L’intermédiation fiscale et douanière
p. 65-86
Texte intégral
1Traiter de l’intermédiation fiscale et douanière à l’occasion d’un colloque portant sur l’intermédiation professionnelle peut sembler inapproprié dans la mesure où le droit fiscal et le droit douanier passent pour être des droits d’autorité participant de la puissance suprême des personnes publiques. À première vue en effet, les entités publiques en général, et l’État en particulier, décident et imposent, unilatéralement, des obligations fiscales ou douanières, à leurs sujets de droit sans nécessité aucune de recourir aux services d’un intermédiaire. En théorie, il est donc, intellectuellement, inconcevable, qu’un tiers professionnel s’intercale entre ces derniers et la puissance publique. En réalité, ni le droit fiscal ni le droit douanier, bien qu’établissant une relation juridique unilatérale, verticale et directe, n’échappent au phénomène de l’intermédiation professionnelle qui a cours, dans ces systèmes, depuis au moins quarante-cinq ans !
2Mais qu’appelle-t-on, précisément, l’intermédiation professionnelle en matière fiscale ou douanière ? Il ne saurait exister d’intermédiation professionnelle dans ces systèmes sans réunion de trois conditions. La première tient au fait que le droit fiscal ou douanier se singularise par la nature-même de l’obligation mise à la charge des sujets de droit par la puissance publique et ses administrations. L’obligation en question revêt un caractère financier (pécuniaire) ; elle pèse sur les débiteurs ou les obligés que l’on qualifiera de contribuables. La deuxième est relative à l’absence de recours obligatoire à l’intermédiation en droit fiscal comme en droit douanier. Le contribuable (fiscal ou douanier) est libre de s’en remettre ou pas aux services d’un intermédiaire afin de satisfaire à ses obligations. La troisième concerne les intermédiaires eux-mêmes qui sont des professionnels du droit fiscal ou douanier et qui se positionnent, s’intercalent entre les administrations et les contribuables. Plus précisément, les tiers en question conseillent ou représentent les contribuables dans leurs relations avec les administrations.
3Cette définition, assurément, large de l’intermédiation professionnelle, fondée sur l’observation de la pratique, appelle une question. Concrètement, qui peut jouer ce rôle d’interface professionnelle en matière fiscale ou douanière ? Sur ce point les deux disciplines juridiques se séparent. Bien que les manifestations de l’intermédiation professionnelle soient assez diverses, en droit fiscal, il s’agit, souvent, d’un organisme, d’une entité juridique et/ou comptable ou, plus exceptionnellement d’une banque d’investissement. En revanche, en droit douanier, l’intermédiaire est, nécessairement, une entreprise qui officie dans le secteur des transports puisque les formalités douanières sont, le plus souvent, liées au franchissement d’une frontière. Par-delà la diversité des situations, un élément commun transparaît néanmoins : l’intermédiaire en droit fiscal comme en droit douanier est un « sachant ». On entend par là celui qui connaît la règle (fiscale ou douanière), qui sait l’appliquer, celui dont l’intervention permet, au contribuable (fiscal ou douanier) de bénéficier de procédures, le plus souvent, favorables par rapport au droit commun.
4Ces précisions étant posées, surgit l’interrogation sur la façon d’aborder le sujet. Deux approches (l’une large et l’autre étroite) sont concevables, elles reviennent à associer, dans un même dispositif le bien et le mal engendrés par l’intermédiation professionnelle. L’approche large ne sera pas retenue car elle inclut l’étude des dispositifs d’évitement des obligations fiscales et douanières par le truchement de tiers. L’évasion et la fraude fiscale et douanière en sont l’objet et l’esprit avide de lucre, le ressort. Cette approche correspond à l’aspect détestable de l’intermédiation. Retenir cet angle d’attaque n’a pas semblé judicieux pour la double raison que, d’abord, l’ampleur du thème dépasse le cadre de ce colloque et, surtout, que ces pratiques relèvent du droit pénal. Le dispositif expurgé du mal restait donc l’appréhension du bien, c’est ce que permet l’approche étroite du sujet. Le bien parce que l’intermédiation professionnelle peut, au contraire, être pacifiée et respectueuse du droit. Dans ce cas, l’intermédiation professionnelle intervient dans un environnement juridique dominé par la confiance réciproque qui s’établit entre les administrations et les contribuables (I). Sur la base de cette relation pacifiée, l’intermédiation professionnelle s’accompagne de l’octroi d’avantages pour les administrations comme pour les contribuables ce qui la rend remarquable (II).
I. L’environnement juridique de l’intermédiation professionnelle fiscale ou douanière : la relation entre l’administration et le contribuable basée sur la confiance réciproque
5La relation de confiance réciproque résulte de la reconnaissance du tiers par l’administration. Cet élément est capital : l’intervention du tiers (sachant) rassure aussi bien l’administration (dans son rapport avec le contribuable) que le contribuable (dans son rapport avec l’administration). C’est en ce sens que l’on peut parler de relation de confiance réciproque. D’un point de vue juridique, l’administration agrée l’intermédiaire. En droit fiscal, l’agrément est conféré à un organisme de gestion agréé (OGA). La situation, bien que plus complexe en droit douanier, est cristallisée par celle de l’opérateur économique agréé (OEA).
A. L’OGA
Une présentation générale précèdera une approche plus juridique.
1) Présentation générale
6On ne peut comprendre la logique et la place des OGA, dans le droit fiscal contemporain, sans se référer à la situation sociale tendue de la France du début des années 1970. À cette époque-là, un fort mouvement de contestation, qui traduisait un sentiment d’insatisfaction ressenti par les professionnels du commerce, de l’industrie de l’agriculture et des professions libérales, prit forme. Les pouvoirs publics y répondirent en deux temps. La première réponse fut économique avec la loi Royer du 27 décembre 1973 (n° 73‑1114) qui, désormais, conditionna l’ouverture des grandes surfaces commerciales à l’obtention préalable d’une autorisation. À l’époque déjà, on accusait « les grandes surfaces » de tuer « le petit commerce ». La seconde fut fiscale : l’art. 1er de la loi de finances rectificative du 27 décembre 1974 (n° 71‑1114)1 instaura les centres de gestions agréés et les chargea d’une mission d’assistance en matière de gestion et de fiscalité auprès des artisans, des commerçants et des agriculteurs2. En 1977, le dispositif, jusque-là incomplet, fut étendu aux professions libérales par l’intermédiaire des associations de gestion agréées. Centres de gestion agréés et associations de gestion agréées préfigurent les actuels OGA.
