Le régime juridique des chemins de Saint‑Jacques‑de‑Compostelle
p. 129-148
Texte intégral
1Plus de 278 000 pèlerins sont arrivés comme tels à Compostelle en 2017 selon l’Oficina de Acogida al Peregrino1. Peu toutefois parmi ceux-ci venaient depuis les chemins français de Saint-Jacques. Philippe Martin en effet n’en recense que 2% qui seraient partis depuis la principale voie française, la via Podensis qui naît au Puy-en-Velay. La plupart d’entre eux n’ont en réalité parcouru que les cent derniers kilomètres, distance qui suffit à obtenir la Compostela, document qui témoigne de la réalisation du pèlerinage et de surcroît nombre de ces pèlerins sont des marcheurs, cyclistes, cavaliers animés par d’autres motivations que la dévotion à saint Jacques le Majeur, un des douze apôtres du Christ, même si le chemin agit sur le for intérieur de celui qui s’y engage.
2Les « pèlerins » constituent donc un ensemble de personnes très diverses par les raisons qui les ont amenés à parcourir lesdits sentiers mais unies par leur présence sur une voie mythique qui signifie, si elle s’inscrit dans une certaine durée, une volonté identique de rompre avec la vie quotidienne, de se remettre en question en prenant la direction de Compostelle. Cette voie, dans sa partie française, se ramifie, comme le pluriel de l’intitulé qui la désigne le suggère, en plusieurs bras selon les villes de départ et les multiples variantes qui les doublent ou les joignent. D’où un entrelacement des itinéraires sur les territoires traversés qui explique que l’UNESCO ait reconnu en 2018 comme composante du Patrimoine mondial ces chemins jacquaires français comme un bien en série, le bien n° 838, comprenant, le long de ceux-ci, diverses sections représentatives mais aussi des bâtiments édifiés pour assister les pèlerins tout au long de leur itinérance, hospices, églises, ponts. Au-delà, la destination que tous ont en tête, crée un lien fort entre eux mais aussi entre les régions et pays traversés en les faisant participer à une histoire commune2. C’est l’objectif qui fait sens. Le chemin en lui-même n’est qu’un moyen même s’il est le vecteur nécessaire de la mise en marche.
3Pour en rester aux seules voies, l’appellation « chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle » recouvre là encore en droit des chemins de statuts variés, car issus d’anciens parcours, requalifiés pour constituer l’ossature de ce mythique itinéraire. La première opération a consisté à les identifier et les inscrire, à partir des catégories juridiques existantes, dans le territoire national (I), recoupant ainsi d’une certaine façon, la problématique de la carte et du territoire évoquée par le romancier Michel Houellebecq. Ensuite la fonction qui leur est assignée fait ressurgir l’unité qui les transcende, permettre aux pèlerins d’aller vers Compostelle voire de l’atteindre. Au-delà des chemins, la circulation sur ceux-ci doit être garantie. Leur régime juridique a donc vocation à assurer que leur usage soit libre mais aussi préservé dans la durée (II).
I. L’inscription juridique des chemins de Saint-Jacques dans le territoire national
4Les chemins de Saint-Jacques sont une réalité ancienne puisqu’ils remontent aux premiers cheminements de ceux qui à partir du Royaume de France ou d’au-delà allaient se recueillir sur la sépulture de saint Jacques retrouvée à Compostelle. Les randonneurs les ont réutilisés et ainsi sont-ils devenus pour nombre d’entre eux des chemins de Grande Randonnée (GR). Aussi tout naturellement les sections de sentiers constitutifs du bien en série « Chemins de Saint-Jacques » ont repris ces parcours contemporains (A) tout en, par un juste retour des choses, donnant à ceux-ci une visibilité et notoriété meilleures (B).
A. L’incorporation des chemins de Saint-Jacques aux chemins de Grande Randonnée
5Les chemins de Saint-Jacques ont été positionnés sur des chemins dits de Grande randonnée3 qui ont été ainsi qualifiés de chemins jacquaires dès lors qu’ils étaient utilisés par les pèlerins et autres marcheurs désireux d’aller vers ou à Compostelle à travers le territoire national. C’est parce que depuis l’an mille la foi a poussé des foules à marcher vers le tombeau de l’apôtre Jacques le Majeur que ce cheminement est devenu une composante de la culture occidentale et a été reconnu comme faisant partie du patrimoine mondial par l’UNESCO. Ce bien, ainsi doté d’une valeur universelle, ne comprend pas l’ensemble de ces chemins mais seulement sept sections du chemin du Puy4 qui sont censées tous les représenter. Il était donc logique que les GR se dirigeant vers les Pyrénées et se raccordant de surcroît au-delà aux voies espagnoles, en particulier le Camino francés5, servent de support à l’appellation dès lors que la tradition les rattache à cette destination. Leur antériorité et fonctionnalité les désignaient pour jouer ce rôle. C’est donc tous les chemins dits de Saint-Jacques qui serviront de cadre à cette étude et pas les seules sept sections.
6Dans cette perspective en pratique, la réouverture de branches de sentiers délaissées, la création de traverses ou de modifications de tracés conduiront naturellement les initiateurs de ces réalisations à les faire reconnaître d’abord comme GR puis comme « Chemins de Saint-Jacques ». Un exemple récent de cette hypothèse est fourni par la remise en état d’une traverse de la Voie d’Arles (ou Via Tolosana), traverse qui, de Toulouse, remonte le cours de la Garonne jusqu’à Saint-Bertrand-de-Comminges rejoignant une autre branche de cette voie arlésienne (GR 78) qui longe le Piémont pyrénéen pour basculer en Espagne par le col du Somport. Cette dernière variante, dite Via Garona, longue de 170 kilomètres a été homologuée en 2017 comme GR (de pays) 861 puis a bénéficié, après examen du dossier par l’ACIR6, de l’appellation « Chemins de Saint-Jacques »7. Le lien entre les deux statuts est donc fort dès l’instant où évidemment le GR présente par son positionnement et son histoire un caractère jacquaire.
