Les patrimoines affectés en droit chinois
p. 125-137
Texte intégral
INTRODUCTION
1Pour parler des patrimoines affectés en droit chinois, il faut distinguer la doctrine et la pratique. Sur le plan doctrinal, il n’existe pas de théorie relative aux patrimoines affectés. D’abord, la notion de patrimoine elle-même est inexistante en droit chinois. Dans le langage juridique, le droit chinois a du mal à distinguer le patrimoine et les biens, la propriété ou la chose comme objets du droit ; sur le plan théorique, le droit chinois n’admet pas que le patrimoine comporte les éléments du passif. Deux raisons expliquent la position du droit chinois : premièrement, l’influence des droits civils japonais et allemand sur le droit civil chinois au début du XXe siècle. Du coup, la notion subjective de patrimoine n’a jamais pu exporter ses impacts dans la pensée juridique chinoise ; deuxièmement, le pragmatisme du droit chinois et la législation tardive en matière de droit des biens n’ont pas nourri un contexte favorable à la formation d’un corpus juris, bien structuré et cohérent. Autrement dit, le droit positif chinois n’a pas bâti un fondement solide pour la formation d’une théorie personnaliste du patrimoine. Comme la notion de patrimoine, celle d’affectation n’est jamais formellement débattue par la doctrine.
2Certes, sur le plan pratique, le désintérêt doctrinal à l’égard des patrimoines affectés n’empêche pas l’existence des règles de droit qui traduisent en effet la notion d’affectation. On peut donc dans un premier temps, recenser ces règles soit législatives soit réglementaires afin de faire une synthèse sur la position du droit chinois quant aux patrimoines affectés (I). Force est de constater que bien que les différents systèmes de droit utilisent parfois les mêmes expressions juridiques, leur contenu n’est pourtant pas tout à fait identique. Ainsi en est-il de la fiducie à l’égard de la notion d’affectation des patrimoines. Il faudrait donc souligner la particularité de la fiducie en droit chinois (II) par rapport au droit français qui l’a récemment acceptée dans le Code civil.
I – LES RÈGLES DE DROIT AYANT L’EFFET D’AFFECTATION
3En Chine, certaines règles de droit semblent implicitement isoler une masse de biens du patrimoine général, tel est le cas prévu par la loi 1999 sur l’entreprise unipersonnelle à responsabilité illimitée1 (A). D’autres explicitement affectent les patrimoines à but propre et précis, c’est le cas de la donation philanthropique ou ayant pour but l’intérêt public (B).
A – La division (relative) du patrimoine dans le cas de l’entreprise unipersonnelle
4La loi 1999 sur l’entreprise unipersonnelle prévoit un statut autonome des biens de l’entreprise par rapport aux biens privés de l’entrepreneur (1), d’où la division du patrimoine. Mais, cette division est relativisée au cas où les biens de l’entreprise ne suffisent pas à payer les créanciers (2).
1) Le statut autonome des biens de l’entreprise
5L’article 8 de la loi 1999 précise les conditions de création de l’entreprise unipersonnelle parmi lesquelles se trouve la déclaration faite par l’entrepreneur des biens investis à l’entreprise. Cette modalité de déclaration peut servir de démarcation entre biens privés et biens professionnels. L’article 10 précise le contenu de la demande d’établissement de l’entreprise unipersonnelle déposée par l’entreprise auprès de l’administration compétente. Cette demande doit comporter, entre autres, le montant de l’investissement et les composantes de celui-ci. Cela confirme l’isolement des biens professionnels. Les biens de l’entreprise unipersonnelle ne se limitent pas aux biens privés de l’entrepreneur, car l’article 18 prévoit la possibilité pour l’entrepreneur de déclarer les biens indivis de la famille comme faisant partie des biens de l’entreprise lors de l’enregistrement de l’entreprise.
6Quant aux règles procédurales, la loi sur les procédures civiles permet à l’entreprise unipersonnelle d’agir en justice pour réclamer ses créances à l’encontre des débiteurs, bien que l’entreprise n’ait pas la personnalité morale.
