Propos introductifs
p. 5-11
Texte intégral
1La sous-traitance est une opération économique répandue, qui a été par la suite reconnue par le droit. Elle est, et reste, néanmoins difficile à appréhender tant pour les économistes1, que pour les juristes2. Pour autant, la sous-traitance concentre des enjeux importants notamment en termes économiques et managériaux3. Aussi la qualification de l’opération reste-t-elle cruciale. Cerner la notion appelle que ses contours soient distingués d’autres opérations économiques ou juridiques, ce qui n’est pas aisé. Ces écueils notionnels rendent délicats l’encadrement juridique de l’opération. Certes, la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance ne peut être oubliée4, en ce qu’elle a offert à cette opération économique un cadre juridique. Conformément à son article premier, « la sous-traitance est l’opération par laquelle un entrepreneur confie par un sous-traité, et sous sa responsabilité, à une autre personne appelée sous-traitant l’exécution de tout ou partie du contrat d’entreprise ou d’une partie du marché public conclu avec le maître de l’ouvrage »5. La définition posée apparaît toutefois quelque peu incomplète. En effet, sont avant tout visés le contrat d’entreprise ou le contrat de marché public. Dans l’esprit du législateur, le domaine d’application classique du contrat de sous-traitance était le contrat de construction. Cependant, l’article 14-1 de cette loi, relatif à l’agrément, a été étendu, aux contrats de sous-traitance industrielle, signe que le domaine de l’immobilier n’est pas le seul champ confronté à ce mécanisme de délégation d’activité6. Or, la qualification de l’opération de sous-traitance dans le domaine industriel n’est pas sans poser des problèmes, les frontières entre le contrat de vente et le contrat d’entreprise étant bien souvent ténues. La sous-traitance industrielle ne saurait pour autant être ignorée, tant elle est pratiquée. Elle fait en outre l’objet d’attentions particulières. La base BOFIP, Bulletin Officiel des Finances Publiques-Impôts, actualisée le 13 février 2019, a pris notamment en compte des évolutions jurisprudentielles, pour tenter de préciser la notion d’entreprise industrielle en matière de crédit d’impôt recherche en faveur du secteur textile-habillement-cuir7. Ce crédit d’impôt est conditionné à ce que la nouvelle collection textile ne soit pas confiée pour son entière fabrication à des sous-traitants8. Reste toutefois à déterminer les frontières de ce contrat. Il ne fait nul doute que les dernières années ont conduit à des évolutions notables dans les procédés de fabrication, de sorte que la pertinence de la définition posée à l’article premier de la loi du 31 décembre 1975 peut être débattue, car elle apparaît partielle. Elle mériterait peut-être d’être précisée, ou une nouvelle définition proposée.
2Tracer les contours de la notion apparaît indispensable afin de doter l’opération d’un régime juridique adapté. À cet égard, la loi de 1975 peut apparaître quelque peu datée. Tout d’abord, cela a été déjà évoqué, elle adopte une vision fragmentaire de la sous-traitance en se concentrant sur la sous-traitance immobilière et la sous-traitance de marché. Ensuite, l’encadrement juridique offert semble incomplet. La loi de 1975, et cela était à saluer à cette époque, avait pour ambition de lutter contre les faillites en cascade, ainsi qu’il était d’usage de les nommer. Pour éviter ces difficultés financières en chaîne, des protections ont été octroyées au sous-traitant, conçue comme la partie faible. L’agrément et le paiement direct en sont les meilleures illustrations9. Toutefois, les mécanismes offerts sont-ils toujours adaptés ? L’analyse du droit des procédures collectives nous permet-elle aujourd’hui de dresser un bilan favorable de la loi de 1975 ? Les évolutions récentes de la matière, et celles à venir probablement par le biais de la proposition de directive européenne de 201610, relative aux cadres de restructuration préventifs et à la seconde chance, qui devrait être prochainement adoptée, n’introduisent-elles pas des instruments nouveaux qui conduisent ensemble à un traitement plus efficient des difficultés rencontrées par les sous-traitants ?11
3Face à un cadre juridique imprécis, de nombreuses interrogations trouvent leur réponse dans l’application des règles générales. Aussi les acteurs doivent-ils avoir une bonne connaissance de divers champs du droit. Les critères d’application de ces diverses dispositions ne manquent pas de finesse, ainsi que nous pouvons l’observer en matière de responsabilité que cela soit au regard du droit commun12, ou dans le domaine spécifique de la responsabilité solidaire du fabricant d’élément pouvant entraîner la responsabilité solidaire13. Si le recours à la sous-traitance conduit à une certaine flexibilité économique, il engendre des risques aux causes diverses, qui supposent la souscription d’une assurance. Celle-ci n’occulte pas toute responsabilisation du professionnel, et ne couvre pas tout risque, la pratique démontre cependant qu’en fonction du contrat choisi la couverture du risque sera, ou non, optimisée14.
