Sous-traitants et fabricants d’EPERS, aux confins de la responsabilité des sous-traitants.
p. 303-312
Texte intégral
1De la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance à la loi Spinetta du 4 janvier 1978. - C’est au professeur Moussa Thioye qu’il est revenu de dresser un méticuleux panorama de la sous-traitance en matière de construction1. Sous-traitance, dont on sait qu’elle désormais omniprésente, certainement bien davantage qu’elle ne l’était en 1978, à l’heure où le parlement votait la loi Spinetta, quelques années après avoir voté celle du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance et destinée à sortir les sous-traitants de l’ombre dans laquelle le chantier les plongeait trop souvent.
2Quelle responsabilité pour le sous-traitant ?. - Si la sous-traitance est désormais de tous les chantiers, les sous-traitants eux-mêmes ont changé ! En 1978, ils sont essentiellement de petites structures, souvent vulnérables. Fragilité économique qui d’ailleurs est l’une des clefs d’explication de leur mise à l’écart de la responsabilité des constructeurs. Dans un premier temps, il avait, en effet, été suggéré de les inclure dans le système Spinetta. L’article 1792-4, alinéa 1er, du code civil, présenté au Sénat, avait même été rédigé en ce sens : « Le sous-traitant accepté par le maître de l’ouvrage dans les conditions visées par l’article 3 de la loi du 31 décembre 1975 est solidairement responsable des obligations mises par les articles 1792, 1792-1, 1792-2 et 1792-3 à la charge du locateur d’ouvrage ». Il était donc, initialement, prévu que le sous-traitant soit solidairement responsable des constructeurs. Il ne s’agissait donc pas de le qualifier de constructeur, faute qu’il ait conclu un contrat de louage d’ouvrage avec le maître de l’ouvrage, mais, simplement, de le rendre responsable solidairement des constructeurs, ainsi que le sont nombre de personnes participant à la construction d’un ouvrage.
3La garantie décennale, au-delà du louage d’ouvrage. En effet, contrairement à ce qui est, de temps à autre oublié, nombre de personnes sont tenues à la garantie décennale (C. civ., art. 1792) et à l’assurance construction obligatoire corrélative (C. assur., art.L. 241‑2), quand bien même elles n’auraient conclu aucun contrat de louage d’ouvrage. Que l’on songe au vendeur après achèvement visé par l’article 1792-1 du code civil ; Il est un vendeur qui n’a jamais rien construit ! Il est pourtant tenu à la garantie décennale. Ainsi, loin de l’idée que seul le constructeur ayant conclu un louage d’ouvrage avec le maître de l’ouvrage soit tenu à la garantie décennale, de nombreux intervenant à l’acte de construire y sont tenus. Comment, le législateur parvient-il à ce « tour de passe-passe » ? Parfois : « en réputant constructeur de l’ouvrage (…) » une personne. Outre le vendeur après achèvement (C. civ., art. 1792‑1), tel est le cas du garant financier d’achèvement qui, selon le nouvel article L. 261-10-1 du CCH, introduit par la loi ELAN du 23 novembre 2018, « (…) est réputé constructeur au sens de l’article 1792-1 du même code et dispose, à ce titre, d’une assurance de responsabilité en application de l’article L. 241-2 du code des assurances ».