2) La relativité de la division
7La distinction entre biens professionnels et biens privés de l’entrepreneur est relativisée par la responsabilité illimitée de l’entrepreneur : d’abord, en vertu de l’article 28 de la loi 1999, l’entrepreneur demeure responsable pendant 5 ans des dettes de l’entreprise après la dissolution de celle-ci. En d’autres termes, les créanciers sont obligés de réclamer leurs créances avant l’échéance de ce délai de 5 ans. Ensuite, l’article 31 de la loi 1999 réaffirme que les biens privés de l’entrepreneur peuvent être saisis par les créanciers de l’entreprise pour les dettes impayées au cas où les biens de l’entreprise ne sont pas suffisants. L’interprétation de ces règles relatives à la responsabilité personnelle de l’entrepreneur peut se heurter à des difficultés, par exemple, dans le cas du transfert d’entreprise d’un entrepreneur à l’autre : qui serait responsable des dettes de l’entreprise, l’entrepreneur-cédant, le repreneur, ou conjointement, en fonction de quoi pour différencier les solutions ? L’incertitude de la réponse à cette question pose le problème de sécurité juridique à la transaction.
8La loi 1999 permet à l’entrepreneur d’investir dans l’entreprise unipersonnelle les biens indivis de la famille, en faisant une déclaration spéciale qui précise les biens indivis de la famille apportés à l’entreprise au moment de l’enregistrement de celle-ci. Dans la pratique, il s’agit notamment des biens communs des conjoints. L’article 18 de la loi prévoit qu’en ce cas, les biens communs des conjoints assument la responsabilité illimitée pour les dettes de l’entreprise. Or, certaines règles relatives aux régimes communautaires peuvent être incohérentes avec les règles juridiques relatives aux biens de l’entreprise unipersonnelle. Ainsi en est-il, de l’article 11, paragraphe 1er de la deuxième interprétation judiciaire (de la cour suprême) de la loi sur le mariage qui précise que les revenus issus des biens individuels de l’un des conjoints appartiennent en commun aux deux conjoints. Cette interprétation pourrait signifier que les richesses issues des biens de l’entreprise unipersonnelle ne reviennent pas au patrimoine de celle-ci. Mais, peut-être faut-il la réinterpréter comme ne s’appliquant qu’en cas de la division des biens communs, c’est-à-dire, au moment du divorce.
B – L’affectation des patrimoines à but philanthropique ou d’intérêt public
9L’affectation des patrimoines est plus explicitement visée par la donation pour un but d’intérêt public (1) et par la gestion des biens des fondations (2).
1) La donation pour un but d’intérêt public
10La loi de 1999 sur la donation pour un but d’intérêt public prévoit dans son article 5 le principe selon lequel l’usage de biens faisant l’objet du don est assujetti à la volonté du donateur, conformément au but d’intérêt public, le détournement pour d’autres utilités étant interdit. L’effectivité de l’affectation des patrimoines est assurée par plusieurs dispositions. D’abord, l’article 7 de la loi de 1999 définit les patrimoines faisant l’objet d’une donation et les valeurs dérivées comme “biens publics sociaux”, au lieu de les reconnaître comme propriété des organisations et entités qui reçoivent le don. L’objectif de cette formulation est de restreindre les prérogatives du propriétaire de ces biens. Selon l’article 10 de la loi de 1999, seules les organisations sociales reconnues d’intérêt public et les entités non-lucratives reconnues d’intérêt public peuvent recevoir des dons. La limite de leurs capacités civiles a pour effet d’encadrer l’usage des biens affectés. Ensuite, l’affectation se fonde aussi sur la convention du don : l’article 12 de la loi permet au donateur de préciser dans la convention l’utilisation des biens affectés et ses modalités ; l’article 13 permet au donateur, par le biais des clauses de la convention de donner des instructions sur l’usage des fonds pour les travaux de construction d’intérêt public. Troisièmement, la loi de 1999 consacre son chapitre 3 à la gestion et à l’utilisation des biens affectés. Les restrictions pesant sur les organisations sociales et des entités comportent, entre autres, le consentement préalable du donateur en cas de modification des usages prédéterminés, l’enquête du donateur sur l’utilisation des patrimoines, la transparence et la publication des activités, la limitation sur les dépenses et les salaires du personnel etc. Force est de constater que l’effectivité de l’affectation des patrimoines dans le cas de donation dépend dans une large mesure des dispositifs de contrôle et de surveillance. Les scandales récents relevant de l’abus des biens affectés par certaines organisations sociales et entités à but non-lucratif (par ex., la Société chinoise de la Croix-Rouge)2 remettent en cause l’effectivité pratique de l’application des règles de droit relatives à l’affectation des patrimoines.
