L’intermédiation bancaire et financière
p. 103-108
Texte intégral
1En matière bancaire et financière1, l’intermédiation joue un rôle indéniable car les acteurs bancaires et financiers et notamment les banques agissent par ce procédé depuis les origines. Pour autant, si le terme d’intermédiation est essentiel, on a aussi vu apparaître celui de désintermédiation et cela depuis les années quatre-vingt. Cela signifie que ceux qui devraient être les intermédiaires classiques perdent leur rôle traditionnel.
2Pour évoquer ce passage de l’intermédiation à la désintermédiation, un plan chronologique est le plus clair. La charnière se situe dans les années quatre-vingt, si bien qu’il est opportun d’envisager la situation avant cette période, puis durant cette période et, enfin, après celle-ci.
I. La situation jusque dans les années quatre‑vingt
3L’objectif de la banque et de la finance est de permettre la fourniture de financements aussi bien aux particuliers qu’aux acteurs économiques. Il peut s’agir d’un financement par le crédit ou d’un financement par des valeurs mobilières.
A. Le financement par le crédit
4Le rôle classique des banques consiste à fournir des crédits. Dans ce cas, les banques sont des intermédiaires entre des épargnants et des emprunteurs. Cela signifie qu’elles reçoivent de l’épargne qu’elles redistribuent sous forme de crédits. Il est à noter qu’il n’y a pas de lien contractuel entre les épargnants et les emprunteurs, si bien que seules les banques ont un lien juridique avec les épargnants d’un côté et avec les emprunteurs de l’autre. D’ailleurs, les banques utilisent l’argent des épargnants comme elles le souhaitent, d’autant qu’elles deviennent propriétaires des fonds. Ainsi, même si le terme de déposant est utilisé, celui‑ci est inadéquat car c’est la banque qui devient propriétaire des fonds, tandis que les déposants ne sont que des créanciers des banques. Pour remédier aux risques pouvant résulter de la défaillance d’un établissement de crédit, des fonds de garantie ont été mis en place permettant d’éviter aux déposants d’avoir à déclarer leurs créances tout en les assurant de pouvoir récupérer au moins une partie des montants déposés.
5Les établissements de crédit sont les seuls à pouvoir assurer ce type de financement, même si quelques exceptions ont toujours pu se présenter. Il y a donc un monopole bancaire qui correspond à un monopole de l’intermédiation entre les épargnants et les emprunteurs.
B. Le financement par des valeurs mobilières
6En plus du crédit, une autre source de financement résulte de l’émission de valeurs mobilières. Ainsi, des entités peuvent émettre des actions ou des obligations, c’est‑à‑dire des titres de capital ou des titres de créance dotés de fongibilité car ils sont émis par paquet et non à l’unité. Dans ce cas, les émetteurs peuvent être des personnes morales de droit privé, telles que des sociétés ou certaines associations, ou des personnes morales de droit public, telles que les États ou les collectivités. Bien sûr, seules les sociétés peuvent émettre des actions.
7Habituellement, ces différentes entités se chargent de placer directement les titres auprès des investisseurs. Il est aussi possible de faire appel à des intermédiaires chargés de placer ces valeurs mobilières. Tel est le cas lorsque ces titres sont « cotés » en Bourse.
II. La situation dans les années quatre-vingt
8Dans les années quatre-vingt et, plus précisément dans la première moitié de ces années, deux réformes majeures ont lieu qui sont connues par deux termes emblématiques : la dématérialisation et la désintermédiation. La première résulte de l’obligation d’inscription en compte des valeurs mobilières laquelle crée une obligation d’intermédiation financière. La seconde provient de la création des titres de créances négociables.