7Dès l’origine, les pouvoirs publics conclurent un « pacte » avec les contribuables professionnels3. Les pouvoirs publics acceptèrent de répondre favorablement à une revendication d’ordre corporatiste qui consistait à permettre aux membres des professions commerciales, artisanales ou agricoles de bénéficier des mêmes abattements fiscaux, que les salariés4. En contrepartie, ces derniers eurent l’obligation d’adhérer à un organisme agréé par l’administration fiscale. Chaque partie y trouva son compte : l’administration cerna plus finement les revenus professionnels des contribuables en question en favorisant l’usage d’une comptabilité plus précise et les contribuables accédèrent à des avantages fiscaux dont ils étaient exclus. Quelques années plus tard, le Conseil constitutionnel avalisa le dispositif qu’il jugea apte à poursuivre l’objectif de lutte contre la fraude fiscale (n° 89‑268 DC du 29 décembre 1989 ; n° 2010‑16 QPC du 23 juillet 2010). Ce « pacte », d’emblée accepté par tous, s’ancra progressivement dans le paysage fiscal français dont il devint un élément original de la fiscalité des entreprises. Il ne fut plus remis en question malgré les incessants soubresauts caractérisant le droit fiscal. Deux considérations doivent cependant être soulignées.
8Tout d’abord, l’OGA recouvre une appellation générique qui englobe, aujourd’hui, plusieurs organismes : aux originels centres de gestion agréés et associations de gestion agréées (rebaptisées, aujourd’hui, associations agréées des professions libérales), s’ajoutent les associations de gestion et de comptabilité et les organismes mixtes de gestion agréés (centres de gestion et associations). Tous ces organismes remplissent, peu ou prou, le même rôle.
9Pour ce qui est de leur statut juridique actuel, les OGA sont des organismes à but non lucratif (art. 371 A et ss. Annexe II, CGI) créés le plus souvent à l’initiative d’experts-comptables, des sociétés de l’ordre (chambre d’industrie, de commerce ou d’agriculture) ou des organisations professionnelles. Les OGA sont néanmoins dirigés par un expert-comptable. Les conditions de fonctionnement des OGA sont strictement encadrées, notamment quant au nombre minimum d’adhérents. Les contribuables ont toute latitude d’adhérer ou pas à un OGA mais lorsque la décision d’adhérer a été prise, l’adhésion s’accompagne de frais pour ces derniers. Soulignons que les OGA sont eux-mêmes contribuables en tant qu’organismes accomplissant des fonctions de conseil soumis, à ce titre, à l’impôt sur les sociétés et à la TVA.
2) Présentation juridique
10Le dispositif de l’OGA repose sur un triple soubassement juridique : l’adhésion est réservée à certains contribuables, elle suppose l’obtention d’un agrément et la passation de deux conventions.
11Le dispositif de l’OGA est réservé à certaines personnes physiques ou morales. Pour en bénéficier, les contribuables doivent relever des bénéfices professionnels au titre de l’impôt sur le revenu (IR) : bénéfices industriels et commerciaux (BIC), bénéfices agricoles (BA) et bénéfices non commerciaux (BNC). En revanche, le régime fiscal applicable au contribuable (micro ou réel) importe peu. À cette première catégorie de contribuables bénéficiaires on ajoutera les contribuables soumis à l’impôt sur les sociétés (IS), à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE)5 ou bénéficiant de revenus étrangers. Les contribuables qui constituent cette deuxième catégorie peuvent, en effet, également adhérer à un OGA. On constate donc que les possibilités d’adhésion, restent limitées puisqu’il n’est pas question, par exemple, qu’un salarié adhère à un OGA.
12L’agrément doit être sollicité par l’OGA auprès de l’administration fiscale, selon une procédure particulière, étroitement encadrée (art. 371 F et ss, Annexe II, CGI pour les centres de gestion agréés qui constituent le modèle type de l’OGA)6. Cet agrément vaut juridiquement reconnaissance de l’OGA par l’administration fiscale qui l’érige en interlocuteur privilégié ; il est valable en principe trois ans et peut être renouvelé.
13Deux conventions cristallisent la situation juridique : la première lie l’administration fiscale à l’OGA et la seconde l’OGA à ses adhérents (c’est-à-dire donc aux contribuables).
14La convention fiscale passée entre l’administration fiscale et l’OGA est prévue par les art. 1649 quater C et ss CGI. Cette convention explicite, notamment, les conditions dans lesquelles l’administration fiscale met à disposition de l’OGA un (plusieurs) de ses agents à des fins d’assistance technique d’information et de formation. Cette disposition mérite que l’on s’y arrête. L’administration aide les OGA à correctement remplir leur mission en matière fiscale par la mise à disposition de son personnel. Elle s’assure donc de la parfaite connaissance et de la parfaite application des règles fiscales, ce d’autant plus qu’elle contrôle les OGA. Pour stabiliser et uniformiser le droit et les pratiques, un arrêté du ministre des finances fixe un modèle-type de convention (voir arrêté du 22 novembre 2016, JO du 18 décembre 2016).
15La convention qui unit l’OGA à ses adhérents cristallise, comme toute convention, les droits de chacune des parties. En l’espèce, cette convention est remarquable en ce qu’elle précise, notamment, les pièces comptables que les adhérents s’engagent à fournir à l’OGA pour lui permettre d’établir une situation comptable sincère et ainsi prévenir la fraude. L’une des manifestations, de cette obligation, les plus connues du grand public réside dans l’engagement des adhérents des OGA à accepter le règlement par chèque ou par carte bancaire et à le faire savoir à leur clientèle via un panneau d’information ou un affichage dans les locaux professionnels.