2) La gestion des patrimoines des fondations
11En 2004, le gouvernement central chinois a adopté le Règlement d’administration des fondations (ci-après le Règlement 2004). En l’état actuel, ce règlement administratif constitue la source juridique principale concernant la réglementation des activités des fondations. Le Règlement 2004 définit la fondation comme la personne morale à but non lucratif, reconnue d’intérêt public, dont le patrimoine est créé par la donation de personnes physiques, morales ou d’organisations sociales. Les fondations peuvent être “ouvertes” ou “fermées” selon qu’elles reçoivent ou non les donations de personnes indéterminées. Le Ministère des affaires civiles et ses offices locaux sont les organes qui administrent les activités des fondations. Les conditions de l’établissement d’une fondation sont prévues par le Règlement 2004 : ces conditions comportent notamment le montant minimum du fonds initial3. Les clauses statutaires de la fondation doivent préciser les buts d’intérêt public, les mentions sur les bénéficiaires déterminés étant prohibées4.
12Un chapitre IV du Règlement est consacré à la gestion des patrimoines de la fondation : l’article 27 précise que l’utilisation des patrimoines de la fondation est subordonnée à l’étendue de ses activités, conformément à son objectif ; l’utilisation des dons doit respecter le but indiqué par la convention de don ; la fondation peut vendre les dons si l’utilisation directe de ces derniers au but de la donation devient impossible, les revenus de la vente devant être soumis à la réalisation du but de la donation. Dans le but de s’assurer que les patrimoines affectés sont raisonnablement utilisés au but d’intérêt public, l’article 29 exige que les dépenses annuelles pour le but d’intérêt public par la fondation “ouverte” ne doivent pas être inférieures à 70 % de ses revenus de l’an précédent ; pour la fondation “fermée”, ce ratio minimum est de 8 % du solde du fonds de l’an précédent ; les salaires et les frais de gestion ne doivent pas dépasser 10 % de la totalité des dépenses annuelles de la fondation. On observe que la limitation de l’utilisation des biens affectés peut s’étendre aux bénéficiaires. Car l’article 31 prévoit la possibilité pour la fondation de conclure l’accord individuel de parrainage avec le bénéficiaire, en stipulant le moyen et le montant de l’offre de parrainage, ainsi que l’utilisation des fonds parrainés et ses modalités. La fondation a le droit de surveiller l’utilisation du fonds parrainé et la prérogative de résilier unilatéralement l’accord de parrainage en cas de violation par le bénéficiaire. Il en résulte que dans la relation triangulaire donateur, fondation et bénéficiaire, la fondation occupe la position dominante, ce qui distingue le régime chinois de fondation de la figure de fiducie et de trust en common law dans lesquels le constituant a plus de poids par rapport au fiduciaire à l’égard du bénéficiaire.
II – LA PARTICULARITÉ DE LA FIDUCIE OU DU TRUST EN DROIT CHINOIS
13La Chine a promulgué la loi sur la fiducie en 2001. Depuis lors, la fiducie est formellement reconnue en droit chinois, la substance de celle-ci ressemblant au trust de common law davantage qu’à la fiducie en droit français. D’ailleurs, il faut souligner qu’en Chine, l’expression trust ou fiducie comporte deux pratiques différentes et donc deux régimes juridiques : il s’agit d’un côté du trust ou de la fiducie au sens propre, à savoir le modèle de la constitution d’un patrimoine affecté par le contrat de fiducie ; d’un autre côté, d’un modèle de l’investissement financier mené par les “sociétés fiduciaires”, souvent par l’émission des titres. La loi de 2001 ne s’applique qu’à la fiducie au sens propre qui comporte la fiducie civile, la fiducie d’affaires et la fiducie pour but d’intérêt public5 ; le trust d’investissement financier est soumis à un régime particulier de réglementation6, principalement de droit bancaire. Ici, on examine le modèle chinois de création du patrimoine affecté par la fiducie (A) et la garantie de l’affectation du patrimoine (B).
A – La création du patrimoine affecté
14Pour la fiducie au sens propre, la loi chinoise de 2001 prévoit les modes de constitution (1) et les acteurs de l’opération fiduciaire (2) : ils sont les deux éléments fondamentaux pour la création du patrimoine affecté.