4Les risques liés au recours à la sous-traitance se multiplient, du fait notamment d’obligations nouvelles imposées à l’entrepreneur principal. Le changement de paradigme n’est pas anodin. Si initialement la sous-traitance présentait un risque pour le sous-traitant du fait du risque de non-paiement par le maître d’ouvrage, en raison de leur qualité de tiers, aujourd’hui les dangers du recours à cette opération pèsent également sur l’entrepreneur principal. Ainsi, celui-ci devra s’assurer que le recours à la sous-traitance est licite, sous peine de se livrer à du travail dissimulé ou à commettre une fraude à la sécurité sociale par le biais d’opérations telle que le détachement des travailleurs15. Si le manquement à ces règles emporte des sanctions au regard du travail, certains agissements constituent de plus des infractions pénales16. L’accroissement des règles devant être respectées par l’entrepreneur est également patent si celui-ci est une société anonyme de grande taille. Dans cette hypothèse, il sera astreint à une obligation de vigilance dont la mise en œuvre, ainsi que les conditions d’application, ne sont pas marquées par une grande limpidité17. La prolifération des obligations engendre une complexification du traitement juridique de l’opération.
5Plus encore, l’internationalisation des échanges s’est concrétisée par une multiplication des activités transfrontières, lesquelles présentent sans nul doute une gageure nouvelle pour l’entrepreneur principal. Dans son rapport public 2019, la Cour des comptes pointait les nombreux abus liés au travail détaché, forme particulière d’emploi d’étrangers en France18. Elle invitait les autorités à renforcer les contrôles et les sanctions, mais aussi la prévention. La directive détachement du 28 juin 2018 est donc loin d’avoir réglé toutes les difficultés19. Dans un même ordre d’idées, mais dans un mouvement inverse, le recours à un sous-traitant basé à l’étranger suppose une bonne connaissance du secteur, des acteurs et de la législation du pays. La protection du sous-traitant par le biais de lois de police peut perturber le champ des prévisions contractuelles20. Une autre illustration de cette complexification croissante de la conclusion d’un contrat de sous-traitance dans une situation d’internationalisation tient au risque lié à la corruption, au blanchiment et au financement du terrorisme. Dans son rapport d’analyse daté de 2016, le service TRACFIN soulevait le risque de corruption dans le cadre d’une opération de sous-traitance21. La loi Sapin 2 du 9 décembre 2016 participe de la prise en compte par de nombreux acteurs économiques du risque que peut représenter l’opération de sous-traitance22. Il est donc manifeste que si l’hypothèse du non-paiement du sous-traitant, identifié dans la loi du 1er décembre 1975, est un écueil qui ne peut être occulté, l’opération de sous-traitance génère des problématiques bien plus étendues. Leur identification atteste que l’entrepreneur principal, initialement considéré comme n’étant pas la partie victime du risque, le supporte aujourd’hui pleinement et à différents titres.