A. L’intermédiation financière obligatoire
9Avec la création de l’impôt sur les grandes fortunes s’est posée justement la question de la connaissance du patrimoine des Français, notamment celui qui pouvait être le plus opaque. En effet, les valeurs mobilières peuvent se présenter sous la forme de titres nominatifs ou de titres au porteur. Dans le premier cas, les détenteurs de ces titres sont connus car ils sont inscrits sur un registre. Dans le second cas, les titres au porteur peuvent circuler de la main à la main, et être transmis par simple tradition. Le Trésor Public ne pouvait donc pas connaître les détenteurs de ces titres au porteur. C’est la raison pour laquelle la loi de finances pour 1982 a prévu que toutes les valeurs mobilières soient désormais inscrites en compte. « Le compte est tenu par l’émetteur si les titres sont demandés sous la forme nominative, par un intermédiaire financier habilité par le ministre de l'économie, des finances et du budget s'ils sont demandés sous la forme au porteur » (art. 1er, al. 2 D. 2 mai 1983). Cela signifie que, dans le second cas, l’intermédiaire financier devient obligatoire. Il faut en effet ouvrir un compte auprès d’un intermédiaire, ce qui constitue un nouvel exemple de contrat imposé.
10Lorsqu’en 1986, l’impôt sur les grandes fortunes est abrogé, on aurait pu penser que la dématérialisation allait disparaître. Cela n’a bien sûr pas été le cas dès lors que la dématérialisation a considérablement facilité les opérations de gestion. Il n’était plus nécessaire de manier des quantités astronomiques de papier, d’autant que, même avant cette réforme, beaucoup de titres au porteur ne circulaient plus puisqu’ils étaient stockés dans les coffres de la Société Interprofessionnelle de Compensation des Valeurs mobilières et qu’ils n’en bougeaient plus.
B. La désintermédiation bancaire
11À cette même époque, alors que la France reste imprégnée de dirigisme économique, le Royaume-Uni et les États-Unis entrent dans un vaste cycle de libéralisme. Cette nouvelle donne pousse l’ensemble des économies occidentales à modifier leurs règles. La France, elle-même, ne pouvait rester à l’écart de cette évolution. Ainsi, en 1985, sont créés les titres de créances négociables. Selon l’actuel article L. 213‑1 du code monétaire et financier, ce « sont des titres financiers émis au gré de l’émetteur, négociables sur un marché réglementé ou de gré à gré, qui représentent chacun un droit de créance ». Ces titres ne sont pas des valeurs mobilières compte tenu de leur absence de fongibilité. Ils permettent en fait d’emprunter directement sur le marché en émettant un titre dont le montant unitaire doit être au moins égal à 150.000 €. Ce procédé permet donc d’emprunter de l’argent sans passer par l’intermédiaire d’une banque et c’est la raison pour laquelle on parle d’une désintermédiation bancaire. Pour autant, les banques ne se retrouvent pas totalement exclues de ce mécanisme : elles peuvent être amenées à intervenir, mais en tant que prestataires de services d’investissement. À ce titre, elles sont chargées d’assurer le placement initial, la domiciliation et la négociation des TCN, ce qui signifie que l’on est en présence d’une intermédiation financière. Depuis le décret du 30 mai 2016, les TCN de moins d’un an sont dénommés Negotiable European Commercial Papers (NEU CP), tandis que ceux qui ont une durée de plus d’un an sont appelés Negotiable European Medium-Term Notes (NEU MTN).
III. La situation depuis les années quatre-vingt
12Depuis les années quatre-vingt, l’obligation d’intermédiation financière et la désintermédiation bancaire restent des acquis. D’ailleurs, celle-ci se poursuit par d’autres voies car le monopole bancaire s’assouplit progressivement. Mais la nouveauté tient au fait que, désormais, c’est l’intermédiation financière elle-même qui est remise en cause avec l’apparition de nouvelles technologies.
A. L’assouplissement progressif du monopole bancaire
13Le monopole bancaire n’est pas destiné à protéger les banques en ce sens qu’il serait destiné à maintenir une sorte de numerus clausus ; il sert au contraire à préserver un intérêt public. C’est la raison pour laquelle des dérogations de plus en plus nombreuses s’ajoutent à celles qui ont toujours existé. Il faut aussi comprendre que, compte tenu de la raréfaction du crédit bancaire, il a fallu trouver de nouveaux acteurs ayant la capacité financière de fournir des crédits.