1) Les modes de constitution
15Le contrat de fiducie n’est pas l’unique moyen de constitution de la fiducie. En effet, la loi de 2001 dispose que la constitution de l’opération fiduciaire se fonde sur la forme écrite, y compris le contrat de fiducie, le testament, ainsi que d’autres actes prévus par les lois et règlements. On observe qu’au contraire du droit français, la fiducie-libéralité est admise en droit chinois ; d’ailleurs, l’acte unilatéral peut aussi fonder la fiducie. Dans ce dernier cas, la fiducie est constituée au moment où le fiduciaire exprime son consentement7. L’acte constitutif écrit de la fiducie comporte les mentions obligatoires que sont le but d’affectation, les constituant(s) et fiduciaire(s), le bénéficiaire ou l’étendue des bénéficiaires, le patrimoine fiduciaire, la forme et la modalité d’appropriation des bénéfices par le bénéficiaire. L’acte constitutif peut par ailleurs indiquer la durée de la fiducie, le mode de gestion du patrimoine fiduciaire, la compensation du fiduciaire, le changement de fiduciaire et les cas d’extinction de la fiducie. Selon la doctrine chinoise, la loi de 1999 sur les contrats prévoit dans son chapitre 22 les dispositions relatives au contrat de fiducie ; cependant, le contrat de fiducie n’est pas considéré comme identique au trust de common law8.
16Quant au transfert de propriété, la loi de 2001 exige que les biens et les droits patrimoniaux faisant l’objet d’affectation doivent être déterminables et la propriété légale du constituant. Les biens dont la transmission est interdite par les lois et règlements ne peuvent pas constituer le patrimoine fiduciaire9. Selon la formulation de la loi chinoise, la cession d’éléments de passif par le biais de la fiducie n’est pas envisageable. Une incertitude peut survenir dans la pratique : contrairement à l’article 2011 du code civil français qui prévoit la transmission d’un ensemble des biens, de droits ou de sûretés, le droit chinois n’est pas clair sur la possibilité de transférer un ensemble de biens pour constituer le patrimoine affecté.
17Quant à la cause du transfert, la loi de 2001 ne le précise pas en disposant simplement que le fiduciaire peut “gérer ou disposer” des patrimoines “au profit du bénéficiaire ou pour les buts déterminés”10. La loi de 2001 dispose des règles spéciales relatives à la fiducie pour les buts d’intérêt public.
18À la différence du droit français, le droit chinois ne limite pas la durée de la fiducie, ni l’enregistrement de l’acte constitutif, y compris le contrat de fiducie. Seulement, la loi de 2001 dispose qu’au cas où l’enregistrement des biens affectés est obligatoire selon les lois et règlements, la fiducie n’est valable qu’après avoir enregistré ces biens11. Ce sont notamment les immeubles dont la mutation exige la modification des données auprès du registre12.
19La loi de 2001 énumère dans son article 11 les cas où la fiducie est nulle : l’objet de la fiducie viole les lois et règlements ou porte atteinte aux intérêts généraux de la société ; le patrimoine fiduciaire est indéterminable ; les biens affectés sont illégaux ou sont interdits à constituer la fiducie par la loi ; la fiducie a pour seul objet d’intenter le litige ou de poursuivre le débiteur ; le bénéficiaire ou l’étendue des bénéficiaires est indéterminable ; etc. Une question reste ouverte à savoir si la fiducie-sûreté est admise ou non en droit chinois. En effet, la loi de 2007 sur les droits réels consacre un chapitre spécial aux sûretés réelles ; elle est le droit commun des biens. Or, la loi de 2007 ne prévoit pas la fiducie-sûreté. D’ailleurs, aux termes du principe de légalité affirmé par la loi de 2007 – il s’agit en effet de la notion de numerus clausus des droits réels –, la possibilité pour les personnes d’établir la nouvelle nature de propriété par l’accord privé semble être exclue. Faut-il que la Chine modifie sa loi de 2007, comme la France qui a modifié les dispositions du Code civil relatives à la sûreté, pour admettre officiellement la fiducie-sûreté ? Jusqu’au présent, la question n’est pas encore bien considérée ni par l’organe législatif ni par la doctrine.
20Selon l’article 53 de la loi de 2001, l’extinction de la fiducie survient selon les indications de l’acte constitutif, ou lorsque l’existence de la fiducie contredit son objet, l’objet de la fiducie est réalisé, ou l’objet de la fiducie devient irréalisable, la fiducie prend également sa fin par le consensus des parties, par la révocation et l’annulation. La révocation survient dans les cas suivants : le constituant ou ses héritiers peut révoquer la fiducie quand le constituant devient le seul bénéficiaire13 ; le constituant peut révoquer la fiducie en cas de la violation grave de ses droits par le bénéficiaire, ou par l’accord du bénéficiaire ou selon les mentions de l’acte constitutif14. Enfin, le créancier du constituant peut demander l’annulation de la fiducie en vertu des dispositions de la loi de 200115.
