Débats
p. 87-97
Texte intégral
1Nonna MAYER : Merci pour ces réactions et ces questions. Il faut remettre ces débats autour du mandat impératif dans leur contexte historique. Nous avons connu exactement les mêmes qu’aux États-Unis en France, lors de la Révolution de 1789. Alors est-ce que les États-Unis sont une « société de défiance » ou une société qui croit aux contrepoids, aux checks and balances ? Ce n’est pas tout à fait pareil. La théorie des checks and balances est peut-être une manifestation de défiance, mais elle contient en plus l’idée chère à MONTESQUIEU (De l’esprit des lois, IX, VI) que « Tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser ».
2Wanda MASTOR : En effet, les pères fondateurs citent souvent MONTESQUIEU dans Le Fédéraliste !
3Nonna MAYER : Les notions de représentation, de mandat et de checks and balances sont liées. Qui va le mieux me représenter ? Quelqu’un de semblable, qui me ressemble ? Ou quelqu’un de compétent ? Quel pouvoir lui déléguer ? Les réponses diffèrent selon le type de régime. Dans un régime présidentiel de séparation des pouvoirs comme aux États-Unis, le Congrès et le Président se contrôlent mutuellement. Dans un régime parlementaire il y a collaboration des pouvoirs, le chef de l’Exécutif est le chef de la majorité parlementaire. En ce qui concerne les deux questions que vous m’avez posées, je me garderais bien de proposer des recettes. Comment faire pour redonner de la confiance politique aux citoyens, au peuple ? Il y a différents niveaux. Au niveau individuel déjà il y a des personnes qui de par leur éducation, de leur socialisation familiale, vont développer une plus grande confiance en autrui que d’autres. Au niveau de la société, il y a des milieux notamment le milieu associatif où se crée ce que le sociologue Robert PUTNAM (Bowling Alone, Simon and Shuster, 2000) a appelé du « capital social », soit des relations interpersonnelles fondées sur des normes de confiance et de réciprocité. Son modèle est un peu simplificateur, mais recréer du lien social au niveau local n’est pas une si mauvaise idée, c’est la base du lien politique. Il y a le niveau économique. Si le gouvernement réussissait à réduire le chômage, qui est la première préoccupation des Français, cela aiderait à rétablir la confiance. Le sentiment que les gouvernements sont impuissants à résoudre les problèmes quotidiens, que la politique ne se décide plus au niveau national mais au niveau européen ou international, est devenu majoritaire. Et puis, il y a les hommes et les femmes qui gouvernent, et les doutes sur leur probité. La corruption politique a toujours existé. Mais sa perception, et l’attention prêtée aux « affaires », varient selon les époques (voir Pierre LASCOUMES, Favoritisme et corruption à la française. Petits arrangements avec la probité, Presses de Sciences Po, 2010). À partir des années 1990 en France, le sentiment que « les élus, les dirigeants politiques sont plutôt corrompus » a connu une hausse brutale, passant de 38% en 1977 à 42% en 1987 et 55% en 1990. Rétablir la confiance politique suppose transparence, respect de l’éthique et lutte active contre la corruption.
4En ce qui concerne la deuxième question relative aux votes MACRON et LE PEN, le problème est que la politique ne se réduit pas à la question de la confiance. En politique, très souvent, on ne vote pas « pour » mais « contre ». Les électeurs d’Emmanuel MACRON ne se sont pas nécessairement « jetés dans ses bras » en faisant « un pari sur l’inconnu ». Non, le problème était beaucoup plus prosaïque, surtout au second tour où il affrontait la candidate du Front national. Les termes de la question étaient pour beaucoup d’électeurs: « tout, sauf elle », choisissant de soutenir le candidat de La république en marche sans être nécessairement d’accord avec lui, mais pour barrer la route à Marine LE PEN.
5Wanda MASTOR : Ma question concernait le premier tour en fait.
