Contre-point
p. 83-86
Texte intégral
1Je tiens, bien évidemment, à remercier les trois organisatrices pour nous offrir une telle respiration en organisant ces colloques interdisciplinaires ou pluridisciplinaires, non dans le sens où l’entendent en principe les juristes, lesquels, lorsqu’ils croient faire des colloques pluridisciplinaires, réunissent droit privé, droit public et histoire du droit.
2Je vais d’abord tenir quelques propos introductifs pour vous expliquer pourquoi ce thème m'a inspirée avant de rebondir sur votre intervention et vous poser deux questions, sur deux aspects plutôt méthodologiques qui nous séparent grandement. Une confrontation sur ces éléments peut rendre ce dialogue profitable pour les deux disciplines.
3Le terme de confiance est très musical. Il rime avec croyance et tolérance, donc c’est un mot qui me plaît. Comme nous en parlions avec Mathieu CARPENTIER, en aparté, cela fait très « leçon de 24 heures », sujet de cette fameuse épreuve d’agrégation qui nous terrorise, tellement il est protéiforme, pluridisciplinaire, et c’est le but de la journée de le montrer. Il s’agit d’un concept pour les juristes, autant fondamental que dangereux. Fondamental, évidemment parce que, quel que soit le nom que l’on veut donner à ce fameux « contrat », qui est la base de tout pour nous juristes, que ce soit un contrat façon ROUSSEAU, HOBBES ou LOCKE, on est face à un homme naturel qui abandonne sa parcelle de souveraineté, parfois avec optimisme voire enthousiasme pour les auteurs les plus naïfs, parfois avec frayeur pour ceux qui craignent le « Léviathan ». Le fait est que, in fine, cette histoire du contrat social est bien l’histoire d’un homme à l’état de nature qui est obligé de faire confiance à cet autre fictif qui va l’aider à s’organiser en société. Ce point est vraiment fondamental pour les juristes, même si l’on a toujours beaucoup de difficultés à l’enseigner aux étudiants.
4Dangereux, parce que le concept renvoie – je peux me tromper – presque ontologiquement à la question de croyance. Finalement, la confiance ce n’est que la croyance en quelque chose d’autre ou en quelqu’un d’autre. Je me souviens d’un écrit d’un Résistant qui disait que, finalement, la définition de l’amitié était dans la réponse à la question suivante : « Qui prendrais-je dans mon réseau de résistance ? ». Donc c’est une foi, c’est la foi en l’autre, la foi en quelque chose. C’est donc dangereux parce que c’est absolument insaisissable, et vous savez que le monde des juristes n’aime guère l’insaisissable. Les juristes se saisissent d’objets très rigoureux mais aussi de beaucoup de notions extraordinairement fuyantes, et celle-ci l’est incontestablement. À titre personnel, je ne sais pas ce qu’est la confiance en droit. Je n’ai jamais vraiment saisi, par exemple, ce qu'était la confiance légitime en droit européen.
5Pour en venir un peu à ma spécialité (le droit constitutionnel américain), la confiance c’est aussi la défiance et la trahison. Le mot trahison est inscrit dans la Constitution, laquelle lui donne des effets extrêmement pratiques. En droit constitutionnel, il existe des procédures permettant de censurer la rupture de ce lien de confiance. Sur ce point, il y a un fossé non seulement juridique mais aussi culturel entre la France et les États-Unis. En France, l’article 27 de la Constitution affirme de façon catégorique que : « Tout mandat impératif est nul ». C’est-à-dire qu’en France, lorsque vous votez, il n’y a pas de transfert, mais un abandon de la souveraineté des citoyens. Par conséquent, si un représentant de la Nation ne tient pas ses promesses, peu importe, la confiance est donnée, en même temps qu'est abandonnée la parcelle de souveraineté pour reprendre la formule rousseauiste. Le représentant n’est donc pas obligé de respecter les promesses faites lorsqu’il était candidat. Aux États-Unis, c’est complètement différent : les citoyens américains n’abandonnent jamais leur souveraineté. L’alpha et l’oméga de la culture américaine tient aux premiers mots de la Constitution des États-Unis : « We, the People ». C’est à la fois le début et la fin de cette société. Le peuple américain accepte la représentation parce qu’il n'a pas le choix. C'est un pays trop grand pour que puisse s'y épanouir une démocratie directe. Tocqueville l’avait déjà constaté ; les pères fondateurs l’avaient écrit ; la Constitution l'affirme.