2) Les acteurs de l’opération fiduciaire
21À la différence du droit français où les conditions d’accès aux qualités de constituant, de fiduciaire et par conséquent de bénéficiaire sont imposées pour des considérations fiscales ou à cause des règles impératives des successions16, les acteurs de l’opération fiduciaire sont plus larges en droit chinois. Pour le constituant, les personnes physiques et morales, ainsi que les autres entités n’ayant pas de personnalité morale peuvent constituer la fiducie. La qualité de fiduciaire est en principe ouverte à tous, personnes physiques ayant pleine capacité civile et personnes morales, sauf les exceptions prévues par les lois et règlements17. C’est notamment le cas de la fiducie pour l’intérêt public à laquelle un chapitre 6 de la loi de 2001 est spécialement consacré. Le droit chinois ne prévoit d’ailleurs pas le contrôle du fiduciaire par un mécanisme d’agrément ou de déclaration, ni la soumission des activités du fiduciaire au contrôle par une autorité administrative, sauf le cas prévu par l’article 4, c-à-d, le cas de “sociétés fiduciaires” qui mènent les activités d’investissement financier. Le bénéficiaire peut être le constituant lui-même ou le fiduciaire ou un tiers, toutefois, la loi chinoise interdit que le fiduciaire soit le seul bénéficiaire d’une fiducie18.
B – La garantie de l’affectation du patrimoine
22La loi de 2001 dispose des règles définissant le statut juridique du patrimoine fiduciaire (1) et celles encadrant les activités du fiduciaire (2). Ces règles ont pour vocation de garantir l’affectation du patrimoine constitué par la fiducie.
1) Le statut juridique du patrimoine fiduciaire
23Tout d’abord, la distinction entre “ legal ownership/propriété juridique” et “ equitable ownership/propriété économique” n’est pas reconnue en droit chinois. Au lieu de donner une définition formelle du patrimoine fiduciaire, plusieurs dispositions de la loi de 2001 précisent son statut juridique : l’article 15 énonce que le patrimoine fiduciaire doit être séparé des autres biens non-affectés du constituant ; l’article 16 dispose de la séparation entre le patrimoine fiduciaire et le patrimoine personnel du fiduciaire ; au cas où le fiduciaire est décédé ou dissous, révoqué ou en faillite, le patrimoine fiduciaire ne fait pas partie de l’héritage du fiduciaire ou la procédure de liquidation du fiduciaire n’affecte pas le patrimoine fiduciaire19. En revanche, l’article 17 énumère les exceptions où le patrimoine fiduciaire peut être saisi par voie d’exécution : il s’agit de la saisie par le titulaire des créances garanties au cas où la sûreté a été constituée sur les biens affectés avant l’entrée en vigueur de la fiducie ; la saisie par le titulaire des créances de gestion du patrimoine fiduciaire ; la saisie par l’organe fiscal pour les charges fiscales du patrimoine fiduciaire ; les lois et règlements peuvent prévoir d’autres possibilités de la saisie du patrimoine fiduciaire. L’article 18 interdit la compensation des dettes suscitées par les biens personnels du fiduciaire par les créances résultant de la gestion et de la disposition du patrimoine fiduciaire ; dans le cas où le fiduciaire gère plusieurs patrimoines fiduciaires, la compensation des créances et dettes relevant des différents patrimoines fiduciaires est interdite.
24Une disposition spéciale qui peut rendre nulle l’affectation du patrimoine est l’annulation de la fiducie : si la fiducie porte atteinte aux intérêts du créancier du constituant, le titulaire des créances peut demander la nullité de la fiducie devant la justice20. L’annulation de la fiducie ne remet pas en cause les bénéfices déjà procurés par le bénéficiaire de bonne foi ; le droit d’annulation doit s’exercer dans le délai d’un an à compter de la date où le créancier sait ou aurait dû savoir la cause d’annulation. Cette disposition constitue la base de l’action paulienne du créancier21. A priori, l’annulation de la fiducie par le créancier du constituant, telle qu’elle est prévue par l’article 12 de la loi de 2001, ressemble à l’article 2025, aliéna 1er du Code civil français. Mais, il faut toutefois nuancer l’effet de la saisie du patrimoine fiduciaire par le créancier et la nullité de la fiducie : en effet, sur ce point, la loi chinoise semble excessivement rigoureuse au regard du droit français.