7La dépendance des chemins de Saint- Jacques relativement aux chemins de Grande Randonnée conduit à préciser le statut de ces derniers. C’est en 1947 que le Comité national des Sentiers de Grande Randonnée a été créé et que les premiers kilomètres d’un GR furent ouverts. Les bandes blanches et rouges firent leur apparition en 1951 et elles continuent aujourd’hui encore à guider, sous la houlette désormais de la Fédération nationale de la randonnée terrestre (FFRP), les randonneurs qui circulent sur les 90 000 kilomètres de chemins bénéficiant de leur balisage. Un chemin est dit GR s’il a été homologué comme tel par la FFRP. Il constitue un itinéraire permettant de parcourir à pied une8 ou, comme c’est le cas pour les chemins de Saint-Jacques, plusieurs régions, un massif comme les Pyrénées9, voire plusieurs pays tel le GR 65 partant de Genève pour atteindre Saint-Jacques-de-Compostelle. Existe aussi, ce qui concerne notamment des variantes des chemins de Saint-Jacques comme Via Garona, des GR de pays qui ont un moindre développement kilométrique.
8Pour faire homologuer un chemin « Grande Randonnée » les demandeurs, associations, collectivités locales, ont l’obligation de déposer un dossier substantiel auprès de la FFRP. Doivent y figurer d’abord la motivation de la création de ce nouvel itinéraire et donc le tracé proposé, son intérêt culturel et l’offre touristique générée, la fréquentation espérée. Ensuite des éléments plus matériels : les hébergements prévus en nombre suffisant, le financement des travaux initiaux d’aménagement et d’entretien10, le pourcentage du kilométrage revêtu (goudronné) qui doit être en principe inférieur à 30%, les modalités de mise en place du balisage et de la signalétique, le respect de l’environnement. Enfin sont exigées les diverses autorisations nécessaires à ces opérations : autorisations du balisage par les collectivités locales, de passage lorsque le tracé traverse des propriétés privées ou des forêts communales, inscription éventuelle sur le Plan départemental des Itinéraires de promenade et randonnée. Dans le cas de l’homologation de Via Garona, c’est le Conseil départemental de la Haute-Garonne qui a été maître d’ouvrage de ce projet pour un coût d’investissement de 500 000 euros.
9L’homologation est attribuée par la Commission nationale Sentiers et Itinéraires de la FFRP sur l’avis de la Commission régionale. Elle entraîne la labellisation GR. Il s’agit d’une marque déposée à l’Institut National de la Propriété Intellectuelle, donc protégée. Ce label garantit au randonneur la qualité et la sécurité du chemin et permet au responsable de sa création de communiquer pour assurer sa promotion et une bonne fréquentation du parcours qui, de surcroît, sera automatiquement inséré sur les cartes IGN au 1/25 000e11. La labellisation vaut pour cinq ans ce qui signifie que son renouvellement passera par un contrôle de l’état du chemin et du respect du cahier des charges et ceci sans préjudice du possible retrait de l’homologation en cas de disparition du balisage, de la fermeture des hébergements ou de l’interruption de la continuité. Cette sanction est à l’initiative des collectivités locales concernées, des commissions départementales, régionales ou de la commission nationale de la FFRP et prononcée après enquête par cette dernière. Il s’ensuit que les GR et, par voie de conséquence, les Chemins de Saint-Jacques qui les empruntent sont des itinéraires de qualité dont l’usage offre une vraie commodité de circulation alors même que leur emprise relève de fonds dont l’appropriation et la nature juridique sont diversifiées.
10Les catégories de voies empruntées par les GR sont effectivement variées tout en étant d’importance très inégales. La voie la plus représentée est constituée par les chemins ruraux. Ils appartiennent, précise l’article L. 161-1 du code rural et de la pêche maritime, au domaine privé communal12. Ce sont donc des propriétés communales ce qui justifie les autorisations communales qui sont parfois nécessaires comme celle, nous l’avons vu, exigée pour baliser le parcours. Le code ajoute pour distinguer cette voirie de la voirie rurale privée que ces chemins ruraux sont « affectés à l’usage du public ». Cette affectation est appréciée souverainement par le juge13 à partir de critères posés à l’alinéa 2 de l’article précité à savoir « l’utilisation du chemin rural comme voie de passage, (la présence) d’actes réitérés de surveillance ou de voirie de l’autorité municipale14 ou l’inscription sur le plan départemental des itinéraires de promenade et de randonnée ». Cette affectation de surcroît fait présumer la propriété de la commune sur ledit chemin.
11Le GR emprunte aussi par nécessité d’autres types de cheminement. D’une part sur des propriétés publiques relevant alors du domaine public routier. Essentiellement les rues des agglomérations communales traversées et les routes départementales, voire de façon très exceptionnelle, ne serait-ce que pour des raisons de sécurité, les routes nationales15. D’autre part sur des propriétés privées. Deux hypothèses doivent être distinguées. D’abord celles des chemins d’exploitation qui, selon l’article L. 162-1 du code rural, « sont ceux qui servent exclusivement à la communication entre divers fonds ou à leur exploitation ». Cette fonction de desserte de plusieurs fonds est le critère d’identification mis en avant par la jurisprudence16. Ils sont présumés appartenir aux propriétaires riverains. Dans la mesure où le code dispose que leur usage « peut être interdit au public », ils ne pourront être inscrits dans un GR que si cette interdiction n’a pas été formalisée par un panneau. Pour le randonneur chemins ruraux et d’exploitation matériellement se ressemblent d’où la nécessité d’informer. Ensuite, de façon plus marginale, le passage peut conduire à traverser une propriété privée particulière telle une prairie. Dans ce cas une autorisation expresse devra être obtenue par le biais d’une convention conclue par la FFRP et le propriétaire concerné. Si les chemins de Saint-Jacques parasitent en quelque sorte ainsi les GR, en retour la reconnaissance qu’ils confèrent à ceux-ci leur apportent une renommée source d’avantages.
B. L’apport de la reconnaissance de l’appellation « Chemins de Saint-Jacques »
12L’inscription au Patrimoine mondial est le fruit d’un long et complexe travail en amont pour satisfaire aux critères de reconnaissance. Un projet doit être élaboré par une équipe dédiée à cette mission afin de convaincre le Comité UNESCO d’accepter la demande. Il faut établir la valeur exceptionnelle universelle et pas seulement nationale du bien ainsi que son intégrité, au besoin par des travaux et aménagements qui montrent l’engagement du pays à le promouvoir. Une fois inscrit il doit faire l’objet d’un entretien continu et son environnement ne peut évoluer de façon à le dénaturer. Le Comité du Patrimoine de l’UNESCO met en place en effet un suivi qui peut conduire, comme ce fut le cas pour la vallée de l’Elbe à Dresde, à un retrait de la liste.