16Les OGA, sur la base de l’agrément et de la double-convention, s’inscrivent dans un schéma dominé par une logique de coopération fiscale doublée d’une logique de sécurisation fiscale. La logique de coopération fiscale tient au fait que l’OGA apporte une aide au contribuable en matière de gestion, de tenue de comptabilité (parfois) et de fiscalité (établissement et envoi des déclarations). La logique de sécurisation résulte de l’obligation, imposée aux OGA par l’art. 1649 quater E CGI, de « procéder aux contrôles de concordance, de cohérence et de vraisemblance de déclarations » fiscales. Ces dispositions autorisent l’administration à « décentraliser »7 la fonction de contrôle fiscal via les OGA. De fait, l’OGA contrôle périodiquement la sincérité des pièces justificatives de leurs adhérents dans le but de vérifier que leurs déclarations fiscales sont correctement établies (art. 371 3, 4°, Annexe II CGI). Les textes encadrent précisément cette responsabilité qui échoit aux OGA puisque l’identification des adhérents à contrôler et les pièces sur lesquelles portent la vérification dépendent, une fois encore, de prescriptions fixées par un arrêté du ministre des finances (arrêté du 9 janvier 2017, JO 2 février 2017). Les résultats du contrôle sont intégrés dans le compte-rendu de mission (lui aussi normalisé) transmis par l’OGA à l’adhérent contrôlé et à l’administration fiscale. La question a été posée de savoir si le contrôle réalisé par l’OGA sur ses adhérents pouvait être assimilé à un contrôle fiscal. Le Conseil d’État y a répondu négativement (CE, 21 juin 2017, UNALP, note X, DF 2017 n° 51, p. 67/71). Par voie de conséquence, l’administration fiscale peut déclencher un contrôle fiscal en bonne et due forme après le contrôle de sincérité réalisé par un OGA, sur l’un de ses adhérents.
17Finalement, le dispositif français de l’OGA constitue une originalité dans le contexte fiscal à l’échelle européenne même si, à ce stade, deux systèmes d’intermédiation professionnelle ont cours. Les modèles allemand et italien sont ceux qui se rapprochent le plus du modèle français puisque l’intermédiaire est reconnu par l’administration, même si des différences demeurent. En Allemagne par exemple, l’intermédiaire se trouve dans une situation de coresponsabilité avec le contribuable en cas de fraude fiscale, ce qui n’est nullement le cas en France. En Italie, le domaine d’intervention de l’intermédiaire semble plus limité qu’en France. Ces deux systèmes, auxquels il faut ajouter le système français, tranchent fondamentalement, cependant, avec le modèle anglo-saxon. Dans ce dernier, la question du recours à l’intermédiaire relève d’un choix discrétionnaire du contribuable et l’intermédiaire reste un représentant exclusif du contribuable, totalement coupé de l’administration puisqu’aucun agrément n’a à être demandé par lui.
B. L’OEA
18Le droit douanier, en raison de la complexité et de la technicité des procédures qu’il abrite, est consubstantiel de l’intermédiation professionnelle. Si l’OEA n’en est pas la seule manifestation, il en demeure la manifestation la plus éclatante. Ce constat oblige à préciser la consistance de cette notion puis son régime juridique.
1) La consistance de la notion d’OEA
19L’étude de la notion d’OEA suppose un bref rappel des règles du droit douanier tant sa situation est particulière. En effet, quiconque souhaite importer ou exporter une marchandise a l’obligation de la conduire en douane (se rapprocher d’un bureau des douanes ou d’un lieu agréé par elle), de la présenter (la mettre à disposition) et de déclarer l’opération de façon à permettre la liquidation des droits. Toutes ces opérations constituent ce que l’on appelle l’opération de dédouanement. On le constate immédiatement, ces obligations peuvent être extrêmement lourdes pour les entreprises (qualifiées par le droit douanier d’opérateurs économiques) se livrant à des opérations de commerce international. Concrètement, les opérateurs économiques disposent de deux possibilités pour se conformer à la réglementation douanière sur le dédouanement. Elles peuvent, elles-mêmes, réaliser la totalité de l’opération de dédouanement ou, précisément, s’en remettre à un professionnel intermédiaire. Revenons sur ces deux hypothèses.
20Lorsque les entreprises s’adressent à un professionnel intermédiaire pour conduire l’opération de dédouanement, on parle de représentation douanière. Cette dernière prend deux formes. La représentation directe suppose que l’intermédiaire agit au non et pour le compte d’autrui (importateur ou exportateur) ; la représentation indirecte signifie que l’intermédiaire agit en son nom mais pour le compte d’autrui (importateur ou exportateur)8. L’appel à un intermédiaire professionnel est le fait des entreprises ne disposant pas de services spécialisés en matière douanière. Historiquement, l’intermédiation en matière douanière a, longtemps, été assimilée aux commissionnaires agréés en douane (les célèbres CAD)9 ; depuis 2016, ils sont supplantés par les représentants enregistrés en douane. Le rôle de ces derniers a été conforté par l’art. 18 du code des douanes de l’Union (CDU) qui prévoit qu’à compter du 1er janvier 2018, toute personne qui souhaite agir en représentation directe ou indirecte doit être enregistrée, auprès de l’administration en tant que représentant en douane. Et l’OEA dans tout cela ? Précisément, le représentant enregistré, en tant qu’intermédiaire reconnu par l’administration douanière, peut légitimement aspirer au statut d’OEA (n’est-il pas déjà en effet « enregistré » donc « validé » ou « reconnu » par cette dernière ?). Mais, attention, le représentant enregistré n’obtient pas le statut d’OEA de plein droit, il doit remplir certaines conditions en sus des conditions exigées des représentants enregistrés10. L’OEA correspond donc à la forme suprême, la forme la plus sophistiquée de l’intermédiation en matière douanière.
21Lorsque les entreprises réalisent elles-mêmes l’opération de dédouanement, en principe, elles ne recourent point à un intermédiaire. Cette pratique doit cependant être précisée. S’il n’est jamais exclu qu’une PME se passe d’intermédiaire pour des raisons d’économie, le plus souvent, ce sont les grandes entreprises qui se livrent à des opérations de commerce impliquant le franchissement de plusieurs frontières qui s’inscrivent dans ce schéma. L’explication est simple : l’opérateur économique sans être un intermédiaire, au sens juridique du terme, peut néanmoins posséder la qualification d’OEA. En effet, la qualification d’OEA correspond à un statut (label) douanier accordé à toute personne qui remplit certaines conditions, et pas simplement au représentant enregistré. De nombreuses grandes entreprises impliquées dans les opérations de commerce international avec franchissement de frontières douanières sont labellisées OEA11. Dans ce schéma, il y a confusion entre l’intermédiaire et le contribuable douanier.
22Le statut d’OEA recouvre, en définitive, une multitude de situations depuis le professionnel du droit douanier qui ne réalise que des opérations de dédouanement, par voie de représentation, jusqu’à l’entreprise qui commerce avec l’étranger et qui souhaite sécuriser son circuit industriel ou commercial. Il illustre parfaitement, dans toute sa diversité, l’intermédiation professionnelle en matière douanière.