25Contrairement au droit français, notamment au regard de l’article 2025, alinéas 2 et 3, le droit chinois n’envisage pas l’extension du gage fiduciaire, tout en insistant sur la stricte corrélation actif-passif fiduciaire22. En vue de mieux protéger les créanciers fiduciaires, la solution du droit français peut être une bonne référence. Or, le souci principal en Chine est d’éviter la complicité entre le fiduciaire et le créancier fiduciaire au détriment du constituant, d’autant plus que pour le constituant, le contrôle sur les activités du fiduciaire n’est pas toujours efficace.
2) L’encadrement des activités du fiduciaire
26L’article 29 de la loi de 2001 impose au fiduciaire l’obligation de reddition de comptes, dont l’objectif est de distinguer la gestion et la disposition du patrimoine fiduciaire celle des biens personnels. Toutefois, la loi chinoise ne comporte pas de dispositions relatives aux relations entre le fiduciaire et le tiers. Les pouvoirs du fiduciaire et leur limitation, tels que prévus par les articles 2021 et 2023 du code civil français, ne trouvent pas leur correspondance en droit chinois. Cela signifie qu’en Chine le régime du mandat n’a aucune incidence sur les activités du fiduciaire dans l’exécution de sa mission. D’ailleurs, la mission de surveillance du tiers selon l’article 2017 du code civil français ne s’applique qu’aux fiducies pour intérêt public en droit chinois23.
27Par contre, la loi chinoise envisage des solutions à l’égard de la mauvaise exécution du contrat de fiducie, ce qui a pour effet d’encadrer les activités du fiduciaire : d’une part, au cas où le fiduciaire gère le patrimoine fiduciaire pour ses intérêts personnels – ou l’abus de la fiducie –, les revenus s’assimilent au patrimoine fiduciaire24 ; d’autre part, le fiduciaire a la responsabilité de compenser les pertes du patrimoine fiduciaire en raison de la violation de ses missions25. Mais, la loi de 2001 précise que la responsabilité de compensation s’engage à l’égard du patrimoine fiduciaire, c’est-à-dire que le fiduciaire n’est responsable que vis-à-vis du constituant.
28Enfin, le constituant et le bénéficiaire se voient reconnaître un pouvoir de contrôle sur les activités du fiduciaire : outre la possibilité de révocation de la fiducie par le constituant, la loi de 2001 précise que le constituant et le bénéficiaire peuvent consulter le compte et d’autres documents du fiduciaire relatifs à l’exécution de sa mission26 ; ils peuvent demander au fiduciaire de modifier le mode de gestion du patrimoine fiduciaire27 ; ils peuvent s’adresser au juge pour demander l’annulation des actes de gestion ou de disposition, ce droit d’annulation s’exerce dans le délai d’un an à compter de la date où le constituant ou le bénéficiaire sait ou aurait dû savoir l’acte susceptible d’être annulé, ce droit d’annulation est opposable au tiers qui est conscient du fait de la violation de la mission du fiduciaire28 ; ils peuvent remplacer le fiduciaire de leur propre initiative si l’acte constitutif le prévoit ou demander la décision de justice sur le changement de fiduciaire29. La divergence entre le constituant et le bénéficiaire dans l’exercice desdits pouvoirs peut être tranchée par la décision de justice30. Il semble qu’en ce qui concerne le contrôle des activités du fiduciaire le droit chinois est plus libéral que le droit français31. Or, en Chine, l’instrument juridique de la fiducie n’est pas beaucoup appliqué dans la pratique, sauf dans le cas d’investissement financier : le manque d’intérêt s’explique, entre autres, par la faible confiance sur la bonne exécution de sa mission par le fiduciaire. En conséquence, il serait opportun pour le droit chinois d’ajuster sa législation en renforçant les mesures de surveillance afin d’assurer la fiabilité de la fiducie. La proposition de renforcer la surveillance vise également les activités d’investissement financier menées par les sociétés fiduciaires.