6Nonna MAYER : Même au premier tour, où le choix était large et les écarts entre candidats beaucoup plus faibles. Voter n’est pas nécessairement le saut dans l’inconnu. Le choix électoral renvoie à des motivations, différentes d’un électeur à l’autres : on vote contre les immigrés, contre l’Europe, pour la défense de l’environnement, contre le Mariage pour tous, etc. Chaque élection est unique, elle se joue sur les candidates et les candidats en présence, et sur des enjeux spécifiques. Dans ce cas précis, en 2017, l’enjeu européen, surtout au second tour, a été décisif, avant même le rejet du président sortant ou le charisme de MACRON. Les macronistes en majorité ont voté pour développer la coopération européenne, les lepénistes pour en sortir.
7Wanda MASTOR : C’est donc aussi un vote de défiance ?
8Nonna MAYER : De sanction d’abord, et puis l’idée du « tout sauf… ». En politique il y a un moment où ce qui compte d’abord c’est déterminer son adversaire, le danger numéro un. C’est pareil au moment de voter. Aux débuts du suffrage universel, en France, le vote avait une dimension religieuse, sacrée. On allait parfois voter en procession avec les prêtres et le châtelain en tête. Alors vous êtes peut-être l’une des dernières à voir dans le vote un acte religieux !
9Wanda MASTOR : La représentation est si importante en droit. En particulier aux États-Unis où elle irrigue toutes les branches du droit. Le jury populaire, par exemple, doit embrasser deux idéaux : l’idéal universaliste et l’idéal représentatif. D’où l’importance d’avoir en son sein un Noir, une femme, un juif, un catholique, un Latino, etc. En ce qui concerne les checks and balances, il faut ajouter l'importance du pouvoir judiciaire. En ce moment avec la présidence TRUMP, notamment pour le muslim ban1, le juge peut encore jouer le rôle de contre-pouvoir. Dans le cas d’un vote cinq contre quatre, un juge peut changer le cours des choses.
En outre, je vous remercie parce qu’effectivement je n’avais pas assez mesuré le fait que finalement, si je vous ai bien comprise, le fait de retrouver goût à la confiance politique commence, effectivement, par la confiance interpersonnelle, la confiance sociale. Travailler sur le bon voisinage, la confiance dans les voisins peut avoir, in fine, des conséquences sur la confiance de manière globale. C’est bien cela l’idée ?
10Nonna MAYER : Oui. C’est une condition nécessaire, qui facilite le vivre et l’agir ensemble, localement. Mais ce n’est pas une condition suffisante. La confiance sociale peut disparaître très vite. Et, on l’a vu, elle pèse peu au moment de voter, ce qui compte alors ce sont les attitudes politiques, et les choix offerts.
11Julia SCHMITZ : Merci pour ce débat. Avant d’ouvrir les questions dans la salle, j’aimerais également rebondir sur cet échange. On parlait d’impact de la confiance sur le vote mais est-ce que l’on pourrait mesurer l’impact de la mesure de la confiance ou de la défiance sur la confiance politique en général ? Parce que l’on parle de relation de confiance, de proximité, etc. mais nous avons beaucoup évoqué ce matin la démocratie formelle. Est-ce qu’il n’y a pas une importance à accorder à la confiance aveugle ? Est-ce que la confiance aveugle n’est pas nécessaire au fondement démocratique ? Est-ce que l’on peut faire sans cette confiance qui doit rester aveugle ? Lorsque l’on cherche à la mesurer sans arrêt, ne cherche-t-on pas finalement à vouloir mesurer l’insaisissable, cette incertitude du futur ? Et est-ce que finalement on ne rompt pas un rapport de confiance aveugle nécessaire et qui doit rester secret quelque part ?