14Ainsi, avec le financement participatif, qui est autorisé depuis l’ordonnance du 30 mai 2014, de nouveaux intermédiaires sont apparus sous la forme de plates-formes permettant de faire le lien entre un porteur de projet et une personne désireuse de lui octroyer un financement via ce crowdfunding. Si le financement est réalisé au moyen de prêts, il s’agit d’un intermédiaire en financement participatif. Si le financement est réalisé au moyen de titres financiers, l’intermédiaire est dénommé conseiller en financement participatif.
15Mais les prêts peuvent être aussi octroyés sans le moindre intermédiaire. Ainsi, la loi Macron du 6 août 2015 a autorisé les sociétés par action ou les SARL dont les comptes font l’objet d’une certification par un commissaire aux comptes à fournir des prêts de moins de deux ans à des microentreprises, à des petites et moyennes entreprises ou à des entreprises de taille intermédiaire, dans la mesure où ces prêts se font à titre accessoire à leur activité principale et que ces entreprises entretiennent des liens économiques (art. L. 511-6 C. mon. fin.). De la même manière, certains fonds d’investissement comme les fonds professionnels spécialisés, les organismes de titrisation ou les fonds professionnels de capital investissement peuvent octroyer des prêts depuis la loi Sapin II du 9 décembre 2016. Pour autant, ces fonds d’investissement sont tout de même des intermédiaires puisqu’ils prêtent un argent qui leur est confié.
16Ainsi, l’intermédiation bancaire s’assouplit progressivement. Mais la question qui se pose désormais est celle de savoir si l’intermédiation financière elle-même n’est pas en train de perdre son monopole.
B. La disparition de l’intermédiation financière ?
17Jusqu’à présent, l’inscription en compte des valeurs mobilières avait créé une obligation d’intermédiation auprès d’intermédiaires financiers habilités. Or, avec l’arrivée de la blockchain, on aboutit cette fois à une désintermédiation financière dès lors que ce registre n’est pas tenu par un intermédiaire au sens classique du terme. Deux ordonnances ont d’ailleurs fait entrer dans le droit la notion de « dispositif d’enregistrement électronique partagé ».
18Ainsi, l’ordonnance du 28 avril 2016 a créé les minibons qui constituent une catégorie particulière de bons de caisse. Ils ne peuvent être émis que par des sociétés par actions ou des sociétés à responsabilité limitée dont le capital est intégralement libéré. Ils confèrent alors un droit de créance identique pour une même valeur nominale, de sorte qu’ils sont fongibles comme le sont les valeurs mobilières, alors que tel n’est pas le cas pour les bons de caisse classiques. Mais l’originalité de l’ordonnance de 2016 provient de la possibilité d’avoir recours à un dispositif d'enregistrement électronique partagé permettant l'authentification des opérations d'émission et de cession des minibons, comme le prévoit l’article L. 223‑12 du code monétaire et financier.
19De la même manière, l’ordonnance du 8 décembre 2017 a permis l’utilisation d’un dispositif d’enregistrement électronique partagé pour la représentation et la transmission de titres financiers. Cela concerne les titres de capital émis par les sociétés par actions, les titres de créance (qu’il s’agisse d’obligations ou de titres de créances négociables) ou des parts ou actions d’organismes de placement collectif (qu’ils entrent dans la catégorie des OPCVM ou des FIA). Pour autant, cette évolution est encore limitée car elle ne concerne que les titres financiers qui ne sont pas négociés sur une plate-forme de négociation ou, dit d’une autre manière, qui ne sont pas admis aux opérations d’un dépositaire central ni livrés dans un système de règlement et de livraison d’instruments financiers.
20Dans ces deux cas, le dispositif d’enregistrement électronique partagé est un registre immuable, infalsifiable et inaltérable qui rend inutile la présence d’un intermédiaire, sauf à considérer que l’on est en présence d’un intermédiaire numérique totalement désincarné.
Notes de bas de page
1 Comme cette contribution résulte d’une intervention orale, l’appareil documentaire a été réduit aux seules références législatives. D’autres sources peuvent aisément être trouvées dans les traités et manuels courants ainsi que dans les répertoires et encyclopédies.
Auteur
Professeur de droit
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