4Parfois, sans même que le législateur prenne la précaution de les réputer constructeurs, d’autres sont, malgré tout, soumis à la garantie décennale. Tel est le cas du contrôleur technique « soumis dans les limites de la mission à lui confiée par le maître de l’ouvrage à la présomption de responsabilité édictée par les articles 1792,1792-1 et 1792-2 du code civil ». Et ce sort est partagé par d’autres, « tenus aux garanties des constructeurs » ou « solidairement responsable des constructeurs » : Vendeur d’immeuble à construire (CCH, art. L. 261‑6), vendeur d’immeuble à rénover (CCH, art. L. 262‑2), promoteur immobilier (CCH, art. L. 221‑1), mais encore le fabricant (1792‑4). Tous sont tenus aux garanties des constructeurs. De cette digression, il est possible de retirer deux enseignements :
5D’une part, il n’est pas nécessaire d’avoir conclu un contrat de louage d’ouvrage pour être tenu à la garantie décennale. Y sont tenus, des locateurs d’ouvrage, au premier chef, mais aussi les contrôleurs techniques (CCH, art. L. 111-24), certains vendeurs (vendeur d’immeuble achevé, vendeur d’immeuble à construire, vendeur d’immeuble à rénover), et même le promoteur immobilier qui n’est pourtant qu’un mandataire, ainsi qu’en dispose expressément l’article L. 221-1 du CCH. Et, cet inventaire à la Prévert des personnes tenues à la garantie décennale ne cesse de s’allonger. En dernier lieu, c’est la loi ELAN du 23 novembre 2018 qui, à l’article L. 261-10-1 du CCH, répute constructeur le garant financier d’achèvement, alors qu’il n’est qu’une caution ! A priori, étendre à ce point le spectre de la responsabilité des constructeurs étonne. Cela est pourtant efficace : l’accédant à l’ouvrage (qu’il soit acquéreur, maître de l’ouvrage, mandant, etc.) est protégé de la même manière, quel que soit le contrat qui lui est proposé, dès lors qu’il concourt à la construction d’un ouvrage ; Qu’il lui ait été proposé un contrat de vente, un contrat de promotion, un contrat de louage d’ouvrage, etc., l’accédant est protégé dans les mêmes termes. Et pour cause, au regard de la solidité de l’ouvrage ou de sa destination par exemple, la nature juridique du contrat ne peut être déterminante… Le désordre subi ne peut être traité différemment, selon la nature du contrat qui a permis la construction de l’ouvrage. Un même désordre à l’ouvrage doit pouvoir être traité de la même manière. C’est ce que le législateur, dès les années 60 (avant même la loi Spinetta), a voulu en étendant le champ de la garantie décennale et de l’assurance construction.
6D’autre part, il est au surplus parfois perdu de vue que l’existence même d’un contrat n’est pas une condition sine qua non de l’application de la garantie décennale ! Par exemple, l’acquéreur d’une maison individuelle réceptionnée il y a moins de dix années, peut bénéficier d’une action fondée sur la garantie décennale à l’encontre du vendeur après achèvement (C. civ., art. 1792 1), mais aussi à l’encontre du constructeur de maison individuelle. Or, l’acquéreur de la maison n’a conclu aucun contrat avec ce constructeur. Il se contente de recueillir l’action, sans doute à titre d’accessoire, en tant que propriétaire de la maison (C. civ., art. 1792). Et, il ne s’agit pas là d’un cas isolé ; pensons également au syndicat des copropriétaires2, représenté par le syndic (L. 10 juill. 1965, art. 18 I) autorisé par une décision d’assemblée générale (D. 17 mars 1967, art. 55), qui peut invoquer la garantie décennale. En effet, l’article 15 de la loi du 10 juillet 1965 lui reconnaît qualité pour « agir en justice (...) en vue de la sauvegarde des droits afférents à l’immeuble »3, alors même qu’il n’a pas conclu de contrat, de quelque nature que ce soit, avec le débiteur de la garantie décennale (vendeur d’immeuble à construire, constructeur, etc.).
7Les sous-traitants, hors la garantie décennale ? Ce que l’on vient de souligner tend ainsi à montrer que rien ne semble s’opposer, juridiquement, à ce que les sous-traitants soient responsables sur le fondement de la garantie décennale dont le champ s’étend bien au-delà du contrat de louage d’ouvrage. Et, si les sous-traitants ont, in fine, été exclus du système Spinetta, c’est, en effet, pour des considérations politiques ; Deux arguments semblent avoir conduit à bouter les sous-traitants hors du système Spinetta : leur faiblesse économique, alors qu’au surplus le maître de l’ouvrage pouvant s’adresser au constructeur, point n’est besoin d’un garant supplémentaire ! C’est ainsi que dès 1978, Philippe Malinvaud et Philippe Jestaz pouvaient dénoncer « le mirabilisme juridique qui a conduit à écarter les sous-traitants, présumés petits, pour faire payer les gros, présumés riches »4.