13En conséquence, comme le précisent respectivement les articles 108 et 117 du document guidant la mise en œuvre de la Convention sur le patrimoine mondial de 1972, « chaque bien… devra avoir un plan de gestion adapté » et « les États parties sont responsables de la mise en œuvre d’activités de gestion efficaces pour (ce) bien ». Il s’ensuit que les biens relevant de cette classification font l’objet d’une politique visant à garantir leur intégrité et authenticité dans la continuité. Ceci vaut au premier chef pour les 7 sections du chemin du Puy et les abords des 71 édifices inscrits qui bénéficient d’un dispositif lié directement à leur classement mais au-delà pour l’ensemble des chemins de Saint-Jacques dans la mesure où un traitement discontinu des voies n’aurait guère de sens.
14En premier lieu le bien 868 (et 868 bis) fait l’objet d’une gouvernance destinée à assurer sa pérennité17. Celle-là est la conséquence de l’obligation, posée en 2007 par le Comité du patrimoine mondial, d’élaborer des plans de gestion des biens incorporés au patrimoine mondial et d’instituer des zones tampons par rapport aux fonds et immeubles adjacents afin de garantir leur authenticité. L’évolution de leur environnement paysager est en effet susceptible de les dénaturer. L’État a ainsi mis en place un Comité interrégional de ce bien culturel co-présidé par le préfet de la région Occitanie coordonnateur et le président de l’Association18 de coopération interrégionale et réseau dite désormais ACIR. Cet organisme qui regroupe des représentants de l’État, des collectivités locales, des propriétaires d’éléments du bien, des référents élus et de l’ACIR est chargé de piloter la gestion du bien. Il est assisté par un Observatoire régional à vocation technique et des commissions locales d’appui sur le terrain. Une véritable gouvernance du devenir de ces chemins est ainsi créée sous l’autorité de l’État ce qui ajoute aux moyens dévolus par la FFRP aux seuls GR. Dans ce dispositif une mention particulière doit être faite de l’ACIR de par son rôle de maitre d’œuvre de ce suivi des chantiers multiples de valorisation des chemins de Saint-Jacques. L’État a consolidé récemment ce dispositif en instituant par la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 les plans de gestion et les zones tampons des biens du patrimoine mondial comme instruments de protection de ceux-ci19. Le droit positif les prend désormais en compte.
15Cette agence a, dès l’origine, été associée à l’établissement du dossier qui a permis, en 1998, l’élection au patrimoine mondial des « Chemins de Saint-Jacques » puisqu’ elle fut créée en 1990 par les trois régions alors principalement concernées : Aquitaine, Languedoc- Roussillon et Midi-Pyrénées pour jalonner le processus conduisant à l’inscription. Il était donc naturel qu’elle soit le principal maître d’œuvre du suivi du bien. L’article 2 de ses statuts précise qu’elle est la tête du réseau du bien en série Chemins de Saint-Jacques. À ce titre elle anime et conduit le réseau d’échanges et de coopération des propriétaires et gestionnaires des composantes en vue d’assurer la protection, la conservation, la mise en valeur et la transmission aux générations futures de ce bien exceptionnel et universel. Sa composition montre la volonté de regrouper tous les acteurs concernés à savoir les 3 puis 2 régions adhérentes, la ville de Toulouse et les communes, établissements publics intercommunaux, départements, propriétaires ou gestionnaires de composantes ainsi que les collectivités locales traversées par ces chemins. Enfin, à ces collectivités publiques s’ajoutent des membres associés comme la Société française des Amis de Saint-Jacques, les offices de tourisme ainsi que les prestataires de services sur l’itinéraire et des membres partenaires qui soutiennent le développement des chemins.
16L’ACIR est, sur le fondement du Protocole d’accord sur l’animation culturelle et la gestion du bien en série n° 868 signé avec l’État en novembre 2015, notamment en charge d’impulser l’élaboration par les commissions locales des plans de gestion prévus en 2007 du bien en série et par ce biais elle va contribuer à valoriser les GR supports des chemins de Saint-Jacques. Ont été ainsi mis en place des plans de gestion des sections de sentiers. Nils Brunet fournit l’exemple du Lot20 parcouru par plusieurs chemins dont principalement la voie du Puy avec trois sections de sentiers. La commission locale mise en place par les services de l’État a réuni les responsables du tourisme, de la FFRP, des collectivités locales traversées. Elle a d’abord réalisé un état des lieux concernant le tracé et les problèmes qu’il pose, la qualité du balisage et de la signalétique, les hébergements et le patrimoine associé tel le dolmen de Gréalou. Ce travail a été à l’origine de programmes d’actions pour améliorer et valoriser ces sections.
17Les projets sont financés par divers moyens. Dans le cas précédent par exemple le département du Lot a provisionné 400 000 euros d’investissements21. Les autres collectivités locales, communes22, régions, peuvent aussi être mises à contribution. La DRAC au nom de l’État également a la faculté de contribuer à des financements ainsi que la DREAL23 pour les sections de sentiers inscrites. Enfin des subventions peuvent provenir de la Fondation du Patrimoine pour les opérations qu’elle a labellisées24ou de l’Union européenne qui peut aider à la sauvegarde des biens relevant du Patrimoine mondial. Le plus souvent une action bénéficie de plusieurs financements. C’est ainsi le cas de la restauration du pont d’Artigues franchissant l’Osse près de Larresingle sur le GR 65 (Voie du Puy) d’un coût de 282 000 euros. 0nt respectivement participé : la Communauté de communes de la Ténarèze, le département du Gers, la région Midi-Pyrénées, l’État et l’Union européenne. L’ACIR de son côté n’a pas vocation à financer ces opérations. Elle les accompagne par l’assistance que ses services apportent aux acteurs dans la réalisation des projets retenus.
