appellatur, quo nomine ecclesiastica constitutio appellatur videamus. « Toutes ces espèces sont parties des lois seculers, mes por ce que l’une constitucion est citeaine et l’autre appartient à Sainte Eglyse (et) la citeaine est appelée droit de cort ou droiz citeains. Voions par quel non les constitucions qui appartient à Sainte Eglyse doivent estre apelees. »
43 Alain Brunn, « Auteur, auctorialité », Fabula, la recherche en littérature, dernière consultation 03/08/2018. http://www.fabula.org/atelier.php?Auteur%2C_auctorialit%26eacute%3B
44 Decret. Grat. D. 1, c. 1.
45 Decret. Grat. D. 1, c. 9.
46 D. 1, 3, 1.
47 D. 1, 6, 1.
48 Decret. Grat. D. 1 c. 12.
49 D. 1, c. 10, « Quel chose est droiz de chevalerie ».
50 Decret. Grat. D. 1, c. 12.
51 D. 1, 1, 1. « On nous appelle à juste titre des prêtres, car nous vouons un culte à la justice et nous nous adonnons à la connaissance du bien et du juste ».
52 D. 1, 1, 2.
53 À ce stade du manuscrit, et sur un sujet aussi sensible, un oubli serait surprenant.
54 Decret. Grat. D. 1, c. 7 liberorum successio et educatio.
55 Op. cit. p. 5.
56 Decret. Grat. D. 4, c. 1.
57 Op. cit. p. 8.
58 F. Duval, « D’une renaissance à l’autre », art. cit. p. 44.
59 D. 1, 1, 1 pr.
60 Voy. J. Sautel, Mémoire de master de l’université d’Orléans, 2015, s. d. J‑P. Boudet. Le mémoire portait sur le ms d’Orléans BM, ms 392, contenant une traduction en français du Code de Justinien.
61 L’instabilité relative du texte du Décret jusqu’au XIIIe siècle rend en effet délicate la réalisation d’une telle opération, puisqu’il est impossible de savoir si les passages non traduits sont dus aux choix du traducteur ou à l’état du manuscrit sur lequel il travaille.
62 Voy. par ex. D. 1, 1, 6, 1 ; D. 1, 3, 2 ; D. 1, 3, 6, etc.
63 Je reprends ici l’une des hypothèses formulées par J. Sautel dans son mémoire de master déjà cité.
64 Ce mouvement de traduction est d’ailleurs loin de ne concerner que le droit. Cf. les publications du programme ANR Transmedie, s. d. C. Galderisi et P. Nobel ou le corpus « Miroir des classiques ».
65 D. 1, 1, 1, pr.
66 Cf. F. Duval, « D’une renaissance à l’autre », art. cit. p. 51 : l’une « des spécificités majeures des traductions juridiques (est) la production d’effets juridiques. Or ces effets juridiques doivent être équivalents dans le texte de départ et dans le texte d’arrivée ».
Auteur
Professeure d’Histoire du Droit à l’Université d’Orléans,
Laboratoire Polen
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
La loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations…
Dix ans après
Sébastien Saunier (dir.)
2011