8Les fabricants d’EPERS, des constructeurs presque comme les autres. - Amputé de l’alinéa concernant les sous-traitants, l’article 1792-4 du CCH ne conservera ainsi qu’un seul alinéa concernant cette fois ci les fabricants : « Le fabricant d’un ouvrage, d’une partie d’ouvrage ou d’un élément d’équipement conçu et produit pour satisfaire, en état de service, à des exigences précises et déterminées à l’avance, est solidairement responsable des obligations mises par les articles 1792, 1792-2 et 1792-3 à la charge du locateur d’ouvrage qui a mis en œuvre, sans modification et conformément aux règles édictées par le fabricant, l’ouvrage, la partie d’ouvrage ou élément d’équipement considéré ».
9Parmi les personnes visées, l’on aura reconnu la figure familière du fabricant d’EPERS (mais aussi d’ouvrage et de partie d’ouvrage), demeuré sous le joug de la garantie décennale, alors que les sous-traitants, eux, en ont été exclus. Au surplus il convient de ne pas négliger que deux autres personnes sont assimilées au fabricant d’EPERS : l’importateur et le distributeur. L’un et l’autre, à l’avenir, pourraient d’ailleurs jouer un rôle considérable.
10Cette présence des fabricants d’ouvrage, de partie d’ouvrage et d’EPERS, au cœur du système Spinetta dès l’origine, est notable et à une résonnance plus grande encore 40 ans plus tard alors que se réalise peu à peu ce qui avait été anticipé. Il est, en effet, certain que le pari de l’industrialisation de la construction, « perspective futuriste »5 en 1978, n’a guère été remporté pendant les quarante dernières années… Trois raisons, au moins, peuvent expliquer que le vœu d’Adrien Spinetta, l’Ingénieur des Ponts et Chaussées, ait mis tant de temps à se réaliser. Tout d’abord, le secteur de la construction a longtemps été l’un de ceux qui investissait le moins en Recherche et Développement. Ensuite, la solidarité visée par l’article 1792-4 du code civil engendre deux conséquences qui ne sont pas négligeables pour les fabricants qui y seraient tenus. Outre une responsabilité de plein droit à l’égard du maître de l’ouvrage (en l’absence même de contrat) pendant une durée de 10 années à compter de la réception, l’on se souviendra que cette responsabilité est d’ordre public et doit être obligatoirement assurée, perspectives assez peu communes dans les relations BtoB du secteur industriel. Enfin, il ne faut sans doute pas négliger que, psychologiquement (et structurellement) les secteurs de la construction et de l’industrie sont longtemps demeurés deux « mondes » indifférents l’un à l’autre. Même si l’industrie a toujours fourni les matériaux pour construire les ouvrages et les éléments pour les équiper, les genres ne se mêlèrent guère contrairement au vœu d’Adrien Spinetta. L’on comprend alors qu’à plusieurs reprises et de toute part, l’abrogation de l’article 1792-4 du code civil fut sollicitée. Tant la doctrine6 que la Cour de cassation, pendant 8 années consécutives (de 2007 à 2014)7, réclamèrent l’abrogation de l’article 1792-4 du code civil. Tandis que dans le même temps, la qualification d’EPERS donnait lieu à un contentieux répétitif, sans que la Cour de cassation ne parvienne à une solution suffisamment ferme8. Qualifié d’herpès de l’assurance construction9, la responsabilité des fabricants d’EPERS vit, in fine, son champ considérablement réduit par l’ordonnance du 28 juin 2005 qui inséra un nouvel article 1792-7 dans le code civil selon lequel « Ne sont pas considérés comme des éléments d’équipement d’un ouvrage au sens des articles 1792, 1792-2, 1792-3 et 1792-4 les éléments d’équipement, y compris leurs accessoires, dont la fonction exclusive est de permettre l’exercice d’une activité professionnelle dans l’ouvrage ».
11Le fabricant d’EPERS et le sous-traitant ; mêmes critères pour une même personne ? S’il ne reste en apparence que peu de cet article 1792-4 du code civil, il pourrait toutefois être le creuset des évolutions à venir. En effet, il est notable que la jurisprudence, sur le fondement de l’article 1792-4 du Code civil a considérablement rapproché la notion de fabricant d’EPERS du sous-traitant, alors que ce dernier n’est, a priori, pas soumis à la responsabilité des constructeurs !