18L’inscription au patrimoine mondial des GR dotés de l’appellation Saint- Jacques leur est bénéfique. D’abord en ce qu’elle améliore les possibilités de mobiliser de financement de travaux sur ces GR et de sauvegarder leur intégrité grâce à l’établissement de zones tampons qui, nous le verrons, concourent à préserver leur authenticité. Elle permet ensuite une meilleure communication sur ces voies par l’édition de plaquettes, l’organisation d’expositions temporaires, de reportages, d’animations culturelles et sportives en liaison avec tout ce qui a trait au pèlerinage ou ses à-côtés25. La pose du logo de l’Itinéraire culturel européen26 et d’un logo propre au bien UNESCO27 contribue à la sensibilisation du public. Les festivités actuelles liées au XXe anniversaire par exemple concourent aussi à faire connaître les chemins de Saint-Jacques et à donner envie de s’y promener. Le prestige de l’inscription au patrimoine mondial est une raison supplémentaire de les parcourir. La publicité ainsi faite permet d’espérer une hausse de la fréquentation des GR qu’ils empruntent. Bien que tous les effets de ce classement ne soient pas forcément positifs car existe le risque d’une surexposition ou d’enjeux politiques qui a pu concerner d’autres sites28, ce dernier n’est pas ici, semble-t-il, en cause du moins sur la partie française des chemins de Saint-Jacques29. Le statut juridique associé à celui-ci garantit la fonction et l’intégrité des chemins de Saint-Jacques.
II. Les effets juridiques de cette inscription
19Cette inscription, au-delà de la promotion de ces chemins, les ouvre à une fréquentation aisée et d’importance, d’abord parce que le public y dispose d’un libre accès et d’une libre circulation (A), ensuite parce que les pouvoirs publics doivent engager des actions de protection pour assurer leur continuité dans l’espace et le temps sous peine de perdre label et reconnaissance (B).
A. La liberté de circulation sur les chemins de Saint-Jacques
20La liberté d’accès et plus généralement celle de circulation sur les chemins de Saint-Jacques ainsi que les limites qui peuvent leur être apportées sont la conséquence de leur statut. Il convient donc pour prendre leur mesure de reprendre la distinction entre ceux qui sont des propriétés publiques et ceux qui appartiennent à des particuliers.
21Les premiers, de loin les plus importants, qu’ils fassent partie du domaine public ou privé des collectivités publiques, sont affectés à l’usage du public. Leur vocation en tant que voie publique est d’être le support d’une circulation de celui-ci qui en fait donc un usage collectif et anonyme se matérialisant par la faculté donnée à chaque individu, fraction de cette entité, de s’y déplacer. La fonction première des collectivités publiques consiste en effet justement à mettre des espaces et lieux à la disposition de la population afin de lui offrir la faculté d’échanger et de se déplacer ce qui, si tous les biens étaient privativement appropriés, ne serait pas immédiatement possible.
22Ainsi se sont développés des courants de circulation à vocations diverses entraînant l’émergence de voies considérées comme res communes et progressivement aménagées pour le passage et l’hébergement. Comme celles à vocation religieuse donnant naissance à des pèlerinages tel celui de Compostelle sur le tombeau de saint Jacques. Au fil des siècles, avec le déclin de la fréquentation jacquaire, ces voies seront réutilisées comme routes royales puis nationales et le plus souvent comme chemins ruraux et seront alors appropriées dans ce cas par les communes qui les destineront à l’usage de leurs habitants puis aussi des randonneurs. Ce n’est donc en définitive qu’un juste retour des choses de voir certaines de ces voies être reprises en chemins de Saint-Jacques pour le bénéfice de nos pèlerins d’aujourd’hui. Le pèlerinage n’est-il pas par nature une longue randonnée ?
23L’ouverture au public de ces chemins implique que leur fréquentation par tous ceux qui désirent en faire usage pour les parcourir est conforme à leur vocation, à leur affectation précise le juriste. Il s’ensuit que cette circulation constitue une manifestation de la liberté d’aller et de venir, liberté publique constitutionnellement garantie et à ce titre protégée juridictionnellement. Le promeneur, pèlerin ou non, qui s’y engage à pied le plus souvent, voire en bicyclette ou à cheval n’a nul besoin d’une autorisation administrative pour se faire. Mieux même l’autorité de police doit prendre les mesures nécessaires pour rendre effective cette liberté, au besoin en ordonnant à commettrait des riverains qui installeraient des obstacles au passage de les enlever30. Si elle ne le faisait pas, elle commettrait une faute engageant la responsabilité de la commune31. Le juge pourrait aussi, le cas échéant, lui adresser une injonction, assortie d’une astreinte, d’agir32. Pour les mêmes raisons en procédant d’office à l’enlèvement de piquets se trouvant au droit d’une propriété et d’un chemin rural pour des raisons de sécurité, il a été jugé qu’un maire ne commettait pas une voie de fait33.
24Le pèlerin randonneur n’a pas non plus à acquitter une redevance. Sans la gratuité en effet la liberté de le parcourir ne serait que formelle. Leur usage, comme celui des plages et rivages de la mer34, doit être « libre et gratuit ». En revanche cette règle ne vaut pas dès lors que l’usage se ramène à une occupation privative d’une fraction du chemin, que l’usager occupe à des fins qui lui sont propres la voie et non conformément à la destination de celle-ci. Ce sera par exemple le cas de celui qui désirera s’installer au bord du chemin pour proposer des services aux randonneurs. Il va chercher à capter à son profit la présence du public sans pour autant entraver son passage. Son occupation n’est pas conforme mais n’est pas non plus anormale par elle-même. Il devra donc faire une demande pour pouvoir exercer son activité et obtenir un permis de stationnement sur le chemin.
25Celui-ci est délivré par l’autorité administrative qui dispose du pouvoir de police sur la voie c’est-à-dire le maire si la section concernée est une rue ou un chemin rural35, le président du conseil départemental si est cause une route départementale, le préfet si la route est nationale. En contrepartie de cette autorisation administrative d’occuper le domaine le bénéficiaire devra verser une redevance qui doit être calculée si la voie fait partie du domaine public « en tenant compte des avantages de toute nature qu’elle lui procure »36. Ladite redevance est donc obligatoire et d’un montant suffisant37. La même contrainte vaut pour les chemins ruraux qui sont dans le domaine privé car « l’interdiction pour l’administration d’accorder des libéralités lui impose d’exiger des loyers contre les autorisations d’occuper son domaine privé »38. Le législateur admet toutefois en toute hypothèse des dérogations à cette non gratuité, en particulier au profit des « associations à but non lucratif qui concourent à la satisfaction d’un intérêt général »39. Ainsi une association jacquaire ou de grande randonnée pourra être autorisée à tenir gratuitement un stand d’information sur un chemin de Saint-Jacques.