12Nonna MAYER : Je dirais : surtout pas de confiance aveugle ! Je serais plutôt sur la ligne du philosophe ALAIN dans Le citoyen contre les pouvoirs (1926), ou sur celle du politiste américain Jack CITRIN, reprenant de John Stuart MILL l’idée qu’un « scepticisme vigilant » convenait plus à une culture politique démocratique qu’une foi sans limite en ceux qui nous gouvernent2. Il est indispensable de garder un minimum de défiance à l’égard du politique, sinon n’importe quel dictateur pourrait s’imposer. Non, en politique la question ne se pose pas en termes de confiance aveugle, mais de confiance raisonnée. Le fait de dire « je fais totalement confiance » me semblerait, au contraire, très dangereux. En cela, j’adhère à la position américaine selon laquelle il faut un minimum de checks and balances parce que l’on ne sait jamais ce qui peut arriver. C’est cela qui me semble important dans une démocratie. Sinon qu’aujourd’hui il existe des démocraties « illibérales » comme la Hongrie ou la Pologne, que l’on peut détourner les procédures et les utiliser à l’encontre des droits et libertés fondamentales. Toutefois, même là, il faut déjà faire voter un minimum de textes, ce n’est pas un chèque en blanc, si je puis dire.
13Wanda MASTOR : « Chèque en blanc » est très précisément une expression qu’a employée la Cour Suprême des États-Unis dans un arrêt qui opposait des détenus de Guantanamo à BUSH : « The state of war is not a blanck check for the President », « l’état de guerre n’est pas un chèque en blanc donné au Président ». Je pense que la question de Julia SCHMITZ est vraiment la question du juriste. La base du contrat social est que nous n'avons « pas le choix ». C’est-à-dire que l’homme à l’état de nature, qu’il soit heureux ou malheureux, qu’il fasse plutôt confiance à un monstre biblique ou à un pacte entre membres d’une société, au départ, n’a pas le choix. Mais là où peut-être la science politique vient nous aider, c’est que, si au départ on n’a pas le choix, très vite on peut mettre des mécanismes en place permettant de responsabiliser les personnes qui détiennent notre dette. La dette de nos gouvernants est notre souveraineté. Cela n’est pas rien ! Il faut que les plus jeunes aient conscience de cela : un bulletin dans une urne, c’est l’abandon d’une parcelle de ce que nous sommes. Parce que la démocratie directe est impossible, nous acceptons de déléguer notre pouvoir de décision, notre souverain bien. De cela les Américains en ont bien plus conscience. Je peux vous dire que « We, the People », ce n’est pas marqué que dans le Préambule de la Constitution américaine. Il est écrit sur les mugs, les tapis de souris, les sweat-shirts… La source première et ultime du pouvoir c’est « nous » qui la donnons, on la transfère, on ne l’abandonne pas. Ce qui me désole un peu en France, c’est qu’on l’abandonne, en faisant une confiance aveugle. Je ne pense pas qu’il faille tomber dans l’excès des mécanismes américains de recalls, des impeachments. Toutefois, les Américains n’y ont pas recours souvent, au niveau national ou local. Mais la seule existence d'un mécanisme permettant de contrôler l'utilisation faite par les élus de cette délégation de souveraineté est importante.