12On sait que c’est, essentiellement, à l’occasion de l’application de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance que la qualification de sous-traitant est le plus souvent posée. Il s’agit, en effet, pour les juges de parvenir à distinguer entre le sous-contrat d’entreprise (le sous-traité) et le contrat de vente. Seul le premier relève de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance ! Or, le critère de la commande spécifique, désormais retenu par les juges, conduit à considérer que le contrat doit être qualifié de vente si le fabricant conçoit seul l’élément d’équipement ou la partie d’ouvrage, il s’agit en effet, alors, d’un élément de série que l’on trouve par exemple en stock ou sur catalogue10 ; il est banal. Au contraire, le contrat est qualifié d’entreprise, et conduit donc à l’application de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance, lorsque l’élément est conçu et fabriqué conformément aux spécifications du maître de l’ouvrage pour un chantier spécifique11 ; alors l’élément, fabriqué sur mesure, n’est pas substituable. Cette jurisprudence, constamment reproduite par la Cour de cassation, a été réaffirmée, en dernier lieu les 14 décembre 201712 et 8 mars 201813. Mais, ce faisant, la Cour de cassation rapproche considérablement la notion de sous-traitant de celle d’EPERS telle qu’elle l’a elle-même définie sur le fondement de l’article 1792-4 du code civil. En effet, qu’est-il, si ce n’est un élément conçu ou produit pour satisfaire en état de service à des exigences précises et déterminées à l’avance et mis en œuvre sans modification conformément aux règles du fabricant. En somme, ainsi qu’Hugues Périnet-Marquet l’a remarqué, les critères de qualification du sous-traitant sont ceux qui permettent de qualifier l’EPERS au sens de l’article 1792-4 du code civil14 ! Cette convergence des notions, ainsi constatée, n’est peut-être pas si étonnante qu’il pourrait en avoir l’air au premier abord. En effet, ce rapprochement avait été fait dès le lendemain de la loi par Philippe Malinvaud et Philippe Jestaz : « à bien y regarder, un sous-traitant est sans conteste un fabricant d’ouvrage ou de partie d’ouvrage. Il ne se distingue du fabricant que par le fait qu’il fabrique sur le chantier et non sans une usine. Cela dit la différence est parfois ténue dans la mesure où nombre de sous-traitants ne font que poser et adapter sur place des éléments, portes et fenêtres qu’ils fabriquent ailleurs… »15. Aussi, l’idée selon laquelle le fabricant et le sous-traitant peut-être, in fine, la même personne, a été formulée dès l’entrée en vigueur de la loi. Perdue de vue par la suite, elle s’est concrétisé grâce à la jurisprudence qui n’a pu faire autrement que d’aligner les critères du fabricant d’EPERS et du sous-traitant.
13Un rapprochement du sous-traitant et du fabricant d’EPERS. Ce rapprochement ainsi mis en évidence brouille les pistes. Classiquement, il est en effet considéré que d’un côté, les fabricants d’EPERS, qui fabriquent en usine des éléments d’équipement, sont solidairement responsables des constructeurs sur le fondement de la garantie décennale ; Du moins, dans le domaine de l’article 1792‑4 du code civil. Tandis que de l’autre, les sous-traitants entrepreneurs, participant pourtant directement au chantier, ne sont pas tenus aux garanties légales des constructeurs… Mais cette distinction, commode, n’est pas nécessairement conforme à la réalité.
14Le législateur, lui-même, a procédé à un rapprochement de régimes des responsabilités du fabricant et du constructeur : les délais de prescription des actions contre le sous-traitant quel que soit leurs fondements ont été alignés (C. civ., art. 1792‑4‑2) sur les délais des garanties des constructeurs. Sans doute, la pratique impose-t-elle au sous-traitant une responsabilité de plein droit équivalente à celle de la garantie décennale et une assurance corrélative qui, toutefois, n’équivaut pas à l’assurance obligatoire de l’article L. 241‑2 du code des assurances, ainsi que l’a montré Didier Krajeski16. Mais ces convergences demeurent imparfaites alors que la jurisprudence et a doctrine ont mis en valeur que les qualifications de sous-traitant et de fabricant d’EPERS ne sont pas nécessairement exclusives.