26La liberté de circulation du randonneur qui parcoure les chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle n’est pas absolue. À l’instar de toutes nos libertés elle peut être, comme l’affirme l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme d’août 1789, limitée au nom de l’ordre public. L’autorité de police sera donc, sous le contrôle du juge administratif qui vérifiera l’adaptation de la mesure prise au désordre qu’elle vise à prévenir, compétente pour limiter le passage sur certains points du parcours si un danger menace une des composantes de l’ordre public, en l’occurrence la sécurité, la salubrité ou la tranquillité publique. Ainsi certaines portions de chemins ruraux pourront être interdites par le maire sur le fondement de son pouvoir de police générale40 aux cyclistes ou aux cavaliers par exemple si la configuration des lieux rend leur circulation dangereuse pour eux ou les randonneurs à pied41 et a fortiori aux véhicules à moteur. L’interdiction ne doit pas être toutefois générale et absolue ; elle doit toujours aussi avoir une cause objective42. La réglementation sera ainsi momentanée pour tenir compte de circonstances particulières de temps et lieux comme une inondation, un éboulement, un incendie ou permanente si la contrainte est structurelle. En revanche sur les parties routières la circulation des véhicules ne pourra être supprimée. Là il revient aux randonneurs de prendre les précautions qui s’imposent43.
27Les emprises de quelques portions de chemins peuvent, nous l’avons noté, faute de continuité des fonds publics, traverser parfois des propriétés privées, qu’ils s’agissent de chemins ou de prairies. Là le régime de liberté de circulation ne vaut plus. La situation est même inversée puisque le droit privé de propriété réserve le bien qui en fait l’objet à l’usage du seul propriétaire en l’absence d’accord de celui-ci pour le mettre à disposition d’autrui. Il est donc nécessaire pour qu’un chemin de grande randonnée, dont l’existence est conditionnée par de telles traverses, puisse être homologué qu’un tel accord ait été obtenu afin que la liberté de circulation des randonneurs/pèlerins soit effective sur la totalité de son parcours.
28Deux modalités sont disponibles pour le faire surgir. Si le passage emprunte un chemin d’exploitation il suffit d’obtenir des propriétaires riverains qu’ils ne l’interdisent pas à la circulation du public. Ces voies en effet sont ouvertes à cette fréquentation sauf délibération formelle des propriétaires s’y opposant. L’intention des riverains de laisser libre l’accès à leur chemin doit être recueillie lors de la procédure d’homologation du GR. En revanche, si le passage se fait sur un fonds appartenant à un seul propriétaire, sentier de desserte44 ou espace découvert ou boisé, le maître d’œuvre du projet d’homologation devra conclure une convention de passage avec celui-ci selon un modèle type établi par la FFRP. Elle affirme notamment qu’elle n’est pas constitutive d’une servitude et prévoit la possibilité de baliser et d’aménager le cas échéant le parcours ainsi que l’information des randonneurs par la pose de panneaux rappelant la nécessité de prendre certaines précautions comme ne pas oublier de refermer une clôture, ne pas faire de feux ou abandonner des détritus.
29De tels accords peuvent certes être résiliés soit en raison d’un manquement d’une partie à une de ses obligations, soit parce que le propriétaire voudra reprendre la maîtrise de son bien. Un autre passage devra être trouvé ce qui impliquera la conclusion d’un nouvel accord. Si aucune solution alternative ne se présente l’expropriation du fonds permettant la continuité pourra être, le cas échéant, envisagée. L’utilité publique attachée à l’intégration au Patrimoine mondial des chemins de Saint-Jacques justifierait en droit le recours à cette procédure régalienne où l’expropriant serait alors la commune dont la partie du chemin rural support du GR deviendrait sans issue. Cet impératif montre l’existence d’une obligation plus générale de protection de ces chemins.
B. La protection des chemins de Saint-Jacques
30Si l’on veut que la liberté de circulation ne soit pas seulement formelle mais effective, il est nécessaire de prendre des mesures afin de maintenir en état ces chemins ainsi que leur continuité. L’inscription au patrimoine mondial d’un bien implique d’ailleurs un suivi par l’UNESCO de son devenir. Il ne saurait rester inscrit que si son intégrité et son authenticité sont préservées. Il s’ensuit que les parties prenantes à la promotion de ce bien doivent chacune, dans le cadre de leurs compétences, agir pour garantir les caractéristiques qui ont rendu éligibles celui-ci. La première mesure est de délimiter et cartographier les sections de chemins relevant du bien 838 pour les localiser cadastralement et replacer les édifices qui les bordent. Cette délimitation aurait même dû figurer dans le dossier de demande si la complexité de cette opération n’avait pas conduit le Comité du Patrimoine mondial à admettre que sa réalisation puisse être postérieure. Elle a donc été lancée et réalisée à postériori.
31L’intervention principale pour maintenir l’intégrité et l’authenticité des itinéraires jacquaires est à la charge des communes propriétaires des chemins ruraux empruntés par les sentiers de grande randonnée supports des itinéraires menant à Saint-Jacques-de-Compostelle. Les questions de l’entretien des voies et de la préservation de la continuité du passage ne se posent en effet véritablement pas pour les routes et rues utilisées le cas échéant pour assurer des liaisons. Les collectivités publiques propriétaires ont l’obligation de les entretenir ce qui en revanche n’est pas le cas pour les chemins ruraux lesquels, on le sait, peuvent parfois être à l’abandon ou appropriés par des riverains. Le risque existe donc que de telles situations touchent des chemins jacquaires même si leur renommée et l’importance corrélative de leur fréquentation à priori réduisent fortement ce danger.
