Les mesures purement gracieuses
p. 51-63
Texte intégral
1Le droit administratif français reconnaît à l’Administration le pouvoir d’accorder à un administré ou à l’un de ses agents un avantage à titre gracieux. C’est ce qui résulte de l’existence en droit administratif de la catégorie des mesures gracieuses. En effet, ces mesures, qui semblent, comme on le verra, devoir être regardées comme légales, sont celles par lesquelles l’Administration accorde à une personne un avantage auquel cette dernière n’a pas droit.
2Contrairement à ce que l’on pourrait assez spontanément être porté à imaginer, cette catégorie n’est pas une catégorie dont l’occurrence en droit administratif serait rare. Comme l’écrit J.-M. Woehrling, la jurisprudence relative aux mesures gracieuses, qui est ancienne, est “régulièrement appliquée”1. Toutefois, ce courant jurisprudentiel “certain” est “relativement discret”, selon l’observation du commissaire du gouvernement Rougevin-Baville2. Son étude par la doctrine, tout au moins d’une manière développée, est ainsi récente. Et, c’est surtout à partir des années 1990 que celle-ci a accordé son attention à ces mesures3.
3Mais toutes les mesures gracieuses ne sont pas soumises à un même régime juridique. Il est ainsi communément admis que certaines mesures gracieuses peuvent être contestées devant le juge administratif alors que d’autres mesures gracieuses sont soustraites à tout recours juridictionnel. Dans son cours de Contentieux administratif, le président Odent a ainsi observé que le principe est qu’une “décision purement gracieuse, c’est-à-dire qui tout à la fois est discrétionnaire et accorde une faveur qu’aucun texte ne prévoit, ni n’organise n’est pas au nombre de celles dont le bien-fondé peut être discuté devant le juge administratif […], il en est autrement lorsqu’il s’agit de faveurs qu’un texte prévoit ou pour lesquelles une procédure est organisée […]”4. Et, il semble en effet que cette distinction entre les mesures gracieuses qu’aucun texte ne prévoit et celles qui sont prévues par un texte soit nécessaire pour rendre compte d’un état du droit dont la cohérence est en cette matière encore plus que dans d’autres fragile et cela même si le critère de distinction de ces deux catégories peut ne pas apparaître intellectuellement très satisfaisant5. Le régime juridique des mesures gracieuses prévues par un texte étant sensiblement distinct de celui des mesures gracieuses qu’aucun texte ne prévoit, il nous semble possible de considérer qu’il existe deux catégories de mesures gracieuses, les mesures purement gracieuses6 et les mesures que nous proposons d’appeler les mesures simplement gracieuses7. Seules ces mesures purement gracieuses vont retenir notre attention. Les mesures purement gracieuses sont des mesures qui apparaissent au vu de leurs éléments d’identification (I) comme nettement atypiques. Ce caractère atypique des mesures purement gracieuses connaît une traduction dans leur régime juridique qui est tel que ces mesures font figure de véritables mesures d’exception (II).
I – IDENTIFICATION DES MESURES PUREMENT GRACIEUSES
4Comme toute mesure gracieuse, les mesures purement gracieuses sont celles par lesquelles l’administration accorde à une personne un avantage auquel celle-ci n’a pas droit. Mais la mesure ne peut être dite purement gracieuse que si l’avantage qu’elle octroie n’est prévu par aucun texte.
A – Des mesures conférant un avantage
5Les mesures purement gracieuses sont tout d’abord des mesures qui ont des objets divers mais qui toutes procurent un avantage à leur destinataire. Il a souvent été observé que les objets des mesures gracieuses sont d’une extrême variété. Le professeur Gonod écrit ainsi qu’une mesure gracieuse “peut être accordée dans n’importe quel domaine, dans le cadre de toute activité administrative…”8. “Tout au plus, poursuit cet auteur, les solutions jurisprudentielles permettent de procéder à une énumération qui ne peut être qu’indicative et met en évidence l’hétérogénéité de ces mesures”9. Et il est vrai que si la liste de l’ensemble des objets des mesures qualifiées de purement gracieuses était dressée, l’énumération de ces objets ne manquerait sans doute pas de produire cette perplexité (ou cet enchantement) qui naît du “voisinage soudain des choses sans rapport”10.