14Catherine COLLIOT-THÉLÈNE : Je vais rebondir sur cette question de confiance aveugle qui a été posée tout à l’heure. Au sujet de la confiance en politique, il faut distinguer, tout en sachant qu’elles sont liées, entre la confiance dans les institutions et la confiance dans les personnes, ce qui est un problème complexe. Concernant la confiance aveugle, vous mentionnez l’ouvrage d’Olivier JOUANJAN sur les juristes nazis qui vient d’être publié. À un moment, JOUANJAN évoque la construction « Gefolgschaft », la « suite » du chef, qui était un concept effectivement emprunté au droit médiéval et que l’on a recyclé au moment du national-socialisme. La « suite » était liée par un rapport personnel, devait être liée, donc encore une fois c’est une construction juridique pour justifier le rapport avec le Führer, donc la confiance. C’est ici la construction d’un rapport au chef qui est inconditionnelle de fait, résolument non institutionnelle. Cela pose le modèle caricatural ou extrême. Maintenant, il reste la confiance dans les institutions, confiance dans le personnel politique. Quand nous voyons émerger des personnages plus ou moins charismatiques à propos desquels se repose la question : quel est le rôle du chef en démocratie ? Le problème se pose du rapport entre institution et ce chef. Max WEBER, dont je suis supposée être spécialiste, a théorisé le personnage charismatique comme moyen de sauver la démocratie contre la bureaucratisation des institutions. Au demeurant, le chef charismatique était soigneusement encadré par les institutions en germe, et notamment par la Constitution de Weimar. Insuffisamment encadrées, sans aucun doute, mais il reste que dans certaines circonstances, la sclérose des institutions peut faire surgir une personnalité. On pourrait le penser à propos de MACRON : il secoue les institutions, il les secoue quand même sacrément parce que les partis politiques qui faisaient partie, qui font partie de nos institutions, sont actuellement en mauvais état et on peut se demander si le « jupitérisme », pour caricaturer, est l’idéal de la démocratie. Nous savons aussi bien qu’il y a un problème de ce côté-là. Donc il y a une articulation entre les deux, c’est-à-dire que, d’un côté, on rêve d’institutions qui produisent du personnage, des institutions dans lesquelles on aurait confiance parce qu’elles produisent des personnels politiques dans lesquels on peut avoir confiance, mais, de l’autre côté, ces institutions, et c’est le cas de nos partis politiques, produisent du personnel politique dont la défiance se nourrit. Cela a été le cas pour SARKOZY, pour en rester aux Présidents. La question est de savoir si c’est le personnage individuel qui peut sauver les institutions ou si ce sont les institutions qui vont garantir que ces personnages n’entraînent pas une dégradation de la confiance dans les institutions.
15Nonna MAYER : Il est très difficile de faire la part des choses parce que la personne qui incarne une institution va déteindre sur cette institution. Par exemple, on peut considérer que Donald TRUMP va déteindre sur l’institution présidentielle américaine pour un certain temps, donc c’est très difficile de séparer l’un de l’autre.
16Nicoletta PERLO : J’ai deux questions rapides. La première question : vous avez dit que MACRON a incarné au moment du vote la confiance des Français. Cela ne me semble pas être très étonnant. C’est-à-dire est-ce-que dans l’histoire constitutionnelle française un Président a déjà été élu parce qu’il incarnait la méfiance ?
17La deuxième question concerne le vote des diplômés. Le leitmotiv en France, mais aussi aux États-Unis et dans les autres pays européens, c’est que, en général, les diplômés ne votent pas pour les extrêmes. D’ailleurs cet argument va dans le sens de ceux qui considèrent qu’il serait mieux de se diriger vers un vote des éduqués. Cela ouvre le débat sur qui a le droit du vote et sur la nécessité ou pas d’être « éclairé » pour pouvoir bien voter. Or, ce qui est très intéressant dans les statistiques que vous nous avez montrées, c’est que, en réalité, le vote MELENCHON, qui est considéré comme un vote extrême, est un vote de diplômés. Les diplômés peuvent donc voter pour les extrêmes ?
Certes, il n’y a pas de règles strictes en politique, mais il est intéressant d’observer comment il est en train d’évoluer le vote des diplômés. En Italie, par exemple, le sociologue Ilvo DIAMANTI a montré que le vote pour le Mouvement des cinq étoiles est aussi un vote des diplômés. Au début surtout – maintenant cela est en train de changer –, c’était l’expression du « ras-le-bol » des éduqués, d’une volonté de changement. Donc ce que je me demande également c’est comment penser le populisme ? Y-a-t-il un nouveau populisme des éduqués ?