32Le principe, issu de la loi du 26 août 1881 sur les chemins ruraux, en effet est qu’il n’est pas, considérant leur vocation agricole, imposé aux communes d’entretenir leurs chemins ruraux. Alors que l’entretien des rues constitue une dépense obligatoire du budget communal, ce n’est pas le cas de celui de ces chemins. L’ordonnance n° 59-115 du 7 janvier 1959 a consacré implicitement ce point en les rangeant dans le domaine privé communal. Les articles L. 161-1 et 11 du code rural reprennent cette position. La jurisprudence administrative45 a toujours fait application de cette règle46. Il s’ensuit d’une part que les communes ont la faculté d’entretenir ou non selon la volonté de leurs élus les chemins ruraux qui leur appartiennent (dépenses facultatives), d’autre part que leur responsabilité ne peut être engagée suite à un dommage provoqué par le mauvais état de la voie à un usager47, tel le pèlerin, puisque leur carence ne saurait être considérée comme fautive48.
33Ce dispositif comporte cependant une exception logique, de bon sens. En effet le juge administratif a considéré dans un arrêt de 196449 qui a fait jurisprudence que dès lors qu’une commune a choisi d’entretenir un chemin rural, de l’aménager, elle est pour l’avenir tenue de continuer son action et la dépense correspondante devient alors obligatoire pour elle50. Sauf hypothèse particulière, l’arrêt des investissements conduirait à rendre les dépenses précédentes inutiles et à un gaspillage des deniers publics. Or, si un chemin rural fait partie du réseau des itinéraires Saint-Jacques, il aura nécessairement été aménagé et rendu carrossable par la commune propriétaire sinon l’homologation n’aurait pas été obtenue. En conséquence celle-ci devra maintenir son état et engager, le cas échéant, les travaux nécessaires pour cela. Le droit apporte ici un élément garantissant la protection de l’intégrité du bien. Pour ne pas être fautives et ne pas engager, sauf faute de la victime51, leur responsabilité, les communes sont dès lors tenues de réaliser les travaux nécessaires à la viabilité des sentiers de Saint-Jacques qui les traversent. De surcroît il est de l’intérêt plus général des autorités que ces voies soient entretenues pour fixer sur celles-ci le public qui les fréquente52.
34Si une bonne condition matérielle des voies à parcourir est la première exigence des pèlerins, il convient à l’évidence aussi que la continuité du passage soit assurée dans le temps. Le problème est qu’il s’avère nécessaire de consolider dans le temps l’itinéraire car un chemin rural peut être amené à disparaître. Par empiétement des riverains et risque de prescription acquisitive d’abord. Nous avons sur ce point déjà noté que les maires ont l’obligation de faire cesser de tels empiètements. Ensuite par la volonté de la commune propriétaire elle-même. Rangé dans le domaine privé, il peut en effet être soustrait à l’usage du public par délibération du conseil municipal qui dispose en la matière d’un large pouvoir d’appréciation53 puis être aliéné, par exemple suite à une opération d’aménagement foncier. L’aliénation doit être toutefois précédée d’une enquête publique ce qui apporte une garantie sur les conditions de la vente. Si le chemin appartient à plusieurs communes ou si des chemins appartenant à plusieurs communes constituent notamment un même itinéraire entre deux intersections de voies, l’enquête est unique et des délibérations concordantes des conseils municipaux sont exigées. La vente du chemin peut aussi être bloquée si les intéressés au maintien du chemin constituent une association syndicale et se chargent de l’entretien de celui-ci tout en le laissant ouvert au public. Cette solution toutefois ne vaut que si des propriétaires riverains sont concernés et non pas des tiers usagers54.
35Aussi, compte tenu du risque d’aliénation, dans le souci de ne pas arriver à une rupture d’un itinéraire de randonnée, le législateur en juillet 1983 a confié au département la mission d’établir un plan départemental des itinéraires de promenade et de randonnée55 pour conférer une stabilité juridique à ceux-ci. Avec l’accord des conseils municipaux concernés certains chemins sont inscrits par le conseil départemental sur ce plan de façon à créer entre eux une continuité porteuse d’un parcours qui se déploie à travers le département56. Dès lors le conseil municipal perd la faculté de les aliéner57 sauf à proposer au conseil départemental un chemin de substitution approprié afin de maintenir la continuité du passage58. La suppression exige au surplus une délibération expresse. Ce dispositif, qui s’applique aux chemins de Saint-Jacques repris par hypothèse dans les plans des départements concernés, contribue à assurer leur protection. Les itinéraires visés sont ainsi pérennisés d’autant plus que l’article L. 361-1 du code de l’environnement prévoit une implication plus grande des départements à leur égard. Ils peuvent en effet passer des conventions avec les propriétaires des terrains éventuellement traversés qui fixent les dépenses d’entretien et de signalisation mises à la charge du département. Ces conventions précisent, comme celles passées par la FFRP, que leur résiliation doit ménager un délai pour permettre la mise en place d’un parcours de substitution. Le souci de continuité, constitutive de la valeur d’un itinéraire, est ainsi mieux pris en compte pour le plus grand profit des chemins de Saint-Jacques et de ceux qui y circulent.
36Un dernier élément de protection est relatif à la préservation, au-delà de l’emprise des chemins, de leur ancrage dans le paysage environnant. D’abord des dispositions issues du code du patrimoine sont susceptibles de trouver une application les concernant. Dans la mesure en effet où les itinéraires jacquaires sont bordés d’édifices religieux, d’hôpitaux ou empruntent des ponts anciens, constructions dont bon nombre d’entre elles sont des monuments historiques, les articles L. 631-30 et 31 de ce code protègent leurs abords. Une servitude d’utilité publique affecte l’utilisation des sols dans un périmètre délimité par le préfet sur proposition de l’architecte des Bâtiments de France autour de ce patrimoine culturel dans un but de conservation et de mise en valeur59. L’utilité de cette réglementation en réalité joue à la marge en ce qui concerne les chemins proprement dits car c’est le monument dont la visibilité est protégée et non directement le chemin et son usage.