6Une manifestation particulièrement frappante de l’hétérogénéité des objets des mesures purement gracieuses tient dans la circonstance que ces mesures ignorent la summa divisio du patrimonial et du non patrimonial. Une mesure purement gracieuse peut en effet avoir indifféremment un objet à valeur patrimoniale et un objet à valeur non patrimoniale. Une mesure purement gracieuse peut ainsi avoir pour objet l’attribution d’un secours financier accordé par un département à un administré11 ou l’attribution d’une allocation forfaitaire et viagère à certains nationaux algériens12. L’objet de la mesure purement gracieuse peut également consister dans le transfert de propriété d’une chose à valeur patrimoniale ou le bénéfice d’un service ayant une telle valeur : l’attribution de cadeaux aux enfants des agents de l’administration ou le bénéfice de services de secrétariat par exemple13. Mais, une mesure purement gracieuse peut aussi avoir un objet dont il est difficile de considérer qu’il revêt un caractère patrimonial dans la mesure où cet avantage ne pourrait pas légalement être obtenu contre un prix. C’est le cas par exemple d’une mesure permettant à une personne de se présenter à un concours dont elle ne remplit pas les conditions d’accès14 ou acceptant une candidature à un colloque15.
7Mais aussi variés que soient les objets des mesures purement gracieuses, ils trouvent une unité dans la notion d’avantage. Ainsi, pour être qualifiées de mesures purement gracieuses, et plus généralement d’ailleurs de mesures gracieuses, une mesure doit être avantageuse à son destinataire16. Il ressort de ce que nous venons de dire que cet avantage n’est pas nécessairement économique. Tout ce qui améliore la situation du destinataire de la mesure est susceptible de constituer un avantage. Et c’est au juge qu’il appartient de déterminer ce qui améliore ou non la situation du destinataire de la mesure litigieuse17.
8Une mesure de l’administration conférant un avantage à un tiers ne peut toutefois constituer une mesure purement gracieuse que si cet avantage est le produit de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire et n’est prévu par aucun texte.
B – Un avantage qui n’est prévu par aucun texte
9Les mesures gracieuses, et donc les mesures purement gracieuses, sont toujours l’expression d’un pouvoir discrétionnaire. Ainsi, le juge administratif ne retient cette qualification que dans l’hypothèse où aucune norme juridique n’imposait l’attribution de l’avantage litigieux. Le cas échéant ce n’est donc qu’après s’être livré à une analyse du droit en vigueur et après avoir conclu que la mesure en débat n’était imposée par aucune norme juridique que le juge retient la qualification de mesure gracieuse18.
10Mais pour qu’une mesure soit qualifiée de purement gracieuse, il ne suffit pas qu’elle soit l’expression d’un pouvoir discrétionnaire, il faut qu’elle ne soit prévue par aucun texte ou par aucun texte législatif ou réglementaire selon les formules les plus couramment utilisées dans la jurisprudence19. Plusieurs hypothèses d’avantages non prévus par un texte peuvent se présenter et méritent d’être distinguées. Il est en effet des hypothèses où l’administration confère, à un administré ou à un agent, un avantage dans le silence des textes ou extra legem. C’est semble-t-il le cas, par exemple, lorsque l’administration distribue à ses agents des cadeaux au moment des fêtes de noël20 ou lorsque l’administration prévoit que des organisations syndicales pourront disposer de trois “secrétaires permanents”, mesures dont le Conseil d’Etat précise qu’elles s’ajoutent à celles prévues par un décret21.
11Il est aussi des situations plus problématiques où l’administration semble avoir octroyé un avantage contra legem. Il faut toutefois immédiatement observer à cet égard qu’apprécier si un avantage est conféré dans le silence de la loi, extra legem ou contra legem ne va pas sans soulever de difficultés et dépend naturellement de l’interprétation que l’on fait des textes applicables au litige (ainsi d’ailleurs que de la situation de fait)22. Ces réserves étant faites, l’analyse de la jurisprudence révèle qu’il est arrivé au juge de qualifier de purement gracieuses des mesures octroyant un avantage dans des situations où, conformément aux traditions interprétatives, les textes en vigueur semblaient bien interdire l’octroi d’un tel avantage. Semble, par exemple, constituer une telle situation celle où, d’une part, il existe un texte pouvant être interprété comme prévoyant qu’un avantage ne peut être octroyé que si certaines conditions sont remplies et où, d’autre part, l’administration octroie un tel avantage alors que ne sont pas remplies les conditions prévues par le texte. Une telle hypothèse paraît être rencontrée lorsque l’administration autorise une personne à se présenter à un concours alors que cette personne ne remplit pas les conditions de candidature à ce concours23.