15Ainsi, lorsque le sous-traitant sera qualifié de fabricant d’EPERS, il sera soumis à la garantie décennale, alors que lorsqu’il n’est pas ainsi qualifié, il y échappe... Autrement dit, selon qu’il fabrique des fenêtres sur mesure dans son usine ou qu’il coule du béton sur le chantier, il sera ou non tenu à la garantie décennale… Selon qu’il fabrique une partie d’ouvrage cataloguée ou qu’il pose des tuiles sur la toiture de l’ouvrage en construction, il sera ou non tenu à la garantie décennale… Cela démontre que si les qualifications de sous-traitant et de fabricant d’EPERS peuvent se croiser, la catégorie des sous-traitants n’est, elle, pas homogène, contrairement ce que pourrait laisser penser une première approche trop superficielle. Pourtant, qualifié de fabricant d’EPERS ou non, il participe dans les deux cas à la construction d’un ouvrage. Mais, à raison des techniques de construction et/ou de fabrication employées, le maître de l’ouvrage ne sera donc pas identiquement protégé lorsqu’un désordre surviendra.
16De quelques questions et de la nécessité d’y répondre. - Aussi, et parce que nous sommes ainsi arrivés aux confins de la responsabilité des constructeurs, il est grand temps de se poser deux questions et de tenter d’y répondre.
17La première est simple, mais constitue depuis 1978 un serpent de mer : N’est-il pas temps de soumettre les sous-traitants aux garanties des constructeurs ? Sans doute, soumettre les sous-traitant à l’assurance obligatoire conduirait le législateur à énoncer, en matière de construction, une nouvelle obligation, là où une volonté de « décroissance » législative est affichée. Mais, au-delà, plusieurs arguments militent en faveur de la soumission des sous-traitants à la garantie décennale. D’une part et contrairement à ce qui avait pu être observé en 1978, les sous-traitants ne sont plus aussi fragiles économiquement. Au demeurant les sous-traitant d’aujourd’hui sont souvent les entrepreneurs principaux de demain et inversement. D’autre part, le système « palliatif », s’il présente des qualités n’est pas exempt de défaut : soumettre les sous-traitants à la garantie décennale, en l’assortissant d’une assurance facultative conduit nécessairement à une protection moindre (clauses de déchéance, plafonds de garantie, etc.). Ensuite, nous avons vu qu’il n’existe pas d’obstacle de technique juridique à la soumission des sous-traitants à la garantie décennale : il suffit, par exemple, de les réputer constructeur ou de les tenir solidairement responsables des constructeurs pour pallier la difficulté liée à l’absence de contrat avec le maitre de l’ouvrage. Également, nous avons vu qu’en réalité, nombre de sous-traitants sont d’ores et déjà soumis à la garantie décennale lorsqu’ils sont qualifiés de fabricant d’EPERS ! Enfin, il ne semble pas que l’assurance-construction puisse être déséquilibrée du fait de l’obligation des sous-traitants de s’assurer, sous-traitants qui sont, par ailleurs, assurés lorsqu’ils interviennent comme entrepreneur principal…
18La seconde est sans doute plus difficile, en ce qu’elle guidera pour partie les évolutions à venir du système Spinetta : quels fabricants soumettre à la garantie décennale ? Aujourd’hui, seuls les fabricants d’ouvrage, de partie d’ouvrage ou d’EPERS peuvent être soumis à la garantie décennale… quand bien même, ils ne concluent pas de contrat avec le maître de l’ouvrage. Et encore, dans les limites strictes énoncées par l’article 1792-7 du code civil. En revanche en sont exclus les fabricants sur catalogue… qui ne sont tenus, éventuellement, qu’à la garantie des vices cachés. Il existe donc deux catégories de fabricants d’ouvrage, de partie d’ouvrage ou d’éléments d’équipement : les uns sont traités comme des constructeurs dont ils sont solidairement responsables ; les autres sont des vendeurs. À nouveau, il en résulte que le maître de l’ouvrage ne bénéficie pas des mêmes garanties alors même que les désordres peuvent être de même nature. Soit les parties d’ouvrages et les éléments d’équipement ont été fabriqués « sur mesure », alors le maître de l’ouvrage, sur le fondement de l’article 1792-4 du code civil peut agir contre le fabricant, ainsi qu’on l’a dit. Soit les parties d’ouvrage ont été fabriquées en séries. Alors, le maître de l’ouvrage ne bénéficiera pas de la garantie décennale. Tout au plus d’une garantie des vices cachés ou d’une action en responsabilité contractuelle de droit commun. Or, l’on sait que la préfabrication qui se développe, de plus en plus, est aussi souvent une préfabrication en série… bien loin du sur mesure. Aussi, là encore, se pose la question de la soumission des fabricants participant ainsi à la construction d’un ouvrage à la garantie décennale. Toutefois l’on y voit un obstacle fort.