CONCLUSION
29Les expériences du droit chinois en matière d’affectation du patrimoine démontre que l’enjeu du patrimoine affecté consiste en un juste équilibre des intérêts des parties prenantes : en cas d’entreprise unipersonnelle, c’est l’équilibre entre l’entrepreneur et les créanciers ; en cas de donation et de fondation, c’est l’équilibre entre le donateur et le receveur du don ; en cas de fiducie, c’est l’équilibre plus compliqué entre le constituant, le fiduciaire, leurs créanciers, et le bénéficiaire. On ne peut atteindre à ce juste équilibre des intérêts des parties prenantes que par l’organisation raisonnable de leurs prérogatives, obligations et responsabilités respectives. Il n’existe pas de règle universelle de l’organisation, car la réalité concrète varie d’un pays à l’autre. Bâtir un régime juridique plus solide sur les patrimoines affectés n’est pas ressenti comme la priorité. Cela s’explique par la flexibilité du droit chinois. Ce dernier est souvent en quête des solutions au cas par cas pour répondre aux besoins réels de la société. Or, le risque de ce pragmatisme est l’incohérence des règles de droit, cause principale de l’insécurité juridique. Partant de l’expérience de la Chine, il faut en outre souligner que l’effectivité de la notion juridique d’affectation, comme celle de fiducie, dépend dans une large mesure du bon fonctionnement des mécanismes d’application du droit. Les aléas dans la mise en œuvre des dispositions juridiques consacrées à la notion d’affection peuvent sévèrement ébranler la confiance sur les patrimoines affectés et, par conséquent, embarrasser les recours à l’opération d’affecter.
Notes de bas de page
1 La loi chinoise sur les sociétés dont la dernière modification est datée en 2005 comporte les dispositions relatives à la société unipersonnelle à responsabilité limitée. En conséquence, le droit chinois distingue deux régimes juridiques en ce qui concerne l’entreprise unipersonnelle, à savoir, celle ayant personnalité morale (en vertu de la loi sur les sociétés) et celle sans personnalité morale (selon la loi 1999 sur l’entreprise unipersonnelle).
2 V. Raymond Li, “Executive quits over Red Cross row girlfriend”, reportage disponible sur le site http://topics.scmp.com/news/china-business-watch/article/Executive-quitsover-Red-Cross-row-girlfriend, 5 juillet 2011.
3 Précisément, 8 millions de Yuans pour la fondation “ouverte” à l’échelle étatique ; 4 millions de Yuans pour la fondation “ouverte” à l’échelle locale ; 2 millions Yuans pour la fondation “fermée”.
4 V. l’article 10 du Règlement 2004.
5 V. l’article 3 de la loi de 2001.
6 V. l’article 4 de la loi de 2001.
7 V. l’article 8 de la loi de 2001.
8 V. Jianyuan Cui, Droit des contrats (合同法), 5e édition, China Law Press, 2010, p. 519.
9 V. l’article 14 de la loi de 2001.
10 V. l’article 2 de la loi de 2001, il s’agit en effet d’une définition de la fiducie.
11 V. l’article 19 de la loi de 2001.
12 V. l’article 9 de la loi sur les droits réels, entrée en vigueur le 1er octobre 2007.
13 V. l’article 50 de la loi de 2001.
14 V. l’article 51 de la loi de 2001.
15 V. infra.
16 Cf. l’article 2015 du Code civil français.
17 V. l’article 24 de la loi de 2001.
18 V. l’article 43 de la loi de 2001.
19 Cf., l’article 2024 du Code civil français.
20 Le droit d’annulation est prévu par l’article 12 de la loi de 2001.
21 Sur l’action paulienne en droit chinois, v., le 3e Avis d’interprétation judiciaire de la loi sur les contrats, publié par la Cour suprême populaire en 2009.
22 V. l’article 37 de la loi de 2001.
23 V. les articles 64, 65 de la loi de 2001.
24 V. l’article 26 de la loi de 2001.
25 V. les articles 27, 28 de la loi de 2001.
26 V. l’article 20 de la loi de 2001.
27 V. l’article 21 de la loi de 2001.
28 V. l’article 22 de la loi de 2001.
29 V. l’article 23 de la loi de 2001.
30 V. l’article 49 de la loi de 2001.
31 V. Céline Kuhn, “Une fiducie française”, Droit et Patrimoine, 2007, no 158, pp. 32-44 ; aussi, Michel Grimaldi, “L’introduction de la fiducie en droit français”, Revue de Droit Henri Capitant, 2011, no 2.
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