12Il est d’ailleurs fréquemment reconnu par la doctrine (même si cette dernière pourrait évoluer, comme on va le voir, à la suite d’un arrêt du 17 juillet 200924) que les mesures purement gracieuses peuvent être des mesures octroyant un avantage contra legem. C’est ainsi que le rapporteur public, Isabelle de Silva, n’hésite pas à affirmer : “Nous pensons que la décision par laquelle l’administration décide délibérément de passer outre à une condition formellement posée par un texte (qu’il s’agisse d’une règle de délai ou d’une condition de fond), dans un sens favorable au requérant […] doit être considérée comme une mesure gracieuse”25 Toutefois, dans l’arrêt du 17 juillet 2009 rendu sur ces conclusions d’Isabelle de Silva (et qui ne les a pas entièrement suivies), le Conseil d’Etat paraît avoir décidé de redéfinir la notion de mesure purement gracieuse en restreignant son domaine.
13En effet, dans cet arrêt le Conseil d’Etat a refusé la qualification de mesure purement gracieuse à une attestation de demande d’inscription au tableau régional de l’ordre des architectes en qualité d’agréé d’architecture alors que le délai prévu pour la formulation de cette demande par l’article 37 de la loi no 77-2 du 3 janvier 1977 était expiré. La question posée au Conseil d’Etat était alors de savoir si cette décision de l’administration, qui avait au demeurant été annulée définitivement à la suite d’un recours exercé par un tiers, constituait une mesure purement gracieuse. A cette question et contrairement aux conclusions de son rapporteur public, le Conseil d’Etat a répondu par la négative considérant que, dans les circonstances de l’espèce, l’autorité administrative n’avait pas pris une mesure non prévue par un texte mais avait fait application de dispositions de manière illégale de sorte que la qualification de mesure purement gracieuse ne pouvait être retenue. Il semble résulter de cet arrêt que les avantages conférés par l’administration contra legem ne peuvent plus désormais être qualifiés de mesures purement gracieuses. Pour le Conseil d’Etat, l’administration ne saurait en effet être regardée comme ayant adopté une mesure purement gracieuse lorsque, faisant application de la loi, elle en méconnaît les prescriptions. Mais cet arrêt ne résout pas (au moins explicitement) toutes les difficultés et notamment celle relative à la question de savoir si l’administration a la liberté de décider d’agir hors du cadre défini par les textes.
14Compte tenu de leurs éléments d’identification, les mesures purement gracieuses peuvent-elles être regardées comme des dons ? Une réponse positive à cette question bousculerait certainement un peu nos habitudes de pensée (même s’il est déjà arrivé que certains auteurs rapprochent mesure gracieuse et don26). Elle ne serait toutefois pas dénuée de justification. Encore faut-il immédiatement noter que cela n’aurait sans doute guère de sens de tenter d’assimiler les mesures purement gracieuses à des catégories juridiques positives comme celles des donations (ou plus généralement des libéralités). Les mesures purement gracieuses ne sont pas des donations. En revanche, telles qu’elles sont définies et organisées par le droit, il peut être soutenu que donations et mesures purement gracieuses27 présentent une économie commune qui pourrait justifier leur incorporation dans une “méta” catégorie du don. Les mesures purement gracieuses sont en effet des mesures par lesquelles l’administration décide spontanément d’avantager autrui. Normalement, les actes administratifs sont toujours réalisés dans un but d’intérêt général et s’ils peuvent avantager une personne en particulier (par exemple dans l’hypothèse d’une subvention), c’est à la condition que le but réellement recherché par l’auteur de l’acte soit la réalisation de l’intérêt général. D’une manière atypique, avec les mesures gracieuses, l’intérêt général ne joue absolument aucun rôle opératoire28. De sorte que l’on est autorisé à affirmer que les mesures purement gracieuses sont des mesures prises par l’administration dans l’intention d’avantager autrui. Et l’on peut considérer qu’il y a dans la libre volonté d’avantager autrui un élément commun aux mesures purement gracieuses et aux donations qui permet de placer ces deux catégories sous le signe du don. L’existence des mesures purement gracieuses montre ainsi que le don n’est peut-être pas devenu complètement étranger aux personnes publiques. Il constitue toutefois une anormalité. Les mesures gracieuses sont ainsi des mesures d’exception.