6En revanche, la pratique – surtout en ce moment – est une chose différente. Très concrètement aux États-Unis, il existe de nombreuses procédures qui permettent – et cela ne concerne pas que les représentants politiques, mais aussi les juges –, de destituer quelqu’un en lequel nous n’avons plus confiance. Par exemple, si un juge au fin fond du Nebraska a été élu puisqu’il disait qu’il pénaliserait l’avortement et que, par la suite, au cours d’une décision lambda, il se montre plutôt empathique vis-à-vis de la femme, les citoyens peuvent très bien voter une procédure de « recall » – même si cette procédure reste très compliquée. Le recall vaut aussi pour les gouverneurs, les pouvoirs exécutifs locaux et, bien sûr, au niveau national, existe le fameux « impeachment ». Je ne sais pas si vous êtes d’accord avec moi, mais je dirais que toutes ces procédures dont je suis en train de vous parler représentent la défiance institutionnalisée. L’idée est la suivante : si tu me trahis, si tu romps le lien de confiance, j’ai la possibilité – moi, le peuple qui détient la souveraineté – d’être en mesure de te destituer. Et en général, ce ne sont pas que des motifs de droit pénal qui déclenchent une telle procédure. Selon les textes, oui. Mais la pratique a « politisé » cette procédure de mise en jeu de la responsabilité pénale. En effet, les Américains qui tiennent tant à ce lien de confiance peuvent contourner le motif pénal pour faire tomber aussi quelqu’un en qui ils n’ont plus confiance. Le parjure et l'obstruction à la justice -entre autres- reprochés à CLINTON suite à une affaire purement privée ne fut qu'un prétexte pour le faire tomber politiquement. Nous continuons d’apprendre aux étudiants, d’une part, que la séparation des pouvoirs est rigide aux États-Unis - alors que c’est faux – et, d’autre part, que l’irresponsabilité politique n’existe pas – ce qui est faux également. La responsabilité pénale est un palliatif à l’irresponsabilité politique.
7C’est la raison pour laquelle, comme le disait Jean-Christophe GAVEN tout à l’heure, les États-Unis constituent un vrai monde de défiance. Ils n’ont confiance qu’en une chose, ou plutôt deux : Dieu et la Constitution.
8Pour en venir à votre intervention, c’est toujours passionnant d’entendre des politistes, parce que, définitivement, nous n’avons pas les mêmes méthodes de travail. Parfois les juristes critiquent les politistes en pensant qu’ils n’ont pas de méthode et inversement, alors qu’en réalité les méthodes sont simplement fort différentes. Surtout les juristes n’ont pas, en tout cas moi je n’ai pas, les compétences pour employer la méthode des politistes.
9En particulier, il y a deux choses qui m’intéressent et sur lesquelles j’aimerais vous entendre en ce qui concerne la mesure de la confiance. Je comprends bien les travaux de politistes qui se disent sociologues parce qu’ils font des enquêtes de terrain et des sondages qui mesurent la défiance. Il me semble que les résultats des élections, notamment en France, montrent bien cela. Par contre, je me demande comment il est possible de mesurer le renouvellement de la confiance. Je me permets de prendre un exemple personnel. J'ai siégé dans la commission JOSPIN sur la rénovation et la déontologie de la vie publique. Dans le rapport que nous avons rédigé, un chapitre s’intitule « Redonner la confiance au citoyen ». Le mot confiance se retrouve en conséquence maintes fois cité dans le rapport. Avec du recul, je me demande comment on peut penser pouvoir redonner confiance aux citoyens… Cela est très prétentieux et sous-entend que les citoyens ont déjà eu confiance, ce qui n’est pas complètement certain. Peut-être que, pour s’en assurer, ils lisent des statistiques, comme vous nous l’avez montré pour les États-Unis, mais je ne suis pas certaine qu’en France, la Ve République soit marquée d’un fort niveau de confiance politique. Comment mesurer le renouvellement de la confiance ? Voici donc ma première question.
10Ma deuxième question concerne l’impact sur la participation électorale. Vous avez dit que, pour Emmanuel MACRON, la confiance a été un indice fort, alors que, pour Marine LE PEN, c’était presque le contraire, le manque de confiance étant l’indice principal. Personnellement, j’ai analysé le vote MACRON comme la confiance en l’inconnu. Or, la confiance en l’inconnu n’est-elle pas égale au manque de confiance ? Est-ce que certains politistes comparent les votes MACRON et LE PEN dans ces mêmes termes ? Finalement les deux votes ne sont-ils pas très proches ?
Auteur
Professeur de droit public, UT1 Capitole, IRDEIC
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La loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations…
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2011