6Si le risque naît de l’activité, il résulte aussi de la prolifération du corpus normatif. Bien que ce phénomène ne se limite pas au contrat de sous-traitance, les parties à celui-ci ne sauraient l’ignorer. La réglementation en matière de protection des données personnelles a engendré de nouvelles contraintes pour le sous-traitant de données23. L’avancée du droit souple offre un terrain fertile à nouvelles interrogations24. La compliance et le développement des normes éthiques, au sein des relations d’affaires, commandent sans nul doute les entreprises à adopter de nouvelles pratiques. Par ce biais notamment, mais également de par l’intervention du législateur, le droit positif intègre progressivement à son champ de nouvelles prescriptions afin de promouvoir le marché. Le contrôle des agissements anti-concurrentiels en est le reflet. Reste à déterminer si les dispositions relatives à la promotion de la transparence et à la lutte relative aux pratiques restrictives de concurrence permettent, en pratique, au sous-traitant de faire valoir ses intérêts sur le marché25. Des préoccupations similaires peuvent poindre dans la rédaction même du contrat. Les contrats de sous-traitance ne bénéficient pas à la différence de certains contrats de droit des affaires, comme la franchise, de cadre normatif clair. Partant, le recours au droit commun ou au droit spécial des contrats d’entreprise offre une liberté rédactionnelle qui n’est pas sans risque. L’identification de clauses sensibles en témoigne26. La connaissance de l’opération de sous-traitance guidera le rédacteur qui élaborera le sous-traité, socle de la relation, souvent pérenne, qui s’établit entre les parties. En effet, la sous-traitance, bien plus qu’un simple contrat, mériterait d’être repensée en ce qu’elle participe d’une mutation de l’organisation économique, et modifie les rapports classiques verticaux pour privilégier des formes d’intégration verticale 27.
7Cet ouvrage, qui a été précédé d’une journée d’étude au sein de l’Université Toulouse 1 Capitole, propose une analyse croisée des problématiques que le contrat de sous-traitance engendre 28. Ce recueil ne prétend pas pour autant à l’exhaustivité29. Il a pour ambition de réaliser une identification des mutations économiques et juridiques ayant un impact significatif en matière de sous-traitance. Nul doute que ce thème, juridiquement fécond et d’une importance économique indéniable, soulève des questions épineuses non résolues, que celles-ci fassent l’objet d’un contentieux nourri, ou à l’inverse qu’il s’agisse d’aspects moins débattus car plus contemporains, mais néanmoins importants. Afin de favoriser un regard transversal sur l’opération de sous-traitance, l’ouvrage rassemble des contributions de juristes et aussi d’économistes et gestionnaire. Aux réflexions des universitaires, est ajouté le regard pratique de deux juristes d’entreprise. Les contributions proposent une analyse critique des mécanismes et règles existantes. Par ce biais, est suggérée une mise en valeur des risques majeurs de cette opération d’apparence connue, afin de tenter de proposer, pour chacun d’eux, des pistes de réflexion pour leur résolution, ou la minimisation de leurs écueils.
Notes de bas de page
1 Voir la contribution de B. Baudry, « L’analyse économique de la sous-traitance industrielle : une relation inter-entreprises entre le marché et la firme ».
2 Voir les contributions d’E. Cordelier, « Les contours de la sous-traitance » et de M. Thioye « Le contrat de ‘sous-traitance’ dans le domaine de la construction immobilière ».
3 Voir la contribution de J. Jaussaud, « La sous-traitance : enjeux économiques et managériaux ».
4 Loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance.
5 Art. 1er de la loi du 31 décembre 1975, précitée.
6 Art. 14-1 dernier alinéa de la loi du 31 décembre 1975 précitée : « Les dispositions du deuxième alinéa s’appliquent également au contrat de sous-traitance industrielle lorsque le maître de l’ouvrage connaît son existence, nonobstant l’absence du sous-traitant sur le chantier. Les dispositions du troisième alinéa s’appliquent également au contrat de sous-traitance industrielle ».
7 En application de l’article 244 quater B du code général des impôts.
8 CE, 26 juin 2017, n° 390619, « La société Le Tanneur et Cie » : « 3. Par des motifs non contestés de l’arrêt attaqué, la cour a relevé que la société Le Tanneur et Cie exerce, dans le secteur du textile, de l’habillement et du cuir, d’une part, une activité de fabrication, en qualité de sous-traitant, de produits de maroquinerie pour le compte de deux entreprises tierces et, d’autre part, une activité de conception et de commercialisation, sous sa propre marque, d’articles de maroquinerie et d’accessoires de mode dont elle confie l’entière fabrication à des sous-traitants établis à l’étranger. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent que la cour administrative d’appel a fait une exacte application des dispositions du h du II de l’article 244 quater B du code général des impôts en se fondant, pour juger que la société requérante ne pouvait bénéficier du crédit d’impôt recherche qu’elles prévoient pour les dépenses liées à l’élaboration de nouvelles collections, sur ce qu’elle avait engagé ces dépenses dans le seul cadre de son activité de commercialisation et non dans celui de son activité industrielle au sens de ces dispositions ».