II – DES MESURES D’EXCEPTION
15Bien que l’état du droit soit en cette matière assez difficile à déchiffrer, il semble que la légalité des mesures purement gracieuses soit reconnue en droit positif. Légales, ces mesures sont toutefois soumises à un régime juridique atypique.
A – Des mesures légales
16Même si les mesures purement gracieuses semblent heurter dans la plupart des situations plusieurs principes fondamentaux du droit public au premier rang desquels figure le principe d’égalité29, il semble que, pour le juge administratif, les mesures purement gracieuses soient légales. Il faut reconnaître que cette hypothèse n’est pas celle que l’on envisage immédiatement lorsqu’on commence à s’intéresser à la question des mesures purement gracieuses. Au contraire, une idée venant rapidement à l’esprit est que les mesures purement gracieuses ne sont que des illégalités favorables à leurs destinataires, de sorte que ceux-ci ne pourraient pas les contester, contester les décisions les refusant et peut-être même plus généralement les invoquer. Le juge ne relèverait ainsi le caractère gracieux d’une mesure que pour rejeter le recours la contestant, contestant la décision la refusant ou le recours fondé sur elle (dans l’hypothèse par exemple d’une action en responsabilité tendant à la réparation des conséquences dommageables d’une telle mesure). L’interprétation de la jurisprudence par le rapporteur public Isabelle de Silva dans ses conclusions sous l’arrêt déjà cité du 17 juillet 2009 n’est pas très éloignée de cette hypothèse : “L’intérêt essentiel de la “mesure gracieuse” est de limiter les possibilités pour les bénéficiaires, de les contester ou d’y prétendre”, écrit-elle ainsi30. Toutefois aussi autorisée que soit cette analyse, elle ne paraît pas conforme à l’état du droit31.
17Il semble en effet résulter de la jurisprudence que les mesures purement gracieuses sont des mesures légales32. Evidemment, le régime juridique des mesures purement gracieuses33 est tel que le juge n’est jamais amené à affirmer le caractère légal d’une mesure purement gracieuse autrement que de manière incidente. On ne trouve ainsi pas d’arrêt où le juge rejette au fond un recours formé contre une mesure purement gracieuse après avoir constaté la légalité de cette mesure. Mais force est d’avouer que si la position du juge était que ces mesures sont illégales, leur régime juridique (d’origine exclusivement jurisprudentielle) ne serait guère approprié puisque les mesures purement gracieuses bénéficient de ce qu’un auteur a appelé une “immunité juridictionnelle”34, de telle sorte qu’aucune voie de droit n’est ouverte permettant de faire constater leur illégalité. En outre, dans plusieurs décisions, la motivation adoptée par le juge est telle que celui-ci semble reconnaître incidemment la légalité de ces mesures. C’est ce qui ressort par exemple de la motivation d’un arrêt du 27 juillet 1984, Essaka, où le Conseil d’Etat énonce : “si le ministre de l’éducation nationale peut, par mesure gracieuse, autoriser des étrangers à participer aux épreuves de ces concours, le refus d’une telle autorisation n’est pas susceptible d’être déféré au juge de l’excès de pouvoir”35. En adoptant une telle motivation, le Conseil d’Etat semble bien admettre que l’administration peut légalement prendre des mesures purement gracieuses.
18Si les mesures purement gracieuses semblent légales, elles sont toutefois soumises à un régime juridique fortement atypique.
B – Un régime juridique atypique
19En premier lieu, comme cela a déjà été observé à plusieurs reprises, la légalité des mesures purement gracieuses ne peut être contestée par la voie contentieuse36. Tout d’abord, le recours formé par le bénéficiaire d’une telle mesure est jugé irrecevable37. Ensuite, le recours des tiers contestant la légalité d’une mesure purement gracieuse ne semble pas plus admis38. En troisième lieu, les décisions refusant une mesure purement gracieuse ne peuvent non plus faire l’objet d’un recours contentieux39.
20Ensuite, les effets juridiques de ces mesures purement gracieuses ne sont pas ceux qu’elles devraient normalement avoir compte tenu de leurs caractéristiques. Les mesures purement gracieuses sont des actes par lesquels l’administration décide d’octroyer un avantage à un administré. Pour cette raison, certains auteurs ont considéré qu’il s’agissait d’actes normatifs. Il paraît pourtant difficile de considérer qu’en droit positif ce caractère leur soit reconnu. En effet, les destinataires d’une mesure purement gracieuse ne peuvent pas en demander le bénéfice40. Une mesure gracieuse ne peut par ailleurs être invoquée au soutien d’une demande contestant la légalité d’une décision administrative41. Enfin, les mesures purement gracieuses peuvent être abrogées ou même retirées dès lors que ces mesures ne créent pas de droits acquis42. Un élément extrêmement frappant ressort ainsi de l’état du droit : celui de l’anéantissement des effets que de telles mesures devraient normalement produire43. C’est pourquoi le Traité des recours en matière administrative44 classe les mesures gracieuses parmi les actes inopérants, actes qui ne peuvent produire des effets de droit.