37De ce fait un autre dispositif semble mieux correspondre à la situation où le bien n’est que très partiellement un monument historique. Il est spécifique aux composantes du patrimoine mondial. Le Comité du patrimoine mondial a en effet recommandé dans ses Orientations de 1977 que soit instituée autour des biens inscrits une zone tampon de façon à leur assurer un second rideau de préservation. Ce procédé original, mieux adapté à la protection des chemins de Saint-Jacques, est en cours de mise en place sur les 7 sections de sentiers du Bien en série n° 868. Les Actes du premier comité interrégional de janvier 2015 relatif à ce dernier illustrent le travail de repérage et de délimitation de la plus longue des sections (Lectoure-Condom : 35 kilomètres)60. Accompagnant la carte au 1/80 000e localisant le parcours, un document comprenant un texte et des photos présente « les spécificités paysagères et patrimoniales » du cheminement où alternent séquences urbaines (centres historiques, collégiale de la Romieu) et séquences rurales dont la caractéristique est de dérouler un paysage agricole ouvert sans clôtures, juste marqué par endroits par quelques arbres ou haies qui orientent le sentier.
38Le problème est qu’en tant que telle la notion de « zone tampon » n’a été introduite que depuis peu en droit positif français par une disposition de la loi du 7 juillet 2016 qui a traité du cas particulier des biens inscrits au patrimoine mondial. Elle prescrit, sauf s’il est justifié qu’elle n’est pas nécessaire, qu’une telle zone doit être délimitée et arrêtée par le préfet. Elle sera le cadre d’action des plans précités de gestion qui devront être pris en compte par les autorités locales compétentes lorsqu’elles élaboreront ou réviseront des documents d’urbanisme. Jusqu’alors ces zones étaient protégées déjà par la possibilité de recourir à des dispositifs alternatifs. Pour le patrimoine urbain le régime des abords précité est utilisé, complété éventuellement, à la demande de la commune, par la mise en place d’un périmètre de protection spécifique61 sur les abords immédiats d’un monument historique recentrant l’action des architectes des bâtiments de France62. Pour le paysage rural qu’il s’agisse de cultures, haies, arbres ou bâtiments, chapelles, murets, croix, ponts (tel celui composante du Bien 838 de Beaumont-sur-l’Osse), l’outil privilégié semble être l’inscription de la zone tampon dans un document d’urbanisme qui entraîne l’application d’un dispositif de protection. Par exemple son classement anciennement comme « aire de mise en valeur de l’architecture et du patrimoine » (AVAP) et, depuis la loi précitée du 7 juillet 2016, comme « site patrimonial remarquable »63, classement qui crée une servitude d’utilité publique affectant l’utilisation des sols et les travaux au profit de l’espace rural ou du paysage ainsi reconnu. La nouvelle procédure est cependant moins décentralisée puisque, à la différence des AVAP, elle relève du ministre de la culture. Enfin pourrait être inscrite dans la liste des sites définis par l’article L. 341-1 du code du patrimoine une section du Bien 838. Il s’agit de sites « dont la conservation ou la préservation présente, au point de vue artistique, historique, scientifique, légendaire ou pittoresque, un intérêt général ». Les terrains situés dans leur périmètre ne peuvent faire l’objet que de travaux d’exploitation courante.
39Le droit a donc de diverses façons un rôle à jouer pour garantir la mise à disposition de tous les pèlerins dans de bonnes conditions des chemins jacquaires. Il contribue à les pérenniser en assurant la continuité du parcours et la liberté effective d’accès et de circulation à tous ceux qui sont en marche dans la direction de Compostelle et du tombeau de saint Jacques. Il n’est pas certain que les randonneurs, pris par d’autres contraintes, perçoivent cet aspect caché de leur voyage sans lequel pourtant il pourrait s’interrompre. L’intervention publique, qu’elle soit étatique ou locale, concourt ainsi par la règlementation ou le financement à faire vivre le pèlerinage. Si tous les randonneurs étaient de vrais pèlerins, si la foi était leur seul ressort, des esprits chagrins ne pourraient-ils alors y voir une possible d’atteinte à la séparation des Églises et de l’État ? Heureusement le droit n’en est pas encore à juger du for intérieur ou à s’aventurer sur les terres de la légende et du sacré.
Notes de bas de page
1 Voir Philippe Martin, Les secrets de Saint-Jacques-de-Compostelle, Vuibert, 2018, p. 13. Voir aussi Georges Bertin, La coquille et le bourdon : Essai sur les imaginaires du chemin de Compostelle, Arsis, 2010.
2 Philippe Martin, op. cit., p. 133-134. Cette contribution à l’unité culturelle de l’Europe a justifié que le 23 octobre 1987 le Conseil de l’Europe ait certifié « Les Chemins de Saint-Jacques » comme le premier « itinéraire culturel européen ».
3 Désormais désignés par le sigle usuel GR.
4 GR 65. La Voie d’Arles (Via Tolosana) : GR 653 ; la Voie de Vezelay (Via Lemovicensis) : GR 654 ; la Voie de Tours au départ de Paris (Via Turonensis) : GR 655.
5 Inscrit depuis 1993 au Patrimoine mondial. Une extension aux chemins de l’Aragon, le Camino Aragonès, a été réalisée en juillet 2015. Celui-ci relie la Via Tolosana au Camino francès.
6 Agence de gestion du bien en série n° 838, cf. infra.
7 En 2010 avait été, selon le même processus, reconnue une variante jacquaire joignant la Via Podiensis et la Via Tolosana de Conques à Toulouse par le GR 46.
8 La Corse est ainsi parcourue par le GR 20.
9 Le GR10.
10 Un débroussaillement régulier, un relevage des murets, une vérification de l’état des franchissements ainsi qu’un renouvellement des balises sont autant de travaux à assurer si l’on veut pérenniser le passage. Il convient d’indiquer que la Fondation Gaz de France assure un financement important de la mise en état de ces sentiers.
11 Suite à un accord conclu entre la FFRP et cet institut en 1956.
12 Sur leur régime, voir Christian Lavialle, fascicule « Chemins ruraux », Jurisclasseur « Propriétés publiques », 2013.
13 Voir par exemple Cass. 3° civ., 3 juillet 2002, RD rural, 2003, p. 47.
14 Cf. CAA Marseille, 9 juillet 2018, Commune de Ceilhes et Rocozels : req. n° 16MA03254.
15 D’autant plus que depuis une loi du 13 août 2004 de nombreuses routes nationales ont été départementalisées.
16 Cf. Cass. 3° civ., 16 juin 2010, pourvoi n° 09-14886 ; Cass. 3° civ., 31 mai 2018, pourvoi n° 17-17933.
17 Se référer à Philippe Mercier, « L’architecture de la gouvernance interrégionale du bien culturel », Actes du premier comité interrégional du bien culturel « Chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle en France », Toulouse, 2015, p. 43.