2) Le régime juridique de l’OEA
23Le statut d’OEA est d’apparition récente puisqu’il résulte d’un règlement du Parlement européen et du Conseil du 13 avril 2005 (n° 648/2005) modifiant le code des douanes à l’époque qualifié de « communautaire ») et d’un règlement de la Commission du 18 décembre 2006 (n° 1875/2006). Il est entré en vigueur au 1er janvier 2008. D’emblée, le règlement de 2005 marque les esprits par son économie générale. Il est très fortement imprégné par les impératifs de sécurité et de sûreté particulièrement pris en compte à la suite des attentats du 11 septembre 2001. En effet, L’OMD12, en juin 2005, avait défini une stratégie appelée SAFE (Security and Facilitation in a global Environment) dont l’objectif consistait à garantir la rapidité et la fluidité des échanges internationaux tout en sécurisant les flux de marchandises, notamment par le développement de l’analyse de risque13.
24Le règlement de 2005, dans un premier temps, renforce les contraintes pesant sur les opérateurs économiques en imposant le dépôt anticipé des déclarations en douane, c’est-à-dire, avant la présentation physique de la marchandise14. Mais, dans un second temps, la directive de 2005 allège les contraintes, lors des opérations de dédouanement, pour les opérateurs économiques particulièrement dignes de confiance, les OEA. L’art. 5 bis dudit règlement précise, de ce point de vue, que les OEA disposeront de « facilités »15. Notons que, sous la pression de l’OMD de nombreux États, autres que membres de l’UE, ont mis en place un système dérogatoire pour des opérateurs économiques particulièrement dignes de confiance16.
25Le statut d’OEA a été repris dans le nouveau code des douanes communautaire (règlement du Parlement et du Conseil n° 450/2008) du 23in 200917 et, surtout dans les art. 38 et ss du CDU (règlement n° 952/2013 du Parlement européen et du Conseil du 9 octobre 2013, entré en vigueur le 1er mai 2016). Le statut d’OEA est désormais unifié à l’échelle européenne (art. 39 du CDU), même si chaque État instruit et gère la demande de l’opérateur économique en vue de son obtention. La demande d’obtention du statut d’OEA est harmonisée au niveau européen. Cette demande doit être déposée sur un site dédié du ministère de l’économie et des finances18. Cela suppose naturellement que le demandeur dispose d’un compte professionnel sur ledit site. Concrètement, la demande d’obtention du statut d’OEA est une opération assez complexe qui laisse apparaître deux points forts.
26Le premier porte sur la procédure suivie. Le demandeur dépose un questionnaire d’autoévaluation (QAE) qui doit conduire l’entreprise à s’interroger sur l’utilité pour elle d’obtenir le statut d’OEA et sur sa capacité, dans le temps, à respecter les obligations en découlant. Le QAE est un document relativement complet qui aborde près de 150 questions19 ! Il s’accompagne également de plusieurs documents annexes. L’entreprise dépose en même temps que le QAE une demande d’autorisation sur un formulaire officiel. De fait, l’administration appréciera le bien-fondé de la demande sur la base du QAE. Enfin, la DGDDI auditera l’entreprise en organisant des visites sur site. Ce n’est qu’à la fin de cette procédure que l’opérateur économique sera agréé et, obtiendra, juridiquement, une autorisation OEA (art. 38. 2 du CDU). À cet effet, un numéro d’identification EORI (Economic operator registration regulation and identification) lui est attribué. Le numéro OERI est obligatoire avant toute opération douanière sur le territoire de l’UE ; il sera communiqué aux partenaires de la chaîne commerciale internationale. On le constate aisément, la procédure d’obtention du statut d’OEA demeure complexe, et elle a de fortes chances de s’étaler sur plusieurs mois au risque de pénaliser le pétitionnaire. C’est la raison pour laquelle la réglementation européenne oblige les administrations nationales à se prononcer dans un délai de 180 jours à compter de la réception de la demande complète d’agrément. En pratique cependant, la durée totale de la procédure s’échelonne de 9 à 12 mois en France.
27Le second concerne la portée de la labellisation. L’OEA est susceptible de décrocher trois types d’autorisations (38 CDU)20. L’autorisation « simplification douanières »21 est principalement réservée aux entreprises qui, certes, importent des marchandises de pays tiers mais consacrent leur activités aux opérations de commerce national ou intracommunautaire. L’autorisation « sécurité et sûreté »22 intéresse les entreprises qui commercent avec les pays tiers. La dernière autorisation cumule les deux précédentes « simplifications douanières » et « sécurité sûreté »23. La délivrance de l’autorisation dépend cependant du respect des exigences fixées par l’art. 39 du CDU. Bien qu’il n’existe pas de régime uniforme et que chaque autorisation soit conditionnée au respect de ses exigences propres, les principales conditions fixées par le CDU portent sur l’absence de condamnation pénale du dirigeant ou des personnes impliquées dans la chaîne logistique internationale, le constat d’antécédents douaniers satisfaisants, la solvabilité financière avérée lors des dernières années, le respect des normes et des pratiques professionnelles (attesté par un organisme européen de certification) et celui des normes de sécurité.
28Si l’on compare les conditions de l’obtention de l’agrément des OEA avec les conditions que doivent remplir les opérateurs économiques pour être représentants enregistrés, on constate une grande similitude : notamment, absence d’infractions douanières, fiscales et pénales graves et répétées, système de tenue des écritures appropriées (fiscales, douanières et de transport), compétence professionnelle reconnue (art. 5, 15, 18, 10, 39 et 170 du CDU, arrêté du 13 avril 2016 relatif à la représentation en douane et à l’enregistrement des représentants en douane, circulaire du 14 juin 2018, fixant les modalités d’enregistrement et de suivi des représentants en douane enregistrés). Pourtant, il ne faut pas se tromper. Car si le représentant enregistré bénéficie, lui aussi, d’une reconnaissance de l’administration douanière cette dernière est bien moindre que celle dont se prévaut l’OEA. Cela sera confirmé lorsqu’il s’agira de pointer les avantages qu’offre le statut d’OEA par rapport à celui de représentant enregistré.