9 T. Dupuy, « Le paiement des travaux supplémentaires réalisés par le sous-traitant dans le cadre de marchés privés ».
10 Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative aux cadres de restructuration préventifs, à la seconde chance et aux mesures à prendre pour augmenter l’efficience des procédures de restructuration, d’insolvabilité et d’apurement et modifiant la directive 2012/30/UE - COM/2016/0723 final - 2016/0359 (COD).
11 Sur l’analyse du droit des procédures collectives, voir la contribution de S. Sabathier et K. Libeskind, « La sous-traitance confrontée aux procédures collectives : quels défis ? ».
12 Voir la contribution de C. Mangematin, « Sous-traitance et responsabilité civile de l’entrepreneur principal ».
13 Voir la contribution de M. Poumarède, « Sous-traitants et fabricants d’EPERS, Aux confins de la responsabilité des sous-traitants ».
14 Voir la contribution de D. Krajeski, « Assurer l’activité des sous-traitants ».
15 Voir dans cet ouvrage, la contribution de G. Auzero, « Les opérations de sous-traitance saisies par le droit du travail ».
16 Voir la contribution d’H. Matsopoulou, « Sous-traitance et Aspects de droit pénal ».
17 Voir la contribution de J.-F. Hamelin, « Le devoir de vigilance en droit des sociétés ».
18 La lutte contre la fraude au travail détaché : un cadre juridique renforcé, des lacunes dans les sanctions, Rapport de la Cour des Comptes, 2019, tome I. Rapport disponible en ligne : https://www.ccomptes.fr/fr/publications/le-rapport-public-annuel-2019
19 Directive (UE) 2018/957 du Parlement européen et du Conseil du 28 juin 2018 modifiant la directive 96/71/CE concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services.
20 Voir la contribution de L. Pailler, « La protection du sous-traitant dans l’ordre international ».
21 Tendance et analyse des risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme, Rapport, TRACFIN, 2016, not. p. 40. Rapport disponible en ligne : https://www.economie.gouv.fr/files/rapport-analyse-tracfin-2016.pdf
22 Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique. Adde Directive (UE) 2018/1673 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2018 visant à lutter contre le blanchiment de capitaux au moyen du droit pénal, dont l’entrée en vigueur est prévue avant le 3 décembre 2020.
23 Voir la contribution d’A. Mendoza-Caminade, « Le rôle du sous-traitant en matière de données personnelles ».
24 Voir la contribution de G. Jazottes, « La sous-traitance saisie par la RSE ».
25 Voir la contribution de L. Bettoni, « La sous-traitance à l’épreuve du droit de la transparence et des pratiques restrictives de concurrence ».
26 Voir la contribution de S. Tisseyre et F. Torrea, « Les clauses sensibles du contrat de sous-traitance industrielle ».
27 Voir la contribution de V. Chassagnon, « De la sous-traitance à la firme-réseau multinationale : une nouvelle division du travail pour de nouvelles frontières économiques ».
28 Un colloque s’est tenu le 8 mars 2019 à l’Université Toulouse 1 Capitole, sous l’égide de l’Institut Fédératif de Recherche, avec la participation du Centre de Droit des Affaires (CDA) et de l’Institut des Études juridiques de l’Urbanisme et de la Construction (IEJUC). Cette journée d’étude a été enrichie de contributions supplémentaires.
29 Nul doute que des contributions de droit des marchés publics ou d’économistes sur le droit de la régulation et de la compliance notamment auraient pu enrichir son contenu.
Auteur
Professeur de droit privé et sciences criminelles
Membre du Centre de Droit des Affaires
Université Toulouse 1 Capitole
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