Avant-propos
p. 5-8
Texte intégral
1L’année 2014 fut celle de la tourmente pour les professions réglementées1, une tourmente qui s’annonçait déjà depuis quelques années.
En 2008, le rapport ATTALI2 préconisait3 d’ « ouvrir très largement les professions réglementées ». En 2012, le rapport GALLOIS4 dénonçait « Le fonctionnement défectueux du marché des services – marqué par le poids des professions réglementées – ... ». Le rapport de l’Inspection Générale des Services de 20135, rendu public en 2014 confirmait la critique adressée aux professions réglementées (les plus anciennes et donc apparemment les plus solidement établies n’étant pas épargnées, telle celle des huissiers de justice qui sut survivre à la Révolution française6). Se plaçant sur un plan strictement économique et analysant trente-sept professions réglementées, le rapport dénonçait « des niveaux élevés de rentabilité de revenus et des évolutions qui ne trouvent, dans certains, pas d’autre explication que la réglementation en vigueur »7 et il soulignait un déficit de concurrence qui appelait soit des assouplissements, soit des suppressions de réglementation8. Étaient ainsi visés les monopoles d’activités9, les tarifs réglementés10, les autorisations d’installation11, les exigences minimales de qualification12, les restrictions à l’accès au capital des structures d’exercice à des investisseurs tiers13 et les restrictions à la liberté de formation14. Le rapport soulignait que sa démarche s’inscrivait dans la droite ligne d’interrogations anciennes et d’attentes actuelles au plan européen15.
2La traduction législative de tous ces rapports fut la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques dite loi MACRON16 .
Trois ans après, quel regard peut-on porter sur les professions réglementées ? Quels en sont désormais les enjeux et les perspectives juridiques ? L’ouvrage réunit les réflexions de plusieurs auteurs pour tenter d’apporter quelques éléments de réponse. L’apport doctrinal apparaît alors tant par des études transversales que par des recherches se concentrant sur certaines professions réglementées présentant un intérêt spécifique. La multitude des professions réglementées et la diversité des règles suscitent en effet des problématiques juridiques variées.
3Vient immédiatement à l’esprit la question de la persistance des monopoles d’activités et ainsi l’enjeu concurrentiel. Cette question fait l’objet d’une analyse dans le domaine des opérations de crédit à travers la contribution de Th. PUECH. La réflexion se prolonge et se complexifie avec l’innovation sous l’angle des plateformes numériques, nécessitant de s’interroger sur la nécessité d’une réglementation dans ce qui est désormais qualifié de « disruption », investiguée par les contributions de C. CASTETS-RENARD, Y. FERNANDEZ et I. DESBARAT. De même, l’accélération des innovations technologiques invite à une prise de conscience des différents acteurs et à de nouvelles interrogations, en particulier en ce qui concerne les professions juridiques (S. TORRICELLI‑CHRIFI).
4Ensuite, il importait de s’intéresser aux modes d’exercices des professions réglementées. La pertinence de la forme coopérative pour les professions libérales est ainsi interrogée par C. MAS‑BELLISSENT, de même que l’est le secret interprofessionnel dans la perspective de la société pluri-professionnelle d’exercice (SPE), par l’étude de C. SERLOOTEN.
Pour autant, une telle réflexion ne peut se concevoir sans une analyse se plaçant du point de vue européen, tant par une étude globale par O.‑A. MACOVEI, que par une analyse ciblée sur une profession particulière, en l’occurrence, les professionnels de santé, par N. DE GROVE-VALDEYRON.
5Enfin, à contre-courant, le besoin de réglementation cède parfois la place à une sur-réglementation problématique due à la superposition des normes applicables au secteur concerné. Cette difficulté est illustrée dans le secteur des activités sportives par G. SINGER et S. RAPHA. Parfois, au contraire, il est ressenti comme un facteur positif de reconnaissance, comme dans le cas des médecines non conventionnelles (H. SIMONIAN-GINESTE).
Les contributions réunies dans cet ouvrage, par les propositions formulées ou simplement par les nouvelles questions suscitées, ne manqueront pas d’enrichir le renouvellement permanent de la réflexion engagée sur les professions réglementées.