II. Les avantages réciproques résultant de l’intermédiation professionnelle pour l’administration et les contribuables
29Les deux dispositifs (OGA – OEA) sont remarquables par la réciprocité des avantages en résultant pour l’administration (fiscale ou douanière), l’intermédiaire et les contribuables. Les avantages pour les intermédiaires sont les plus simples à appréhender et à évacuer. L’intermédiation leur confère, d’abord, reconnaissance professionnelle bien souvent doublée d’une reconnaissance et une notoriété commerciales susceptibles d’attirer plus facilement la clientèle. N’oublions pas, en effet, que l’intermédiaire est, fréquemment, un professionnel qui vit de son activité. Ce cas étant traité et n’appelant pas de commentaire particulier, il reste donc à examiner celui des avantages pour l’administration fiscale ou douanière et les contribuables.
A. Les avantages pour l’administration fiscale ou douanière
30La fonction fiscale comme la fonction douanière, exigeant d’un tiers une obligation financière est, par nature même, une fonction potentiellement angoissante et conflictuelle. L’administration ne le sait que trop bien lorsqu’elle se heurte à un contribuable non coopératif. Ainsi, le principal avantage de l’intermédiation, pour l’administration tient à la sécurisation de la situation fiscale ou douanière du contribuable. Deux raisons peuvent être avancées dans ce sens.
31Tout d’abord, l’intermédiation confère à l’administration une bonne connaissance de la situation du contribuable. Cet avantage est loin d’être anecdotique puisque la relation administration-contribuable s’en trouve pacifiée et rassérénée : le contribuable se soumet aux obligations fiscales ou douanières d’autant plus facilement qu’il n’a rien à se reprocher et l’administration n’a aucune raison de douter du contribuable coopératif. La pratique atteste que le contribuable qui se voit appliquer les règles les mieux adaptées à sa situation accepte, volontiers, l’obligation fiscale ou douanière. De ce point de vue, l’intermédiation dispense donc l’administration d’engager des procédures coûteuses, incertaines et chronophages contre les contribuables indélicats ou défaillants.
32Ensuite, l’intermédiation met l’accent sur le point sensible du droit fiscal et du droit douanier : le contrôle. Bien souvent l’efficacité de l’intervention fiscale ou douanière est évaluée à l’aune de la répression des fraudes. Comment s’assurer du respect de la règle de droit et de la répression des comportements déviants qui rompent l’égalité entre contribuables ? Car les contribuables ne comprendraient pas que les obligations ne pèsent que sur certains d’entre d’eux alors que d’autres y échappent. Mais ce qui est souhaitable n’est pas toujours possible. Comment faire pour mener à bien des contrôles efficaces en nombre suffisant ? L’intermédiation y remédie assurément puisqu’elle s’accompagne de la « décentralisation » des contrôles : l’OGA et l’OEA contrôlent les contribuables et les opérateurs économiques24. Bien plus, les intermédiaires les contrôleront d’autant mieux qu’ils les connaissent parfaitement ! L’administration étant ainsi libérée d’un grand nombre de contrôles, que nous qualifierons de routine, peut consacrer ses efforts aux dossiers « sensibles ». Au final les contrôles sont plus nombreux, plus sûrs et chacun y trouve son compte. L’intermédiation qui érige les OGA et les OEA en auxiliaires de l’administration engendre, à terme, une plus grande efficacité de cette dernière en matière de contrôle.
33Ainsi donc, l’intermédiation ne présente que des avantages pour l’administration dont l’efficacité s’en trouve améliorée : les contribuables collaborent, ils sont peu enclins à frauder, ils font l’objet d’une surveillance à un stade précoce de la procédure d’imposition qui limite les risques de fraude. Il n’est donc pas surprenant que les textes promeuvent l’intermédiation professionnelle en matière fiscale et douanière.
B. Les avantages pour les contribuables
34L’intermédiation n’eut pas été acceptée des contribuables si elle ne s’était pas accompagnée d’avantages pour eux. Du reste, il faut le rappeler, cet élément fondait le « pacte » originel des années 1973 et 197425 pour les prédécesseurs des OGA. Mais concrètement, ces avantages diffèrent selon que l’intermédiation est le fait des OGA ou des OEA.
1) L’intermédiation de l’OGA
35Les avantages pour les contribuables s’adressant à un OGA sont directs et loin d’être négligeables ainsi qu’en témoignent les textes26. Examinons-les dans le détail.
36Le premier avantage concerne l’absence d’application d’un coefficient correcteur de 1, 25 sur la base d’imposition de l’adhérent (art. 158‑7 et 1649 quater C et ss du CGI)27. Cette mesure s’applique aux adhérents d’un OGA imposés à l’impôt sur le revenu dans la catégorie des BIC, des BNC et des BA28. Les entreprises concernées sont celles relevant d’un régime réel d’imposition, c’est-à-dire celles dans lesquelles la base d’imposition est définie par la comparaison entre les recettes de l’exploitation et les charges déductibles29. Ainsi donc, pour simplifier, on peut affirmer que le résultat fiscal est obtenu en retranchant des ressources de l’activités les dépenses de caractère professionnel. Si le résultat est positif, on parle de bénéfice ; le bénéfice constitue alors la base d’imposition. Si le résultat est négatif, à l’inverse, on le qualifie de déficit ; le déficit pourra faire d’une déduction dans des conditions particulières. Eh bien, lorsque le contribuable adhère à un OGA la base d’imposition déclarée est la base d’imposition retenue pour le calcul de l’impôt sur le revenu. En revanche, si le contribuable n’adhère pas à un OGA sa base d’imposition est la base d’imposition déclarée, multipliée par 1,25. À titre d’exemple, si un contribuable déclare une base d’imposition (recettes moins dépenses) de 1000, la base d’imposition retenue par l’administration sera de 1000 si le contribuable est adhérent d’un OGA et de 1250 s’il n’est pas adhérent. Chacun comprendra que plus la base d’imposition est réduite et plus le montant de l’impôt à payer est faible. La jurisprudence a précisé que la majoration de 25% n’avait pas à être motivée (CE, 29 mars 2017, Revue Droit Fiscal 2017, n° 30, concl. E. CORTOT‑BOUCHER) et que son institution ne contrevenait pas à l’art. 6 DDHC (CE, 9 novembre 2015, Revue Droit Fiscal 2016, n° 6, M.‑A. NICOLAZO de BARMON).