19On sait en effet que le Tallon d’Achille du système Spinetta est l’Europe. L’on peut le regretter, mais la crise qui frappe les assureurs intervenus sur le marché français de l’assurance construction en libre prestation de services, le démontre chaque jour un peu plus. En cause : le simple fait que le droit français est le seul des pays européens à avoir adopté un système aussi protecteur que le système Spinetta. Or, il apparaît que la banalisation du préfabriqué ne sera pas de nature à favoriser ce système, dont ne voudront certainement pas les fabricants étrangers qui peu à peu pénètrent pourtant le marché français de la préfabrication.
20Aussi, il est, pour conclure ces propos, un curieux paradoxe. Alors qu’Adrien Spinetta avait vu, en avance sur son temps, les liens nécessaires entre la construction et l’industrie, c’est peut-être l’avènement de l’industrialisation de la construction qui mettra un terme au système Spinetta…
Notes de bas de page
1 V. M. Thioye, Le contrat de « sous-traitance » dans le domaine de la construction immobiliere, p. 275.
2 Sur la qualité à agir des Associations syndicales, V. A. Caston (dir.), Traité de la responsabilité des constructeurs, Le moniteur, 8e éd., 2018, n° 602.
3 Cass. Civ. 3e, 7 sept. 2011, n° 09-70.993 : JurisData n° 2011-018185. – Cass. Civ. 3e, 10 oct. 2012, n° 11‑17.627.
4 Ph. Malinvaud et Ph. Jestaz, La loi du 4 janvier 1978 relative à la responsabilité et à l’assurance dans le domaine de la construction, D. 1979, Chron. 35.
5 Ph. Malinvaud et Ph. Jestaz, préc.
6 Ph. Malinvaud, Requiem pour l’article 1792-4 du code civil, RDI 2008, p. 285.
7 Cour de cassation, Rapports annuels de l’année 2007 à l’année 2014.
8 Ass. plén. 26 janv. 2007, n° 06-12.165 et sur cet arrêt Ph. Malinvaud, Coup d’éclat ou coup de grâce pour les EPERS ?, RDI 2007, p. 166.
9 J. Bigot, L’EPERS, l’herpès de l’assurance construction, Argus, 25 nov. 1988, p. 3038.
10 Cass. Civ. 3e, 17 mars 2010, n° 09-12.208.
11 Cass. Civ. 3e, 18 nov. 2009, n° 08-19.355 : Bull. civ. III, n° 252 ; D. 2010, 741, note F. Labarthe.
12 Cass. Civ. 3e, 14 déc. 2017, n° 14-20.298
13 Cass. Civ. 3e, 9 mars 2018, n° 16-12.891
14 H. Périnet-Marquet, Champ d’application de la loi de 1975, RDI 2018, 219.
15 Ph. Malinvaud et Ph. Jestaz, préc.
16 D. Krajeski, « Assurer l’activité des sous-traitants », p. 169.
Auteur
Professeur de droit privé et sciences criminelles
Directeur de l'IEJUC
Université Toulouse 1 Capitole
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