21On constate ainsi que les mesures purement gracieuses ne produisent pas les effets habituels des actes présentant leurs caractéristiques. Ces mesures semblent incluses dans l’ordre légal (encore une fois il semble qu’en droit positif leur légalité soit reconnue). Mais leurs effets sont tels qu’elles en paraissent exclues. Cette incorporation dans l’ordre légal sur le mode de l’inclusion et de l’exclusion caractérise l’exception : “Etre en dehors tout en appartenant : telle est la structure topologique de l’état d’exception”45, écrit Giorgio Agamben. On comprend donc qu’il ait fréquemment été observé que les mesures purement gracieuses sont à l’abri du droit46. Et c’est précisément à la marge du droit que s’inscrivent souvent les rapports de don.
Notes de bas de page
1 J.-M. Woehrling, “Mesures gracieuses : le regrettable maintien d’un archaïsme. A propos de l’arrêt du Conseil d’Etat Denance”, DA 2007, no 11, Etude 17, p. 16, no 2.
2 Conclusions sous CE, 1er juillet 1974, Société anonyme “Aratro” citées dans une note sous cet arrêt signée JMG et parue à l’AJDA 1976, p. 567.
3 C’est en effet en 1993 que paraît dans la Revue du droit public, un long article de P. Gonod consacré aux mesures gracieuses (P. Gonod, “Les mesures gracieuses dans la jurisprudence du Conseil d’Etat”, RDP 1993, p. 1351 s ; v. aussi avant cette date L. Richer, “L’action administrative bénévole”, in L. Richer (dir.) L’activité désintéressée, réalité ou fiction juridique, Paris, Economica, 1983, p. 123 s). Quelques années plus tard, une thèse ayant pour objet “la mesure gracieuse” a été soutenue à l’université de Toulouse par Mme Jebeili (C. Jebeili, La mesure gracieuse en droit administratif français, th. Toulouse 1, 1996). Avant ces travaux, les mesures gracieuses n étaient pas ignorées de la doctrine mais les développements doctrinaux qui l’avaient pour objet étaient toujours assez concis (v., par exemple, R. Odent, Contentieux administratif, Paris Dalloz, 2007, vol. I, p. 777).
4 R. Odent, Contentieux administratif, Paris, Dalloz, 2007, vol. I, p. 777.
5 En effet, certaines distinctions dont la jurisprudence garde encore la trace tendent désormais à être regardées comme sans pertinence, et cela sans doute notamment en raison de la prédominance de la représentation de l’ordre juridique comme système de normes, représentation qui, d’une part, tend à faire disparaître l’idée d’une différence de nature entre les différentes “sources” du droit (ce qui explique par exemple que la conception du principe de légalité qui prévaut désormais est cette conception “nouvelle” selon laquelle le principe de légalité signifie que l’administration est soumise “aux règles de droit qui s’imposent à elle” à laquelle Eisenmann reprochait d’être tautologique – Ch. Eisenmann, Cours de droit administratif, Paris, LGDJ, 1982, T. I, p. 461) et, d’autre part, rend difficile la croyance en un vide normatif. Est à cet égard significative la critique adressée par M. Woehrling à la distinction jurisprudentielle entre mesures gracieuses prévues par un texte et mesures gracieuses non prévues par un texte : “[…] du point de vue du droit, il n’existe pas de lacune juridique. Une action de l’Administration, qu’elle soit de caractère gracieux ou non, est nécessairement subordonnée au principe de légalité de l’action administrative : elle est légalement possible ou elle est illégale. […] Si la mesure est légalement possible, elle a été implicitement prévue par le droit applicable et elle n’est donc pas prise “hors du droit” ; à défaut, elle est illégale et ne saurait être prise même à titre gracieux” (J. M. Woehrling, “Mesures gracieuses : le maintien regrettable d’un archaïsme…” précité, no 16).