37Le deuxième avantage porte sur une réduction d’impôt afin de compenser les frais de tenue de comptabilité et d’adhésion à un OGA (art. 199 quater B du CGI). En effet, les contribuables, normalement soumis au régime de la micro entreprise, qui optent pour un régime réel d’imposition au titre des BIC, des BNC ou des BA, ou au titre de la TVA pourront bénéficier d’une réduction d’impôt, c’est-à-dire d’un allègement du montant de l’impôt à payer. Concrètement, les contribuables pourront déduire du montant de l’impôt sur le revenu, une somme égale à 2/3 des dépenses de tenue de comptabilité et d’adhésion effectivement supportées (dans une limite de 915 euros par an). Cette réduction d’impôt ne pourra cependant pas excéder le montant de l’impôt dû par le contribuable. La réduction d’impôt en question est certes limitée à une catégorie particulière de contribuables (ceux soumis au régime microentreprise optant pour un régime réel d’imposition) mais elle n’en demeure pas moins significative.
38Le troisième avantage prend la forme d’une autorisation de déduction de l’intégralité du salaire du conjoint du dirigeant de l’entreprise soumise à l’impôt sur le revenu (BIC, BNC, BA) (art. 8, 39 et 154 du CGI). Cette question est sensible pour les petites entreprises, dans lesquelles le conjoint exerce une activité complémentaire à celle du dirigeant30. En principe, le salaire du dirigeant de l’entreprise n’est pas déductible puisqu’il correspond aux bénéfices réalisés par la société elle-même (principe de transparence fiscale oblige)31. Le salaire des autres personnels de l’entreprise est déductible à condition de correspondre à un travail effectif (réel) et qu’il ne soit pas excessif (qu’il corresponde à un niveau de rémunération normal au regard de l’emploi occupé). Sur la base de ces règles, le salaire du conjoint du chef de l’entreprise a vocation à être déductible, sauf que l’art. 154 du CGI limite la déduction (17500 euros)32. Cette disposition qui vise, certes, à prévenir les abus peut handicaper fortement les petites entreprises : pourquoi empêcher la déduction intégrale du salaire du conjoint du chef de l’entreprise si le travail fourni est effectif et son salaire non excessif ? Précisément pour renforcer l’attrait d’une adhésion à un OGA, la déduction du salaire du conjoint du chef de l’entreprise est intégrale. Soulignons, toutefois, que cet avantage a été accordé jusqu’en 2018 puisque la loi de finances de 2019 (n° 2018‑1317 du 28 décembre 2018) met fin dans son art. 60 à la limitation de la déduction du salaire du conjoint du chef de l’entreprise. Désormais, ce dernier constituera un élément déductible indépendamment de l’adhésion ou pas, de l’entreprise, à un OGA.
39Le quatrième avantage se confond avec un abandon conditionnel des pénalités fiscales au profit des nouveaux adhérents d’un OGA (art. 1755 du CGI). En quelque sorte, le CGI consacre un droit au pardon pour les nouveaux adhérents des OGA puisque la faute avouée, spontanément, par un contribuable sera à moitié pardonnée : elle ne s’accompagnera pas de l’application de pénalités fiscales normalement dues (notamment intérêts de retard et majorations du montant de l’impôt) ; seul restera à la charge des contribuables le paiement des droits éludés. Cet avantage est réservé aux nouveaux adhérents, les autres seront soumis aux procédures normales de rectification. Les irrégularités couvertes portent sur les insuffisances, les inexactitudes ou les omissions de déclaration.
40Enfin, l’art. L 169 LPF dispose que le délai de reprise de l’administration (droit de demander la rectification de la base d’imposition et de réclamer un rehaussement de la cotisation d’impôt) est de deux ans lorsque le contribuable est membre d’un OGA, contre trois ans dans les autres cas (CE, 26 novembre 2018, ministre de l’action et des comptes publics). Ce que l’on appelle dans le langage courant le droit de redressement de l’administration fiscale est donc enserré dans des délais plus brefs que la normale pour les contribuables adhérents d’un OGA (qui gagnent ainsi un an par rapport au droit commun).
2) L’intermédiation de l’OEA
41Les avantages, résultant de l’intermédiation, pour les contribuables douaniers sont, en principe, indirects. Par rapport à l’intermédiation fiscale, l’intermédiation douanière présente deux différences majeures. La première tient au fait que l’intermédiation douanière facilite uniquement la réalisation de l’opération de dédouanement alors que l’intermédiation fiscale se répercute directement sur la situation fiscale du contribuable. Naturellement, cette différence s’estompe lorsque l’intermédiaire douanier est lui-même le contribuable. La seconde résulte des avantages procurés par l’intermédiation. En droit fiscal, les avantages prennent la forme d’un allègement de cotisation fiscale ; en droit douanier, les avantages correspondent à un allègement des procédures douanières. S’il est exact qu’un allègement des procédures douanières entraîne gain de temps et économie financière pour le contribuable, l’intermédiation douanière ne prend pas la forme d’une remise de dette douanière. Cela étant dit, il est difficile de recenser les avantages résultant de l’intermédiation douanière. Néanmoins, une quinzaine d’avantages peuvent être listés33. Par souci de rationalité, seuls les avantages liés à la « domiciliation », aux accords de reconnaissance mutuelle et à ceux jugés les plus significatifs seront examinés.
a) La procédure de « domiciliation »
42La procédure de la « domiciliation » est une procédure relativement éprouvée qui consiste à permettre la réalisation de l’opération de dédouanement depuis le « domicile » de l’opérateur économique. Le « domicile » douanier s’entend comme le local accueillant la marchandise, objet du dédouanement. Le « domicile » douanier est d’une part, agréé par l’administration douanière (art. 147 et 148 CDU) et, d’autre part, rattaché à un bureau des douanes territorialement compétent auprès duquel seront réalisés les opérations de dédouanement. Avec le CDU, la procédure de domiciliation devient la procédure de droit commun qui, s’accompagnant de l’utilisation des procédures de déclaration DELTA (déclaration en ligne par traitement automatisé), caresse l’espoir d’une dématérialisation complète des procédures douanières à la fin de l’année 202034. La procédure de domiciliation présente deux variantes. La première correspond à la procédure « normale » de déclaration : la marchandise est enlevée après déclaration et paiement des droits. Celle-ci ne nécessite plus d’autorisation de l’administration douanière puisqu’elle devient la procédure de droit commun. Pour cette procédure, le statut d’OEA est sans incidence sur la procédure douanière. La deuxième coïncide avec la procédure de « déclaration simplifiée » : l’enlèvement de la marchandise est possible avant paiement des droits35. Mais le bénéfice de cette procédure est réservé aux opérateurs économiques (et pas seulement aux OEA) qui ont reçu une autorisation. Concrètement, cette autorisation impose le respect de la plupart des avantages accordés aux OEA : absence d’antécédents douaniers, fiscaux ou pénaux ; existence de procédures douanières efficaces d’un point de vue douanier (prohibitions restrictions, informations des employés). Naturellement les OEA, pour lesquels en plus la déclaration simplifiée peut prendre la forme d’une inscription dans la comptabilité matière (art. 182 CDU)36, remplissent de plein droit les conditions exigées pour bénéficier du régime de la « déclaration simplifiée ».