18Nonna MAYER : D’abord s’il y a un terme que je n’aime pas et qui est confus c’est bien celui de « populisme ». Il est apparu il y a plus d’un siècle, il a désigné tour à tour le mouvement narodniki (gens du peuple) russe, le People’s Party américain, les mouvements de libération nationale en Amérique latine, aujourd’hui les droites radicales en Europe puis plus récemment des gauches radicales comme Syriza, Podemos ou le Mouvement 5 étoiles italien, sans compter ceux qui en font juste un synonyme de démagogie. Donc je serais prudente avec cette notion. Une définition minimale du populisme, ce serait le rejet de la médiation, des élites accusées de confisquer la démocratie. Jean-Marie LE PEN aime à dire que la vraie démocratie est la démocratie directe, la démocratie par référendum, comme en Suisse, parce qu’elle donne directement la parole au peuple. Et je distinguerais les droites populistes radicales, type Front national, des gauches radicales populistes type Les insoumis. Marine LE PEN et Jean Luc MELENCHON ont en commun une rhétorique populiste, anti-élites, et un rejet de l’Europe, mais sur des bases radicalement opposées. Lui c’est le refus de l’Europe du grand capital, elle le refus de la porte ouverte aux immigrés et de la mise en péril de l’identité nationale.
Maintenant, le rôle du diplôme. Là aussi c’est une variable compliquée, à plusieurs dimensions –culturelles, cognitives, sociales. L‘école, parce qu’elle ouvre sur d’autres cultures, sur d’autres langues, parce qu’elle apprend à raisonner, devrait inciter à plus de tolérance. Justement, parce qu’ils sont plus instruits, les électeurs de Mélenchon sont beaucoup plus tolérants que ceux de Marine Le Pen, ils sont aux antipodes sur toutes les questions concernant les immigrés, les étrangers, les minorités.
Quant à la relation entre confiance et vote MACRON je montre simplement que, lorsque j’introduis l’indicateur de confiance politique dans le modèle statistique cherchant à prédire ce vote, c’est le seul candidat pour laquelle la confiance compte plus que toutes les autres variables. Cela renvoie au contexte particulier des élections de 2017, où les repères classiques ont disparu, où les deux grands partis de gauche (Parti socialiste) et de droite (Les républicains) sont déconsidérés, qui ensemble vont recueillir moins du quart des suffrages au 1er tour.
19Julia SCHMITZ : Si on revient sur la société américaine, comment analyse-t-on la judiciarisation d’une société ? Est-ce que cela peut traduire à la fois une confiance dans le droit mais aussi une méfiance dans les relations interpersonnelles, une méfiance vis-à-vis de la politique ?
20Wanda MASTOR : J’ai une explication, forcément de juriste. Les Américains adorent les procès. Parce qu’ils adorent le droit. Les statistiques le prouvent : un Américain au moins une fois dans sa vie déclenche un procès. Il y a une expression américaine populaire qui dit : « on aime la chicane ». Le rapport au droit, surtout la procédure, c’est l’alpha et l’oméga de la culture américaine. Les bons étudiants ne sont pas ceux qui ont eu des mentions, mais ceux qui gagnent les concours de plaidoirie. Donc il y a un amour pour le droit très fort pour des raisons historiques évidentes. Ce n’est pas une explication, mais plutôt une analyse de juriste constitutionnaliste.
21Nonna MAYER : Je serais prudente toutefois. Les travaux de Liora ISRAEL (notamment L’arme du droit, Presses de Sciences Po, 2009) nuancent fortement cette idée d’une judiciarisation croissante aux États-Unis. Il faut regarder de près les indicateurs employés.
22Wanda MASTOR : Pour aller régulièrement aux États-Unis, je constate que l'enseignement pragmatique, à travers des cases
23, supplante le cours magistral théorique. La plupart des professeurs sont avocats en même temps. Nous avons là des données réelles.
24Nonna MAYER : Mais il faudrait aussi prendre en compte la notion américaine de lawyer, terme générique beaucoup plus englobant que celui d’avocat en France. Il y a une histoire différente des professions judiciaires des deux côtés de l’Atlantique.