18 Devenue Agence sans que change son statut associatif.
19 Article L. 612-1 du Code du patrimoine.
20 In Actes du deuxième comité interrégional du bien culturel en série, mars 2016, p. 51.
21 Op. cit., p. 53.
22 Cf. par exemple Actes 2016, p. 48 : financement de l’édition de 5 000 plaquettes de présentation de 4 composantes du bien en série 868 (contribution d’Isabelle Rebattu).
23 Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement.
24 Article L. 143-2 code du patrimoine.
25 Pour une illustration cf. la contribution de Richard Guillen et Claire Delsol « Valoriser et transmettre, l’appropriation par les publics (touristes, habitants, public jeune) », Actes 2015, p. 69.
26 Coquille jaune sur fond bleu. Il est libre de droit.
27 Ce logo original : deux C entrecroisés (finalisés en Chemins Compostelle) sur fond bleu et poussière d’étoiles a été déposé par l’ACIR à l’INPI.
28 Voir Chloé Maurel : « Patrimoine mondial : les effets pervers », Le Point.fr du 17 janvier 2017, où elle pointe la « mise en tourisme » de certains lieux tel Louang Prabang au Laos.
29 Il en va autrement pour les cent derniers kilomètres de l’itinéraire qu’il suffit d’avoir parcourus pour obtenir la Compostella.
30 CAA Douai, 19 janvier 2012, Paul A., n° 11DA00168 ; CAA Marseille, 9 juillet 2018, Commune de Ceilhes, n° 16MA03215.
31 CAA Lyon, 11 décembre 2008, Association « À chemins ouverts », n° 07LY01036 ; CAA Nantes, 17 janvier 2013, Richard, n° 11NC01999.
32 CAA Nantes, 2 février 2010, Commune de Cerdon-du-Loiret, n° 08NT00489.
33 Cass. 1° civ., 19 mars 2008, n° 07-12.074.
34 Article L. 2124-4 CGPPP.
35 L’article L. 161-5 du code rural et de la pêche maritime consacre formellement sa compétence sur ces chemins.
36 Article L. 2125-3 du code général de la propriété des personnes publiques (CGPPP).
37 CAA Paris, 17 octobre 2013, Ville de Paris, AJDA 2014, p. 31, note M. Sirinelli.
38 Norbert Foulquier, Droit administratif des biens, LexisNexis, 2018, p. 185.
39 Article L. 2125-1 CGPPP.
40 CAA Marseille, 22 janvier 2018, M. A., n° 16MA03253.
41 CE, 22 février 1963, Commune de Gavarnie, RDP 1963, p. 1019, note M. Waline.
42 CAA Marseille, 12 novembre 2008, M. X, n° 07MA01731.
43 Les départements de l’Aveyron et du Gers ont aménagé des portions de chemins parallèles aux routes départementales pour protéger les randonneurs.
44 Par exemple Cass. 3° civ., 31 mai 2018, n° 17.17933.
45 Ce contentieux relève du juge administratif car le chemin rural a une définition qui conduit à le qualifier d’ouvrage public cf. CE, 16 mars 1955, Ville de Grasse : Lebon 161 ; CE, 2 octobre 1987, Commune de Labastide-Clairence : Lebon T. 991.
46 CE, 29 octobre 1930, Phalip : Lebon 873 ; CE, 6 avril 1951, Vila : Lebon 180 ; CE, 18 octobre 1978, Couve : Lebon T. 980 ; CE, 26 septembre 2012, Jackie B. : req. n° 347068.
47 La solution est différente si le dommage est causé à un riverain, tiers par rapport au chemin. La responsabilité est alors, conformément au droit des travaux et ouvrages publics, sans faute voir par exemple CAA Bordeaux, 9 décembre 2010, EARL Les Échos des chiens : n° 10BX00131.
48 CE, 27 novembre 1959, Gauthier et Néant : Lebon 640.
49 CE, 20 novembre 1964, Ville de Carcassonne : Lebon 573 ; AJDA 1965, 183, conclusions Bertrand.
50 CE, 8 novembre 1968, Fayamendy : Lebon 455 ; CAA Marseille, 27 juin 2005, Commune de Sainte-Croix Vallée française : n° 02MA01894 ; CAA Douai, 27 mars 2012, SCI Les Verdures : n° 11DA00031.
51 Elle est susceptible d’exonérer partiellement ou totalement la commune voir CAA Bordeaux, 10 décembre 2009, Commune de Saint-André de Cubzac : n° 08BX02453 ; CAA Nantes, 8 mars 2012, Alain X. : n° 10NT01721.
52 En ce sens Philippe Martin, op. cit., p. 133.
53 CE, 24 février 1992, Bourguignon : req. n° 78141.
54 Articles L. 161-10 et 11 du code rural et de la pêche maritime. Voir Cass. 3° civ., 3 juillet 1973 : D. 1973, inf. rap., p. 204.
55 Inclus dans le plan départemental des espaces, sites et itinéraires relatifs aux sports de nature.
56 Cette inscription fait de surcroît présumer l’affectation publique des chemins concernés et donc leur qualité de chemin rural cf. l’article L. 161-2 du code rural et de la pêche maritime.
57 L’aliénation serait frappée de nullité (article L. 361-1 code de l’environnement).
58 Article L. 121-17 code rural précité.
59 Ainsi les travaux susceptibles de modifier l’état du périmètre sont soumis à autorisation.
60 Cf. G.-H. Bailly, « La cartographie du bien inscrit au patrimoine mondial », Actes 2015, pp. 21-28.
61 Article L. 631-30 et 31 du code du patrimoine (loi du 7 juillet 2016).
62 Voir par exemple la contribution d’Isabelle Rebattu, Actes, 31 mars 2016, op. cit., p. 50.
63 Article L. 631, 632, 633 du Code du patrimoine. Ces sites sont protégés et valorisés par l’établissement d’un plan de valorisation de l’architecture et du patrimoine.
Auteur
Professeur émérite de l’Université Toulouse 1 Capitole
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