43La procédure de domiciliation se marie parfaitement avec la procédure de dédouanement centralisé national. Celle-ci présente un intérêt certain lorsqu’une opération d’importation ou d’exportation intéresse deux bureaux de douane situés en France. On peut ainsi concevoir qu’un opérateur économique soit rattaché territorialement à un bureau des douanes (auprès duquel il doit déclarer) alors que la marchandise est présentée à un autre bureau des douanes (d’entrée ou de sortie) pour la simple et bonne raison que sa présence physique la place sous la compétence territoriale de ce bureau de présentation37. Il va de soi que ce système ne peut fonctionner que si les bureaux de déclaration et de présentation peuvent communiquer via une application internet. Pour l’opérateur économique le dédouanement centralisé simplifie l’opération de dédouanement (déclaration et paiement des droits auprès d’un seul et même bureau des douanes) et la rend moins coûteuse et plus rapide (nulle nécessité de s’adresser à un tiers pour prendre en charge la marchandise et réaliser l’opération de dédouanement auprès du bureau des douanes d’entrée ou de sortie). Cette procédure de dédouanement centralisé est prévue par l’art. 179.1 alinéa 2 du CDU qui évoque la dissociation des flux déclaratifs et des flux physiques lors d’une opération de dédouanement. Elle est offerte à tous les opérateurs économiques (et pas seulement les OEA) qui peuvent mettre en œuvre la procédure de déclaration simplifiée et qui remplissent certaines conditions. Ces dernières, une fois encore, sont remplies de plein droit par les OEA en raison de l’audit auquel ils ont été préalablement soumis lors de la procédure d’agrément.
44Enfin, cette procédure de dédouanement centralisé national offre tellement d’avantages qu’elle a été reprise au niveau européen avec la procédure de dédouanement centralisé communautaire. Dans ce cas, les bureaux de douane de déclaration et de présentation se situent dans deux États différents de l’UE. Ici, les choses sont d’une grande simplicité puisque cette procédure est réservée aux seuls opérateurs économiques possédant le statut d’OEA.
b) Les accords de reconnaissance mutuelle
45Les accords de reconnaissance mutuelle sont des dispositifs contenus dans des accords internationaux consistant en la reconnaissance du statut d’OEA par des administrations douanières d’États tiers. Autrement dit, certains États acceptent de reconnaître le statut d’OEA à des opérateurs économiques européens. Plusieurs États tiers, et non des moindres, sont dans ce cas : USA, Chine, Japon, Suisse, Norvège… La reconnaissance s’accompagne naturellement d’avantages pour les OEA. Parmi les plus significatifs, on relèvera l’allégement des contrôles ou encore un traitement prioritaire de leurs opérations de dédouanement. Dans un monde où la rapidité des flux commerciaux s’accompagne d’économies pour les entreprises, ces avantages sont très prisés de ces dernières.
c) Autres avantages
46Ils sont divers et relativement nombreux. Deux exemples suffiront à montrer l’attrait du statut d’OEA.
Les procédures simplifiées de dédouanement se caractérisent par la dislocation de l’obligation de déclaration et de l’obligation concomitante de paiement. Ce schéma met à mal les garanties de l’administration douanière pour qui la marchandise constitue un gage : la marchandise ne peut être retirée (exportée ou importée) qu’après paiement des droits. On admet aisément que la procédure simplifiée autorisant l’enlèvement de la marchandise avant paiement fragilise la situation juridique de l’administration. Précisément, afin de prémunir ses droits au paiement, des garanties financières sont exigées des opérateurs économiques. Cette garantie prend la forme d’un « crédit d’enlèvement » (paiement des droits de douane dans un délai de 30 jours) avec cautionnement (banque ou compagnie d’assurance). Le montant du crédit d’enlèvement correspond à la moyenne des droits de douane acquittés par l’opérateur économique sur une période mensuelle. Cette garantie financière est allégée pour les OEA pour lesquels le montant de la garantie est fixé à 30% du montant normalement exigé d’un autre opérateur économique (art.95‑3 CDU, art 158 § 2 Règlement d’exécution de la Commission [UE] 2015/2447 du 24 novembre 2015, circulaire du ministère des finances et des comptes publics du 29 avril 2016, Instruction rénovée sur la certification OEA suite à l’entrée en application du code des douanes de l’Union, NOR : FCPD1611516C).
47Enfin, il convient de signaler la procédure de l’auto-évaluation de l’art 185 CDU selon lequel sur demande exclusive d’un OEA, les autorités douanières peuvent, l’autoriser à effectuer certaines formalités qui leur incombent, à déterminer le montant des droits exigibles à l’importation ou à l’exportation et à réaliser certains contrôles sous surveillance douanière. Dans ce cas, l’OEA agit, en même temps, en tant que représentant du contribuable et de l’administration douanière.
48L’intermédiation en matière fiscale et douanière s’inscrit donc dans une logique gagnant/gagnant. En effet, pour l’administration, l’intermédiation professionnelle sécurise la situation du contribuable et pour ce dernier la situation fiscale ou douanière s’en trouve allégée, améliorée ou simplifiée. En définitive, on peut se demander si l’intermédiation fiscale et douanière ne s’inscrit pas, plus généralement, dans un processus, plus large et contemporain, qui consiste à revisiter les rapports entre l’administration et les contribuables en désacralisant leurs rapports, en changeant de modèle et en passant du contrôle et de la répression, à l’aide et à l’accompagnement des entreprises et des contribuables.
Notes de bas de page
1 Cour des comptes, Les organismes de gestion agréée, 40 après, juillet 2014.
2 G. Sébastien, Organismes de gestion agréés, Jurisclasseur fiscal, Impôts directs Traité, n° 1190‑10 et 1190‑20.
3 Exerçant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale.
4 Bien qu’il soit de notoriété publique que les commerçants, les artisans, les agriculteurs et les professions libérales puissent plus facilement cacher leurs revenus, du fait des rétributions en espèces dont ils peuvent bénéficier, que les salariés du secteur privé ou public (payés plutôt par chèque ou virement bancaire).