25Aurore GAILLET : J’ai une question de méthode d’abord. Pourquoi étudie-t-on en sciences politiques à partir des élections ? Ce que vous avez fait là, essentiellement. Ce qui présuppose que la démocratie représentative est l’alpha et l’oméga de la démocratie. Or, aujourd’hui, il faudrait commencer à penser aux nouvelles formes de démocratie. Je m’inscris assez dans l’effort de Pierre ROSANVALLON sur la démocratie participative où apparaissent les problèmes de biens communs. Or ceux-ci peuvent être de niveau très différents, la biodiversité au niveau local, le climat au niveau global et le national devient, finalement, un niveau de souveraineté dont on peut penser qu’il n’est plus exclusif par rapport aux problèmes de la civilisation humaine. Il suffit de penser au référendum des 15 000 scientifiques sur le climat. Il y a là quelque chose à penser de nouveau me semble-t-il, sur la question de savoir comment les citoyens peuvent participer directement aux décisions, quelle est la nature de lien collectif qu’il faut mettre en oeuvre, quelle est la caractéristique des débats etc. Qu’en pensez-vous ?
26Nonna MAYER : En fait les élections depuis longtemps ne sont plus un champ d’étude privilégié par la science politique française. Mais loin de moi, et loin du laboratoire de recherche où je suis aujourd’hui après avoir quitté le Cevipof, le Centre d’études européennes et de politique comparée, l’idée de ramener la science politique à l’étude des élections, bien au contraire ! Quant à l’histoire de la démocratie participative, les travaux à ce sujet se sont multipliés ces dernières années, je pense à ceux de Loïc BLONDIAUX, Céline BRACONNIER, Yves SINTOMER, Julien TALPIN et bien d’autres encore. J’étais justement il y a quelques jours à une soutenance de thèse portant sur les procédures instituées de démocratie participative au niveau local et leur public3. Il y a beaucoup de recherches aussi sur les formes spontanées de démocratie participative locale, au quotidien, avec celles et ceux qu’un chercheur, Erik BANG, a baptisé les « everyday makers »4. Selon lui, voter n’est pas le plus important, c’est plutôt l’action directe, locale, à son niveau, en mettant ses compétences propres au service du bien commun. Par exemple, des initiatives telles que « » VoisinMalin » en France5. C’est en train de se développer. En ce qui me concerne, j’ai travaillé sur la participation politique sous toutes ces formes, pas seulement électorale et notamment lancé aux Presses de Sciences Po une collection, « Contester » précisément consacrée aux formes d’action protestataires comme la manifestation de rue, la grève, le boycott, la désobéissance civile, etc. Donc je vous rejoins, la politique ne se réduit pas aux élections, loin de là.
27Aurore GAILLET : Ce n’est pas seulement à un niveau local au sens interindividuel auquel je pensais, je pensais aussi à la capacité des autorités de décider collectivement quelles activités il faut réaliser. En particulier, on voit bien le lien que cela peut avoir avec l’économie : par exemple, les monnaies locales deviennent un instrument très important d’action, qui peut avoir du sens pour des décisions politiques prises à ce niveau. Il y a de nombreuses formes de coopérations locales qui remplacent le marché et qui mettent directement en contact les producteurs et les consommateurs en court-circuitant les grands diffuseurs
Notes de bas de page
1 Il s’agit des ordres exécutifs n° 13769 et n° 13780 émis par le Président américain en 2017.
2 “Comment: the political relevance of trust in government”, American political science review, 68 (3), 1974, p. 988.
3 Thèse de Guillaume PETIT, « Pouvoir et vouloir participer en démocratie : sociologie de l'engagement participatif : la production et la réception des offres institutionnelles de participation à l’échelle municipale », sous la direction de Loïc BLONDIAUX, Paris 1, septembre 2017.
4 Henrik P. BANG and Eva SORENSEN, « The Everyday Maker: A New Challenge to Democratic Governance », Administrative Theory & Praxis, Vol. 21, No. 3, septembre 1999, pp. 325-341.
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La loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations…
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Sébastien Saunier (dir.)
2011