Notes de bas de page
1 Quelques exemples des turbulences dans le secteur particulier des professions judiciaires J M. BABONNEAU « entre grèves et négociations », Dalloz actualité, 15 septembre 2014 ; J. MUCCHIELLI, « Réforme des professions réglementées les huissiers de justice crient leur colère », Dalloz actualité, 16 septembre 2014 ; M. BABONNEAU « Réforme des professions réglementées le Conseil national des barreaux appelle à la grève le 30 septembre », Dalloz actualité, 25 septembre 2014 ; A. PORTMANN, « Professions réglementées l’UNAPL présente son rapport anti-réforme », 10 novembre 2014 ; Chr. JAMIN, « Le dilemme des avocats (et des professions juridiques réglementées) se réformer ou disparaître », Dalloz avocats 2014, 391, 30 décembre 2014.
2 J. ATTALI (dir.), Rapport de la Commission de la libération de la croissance française, XO éd./DF, 2008 ;
http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/084000041.pdf
3 Décision fondamentale 14.
4 Rapport GALLOIS, Pacte pour la compétitivité de l’industrie française, Rapport au Premier ministre, 5 novembre 2012, p. 11,
http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/124000591.pdf
5 Rapport de l’Inspection générale des services, n° 2013 M 057 03, mars 2013, https://www.economie.gouv.fr/files/files/PDF/2012-M-057-03-Tome1-pr.pdf
6 Sur les offices et leur survie après la Révolution française, voir D. ANEX CABANIS, « La pérennité des offices entre pérennité et survie ballade au-delà du miroir », in La (dis) continuité en Droit, H. SIMONIAN-GINESTE (dir.), Colloque annuel de l’IFR, Presses de l’Université Toulouse 1 Capitole, coll. IFR Actes de colloques, 2014, p. 53-61.
7 Rapport précité, tome 1, p. 1.
8 Ibidem, p. 2.
9 Pour certaines de leurs tâches et activités, les pharmaciens, notaires, greffiers des tribunaux de commerce, huissiers, mandataires judiciaires professionnels du droit, ibidem.
10 Pour leur déficit d’orientation vers les coûts réels d’exploitation, ibidem.
11 Le principe même d’une autorisation était remis en cause puisque le principe inverse d’une liberté d’installation était préconisé avec toutefois un droit d’opposition motivé des pouvoirs publics, ibidem.
12 Pour les secteurs de la santé et certains métiers du bâtiment, le rapport envisageait un allègement des exigences de qualification pour étendre les possibilités d’activité et de tâches, ibidem.
13 Le rapport envisage l’option consistant à poser un principe de liberté d’investissement assorti d’un renforcement des prérogatives des ordres professionnels en matière de contrôle déontologique et de contrôle, ibidem, p. 3.
14 Pour les professions de santé, il s’agirait de la suppression du numerus clausus, ibidem, p. 3.
15 Au titre des « interrogations », le rapport cite le Livre blanc de la Commission européenne sur les professions libérales de 2004, la directive sur « la reconnaissance des qualifications professionnelles » de 2005, la directive « services » de 2006. Au titre des pressions communautaires, il cite la jurisprudence communautaire imposant de revenir sur certaines restrictions en matière de libertés de prestation de service, d’installation, capitalistique, de publicité et d’équivalence des qualifications, le « paquet services » de juin 2012 et la préparation de la révision de la directive sur les qualifications professionnelles, les avis formels du Conseil de l’Union européenne sur les programmes de stabilité transmis par la France qui demandent « un examen horizontal et systématique des barrières à l’entrée et des comportements restrictifs qui subsistent dans les professions réglementées afin d’apprécier leur nécessité et leur proportionnalité », ibidem, p. 3.En matière de libertés de prestation de service, d’installation, capitalistique, de publicité et d’équivalence des qualifications, le « paquet services » de juin 2012 et la préparation de la révision de la directive sur les qualifications professionnelles, les avis formels du Conseil de l’Union européenne sur les programmes de stabilité transmis par la France qui demandent « un examen horizontal et systématique des barrières à l’entrée et des comportements restrictifs qui subsistent dans les professions réglementées afin d’apprécier leur nécessité et leur proportionnalité », ibidem, p. 3-4.
16 JO du 7 août, p. 13537.
Auteurs
Maître de conférences HDR, Université Toulouse 1 Capitole,
Institut Maurice Hauriou (IMH)
Maître de conférences, Université Toulouse 1 Capitole,
Institut de Droit Privé (IDP)
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