5 Qui est une imposition directe locale à la charge des entreprises.
6 Voir aussi l’instruction fiscale de base sur le sujet, BOI‑DJC‑OA‑20170705.
7 Nous entendons par là le processus, prévu par les textes, qui autorise un tiers à contrôler le contribuable sous la responsabilité de l’administration.
8 Des conséquences en termes de responsabilité douanière en découlent sans qu’il soit nécessaires de les développer davantage ici.
9 C.‑J. Berr, Introduction au droit douanier, Economica, 2008 ; J.‑L. Albert, Douane et droit douanier, PUF 2013.
10 Voir infra B, 2.
11 C’est ainsi que, en France, des entreprises aussi différentes qu’Airbus, Areva, Andros ou Peugeot possèdent le statut d’OEA. On compte dans toute l’UE, au 1er septembre 2018, 20402 autorisations OEA dont 16865 actives. La France avec 1638 autorisations accordées se classe deuxième derrière l’Allemagne (6986) et les Pays‑Bas (1577) (source Douane magazine n° 11, DGDDI, 2018).
12 L’Organisation Mondiale des Douanes a été créée par une convention internationale signée à Bruxelles en date du 15 décembre 1950. Son rôle consiste à venir en appui aux administrations douanières nationales en vue de faciliter les échanges internationaux.
13 Que l’on pourrait définir comme une réflexion sur les contrôles à mener par l’administration afin de faire échec au contournement de la réglementation douanière. Voir, la brochure Douane 2018, Projet stratégique, DGDDI, document coproduit par le Ministère de l’économie et des finances et le ministère du commerce extérieur.
14 Ce qui laisse naturellement le temps à l’administration de conduire une analyse de risque et de décider de contrôler ou pas physiquement cette dernière.
15 On retrouve la même logique dans la doctrine de l’Organisation mondiale des douanes (OMD) commentant, en juillet 2000, la Convention de Kyoto : « La douane devrait accorder aux personnes le statut d’expéditeur ou de destinataire agréé lorsqu’elle est assurée que les personnes concernées remplissent les conditions fixées par la douane » (Directives à l’annexe spécifique E, p. 8).
16 Voir la brochure Guide pratique, Opérateur Économique Agréé à destination des PME, Comité national des conseillers du commerce extérieur de la France, p. 3.
17 Ce code n’est jamais entré en vigueur.
18 http://www.prodouane.gou.fr/
19 Sur l’entreprise elle‑même, ses dirigeants, son activité en matière de transports internationaux. Voir la notice de présentation de la DGDDI, QAE relatif aux OEA, mars 2014.
20 À titre anecdotique on indiquera que l’OEA pourra également utiliser le logo européen officiel AEO (Authorized economic operator) qui atteste de son statut.
21 On dit aussi OEA C (Customs).
22 On dit aussi OEA S (Security and safety).
23 On dit OEA F (Full).
24 Même si l’on sait que l’administration n’est pas liée par ces contrôles qu’elle peut renouveler. Voir pour l’OGA, supra I, A,2.
25 Voir supra, I, A, 1.
26 Certains de ces avantages avaient été supprimés dans le passé mais ils ont été rétablis. Voir X, Rétablissement et aménagement de certains avantages fiscaux accordés aux adhérents des OGA, Revue de Droit Fiscal 2016, n° 1, p. 101.
27 On signale que cet avantage est également accordé au contribuable faisant appel à un expert-comptable agréé (art. 158, 1°, b CGI).
28 Sont donc concernées les petites entreprises prenant la forme, principalement, d’entreprises en nom collectif, d’une EURL d’une EARL, de certaines sociétés civiles qui poursuivent une activité industrielle, commerciale ou artisanale (BIC), libérale (BNC) ou agricole (BA).
29 Il existe aussi au titre des BIC, BNC et BA un régime dit « micro entreprise » qui se caractérise par le fait que la base d’imposition correspond aux ressources de l’exploitation diminuées d’un abattement automatique d’un montant variable (50 ou 71% pour les BIC, 34% pour les BNC et 87% pour les BA). Ce régime micro entreprise s’applique aux petites entreprises dont le montant de recettes ne dépasse un seuil fixé par les textes. La règle du coefficient correcteur de 1, 25 ne les concerne pas.
30 Souvent au sein des PME, un conjoint exerce l’activité commerciale, artisanale ou agricole elle‑même et l’autre le seconde en assurant, par exemple, le secrétariat ou l’établissement des factures.
31 Certains préfèrent l’expression de semi‑transparence.
32 Cette limitation ne concerne cependant pas les conjoints mariés sous un régime exclusif de communauté ou les conjoints de sociétés soumises à l’impôt sur les sociétés.
33 Voir la brochure OEA, http://www.douane.gouv.fr/articles/a10837-l-operateur-economique-agree-oea
34 O. Layec, OEA et dématérialisation : une opportunité pour les entreprises, www.wcoomd.org
35 Ceci est rendu possible par le fait que la procédure normale présente un aspect monolithique : le dédouanement est acquis avec la déclaration en détail qui est précédé d’une déclaration sommaire. L’enlèvement de la marchandise est permis dès acceptation de la déclaration en détail par l’administration et paiement des droits. En revanche, la procédure de déclaration simplifiée scinde l’obligation de déclaration en deux temps (déclaration simplifiée) puis déclaration complémentaire de régularisation qui entraîne le paiement des droits et fait office de déclaration en détail (art 166 et 167 CDU). L’enlèvement de la marchandise sera possible avec le dépôt de la déclaration simplifiée, avant le paiement des droits.
36 Dans ce cas, l’OEA n’a même pas à déposer de déclaration simplifiée mais l’administration douanière aura accès aux écritures informatiques.
37 Tel est le cas d’un opérateur économique dont le siège de son activité se situe à Toulouse et qui réalise une opération d’importation ou d’exportation de marchandises situées à Marseille. Le bureau de déclaration sera donc celui de Toulouse et le bureau de présentation (entrée ou sortie) celui de Marseille. Grâce à la procédure de dédouanement centralisé national, l’opérateur économique dédouanera la marchandise à Toulouse.
Auteur
Maître de conférences en droit public
Doyen de la Faculté d'Administration et Communication
IRDEIC, Centre d'excellence Jean Monnet Europe Capitole
Université Toulouse 1 Capitole
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