6 L’expression “mesure purement gracieuse” est utilisée par la jurisprudence, même s’il n’est pas rare qu’une mesure purement gracieuse soit simplement désignée par l’expression “mesure gracieuse”. Le vocabulaire devrait toutefois se fixer dès lors qu’il ressort d’un arrêt du 17 juillet 2009 du Conseil d’Etat (no 303874, Rec. tab. p. 880, AJDA 2009, p. 2365) que le juge de cassation exerce un contrôle de qualification juridique sur la notion de mesure purement gracieuse.
7 Les mesures simplement gracieuses ainsi que les décisions de l’administration refusant de prendre de telles mesures peuvent faire l’objet d’un recours devant le juge administratif. Et les censures de ces décisions ne sont pas des hypothèses d’école. V., par exemple, un arrêt du Conseil d’Etat qui censure pour erreur manifeste d’appréciation la décision n’ayant accordé qu’une remise de 30 % de la dette d’un administré “alors qu’il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que l’intéressée dont les ressources sont très faibles se trouvait à la date de sa décision dans l’incapacité même de rembourser sa dette” (CE, 12 mars 2003, no 235489 ; v. aussi, par exemple, CE, 29 mars 2002, M. et Mme Cardon, no 225770 ; CE, 26 janvier 1990, M. Grainville, no 102737 ; CAA Paris, 31 décembre 2003, no 99PA02887, pour une analyse plus précise de cette jurisprudence, nous nous permettons de renvoyer à notre thèse Le don en droit, Université Paris II, 2006, no 36 s).
Les mesures simplement gracieuses sont aussi, à la différence des mesures purement gracieuses, créatrices de droit (CE, 24 janvier 1962, Sieur Chiesa, Rec. p. 53 ; CE, 24 octobre 2001, no 211813).
8 P. Gonod, “Les mesures gracieuses…” précité, p. 1355.
9 Ibid.
10 M. Foucault, Les mots et les choses, archéologie des sciences humaines, Paris, Gallimard, p. 8. Dans la préface, M. Foucault écrit en effet : “On sait ce qu’il y a de déconcertant dans la proximité des extrêmes ou tout bonnement dans le voisinage soudain des choses sans rapport ; l’énumération qui les entrechoque possède à elle seule un pouvoir d’enchantement”.
11 CE, 6 mai 1985, Loudac, DA 1985, no 261.
12 CE, 30 avril 1986, Mme Madgig Nourredine, DA 1986, no 279.
13 CE, 4 novembre 1992, Ghirardi, no 132962 et CE, 7 juillet 1993, Syndicat CGT du personnel de l’hôpital Dupuytren, no 101415.
14 CE, 27 juillet 1984, Essaka, DA 1984, no 376.
15 CAA Versailles, 12 juillet 2006, no 04VE03509.
16 V. en ce sens, par exemple, P. Gonod, “Les mesures gracieuses…” précité, p. 1355 (cf. R. Odent qui écrit que la mesure gracieuse constitue une “faveur”, R. Odent, Contentieux administratif, Paris, Dalloz, 2007, vol. I, p. 777).
17 V., par exemple, CAA Lyon, 20 février 1998, M. Lacouture, no 95LY01624.
18 Le Conseil d’Etat a ainsi, dans une décision du 25 novembre 2003, Président de l’assemblée de la Polynésie française (T. Rec., p. 928), qualifié de mesure gracieuse la décision de la présidente de l’assemblée territoriale de la Polynésie française de mettre à la disposition d’un membre de cette assemblée souffrant de cécité, un auxiliaire de vie pour l’aider à exercer son mandat après avoir constaté “qu’aucune disposition n’impose à l’assemblée territoriale de la Polynésie française l’obligation de mettre à la disposition de ses élus qui souffrent d’un handicap une personne destinée à les aider à exercer leur mandat”.
19 Il faut noter qu’un texte dénué de valeur normative est assimilé par le juge à une absence de texte (v. par exemple, CE, 9 juin 1995, Konate, no 140519).
20 CE, 4 novembre 1992, Ghirardi, no 132962.
21 CE, 7 juillet 1993, Syndicat CGT du personnel de l’hôpital Dupuytren, no 101415.
22 Cf., les observations faites par Ch. Perelman (“Le problème des lacunes en droit essai de synthèse”, inCh. Perelman (dir.), Le problème des lacunes en droit, Bruxelles, E. Bruylant, 1968) relatives aux lacunes praeter legem et aux lacunes contra legem, lequel observe : “Notons, par ailleurs, que si la lacune résulte du silence de la loi, ce silence est constaté après l’interprétation de la loi, et ceci dans le contexte, à la fois des autres règles juridiques et de la situation de fait” (p. 544). Un peu plus loin, il observe encore : “C’est dans la mesure où il y a désaccord quant à l’interprétation de la loi, qu’il y aura aussi, bien souvent, désaccord sur le fait que la lacune constatée est praeter ou contra legem […]” (op. cit., p. 545).
23 Comme nous l’avons déjà vu, a été qualifiée de mesure gracieuse une mesure ayant pour objet d’autoriser des personnes étrangères à concourir pour le CAPES alors que la nationalité française est requise pour se présenter à ces concours (CE, 23 juillet 1984, Essaka, DA 1984, no 376).
24 V. note 6.
25 AJDA 2009 p. 2364.
26 V. par exemple, J. M. Woehrling, “Mesures gracieuses…” précité, no 25.
27 Ce qui est dit ici des mesures purement gracieuses pourrait être transposé aux mesures simplement gracieuses.
28 Non seulement l’intérêt général n’est pas un élément d’identification de la catégorie, mais il n’est pas non plus une condition de sa légalité. La mesure gracieuse se distingue ainsi nettement de la subvention qui “est causée par l'intérêt général” (Y. Gaudemet, “Qu'est-ce qu'une subvention publique”, RJEP, 2011, Repère 8).
29 Les mesures purement gracieuses paraissent pouvoir heurter d’autres principes comme celui de la protection des deniers publics dans l’hypothèse où la mesure purement gracieuse a un objet pécuniaire. Heurtant des principes fondamentaux du droit public, les mesures purement gracieuses ont souvent soulevé des critiques. V. parmi d’autres, C. Jebeili, La mesure gracieuse en droit administratif français, th. Toulouse I, 1996, p. 15 : “L’immunité juridictionnelle qui caractérise la grande majorité des mesures gracieuses ne satisfait pas aux exigences de ce qu’il est convenu d’appeler l’état de droit”.
30 AJDA 2009, p. 2364.
31 Mais le Conseil d’Etat dans l’arrêt du 17 juillet 2009 n’a pas entièrement suivi son rapporteur public.
32 La doctrine semble aussi plutôt admettre cette légalité des mesures gracieuses. Il faut toutefois immédiatement observer que dans l’ensemble, les auteurs ne se prononcent pas directement sur cette question. V. cependant J.-M. Whoerling qui écrit : “le concept de mesure gracieuse tel qu’il ressort de la jurisprudence actuelle implique que l’Administration puisse distribuer […], sans règle et sans contrôle, des “facilités” ou des libéralités” (J.-M. Woehrling, “Mesures gracieuses… précité”, no 25). L. Richer est lui plus nuancé qui écrit que les mesures gracieuses se situent “à la limite de la légalité ; elles sont anormales” (L. Richer, “L’action administrative bénévole”, in L’action désintéressée,… précité, p. 129).
33 Comme nous l’avons déjà relevé, les mesures purement gracieuses ne sont pas susceptibles de recours.
34 P. Gonod, “Les mesures gracieuses…” précité, p. 1367 s.
35 Dans une autre affaire tranchée par le Conseil d’Etat dans un arrêt du 21 mai 2003 (no 229664), le Conseil d’Etat après avoir relevé qu’un texte, l’article L. 58 du code des pensions civiles et militaires, ne prévoyait aucune procédure de relève d’une décision de suspensions a énoncé qu’alors “seule une mesure purement gracieuse peut décider d’une relève pour ces derniers cas”.
36 Il faut réserver l’hypothèse d’une jurisprudence spécifique au droit des étrangers. Certaines mesures purement gracieuses (comme celles délivrant un titre de séjour) intervenant dans cette matière sont en effet prises sous le contrôle du juge (CE avis, 14 mai 1995, Mme Tazir, D. 1997, Somm., p. 38). Et les décisions refusant une telle mesure peuvent être contestées devant le juge (v., par exemple, CE 12 janvier 2005, Préfet de police, no 245017 ; CE, 28 juillet 2004, no 263927).
37 CE, 4 novembre 1987, Bouchta, no 80501 ; CE, 22 janvier 1982, Mme Rosset no 16894 ; CE, 26 octobre 1979, M. Arnaud, Rec. tab. p. 769, 777.
38 V. en ce sens, CE, 13 mars 1998, MRAP, no 110841 ; CE, 7 juillet 1993, syndicat CGT du personnel de l’hôpital Dupuytren, no 101415, CE, 16 mai 1980, Chevry, no 12670, Rec. p. 227. Il arrive toutefois qu’il soit affirmé que les tiers sont susceptibles de former un recours contre une mesure purement gracieuse. Tel est le cas du rapporteur public de Silva dans ses conclusions précitées (AJDA 2009, p. 2363) mais le seul arrêt auquel elle se réfère (CE 27 mars 1987, Ville de Tarbes c/ Mlle Di Constanzo, no 41468, Rec. p. 111) semble, malgré tout difficilement pouvoir être interprété en ce sens.
Il faut enfin noter que d’autres illustrations de l’immunité juridictionnelle des mesures gracieuses pourraient être données (v. sur ce point par exemple, les conclusions d’I. de Silva sous l’arrêt du 17 juillet 2009, AJDA 2009, p. 2363).
39 CE, 7 mai 2010, no 327341 ; CE, 3 juin 1994, no 154976, M. Gallego, RDP 1995, p. 543 ; CE, 3 février 1993, no 142640 ; CE, 4 novembre 1992, Ghirardi, no 132962 ; CE, 30 avril 1986, Mme Magdid Nourredine, DA 1986, no 279 ; CE, 27 juillet 1984, M. Essaka, no 34045, DA 1984, no 376 ; CE, 29 octobre 1971, Sieur Chougab Rabah, Rec. p. 646.
40 CE, 24 juillet 1981, M. Letailleur et autres, Tab. rec. p. 590 et 916 ; CE, 29 juillet 1983, M. Vidal, no 40644.
41 CE, 23 novembre 1994, Mme Lamort, no 100862 ; CAA Lyon, 20 octobre 1993, M. Moretti, no 91LY00330 ; CE, 9 mars 1962, Sieur Douzans, Rec. p. 159.
42 Ce point est parfois contesté en doctrine. Mais la jurisprudence semble aller en ce sens : v. par exemple, CAA Versailles, 12 juillet 2006, no 04VE03509 ; CE, 10 mai 1996, M. Gastinaux, no 128157 ; CE, 29 juin 1956 Vve Bidard, Rec. p. 273. Parmi les décisions citées en sens contraire certaines paraisent relatives aux mesures simplement gracieuses (CE, 23 mars 1956, Teulières, Rec. p. 140). Il est vrai que dans la décision du 3 mars 1967, Sté Behr Manning et société des abrasifs Norton, no 66406, Rec. p. 105, le Conseil d’Etat a semblé considérer qu’une mesure purement gracieuse était créatrice de droit. Toutefois, dans l’hypothèse considérée la qualification de mesure purement gracieuse nous semble problématique (sur ce point nous nous permettons de renvoyer aux développements que nous avons consacrés à cette question dans notre thèse, Le don en droit, th. Université Paris II, 2006, no 308 s). Il faut en outre relever que la décision du Conseil d’Etat du 17 juillet 2009, peut être lue comme ayant reconnu, a contrario, le caractère non créateur de droit des mesures purement gracieuses. En effet dans cette décision, le Conseil d’Etat a énoncé : “considérant […] que le ministre, en procédant ainsi, n’a pas pris à l’égard de M. A une mesure qui n’était prévue par aucun texte, mais lui a fait application des dispositions rappelées ci-dessus de la loi du 3 janvier 1977 ; qu’ainsi […] il a pris au bénéfice de l’intéressé une décision administrative créatrice de droits, susceptible d’engager la responsabilité de l’Etat en cas d’illégalité ; que, par suite, la cour administrative d’appel a inexactement qualifié cette décision en l’analysant comme une mesure purement gracieuse”.
43 Il est donc difficile de considérer que les mesures purement gracieuses “constituent une manifestation de volonté émanant d’une autorité administrative en vue de produire des effets de droit” (P. Gonod, “Les mesures gracieuses...” précité, p. 1367) à moins de considérer que cette volonté est inefficace.
44 J.-M. Auby et R. Drago, Traité des recours en matière administrative, Paris, Litec, 1992, no 144.
45 G. Agamben, Etat d’exception, Paris, Seuil, 2003, p. 61.
46 V. en ce sens, par exemple S. Daël, Contentieux administratif, Paris, PUF, 3ème éd., 2010, p. 99.
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La loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations…
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Sébastien Saunier (dir.)
2011